La seconde guerre mondiale (1939-1945):

En septembre 1939, la déclaration de guerre n'est accueillie dans l'enthousiasme ni à Paris, ni à Berlin. En France, comme en Allemagne, le souvenir du sang versé vingt ans plus tôt est encore présent dans tous les esprits. La guerre de 1914-1918 devait être la dernière, la der des der, et voilà que tout recommence! Des deux côtés du Rhin, la majeure partie de la population redoute les conséquences du nouveau conflit. Les jeunes mobilisés de Saint-Sandoux rejoignent leur lieu d'incorporation en espérant que, comme l'année précédente, les choses finiront par s'arranger*. Certains, mon père fut de ceux-là, ne dépassent pas Clermont-Ferrand, où ils sont incorporés dans le 92ème régiment d'infanterie de ligne qui y tient garnison.
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* En 1938, la paix avait été sauvée de justesse à Munich, par l'abandon de la Tchécoslovaquie. Ce n'était que partie remise, Hitler étant insatiable.
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Calot, bandes molletières et souliers à clous... Au 92 à la veille de la guerre - A gauche un troupier de Saint-Sandoux: mon père
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La drôle de guerre commence, par de longs mois d'attente dominés par la crainte de voir le conflit qui ravage la Pologne gagner le front occidental où, pour l'instant, rien ne se passe. On prend l'habitude d'envoyer des colis aux soldats, avant de les adresser aux prisonniers. Un phénomène atmosphérique peu fréquent, l'aurore boréale, a été observé récemment. On y voit le présage d'une grande catastrophe. Les autorités politiques incitent les Français à faire preuve de méfiance: "Taisez-vous, des oreilles ennemies vous écoutent!". L'attente, le manque d'information, renforcent le goût de campagnards, restés crédules, pour les rumeurs les plus étranges. On s'échange, sous le sceau du secret, des renseignements que l'on prétend tenir de source sûre. On se passe de mains en mains des prophéties qui prédisent la victoire. Bref, on se raccroche comme on peut à chaque bribe d'espoir. Pour obéir aux injonctions de la "Défense Passive", les vitres de l'école publique sont quadrillées de bandes de papier collant bleu afin, qu'en cas de bombardement, les éclats de verre ne tombent pas sur les enfants; une version rustique des glaces Securit! Comme si un petit village auvergnat pouvait devenir la cible de l'aviation allemande! Dans les villes, on distribue des masques à gaz; mais, à Saint-Sandoux, je n'en verrai la couleur, et la forme en groin de cochon, qu'à la faveur de l'exode.

Le coup de tonnerre de mai 1940 enlève les dernières illusion à ceux qui en avaient encore. On suit les événements dans une presse au contenu censuré, sauf peut-être, et encore je n'en suis pas certain, la bande dessinée du professeur Nimbus, que je regrette aujourd'hui de ne pas avoir conservée. Les nouvelles qui nous parviennent, pour sujettes à caution qu'elles soient, ne peuvent pas dissimuler totalement la gravité de la situation. L'inquiétude grandit, même si l'on espère toujours un redressement, comme en quatorze. Le changement du haut commandement, avec l'arrivée de Weygand à la tête de l'armée, semble présager un retournement de situation. J'entends encore mon père affirmer: "Celui-ci gagnera ou il se fera sauter le caisson (brûler la cervelle)!" Rien de cela ne se produit. L'atmosphère est si troublée que certaines personnes se livrent à des aberrations qui aujourd'hui paraissent à peine croyables. Un ancien militaire qui habite sur les Forts, et dispose d'une paire de jumelles, scrute le ciel au dessus des bois du château; il croit y voir tomber quelque chose de blanc; ce ne peut être que la toile d'un parachute; le village alerté entre en ébullition; les chasseurs sortent leurs fusils et organisent une battue; "à la moindre feuille qui tremble, je tire"; bien sûr, on ne mettra pas la main sur l'espion nazi parachuté: il n'a jamais existé que dans l'imagination d'un brave homme alarmé par les malheurs de son pays. Une autre fois, un ancien combattant de la guerre de 1914-1918, l'autre guerre, comme on commence à dire, est chargé de monter de nuit la garde, armé d'un fusil de chasse, au carrefour de La Boule. On ne passe passe pas: il arrête la voiture du commandant de gendarmerie de Saint-Amant!

Bientôt arrivent les réfugiés. Les premiers viennent de Belgique. Il y en a qui logent à proximité de la maison de ma famille. Leur voiture porte la trace des balles: ils ont été mitraillés par l'aviation ennemie. Ils ne resteront que quelques jours au village et reprendront la route pour fuir plus loin. Ils sont suivis par des Français. Une famille parisienne occupe la maison que nous possédons au milieu du bourg. Cette famille compte cinq personnes: la grand-mère, la mère et trois enfants: deux filles et un garçon; la grand-mère est modiste; elle possède un phonographe qu'elle nous laissera; je découvre émerveillé cet appareil que l'on fait chanter en remontant un ressort au moyen d'une manivelle; je n'ai jamais rien vu d'aussi ingénieux. Ils ont aussi amené leurs masques à gaz et nous font essayer ces disgracieuses protections qui furent heureusement inutiles. 

Les enfants sont un peu plus âgés que mon frère et moi. Le garçon nous fait jouer à l'avion et à la brouette, sur le gazon, devant notre maison, entre les piquets d'écartage du linge; pour ce qui est de l'avion, il nous saisit par un bras et une jambe et nous fait virevolter autour de lui qui tourne sur place, comme une toupie, jusqu'à l'étourdissement; quant à la brouette, elle consiste à nous faire courir sur les mains en nous tenant par les pieds, les jambes simulant les brancards et nos mains la roue. Sa mémoire est riche d'un impressionnant répertoire de chansons et d'histoires, plus ou moins empruntées aux nombreux films qu'il a vus dans la capitale; pour des petits paysans comme nous, qui n'ont jamais quitté leur village que pour se rendre à Clermont, voir leur grand-mère opérée de l'appendicite, ces échos de Paris tiennent du merveilleux; nous écoutons en ouvrant tout grand nos oreilles. Il nous apprend l'interminable chanson du père vétérinaire, plus facile à retenir que les récitations scolaires:
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Mon père était vétérinaire
Vétérinaire de chevaux
Il leur soufflait dans le derrière
Avec un long tube de Verre
Un jour un cheval récalcitrant
Souffla plus fort que mon père
Il l'envoya au cimetière
Et sur sa tombe on écrivit
Ci-gît mon père vétérinaire
Vétérinaire de Chevaux
Il leur soufflait... etc.
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Il y a aussi bien d'autres chansons jamais entendues, en l'absence de poste de radio; je ne sais plus laquelle il faut placer en tête de "J'ai la rate qui se dilate", du "Lycée Papillon" ou de "Tout va très bien Madame la marquise", cette dernière est tout à fait d'actualité à une époque où les discours rassurants des dirigeants français tentent de faire oublier que tout va très mal. Nous sommes ravis de ce grand frère qui nous tombe du ciel, à la faveur d'un grabuge dont nous ne percevons que de lointains échos, lesquels ne troublent guère, il faut l'avouer, notre insouciance juvénile.
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La mère et les filles chantent des refrains de circonstances: "Nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried" ou "It's a long way to Tiperrary, it's a long way to go"; nous répétons en choeur sans comprendre les paroles que nous massacrons allègrement. Cette famille nous fera aussi un autre cadeau: "Les Trois Mousquetaires" et "Vingt Ans Après" que je trouverai plus tard dans le grenier; ces livres magiques me feront découvrir et aimer Alexandre Dumas. La plupart des réfugiés repartiront; quelques-uns reviendront. Au moins un d'entre eux, arrivé du nord, trouvera l'âme soeur au village et s'y établira définitivement en y fondant un foyer et une entreprise de menuiserie.

Pour écouter "It's a long way to Tiperrary", cliquez ici et pour en lire le texte, cliquez ici
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Saint-Sandoux en 1940-1941 - Au premier plan, des pignons. 
Vous pouvez comparer cette photo à une autre prise, à peu près au même endroit, au printemps 2000, en cliquant  ici
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Par une belle journée de juin 1940, ma mère, une de ses amies et moi, nous grimpons aux Varennes, chaparder les fraises du grand Hénon (que ses mânes nous pardonnent!). Soudain, des explosions retentissent. Nous apprendrons que la poudrière des Gravanches vient de sauter, dynamitée par ses défenseurs, pour éviter qu'elle ne tombe intacte aux mains des Allemands. Des bruits de voitures nous parviennent, de la route qui monte de Saint-Saturnin à Saint-Sandoux. Tout ce remue-ménage nous incite à revenir au village plus tôt que prévu, avant d'avoir touché aux fruits de braise dissimulés sous les feuillages rampants.

Une longue file de véhicules et de canons s'étend du bas de la Côte des Chartres jusqu'au milieu de la place. Il y a même des morceaux d'avion, dans un camion. Une unité de l'armée française en retraite passe par Saint-Sandoux. C'est un événement incroyable qui attire, bien sûr, un grand concours de peuple. L'un des officiers s'enquiert d'un endroit où écouter la radio. On lui indique l'une des rares maisons à en posséder, chez la Marie Bellon. Il s'y rend et en ressort peu après, passablement découragé: "les Allemands viennent d'entrer à Vichy". Après délibération, la troupe organise la défense. Des fossés sont creusés à la sortie du bourg, sur la route de Plauzat, dans un endroit qui domine la route nationale de Clermont à Issoire. Une batterie d'artillerie y est installée. Nous voici de plein pied dans l'Histoire. Heureusement, pour Saint-Sandoux et ses habitants, la batterie n'aura pas l'occasion de jouer. Le lendemain, peut être sur un ordre venu d'ailleurs, les soldats attelleront les canons, monteront dans les camions et repartiront on ne sait où.

Bientôt, l'envahisseur pénètre jusqu'à Clermont-Ferrand. Il y fait prisonnier les éléments du 92ème régiment d'infanterie qui y étaient casernés. Parmi eux, un enfant de Saint-Sandoux; la veille, il était encore en permission au village; il a rejoint pour ne pas être porté déserteur; mal lui en a pris; le voici dans les griffes allemandes pour cinq longues années. Il n'est pas le seul Sandolien prisonnier. Certains tenteront de s'évader. Quelques-uns réussiront, d'autres seront repris. La plupart resteront en Allemagne jusqu'à la fin de la guerre. Parmi eux, figurent deux de mes oncles. Ces prisonniers, plus nombreux que ceux de l'autre guerre, ne sont pas oubliés. Leurs familles leur envoient des colis; le patronage organise des séances théâtrales pour leur venir en aide.  Les chansons "Je suis seule ce soir..." et "J'attendrai le jour et la nuit..." obtiennent un gros succès; les familles qui déplorent l'absence de l'un des leurs y trouvent un écho à leurs préoccupations.
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On peut écouter la seconde, interprétée par Rina Ketty, en cliquant ici et en lire les paroles en cliquant ici
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La suite est connue: le président du Conseil, Paul Reynaud, démissionne; le maréchal Pétain lui succède; il obtient les pleins pouvoir d'une assemblée réduite, par les proscriptions de certains de ses membres (les communistes) et le départ d'autres à l'armée, dans un climat de rumeurs alarmistes (une révolution aurait éclaté à Paris), et sous la pression des militaires. Sortie peu glorieuse de la République, troisième du nom, et entrée en scène de l'État français: quelques personnes s'apitoient sur la triste mine du président Lebrun, dont les fonctions cessent ipso facto. On entre dans l'ère de la Révolution nationale, marquée par une tentative de retour à l'Ancien Régime et le reniement des valeurs républicaines. Un armistice est signé. Ce n'est pas la joie et le feu allumé sur le Puy, par quelques exaltés, pour fêter le solstice d'été, rencontre peu d'échos dans le village. Tout de même, l'armée allemande va refluer de Clermont-Ferrand jusqu'à la Loire, qui matérialisera la ligne de démarcation entre la zone occupée et l'autre, celle du maréchal. L'appel du 18 juin n'a été entendu par personne à Saint-Sandoux*. Certains affirmeront plus tard le contraire, mais ils se trompent. Il n'a pas été entendu tout simplement parce qu'il ne pouvait pas l'être: la T.S.F. (télégraphie sans fil), on appelait ainsi la radio, était à peu près inconnue, le général de Gaulle l'était tout à fait et, personne ne comprenant l'anglais, on n'écoutait évidemment pas encore radio Londres!
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* Singuliers hasards de l'histoire: l'appel du 18 juin eut lieu le jour anniversaire de la défaite de Waterloo et l'armée d'armistice a été ramenée au sud de la Loire, comme le furent les débris de la dernière armée de Napoléon.
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Le rapide effondrement de la France a frappé tout le monde de stupeur. On est abasourdi. Après la victoire de 1918, on attendait mieux de l'armée française! Celle-ci défaite, on imagine mal comment les Anglais pourraient résister. Je me vois encore, pendant l'été 1940, revenir d'une avoine à Issart, avec mon grand-père, en compagnie d'autres personnes, dont je ne me souviens plus le nom, et entendre prédire un rapide effondrement des Britanniques, la signature de la paix et le retour des prisonniers. Certaines gens voient dans la défaite une espèce de fatalité ou d'alternance: les Allemands ont gagné la guerre de 1870, nous avons vaincu en 1918, ils triomphent aujourd'hui, c'est dans la nature des choses, la prochaine sera pour nous. En attendant, il faut continuer à vivre.

L'entrée en vigueur des nouvelles institutions se traduit par des changements hautement symboliques. L'effigie du maréchal remplace Marianne sur les timbres postaux. L'ancienne arme des Francs, une hache à double tranchant, la francisque, fait son apparition sur les pièces de monnaie, en aluminium afin d'économiser le cuivre, utilisé pour la fabrication des munitions. La devise de l'État français: Travail, Famille, Patrie succède à celle de la République: Liberté, Égalité, Fraternité. Par précaution, et peut-être aussi à la demande des Allemands, les chasseurs sont désarmés; ils doivent remettre leurs fusils à la mairie; lièvres et lapins vont pouvoir pulluler en toute tranquillité; guerre aux hommes, paix aux bêtes! Certains livrent un vieux fusil et gardent le neuf. Tout cela s'accompagne d'un nationalisme cocardier renforcé par la présence d'une armée d'armistice qui parade ostensiblement sur un territoire exigu, amputé des provinces du nord de la Loire et de la façade ouest de notre pays. Les troupes casernées à Issoire manoeuvrent à Saint-Sandoux; leur fanfare défile à travers le village, pour la plus grande joie des badauds; une roulante s'installe sur la route de Veyre, à hauteur des Forts, où s'élève la maisonnette du poids de ville; des baraquements en bois sont édifiés à Pissarat, en bordure de la route, un peu plus bas que Polagnat; ils resteront quelques temps en place, même après le départ des troupes. A cette époque, les bâtiments de Polagnat se subdivisent en deux domaines: celui du bas ou des Robert et celui du haut ou de la Suzette. La cour du second est ombragée d'arbres touffus; une lourde porte de fer en interdit l'accès; depuis plusieurs années, il est vide; c'est un endroit idéal, à l'écart mais pas trop de la route nationale, pour soustraire du matériel à la curiosité intéressée de l'administration allemande; des véhicules de l'armée française y sont camouflés; ils en disparaîtront un jour pour une destination inconnue.
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Pièces de monnaie, timbre et calendrier de l'Etat français (Travail, Famille, Patrie, le maréchal et la francisque)
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La promotion des valeurs traditionnelles étant à l'ordre du jour, la religion catholique est encouragée, en réaction contre la loi de séparation de l'Église et de l'État imposée par la défunte République. Comme les autres enfants, de l'école libre et de l'école laïque, je fréquente le catéchisme, où une demoiselle pieuse, Marie Gendre, nous enseigne les rudiments de la foi, récompense les meilleurs d'un numéro des éditions rurales de Coeurs Vaillants et nous invite à des projections fixes des aventures de Tintin. Un jour, nous nous rendons à Clermont, en camion découvert, pour participer à la procession de Notre-Dame-du-Port. Le curé de Saint-Saturnin, l'abbé Andanson, qui est aussi celui de Saint-Sandoux, nous accompagne à bicyclette, revêtu de sa longue soutane noire, arrangée de façon qu'elle ne passe pas dans les rayons. Dans la métropole auvergnate, la foule est nombreuse et il est facile de s'y perdre; tant et si bien, qu'au moment du retour, on s'aperçoit qu'il nous manque une ouaille: une demoiselle âgée, Marguerite Davignon, qui faisait partie de notre groupe, heureusement, on finira par la retrouver! A cette époque, dans bien des jardins, on trouve des massifs de buis dont on distrait quelques branches aux Rameaux; ces branches, une fois bénies à l'église, sont placées en un endroit propice de la maison, afin de la protéger des calamités; chez nous, un brin montre ses feuilles vernissées, derrière les larges hanches de l'horloge à poids et balancier; lors de cette fête, du pain béni, ou plutôt des morceaux de brioche, sont distribués aux fidèles, au moment de la quête. A la Fête Dieu, la procession parcourt les rues du village fleuries et pavoisées. A Noël, une crèche est confectionnée dans l'église, entre l'autel et la sacristie; un Jésus rose y repose sur la paille, entre le boeuf et l'âne, sous les yeux admiratifs de Joseph et de Marie, dans un décor de montagnes saupoudrées de neige, tandis que les rois Mages se hâtent vers lui, guidés par une étoile; cette oeuvre d'art rustique suscite l'émulation des jeunes admirateurs et je ne manque jamais d'essayer de la reproduire chaque année maladroitement dans ma chambre. Le nouveau facteur, un artiste, modèle de petites statues (des santons?) dans la glaise tirée des anciennes carrières de la tuilerie; il crée une chorale et apprend aux enfants du catéchisme à chanter la messe du paysan. Les jeunes filles du village vont s'entraîner pour chanter la messe chez les demoiselles Courtial qui possèdent un piano. Ces deux soeurs habitent sur la place, face à l'école et à côté du local du catéchisme, une grande maison, au mur de laquelle est accroché un baromètre. Elles font partie des notables: un Courtial a été notaire. Elles afferment leurs propriétés à la moitié, selon le taux en vigueur à l'époque, aux paysans du village. Mes grands-parents ont fait partie de leurs fermiers. Ma mère me contera plus tard qu'elle se souvient de ces deux filles, bien vêtues et protégées du soleil par de jolies ombrelles, qui venaient vérifier, au moment de la récolte, que la moitié de celle-ci leur était bien attribuée.
Une crèche photographiée dans l'église de Saint-Saturnin en 2007.  
Celle de Saint-Sandoux, pendant la guerre, était plus belle et plus fournie en personnages 
 
 
Ci-contre, la place du village pavoisée pour une fête religieuse, probablement au cours de la Seconde Guerre mondiale.  
Source : Claude Arnaud  

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Le nouveau régime profite du prestige dont jouit le maréchal, auprès des combattants de l'autre guerre, pour tenter de les embrigader. La Légion des anciens combattants est créée; beaucoup y adhèrent; mais cette tentative d'enrôlement suscite des réticences et plusieurs vétérans de 14-18 n'en feront jamais partie, notamment ceux qui, avant guerre, professaient des opinions politiques qualifiées d'avancées; les anciens combattants qui se sont laissés séduire sont gratifiés d'un insigne tricolore frappé d'un casque gaulois; la plupart ne l'arborerons pas longtemps; ils prendront bientôt leur distance avec un gouvernement de plus en plus ouvertement favorable à la collaboration. Le service d'ordre de la Légion deviendra plus tard la Milice; peu de gens de Saint-Sandoux iront jusque là. Mais, pendant les premiers mois qui suivent la défaite, la majorité de la population fait confiance au vainqueur de Verdun. Des manifestations sont organisées. On dresse un mât sur la place du village, à côté de la croix, entre la boulangerie du père Bonhomme et le passage voûté qui conduit à l'église, peut-être au même endroit que l'arbre de la liberté sous la Révolution; il est fait du tronc écorcé d'un sapin qui restera là, debout, fiché en terre, assez longtemps; les trois couleurs y sont hissées; des discours sont prononcés; on y évoque le bleu du ciel de France, la pureté des neiges montagnardes et le rouge du sang versé héroïquement pour la défense de la patrie; en clôture de cérémonie, les enfants des écoles entonnent l'hymne du moment: "Maréchal, nous voilà, devant toi, le sauveur de la France..."; j'y étais; j'ai chanté comme les autres.

Pour écouter "Maréchal, nous voilà", cliquez ici et pour en lire le texte, cliquez ici

Pour lire le texte complet de "La Marseillaise", cliquez ici
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L'école laïque au début de la guerre - Instituteur Mr Laplace - (source: Aimé Comte) 
Pour agrandir l'image, cliquez ici . Une autre photo des élèves à cette époque  est ici
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Les enfants de l'école laïque avec leur instituteur. D'après les souvenirs d'une des personnes qui figurent sur les photos, l'animal serait le mulet du père de la fille qui le tient sur le second cliché et il aurait été utilisé pour emporter le bois coupé par les enfants de l'école à Barneyrol. Les hivers étaient froids à cette époque et la salle de classe immense était mal chauffée.  
Pour agrandir les image, cliquez ici et ici
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Un instituteur, Monsieur Laplace, a remplacé l'institutrice. Il nous apprend quelques couplets de la Marseillaise: "Amour sacré de la Patrie..." et nous emmène parfois au Puy, pour montrer aux plus âgés à abattre des arbres. Le service militaire a cédé la place aux Chantiers de Jeunesse, pour respecter les clauses de l'armistice limitant les effectifs de l'armée française. Au moment où ils atteignent l'âge de la conscription, les jeunes gens sont appelés sous ces nouveaux drapeaux. Ils sont revêtus d'un uniforme vert d'un assez bel effet et coiffé d'un béret basque. Des officiers les encadrent et leur enseignent la discipline, en leur faisant fabriquer du charbon de bois. Ce combustible a été substitué à l'essence, réservée à quelques privilégiés et aux Allemands, afin que les automobiles puissent continuer à circuler. Les moteurs ont dû être transformés pour fonctionner avec ce carburant rustique. Un gazogène a été adjoint à la carrosserie, derrière, sur le côté ou sur le toit. Ce disgracieux appendice prend la forme d'un fourneau ou d'une malle. Dans cette usine chimique miniature se fabrique l'énergie qui anime les pistons.
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Une conduite intérieure équipée d'un gazogène - Source: Internet
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Progressivement, les restrictions font leur apparition. La mairie distribue des cartes d'alimentation*. Pour se procurer les moindres denrées, il faut non seulement payer mais aussi céder quelques tickets prélevés sur la carte. Les enfants (les J) sont privilégiés: ils ont droit à des rations spéciales. La métropole, coupée de son empire colonial, n'en reçoit plus aucun produit. Le cacao devient introuvable; les barres de chocolat d'antan sont remplacées par des bâtons de crème blanchâtre enrobée d'une mince pellicule de vrai chocolat; adieu Menier, adieu Poulain dont on disait qu'il contenait du sang de cheval! On ne trouve plus que des bananes séchées et encore en faible quantité. Les oranges se sont évanouies. On substitue l'huile de noix ou celle d'oeillette (pavot) à l'huile d'arachide devenue introuvable; on voit fleurir de nombreux champs de pavots sur le territoire de la commune; à maturité, les oiseaux percent un trou dans le fond de leur calice pour atteindre les graines et s'en régaler; il n'y a encore ni tournesol, ni colza; ils viendront plus tard. Le café n'est délivré qu'avec parcimonie. On sort des greniers les antiques machines à torréfier qui y dormaient et l'on grille de l'orge pour confectionner le breuvage noir du déjeuner ou de l'après dîner. Encore convient-il de sucrer cette boisson tiède. Pour cela on dispose d'abord de saccharine, ensuite d'un édulcorant liquide qui ressemble à du sirop de canne et dont on ne sait pas à partir de quoi il est obtenu, enfin arrive le sucre de raisin, une sorte de beurre brun obtenu par déshydratation du jus des grappes**. Quant au pain, la croûte fait illusion mais, quand on la perce de la pointe d'un couteau, elle s'affaisse et l'on trouve dessous une espèce d'empois foncé parsemé de brins de paille. Avec quelle farine est-il confectionné? Mystère. Peut-être avec de la sciure de bois! On trempe quand même la soupe avec et on en distribue chaque jour une tranche aux enfants des écoles, pour leur quatre heures (goûter). Si les autorités ont interdit les apéritifs anisés (Pernod, Ricard...), assimilés indistinctement à de l'absinthe, ce n'est pas une grande perte car on n'en consommait pas beaucoup. Et puis, comme apéritif et digestif, il reste le vin de paille et l'eau de coing fabriqués chez soi. La carence en vitamines entraîne d'autres conséquences: l'hiver devient la saison des engelures qui font se boudiner les doigts jusqu'à ce que s'y ouvrent de douloureuses crevasses que l'on soigne en les enduisant d'une pommade jaune plus ou moins efficace. 

*    Les tickets d'alimentation avaient déjà fait leur apparition pendant l'autre guerre, celle de 14-18. Une page sur les cartes d'alimentation est ici.
**Le recours aux ersatz n'était pas une nouveauté. Sous le Premier Empire, à l'époque du Blocus continental, la culture du lin avait été encouragée pour remplacer un coton devenu rare; on avait envisagé d'utiliser la fibre de genêt pour la confection de tissus; l'oeillette avait été promue et le sucre de raisin avait fait son apparition avant d'être durablement supplanté par le sucre de betterave.
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Les enfants de l'école laïque en 1943 - Institutrice: Mlle Gaudy  - (source: Aimé Comte) 
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Mais il n'y a pas que la nourriture à poser problème. Le savon de Marseille est devenu rare. On le remplace par une sorte de pierre verdâtre qui fond lentement. Je me souviens encore d'un vieux monsieur qui s'en est procuré on ne sait trop comment et qui en fait commerce. Il vante les mérites peu évidents de son produit, on dit alors faire l'article, devant des ménagères dubitatives: "mousse, mousse, mousse... ça mousse!", en frottant du linge mouillé pour en tirer péniblement deux ou trois bulles chétives. Il est difficile de se procurer des vêtements. Les commerçants qui ont conservé du tissu le dissimulent pour le vendre au marché noir. Alors, on retrouve les gestes d'antan; on carde la laine des brebis, on la file; j'ai encore en mémoire l'image de ma grand-mère paternelle armée d'un fuseau; on défait les vieux lainages pour en récupérer les fils, que l'on enroule en écheveau autour du dossier d'une chaise ou des bras tendus des enfants; on tricote cette laine de seconde main. On taille et coud des pantoufles dans le tissu des vieux habits. Le cuir aussi est rare et les chaussures difficiles à trouver, ce qui ne chagrine pas trop des campagnards habitués aux sabots; les galoches sont un luxe qui nous vient, dit-on, des Gaulois; les Romains ne les appelaient-ils pas "gallicae"? Malgré le contrôle économique, les paysans disposent de l'essentiel de leur production: pommes de terre, huile de noix, cochonnailles... Une telle richesse intéresse les gens des villes beaucoup plus mal pourvus en denrées de bouche. Ces derniers fournissent aux premiers, en échange de nourriture, les produits manufacturés qu'ils ont la chance de se procurer: un pantalon contre un litre d'huile de noix! Les paysans, naguère méprisés par les gens des villes, qui les traitaient de culs-terreux, prennent maintenant leur revanche; on les courtise. Le troc refait surface; mais ce que l'on reçoit n'est pas toujours de bonne qualité. La rayonne, à base de cellulose, est plus fréquente que la soie. Alors une expression voit le jour: le bon produit est un produit d'avant guerre. Et ce produit d'avant guerre est rare. On fait donc avec ce que l'on a. Les élégantes, il y en a même à Saint-Sandoux, portent de hauts chapeaux de paille décorés de fleurs artificielles. La semelle de leurs souliers est en bois articulé, rareté du cuir oblige. Elles tracent, au crayon sur leurs mollets, un mince filet destiné à représenter la couture des bas absents.
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L'école libre en 1941 (source: Gisèle Martin-Guillaume) 
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Petit à petit, la débrouillardise aidant, on se met à fabriquer des produits de substitution avec les moyens du bord, en suivant des recettes que l'on s'échange. On cultive du tabac dans les jardins; on fait sécher les feuilles dans le four de la cuisinière; c'est un brûle-gueule; mais c'est mieux que rien. On fabrique du savon avec du suif, de la résine, de la soude caustique et je ne sais plus quoi. Il mousse? Un peu. Des betteraves mises à bouillir coule un jus brun sucré qui, une fois réduit, se rapproche de la cassonade; cette espèce de confiture édulcore l'orge grillé aussi bien que la saccharine; un coup de gnole aidera à passer ce semblant de café! Tous ces ersatz sont qualifiés de nationaux. Il y a le tabac national, le café national, le savon national... On emporte de nuit, en cachette, comme un voleur, par les chemins de traverse, afin d'échapper aux argousins, du blé au moulin du père Chocot, sur les bords de la Monne, à Saint-Saturnin, pour ramener un sac de fleur de farine qui servira à confectionner des gâteaux à la maison; et, si l'on vient à manquer de farine, on moud du grain avec le moulin à café à manivelle et on tamise la poudre obtenue à travers les fines mailles d'un bas de femme, pour en extraire le son. Surtout, il y a l'abattage clandestin; on tue beaucoup de bêtes: vaches, veaux, agneaux... en plus du meurtre quasi rituel du cochon. Les boulangers du haut, qui ont remplacé Favier dans la rue du Commerce, se sont improvisés bouchers; et ils ne sont pas les seuls. Aussi, en dépit des restrictions, la viande ne manque-t-elle pas. Il est vrai que l'on n'est pas trop délicat. Tous les abats se mangent. Non seulement les tripes et le coeur, mais même la corée (les poumons); cuisinée avec du vin rouge, cette chair spongieuse n'est certes pas un met gastronomique, mais bien des gens s'en contentent. Et puis il y a tout ce que les Allemands ne peuvent nous ravir: les champignons, les escargots...  Des champignons, on en peut ramasser presque partout; sur le Puy des rosés, des lactaires délicieux, par les Varennes des mousserons, ailleurs de nombreuses autres variétés: chevaliers bagués (coulemelles?), morilles... Ceux qui ne sont pas consommés immédiatement sont conservés en les mettant à sécher dans les greniers, enfilés en chapelet sur une cordelette. Par temps de pluie, dans les jachères, on chasse l'escargot (l'escargoth, avec son casque à pointe; n'oublions pas l'invasion et voyons dans cet hallali discret une manière de revanche); on en ramène des centaines; après les avoir laissé jeûner, on les fait dégorger dans du sel, puis on les cuit au court-bouillon et on les mange, replacés dans leur coquille et réchauffés avec du beurre manié à l'ail et au persil. Les meilleurs connaisseurs du territoire, qui sont aussi souvent des braconniers, savent où trouver les artichauts sauvages qui poussent sur le Puy et derrière Pierres Noires. Les gens des villes n'ont évidemment pas accès à ces ressources. Ils doivent se contenter de pâtés à la mie de pain et au viandox, avec des topinambours et des rutabagas, lesquels remplacent la pomme de terre, dont les occupants sont si friands qu'ils n'en laissent presque plus aux occupés. Cela vaudra aux Allemands le sobriquet de doryphores et dévalorisera durablement les deux légumes de substitution.

Une batterie de cages à lapins a été installée sous le préau de l'école publique. Elle y restera longtemps, même après la fin de son utilisation, comme un témoignage de cette période difficile. Pour le moment, elle ne dérange pas les écoliers. Ils ont déménagé dans l'ancienne école des filles. Avec l'arrivée à l'âge scolaire des classes creuses, et malgré la présence de quelques réfugiés, les enfants ne sont plus assez nombreux et se trouvaient un peu perdus dans la vaste salle de l'école des garçons. Bientôt, le maître d'école est remplacé par une maîtresse: mademoiselle Gaudy. L'école a cessé d'être politiquement neutre. On distribue aux écoliers la photo du maréchal. Une organisation caritative, le Secours National, a été créée pour venir en aide aux réfugiés et aux prisonniers. Des collectes sont effectuées en son nom. les enfants de l'école publique sont invités à donner livres et jouets pour le Noël des enfants des régions occupées. Je me souviens y avoir participé en apportant un petit ouvrage où il était question d'un vieil homme qui faisait fleurir des buissons dénudés par l'hiver en semant dessus les étoiles du bâton qu'il avait en main. L'allusion politique était évidente! Les livres pour enfants, eux aussi, s'étaient mis au goût du jour. Quelques temps plus tard, ils se reconvertiront à nouveau, comme on le verra ci-après.  On apprend à réciter un poème dont l'arrière plan idéologique est évident: "Gardez bien vos champs, petits paysans". Le régime de Vichy prône le retour à la terre; ce n'est pas une nouveauté, on en a déjà parlé en 1914-1918; mais, dans contexte de l'occupation, cette expression prend un signification quelque peu différente: dans la nouvelle Europe, sous domination germanique, le rôle dévolu à la France est surtout alimentaire.
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Une carte du Secours National
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A cette époque, l'électricité n'est encore pas si abondante qu'elle le sera plus tard; de plus, depuis le début de la guerre, l'éclairage extérieur est éteint pendant la nuit, pour des raisons d'économie et de défense passive. Il est périlleux de déambuler dans les rues obscures, mal pavées, souvent défoncées, parfois boueuses ou glissantes, où tout objet insolite prend des airs menaçants. Pour se rendre à la veillée chez les voisins, on se munit d'une lanterne, une boîte de fer aux parois vitrées, dans laquelle on place une bougie ou bien une lampe à huile ou à pétrole; mais la clarté jaunâtre de cet éclairage parcimonieux ne s'étend qu'à une portée des plus réduite et n'apporte qu'un très faible secours aux promeneurs nocturnes.

Pour le moment, on n'a pas encore vu d'Allemands à Saint-Sandoux. Ils n'ont fait qu'une brève incursion à Clermont, avant de refluer jusqu'à la ligne de démarcation. En revanche, les champs de pommes de terre sont infestés de doryphores; on les fait ramasser aux enfants de l'école dans de vieilles boîtes de conserves. Cette invasion d'insectes vaut à l'occupant un nouveau sobriquet. Jusqu'à présent il était qualifié de fritz, frisou, fridolin et surtout boche. Le voici maintenant devenu en plus, on l'a déjà dit, doryphore à croix gammée*! Si aucun soldat germanique n'est encore apparu dans la commune, on a tout de même appris que des prélèvements de minéraux y ont été effectués à l'instigation des autorités d'occupation. L'existence d'une ancienne mine de cuivre n'est probablement pas étrangère à cet intérêt du IIIème Reich pour notre petite commune auvergnate. L'industrie de guerre allemande manque des métaux qui entrent dans la composition des munitions dont on fait une si ample consommation. Cette pénurie de métaux non ferreux se répercute dans nos campagnes. Il est devenu difficile pour les agriculteurs de se procurer le sulfate de cuivre employé pour le traitement des vignes. Faute d'avoir la ressource de s'en procurer en Angleterre, comme en 1914-1918, son obtention est subordonnée à la remise, en échange, de cuivre de récupération. Alors, c'est la chasse à tout ce qui en contient: récipients usagés, chutes de fils électriques... Quant à l'analyse des échantillons de roches prélevés à Saint-Sandoux, elle  restera sans résultat; on n'en entendra plus parler.

* Après la guerre, dans une bande dessinée qui rencontrera un grand succès, "Les Trois Mousquetaires du Maquis" de Marijac, la mitraillette Sten, l'arme du maquis, sera qualifiée de sulfateuse à doryphores. Pour les habitants d'un village isolé, rarement en contact avec des étrangers, les envahisseurs étaient à peine moins exotiques que ne le seraient des Martiens. Les jeunes Européens d'aujourd'hui auront sans doute du mal à imaginer l'hostilité que l'on ressentait à l'égard des Allemands. Cette hostilité, mélangée de crainte, résultait en grande partie de la réputation de croque-mitaines qui leur était faite dans les récits de la grande guerre, celle de 14-18. Il y avait aussi l'écho des atrocités commises contre les résistants. Enfin, un peuple soumis éprouve rarement, pour celui qui l'occupe, un autre sentiment que la haine.
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La vie continue au même rythme qu'avant. Seuls quelques menus incidents viennent, de temps à autre, distraire le village de sa monotonie. On pourrait presque ignorer l'occupation, sans les restrictions, sans cet imbroglio d'horaires avec lesquels il faut jongler: quand il est une heure à un cadran, il est deux heures à l'autre; entre l'heure ancienne, l'heure nouvelle, l'heure allemande, l'heure du soleil, les hautes horloges de bois verni, au cadran lunaire, au balancier solaire, aux hanches replètes, ne savent plus où donner de leur tête blafarde. Les hivers sont exceptionnellement rigoureux, mais ce n'est tout de même pas la faute à Pétain ou à Hitler! On s'endort une brique chaude aux pieds, sur une paillasse bien garnie et sous un édredon bourré de plumes, la tête et les oreilles recouvertes d'un bonnet de nuit, et l'on supporte sans trop de difficulté les rigueurs du climat. On bouche avec de la paille les chatières des caves et des cuvages pour éviter le gel. On jette des cendres ou du gravier sur la neige pour prévenir les glissades. On soigne la toux avec la pastille Valda, créée au début du siècle par un ingénieux pharmacien et qui sera encore allègrement vendue cent ans plus tard. En 1942, je ne garantis pas la date, un orage de grêle s'abat sur Saint-Sandoux; les grêlons sont aussi gros que des oeufs de pigeons; les fossés le long des routes en sont jonchés; je me souviens les avoir vus en rentrant de garder les vaches à la Pesade; on conduisait les bêtes au pacage dès le jeune âge, bien avant dix ans.
 
J'ai parlé de l'exceptionnelle rigueur des hivers de la guerre. Cela ne dérangeait pas beaucoup les vieilles gens. En tout cas, leur curiosité était parfois plus forte que leur frilosité. Une jeune femme, qui venait voir sa grand mère, s'étonna de ce qu'elle laissait grande ouverte sa porte, alors que le vent poussait la neige jusqu'à l'intérieur de la maison. "Eh! lui répondit l'aïeule, si je fermais la porte comment saurais-je qui vient chez mes voisins!"
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Les hostilités n'ont pas modifié le déroulement de la vie rurale; le temps des récoltes est aussi celui des grandes vacances; les enfants entrent en dissidence: "vivent les vacances, à bas les pénitences, les cahiers au feu et le maître au beau milieu"; ils retrouvent, pour les garder, les vaches dans les pacages; avec l'aide de leurs bras débiles, de ceux des vieux et aussi de ceux plus vigoureux des femmes, les jeunes hommes ayant échappé à la captivité pallient tant bien que mal l'absence des prisonniers. Voici une anecdote survenue pendant la période des moissons, je ne me souviens plus en quelle année; le champ rasé de près, nous jouions, deux ou trois gamins, dans un chemin creux voisin; soudain, déboule un lièvre suivi par des chiens; surpris par ce nouvel obstacle qui se dresse devant lui: nos jambes maigres, l'animal fait un brusque crochet; malheureusement pour lui, et providentiellement pour les gourmands qui rêvent de lui sucer les os, sa tête vient donner dans une large pierre plate qui renforce le talus à cet endroit; le lièvre, étourdi par le choc, ne se relève pas; des mains fermes et solides le saisissent; un violent coup de poing derrière la tête l'achève, aussi raide qu'une balle dans la nuque. J'ai dit ailleurs que le gibier pullulait pendant la guerre, en raison de l'interdiction de la chasse et de la confiscation des fusils; cette anecdote en fournit une illustration.

Il existait sous la croix, au flanc de la Côte du Telly, un énorme rocher branlant, en équilibre sur d'autres pierres. Par un bel après-midi, alors que nous sommes à Valaison, ce rocher dévale la pente avec fracas, dans un nuage de poussière et de petits cailloux projetés en l'air. Il tombe dans le Creux de Loulle, rebondit, traverse le chemin et vient s'arrêter au milieu du bois qui s'élève de l'autre côté, après y avoir tracé une large coulée d'arbres brisés. Ce n'est pas la première fois qu'un tel événement se produit puisque on peut voir un autre rocher, un peu plus bas, sur le bord du chemin. Il n'est pas douteux qu'il provient lui aussi du Puy. La veille de jeunes imprudents jouaient encore à la balançoire sur l'énorme pierre qui vient de rouler. Ce sont peut-être eux qui ont fini de la déstabiliser. En tous cas, si elle était partie sous leurs pieds, ils ne seraient sans doute plus aujourd'hui de ce monde. Quelle belle peur rétrospective!

Visite au village d'un soldat noir. C'est probablement la première fois qu'un homme de couleur fait son apparition à Saint-Sandoux. Avec son uniforme bleu et sa chéchia rouge, il ressemble tout à fait à l'image qui ornait les boîtes de banania. C'est un Malgache. Il vient d'Opme où Delattre de Tassigny a installé une école de cadres pour former les officiers de l'armée d'armistice. On aperçoit les bâtiments blancs de l'école du haut du Puy. Mes grands parents invitent cet homme venu de si loin à la maison. Je le revois au bout de la table, nos yeux fixés sur lui comme au spectacle. Il s'y régale d'une cuisse de poulet. Il la tient avec sa fourchette, levée au niveau de sa bouche, et la  grignote en tournant autour. Quelle étrange manière de manger un pilon pour des gens qui, comme nous, le prennent avec les doigts.
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Publicité d'avant-guerre pour le banania
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Des enfants marseillais, encadrés par des adultes, ont choisi le Puy de Saint-Sandoux pour y passer leurs congés d'été. Ils installent leur camp de tentes dans un bois, à droite des pacages de Pressat, pour bénéficier sans doute de la salubrité des sapinières. Les enfants du village, poussés par la curiosité, se rendent souvent à ce camp qui les intrigue. Ils y sont cordialement reçus. Les moniteurs les initient à la vie sous la toile et leur racontent des histoires du grand port phocéen. Malheureusement, un violent orage chasse les campeurs de leur abri précaire et leurs vacances s'achèvent dans une grange du village.

Mis à part ces divertissements épisodiques, les enfants continuent à s'amuser comme avant guerre, les filles à la marelle, le carrémaré, ou en sautant à la corde. Les garçons font le tour de France, c'est-à-dire celui du village, en poussant devant eux, avec un bâton, un cerceau fait d'une vieille roue de bicyclette. Mais ce sont surtout les billes, les gobilles, qui ont leur préférence; il y en a de toutes les couleurs et de plusieurs matières: terre, verre, fer; les plus prisées sont les agates, billes de verre dans lesquelles courent des veines de couleurs, et les taquants, billes de fer deux ou trois fois plus grosses que les billes ordinaires; on joue dans les rues et sur la place. Ce ne sont pas les automobiles qui dérangent: elles sont presque inexistantes; à cette époque, lorsqu'un enfant, parti courir les rues, ne rentre pas à l'heure, ses parents ne pensent pas qu'il a pu être renversé par une voiture; ils redoutent plutôt qu'il ne soit tombé dans l'un de ces profonds puits, creusés au milieu des jardins, pour arroser fleurs et légumes de son eau noire, puisée avec un seau suspendu à une chaîne ou à une corde, enroulées sur un cabestan. Il arrive que les billes, entraînées par leur poids, roulent sur la pente pour aller finir dans une bouche d'égoût; on peut alors leur dire adieu: les bras des enfants sont trop courts pour atteindre le fond du gouffre dans lequel leur richesse s'est engloutie.

On construit des fermes, avec deux ou trois briques couvertes d'une tuile, que l'on peuple d'animaux de plomb ou de bois; on leur rend visite deux fois par jour, au même rythme que les adultes que l'on imite, pour le pansage. On achète des surprises aux Économats du Centre ou au Casino; ce sont des cornets de papier coloré dans lesquels on découvre des objets inattendus, d'où leur nom: petits sifflets, bonbons, chinchin-gomme (chewing-gum) qui deviendra à la mode à la Libération. A défaut de véritable chewing-gum, à l'époque des moissons, on mâche des grains de blé et la pâte obtenue gonfle et claque presque aussi bien. Voici quelques autres distractions traditionnelles qui, pour autant que je m'en souvienne, nous aidaient à passer agréablement le temps: cache-cache, objet dissimulé (chaud, brûlant, froid pour guider celui qui cherche), chat perché, colin-maillard... A la veillée: on s'efforce de reproduire des animaux ou des être humains, comme au cinéma, en projetant sur le mur l'ombre de ses mains.

A la belle saison, les enfants de l'école vont se promener au Puy, comme autrefois, et dans les bois derrière le château. Un sentier court en haut de la falaise le long des fausses ruines (guérite, théâtre de verdure avec ses gradins de pierres sèches...) jusqu'au-dessus des orgues. En face du mur qui clos la demeure seigneuriale, de l'autre côté du chemin qui y mène, un plan d'eau maçonné s'étale, à l'ombre des arbres; on prétend qu'une personne s'y noya, il y a longtemps, mais je ne l'affirmerais pas. Les enfants cherchent au sommet de Pierres Noires, le siège de Saint Sandoux et le trou de rocher dans lequel il mettait son tabac: deux ou trois cailloux assemblés par la nature, dont la forme évoque un fauteuil. L'hiver, on glisse sur des sabots plats ou des luges de fortune, dans les prés pentus et même dans les rues, au grand dam des vieilles gens qui ne peuvent plus tenir debout, sur un sol trop lisse. Deux douves de barriques en guise de patins, trois planches pour le siège et quelques clous pour que ces différents éléments tiennent ensemble, et voilà une luge que l'on a eu le plaisir de fabriquer soi-même!

Un jeu moins innocent est inspiré des événements: la petite guerre; on se confectionne des fusils et des mitraillettes en bois, en s'inspirant de ceux que l'on voit dans les mains des soldats. Il y a aussi les lance-pierres pour tuer les moineaux et casser les tasses (consoles) de porcelaine des poteaux électriques. Il est aussi des jeux plus cruels; la pêche aux poules, par exemple; on noue solidement un fil assez fort au bout d'une gaule, destinée à tenir le rôle de canne; on attache un grain de blé au bout du fil; du haut d'une éminence, comme une fenêtre ou un balcon, on jette une poignée de grains dans la basse-cour; on laisse traîner le grain attaché au fil parmi ceux qui sont répandus; les volailles se précipitent pour picorer; dès que le grain est avalé, on lève la gaule et la poule au bout du fil; il faut voir le malheureux volatil, soulevé du sol sans rien comprendre, battre des ailes, désemparé, jusqu'à ce que, le grain dégurgité, il retombe lourdement sur le sol!

Certes, l'époque est alors rude, mais, en compensation, la nature nous prodigue sans compter des joies simples dont nous n'avons pas vraiment conscience. Nous vivons au milieu de plantes et d'animaux, domestiques ou sauvages, dont la compagnie est un enchantement. Les rues du village ne sont jamais vides; il y a le murmure des fontaines, les abois des chiens qui se chamaillent, le bruit d'averse du pas des troupeaux. Les hirondelles nichent sous les hangars, les rapaces nocturnes fréquentent les greniers, le rouge-queue et le rouge-gorge disputent les trous des murs au moineau; le bouvreuil, les mésanges, le pinson, le pic-vert et le geai déploient dans l'azur l'arc-en-ciel de leur plumage; la pie et le corbeau complètent le tableau; les oiseaux de la Moute occupent les bas-fonds; les cailles et les perdrix, rouges ou grises, courent par les éteules. Les chauves-souris tournoient à la poursuite des insectes, dans la tiédeur des soirs d'été. Les branches des arbres tendent des passerelles aux écureuils; les hérissons courent le soir dans les ruelles; les lièvres et les lapins se débarbouillent dans la rosée; les renards viennent en hiver jusqu'aux abords du village, attirés par les poulaillers. Au printemps, les jardins embaument, les vergers fleuris bourdonnent autant que des ruches; en été, l'odeur des foins est une promesse de vacances... Bref, tout cela vaut bien le bonheur frelaté des écrans, petits et grands, qui nous sera plus tard dispensé.

Les distractions des adultes sont devenues rares. Vichy a formellement défendu la célébration des fêtes autres que religieuses. Alors, on organise des bals clandestins; on danse dans les granges, au son de l'accordéon. Gare si les autorités viennent à l'apprendre! Cet innocent divertissement est considéré comme une insulte à nos prisonniers; il paraît que la Milice a renvoyé chez eux tout nus des danseurs clandestins qu'elle avait surpris. Mais on n'empêche pas la jeunesse de s'amuser, surtout lorsque le divertissement à la saveur du fruit défendu et qu'il prend, à la faveur des circonstances, des allures de résistance.

Des travaux de réfection de la maison familiale sont entrepris. Il sont réalisés par un maçon d'origine italienne installé depuis peu dans le village: Caminada. Les matériaux n'ont pas la qualité de ceux d'avant-guerre: on fait avec ce que l'on a. Nous allons chercher le sable au lac d'Espirat, de l'autre côté de Saint-Saturnin, dans un tombereau tiré par les vaches. La façade est crépie: on ne verra plus les pierres. L'escalier d'arkose qui montait au grenier est remplacé, presque à l'identique, par une construction de ciment armé. A la place des trois ou quatre marches de pierres noires du rez-de-chaussée s'élève désormais un balcon. Il donne accès au vestibule, un petit couloir d'accueil, où nous accrochons nos manteaux à des patères. Des années après, je me demanderai quelle apparence avait l'entrée de la maison avant ces réfections. Je me souviens grossièrement de l'ensemble, mais j'ai oublié les détails. Heureusement, une photo, qui me vient de nos amis réfugiés, me les remettra en mémoire.

Le jeudi 9 avril 1942, le Journal de Monaco, Bulletin officiel de la Principauté, publie un article concernant Monsieur Élie Orif, d'origine auvergnate. Élie André Orif est né le 1er février 1894 à Saint-Sandoux. Il a étudié au collège Amédée Gasquet de Clermont-Ferrand. Mécanicien chef sur locomotive, il a fabriqué, depuis 1933, une locomotive réduite au 10ème, qui a été présentée au maréchal Pétain, lequel a décidé qu'elle devait être montrée comme un chef-d'oeuvre de l'artisanat français en métropole et dans l'empire. Cet article relate la présentation de ce chef-d'oeuvre à Monaco. On peut le lire ici. Résistant, Élie Orif sera fusillé à Oullins (Rhône) par la Gestapo, le 19 août 1944, à la veille de la Libération. Je me souviens encore de ma famille déplorant avec des voisins ce triste événement lorsqu'ils l'apprirent; cela m'a marqué car, ne connaissant pas cet homme, je comprenais qu'il s'agissait de quelqu'un d'important, une sorte d'inventeur, ce qui donnait à mon esprit une occasion de vagabonder dans l'imaginaire.

Les journaux, contrôlés par le pouvoir, sont de moins en moins crédibles. On éprouve le besoin d'autres sources d'information. Pendant l'été 1942, mes grands-parents font l'acquisition de la T.S.F. Le poste est installé dans la cuisine-salle à manger, sur une étagère. Il dispose d'une prise de terre et d'une longue antenne qui monte dans les chambres, traverse la cour et se termine dans le champ, en haut d'un prunier. La technologie de l'époque impose dit-on cette installation rudimentaire. Désormais, nous allons pouvoir écouter radio Londres, nous familiariser avec les premières notes d'une symphonie de Beethoven et avec les messages personnels sibyllins que seuls les initiés savent décrypter*. En octobre, l'Afrique du Nord française est libérée pour les uns, envahie pour les autres. Ce jour là, mon grand-père ne va pas aux champs. Il écoute la radio sans désemparer. Demain, pense-t-il tout haut, les alliés seront à Marseille. Nous les attendrons pendant deux ans!

*Le poste de radio nous permet également d'écouter d'autres émissions et notamment celles de radio Andorre; cet émetteur, qui n'est pas tombé sous la coupe des Allemands, diffuse des chansons interprétées par Rina Ketty. On peut entendre un de ces airs en cliquant ici  et lire les paroles correspondantes en cliquant ici.

En riposte à la libération de l'Afrique du Nord, les Allemands envahissent la zone libre. On ne tarde pas à en voir à Saint-Sandoux. Leur première incursion a lieu en fin d'après-midi. Le camion s'arrête devant l'école, à côté du baromètre* qui orne encore la façade de la maison qui lui fait face, sur la place, celle des soeurs Courtial. L'institutrice les voit descendre de leur véhicule, du haut de l'estrade sur laquelle elle est juchée. Malgré l'heure tardive, elle ne nous permet pas de quitter la salle de classe avant leur départ. Vaguement inquiets, nous saurons donc qu'ils sont là, mais nous ne les verrons pas. Ils sont allés droit à la maison d'un de mes oncles, qui venait de tuer un veau, et lui ont raflé la viande. Sans doute a-t-il été dénoncé par quelque voisin jaloux. L'affaire n'aura pas de suite plus grave. Le bruit du moteur qui s'éloigne met fin à notre attente.

* Il y a eu jusqu'à six baromètres répartis en différents endroits du village pour aider les  paysans à prévoir le temps à une époque sans moyen de diffusion rapide des informations.
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Le baromètre sur la place en 2008 
Il apparaît sur des photos de l'école laïque (1928 & 1943)
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Maintenant, nous allons les revoir plusieurs fois. Parfois, ils se contentent de passer à la Boule, sur la route de Saint-Saturnin à Champeix. Un faucheur lève sa faux tandis qu'un camion militaire longe le pré. Les Allemands prennent le geste pour une menace. Le camion s'arrête, les soldats descendent, se saisissent de l'homme et lui font comprendre qu'il pourrait passer un mauvais quart d'heure. Notre homme revient au village tout retourné: il en faut si peu pour s'attirer les représailles d'un occupant sur le qui vive.

La résistance, d'abord timide, s'est peu à peu organisée. L'entrée en vigueur du S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) a subitement gonflé ses rangs. Le S.T.O. avait été précédé par la relève: on incitait les jeunes gens à partir en Allemagne pour remplacer les prisonniers. Quelques-uns de ceux-ci revinrent effectivement. J'en ai vu un de passage à la maison pour nous donner des nouvelles d'un de mes oncles qu'il avait connu en Autriche. Mais on s'aperçoit vite que cet échange n'est qu'un leurre et que les Allemands renvoient seulement ceux qui sont malades. Aussi le rendement du volontariat est-il médiocre. Alors le gouvernement rend le départ pour l'Allemagne obligatoire. La plupart des jeunes refusent d'obtempérer. Ils prennent le maquis en se cachant dans des fermes isolées et au fond des bois. Les Chantiers de Jeunesse sont dissous. La Milice fait la chasse aux réfractaires. Ces derniers, enrôlés dans les groupements de résistance, maigrement armés par les parachutages alliés, se livrent à des actes de sabotage et de harcèlement de l'armée allemande. La propagande officielle traite de terroristes ceux qui refusent la collaboration. Un climat de guerre civile s'empare de la France.

La nuit, parfois, de sourds ronflements se font entendre dans le ciel. Des aéroplanes passent au dessus du village. Un moment après, des détonations retentissent en direction de Clermont-Ferrand. Les alliés bombardent les usines ou le camp d'aviation d'Aulnat. On se lève pour voir le ciel rougeoyer derrière Pierres Noires. On imagine là-bas des incendies apocalyptiques. Un peu plus tard, les avions repassent en direction de l'Angleterre. Le lendemain, on ramasse sur le territoire des boules de lamelles argentées lancées par les forteresses volantes pour leurrer la D.C.A., et aussi des tracts, soigneusement tenus cachés, car la possession de ces brefs bulletins d'information, jetés du ciel par les alliés, est sévèrement punie. Les enfants sont prévenus: ne jamais toucher aux objets trouvés sur le sol; un inoffensif stylo peut vous éclater au visage ou vous arracher une main! Le bruit n'a-t-il pas couru que les avions, qui survolent parfois le territoire de la commune, sèment des bonbons empoisonnés? Ces mises en garde ne sont évidemment suivies d'aucun effet. Un matin, après avoir été réveillé la nuit par les oiseaux de fer, l'air vibre à nouveau par dessus les toits d'un bourdonnement caractéristique. Je suis dans la rue et lève le nez. On peut compter facilement les escadrilles qui traversent lentement un ciel sans nuages. Il y en a bien une vingtaine comprenant chacune plus d'une dizaine d'aéronefs. Le résultat du bombardements de la nuit n'ayant pas été probant, les alliés reviennent achever le travail pendant le jour. J'apprendrai plus tard que la cible était le camp d'aviation d'Aulnat. Les forteresses volantes l'atteindront alors que les Allemands s'efforçaient de réparer les dégâts causés la veille. Les pertes de l'occupant seront lourdes.

Un matin de printemps, alors que nous semons les pommes de terre dans le champ devant la maison, des détonations déchirent l'air. Des soldats allemands poussant un canon montent par le chemin de Banlo. Ils vont le mettre en batterie dans les prés qui s'étendent à hauteur de l'endroit où sera construit plus tard le château d'eau. Leur pièce d'artillerie en place, ils  échangent des coups avec une autre batterie installée sur le coteau en dessous de Pierres Noires. De temps à autre, on voit des estafettes à cheval traverser la prairie au-dessus de chez Sidoine, la dernière maison du quartier de la Cheire, qui est encore habitée mais disparaîtra avant la fin du siècle. Ce tintamarre dure toute la journée. La veille, un avion à croix noir avait rasé les toits du village. Sans doute préparait-il les manoeuvres du lendemain. La trace du passage des soldats restera visible dans l'herbe des prés jusqu'à la fenaison.

Voici, raconté par un visiteur de cette page, Jacques Chaput, une anecdote se rapportant à cette incursion de l'armée allemande à Saint-Sandoux. "Il faisait beau, les soldats avaient bivouaqué dans la cour de la maison (je revois encore la mitrailleuse). Un grand gaillard qui parlait un peu français a dit à ma mère qu'il avait un fils de mon âge, ma mère lui répondit que son mari était prisonnier à "Nordozaine" (Nordhausen). Moi pas comprendre, a-t-il rétorqué. Il nous a donné un drôle de pain cubique et noir que, le lendemain, les poules ont adoré. Quand mon grand-père Gauthier est rentré des champs, avec sa berte, en jurant contre les envahisseurs ... en patois (ancien combattant de 14 mais pas fou!) nous avons déjeuné. Pendant ce temps les Allemands ont levé le camp. Je suis sorti le premier et, contre le mur, j'ai vu un fusil (et pas un fusil de chasse!). J'ai appelé mon grand-père qui a dit "ça va attirer des ennuis à tout le quartier". Il a pris le fusil et l'a apporté à la mairie. Il n'était pas encore revenu qu'une moto est arrivée avec deux Allemands en armes. La discussion fut difficile! Finalement l'un des deux a compris qu'il fallait aller à la mairie. Ma mère l'a accompagné. Le temps passait, le second soldat commençait à s'énerver (j'ai compris, depuis, qu'il avait de quoi s'inquiéter: perte d'un fusil, un copain qui le laisse seul...). Il nous a ordonné de nous aligner devant la porte, ma grand-mère, mon frère (4 ans) et moi (7 ans) en nous montrant son fusil chaque fois que nous bougions. Ma mère est revenue avec le premier soldat qui avait retrouvé son arme. Ils ont sauté sur leur moto et sont repartis. Ma mère et ma grand-mère se sont embrassées en pleurant. Je ne ne comprenais pas encore pourquoi!"

Les enfants les plus hardis ont profité du passage des troupes d'occupation pour chiper quelques balles à blanc que l'on fera exploser en tapant dessus. Il m'échoira, je ne me souviens plus comment, une fusée éclairante. La douille vidée de ses pastilles de phosphore, je percute l'amorce avec un clou et un marteau: bruit et flamme, c'est beau! A plusieurs enfants, nous faisons le cercle autour des pastilles de phosphore dans le Grand-Pré. Pas moyen de les enflammer. L'un d'entre nous a l'idée de les gratter. On approche l'allumette craquée de la matière pulvérulente et une haute flamme s'élève d'un seul coup. Cheveux et sourcils roussis. J'y gagne, au milieu du front, une brûlure large comme une pièce de cent sous qui me fera souffrir plusieurs jours durant.
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Une remarque s'impose ici: on parle encore de sous pour désigner la monnaie, en souvenir du vieux sol d'antan dont nous trouverons un exemplaire, frappé à l'effigie de Louis XIV, dans notre grenier, entre deux lames de parquet. Un franc, c'est vingt sous et une pièce de cinq francs, cent sous. Certains sous de nickel sont percés en leur milieu. L'emploi de termes désuets ne se limite pas à la désignation de la monnaie. On en fait également usage dans d'autres domaines. C'est ainsi que l'on mesure la superficie des propriétés en oeuvres ou en cartonnées dont la dimension, environ 500 m2, est à géométrie variable. L'oeuvre, qui s'applique à la vigne, est un espace supposé cultivable en un jour. La cartonnée, qui se rapporte aux champs, est un terrain qui s'ensemence avec un carton de grains; le carton est un récipient de bois cylindrique cerclé de fer dont je ne me souviens plus la contenance. Mais je me rappelle celle du pot de vin: quinze litres. Quant au muid, autre unité de mesure de volume, je pense n'avoir jamais su à quoi il correspondait, mais je me rappelle avoir entendu parler de demi-muid. 
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Retour aux jeux dangereux: un de mes cousins, alors qu'il garde les vaches à Banlo, jette un énorme caillou sur un explosif au milieu d'un cheirat (tas de pierres). Une violente détonation pulvérise le caillou. De gros blocs de roc sont projetés à des dizaines de mètres de là. La peau de mon cousin est criblée de petits éclats de pierre. Il est en sang. Heureusement pour lui, aucune blessure n'est grave. Il poursuivra son existence en extrayant les éclats comme on le fait des comédons.

Le Allemands effectueront à Saint-Sandoux d'autres incursions. Elles seront toujours brèves. Un groupement cycliste arrivera un matin par la Côte des Chartres et repartira par Plauzat. Il empruntera une ou deux bicyclette à des gens du village. Je ne sais pas si elles leur seront restituées. L'officier qui commande s'enquiert auprès du maire de la présence de terroristes. Naturellement, le maire dément toute présence de maquisards dans nos murs. L'un d'entre eux déambule pourtant sur la place, revolver en poche, au milieu des soldats vert-de-gris, au nez et à la barbe de la sentinelle apostée le dos au mur, en face de l'école, à un endroit d'où elle peut surveiller le débouché des routes de Saint-Saturnin et de Veyre. Vers la fin de l'occupation, deux soldats allemands se promèneront dans les rues du village à la recherche de nourriture. La présence de ces militaires isolés, dans une période d'aussi grande insécurité pour eux, est un mystère. Cherchaient-ils à déserter? Les Allemands que nous verrons après seront tous des prisonniers.

Des résistants viennent assez régulièrement, d'abord clandestinement, chez les Battut, les boulangers du haut, dans la rue du Commerce. J'y ai rencontré les gendarmes de Saint-Amant qui avaient pris le maquis à Randol. Ce petit village, en surplomb de la vallée de la Monne, est alors isolé. Aucune route asphaltée n'y conduit. Quelques familles y vivent de l'élevage. Il n'y a pas encore d'abbaye. En cas d'alerte, il est facile de s'enfuir, par les ravins escarpés qui jouxtent les dernières maisons. Leur accès est pratiquement impossible à des troupes organisées.

En décembre 1943, un attentat détruit des installations du chemin de fer aux Martres-de-Veyre. L'un des auteurs de l'attentat est tué d'une balle dans la tête. Le second réussit à s'enfuir. Les autorités publient une photo du mort. Ils s'efforcent de découvrir son identité. Les boulangers sont inquiets. Ils savent que l'un des résistants qu'ils logent parfois, Dumas alias Gential, faisait partie du commando. Est-ce lui qui figure sur la photo? Impossible de s'en assurer, tant le visage est défiguré. On apprendra plus tard que ce n'est pas lui, mais un aviateur canadien qui, abattu, avait réussi à rejoindre la maquis. Gential réapparaîtra bientôt. Malgré ses blessures, il a réussi à gagner Saint-Amant, où un docteur lui a prodigué ses soins. Il se cache en attendant que, complètement rétabli, il puisse reprendre la lutte.
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Pierre le Canadien tel qu'on le vit  sur les journaux de l'époque*
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* Pierre le Canadien (Peter Demytruck), né à Wynyard, Saskatchewan (Canada), tombé sous les balles allemandes, le 9 décembre 1943, aux Martres-de-Veyre.
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Au fur et à mesure que l'on se rapproche du dénouement, les combattants de l'ombre prennent de l'assurance. On en voit de plus en plus. Certains sont en uniforme de l'armée d'armistice ou des chantiers de jeunesse, d'autres en civil avec parfois un brassard tricolore frappé ou non de la croix de Lorraine. Des collaborateurs sont inquiétés. Une conduite intérieure noire s'arrête un jour sur la place devant l'Hôtel des Voyageurs. A l'arrière, est assis un milicien en état d'arrestation. Un maquisard le tient en respect, en braquant sur lui le canon d'un revolver. Attroupement. Échange de propos vindicatifs. Le prisonnier menace, s'il en réchappe, de dénoncer tous ses persécuteurs. On lui répond qu'il n'en aura pas le loisir. Échange aussi de plaisanterie entre les F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur) et les badauds. J'ai retrouvé un brouillon du récit de cette anecdote écrit pour le journal de l'école. Malheureusement, je ne l'ai pas au complet. J'ai retrouvé aussi une épreuve de l'illustration du texte, réalisée en linotypie, sur une page de cahier. La voici:
 
La voiture des maquisards (épreuve sur cahier d'écolier)
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Je l'ai dit, les maquisards s'enhardissent. Ils viennent maintenant se ravitailler en camion dans le village. On leur vend du vin qu'ils paient en bons de réquisition honorés après la restauration de la République. On remarque parmi eux des étrangers, même un noir américain. Une de leurs conduites intérieures en panne est abandonnée, sous un noyer dans un virage de la route de Veyre, au-dessus de la chapelle de Notre-Dame des Prés, assez longtemps pour avoir à souffrir de l'intérêt que lui portent les garnements du village.

Ma grand-mère, alors qu'elle épointait (écimait) une  vigne, est mordue par une vipère, dont elle tranche la tête d'un coup de cisaille. Elle regagne en hâte Saint-Sandoux, par la route de Plauzat, lorsque passe opportunément une voiture de la résistance; elle lui fait signe de s'arrêter; malgré les risques, les jeunes gens l'emmènent à Saint-Amant, où un pharmacien lui administre une piqûre antivenimeuse. Elle sera sérieusement malade mais guérira. Sans l'aide des résistants, ses chances de survie eussent été réduites; il n'y avait rien sur place, à Saint-Sandoux, et les secours ne pouvaient pas être atteints rapidement.

Le débarquement en Normandie est une bonne nouvelle accueillie sans débordement. Pendant longtemps, on n'en sait à vrai dire pas grand chose. La radio de Londres est brouillée par les Allemands et la presse est à leurs ordres. On espère, en commentant avec prudence les événements locaux (arrestations, bombardement de Saint-Floret...). L'ennemi devient nerveux. Pendant l'été 1944, il commence à refluer vers le nord, harcelé par les F.F.I. C'est à ce moment que se situe l'épisode du combat de Plauzat-La Sauvetat. Il a été décrit par un écolier de mon âge dans le journal de l'école. Je reprends son texte in-extenso.
 

La bataille de la Sauvetat  

Un  jour de l'été 1944, nous gardions les vaches dans le pré dit la Prade. Nous entendions des tirs de mitrailleuses. Puis un camarade vit de la fumée et au tournant de la route une auto de F.F.I. criblée de balles avec le drapeau tricolore et le drapeau blanc. Nous entendions les mortiers, les mitraillettes, les mitrailleuses. Tout d'un coup, nous vîmes monter une fusée blanche dans le ciel. J'ai su plus tard que c'étaient les F.F.I. qui demandaient du secours.  

Sur la route nationale qui va à Veyre, les autos, les ambulances, les vélos, les troupes allemandes à pied se succédaient. Pendant ce temps les F.F.I. revenaient de Plauzat en laissant derrière eux des morts et des blessés.  

André Besson 12 ans
 
Après la bataille  

Le lendemain, à Saint-Sandoux, devant la croix, trois aviateurs le mousqueton au bras, la musette de balles en bandoulière, montaient la garde. Au moindre ronflement, ils épaulaient. Tout à coup je fus entouré de F.F.I. qui me dirent:  
-Il ne faut pas toucher les balles, elles pourraient éclater entre tes mains.  

Le camion des blessés arriva. Ils en sortirent un équipement plein de sang. Mr Courteceyre demanda:  
-Combien avez-vous eu de blessés?  
-Quatre  
-Et combien de morts?  
-Trois. Les Allemands en ont eu plus que nous.  

Le soir une camionnette est allée chercher les morts. Vers quatre heures, elle est revenue avec les trois cercueils recouverts d'un drap blanc qui disparaissait sous les gerbes de fleurs nouées d'un ruban tricolore.  

André Besson 12 ans
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Un détail a été omis par l'auteur de ce texte que je vais compléter. A un moment de la journée, un avion survola le village. Il s'agissait probablement d'un avion de reconnaissance allemand. Immédiatement les F.F.I., qui étaient sur la place, se dissimulèrent sous les passages voûtés. Je ne sais pas si leur présence échappa aux aviateurs ou si l'armée allemande en retraite ne daigna pas s'occuper d'un village auvergnat si petit. En tout cas,  rien ne se produisit. Dans bien d'autres endroits, il n'en avait pas fallu davantage pour s'attirer les foudres d'un bombardement.

Voici maintenant la version officielle, ou presque, des mêmes faits:
 

Plauzat-Chidrac, 24 août.  

Une colonne ennemie, forte de quatre-vingt-cinq camions et d'artillerie tractée, qui se rend le 24 août au secours de la garnison de Saint-Flour, est attaquée par des unités de la zone 1 (Raph) notamment: 
-à Plauzat (7 km O. d'Issoire) où deux embuscades successives lui ont été tendues par le capitaine Geneix (Eloy) dont l'une a réussi, l'ennemi perdant trois camions, dont l'autre a échoué, Geneix, à court de munitions, devant se replier en emmenant deux morts et plusieurs blessés; 
-vers Chidrac, où "durement accrochée par des terroristes" suivant un message allemand, une formation motorisée est dispersée. 
Ces différents engagements ont coûté à l'ennemi des pertes sensibles. 

Henry Ingrand - Libération de l'Auvergne - Libération de la France collection dirigée par Henri Michel - Hachette - 1974
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Bientôt, c'est l'explosion de joie de la Libération. Elle ne s'accompagne pas d'incidents regrettables, comme dans tant d'autres endroits. Aucune femme ne fut tondue à Saint-Sandoux! Quelqu'un envoya bien à l'un de nos voisins, qui ne l'avait pas mérité, un petit cercueil avec dedans un noeud coulant; mais cette plaisanterie d'un goût douteux resta isolée. Il n'y eut qu'une arrestation. Encore la personne incarcérée quelques temps à Clermont-Ferrand revint-elle bientôt et je ne pense pas que la dénonciation était issue du village. Certes des antagonismes politiques s'y exprimaient, comme ailleurs, mais ils n'avaient pas la virulence qui conduit aux débordements. La petite taille de Saint-Sandoux, le grand nombre d'alliances qui s'y étaient nouées et la cordialité des rapports de voisinage expliquent certainement cette transition en douceur, qui n'a été suivie ni de vengeances ni de règlements de compte.
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A titre d'exemple, voici ce qui est arrivé dans une petite ville voisine de Vichy dont je tairai le nom. Un milicien fut arrêté par la population. On le tabassa, puis on le traîna par terre dans les rues. Ensuite, il fut pendu par les pieds. Puis on l'acheva en coupant la corde et en le faisant tomber sur la tête. Peut-être avait-il mérité une punition. N'empêche! Je pense, qu'avant de jeter la pierre aux autres, lorsque des événements de même nature se produisent à travers le monde, nous ferions bien de méditer sur notre propre histoire. Sommes-nous assez naïfs pour croire que ceux qui se livrent ailleurs à des actes que nous jugeons barbares ont moins de reproches à adresser à leurs adversaires que nos pères en avaient à l'encontre des leurs?
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Pourtant, la Libération ne signifie pas la fin de la guerre. Celle-ci se poursuit et durera encore de longs mois. Mais le vent a tourné. "Nous nous sommes sauvés comme des lapins en 1940, maintenant ce sont les boches qui courent plus vite que les lièvres, dit-on". Voire. Si la plus grande partie du territoire national a été rapidement libérée, après la victoire en Normandie et le débarquement sur les côtes méditerranéennes, la résistance ennemie devient plus opiniâtre au fur et à mesure que l'on se rapproche du Rhin. Mais, au moins, maintenant, ce ne sont plus seulement nos soldats qui sont capturés. Des prisonniers autrichiens arrivent à Saint-Sandoux. Ils sont placés sous la surveillance d'un de mes oncles, armé d'un vieux fusil de chasse dont les mauvaises langues disent qu'il n'a pour toutes cartouches que des morceaux de bois. La mairie a mis un local à sa disposition pour loger les nouveaux venus, dans la rue des Pedats, en un lieu où s'élèvera plus tard la caserne des pompiers. Les prisonniers sont destinés à aider aux travaux des champs les cultivateurs qui en font la demande. Mon grand-père est de ceux là et nous recevons un jeune homme blond d'assez belle allure. Ses manières aristocratiques ne l'empêchent pas d'être couvert de poux. Il en a honte et cherche à s'en débarrasser en cachette. Son secret est néanmoins trahi par la transmission de ses hôtes indésirables à mon frère. Un bonne bugeade (lessive) aidera tout le monde à se défaire de cette vermine. Paul, c'est le prénom du prisonnier, me laissera un dictionnaire français-allemand, dont je ne me servirai pratiquement jamais, et quelques photos de Finlande, où il a été blessé à la main droite, en combattant l'Armée rouge.
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L'école libre vers la fin de  la guerre (source R. Jallat)  
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En attendant la fin du conflit, nous nous familiarisons avec une nouvelle monnaie dont les coupures, bleues et vertes, ressemblent à des dollars. Mais je ne remarquerai cela que plus tard car, pour l'instant, je n'ai encore jamais vu de billets américains.

Enfin sonne l'heure de la paix. Je dis sonne et c'est au sens propre qu'il faut entendre ce mot. A l'annonce de la fin des hostilités, les cloches sont secouées sans discontinuer par les bras vigoureux de la jeunesse du village. Les enfants gravissent les marches du clocher et vont découvrir le moutonnement blanc du toit multi-voûté de la nef. Pour quelques jours, tout est permis ou presque. Pendant l'occupation, les hommes du village s'étaient jurés d'arroser copieusement ce moment; l'engagement est tenu, et même les enfants ne sont pas en reste, moi compris, je ne m'en souvenais pas mais une lectrice me l'a rappelé! Le journal de l'école me vient une fois de plus en aide pour reconstituer l'atmosphère de l'époque.
 

L'Armistice  

C'est le 8 mai 1945. Les cloches sonnent à toute volée. On pavoise. Le garde hisse le drapeau français à l'école et 3 drapeaux alliés à l'école des filles. Nous faisons les courses des sonneurs. Toute la nuit les cloches sonnent.  

André Dif - 10 ans 1/2
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9 mai 1945. Depuis hier, le grand Reich a capitulé. A Saint-Sandoux, on est très gai. L'après-midi, il y a défilé. Tout le monde est rassemblé vers la boucherie de M. Cely. Gilberte, toute en blanc avec une gerbe tricolore, Colette Cely en rouge, Odette Bousset en bleu et moi en bleu, blanc, rouge, nous ouvrons la marche. Ensuite, Mlle Arsac et les élèves de l'école libre, notre maîtresse avec ceux de l'école laïque. Robert Besson et Jean Dif portent chacun une gerbe avec un ruban tricolore. Derrière viennent les conseillers puis les musiciens avec leurs clairons qui brillent de loin. Au cimetière, après l'appel aux morts, M. Roussel demande 2 minutes de recueillement pour les morts des deux guerres. Nous redescendons.  
Élise Bonville et André Besson
Le Soir  

"Ding, dong, ding". Les cloches sonnent à toute volée. Est-ce une fête? Est-ce un mort? Non, c'est l'armistice. Que vois-je? Un grand attroupement sur la place. Tout à coup: plan, ran, tan, plan. Le tambour roule le rappel et fait résonner les échos de tous les côtés à la fois. "Taratata, tata" sonne le clairon. M. Bureau ouvre la marche, portant une croix de Lorraine illuminée. Puis les clairons, les tambours et, sur plusieurs rangs, les habitants, bras dessus, bras dessous. Aux accents de Paris-Belfort les gens sautent, un incident se produit. La musique cesse. Des cris éclatent:  
-Musique, musique!  

Le tambour bat à nouveau, les clairons sonnent et les gens repartent de plus belle pour un tour de ville. Mais nous voici de retour à la place: les feux de bengale lancent leurs gerbes lumineuses vers le ciel, les musiques jouent la Marseillaise, le garde fait le salut militaire. Nous crions pleins d'enthousiasme Vive la France! Quelle joie! le grand Hitler, l'Aigle, l'Allemagne nazie sont vaincus!  

Jean Dif  - 12 ans
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Un détail passé sous silence dans les témoignages ci-dessus me revient en mémoire. Nicolas, dont j'ai déjà parlé, avait rendu de grands services pendant la guerre; menuisier, il était également cordier; il tressait des cordes, au moyen d'un appareil en bois de sa fabrication, en employant des bouts de ficelle comme matière première; il réparait les cordes usagées; cette activité s'avérait très utile à une époque où le moindre objet était introuvable, les cordes dont on se servait pour assujettir le foin et les gerbes aux barrots, non remplacées depuis longtemps, menaçant de s'effilocher; à la Libération, notre homme donc, offusqué de l'absence du drapeau de la Pologne, sa patrie, alliée pourtant de la première heure, confectionna un fanion, avec un morceau de tissu rouge et un autre de tissu blanc. Puis il accrocha fièrement cette bannière improvisée aux grilles de l'école, aux côtés des oriflammes de la France, de l'Angleterre, des États-Unis et de l'URSS.

Voici une autre anecdote relative à la fin de la seconde guerre mondiale rapportée par Jacques Chaput. "Il faisait beau. Mon père venait d'être rapatrié fin avril. Il m'expliqua que la guerre était finie. Sur la place du Théron, des jeunes, c'est-à-dire des personnes qui avaient 10-12 ans de plus que moi, s'étaient rassemblés. Ils ont demandé à ma grand-mère si elle avait un drapeau. Elle a répondu: "non, mais allez voir la Sylvanière, je crois qu'elle en a un". Ils ont couru chez la Sylvanière, les gamins (Michel Robert et moi) derrière. Une fois revenus, ils ont escaladé la croix et y ont fixé le drapeau . Il a passé là tout l'été. Les coups de vent de l'automne ont emporté le tissu mais la hampe est restée en place plusieurs années."
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Les enfants du catéchisme vers la fin de la guerre 
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