Le quatorzième
Dalaï lama
L'avènement du nouveau
Dalaï lama ne s'effectue pas sous d'heureux auspices. Il est né
dans une province sous administration chinoise et le Panchen lama est toujours
éloigné de Lhassa. La contestation moderniste prend des formes
républicaines et socialistes. La seconde guerre mondiale menace.
Même si les Tibétains se désintéressent de ces
querelles étrangères, elles ne les épargneront pas
totalement. Les alliés s'efforceront d'entraîner le Tibet
dans la guerre et la Chine nationaliste envisagera d'ouvrir, par la force,
une route à travers son territoire. La fin des hostilités
est rapidement suivie par l'arrivée au pouvoir des communistes à
Pékin. Ces derniers poursuivent la politique traditionnelle de leur
pays. Pour eux, comme pour les nationalistes qu'ils viennent de battre,
le Tibet fait partie de la Chine. Il n'a pu en être séparé
que par les manoeuvres des pays colonialistes. Dès 1950, les troupes
chinoises entrent au Tibet et imposent au Dalaï lama des accords qui
ne pourront pas être respectés. Cette invasion ne soulève
aucune opposition de la part des grandes puissances: elles ont d'autres
chats à fouetter et la plupart d'ailleurs reconnaissent, ou ont
reconnu, la suzeraineté chinoise sur le Tibet. Les réformes,
d'abord acceptées dans certains milieux, sont rejetées ensuite,
surtout à l'est du pays. Des révoltes éclatent. Une
véritable guerre leur succède. La contagion gagne le centre
du pays. En mars 1959, Lhassa se soulève. Le Dalaï lama quitte
la capitale. Comme son prédécesseur, il se réfugie
en Inde. Mais son exil durera plus longtemps. Sous l'impulsion de ces événements,
l'image du Tibet s'améliore encore en Occident.
1934: La mort du Dalaï lama paraît
suspecte. Le bruit se répand d’un empoisonnement téléguidé
par une puissance étrangère (Japon, Russie soviétique
ou Angleterre). Kumpela, représentant la faction progressiste
du monde politique tibétain, est arrêté et mis aux
fers. Son frère, son père, un de ses amis, Tashi Dondrub,
et l’oracle d’État sont inquiétés par la police. L'affaire
se terminera par des acquittements et l'exil des prévenus.
Le Tibet entre dans une phase de contestations
civiles et militaires.
Djampel Yeshe, tulkou de
Reting, a été nommé régent par le défunt
Dalaï lama. Tucci le dépeint comme
un homme jeune et frivole, dépourvu d'expérience, qui se
vend au plus offrant, et se trouve sous l'influence de Lungshar, ancien
chef de l'armée tibétaine, un ambitieux aux idées
avancées.
Le bruit court de l’arrestation d’un membre
du clan des Pangda dans la capitale tibétaine. Le Kham se soulève
sous la conduite de Rapgya et Topgyay Pangda Tsang, fils d'un riche marchand.
Les Khampas luttent à la fois contre les Chinois et contre le pouvoir
de Lhassa. Des affrontements ont lieu avec les troupes communistes qui,
au cours de leur longue marche, ont pénétré sur le
territoire tibétain.
Lungshar fonde le parti de l’Union Heureuse.
Il remet en cause le pouvoir temporel du Dalaï lama. Convaincu de
complot républicain, il est condamné pour haute trahison.
On lui arrache les yeux! D'autres disent qu'on les lui crève. La
différence n'est pas bien grande. Un jeune général,
nommé Kapshopa, que nous retrouverons plus tard, joue un rôle
dans cette affaire. Le pouvoir tombe
aux mains des conservateurs qui font le ménage et se débarrassent
des progressistes.
Kumpela est contraint à l’exil.
Gedun
Chompel (ou Gedun Chophel) se
rend en Inde. Né dans l’Amdo, cet érudit, d’abord nyingmapa,
reconnu comme un bouddha vivant, étudie ensuite au monastère
gelugpa de Drepung. D’esprit ouvert et frondeur, il aime l’alcool, le tabac
et les femmes. Aussi prend-t-il ses distances avec le clergé de
son pays qu’il juge rétrograde. Il poursuit sa formation tout en
visitant les lieux saints du bouddhisme, en Inde mais aussi à Ceylan.
Il souhaite voyager à travers le monde, y compris en Union soviétique.
Il rencontre plusieurs personnes mêlées aux mouvements politiques
et culturels qui agitent le sous-continent. Poète et peintre de
talent, il produit de nombreuses œuvres. Il collabore au Melong.
Rédacteur d’une histoire du Tibet, d’après les chroniques
anciennes, tibétaines et chinoises, il démontre que des feuillets
ont été inversés, dans un but de falsification favorable
au bouddhisme. Il pense que l'introduction de cette religion au Tibet est
peut-être à l'origine de sa décadence. Il révèle
aussi que les traditions tibétaines sont altérées
depuis longtemps du fait de l’influence chinoise. Il se moque enfin des
contes de fées colportés sur son pays en Occident. Un Anglais
n’a-t-il pas soutenu, devant lui, que les Tibétains vivaient plusieurs
centaines d’années, grâce à leurs pouvoirs supra normaux,
alors que l’espérance de vie au Tibet est l’une des plus faibles
du monde?
La Chine profite de la vacance du pouvoir pour
renouer les négociations avec le Tibet. Les autorités tibétaines
reconnaissent sa tutelle mais entendent que l'armée et les relations
internationales demeurent en leur pouvoir. Le pouvoir nationaliste chinois
serait disposé à reconnaître la juridiction de Lhassa
sur l'ensemble du Tibet historique à condition que les Tibétains
admettent que leur pays fait partie de la Chine. Les négociations
échouent mais les dirigeants tibétains autorisent l'installation
à Lhassa d'un radio chinois; jaloux, les Britanniques obtiennent
la même concession.
Le Panchen lama accepte une escorte chinoise
pour rentrer à Tashilumpo. On le soupçonne de vouloir supplanter
le Dalaï lama.
La Russie soviétique commence à
utiliser le Sinkiang comme
base de départ pour approvisionner en armement les troupes chinoises
en prévision d’un conflit avec le Japon.
Entre 1934 et 1936, le zoologiste américain
Brooke Dolan entreprend une seconde expédition en Chine et au Tibet,
avec le zoologiste Schäfer lequel, depuis la première
expédition, a adhéré au parti nazi et est entré
dans les SS. Ils sont accompagnés du missionnaire américain
Marion H. Duncan.
1935: Le 14ème Dalaï lama naît
dans l'Amdo.
L’Angleterre s’oppose au retour du Panchen
lama sous escorte chinoise: ce serait contraire aux accords de Simla.
Une jeune femme suisse, Ella Maillart, reporter
au Petit Parisien, et un journaliste anglais, Peter Fleming, du Times,
frère de l’écrivain Ian Fleming, auteur de James Bond, traversent
la Chine d’est en ouest jusqu’au Cachemire, en franchissant l'Himalaya
par des cols muletiers. Ils passent par le plateau du Tsaïdam, le
nord du Tibet et le Sinkiang.
Ils traversent le pays des Tangoutes, des pillards sans pitié qui
terrorisent les populations alentour. Il leur faut franchir des déserts
de sable, de pierres, des hautes montagnes, et des régions en pleine
effervescence où la vie humaine n'a pas la même valeur qu'en
Occident. Au passage de cols très élevés, ils doivent
saigner les chevaux aux naseaux pour leur permettre de respirer. Nos deux
voyageurs n’en sont pas à leur coup d’essai. L’un et l’autre ont
déjà bourlingué. Chacun apporte ses atouts dans l’association.
Ils ont tous les deux l'habitude de se débrouiller seuls et de ne
dépendre de personne. Peter manie habilement la carabine, ce qui
permet d'étoffer les dîners souvent frugaux, il possède
quelques rudiments de chinois et sait amadouer les fonctionnaires grâce
à sa bonne humeur. Ella connaît bien la vie des nomades, parle
russe, et son sens du contact facilite les relations avec les populations
rencontrées. N’empêche, l’excursion ne sera pas une partie
de plaisir! (L'itinéraire emprunté
par Ella Maillart et Peter Fleming est
ici ).
1936: Le régent et
le Panchen lama, oubliant leurs dissensions pour le bien de la religion,
s’associent pour trouver le tulkou du Dalaï lama. Il est découvert
dans une zone de l’Amdo sous administration chinoise. Les négociations
avec la Chine dureront trois ans avant que l’enfant puisse regagner Lhassa
(voir
Harrer).
Mission britannique dans la capitale tibétaine.
Marco Pallis entreprend
une nouvelle ascension dans l'Himalaya qui échouera. Une autre expédition
mène l'alpiniste anglais au Ladakh. Il y rencontre un lama qui s'intéresse
davantage à la bière et aux femmes qu'à la doctrine;
pour le moment, il demande à ses visiteurs de lui réparer
quelques appareils occidentaux en panne qui n'ont manifestement aucune
utilité ici! Même si Marco Pallis ne parvient pas juqu'au
Tibet, il note des détails qui prouvent que, dès avant la
seconde guerre mondiale, les influences extérieures commençaient
à miner les traditions tibétaines, au moins au Ladakh (un
résumé de son récit est
ici).
Deux explorateurs français,
Guibaut et Liotard se dirigent d'Indochine au Yunnan où ils vont
suivre, pendant un moment, l'itinéraire de la Longue Marche des
troupes de Mao. Ils souhaitent se rendre au Tibet dont l'entrée
est interdite aux étrangers. Après bien des péripéties,
ils hivernent dans une mission catholique, Bahang, à proximité
des marches tibétaines, après avoir traversé le territoire
des farouches Lissou qui vivent encore à l'âge de la préhistoire.
Ils assistent aux obsèques du père Génestier,
qui évangélisait le fusil sur l'épaule; des moines
tibétains du monastère voisin participent à la cérémonie;
ils paraissent n'avoir conservé aucune animosité à
l'encontre du prêtre catholique défunt, qui a pourtant tué
l'un des leurs d'une balle entre les deux yeux. Au printemps suivant, le
mandarin chinois, acheté par le don d'un mousqueton, ferme les yeux
sur leur équipée; ils pénètrent au Tibet. Ils
ne vont pas loin; le responsable Tibétain de la frontière
les oblige à revenir au Yunnan, sans les contraindre cependant à
revenir sur leurs pas. Ils ont la bonne fortune de se faire admettre dans
la caravane d'un seigneur tibétain, ce qui leur offre la possibilité
d'allonger un peu leur périple au Tsarong (Kham). Voici quelques
remarques notées par Guibaut: il interdit à ses serviteurs
tibétains d'essuyer sa vaisselle après l'avoir lavée
car il sait avec quels ignobles chiffons ils le feraient; une Tibétaine
nettoie une tasse en la léchant avec sa langue avant de la lui tendre;
d'après un prêtre de la mission où les deux explorateurs
hibernent, ici tout le monde est voleur ou volé, ou les deux alternativement;
les bourreaux vendent le foie des condamnés à mort sur pied
pour être mangé comme médicament ou pour s'approprier
des caractéristiques du défunt; des nourrices passent de
porte en porte pour vendre leur lait, bu directement à la source
par les malades; pendant la fête de l'Épiphanie, les homme
boivent la bière d'orge deux à deux, joue contre joue, au
même récipient; les danses et les chants des autochtones ont
quelque chose d'occidental qui les éloignent des modèles
chinois; les Tibétains soignent leurs chevaux malades en leur faisant
manger du poulet bouilli; avec la nouvelle année, Tibétains
et Chinois se mettent à arpenter les chemins, les premiers saluent
en tirant la langue et en se grattant l'oreille; les Tibétains de
qualité fouillent sans vergogne les bagages des étrangers;
les Tibétaines, parées de bijoux et souvent plus fardées
que des mannequins parisiens, ne sont pas prudes et elles n'ont pas froid
aux yeux; tuer un vautour, cet auxiliaire des funérailles célestes,
est considéré comme un crime au Royaume des Neiges... (un
résumé plus complet du récit de Guibaut est
ici).
1937: Mort du Panchen lama
en exil. Il a prédit qu'il se réincarnerait en Chine. Les
trois enfants supposés être ses tulkou sont les proies d'intrigues
de cour. Un des candidats est soutenu par la Chine et un autre par Lhassa.
C'est le favori de la Chine, né au Qinghai, sous administration
chinoise, qui est choisi; on le suppose plus perméable aux intérêts
chinois. D'après Tucci, il a été
désigné sous la pression des autorités chinoises,
sans respecter les formes traditionnelles, qui requièrent l'intervention
du Dalaï lama ou de son régent.
Publication dans le Melong
de l’article de Gedun
Chompel: «La terre est-elle ronde ou plate?» L'auteur
y soutient qu'elle est ronde, hérésie monstrueuse pour les
religieux tibétains!
Début de la guerre sino-japonaise qui
s'achèvera par la défaite du Japon à la fin de la
seconde guerre mondiale (1945). Ce conflit met en sommeil, pendant un temps,
celui qui oppose nationalistes et communistes. Chaque camp mène
indépendamment la lutte contre l'armée nippone. Les États-Unis
vont même fournir une aide militaire aux communistes, qui deviendront
leurs alliés temporaires, entre 1941 et 1945. Déchirée
et envahie, la Chine n'est plus en mesure d'intervenir dans les régions
périphériques.
Une version cinématographique, quelque
peu saint-sulpicienne, du roman de James Hilton "Horizons Perdus",
due à Frank Capra (1897-1991), est livrée au public. En voici
le résumé. Tandis que la Chine sombre dans le chaos, un Anglais,
Robert Conway, pressenti pour devenir ministre de sa majesté, tente
d'évacuer les Occidentaux, par la voie des airs, tout en empêchant
les autochtones d'embarquer. Il prend le dernier avion, avec son frère
et trois autres Occidentaux, deux hommes et une femme, pas toujours en
repos avec eux-mêmes. Leur avion est dérouté et finit
par s'écraser dans les montagnes. Une étrange cohorte les
récupère pour les emmener dans la vallée de Shangrila,
cité du bonheur et de la paix éternelle, fondée par
un missionnaire belge, le père Perrault. Robert y trouve l'amour
et une quiétude qu'il avait toujours cherchée, sans parvenir
à l'atteindre. Mais son frère George ne comprend pas cette
volonté d'isolement du monde et, incité par une autre réfugiée,
il le pousse à quitter Shangrila, à leurs risques et périls.
Sherab Gyatso, un érudit
gelugpa, maître de Gedun
Chompel, est contraint à l'exil. Ses relations futures avec
le communisme seront ambiguës et controversées. A cette époque,
il admire Mao Tsé Toung.
Un idéologue
nazi, J. Strunk, publie un ouvrage (Vers Juda et Rome - Le Tibet)
qui est comme un écho de la conspiration de Fu Manchu "Après
le judaïsme et Rome, le Tibet: leur lutte pour la domination du monde"
où le bouddhisme tibétain est réuni au catholicisme
et au judaïsme pour être l'objet d'une même réprobation
(voir aussi
ici). Cet ouvrage n'est pas isolé, on
peut encore citer les titres de Fritz Wilhelmy (Asekha: la croisade
des moines mendiants), de Luddendorff (Les prêtres d'Asie
et d'Europe). Mais ces auteurs n'exercent qu'une influence réduite
sur l'entourage du Führer. Pour Rosenberg, l'idéologue du régime
nazi, le premier conflit historique fut celui des guerriers contre les
prêtres et les religieux tibétains ne sont que des moines
chrétiens décadents.
Dordjieff, responsable d'un mouvement pan mongol,
préparait secrètement une révolution au Tibet, probablement
pour le compte des soviétiques; son arrestation, suivie de sa mort
en prison, met un terme définitif à son action.
1938: L'agression japonaise
et des victoires communistes contraignent le gouvernement chinois à
fuir au Sichuan. Des centaines de civils, effrayés par les exactions
nippones, se réfugient à l’ouest de la Chine dans des territoires
autrefois tibétains. Ceux-ci vont désormais être majoritairement
peuplés de Chinois.
Le seigneur de la guerre
musulman, Ma Bufeng, domine les populations de l’Amdo sur lesquelles il
prélève des contributions.
Gedun
Chompel revient pour quelques temps au Tibet. Il y rencontre plusieurs
personnes aux idées avancées. Des moines, qui font preuve
d’indépendance d’esprit, sont persécutés et chassés
des monastères. Mais le tulkou d’un monastère nyingmapa partage
les idées nouvelles. Le clergé n’est donc pas homogène.
Certains de ses nouveaux amis incitent le savant à s’établir
sur les lieux de sa naissance pour y ouvrir des écoles laïques.
D’autres voudraient organiser la paysannerie. Les discussions montrent
que Gedun Chompel professe des idéaux socialistes et qu’il pense
qu’une profonde transformation du Tibet est nécessaire à
son salut. Changer le gouvernement, réduire le pouvoir du clergé,
éduquer le peuple, redistribuer les richesses, affirmer la position
du Tibet au plan international, tout en sauvegardant d’une tradition déjà
malmenée ce qui mérite de l’être, tel est le programme
débattu avec ses protagonistes. Pour y parvenir, Gedun Chompel,
qui s’est intéressé à l’histoire de la Révolution
française, pense qu’il faudrait abattre de nombreuses têtes.
Il ne se sent pas de taille à effectuer cette tâche et retourne
en Inde.
.
Dans l'ancien temps, même en Europe,
on pensait que le monde était plat. Et quand quelques personnes
intelligentes affirmaient le contraire, elles étaient exposées
à bien des épreuves, comme d'être brûlées
vives. Aujourd'hui, même dans les pays bouddhistes, tout le monde
sait que le monde est rond. Cependant au Tibet, nous nous obstinons à
dire qu'il est plat.
Gedun Chompel, Tibet Mirror,
Kalimpong, 1938
|
.
L'Allemagne nazie commence
à s'intéresser au Tibet. Des scientifiques allemands rapportent
des images de ce pays. Elles révèlent au public européen
un plateau situé à 4000 mètres d’altitude, entouré
de déserts et des plus hautes montagnes du monde. Dans cet univers
clos, rien ne semble avoir changé depuis des siècles. Le
régime féodal y est encore en vigueur. Le pouvoir est entre
les mains des moines bouddhistes et de quelques seigneurs qui règnent
sur une population de serfs. Au sommet de la pyramide sociale, un roi prêtre:
le Dalaï lama qui, se réincarnant indéfiniment, cumule
pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Mais ce folklore ne doit pas occulter
les mobiles réels de l'expédition. Celle-ci est conduite
par un biologiste nommé Ernst Schäfer, membre des SS. Ce personnage,
on l'a vu, s'est déjà rendu deux fois au Tibet, en 1931 et
en 1934, dans le cadre des expéditions américaines de Brooke
Dolan, pour s'y livrer à des recherches zoologiques. Ce troisième
voyage a été initié par l'Ahnenerbe (Héritage
ancestral ou Bureau pour l'étude de l'héritage héréditaire),
une organisation qui dépend d'Heinrich Himmler. L'équipe
comprend un anthropologue, un géophysicien et un cinéaste.
Elle a pour objet principal la mensuration du crâne des autochtones,
afin de vérifier si les Tibétains peuvent être considérés
comme les ancêtres des Aryens. Si c'était le cas, les habitants
du Toit du Monde, gardiens de la Tradition millénaire, pourraient
permettre aux nazis de réaliser leur rêve de retour aux origines
de la race.
A moins d'y être entré en fraude,
les Allemands n'ont pu se rendre au Pays des Neiges qu'avec l'accord des
Britanniques. Pourquoi ceux-ci, qui ont refusé l'accès du
Tibet à Sven Hedin, à Alexandra David-Néel et à
bien d'autres candidats explorateurs, se sont-ils montrés bienveillants
avec des ressortissants de l'Allemagne hitlérienne alors que la
seconde guerre mondiale se profile à l'horizon? Mystère.
Certes, les Allemands ont été invités par les autorités
de Lhassa et, dans les milieux dirigeants de Londres, le régime
nazi possède ses partisans qui comptent sur lui pour endiguer le
communisme, mais était-ce une raison suffisante pour fléchir
l'opposition anglaise à une pénétration étrangère
au Tibet? Certainement pas si l'on considère que les Tibétains
caressent probablement le projet d'opposer l'alliance nippo-germanique
à la complicité sino-britannique. Selon un membre de l'expédition,
les dirigeants tibétains sonderont même leurs visiteurs pour
savoir si l'Allemagne serait disposée à leur fournir des
armes. Partis le 19 avril 1938, les Allemands sont arrivés à
Calcutta le 13 mai. La presse germanique a alors rompu le secret, jusque
là bien gardé. Apprenant le patronage de la SS, les journaux
indiens ont fait paraître des articles très hostiles à
l'expédition. Schäfer n'en a pas moins obtenu le soutien du
ministre des Affaires étrangères de l'empire des Indes et
celui du vice-roi!
Des extraits des films
tournés par les Allemands aux cours de leur expédition sont
accessibles ici
(Source: Youtube: "The nazis expedition to Tibet")
On notera la fascination
que le Tibet exerce sur les dignitaires du nazisme. Ils y voient le berceau
de la race indo-européenne et le refuge de Sages destinés
à régir l'humanité. Les mythes de l'Atlantide et de
Thulé se superposent à celui de
Shambala en une délirante construction intellectuelle qui conduit
les dirigeants allemands à lancer des expéditions à
la recherche des survivants des cataclysmes passés. Ceux-ci, dotés
de connaissances et de pouvoirs supra-normaux, sont jugés capables
d'aider le troisième Reich à établir la suprématie
de la race de surhommes dont il estime être l'embryon. On ne peut
s'empêcher d'y voir une sorte de folle tentative de renouer avec
un improbable âge d'or de l'humanité situé au-delà
de la préhistoire! Le Toit du Monde, mais aussi le centre de la
terre, accessible via un trou percé au pôle, seraient des
endroits privilégiés servant de refuge aux héritiers
des civilisations disparues! Tout cela est en phase avec le désir
nazi d'un retour à la tradition germanique antérieure au
christianisme. Ces divagations n'ont bien sûr qu'un lointain rapport
avec le bouddhisme. On ne saurait rendre une religion responsable de l'attrait
qu'elle exerce sur des esprits malades. Mais, historiquement parlant, on
ne peut pas non plus passer sous silence des faits simplement parce qu'ils
sont troublants. Les sympathies de Sven Hedin pour le mouvement nazi sont
avérées; Hitler lui envoie même un télégramme
de félicitations, à l'occasion de son 80ème anniversaire,
en 1945, juste avant de se tirer une balle de revolver dans la bouche.
Le Führer est végétarien; étrange contradiction,
il répand à flots le sang des hommes et se montre soucieux
d'épargner celui des animaux; les lois nazies offrent à ces
derniers une protection inconnue dans les autres pays. Le recours aux sciences
occultes est cultivé par des membres de l’entourage du maître
de l'Allemagne. Enfin, la croix gammée est la version bönpo
du svastika. Toutefois, il convient également de se souvenir que
le bouddhisme tibétain est soupçonné par certains
nazis de conspirer pour dominer le monde, comme le judaïsme et le
catholicisme.
1939: Création du Parti réformateur
du Tibet occidental par Kumpela dont la doctrine s’appuie sur trois principes:
nationalisme, souveraineté populaire, socialisme d’État.
La plus grande partie du Kham, qui était
jusqu'alors un district administratif spécial de le République
de Chine, devient la province du Xikang, capitale Kangding.
Réalisation en Allemagne du film "Le
secret du Tibet", basé sur des documents ramenés par
l'expédition de l'année précédente. Il met
l'accent sur les aspects guerriers de la civilisation tibétaine
à des fins de propagande. Cette oeuvre de circonstance sera projetée
pendant la seconde guerre mondiale. Une anecdote pittoresque: on y décrit
les vautours chargés des funérailles célestes comme
des cercueils volants!
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Dissection
d'un cadavre pour la préparation des funérailles célestes
Source: Mystiques et Magiciens
du Thibet - A. David-Néel |
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1940: Le 14ème Dalaï
lama est enfin consacré dans sa capitale. Pour parvenir à
l'y ramener, il a fallu payer une énorme rançon au seigneur
de la guerre qui dirige l'Amdo: Ma Bufeng (voir
Harrer). La cérémonie
d'intronisation du nouveau pontife tibétain est présidée
par un envoyé de la Chine nationaliste: Wu Zhongxin. Ce représentant
de Tchang Kaï Chek ne jouera pratiquement aucun rôle politique,
sauf celui de faciliter le retour à Shigatse de la dépouille
mortelle du Panchen lama, ainsi que la création d'un Bureau du Kuomintang
à Lhassa et l'installation d'un télégraphe.
Le régent est un ami des arts et il
est favorable à une modernisation du Tibet. Mais il se montre aussi
de plus en plus autoritaire et vénal. Il fait fouetter en public
et bannir un dignitaire qui, dans un souci de protection des biens publics,
s’opposait à la mise à sa disposition d’une partie de ceux-ci.
Un envoyé anglais voit plusieurs personnes
qui ont été privées d'un de leur membre en punition
d'un vol. Les riches échappent à une condamnation pour meurtre
en dédommageant la famille de la victime; l'assassinat d'un membre
élevé du clergé est tarifé entre 8000 et 10000
$, pour un femme de basse condition, le paiement de 11 onces d'argent suffit!
Rapgya Pangda Tsang est expulsé de Lhassa
pour avoir traduit des extraits des oeuvres de Karl Marx et Sun Yat Sen.
Cette version des faits est toutefois controversée. Il sera plus
tard l'un des chefs de la résistance à l'invasion chinoise.
Guibaut et Liotard entreprennent une nouvelle
tentative de pénétration au Tibet par le Sichuan. Ils sont
attaqués par les Goloks. Liotard est tué d'une balle en haut
d'un col. En plein vingtième siècle, les chemins de l'Amdo
sont toujours aussi périlleux. Le père Nussbaum, missionnaire
à Yerkalo, unique paroisse catholique du Tibet, est assassiné
à la même époque par des brigands (voir
un résumé du récit de Guibaut
ici).
Nous connaissons déjà les souvenirs
que l'Allemand Ernest Schäfer rapporte de ses
rencontres avec les Goloks. A Dju-Gompa, le matriarcat primitif est encore
en vigueur. Une reine toute puissante, réincarnation d'une divinité,
règne sur six tribus gouvernées par des princes. Elle est
supposée être l'épouse de tous les princes de la terre.
Une garde de 7000 soldats la protège et elle porte le mousquet comme
les hommes. Les Goloks sont réputés pour leur courage et
aussi pour leur cruauté. Ils ont élaboré les méthodes
les plus raffinées pour traiter leurs ennemis. Ils ne se contentent
pas de leur couper les mains ou de mettre leur crâne en pièces,
comme le font les autres, mais ils les cousent dans des peaux de yaks fraîchement
tués et les exposent aux ardeurs du soleil ou bien ils les éventrent
et dévident leurs entrailles comme des écheveaux. Dès
que les troupeaux sont bien nourris, ils se livrent à leur activité
favorite: des raids dans les contrées voisines pour s'y livrer au
pillage. Ils sont la terreur des villageois et des marchands chinois.
Les Britanniques filment l’arrivée au
Potala du nouveau Dalaï lama, un enfant de 5 ans. La Grande-Bretagne
veille encore jalousement, depuis l’Inde, sur le Tibet qu’elle juge nécessaire
de soustraire, pour le moment, aux appétits chinois. La Chine contrôle
néanmoins ce que l’on appelle alors le Tibet intérieur, au
nord et à l’est du pays, et son objectif reste l'extension de son
influence à l'ensemble du territoire.
L'Italie s'intéresse aussi au Tibet.
Déjà Giuseppe Tucci a tenté de combiner les valeurs
fascistes avec le bouddhisme tibétain. Maintenant, Julius Evola
(1898-1974), idéologue de Mussolini, recherche les rapports existant
entre les rituels tantriques et le pouvoir politique à travers des
exemples européens (Cathares, troubadours, Templiers, Alchimie...);
pour lui, il est possible de transformer l'énergie sexuelle en puissance
politique et les dictateurs modernes (Hitler et Mussolini) sont des préfigurations
des êtres appelés un jour à dominer le monde; le Shambala
(ou Shambalha) n'est que la version asiatique du mythe européen
du Graal et de son roi sauveur. Selon Julius Evola le Shambala serait en
effet le centre ésotérique d'une caste de guerriers sacrés
dont le chef résiderait dans un palais en forme de svastika. Le
Chilien Miguel Serrano et l'Hindou Savitri Devi y verront, pour leur part,
le refuge des adeptes de la foi nazie. Le Tibétain Chögyam
Trungpa (1940-1987) s'emploiera à former en Occident une milice
de guerriers du Shambala destinés à participer militairement
au triomphe du bouddhisme. Le royaume mythique servira probablement aussi
de base idéologique à la tentative apocalyptique de Shoko
Asahara visant à précipiter le monde dans un chaos d'où
sortirait la rédemption, comme on le mentionnera plus loin.
1941: Démission du régent pour
des raisons secrètes. Très impopulaire, sans doute redoute-t-il
la montée de l'opposition. Il entreprend une retraite spirituelle
au monastère de Reting. La régence échoit à
un vieillard de 75 ans, bouddha vivant de Taktra, aux vues parfaitement
orthodoxes.
Tchang Kaï Chek se rend à Lhassa
où il visite le monastère de Drepung.
A Pearl Harbour, l’aviation japonaise détruit
la flotte américaine du Pacifique. Une mission militaire US arrive
à Kunming (Yunnan).
1942: Création de l'office des affaires
étrangères du Tibet.
La famille Pangda, du Kham, dont les enfants
partagent les idées révolutionnaires, s'enrichit grâce
au trafic d'armes. Elle sert d’intermédiaire aux troupes nationalistes
chinoises en lutte contre le Japon.
Création par Heinrich Himmler de l'Institut
Sven Hedin pour la Recherche sur l'Asie Centrale dépendant de l'Ahnenerbe.
Dans les milieux nazis, on travaille à la formulation d'une nouvelle
religion en partant du principe que le bouddhisme, les Védas, les
Puranas, les Upanishads, la Bhagavad-Gîta, le yoga et le tantrisme
sont les fragments d'une spiritualité originelle indo-aryenne et
antisémite disparue. Des emprunts à la culture tibétaine,
au Zen et à la tradition des Samouraïs japonais sont également
envisagés.
Envoi à Lhassa
d'un émissaire américain de l'OSS (future CIA), Ilya Tolstoï,
petit-fils de Léon Tolstoï. Il est muni d'une lettre de Roosevelt,
d'une montre en or et d'un couple d'oiseaux chanteurs destinés à
séduire le Dalaï lama, alors âgé de 7 ans. On
s'adresse à lui comme chef spirituel, et non comme chef politique
du Tibet, afin de ne pas indisposer la Chine nationaliste, alliée
des États-Unis, qui revendique la souveraineté du Tibet.
Il s'agit d'amener le Tibet à renoncer à sa neutralité
pour permettre aux alliés d'alimenter en armes les armées
chinoises en lutte contre le Japon. La mission ne remporte pas le succès
espéré. Une foule de 10000 Tibétains aurait même
jeté des pierres aux Américains coupables d'avoir survolé
le Potala et ainsi regardé de haut le Dalaï lama. Le Tibet
reste neutre et seul un relais radio y est installé au profit des
alliés; ce relais sera un temps tenu par un caporal anglais
nommé Baker qui nous apprend qu'une garnison britannique tient toujours
la forteresse de Gyantsé (un résumé
des tribulations de Baker au Sikkim et au Tibet est ici).
Au même moment des espions japonais essayent de s'assurer que des
armes destinées à la Chine ne transitent pas par le Toit
du Monde. Ils s'étonnent de la facilité à s'en procurer
sur le marché du Barkhor, en plein Lhassa.
1943: Un
projet d’ouverture d’une route militaire d’approvisionnement entre l’Inde
et la Chine via le Tibet inquiète Lhassa qui réplique en
expulsant le représentant de la Chine. L'office tibétain
des affaires étrangères prévient le gouvernement nationaliste
chinois qu’il devra désormais s’adresser à lui. Une sorte
de ministère des Affaires étrangères est ainsi créé
à Lhassa.
Les troupes de Tchang Kaï Chek s’apprêtent
à envahir le Tibet à partir du Sichuan pour construire la
route. La Chine nationaliste exige aussi la fermeture de l'office tibétain
des affaires étrangères. Les pressions de l’Angleterre ont
raison de l’opiniâtreté tibétaine. Mais la question
n’est pas réglée pour autant. (Pour
ce qui concerne les relations entre la République de Chine, l'Angleterre
et le Tibet, voir le témoignage de Chen Xizhang, repésentant
du gouvernement nationaliste au Tibet,
ici ).
Le régent proscrit l'usage au Tibet
des vélos et des motos sous le prétexte que les roues scarifient
la terre de cicatrices. Il n'y a pratiquement pas de routes dans le pays.
Un projet de voyage en Occident de Gedun
Chompel échoue. En raison des hostilités, et peut-être
aussi parce qu’il est soupçonné d’espionnage par les autorités
britanniques, il lui est impossible d’obtenir un visa.
Un avion américain s'écrase au
Pays des Neiges. L'équipage loue l'hospitalité tibétaine.
1944: Puntshog Wangyal crée
à Lhassa une organisation secrète d’inspiration communiste:
"L’Association des Jeunes Tibétains sous Serment."
Afin de soulager la misère des populations,
le régent efface les arriérés des prêts sur
les grains. Cette mesure n’est du goût ni de la noblesse ni des abbés.
Dans certains endroits les serfs sont molestés et les intérêts
sont prélevés par la force. Lhassa s’efforce de faire respecter
son autorité. Un préfet est massacré. Le monastère
de Sera est compromis. Deux abbés sont démis.
Conscient de l’impossibilité de maintenir
son pays fermé, le régent accepte l’ouverture d’une école
anglaise à Lhassa, pour la formation de techniciens en télégraphie
et en électricité. Sous la pression des conservateurs religieux,
elle fermera au bout de quelques mois.
Les Tibétains voudraient obtenir des
Anglais la participation de leur pays aux accords de paix qui mettront
fin à la seconde guerre mondiale. Le cabinet de Londres ne se montre
pas favorable à cette initiative.
Les Russes, implantés au Sinkiang
voisin du Tibet, tentent d'opposer un nouveau Dalaï lama à
celui de Lhassa; la manoeuvre échoue.
L'alpiniste autrichien Heinrich Harrer
s'évade en avril du camp de prisonniers de guerre de Dehra Dun,
au nord des Indes, au pied de l'Himalaya.
Un rapprochement est tenté entre Tchang
Kaï Check et Lhassa. Des émissaires sont échangés
(cf le témoignage de
Chen Xizhang). Les dirigeants chinois redoutent
qu'une participation du Tibet aux négociations de paix n'entraînent
la reconnaissance de son indépendance par les alliés et le
gouvernement du Dalaï lama, qui sait à quoi s'en tenir sur
l'appui britannique à ses thèses, craint de se retrouver
en tête à tête avec la Chine, dans l'hypothèse
de l'indépendance prévisible de l'empire des Indes. Les deux
parties ont donc intérêt à calmer le jeu. Mais le contexte
dans lequel s'effectue le rapprochement laisse supposer qu'il n'est sincère
ni chez les uns ni chez les autres. Sherab Gyatso,
est autorisé à revenir dans son pays, mais sans ses élèves
chinois.
1945: Kapshopa entre
au gouvernement. Sa place est, dit-on, achetée grâce à
l’or du Kuomintang. La corruption s’est installée dans les allées
du pouvoir tibétain.
L’ancien régent, du monastère
de Reting où il réside, noue une trame pour renverser son
successeur et revenir au pouvoir. S'il faut en croire Chen
Xizhang, la rivalité entre les deux régents reproduit
celle qui oppose Chinois et Britanniques sur le Toit du Monde.
Les Tibétains affirment leur volonté
d’indépendance. En violation des accords de Simla, ils exigent la
possession de visas aux Chinois entrant sur leur territoire et prétendent
régler le sort des populations du Kham et de l’Amdo sous administration
chinoise.
Un différend frontalier oppose le Tibet
à l’empire des Indes. Les discussions restent toutefois cordiales.
Une fête organisée
à Lhassa par les Britanniques, pour célébrer la victoire
alliée, laisse les Tibétains de marbre. Ils se sont souciés
de la seconde guerre mondiale comme d’une guigne! Les Anglais exposent
des photos du Times illustrant l’abomination des camps nazis. Peine
perdue. Un Britannique exprime alors l’opinion que, dans un pays
où la flagellation publique est un événement courant
et ou les victimes sont, sinon tuées tout de suite, du moins abandonnées
à une mort lente, les atrocités commises en Allemagne ne
peuvent pas soulever une grande émotion. En outre, des Tibétains
auraient défendu jusqu'au bout, dans Berlin assiégée,
le dernier repaire du Führer; mais ce sont les partisans des nazis
qui l'affirment.
1946: Heinrich
Harrer arrive à Lhassa en janvier. Il
a réussi à franchir l'Himalaya et à traverser les
déserts du plateau central, en parcourant plus d'un millier de kilomètres
et en franchissant des cols de plus de 5 000 m, ce qui constitue un véritable
exploit. Il restera 7 ans au Tibet. Il s'intègre à la bonne
société, se rend utile et introduit sur le Toit du Monde
des éléments de la technologie européenne. Il apprend
aux Tibétains à "marcher sur des couteaux" (patiner), se
fabrique des skis en bois de bouleau et "chevauche la neige" (skie) jusqu'à
ce que les autorités le lui interdisent par peur de froisser les
esprits de la montagne. Il organise des séances de cinéma
pour le Dalaï lama et devient son ami; grâce à lui, le
jeune homme s'initie à la culture occidentale; mais leurs relations
étroites sont brèves; elles ne dépassent guère
l'été 1950, d'après le récit de l'alpiniste
autrichien. Lors de l'entrée des Chinois au Tibet, Harrer aurait
comploté avec les Américains pour organiser la fuite du Dalaï
lama, mais les dignitaires religieux, qui redoutaient les conséquences
intérieures d'une fuite du chef spirituel et temporel du pays, n'auraient
pas consenti à son départ.
On ne sait pas si l'expédition d'Harrer
poursuivait des buts uniquement sportifs ou si, sous cette couverture,
l'Allemagne nazie ne visait pas quelque autre objectif. Ce n’est pas le
témoignage de l'alpiniste autrichien qui peut nous renseigner sur
ce point. Si ses compagnons et lui ont été chargés
d’une mission secrète, il a évidemment tout intérêt
à la taire, dans le contexte de l'après-guerre, ne serait-ce
que pour occulter son passé de militant nazi. Il a en effet appartenu
aux SA puis aux SS.
A l'époque où Harrer parvient
à Lhassa, au cours d'un interrogatoire par le Renseignement militaire
américain, Schäfer déclare, qu'à son retour du
Tibet, en août 1939, il a rencontré Himmler pour lui exposer
le projet d'une expédition militaire: avec quelques hommes, il se
serait rendu au Tibet en avion, pour y mettre sur pied un mouvement de
résistance en s'inspirant de l'action de Lawrence en Arabie, pendant
la première guerre mondiale. Ce projet toutefois resta sans suite.
La plupart des visiteurs occidentaux de Lhassa
ont mis l'accent sur le manque de propreté et d'hygiène de
la capitale tibétaine. A la demande du gouvernement tibétain,
Harrer, en compagnie de Peter Aufschnaiter, dresse une carte de la ville
et de ses environs en vue de concevoir un réseau d'égouts.
Le médecin italien Regolo Moise qui séjourna à Lhassa
en 1948 décrit les conditions sanitaires comme précaires,
mais moins lamentables qu'on pourrait le penser selon d'autres témoignages,
et pas pires que celles qui règnent dans d'autres pays. Si d'autres
épidémies y ont sévi, on l'a vu, il note l'absence
de tuberculose et de pneumonie.
Antonin Artaud, reniant ses déclarations
passées, rédige un nouveau pamphlet cette fois contre
le clergé tibétain accusé de révoltante idiotie,
de mysticisme hystérique, de drogués.
Deux hommes sont durement fouettés,
montés sur des bœufs et envoyés au Chang Thang (ouest du
Tibet), un désert, pour y subir une condamnation à perpétuité.
Un faussaire, qui faisait passer de la poudre
de cuivre pour de la poudre d’or, est exposé, pendant une semaine,
dans plusieurs quartiers de Lhassa, enfermé debout dans une cage,
sa tête seule à l’extérieur, sa main droite enserrée
dans un gant de cuir vert empli de sel. Il est fortement fouetté
puis condamné à perpétuité au bannissement
au Chang Thang
Rapgya Pangda Tsang fonde en exil le Parti
progressiste tibétain d’inspiration révolutionnaire. Le gouvernement
tibétain cherche à mettre la main sur lui. Il n’y parviendra
pas malgré son expulsion des Indes.
Gedun
Chompel a dessiné l’emblème du Parti progressiste tibétain.
Déçu de l’échec de son projet de voyage en Occident,
il est rentré dans son pays. De nombreux Tibétains accourent
à son domicile de Lhassa pour y recevoir son enseignement. Il ne
se prive pas de donner son avis sur la situation politique, même
devant des gens proches du pouvoir. Il est finalement arrêté
comme faux-monnayeur, en compagnie d’un commerçant qui le fréquente.
Il paraît que la femme de ce dernier possédait un bijou que
voulait s’approprier Kapshopa. Peine perdue, le bijou sera volé
avant que Kapshopa ne puisse mettre la main dessus! Sous la pression de
Kapshopa, Gedun Chompel est soumis à la question extraordinaire.
Cinquante coups de fouet lui sont appliqués. En vain. Il n’a rien
à dire. Reconnu innocent, il est tout de même condamné
à trois ans de prison. Quelle est la raison principale de son arrestation?
On remarquera que, quelques temps avant, il a reçu une lettre de
Rapgya qui estimait que l’introduction du communisme au Tibet était
prématurée. Enfin, les Anglais accréditent le bruit
que Gedun Chompel est le chef du Parti progressiste, ce qui est manifestement
faux. Il s’est contenté d’en dessiner l’emblème et
n’y a jamais adhéré. Quoi qu’il en soit, son arrestation
et sa condamnation sèment la panique chez les gens qui le fréquentaient;
la peur qui s’empare d’eux fournit une image instructive de l’ambiance
qui régnait alors dans la capitale tibétaine.
Un premier attentat frappe dans les allées
du pouvoir.
Des émissaires du Tibet se rendent à
l’ouverture de l’Assemblée constituante de Chine. Ils vont s’y trouver
aux côtés des représentants de l’Amdo et du Kham sous
contrôle chinois. Ils quitteront l’Assemblée avant la fin
des travaux pour ne pas avoir à signer l’acte d’allégeance
à la Chine.
Publication de la "Grammaire du tibétain
littéraire" de Jacques Bacot. Ce dernier, qui visita le Tibet
au début du siècle, s'est consacré depuis à
la recherche historique et philologique. Il est l'auteur de traductions
et d'études de documents tibétains qui font autorité.
Le dessinateur belge Edgar P. Jacobs publie
"Le Secret de l'Espadon", une bande dessinées dans laquelle
l'empereur du Tibet, un potentat criminel, tente de conquérir le
monde, après avoir réduit en cendres la plupart des capitales.
Le mythe du péril jaune est en marche à partir de Lhassa!
Le Royaume des Neiges n'est pas encore tout à fait devenu celui
de la non violence dans l'imaginaire occidental; on sait que le mythe d'une
conspiration du Tibet pour dominer le monde n'est pas nouveau (voir
ici).
.
.
Après la seconde
guerre mondiale, un moine bouddhiste d'origine allemande, Anagarika Govinda,
qui a déjà voyagé dans l'Himalaya, se rend à
Tsaparang, à l'ouest du Tibet. Bien sûr, les déplacements
de ce lama, n'ont aucun rapport avec les tentatives allemandes précédentes,
bien qu'il ait pu rencontrer Harrer, dans le camp où ils ont été
l'un et l'autre emprisonnés par les Anglais. La vieille ville qui
accueillit Andrade est en ruines. Mais,
dans les vestiges de la forteresse, Govinda découvre des fresques
admirables, qu'il passera plusieurs semaines à recopier, à
l'insu des gens du lieu qui s'y opposaient. Ce qu'il ignore, c'est que
ces merveilles ont déjà été photographiées
par l'Italien Giuseppe Tucci rencontré
par Marco Pallis. Voici quelques notes
tirées du récit qu'il a laissé de ses pérégrinations
au Tibet.
La lecture des visions d'un lama font perdre
un moment la notion du temps. Il existe, dans les déserts de l'ouest
du Tibet, des troupeaux de chevaux sauvages, d'une race propre au pays.
Ces animaux sont caractérisés par leur petite taille et la
grosseur de leur tête. Ils ne s'apprivoisent pas et meurent si on
les capture.
En principe, au Tibet, toute atteinte à
la vie est interdite. Un chasseur est considéré comme un
criminel. Un pêcheur est encore plus coupable puisque, compte tenu
de la petite taille des poissons, il est amené à détruire
davantage de vies qu'un chasseur. Le bois manquant, on se chauffe à
la bouse de yack, laquelle est précieusement recueillie. Elle se
consume sans produire beaucoup de fumée. Mais, l'utiliser pour se
chauffer pose un problème car elle est susceptible de contenir de
petits être vivants qui s'en nourrissent.
Les ressources du Tibet étant limitées,
on évite le partage des propriétés grâce à
la polyandrie. Un enfant au moins par famille se retrouve dans un monastère.
Le célibat étant imposé par la règle gelugpa,
le nombre élevé de moines et nonnes de cette lignée
constitue un moyen de contrôle des naissances. Dans une société
nomade, la femme joue nécessairement un rôle important. Elle
représente en effet un élément de stabilité
au sein d'un foyer.
Les moulins à prière doivent
être animés dans le sens de la rotation des planètes
autour du soleil pour rappeler l'intégration de l'homme au sein
du cosmos. Le Tibétain qui prie ne s'adresse pas à un dieu
mais à lui-même. On ne prend certaines décisions politiques
qu'après la consultation des oracles. Le svastika serait la représentation
d'une montagne tibétaine d'où partent les grands fleuves
d'Asie. Cette montagne est située auprès de deux lacs sacrés,
l'un en forme de soleil, l'autre en forme de lune. A proximité se
dresse un sommet assimilé au mont Meru, le siège des dieux.
Le svastika bönpo est à l'envers, comme la croix gammée
nazie. Les bönpos tournent autour des temples et des statues dans
le sens contraire des planètes autour du soleil. La religion bön
est surtout présente à l'est du Tibet, dans le Kham.
Les pèlerins traversent les fleuves
suspendus à une poulie qui glisse sur un câble tendu de berge
à berge où sur des passerelles vétustes qui parfois
cèdent sous leur poids. On franchit d'immenses et profonds canyons
où l'on aperçoit parfois des habitations troglodytiques creusées
dans le roc.
Une pépite de la grosseur d'un chien
est un jour envoyée au Dalaï lama. Celui-ci la retourne à
l'expéditeur pour qu'elle soit ensevelie au même endroit,
afin de ne pas indisposer les divinités de la terre. Les mines métalliques
(or, argent, cuivre...) abondent au Tibet.
L'atmosphère y est si rare que, malgré
le froid, l'effet des rayons du soleil est intense et que l'on ne s'y expose
pas longtemps impunément. Il faut s'y protéger les yeux d'une
poussière fine. Les précipitations sont rares. Les glaciers
datent de la dernière glaciation. Les écarts de température
sont la cause principale d'une érosion intense. Ils font éclater
la pierre en menus fragments. Ils sont tels, dans certaines régions,
que l'ombre interrompt temporairement l'écoulement des eaux. C'est
ainsi que des gorges asséchées pendant la nuit se transforment
en torrents furieux dès que les rayons du soleil raniment les glaciers.
La pureté de l'atmosphère permet de distinguer les détails
à une grande distance de sorte que les choses paraissent plus proches
qu'elles ne le sont en réalité.
Les forgerons ont la réputation d'avoir
partie liée avec les forces obscures et sont soupçonnés
de sorcellerie; cette situation découle peut-être du fait
que, dans les sociétés primitives, cet artisanat est souvent
associé au sol, c'est-à-dire aux enfers; d'ailleurs, les
minerais métalliques sont extraits de la terre, parfois en y creusant
d'obscures galeries.
La présence de fortifications sur les
hauteurs laisse supposer que la région ne fut jamais le havre de
paix que certains se plaisent à imaginer.
Certains temples sont jalousement protégés
contre la curiosité jugée déplacée des étrangers.
On préfère qu'ils s'écroulent plutôt que de
les laisser visiter, de peur de déranger les dieux qu'ils abritent
et de déclencher des catastrophes.
1947: Le Karmapa voyage en Inde, au Népal
et au Sikkim. Son pèlerinage passe par les hauts lieux de la vie
du Bouddha.
Le régent échappe à un
second attentat. Une bombe éclate lors de l'ouverture d'un paquet
par un de ses serviteurs. On accuse l'ancien régent retiré
au monastère de Reting. On le soupçonne de conspirer avec
le Panchen lama et les Chinois. Le père du Dalaï lama meurt
prématurément, à 47 ans, au cours d'un repas; on soupçonne
un empoisonnement lié à la querelle entre les régents;
il aurait été pro chinois, comme l'ancien régent (cf
le témoignage de Chen
Xizhang). L'ancien régent est convoqué à Lhassa
où il se rend. Ses partisans se soulèvent. Les garnisons
loyalistes des monastères en révolte sont anéanties.
L’abbé imposé par le gouvernement à Sera est massacré.
Lhassa est placée en état de siège. Les communications
avec l’extérieur sont coupées. L'armée est envoyée
pour rétablir l'ordre. Le monastère de Reting est rasé
et les moines sont dispersés. Le monastère de Sera est bombardé
par l'artillerie tibétaine. Le Tibet vient de vivre sa première
guerre civile moderne. Le régent, énergique malgré
son âge, a triomphé par la force. Des moines rebelles sont
arrêtés et sévèrement châtiés (200?),
mais pas exécutés; d'autres s'enfuient en Chine; Sera est
livré à la soldatesque, qui le pille (voir
Harrer).
L’ancien régent, jugé coupable,
est emprisonné. Il meurt, torturé à mort ou plus probablement
empoisonné après ingestion d’une tasse de thé; on
retrouve sa timbale retournée comme un gant. Ce mystérieux
décès lui vaut un regain de popularité: on lui attribue
des miracles. Un de ses fidèles de haut rang a les yeux arrachés.
Kapshopa, qui s’est acharné sur Gedun
Chompel, est compromis dans le complot.
Au cours de travaux hydrauliques, Harrer
découvre d’énormes blocs transportés par des êtres
humains à une époque très éloignée.
Aucun doute pour lui, ces hommes connaissaient l'usage de la roue. Comment
et pourquoi s’est-elle perdue par la suite au Tibet?
L'Inde obtient son indépendance et la
Grande-Bretagne se désengage vis à vis de Lhassa. Le vice-roi
des Indes annonce au gouvernement tibétain que les Britanniques
ne sont plus en mesure de respecter les accords signés par ses prédécesseurs.
Le gouvernement indien se considère comme l’héritier des
accords passés par la puissance impériale. Lhassa se refuse
à reconnaître les droits revendiqués par New Delhi.
Les Tibétains viennent de s’attirer l’animosité de leur puissant
voisin du sud.
Une mission est envoyée dans les grands
pays du monde pour se procurer l'or nécessaire afin de gager la
monnaie nationale tibétaine! Ce métal abonde sur les hauts
plateaux, et l'on ne peut que s'étonner d'une telle démarche.
Les moyens manquent-ils pour l'extraire et le transformer sur une large
échelle? Probablement pas, mais les tabous religieux s'opposent
à son exploitation. Grâce à cette mission, les autorités
tibétaines espèrent également promouvoir les échanges
des produits précieux de leur pays contre des monnaies de réserve
(dollar ou livre sterling) et comptent sur les négociations pour
obtenir une reconnaissance internationale de leur indépendance.
Au passage par Nankin, la mission demande au gouvernement nationaliste
de placer sous la juridiction du Tibet les régions peuplées
de Tibétains des provinces chinoises du Xikang, du Qinghai et du
Gansu; les autorités tibétaines profitent des difficultés
du Kuomintang, aux prises avec l'insurrection communiste, pour ressortir
cette ancienne revendication qui suscite évidemment le mécontentement
des Chinois; ils retiennent la mission et celle-ci est obligée de
quitter la Chine en catimini, via Hong Kong, avec la complicité
des Anglais (voir
Chen Xizhang). Les émissaires resteront
deux ans absents; ils reviendront avec une jeep en pièces détachées
dans leurs bagages, après un séjour aux États-Unis
et en Europe; aux USA, ils rencontrent le ministre des Affaires étrangères,
George Marshall, Ilya Tolstoï, Lowell Thomas,
qui souhaite visiter le Royaume des Neiges, Dwight Eisenhower, alors président
de l'université Columbia, ainsi que d'autres personnalités
comme le prince Pierre de Grèce qui s'intéresse au Tibet
et des représentants du commerce américain. Ils ont parcouru
le monde moderne avec étonnement. Partout on les a pris pour des
Chinois, des Birmans ou des Japonais, mais nulle part pour des Tibétains:
le monde ignore l'existence d'un pays qui est resté fermé
sur lui-même! (Voir
Harrer). Leurs
buts n'ont pas été atteints, personne ne souhaitant se brouiller
avec la Chine. New Delhi, en particulier, ne veut pas entendre parler de
discussions tant que le problème de l’héritage des accords
passés avec la Grande-Bretagne n'est pas résolu.
Les représentants du Tibet siégent
avec leur drapeau parmi les délégations de trente deux nations
à la conférence pan asiatique réunie à New-Delhi.
Mais le drapeau sera retiré à la demande de la Chine.
Un mystérieux
personnage, qui se fait appeler le prince Cherenzii Lind, apparaît
subitement à Paris. Il se dit le pontife d'un royaume souterrain
et le maître du monde. Il se présente comme le grand chef
des Initiés de l'Agartha et comme le directeur de la Grande Fraternité
Universelle, une union spirituelle qui a pour but de sauver le monde. Ce
personnage, qui roule en voiture de luxe, n'a rien d'un ascète oriental.
Il semble riche et mène joyeuse vie, mangeant copieusement, s'enivrant
de bourgogne et fumant les meilleurs cigares. Il affirme être natif
d'un lieu, situé au Tibet en 1902, date de sa naissance, puis réuni
plus tard par les Anglais à l'empire des Indes. Il descendrait en
ligne directe de Gengis khan. Mais son accent laisse plutôt soupçonner
des origines belges. Il se dit la réincarnation du Kut Humi, fondateur
de la Société Théosophique au 19ème siècle.
Le Grand Conseil de l'Agartha, réuni en congrès au Tibet,
lui aurait décerné le tire de Maha Chohan. La fondation de
l'Agartha, remonterait à plus de 50000 ans. Ce royaume souterrain
serait situé entre le Tibet et la Mongolie. Sa civilisation, uniquement
spirituelle et mentale, serait infiniment plus évoluée que
la nôtre. Le prince promet d'accomplir un miracle avant de quitter
Paris, pour appuyer ses dires. Il disparaît cependant aussi mystérieusement
qu'il est venu avant d'avoir concrétisé sa promesse. Des
gens lui ont néanmoins accordé leur confiance et d'autres
continuent à croire en l'existence d'un royaume souterrain où
ils situent une cité nommée Shambala. Ce royaume souterrain,
régi par la Synarchie ou gouvernement des Sages, serait accessible
par des puits trouant les pôles, mais également en d'autres
endroits du monde et, bien sûr, au Tibet. Une succession de grottes
situées sous le Potala y conduirait. Une communication existerait
aussi à Shigatse, sous le Tashilumpo. Roerich
aurait réussi à pénétrer jusqu'à ce
royaume interdit et, ce qui est encore plus extraordinaire, en serait revenu
porteur de prodigieux secrets. Il est inutile de préciser que la
moindre preuve n'est jamais venue étayer ces élucubrations
symptomatiques de l'image qui agite encore aujourd'hui nombre d'esprits
occidentaux lorsqu'ils évoquent le Tibet.
La thèse d'un royaume souterrain gouverné
par des sages a été soutenue par d'autres auteurs qui le
situent aux Indes (Saint-Yves d'Alveydre) ou en Mongolie (Ossendowski)
(On peut consulter des notes relatives
à l'Agartha en cliquant ici
et des sites sur le même sujet en cliquant
ici).
1948: Projet de révolution au Kham et
dans l’Amdo. Les frères Pangda Tsang en font partie. Leur objectif
ultime est la création d’un Tibet révolutionnaire uni capable
de tenir tête à la Chine.
Les délégués tibétains
venus présenter leurs félicitations à Tchang Kaï
Chek, à l’occasion de sa réélection, se heurtent à
des difficultés en Chine.
La mission d’achat d’or à l’étranger
ne rencontre pas le succès escompté. Les États-Unis,
qui reconnaissent la souveraineté chinoise sur le Tibet, soulèvent
des difficultés. Truman refuse de recevoir les délégués.
A Londres, la Grande-Bretagne fait preuve de la plus extrême prudence.
A New Delhi, moyennant la reconnaissance du transfert à l’Inde des
droits anglais sur le Tibet, les délégués grappillent
quelques ressources.
Julius Evola, une penseur radical italien d'extrême-droite,
rentre à Rome, après avoir été soigné
en Autriche d'une blessure reçue en 1945. Il publiera plusieurs
ouvrages critiques d'un monde moderne jugé décadent. Selon
lui, le Shambala serait le centre ésotérique d'une caste
de guerriers sacrés dont le chef résiderait dans un palais
en forme de svastika.
1949: Kapshopa est dégradé, condamné
à la peine du fouet et banni, vêtu de blanc, à Neudong.
Le premier dictionnaire tibétain est
publié. Il est l’œuvre de Chodrag, un ami de Gedun
Chompel.
Dans l'Amdo, les Goloks massacrent un détachement
de l'armée nationaliste chinoise qui s'y était réfugié
pour fuir les troupes communistes.
Un missionnaire valaisan, le père Tornay,
du Grand-Saint-Bernard, successeur des pères Nussbaum et Burdin
à Yerkalo, d'où il a été chassé par
les Tibétains, est massacré à proximité du
col de Choula; il avait eu l'idée d'aller plaider la cause de sa
paroisse à Lhassa; refoulé, il regagnait le Yunnan lorsque
des Tibétains l'ont attaqué. Depuis 1846, plus d'une dizaine
de membres des missions ont subi le même sort (voir
le résumé du récit de Guibaut
ici).
Mao Tse Toung triomphe en Chine continentale.
Tchang Kaï Chek et les nationalistes s'enfuient à Taïwan.
La Chine devient une république populaire. Le nouveau Panchen lama,
découvert depuis des années, a été
officiellement proclamé, peu de temps avant l'effondrement du régime
nationaliste chinois.
Dans un mémorandum du Département
américain on lit ces mots non dépourvus d'un certain cynisme:
"Si le Tibet a le cran de résister à l’infiltration communiste…il
serait de notre intérêt de le traiter en pays indépendant,
plutôt que de le considérer comme faisant partie d’une Chine
devenue communiste…" Ce mémorandum est instructif: il montre
que les Américains sont moins guidés par le souci de défendre
les droits du Tibet que par la volonté d'endiguer le communisme;
on peut d'ores et déjà prévoir qu'ils abandonneront
le Pays des Neiges à son sort dès que son soutien s'avérera
incompatible avec la politique étrangère des États-Unis.
En attendant, une reconnaissance explicite de l'indépendance du
Tibet est envisagée et la décision est prise de fournir une
aide militaire aux Tibétains susceptibles de s'opposer à
l'expansion communiste en Asie. Un officier de la CIA, Douglas Mackiernan,
envoyé au Tibet, en mission secrète afin de ne pas motiver
une intervention chinoise, est malencontreusement tué par un garde-frontière
tibétain qui avait reçu pour consigne d'abattre tout étranger
tentant de franchir la frontière. Le nouveau pouvoir chinois peut
difficilement ignorer les velléités d'intervention militaire
américaines sur le Toit du Monde.
Dans le droit fil de la tradition impériale,
la République populaire de Chine va considérer les peuples
des minorités comme des barbares. Elle se sentira investie d'une
mission civilisatrice à leur égard et mettra en oeuvre une
politique qui, phraséologie marxiste mise à part, comportera
bien des traits du colonialisme classique. En fait, son nationalisme ne
fait que reproduire la tendance observée dans tous les pays devenus
récemment indépendants; on peut penser qu'il s'agit d'une
réaction inévitable aux humiliations infligées par
les puissances occidentales.
Dans une première période, cette
politique sera conduite avec une grande prudence. Les langues des minorités
nationales seront préservées. Mais, dans un second temps,
le pouvoir central s'efforcera d'estomper les particularismes locaux, afin
de favoriser un développement économique homogène.
Les transferts de population seront favorisés de sorte que les minorités
nationales seront, sur leur propre territoire, noyées au milieu
d'une population d'origine han. La civilisation chinoise sera montrée
en exemple; les cultures des autres peuples seront marginalisées;
l'apprentissage du chinois se généralisera.
Au Tibet, cette politique se traduira par un
afflux de colons chinois. Elle aura aussi pour conséquence la déportation
d'enfants tibétains dans la région de Pékin, en vue
de les initier à la culture han. Cependant, alors que les Tibétains
en exil insistent sur le grand nombre de Chinois installés au Tibet,
les autorités chinoises affirment, qu'en raison des conditions climatiques
très défavorables, les Han n'ont jamais dépassé
5% de la population.
Dans la vie des nations, les tendances lourdes
prédominent sur les péripéties révolutionnaires.
La politique étrangère est l’une de ces tendances. Mao ne
va pas ramener le Tibet dans le giron de la "mère patrie"
parce qu’il est plus brutal que ses devanciers mais parce qu’il est parvenu
à unifier la Chine continentale sous sa houlette; c’est le facteur
le plus important. Communiste ou non, une Chine unie aurait mené
la même politique à l’égard du Pays des Neiges, aux
différences idéologiques près; jusqu’à présent,
seuls les moyens lui ont manqué pour le faire.
Au moment où ces événements
se préparent, quelle est la situation au Tibet. Celle-ci n'a guère
variée depuis Gengis khan, malgré les timides tentatives
de réformes du 13ème Dalaï lama. L'électricité
et la traction mécanique ont certes fait leur apparition mais le
pays reste encore fermé sur lui même et profondément
archaïque à telle enseigne que l'on a pu dire qu'il n'en était
pas au Moyen Âge mais à la Grèce d'Homère.
Au point de vue politique, la théocratie
tibétaine est un anachronisme dans un monde où progressent
les idées démocratiques et l'utopie communiste. On a vu que
ces idées ont commencé à y pénétrer.
Il faut cependant insister sur le fait que leurs propagandistes sont aussi
de fervents nationalistes. Certes, le respect dû au Dalaï lama
n'est pas mis en cause par les fidèles. Mais la confusion des fonctions
spirituelles et politiques ne fait plus l’unanimité. D’autant que
le pouvoir est presque toujours exercé par des régents contestés.
Le pays est loin d'être un État au sens où on l'entend
en Occident. Le sentiment d'identité nationale n'est qu'embryonnaire;
les régions périphériques, notamment le Kham et l'Amdo,
qui n'ont jamais été totalement pacifiées et qui ont
déjà été rattachées, au moins partiellement,
à la Chine, manifestent une méfiance instinctive à
l'encontre du pouvoir central; les anciens gyalpo continuent d'exercer
une grande influence sur leur clan; la population manque d'homogénéité
et le langage parlé n'est pas unifié; bref, le Tibet est
davantage une communauté spirituelle qu'une nation.
Au point de vue économique, les moyens
de production sont artisanaux et les voies de communications peu nombreuses.
On retourne encore la terre avec des araires au soc de bois; en certains
endroits, on sème encore les grains, comme à l'époque
néolithique, en creusant dans la terre des trous avec un pieu de
bois (Harrer dixit).
La propriété foncière appartient en majeure partie
à l'État et aux monastères depuis des temps immémoriaux;
elle est louée à ceux qui la travaillent moyennant une redevance
en nature; en contrepartie, la puissance publique protège les denrées
dans des greniers pour faire face aux périodes de mauvaises récoltes.
Un grand nombre de paysans sont sédentaires, mais le nomadisme existe
toujours sur les pentes et les plateaux où l'on pratique l'élevage,
la culture y étant devenue impossible; les nomades jouissent d'une
assez grande liberté vis-à-vis des autorités politiques
et monastiques; ils ont le droit de tuer les animaux qu'ils consomment.
En dépit des importantes ressources minières, l'industrie
métallurgique est inexistante. Elle ne dépasse pas le stade
du forgeron. Il faut importer le cuivre de l'Inde pour battre monnaie et
aller quémander de l'or à l'étranger! Si la roue est
connue, on n'en fait pas usage et les marchandises sont transportées
à dos d'homme ou d'animal.
Au point de vue social, la population se divise
en nobles, descendants de princes ou familles de tulkou, possesseurs de
fiefs; en petits propriétaires; en fermiers qui doivent une partie
de la récolte au bailleur et sont, en outre, soumis à la
corvée de l'État; en serfs attachés héréditairement
à leur maître; en parias exerçant des métiers
impurs (forgerons, fossoyeurs, bouchers). On compte aussi de nombreux commerçants
et artisans ainsi que des baladins (conteurs, musiciens, artistes) et beaucoup
de mendiants. Les serfs représentent une proportion importante de
la population; leur sort n'est peut-être pas aussi terrible que le
terme pourrait le laisser supposer; mais ils ne sont pas libres de quitter
leur maître ni même de se marier sans son autorisation. Si
elle n'est pas totalement impossible, l'ascension sociale est très
difficile. Une foule de moines, entre le cinquième et le tiers de
la population, vit au sein des monastères dans la méditation
et la prière; les inégalités sociales s'y reproduisent,
les moines issus des couches populaires sont généralement
moins bien considérés que les fils de notables. Les monastères
sont gérés comme des entreprises privées, dans le
but d'obtenir le plus grand profit possible, au bénéfice
de leurs réincarnations, en vendant des objets pieux, des services
religieux, médicaux ou magiques, en louant les cellules aux moines
ou en mendiant à travers les campagnes. Les moines consacrent une
grande partie de leur temps et de leur énergie à la recherche
d'un pouvoir maximum et aux intrigues, non sans avoir parfois recours à
des activités répréhensibles (usage du poison ou des
enchantements). La monogamie est généralement la règle
dans les classes inférieures; mais on rencontre encore la polyandrie
chez les nomades, pour des raisons économiques, et la polygamie
dans la noblesse, pour des motifs de prestige. L'armée, malgré
sa réorganisation, est insuffisante face à celles des puissances
voisines. De profonds facteurs de dissolution agitent la société
tibétaine: moines errants, survivances du chamanisme, querelles
entre écoles, tradition de pillage de certaines tribus... La criminalité
reste élevée malgré l'extrême sévérité
des peines.
.
D'après
une source d'information chinoise, évidemment sujette à caution,
voici un aperçu du sort des femmes dans l'ancien Tibet. Si un mari
mourait sans enfant, sa femme appartenait à son beau-père.
A défaut de beau-père à l'un de ses beaux-frères
ou la femme et la moitié du bétail et des biens revenaient
à l'un des proches parents. Une personne sauvée d'un yack
devait donner sa fille au sauveteur; à défaut de fille, sa
soeur, à défaut de soeur, 200 taels d'argent. Une
femme était traitée comme le bétail et les biens;
elle pouvait être offerte en cadeau. D'après une enquête
dans la préfecture de Nagqu en Amdo, les personnes de sexe féminin
non membres de la famille ne pouvaient pas entrer sous la tente, ni aller
derrière la tente, à l'endroit où on suspendait les
bannières religieuses. Les femmes ne pouvaient pas parler à
haute voix après le coucher du soleil, ni accoucher sous la tente
familiale. L'accouchée ne pouvait toucher le fourneau les trois
premiers jours suivant l'accouchement, ni recevoir de visiteurs.
.
Cent ans de
témoignages sur le Tibet - Reportages de témoins de l'histoire
du Tibet - Jianguo Li - China Intercontinental Press
|
.
Il y a bien un Institut de médecine
tibétaine à Lhassa mais très peu d'écoles qui
sont presque toutes privées; la volonté du 13ème Dalaï
lama de développer un système d'éductation s'est heurté
aux réticences du clergé. Les écoles de de Gyantse
et de Lhassa n'ont connu qu'une existence éphémère.
Harrer parle
d'une école de Lhassa fréquentée par les enfants des
nobles chez qui il logeait, tout en ajoutant, un peu plus loin, qu'un instituteur
britannique, bien qu'autorisé à ouvrir une école,
a dû y renoncer et quitter le pays sous la pression du clergé.
L'essentiel de l'enseignement est dispensé dans les monastères.
Chaque famille y envoie l'un de ses enfants. C'est un moyen de promotion
sociale qui permet d'instruire au moins l'un des membres de la famille.
L'enseignement qui y est dispensé n’a pas évolué depuis
des siècles. Les découvertes scientifiques occidentales y
sont inconnues. On continue à croire que la terre est plate et quiconque
dit le contraire est taxé d’hérésie. L'enseignement,
qui fait penser à la scholastique de notre Moyen Âge, repose
pour l'essentiel sur la mémorisation des textes. On confie aux novices
les moins doués des taches matérielles et leur niveau d'études
s'en ressent évidemment. Pour ceux qui poursuivent un cursus normal,
une bonne quinzaine d'années d'efforts sont nécessaires pour
obtenir le grade ultime, celui de geshe. La discipline est sévère;
des châtiments corporels brutaux font partie des méthodes
d'enseignement, y compris pour les réincarnations appelées
plus tard à diriger les monastères. Le moindre écart
est puni à coups de bâtons ou de rosaires; le crâne
rasé de plus d'un moine en portera définitivement la cicatrice;
un maître n'affirme-t-il pas à son jeune élève,
avant de le punir, qu'une sculpture réussie exige de nombreux coups
de marteau! Les connaissances des paysans se limitent au minimum indispensable
pour vivre de l'agriculture.
Les villes sont petites et peu peuplées.
Un certain progrès y a pénétré; depuis les
années vingt, les automobiles ont fait leur apparition à
Lhassa et les élégantes préfèrent employer
une crème solaire plutôt que de se barbouiller le visage de
beurre mêlé de suie, comme les paysannes, pour protéger
du soleil leur peau délicate. Mais ces bribes de modernisme ne touchent
qu'une infime proportion de la population.
Pour l'essentiel, les Tibétains vivent
à la campagne et certains d'entre eux sont nomades. Les principes
élémentaires de l'hygiène y sont inconnus. On ne se
lave que très épisodiquement. Pour soigner une maladie, on
fait confiance au Bouddha de la médecine et aux lamas. Les pratiques
superstitieuses demeurent vivaces. Pour éloigner la grêle,
fréquente et dévastatrice dans les vallées montagneuses,
on a recours à la magie des moines exorciseurs. Ils vivent dans
une tour de guet, au flanc des pentes, et perçoivent une taxe payée
par les cultivateurs. Ces pratiques font penser à celles qui avaient
cours en France à l'époque carolingienne pour écarter
les maléfices des "tempestaires" (voir ici).
On consulte les astrologues pour fixer la date de la moisson.
S'il faut en croire un Tibétain en exil,
la différence entre riches et pauvres est telle qu'on pourrait croire
qu'il s'agit de personnes de races différentes. Voici comment s'exprime
un autre exilé tibétain, Dawa Norbu: "Nous,
Tibétains, sommes responsables en grande partie de notre tragédie.
Il serait injuste de condamner individuellement les lamas, les monastères
ou les aristocrates. Le système entier était pourri jusqu'au
coeur et ne pouvait résister aux pressions du 20ème siècle.
Il était prêt à s'écrouler et il s'est écroulé
d'une manière désastreuse."
Arrivée à Lhassa en 1951, Feu
Du Tai, ancienne codirectrice de la radiodiffusion, du cinéma et
de la télévision de la région autonome, affirme dans
ses mémoires que la pauvreté et le délabrement de
la ville dépassaient l'imagination. Lhassa ne comptait qu'une rue
présentable, le Barkhor. Il n'y avait ni éclairage public,
ni eau courante, ni égouts. A l'ouest du monastère de Jokhang,
il y avait un village de mendiants appelé Lupubangcang. Autour du
monastère de Ramoche, se pressaient près de 4 000 mendiants,
soit le dixième de la population de la ville.
Certains penseront peut-être que ces
propos sont exagérés. Mais aucune personne sensée
ne peut prétendre de bonne foi que la situation qui prévalait
dans l'ancien Tibet pouvait encore durer des siècles dans le monde
où nous vivons. Des ferments de transformation agitaient d’ailleurs,
on l’a vu, la société tibétaine. Sans exagérer
leur importance, comme Roerich, qui affirmait qu’aucune puissance au monde
ne pourrait empêcher le Tibet de devenir communiste, on peut supposer
qu’il ne s’agissait pas seulement d’une poussée de fièvre
sans lendemain.
Alors, plusieurs questions viennent à
l’esprit. Sans l’intervention de la Chine, les jeunes progressistes seraient-ils
parvenus à leurs fins? Probablement, tôt ou tard. Le Tibet
aurait-il alors fait l’économie d’une révolution violente?
Ce que l’on sait de son histoire plaide plutôt pour une réponse
négative. Les pertes en vies humaines et les destructions auraient-elles
été moindres? Nul ne peut l’affirmer, tant les conséquences
des soubresauts révolutionnaires sont imprévisibles. La Chine
aurait-elle renoncé à revendiquer un Tibet socialiste? Presque
sûrement non. La volonté d’absorber le Tibet était
trop profondément ancrée dans la classe politique chinoise
pour oser l’espérer. Les nationalistes, qui pensaient que des changements
révolutionnaires sauveraient leur pays, s’illusionnaient donc certainement.
Mais il eût été préférable qu’ils assurent
eux-mêmes, de l’intérieur et selon le génie propre
à leur race, la modernisation sociale et politique dont ils rêvaient.
.
Pour une vision encore plus complète
du Tibet à cette époque, voir Tucci
et aussi Harrer
Encouragés par l’arrivée au pouvoir
de Mao en Chine, Puntshog Wangyal et son "Association des Jeunes Tibétains
sous Serment" réclament un changement de gouvernement et l’avènement
d’une société moderne et démocratique.
Le pouvoir de Lhassa réplique en décidant
l’expulsion de tous les Chinois et des signataires de la pétition.
Les relations avec les autorités chinoises sont rompues. Une levée
de boucliers et des bruits de bottes intempestifs accompagnent ces mesures.
Le Tibet fait acte de candidature à l’ONU. Mais il est diplomatiquement
isolé. Personne ne le soutiendra. De plus, cette candidature se
heurterait au veto de l’URSS.
Pékin proteste contre le traitement
infligé à des Chinois qui n’étaient même pas
communistes. Parmi les expulsés, figurent les émissaires
du Kuomintang! La Chine annonce la création d’un gouvernement révolutionnaire
au Tibet oriental.
Le Panchen lama se rallie au gouvernement communiste
chinois. Les religieux qui lui sont fidèles lancent un appel enflammé
à Mao Tsé Toung. A les en croire, des milliers de patriotes
tibétains persécutés attendent la venue des troupes
chinoises pour chasser les traîtres et libérer le peuple du
joug des conservateurs et des agresseurs étrangers! Il n’y a presque
plus d’étrangers au Tibet, mais la phraséologie reste marquée
par les interventions colonialistes du siècle précédent.
En octobre 1949, l'Armée Populaire de
Libération pénètre en Amdo.
1950: Gedun
Chompel recouvre la liberté. Profondément affecté
par les années qu'il vient de passer en prison, il sombre dans l'alcoolisme.
En août, un tremblement de terre aux
allures de fin du monde dévaste le Tibet. Des dizaines de villages
sont engloutis; des vallées et des montagnes sont déplacées;
le Brahmapoutre (Tsangpo) voit son cours modifié. Le séisme
est interprété comme un mauvais présage par la population.
Bien d'autres signes négatifs sont notés. Alors qu'il médite
au monastère de Ganden, le Dalaï lama voit la statue de Yamantaka
hocher la tête et regarder avec une expression farouche dans la direction
de l'est. Une sécheresse inusitée désole la contrée.
Des femmes et des bêtes donnent le jour à des monstres. Une
comète traverse le ciel et des pierres tombent des murs des temples
sur le sol.
Le Qamdo, à l'ouest du Yang Tsé
Kiang, est séparé du Xikang, à l'est de ce fleuve,
pour former une entité administrative distincte.
Début de la guerre de Corée.
La Chine va se trouver directement confrontée à la puissance
militaire américaine, qui combat le communisme sous le drapeau de
l’ONU. Dans ce contexte, le Tibet, d’où partent les vallées
des principaux fleuves d’Asie, présente évidemment un intérêt
majeur. Sa possession par une puissance occidentale ferait peser une menace
mortelle sur le jeune pouvoir en place à Pékin. Cette crainte
est d’autant plus légitime que des troupes nationalistes sont toujours
présentes dans le triangle de l’opium, à la frontière
de la Birmanie, de la Thaïlande et du Laos. De plus, Pékin
redoute également les intrigues soviétiques au Turkestan;
la possession du Royaume des Neiges protégerait le corridor du Gansu,
ancien passage de la Route de
la Soie. Alors, l'occupation du Tibet a-t-elle été motivée
par des considérations stratégiques? C'est difficile à
dire, cet argument n'ayant jamais été clairement invoqué.
On se contentera de rappeler, sans insister,
que, pour quelques commentateurs occidentaux, Mao Tsé Toung serait
la réincarnation de Vajrapani (boddisattva du pouvoir) et qu'il
aurait conquis le Pays des Neiges pour ramener les dignitaires de ce pays
au respect des vrais principes bouddhistes et aussi afin de permettre l'essaimage
de sa religion à travers le monde! Ce point de vue osé, évidemment
combattu par le Dalaï lama, peut prêter à sourire. Mais
il doit être considéré à la lumière de
la mentalité asiatique. Les Tibétains n'ont-ils pas déjà
assimilé la reine d'Angleterre à la laie adamantine et tout
détenteur du pouvoir n'est-il pas obligatoirement plus qu'un homme
normal, une sorte de demi-dieu? Mao a bel est bien quasiment été
divinisé en Chine. Les gens qui lui avaient serré la main
ne se lavaient pas de plusieurs jours et se déplaçaient à
travers le pays pour serrer d'autres mains et diffuser ainsi l'énergie
du grand timonier. On prétend que Mao se livra à des pratiques
tantriques taoïstes et maintint toute sa vie une intense activité
sexuelle pour accroître son énergie vitale. En dépit
du retour à l'économie de marché on continue de rendre
à sa dépouille mortelle, place Tien An Men, un culte presque
religieux.
Quoi qu’il en soit, les troupes communistes
chinoises commencent à envahir les régions frontalières
du Tibet en octobre 1950, comme les troupes impériales l'avaient
déjà fait 45 ans plus tôt.
La petite armée tibétaine résiste courageusement par
endroit et s'effondre ailleurs. Quarante mille soldats chinois attaquent
les huit mille soldats tibétains du Chamdo. Le gouverneur, Ngabo,
sollicite des instructions de la part du gouvernement central. Celui-ci,
qui célèbre une fête annuelle dans les jardins du Norbulingka,
ne soupçonne pas la gravité de la situation; il laisse le
message sans réponse. Le gouverneur prend la fuite. Il deviendra
par la suite un des plus fervents adeptes de la soumission du Tibet à
la Chine et sera soupçonné de trahison.
Les missionnaires français des marches
sichuanaises sont arrêtés.
Des dissensions se font
jour dans la résistance. Beaucoup de Khampas refusent de s'enrôler
sous les bannières du pouvoir de Lhassa qu'ils abhorrent; des tribus
khampas ne supportent plus l'arbitraire des gouverneurs envoyés
par le pouvoir central; les frères Pangda rejoignent même
les rangs de l’Armée populaire de libération chinoise. Les
guerriers du royaume de Nangchen se joignent également aux troupes
chinoises pour libérer l'Amdo de la présence de Ma Bufeng
qui s'enfuit au Caire avec ses femmes; il y vivra jusqu'à sa mort
du produit de ses rapines. Le clergé gelugpa est divisé;
les fidèles du Panchen lama font des voeux pour le triomphe des
Chinois; d’autres conseillent au Dalaï lama de se soumettre. Le découragement
gagne nombre d'officiels tibétains. Une première conférence
se déroule au Chamdo entre des émissaires chinois et Ngabo.
Le Tibet ne peut compter
sur aucune aide: son existence n'est pas officiellement reconnue; il n'entretient
aucune relation diplomatique avec l'extérieur; l'Angleterre n'a
plus à défendre un empire des Indes devenu indépendant;
la Russie est alliée à la Chine. Les États-Unis soutiennent
Taïwan qui défend la thèse de l'appartenance du Tibet
à la Chine; pour l'Amérique, après la seconde guerre
mondiale, le Tibet fait partie intégrante de la Chine, comme le
montre une carte de National Geographic de 1945 accessible ici.
La France n’a jamais eu à se louer du comportement des dirigeants
de Lhassa à l'égard de ses ressortissants, de plus elle doit
faire face à une rébellion indépendantiste en Indochine.
La guerre de Corée bat son plein et les grandes puissances ont d'autres
chats à fouetter. Les voisins du sud (Népal, Inde, Cachemire...)
ne s'entendent que sur un point: ne pas s'attirer les foudres des nouvelles
autorités de Pékin. Le Népal est d'ailleurs agité
par des troubles; le roi doit même temporairement se réfugier
en Inde; le parti communiste népalais voit son audience augmenter
et Katmandou préfère garder profil bas, afin que la Chine
feigne d'ignorer qu'une partie du territoire tibétain a été
conquise par les Gurkhas au 19ème siècle. Le recours à
l'ONU n'éveille aucun écho, ou presque: celui du Salvador,
un peu plus tard! L'Inde proteste cependant mollement. Pékin réplique
qu'il s'agit d'une affaire intérieure qui ne regarde pas les étrangers.
Enfin, la pénétration chinoise
au Tibet est facilitée par l'excellente tenue des soldats communistes
qui tranche avec la brutalité exercée dans le passé.
Les populations et les monastères sont respectés. Aucune
spoliation n'est autorisée. On paie rigoureusement tous les biens
nécessaires à l'alimentation et à l'entretien des
troupes. Les Tibétains ont l'impression d'être envahis par
une armée de bouddhas!
Le 14ème Dalaï lama, âgé
d'à peine 16 ans, n'a pas encore atteint sa majorité. Après
consultation de l'oracle, il est intronisé par anticipation pour
mettre l'envahisseur devant le fait accompli et l'empêcher de placer
le Panchen lama à la tête du Tibet. On rapproche prudemment
le souverain tibétain de la frontière indienne; il se réfugie
au monastère de Tungkar, afin de parer à toute éventualité.
Cinq millions de dollars américains, en or et en argent, traversent
l'Himalaya à dos de mulet. Ils constitueront le trésor de
guerre du futur exilé.
1951: Des délégués
envoyés auprès des Nations Unis ne dépassent pas l’Inde.
Aucun État important n'est disposé à soutenir le Tibet
devant l'organisation internationale. Pourtant, l'invasion de ce pays va
rappeler son existence dans l'arène internationale et lui gagner
la sympathie de beaucoup de gens, en premier lieu, bien sûr, de ceux
qui sont anticommunistes. Les grandes puissances, quant à elles,
continuent de mener la politique prudente qui fut la leur un demi siècle
plus tôt.
Ngabo et d'autres émissaires tibétains
partent pour Pékin; le Dalaï lama adresse un cable à
Mao lui promettant d'oeuvrer pour la pacification du Tibet et sa coopération
avec la Chine. Dans la capitale chinoise, les envoyés du Tibet sont
reçus par Chou En Lai lui-même, ce qui prouve l'intérêt
que la Chine accorde à la question tibétaine. Un accord en
17 points (il est ici)
est négocié (ou plutôt imposé), avec la participation
du Panchen lama. Ce texte admet la souveraineté de la Chine sur
le Tibet. Il valide l'entrée des forces armées chinoises
et donne compétence au gouvernement chinois en matière de
relations extérieures. En compensation, la Chine s'engage à
ne remettre en cause ni la religion, ni le gouvernement du pays. Les réformes
ne seront introduites qu'après consultation des dirigeants tibétains
et sans faire usage de la contrainte. La révolution au Tibet est
renvoyée aux calendes grecques, ce qui montre que les visées
de Pékin sont surtout territoriales.
Le premier dessein du Dalaï lama est de
dénoncer rapidement ce texte. Washington, faisant volte face, l'encourage
en ce sens. Le gouvernement américain l'incite à fuir en
Inde puis à se réfugier aux États-Unis. L'armée
chinoise ne lui en laisse pas le temps. Elle déferle sur le pays
et parvient à Lhassa avant que les malles ne soient bouclées.
Le Dalaï lama ne peut que s'incliner et entériner l'accord.
Les réformes envisagées dans l'urgence, pour améliorer
le sort de la paysannerie et couper l'herbe sous les pieds de la propagande
communiste, sont venues trop tard. Elles n'entreront jamais en application.
Pendant une dizaine d'années, le Parti
communiste chinois va cohabiter avec l'une des dernières théocraties
féodales du monde. Beaucoup de Tibétains des classes supérieures,
qui admettent la nécessité de réformes, adhèrent
à ce pacte. A condition de conserver leurs privilèges, ils
paraissent disposés à collaborer avec le nouveau régime
chinois pour construire des routes, des hôpitaux et des écoles
dont bénéficieront leurs compatriotes. La création
d'un réseau routier, rapidement entreprise, désenclavera
le Tibet et facilitera la pénétration étrangère.
Des milliers de paysans sont forcés de quitter leurs champs pour
participer à cette oeuvre collective qui aurait coûté
la vie à un Tibétain par kilomètre! Mais l'aristocratie
de Lhassa, qui se rend souvent en Inde et s'est laissée gagner par
le mode de vie occidental, voit plutôt les côtés positifs
que les côtés négatifs de cette entreprise. Elle n'est
d'ailleurs pas la seule dans ce cas, le lama Chögyam Trungpa, qui
s'exilera plus tard, reconnaît, qu'au Kham, les Chinois ont commencé
par ouvrir des écoles, où l'enseignement est dispensé
en chinois et en tibétain, et que les réactions des gens
du pays sont favorables. Mais, dès le début les religieux,
en dépit de la cordialité affichée par les Chinois,
ont redouté le pire et un sentiment d'insécurité s'est
répandu parmi eux. Il est évident que les deux idéologies,
qui viennent d'entrer en contact, sont incompatibles et qu'elles ne peuvent
pas cohabiter longtemps sans se renier, dès lors un conflit est
inévitable.
Réactivation de la région autonome
de Tashilumpo confiée au Panchen lama.
Gedun
Chompel meurt d'une cirrhose du foie quelques semaines après
l'entrée des Chinois à Lhassa. Il accueille cette invasion
comme la réalisation de ses prédictions. Ses disciples lui
rendent hommage en le faisant incinérer comme un dignitaire.
Un poème de Gedun Chompel est
ici .
Kapshopa est rappelé par le gouvernement
prochinois qui le nomme directeur des Travaux publics. On notera que Pékin
s'appuie sur les dignitaires de l'ancien régime plutôt que
sur les progressistes. C'est compréhensible: la plupart de ces derniers
sont nationalistes.
1952: En juillet, le Dalaï lama reçoit
à Tungkar l'envoyé de Pékin chargé des affaires
tibétaines et, sur ses instances pressantes, il rentre à
Lhassa. L'influence politique du Panchen lama est renforcée. Mais
Mao Tsé Toung estime que le Tibet n'est pas mûr pour le communisme;
aussi décide-t-il d'appliquer les réformes avec beaucoup
de lenteur et de prudence, ce qui met dans l'embarras les Tibétains
progressistes, dont la curiosité naturelle avait été
piquée; un vaste programme de modernisation est cependant entrepris,
d'après Tucci. Ces mesures, ainsi que les
conditions de leur mise en oeuvre, suscitent un certain malaise.
Les missionnaires français du Sichuan
sont expulsés. C'est la fin des missions françaises au Tibet.
1953: Des réformes foncières
d'inspiration marxiste entrent en application à l'est du Tibet.
La distribution de terres à des paysans chinois entraîne des
actes d'opposition aux réformes. Le désarmement de populations
traditionnellement guerrières est perçu comme une mesure
vexatoire. La collectivisation prive les cavaliers de leurs chevaux, ce
qui est pire que de leur arracher le coeur. Les abbés des monastères
sont contraints de faire leur autocritique. Les réformes et la présence
d'une armée nombreuse, qui multiplie les bouches à nourrir,
entraînent une grave pénurie alimentaire.
Création de l'Association bouddhiste
de Chine, courroie de transmission entre le Parti et la religion.
Le Tibet cesse de payer le tribut qu'il devait
au Népal.
Le premier recensement montre que la
zone urbaine de Lhassa compte environ 30 000 résidents, dont 4 000
mendiants, et plus de 15 000 moines.
1954: Le Dalaï lama, le Panchem lama et
le Karmapa, accompagnés d'autres dignitaires, se rendent à
Pékin pour participer à l'Assemblée qui donnera une
nouvelle constitution à la Chine. Le Dalaï lama se souviendra
de la première poignée de main qu'il échange avec
Mao Tsé Toung; le jeune homme ressent chez son interlocuteur une
énergie qui l'impressionne et il continuera à le respecter
dans le futur. Le Dalaï lama est élu vice-président
de la République populaire de Chine. Un Comité préparatoire
de la Région autonome du Tibet est créé; présidé
par le Dalaï lama, il comprendra cinquante et un membres; on y trouve
des dignitaires religieux et des laïcs dont certains sont favorables
aux idéaux communistes.
Une inondation ravage la ville de Gyantse.
Dans cette région pratiquement dépourvue d'arbres, la montée
des eaux est aussi rapide que brutale.
Un traité signé entre l'Inde
et la Chine reconnaît la souveraineté de cette dernière
sur le Tibet. La question des frontières n’est pas tranchée.
.
|
Mao
à Pékin entre le Panchen lama et le Dalaï lama |
.
Washington décide la mise en oeuvre
du plan visant à soutenir les forces anticommunistes au Tibet par
l'intermédiaire de la CIA.
1955: En février, les deux dignitaires
gelugpas célèbrent les fêtes du nouvel an à
Pékin. Le Dalaï lama prononce un discours dans lequel il remercie
le gouvernement chinois des avantages qu'il a accordés au Tibet
et exprime des voeux pour un avenir meilleur.
Le Xikang est rattaché au Sichuan.
Les minorités nationales doivent mettre
en oeuvre les réformes de collectivisation qui ont eu lieu dans
le reste de la Chine. Seul le Tibet central est excepté, probablement
en application de l'accord en 17 points. Les réformes sont lancées
à grande échelle au Kham et en Amdo, dans les territoires
depuis longtemps sous administration chinoise, où les propriétés
foncières des monastères sont mises en cause. La sédentarisation
des derniers nomades est imposée, sans grand succès. Les
manifestations sporadiques se transforment en révolte au Tibet oriental.
Les premières attaques d'entreprises et de cadres chinois ont lieu.
La "Rébellion Kanding" se développe
dans le Kham et se propage dans le Tibet oriental. Des représentants
du gouvernement chinois sont assassinés. Des combats sans merci
se déroulent. Des atrocités sont commises de part et d'autre.
Si les soldats chinois ont cessé d'être des bouddhas, les
combattants khampas ne sont pas devenus des anges: ils coupent le nez à
certains de leurs prisonniers. Des villages et des monastères sont
détruits. Les victimes se comptent par milliers. Les troupes chinoises
sont refoulées du Tibet en maints endroits. Une guerre commence
qui durera près de vingt ans et causera la mort de nombreuses personnes
(certains parlent de 1,5 millions de soldats chinois tués!?). Le
témoignage de Chögyam Trungpa montre cependant que les différentes
régions du Kham furent affectées diversement par les troubles;
malgré l'inquiétude qui s'était emparée de
son esprit, cet important lama continue d'exercer son sacerdoce à
peu près normalement jusqu'en 1959; certes, les nombreux réfugiés
propageaient de bien mauvaises nouvelles mais les administrateurs chinois
et les soldats, parmi lesquels figuraient des jeunes Tibétains,
ne manifestaient pas d'attitude particulièrement hostile à
l'égard du bouddhisme; il ressort de ce témoignage que les
deux motifs principaux de la révolte furent le désarmement
des populations et les atteintes portées à la religion.
Sur le chemin du retour,
le Dalaï lama conseille la prudence et la modération aux Tibétains.
Mais le pays est déjà à feu et à sang. Il écrit
un poème à la gloire de Mao Tsé Toung qui servira
la propagande chinoise.
Rapgya Pangda Tsang, qui fonda le Parti progressiste
tibétain, s'enfuit en Inde. Il n'est pas le seul à y chercher
refuge.
Le Karmapa se rend au Kham, à la demande
du Dalaï lama, pour assumer le rôle de conciliateur entre les
Tibétains locaux et les militaires chinois. Il négocie un
accord de paix de cinq ans. Il se rend ensuite au Sikkim et de là
entreprend un pèlerinage.
L'Inde abandonne à la Chine le contrôle
du réseau téléphonique, télégraphique
et postal du Tibet.
1956: Inauguration à Lhassa du Comité
Préparatoire pour la Région autonome du Tibet par le maréchal
Chen Yi, ministre des Affaires étrangères de Chine. Il est
chargé d'établir les bases d'une constitution tibétaine.
Le Dalaï lama en est président et le Panchen lama premier vice-président.
Installation, à Lhassa, par les Chinois,
d'un Bureau des Affaires religieuses dirigé par le deuxième
tuteur du Dalaï lama. Il exerce son autorité sur l'ensemble
des monastères tibétains.
Mise en place d'un réseau d'aide aux
rebelles tibétains par la CIA et Taïwan. Rapgya Pangda Tsang,
le frère aîné du Dalaï lama, Thubten Norbu, réfugié
aux USA, et Gyalo Thondup, autre frère du Dalaï lama, qui réside
à Formose (Taïwan), où il a épousé la
fille d'un dignitaire de la Chine nationaliste, sont les pièces
maîtresses de ce réseau. Quelques centaines de combattants
tibétains sont entraînés dans le Colorado pour être
ensuite parachutés au Tibet. Les USA interviennent dans la question
tibétaine, mais ils sont davantage guidés par la volonté
de contenir le communisme chinois que par le souci d'aider le peuple tibétain,
l'avenir le prouvera, comme le passé le laissait prévoir.
L'APL (armée populaire de libération
chinoise) revient en force pour mettre un terme à la rébellion.
Le siège est mis devant le monastère de Litang. Il durera
plusieurs mois. Tous les moyens modernes, y compris les bombardements aériens,
seront utilisés. La violence de la répression ne permet pas
de rétablir la paix, malgré les appels du Dalaï lama
en ce sens.
La Chine règle forfaitairement le solde
du tribut que le Tibet était tenu de payer au Népal. Ce pays
reconnaît la souveraineté chinoise sur le Toit du Monde. Chou
En Lai est reçu par le nouveau roi népalais. Ce voyage inaugure
une série d'autres visites que les dirigeants des deux pays échangeront
dans les années suivantes. Le Népal continue de faire preuve
d'une très grande prudence vis-à-vis de la Chine.
Création par Gompo Tashi Andrugtsang
du mouvement clandestin "Quatre fleuves, six montagnes".
Le Dalaï lama, le Karmapa et le Panchen
lama se rendent en Inde pour participer aux cérémonies d'anniversaire
de la mort du Bouddha, sur l'invitation de la Mahabodhi Society indienne.
Chou en Lai les y rejoint bientôt. Le Dalaï lama se plaint à
Nerhu de la tournure prise par les événements; mais, malgré
les appels du pied qui lui sont réitérés, il préfère
rentrer chez lui, d'ailleurs incité fortement à la faire
par Chou en Lai. Tiraillé entre les prochinois et les partisans
de la rébellion, il pense toujours que la voie moyenne finira par
l'emporter.
Dans une monographie qu'il vient de publier,
Joseph Rock cite les paroles d'un Golok de l'Amdo: "Un
Golok naît avec la connaissance de sa liberté et, avec le
lait de sa mère, il ingère une certaine conscience des lois
qui le régissent. Elles n'ont jamais été dénaturées.
Il apprend à manier les armes pratiquement dans le ventre de sa
mère. Ses ancêtres étaient des guerriers - des hommes
braves et sans peur, tout comme aujourd'hui nous en sommes les valeureux
descendants. Nous ne prêterons pas l'oreille à un étranger
et nous n'obéirons qu'à la voix de notre conscience avec
laquelle chaque Golok pénètre dans ce monde. C'est pour cela
que nous avons toujours été libres, comme nous le sommes
encore maintenant, et que nous ne sommes les esclaves de personne - ni
de Bogdo khan (Bogdo Gegheen, kutuktu de Mongolie) ni du Dalaï
lama. Notre tribu est la plus respectée et la plus puissante au
Tibet et nous pouvons regarder avec condescendance à la fois les
Chinois et les Tibétains." Une
telle hauteur de langage montre à quel point l'unité nationale
du Pays des Neiges était encore discutée, malgré la
menace chinoise, en plein 20ème siècle.
1957: Le Dalaï lama désavoue ses
frères réfugiés à l'étranger et les
prive, avec d'autres personnalités exilées, de la nationalité
tibétaine. Les autorités chinoises décident de s'engager
dans la voie des négociations. Ils reconnaissent que des erreurs
ont été commises, que leurs représentants ont fait
preuve de chauvinisme et renoncent à mettre en oeuvre les réformes
jusqu'en 1962.
Une antenne de l'Association bouddhiste de
Chine est ouverte à Lhassa.
L'est du pays, malgré les tentatives
de résolution du conflit, est toujours en proie à la guerre.
L'armée chinoise est frappée d'impuissance: le pays est vaste;
il est impossible de protéger complètement les voies de communication;
les rebelles, très mobiles sur leurs chevaux, se livrent à
des raids meurtriers, puis se réfugient dans les montagne, où
ils échappent facilement à leurs poursuivants, qui ne sont
pas rompus au combat à des altitudes aussi élevées.
Ils s'abritent contre les avions dans les grottes où ils sont pratiquement
invulnérables. Les Chinois doivent faire face au Tibet à
des difficultés de même nature que celles que rencontreront,
quelques années plus tard, les soviétiques en Afghanistan.
Des villageois du Kham, fuyant la guerre, se réfugient dans la région
désertique du Chang Thang, qui servait naguère de lieu de
déportation; beaucoup y périront de faim et de misère.
Les combattants khampas prennent cependant
conscience de la vanité de leur lutte s'ils ne parviennent pas à
y entraîner l'ensemble du Tibet. Accusant les hommes du gouvernement
tibétain de lâcheté, ils envahissent le centre du pays,
avec pour objectif de les chasser de Lhassa, sans remettre toutefois en
cause la personne sacrée du Dalaï lama. L'unité du pays
une fois réalisée, sous l'égide d'un gouvernement
nationaliste, ils pensent pouvoir amener la Chine à composition.
Parallèlement, des milliers de réfugiés, fuyant les
combats qui ensanglantent l'est du Tibet, cherchent un asile dans la région
centrale, où les réformes contestées ne sont pas encore
entrées en application, et où ils pensent trouver la sécurité
à proximité du Dalaï lama.
Un groupe de marchands du Kham organise des
rites de longue vie pour le Dalaï lama et collecte des fonds pour
lui offrir un trône en or. Le mouvement "Quatre Fleuves, Six Montagnes"
prend prétexte de cette collecte pour structurer son organisation
et identifier ses objectifs. Ceux qui s'appellent entre eux les "soldats
de la forteresse de la foi" estiment pouvoir compter sur 80 000 combattants.
Le trône sera offert au Dalai-Lama dans son palais d'été;
la cérémonie revêtira une signification politique.
Les Khampas attaquent les garnisons chinoises
et les chantiers de construction de routes. Les forteresses du Lhoka, région
située au sud du fleuve Tsangpo (Brahmapoutre) et frontalière
du Népal, tombent aux mains de la résistance.
1958: Le "Grand bond en avant" provoque
au Tibet, comme en Chine, une famine qui va faire des dizaines de milliers
de victimes. Jamais auparavant de telles difficultés alimentaires
n'auraient été rencontrées au Tibet.
Les autorités chinoises lancent la campagne
des "Quatre Liquidations" (rébellion, opposition politique,
privilégiés, exploiteurs). Les représentants modérés
de la Chine au Tibet sont accusés de favoriser le nationalisme tibétain.
Des monastères sont transformés en casernes, en bâtiments
administratifs et en hôpitaux. Pékin demande au Dalaï
lama d'envoyer les troupes tibétaines combattre les rebelles. Le
Dalaï lama refuse: l'armée tibétaine risquerait de rejoindre
la rébellion.
Les membres du mouvement "Quatre Fleuves,
Six Montagnes" se constituent en Armée des volontaires pour
la défense nationale (AVDN). Certains auteurs prétendent
cependant que cette armée existait déjà. Les combattants
tibétains, dont chacun fait le serment d'éliminer dix soldats
chinois, cherchent à se doter d’une nouvelle base territoriale.
Les pertes civiles, entraînées
par les opérations militaires, jettent le trouble dans la classe
politique prochinoise. Une tentative de création d'un parti communiste
tibétain avorte. Son promoteur est expédié dans les
geôles chinoises. Des militaires chinois désertent et rejoignent
les rangs des insurgés. Des parachutages d'armes américaines
renforcent la résistance.
L'atmosphère devient pesante à
Lhassa où affluent les réfugiés chassés de
leurs villages par les combats. Des rebelles se dissimulent facilement
dans leurs rangs. Ils s'infiltrent au sein même de la capitale. Des
contacts sont noués avec des membres de l'aristocratie locale. Mais
une méfiance invétérée freine ce rapprochement.
Il existe en effet une incompatibilité culturelle profonde et immémoriale
entre les dignitaires raffinés de Lhassa, toujours enclins au compromis,
et les rudes guerriers pillards, jamais totalement soumis, de l'est du
Tibet. Des coups de feu nocturne commencent à retentir dans la cité.
Maladroitement, les Chinois chassent de la capitale une partie de
ses habitants mâles; ils vont grossir les rangs des rebelles.
L'avenir paraît d'autant plus sombre
que l'oracle consulté annonce la disparition du bouddhisme du Pays
des Neiges et sa transformation en milliers d'étoiles à travers
le monde. Les prophéties de Sakyamuni, de Padmasambhava et du précédent
Dalaï lama sont-elles sur le point de se réaliser? Le premier
n'a-t-il pas annoncé que, 2500 ans après sa mort, le bouddhisme
se répandrait au pays des faces rouges et le second que lorsque
l'oiseau de fer volerait dans le ciel et que le cheval serait pourvu de
roues, les bouddhistes tibétains seraient dispersés comme
des fourmis et que le bouddhisme parviendrait au pays des hommes rouges?
Le pays des faces rouges et celui des hommes rouges sont évidemment
les États-Unis d'Amérique, patrie des indiens. Quant aux
terribles paroles du testament du 13ème Dalaï lama, elles sont
présentes dans toutes les mémoires.
1959: En février,
un émissaire des rebelles réussit à pénétrer
jusqu'au Dalaï lama. Cette rencontre ne donne aucun résultat.
Le pontife continue de prôner la tolérance et se refuse à
envisager tout recours à la violence qui, à ses yeux, ne
peut que rendre la situation encore plus compliquée. Il est en période
d'examen et n’a pas le loisir de prêter toute l'attention qu’il faudrait
à la situation.
Une campagne anti-chinoise est lancée
dans tout le Tibet. La garnison de Tsedang (3 000 hommes), située
à 45 km de la capitale, tombe entre les mains des insurgés.
Le 3 mars, l'oracle consulté conseille
au pontife tibétain de rester à Lhassa.
Le 5 mars, le Dalaï lama se rend dans
son palais d'été.
Le 7 mars, il accepte une invitation
à un spectacle théâtral dans un camp militaire de l'armée
chinoise.
Le 9 mars, la population s'attroupe autour
du palais d'été pour l'empêcher de se rendre à
l'invitation des autorités chinoises. Les manifestants, parmi lesquels
figurent plusieurs Khampas armés, redoutent un enlèvement
du Dalaï lama et veulent s'y opposer. Un ministre, qui se rendait
en jeep au palais, est violemment pris à partie par la foule qui
scande des slogans antichinois. Il doit être conduit à l'hôpital.
Le Dalaï lama prévient par téléphone les Chinois
qu'il lui est impossible de se rendre à leur invitation. Un moine
prochinois, ami du Dalaï lama, armé d'un revolver, qui tentait
d'entrer à bicyclette dans le palais, est poignardé par un
Khampa puis lapidé à mort par la foule qui l'a identifié;
son cadavre, placé sur un cheval, est promené à travers
les rues de la capitale.
Le palais d'été est cerné
par les Khampas. Un gouvernement insurrectionnel, le Comité de Libération,
s'installe au Potala. Ses premiers actes sont la dénonciation de
l'accord en 17 points. Les soldats chinois sont invités à
quitter le Tibet et à regagner leur pays. Plusieurs personnages
du pouvoir qui s'effondre passent à la rébellion. La garde
du Dalaï lama se mutine à son tour, malgré les appels
au calme de ce dernier. La défection gagne d'autres unités
de l'armée tibétaine. Les ministres du Dalaï lama sont
mis en état d'arrestation par les rebelles. Les armes de l'arsenal
sont distribuées aux manifestants.
Le Dalaï lama, désemparé,
entretient une correspondance secrète avec le général
commandant l'armée chinoise à Lhassa. Il pense que tout espoir
de ramener son peuple à la raison n'est pas perdu. Finalement, il
est lui même placé en résidence surveillée par
les rebelles. Leur intention est de le garder sous main pour l'utiliser,
comme le firent les Chinois, afin de légitimer leur pouvoir et entraîner
l'ensemble du Tibet à leur suite. Ils projettent de le transporter,
avec ou sans son consentement, au milieu de leurs troupes.
A partir de là, les versions divergent,
même en s'en tenant aux témoignages hostiles à la Chine.
Selon les uns, les troupes chinoises auraient reçu l'ordre de Pékin
de ne pas exercer de représailles sur la foule tant qu'elles ne
subiraient pas d'attaque de sa part et cet ordre aurait été
respecté jusqu'au 19 mars. Selon les autres, deux obus tirés
par les Chinois auraient éclaté le 17 mars dans l'enceinte
du palais. Quoi qu'il en soit, ce jour là, le souverain tibétain,
déguisé en soldat khampa, est conduit en camion hors du palais
d'été, vers une région difficile d'accès, au
sud est de Lhassa, fermement tenue par les guérilleros. Pour les
uns, il vient d'être enlevé; pour les autres, il s'est enfui.
Si l'on s'en tient aux lettres échangées entre le Dalaï
lama et les Chinois, soit le souverain tibétain a fait preuve d'une
grande duplicité, soit il n'envisageait pas de partir à ce
moment. La thèse de l'enlèvement est donc loin d'être
invraisemblable; à tout le moins peut-on supposer qu'il s'est laissé
forcer la main.
Le 19 mars, après avoir essuyé
des tirs provenant du palais d’été, selon les partisans de
la thèse de leur passivité, les Chinois ripostent. La population,
qui ignore le départ du Dalaï Lama, pense que son existence
est menacée. La bataille ne tarde pas à embraser la ville.
Dans la nuit du 21 au 22 mars, la plupart des
combattants khampas abandonnent le palais d'été, qu'ils ne
peuvent plus défendre, après avoir achevé leurs camarades
blessés. Il ne reste que quelques isolés qui se rendent le
matin suivant aux assaillants. Dans la ville, trois tanks progressent en
direction du Jokhang. L'un d'eux est détruit mais un autre enfonce
le grand portail du temple.
Peu à peu, la résistance cesse.
Les coups de feu ne s'entendent plus que sporadiquement. Un appel informe
la population de l'enlèvement du Dalaï lama et l'invite à
déposer les armes en l'assurant qu'il n'y aura pas de représailles.
Les Khampas, suivis par une partie des habitants, prennent la fuite. Les
monastères des environs de la capitale capitulent les uns après
les autres, non sans avoir résisté et essuyé d’importants
dégâts.
Le nombre des victimes ne sera jamais connu.
L'estimation la plus vraisemblable le porte à au moins 10 000 morts.
Plusieurs milliers de personnes sont arrêtées. Deux nouveaux
gouvernements voient le jour, l'un mis en place par les Chinois, l'autre
par le Dalaï lama. Les Khampas ne tardent pas à s'apercevoir
que la présence de ce dernier dans leur rang va focaliser sur eux
les efforts des militaires chinois. Le départ du souverain vers
l'Inde s'impose alors comme une nécessité. Cette idée
n'est pas pour déplaire au Dalaï lama qui la caresse en secret
depuis plusieurs années.
Le 29 mars, le souverain tibétain atteint
la frontière. Il est accueilli avec réserve en Inde. Ce pays
redoute des complications avec son puissant voisin. Les réfugiés
en provenance du Tibet sont dirigés vers le camp de Missamari, en
Assam, où nombre d'entre eux mourront de misère. Beaucoup
ne supporteront pas le climat humide et chaud de l’Inde et la tuberculose
les décimera. D'autres seront employés à la construction
de routes et leur sort ne sera guère plus enviable. Ces difficultés
ne tarissent pourtant pas leur flot qui va s’écouler pendant plusieurs
années. Peu à peu, des organisations caritatives atténueront
leurs difficultés. Mais il faudra du temps avant que l'aide ne se
mette en place.
En avril, le Dalaï lama dénonce
l'accord en 17 points signé, dit-il, sous la contrainte. Un premier
gouvernement en exil s'installe à Mussoorie, dans le nord de l'Inde.
Vers la même époque, le lama Chögyam
Trungpa, décide de quitter le Tibet. Il a donné le récit
de cette évasion, motivée par les événements
qu'il apprend par la rumeur publique. Des moines sont arrêtés,
d'autres fusillés, des monastères sont pillés et endommagés;
de nombreux religieux prennent la fuite, accompagnés par des fidèles,
sans trop savoir où se rendre; ils croient encore trouver la sécurité
au Tibet central, qu'ils pensent toujours soumis au Dalaï lama. La
résistance essaie de recruter parmi eux avec un succès mitigé;
Chögyam Trungpa, pour ce qui le concerne, se refuse à faire
usage des armes. Il rencontre la reine du royaume de Nangchen,
elle aussi sur le chemin de l'exil, en dépit de l'alliance nouée
par ses troupes avec celles de Mao Tsé Toung pour chasser Ma Bufeng
de l'Amdo. Les Chinois sont particulièrement sévères
avec les gens riches; ils les obligent à porter les vêtements
de leurs domestiques et ces derniers à endosser les habits de leurs
maîtres. Les prisonniers sont employés aux travaux de la voierie
et les lamas doivent curer les latrines. Les fugitifs se perdent dans le
dédale des montagnes et des cols; leur nourriture s'épuise
et ils en sont réduits à manger de la soupe de cuir bouilli.
Au passage du Brahmapoutre, dans des canoes rudimentaires en peau de yak,
ils sont dispersés par une attaque des Chinois; beaucoup sont pris,
mais plusieurs de ceux-ci échapperont ultérieurement à
la vigilance, semble-t-il peu sévère, de leurs gardiens;
ils gagneront l'Inde, après bien des tribulations. Les soldats et
des habitants des villages voisins récupèrent les bagages
abandonnés par les fuyards, puis se lancent à leur poursuite.
Chögyam Trungpa traverse une région qu'il dit être le
Pemakö, en compagnie de quelques
rescapés; des Bönpos s'y seraient réfugiés, au
8ème siècle, lors de la pénétration du bouddhisme
au Tibet; plus tard, des ermites s'y seraient retirés; les habitants
rencontrés se prétendent bouddhistes, mais leur comportement
est fortement influencé par le bön; les enfants y chassent
les petits oiseaux pour les rôtir et s'en égaler; on s'y nourrit
de plats à base de cuir bouilli et on y boit une boisson alcoolisée
de riz fermenté. Enfin, les derniers membres de l'équipée
atteignent la frontière indienne. |
.
.
L'administration
chinoise
Le départ du Dalaï
lama laisse les Chinois libres de diriger le Tibet comme ils l'entendent.
Dans un premier temps, la version d'une révolte des seigneurs et
des abbés propriétaires de serfs est accréditée.
La sinisation du pays est menée tambour battant parallèlement
à la répression de la guérilla. Elle entraîne
de nombreuses exactions qui culmineront avec la révolution culturelle.
La carte du Tibet est redéfinie. Plusieurs régions sont rattachées
à la Chine. La Région autonome du Tibet ne recouvre guère
que l'U-Tsang. La politique chinoise n'a pourtant pas été
constante depuis 1959. Elle a comporté de nombreuses adaptations
qui se sont traduites par des périodes d'ouverture et d'autres de
fermeture. Où en est-on aujourd'hui? Quel sera le sort réservé
au Tibet dans l'avenir? Il est bien difficile de répondre à
ces questions.
Le Karmapa, qui a pris les devants, en s'enfuyant
au Bouthan, passe au Sikkim où il restaure l'ancien monastère
de Rumtek qui devient son nouveau siège. La Chine, privée
du Dalaï lama et du Karmapa, s'en console en mettant en avant la seconde
figure de la lignée gelugpa, le Panchen lama, traditionnellement
prochinois, qui est resté au Tibet. Il est nommé président
du Comité préparatoire de la Région autonome du Tibet.
La lutte contre les Khampas et leurs nouveaux alliés s'accentue.
De nombreux jeunes Tibétains, formés en Chine, sont renvoyés
dans leur pays pour encadrer la population.
On accrédite la version d'une révolte
des propriétaires de serfs en enlevant des monastères et
demeures seigneuriales les grands fouets et les instruments de torture.
Selon la propagande chinoise, la classe dominante s'efforçait de
conserver ses privilèges par la contrainte. Il est très probable
que l'extension des réformes communistes au Tibet central est une
conséquence directe de la rébellion qui ne souhaitait certainement
pas cela.
D'après les
Chinois, le système féodal dotait les seigneurs de pouvoirs
juridictionnels et les autorisait à incarcérer leurs sujets
rebelles dans des geôles privées. Les prisonniers étaient
soumis à un système raffiné de tortures. En cas de
condamnation lourde, on plaçait sur leur tête un chapeau de
pierre et on les énucléait. On les obligeait à manger
leurs intestins. On les promenait dans les rues tirés par une corde
nouée à l'une de leurs clavicules. De petits drapeaux de
papier, qui se balançaient dans le vent, étaient accrochés
à des morceaux de bambous effilés que l’on enfonçait
dans leurs doigts. Un jus de gomme bouillant était égoutté
à travers un tamis sur leur corps dénudé. Les condamnés
à mort étaient enfermés dans une peau de yack avant
d'être jetés dans un fleuve. D'autres fois, on les précipitait
du haut d'une falaise, non sans leur avoir, au préalable, arraché
les muscles des jambes, coupé le nez et brisé les rotules.
En cas de peine légère, on enchaînait les prisonniers,
on les flagellait, on leur fouettait le visage... la flagellation étant
la peine la plus commune.
Certains de ces châtiments barbares figurent
effectivement dans les codes édictés par les souverains tibétains
et d’autres ont bien été employés au cours du temps.
Etaient-ils encore appliqués au 20ème siècle? Si les
Chinois étaient seuls à l’affirmer, l’information serait
évidemment suspecte. Malheureusement, l’usage de l’énucléation,
de la peine du fouet et de la cangue, est corroboré par plusieurs
autres témoignages*, comme il ressort de cette chronologie. Chögyam
Trungpa, une réincarnation d'un grand lama qui se réfugiera
en Occident, rapporte la bastonnade infligée à un musulman
coupable d'avoir tué un animal sauvage, à l'intérieur
d'un monastère, où la justice était rendue et la sentence
exécutée par les moines eux-mêmes, peu de temps avant
1950. Le 13ème Dalaï lama a bien aboli la peine de mort, mais
les châtiments corporels sont restés en vigueur; certes, les
moeurs judiciaires se sont adoucies depuis ses réformes, mais elles
demeurent brutales, selon les normes occidentales. La souffrance infligée
est toujours considérée comme une sorte de rachat; elle abrège
le cycle des renaissances et rapproche le condamné du nirvana!
* J'ai négligé
volontairement les témoignages d'auteurs anglo-saxons (Strong, Gelder,
Grunfeld...) qui reprennent les thèses de Pékin. A titre
d'exemple, voici ce qu'écrit Anna Louise Strong, après la
visite d'une exposition chinoise: il y avait des menottes de toutes tailles,
même pour les enfants, des instruments à couper le nez et
les oreilles, arracher les yeux, briser les mains, couper les rotules et
les talons, paralyser les jambes, éviscérer, flageller; parmi
les témoignages rapportés, il y a celui d'un berger privé
des deux mains pour avoir pris une vache à son maître, lequel
se refusait à acquitter une dette contractée envers lui;
il y a ceux d'activistes communistes dont les lèvres et le nez ont
été coupés, les femmes après avoir été
violées... Voir aussi les témoignages de Kawaguchi
et de Tucci.
Le mouvement "Quatre Fleuves, Six Montagnes"
dépose les armes à la demande du Dalaï lama. Mais d’autres
groupes de résistants poursuivent la lutte armée.
L’Assemblée générale de
l’ONU se dit gravement préoccupée par la situation au Tibet.
Toutefois l'organisation internationale n'inscrira jamais le Tibet sur
la liste des pays à décoloniser.
Hergé publie "Tintin au Tibet".
Un avion de ligne à bord duquel le jeune Chinois Tchang se rendait
en Europe s'est écrasé dans l'Himalaya. Cette histoire décrit
la recherche désespérée à laquelle Tintin se
livre pour retrouver son ami en un récit pathétique qui rompt
avec le ton extraverti des précédents albums. Elle montre
que la fidélité et l'espoir sont capables de vaincre tous
les obstacles et que les préjugés sont bien souvent les fruits
de l'ignorance. Peut-être la quête du héros belge est-elle
également orientée vers la recherche de la spiritualité.
Quoi qu'il en soit, il retrouvera Tchang sauvé par un yéti,
"l'abominable homme des neiges"!
.
|
L'image assez
réaliste mais quelque peu saint-sulpicienne du Tibet de Hergé |
.
L'émigration de nombreux érudits
tibétains va stimuler les études bouddhiques en Occident.
Aux États-Unis, ils trouveront un terrain d'autant plus favorable
que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'étude des religions
est en plein essor dans les universités. Toutefois, par rapport
à ce qu'elle était dans les monastères tibétains,
la formation au bouddhisme en Occident restera souvent superficielle. Parallèlement,
la connaissance de l'art tibétain, presque ignoré jusqu'alors,
va se répandre. Les multiples déplacements du Dalaï
lama et sa popularité favoriseront grandement ces évolutions.
1960: Installation par le Dalaï lama
du gouvernement et d’une Assemblée en exil à Dharamsala.
Mise en place, sous l’impulsion de la sœur du Dalaï lama, d’un réseau
d’écoles tibétaines en Inde.
Une dissension oppose l'entourage du Dalaï
lama et la résistance qui, à court de ressources, voudrait
utiliser le trésor de guerre du souverain. La guérilla, chassée
de ses bastions, se déplace vers le Tsang et la région soumise
au Panchen lama. Une base arrière de la guérilla voit le
jour au Mustang (Népal).
Les revendications chinoises sur les territoires
ayant appartenu aux empires tibétains et mongols entraînent
une rupture avec l'URSS. L'aide de cette dernière à la Chine
est brutalement interrompue, aggravant les difficultés nées
de l'échec du grand bond en avant. Des accrochages se produisent
au Sinkiang entre Russes
et Chinois. A partir de ce moment, l'Union soviétique va faire preuve
de compréhension à l'égard des révoltés
tibétains. Des incidents de frontière éclatent entre
la Chine d'une part, l'Inde et le Népal d'autre part.
Une carte d'identité est instaurée
au Tibet pour contrôler les déplacements de population.
L'Assemblée générale de
l’ONU met la Chine en demeure de respecter les règles internationales
au Tibet. Mais, comme cette mise en demeure n'est accompagnée d'aucun
moyen de coercition, elle est à classer dans le domaine des voeux
pieux. D'ailleurs, Pékin est en droit d'accuser de partialité
une organisation qui lui refuse l'accès dans ses rangs.
En juin et en août, une Commission de
Juristes Internationaux publie des rapports sur le
Tibet défavorables à la Chine.
1961: Une constitution provisoire est adoptée
par les instances gouvernementales tibétaines en exil. Elle proclame
le principe de la séparation des pouvoirs. Ses fondements sont démocratiques:
égalité des citoyens devant la loi, élections libres
et pluralisme politique. L'Assemblée des députés du
peuple peut, à la majorité des deux tiers, confier les pouvoirs
du Dalaï lama à un Conseil de régence. La gestion de
type socialiste de l’État s’inspire des idéaux bouddhistes.
Sous la pression des événements, l'autocratie théocratique
a été battue en brèche. Mais, pour certains commentateurs,
ce changement est plus formel que réel, les anciennes familles nobles
restant détentrices de l'essentiel du pouvoir.
Installation à Dharamsala d'un dispensaire
qui se transformera ultérieurement en école de médecine.
Une rébellion militaire éclate
au Honan, à l'intérieur de la Chine. La situation économique
s'aggrave. Les difficultés alimentaires s'accroissent au Tibet:
l'APL doit cultiver les champs abandonnés par les Tibétains
en fuite. La disette durera trois ans. La collectivisation doit à
nouveau être différée.
Le Mustang, dépendant du Népal,
est choisi comme base d'approvisionnement par les rebelles, par suite du
changement de leur zone d'action. Ils y reçoivent l'aide de la Croix
rouge qui ne fait aucune distinction entre combattants et simples réfugiés.
Un accord entre le Népal et la Chine
prévoit la construction d’une route Lhassa-Katmandou. Elle permettra
à l'armée chinoise de se ravitailler en carburant à
partir du Népal.
En décembre, une nouvelle résolution
des Nations Unies reconnaît le droit des Tibétains à
l'autodétermination.
1962: Les accords commerciaux tibéto-britanniques,
dont l'Inde était l'héritière, sont devenus caducs.
Probablement pour des raisons de politique
intérieure, le Premier ministre indien, Nehru, décide de
se montrer plus ferme vis à vis de la Chine communiste. Les contestations
territoriales entre les deux pays portent notamment sur une région
que les autorités de Taïwan revendiquent aussi, ce qui met
les États-Unis dans l'embarras. Pékin propose des négociations
pour régler le litige. New Delhi installe un poste militaire au-delà
de la ligne Mac Mahon qui délimite la frontière depuis la
colonisation britannique. Les Chinois protestent sans résultat.
Leurs troupes passent alors à l'attaque et refoulent l'armée
indienne. Une nouvelle proposition de négociations parvient à
New Delhi qui répond en préparant une confrontation générale.
La Chine reprend alors l'offensive. Les défenses indiennes sont
enfoncées. La panique gagne l'Inde qui se voit à la merci
de son puissant voisin. Mais, à la surprise générale,
les Chinois se retirent.
La conférence de Colombo entérine
les gains de territoires réalisés par les Chinois du côté
du Ladakh. Ces territoires sont majoritairement peuplés de Tibétains.
Le reste du monde, préoccupé par la crise des fusées
à Cuba, ne s’intéresse que secondairement à se qui
se passe dans l’Himalaya.
Ces événements rendent le Népal
encore plus circonspect. Bien sûr, il est impossible d'interdire
l'accès du pays aux rebelles tibétains qui, étant
de même origine que beaucoup de Népalais, peuvent se fondre
facilement dans la population du royaume. Il n'en demeure pas moins qu'une
vigilance accrue des autorités va gêner la résistance
tibétaine.
L’Inde, en revanche, accepte de former, avec
le concours de la CIA et un armement fourni par Washington, une Special
Frontier Force (SFF) de 10000 hommes composée de combattants tibétains.
La SFF dispose d’une base principale à Chakrata, près de
Dehra Dun, où enseignent des experts américains, ainsi que
d’une base radio dans l’Orissa, au sud de Calcutta, pour recueillir les
messages clandestins émanant du Tibet.
1963: Pékin essaie en vain de pousser
le Panchen lama à dénoncer le Dalaï lama et à
le remplacer.
Taïwan s'efforce d'inféoder la
résistance tibétaine et de la faire passer pour une rébellion
nationaliste chinoise. Il en résulte un conflit ouvert entre ceux
qui reçoivent ses subsides et les autres qui les considèrent
comme des traitres.
Un 13ème Sharmapa est reconnu. La lignée
des Sharmapas est réhabilitée, après une interruption
de près de deux siècles!
En mars, des scientifiques chinois arrivent
en Amdo pour y installer une usine nucléaire.
1964: Le Panchen lama, qui désavoue
l'arrestation massive des moines, voudrait infléchir la politique
chinoise. Il se refuse à condamner publiquement le Dalaï lama.
Il rédige un mémoire aux 70 000 caractères très
critique à l'égard de la politique menée par Pékin
au Tibet. Devant plus de 10 000 personnes, il ose même réclamer
l'indépendance et termine son discours par un retentissant «Vive
le Dalaï lama!» La réaction des autorités
chinoises ne se fait pas attendre. Il est privé de ses fonctions
officielles, arrêté, emprisonné pendant dix ans, puis
placé en résidence surveillée en Chine pendant huit
autres années.
Une manifestation d'étudiants se déroule
à Lhassa.
La Chine procède à la construction
d'un site d'essais nucléaires au Sinkiang.
Un complexe militaro-industriel a été construit en Amdo,
près du lac Kokonor,
l'Académie N° 9, où seront conçues les bombes
atomiques chinoises A et H. Il en résulte des dommages causés
à l'environnement dont il est difficile d'évaluer l'ampleur.
Mao Tsé Toung, qui est persuadé qu'une guerre avec les États-Unis
aura lieu tôt ou tard, veut convertir le Tibet en un sanctuaire où
la résistance et la reconquête pourront s'organiser si les
Américains envahissent l'Est de la Chine. Des usines d'armement
auraient alors été aménagées sous les montagnes.
L'intérêt géopolitique de la possession du Tibet pour
la Chine est évident, outre ses ressources minières et hydrauliques:
si un ennemi de Pékin venait à prendre pied sur le Toit du
Monde, la révolution chinoise serait menacée comme elle ne
l'a jamais été.
New-Delhi accueille des U-2 américains
sur la base de Charbatia.
Timothy Leary, Ralph Metzner et Richard Alpert
publient "L'Expérience psychédélique: un manuel
fondé sur le Livre des morts tibétain". Les auteurs de
cet ouvrage interprètent le texte bouddhique comme une description
des phases par lesquelles passent les utilisateurs d'hallucinogènes.
Nous sommes à l'époque des Hippies, du Peace and Love et
de l'expansion de la consommation des stupéfiants, notamment en
Amérique du Nord. C'est un nouvel exemple des récupérations
auxquelles certains esprits peuvent être tentés de se livrer
en sollicitant des textes provenant d'une autre culture, difficiles à
comprendre et à traduire, qui comportent souvent un sens caché
réservé aux seuls initiés. Le caractère artificiel
d'un tel détournement du rituel mortuaire tibétain est trop
évident pour qu'on s'y attarde davantage.
1965: Le Dalaï lama réclame la
tenue d’un référendum au Tibet sur la question de l’appartenance
à la Chine.
Ouverture d’un camp de concentration au nord
du lac Kokonor (Qinghai) ou la durée de vie aurait rarement dépassé
trois ans. D’autres sont déjà en activité dans le
reste du pays. On y meurt d’épuisement, de mauvais traitements et
de malnutrition. Je n’ai jamais lu que les déportés y étaient
systématiquement tués dès leur arrivée, comme
dans certains camps nazis (Auschwitz, par exemple). On ne saurait donc,
sans exagération, les assimiler aux camps de la mort hitlériens.
Création de la "Région autonome
du Tibet". Le Tibet se composait autrefois de trois régions
administratives: l'U-Tsang, l'Amdo, et le Kham (voir
la carte). L'U-Tsang, délimité par les chaînes
montagneuses de l'Himalaya, du Karakorom et du Kunlun, comprenait l'ouest
et la partie méridionale du centre du pays. Cette région
couvrait, au nord, l'ouest du Chang Thang, ou Plateau du Nord; à
l'ouest, les bassins amont des fleuves Senge Khabab (Indus) et Langchen
Khabab (Sutlej); au sud, le bassin du fleuve Tsangpo (Brahmapoutre) et
ses affluents; et à l'est, le bassin du Gyalmo Ngulchu (fleuve Salouen).
L'Amdo, ou Dhomey, borné par les monts Gangkar Chogley Naingyal,
Kunlun et Yagra Tagtse, s'étendait sur la partie nord-est du pays.
La région comprenait à l'est du plateau du Chang Thang, le
vaste bassin Tsaïdam, aride mais riche en minéraux, et les
bassins en amont des fleuves Zachu (Mékong), Drichu (Yang Tsé
Kiang ou Fleuve bleu) et Machu (Houang-Ho ou Fleuve jaune). Le Kham, ou
Dhotoe, ceinturé par les monts Khawakarpo, Minyak Gangkar et Trola,
couvrait le sud-est du pays, notamment les bassins centraux des fleuves
Gyalmo Ngulchu, Zachu et Drichu, et les terres fertiles qui les bordent.
La Chine remodèle profondément
le pays. La "Région autonome du Tibet" (RAT) ne correspond
plus grosso modo qu'au seul U-Tsang; le Qamdo, partie ouest de l'ex-Xikang
(Kham), lui est cependant incorporé. La quasi totalité de
l'Amdo a été rattachée au Qinghai, une province chinoise;
la partie la plus au sud a été intégrée au
Sichuan. Le Kham a été incorporé dans une large mesure
au Sichuan (est de l'ex-Xikang); une petite partie a été
rattachée à la province chinoise du Yunnan; Entre 1950 et
1957, les régions de Kanlho et Pharig, dans l'Amdo, ont été
transférées à la province chinoise du Gansu, et la
région d'Altyn Tagh, dans le nord de l'U-Tsang, au Turkestan oriental
(le Xinjiang ou Sinkiang
chinois). Il semble ainsi que les régions les plus turbulentes sont
rattachées directement aux provinces chinoises pour laisser une
certaine autonomie à la région centrale plus calme, sans
doute parce que les réformes ne l'ont atteinte que tardivement.
Il convient de souligner que l'Amdo et au moins une partie du Kham sont
revendiqués depuis longtemps par la Chine, ces terres ayant été
conquises par le Tibet au moment où il était une puissance
majeure de la région; où devrait s'établir objectivement
la frontière? Qui le sait? Il faut toujours garder présent
à l'esprit que, lorsque la Chine et les exilés tibétains
parlent du Tibet, ils se réfèrent à une ère
géographique différente; pour la Chine, il s'agit de la RAT
et, pour les exilés, c'est le Tibet
historique.
Le démembrement du Tibet n'a pas commencé
au 20ème siècle, mais beaucoup plus tôt. Le nord du
Tibet échappa à la juridiction de Lhassa dès le 11ème
siècle, pour donner naissance au royaume tangoute ou Mi-nyag
ou dynastie des Xia occidentaux (1032-1227), avant de tomber sous la domination
mongole. Au 18ème siècle, après la victoire des Chinois
sur les Qoshots, la création du
Qinghai, pris sur l'Amdo, et le rattachement de fractions du Kham au Sichuan
et au Yunnan entérina la disparition de l'influence mongole sur
les hauts plateaux. Par ailleurs, à la même époque,
le Népal s'empara du Mustang, un petit royaume peuplé de
Tibétains, qui reste cependant encore aujourd'hui à demi
indépendant. Enfin, l'Arunachal Pradesh, le Sikkim et le Ladakh,
sous administration indienne, ainsi que le Bhoutan peuvent aussi être
considérés comme des régions d'origine tibétaine;
la souveraineté de l'Inde sur l'Arunachal Pradesh, ou Tibet du sud,
est d'ailleurs encore contestée par les autorités chinoises.
On est dans la période des "Trois
Contre" (rébellion, corvées, servage) et des "Deux
Réductions" (fermages et taux d’intérêt).
Visite officielle de Chen Yi à Katmandou.
L'ONU dénonce la violation continuelle
des droits fondamentaux des Tibétains. Mais cette dénonciation
d'une organisation qui lui refuse une place dans ses rangs laisse la Chine
communiste impavide.
Tuesday Lobsang Rampa publie "Le Troisième
Oeil". L'auteur s'y présente comme un lama tibétain qui
raconte ses tribulations. Il aurait volé grâce à un
cerf-volant, aurait rencontré le Dalaï lama au Potala, ce serait
rendu dans les grottes situées sous ce palais où reposeraient,
dans des cercueils de pierre, les corps d'ancêtres géants,
aurait vu un Yéti, aurait visité une vallée enchanteresse
située au milieu d'un désert, aurait conversé avec
un chat doué de parole... L'ouvrage a été généralement
dénoncé comme étant une supercherie. La véritable
identité de l'auteur a été découverte à
la suite d'une enquête diligentée par un détective.
Le soi disant lama tibétain de haute extraction n'était qu'un
Anglais de bien médiocre naissance. Le livre n'en fut pas moins
un succès de librairie traduit en plusieurs langues. Pour se défendre
contre les attaques de ses détracteurs et pour arrondir ses revenus,
T. L. Rampa écrivit une vingtaine d'ouvrages de la même veine
que le premier. Il est intéressant d'examiner brièvement
quels sont les ingrédients qui ont présidé à
la faveur durable du public occidental pour cette fiction. D'abord, bien
sûr, l'attirance pour le Tibet mystérieux, ensuite un merveilleux
familier teinté de modernisme, des références à
des événements historiques plus ou moins dramatiques, enfin
une couleur locale superficielle puisée probablement dans la lecture
de récits authentiques. Bref, tout simplement ce qui se trouve à
la base de bien des romans à succès. Le risque de voir se
multiplier les témoignages frelatés devrait inciter à
la prudence. Mais comment s'assurer de leur authenticité?
1966: Mao Tsé Toung, qui sent son autorité
menacée au sein du Parti communiste, appelle la jeunesse chinoise
à relancer l'esprit révolutionnaire. La révolution
culturelle commence. Elle entraînera de nombreuses exactions dans
toute la Chine. Des nuées de jeunes gardes rouges se répandent
à travers le pays, en brandissant le petit livre rouge. Ils s’en
prennent aux "Quatre Vieilleries" (idées, culture, coutumes,
habitudes). La Chine devient la proie d'un gigantesque monôme. Les
autorités en place sont mises en cause. Toute trace du passé
doit être effacée.
Des émeutes estudiantines éclatent
à Lhassa. En juin 2006, au cours d'une visite à Labrang,
le guide chinois m'affirmera qu'aucun Tibétain ne fut jamais garde-rouge.
Pourtant, plusieurs témoignages crédibles
montrent que des Tibétains furent gardes rouges. Seuls s'en étonneront
ceux qui pensent que les habitants du Pays des Neiges sont d'une étoffe
différente de celle des autres hommes. Le 24 août 1966, le
lycée de Lhassa et l'Ecole de formation d'enseignants du Tibet créent
le premier mouvement de gardes rouges tibétains. On y adhère
comme à une religion, et on se livre à de nombreux excès,
quitte à le regretter plus tard. Des milliers de temples sont rasés.
Des dizaines de milliers de moines et nonnes sont défroqués,
mariés de force ou mis à mort. Les objets cultuels en métaux
précieux sont pillés et fondus. Les gardes rouges s'en prennent
même à l'APL et à son chef, jugé réactionnaire
parce qu'il entend sauver le Potala. Un conflit violent et meurtrier les
dresse les uns contre les autres tandis que les opérations de guérilla
se poursuivent. Les gardes rouges ne constituent pas un ensemble homogène;
des factions les divisent et ces factions s'opposent le 7 juin 1968 dans
le Jokhang. Le général qui commande l'armée chinoise,
un vétéran de la lutte révolutionnaire, est rappelé
à Pékin. Les gardes rouges exultent. Leur triomphe sera de
courte durée. Le général revient bientôt. Le
pouvoir central a compris que les outrances de ses jeunes supporters nuisent
à la cause chinoise. Le Potala ne sera pas détruit. L'influence
modératrice de Chou en Lai a prévalu. Le palais-monastère
du Dalaï lama est sauvé une fois de plus; on se souvient que
les Anglais, en 1904, avaient déjà
envisagé de le faire sauter.
Des religieux eux-mêmes s'enrôlent
dans les rangs de la faction ultra-révolutionnaire des gardes rouges
chassée de Lhassa. Une nonne, Trinley Chödron, mêle croyances
religieuses et idéologie révolutionnaire pour enflammer ses
adeptes. Elle se dit la réincarnation de la déesse Ani Gonfmey
Gyemo, instructrice du roi Gesar de Ling, le héros de la littérature
populaire tibétaine, en même temps que le bras droit de Mao
Tsé Toung. Son armée des dieux, malgré ses supposés
pouvoirs magiques, n'en sera pas moins détruite par l'APL, après
s'être livrée à de nombreuses exactions allant jusqu'à
la mutilation de personnes, au cours de l'année 1969, dans la régiond
Nemyo, entre Lhassa et Shigatse.
.
Nous marchions avec fierté sous le
regard du président Mao, chacun porte un livre rouge, [...] en criant
vive le président Mao! [...] Il nous a donné sa Révolution.
[...] j'avais pris conscience que j'étais déjà au
coeur de la nouvelle Chine.
Tashi Tsering, ancien garde
rouge tibétain
|
.
En octobre 1970, une vingtaine de jeunes gens,
condamnés à mort, sont fusillés publiquement à
Lhassa. La Révolution culturelle, au Tibet comme ailleurs, visait
à détruire le vieux monde, mais elle s'en est pris d'abord
aux dirigeants du parti critiques à l'égard de la politique
conduite par Mao Tsé Toung. Ce mouvement de la jeunesse n'avait
rien de spécifiquement antitibétain.
D'après un témoignage golok,
dans l'Amdo, les Tibétains doivent chaque matin énumérer
les tâches qu'ils pensent accomplir durant la journée devant
un portrait de Mao. Le soir ils reviennent rendre compte devant le portrait
de ce qu'ils ont fait. Mao est devenue une icône religieuse!
Des parachutages soviétiques auraient
été effectués dans le désert du Chang Thang
(nord-ouest du Tibet) pour fournir des armes aux combattants tibétains.
Ces livraisons, qui n'ont pas été prouvées de manière
formelle, seraient cependant restées symboliques par rapport à
l'aide des États-Unis.
Visite officielle du prince héritier
du Népal en Chine. Le royaume redoute toujours que la Chine ne lui
réclame la restitution des territoires qu'il a conquis sur le Tibet
au 19ème siècle. Il doit se montrer accommodant.
1967: Rattachement d'une école d'astrologie
traditionnelle à l'école de médecine de Dharamsala.
Le Dalaï lama commence une série
de visites à travers le monde pour y soutenir sa cause.
Première publication à Delhi
de la traduction du Kama Sutra de Gedun
Chompel:
.
Quant à moi, j’ai peu de honte,
J'aime les femmes.
…
…, je me suis grandement appliqué
A la composition de ce traité
Qui est ma tâche personnelle.
Si les moines veulent le déprécier,
qu'ils le fassent.
…
L'auteur en est Gedun Chompel.
…
Un vieux brahmane lui expliqua les
passages difficiles,
Une fille du Cachemire lui donna les
instructions pratiques
Sur le divan rouge de l'expérience.
…
Que tous les simples gens vivant sur
la vaste terre
Soient libérés de la
fosse de la Loi sans merci
…
.
Les tendances nationalistes au sein du gouvernement
chinois sont renforcées au cours de la révolution culturelle.
La publication des éditions de périodiques en langues zhuang,
mongole, tibétaine, ouïgoure…, est suspendue. Les émissions
diffusées dans les langues minoritaires sont interrompues. Les dirigeants
appartenant à des minorités sont destitués, arrêtés
et emprisonnés. Le Premier ministre du Tibet, un prochinois de toujours,
est incarcéré. Le Panchen lama passe à la trappe.
Tout ce qui fait référence aux minorités est assimilé
à des pratiques bourgeoises contraires à l'unité du
Parti.
1968: Ouverture à Sarnath (Uttar Pradesh)
d'un Institut des hautes études tibétaines rattaché
à l’université de Bénarès.
1969: Accélération de la collectivisation
des terres au Tibet. Quelques mouvements de révolte sporadiques
sont étouffés. L'abandon des techniques agricoles ancestrales,
au profit de nouveaux modes de culture, mal adaptés aux conditions
tibétaines, va aggraver les difficultés économiques.
1970: Les premières communes populaires
sont créées. La collectivisation sera achevée en 1975.
La population tibétaine est soumise à de violentes séances
de rééducation.
Mise en exploitation d'un important gisement
de chromite sur le plateau tibétain.
En octobre, le Congrès Tibétain
de la Jeunesse est créé à Dharamsala.
1971: Création à Dharamsala d'une
bibliothèque destinée à la conservation de la mémoire
du Tibet.
La Chine commence à installer des éléments
de sa force de frappe nucléaire en Amdo.
Rapprochement sino-américain. Les États-Unis
interrompent leur aide aux combattants tibétains réfugiés
au Mustang. Cette aide est d'ailleurs restée limitée et s'est
avérée inefficace. Il est vrai que les États-Unis,
empêtrés dans une guerre qu'ils vont perdre, celle du Vietnam,
ne pouvaient sans doute pas faire mieux. Désormais, ils abandonnent
les combattants tibétains à leur sort. Ceux-ci ont le tort
de ne plus être en ligne avec la politique de Washington.
Aux yeux des Américains comme des Russes,
objectivement alliés contre la Chine, les combattants tibétains
n'étaient que des pions que l'on utilisait mais pas au point de
compromettre les intérêts de son pays. Il serait naïf
de le leur reprocher car c'est la politique traditionnelle des grandes
puissances.
Proclamation en Chine des "Quatre Libertés
Fondamentales" (pratique religieuse, petit commerce, prêts à
intérêt et engagement de domestiques).
La Chine communiste prend la place de Taïwan
au Conseil de Sécurité de l’ONU.
1972: Le Dalaï lama crée un ministère
de l'Information et des Relations extérieures. Des publications
vont diffuser le point de vue des exilés. Des bureaux vont être
ouverts dans les grandes métropoles mondiales.
Richard Nixon, président des États-Unis
rencontre Mao Tsé Toung à Pékin.
1974: Le Dalaï lama donne l'ordre d'interrompre
la lutte armée. Cet ordre fait l'objet de contestations.
S'appuyant sur l'ordre du Dalaï lama,
et pour faire plaisir à Pékin, le Népal met fin à
l'activité des combattants tibétains manu militari.
Certains chefs se suicident; d'autres sont incarcérés. Des
documents saisis au Mustang sont transmis aux autorités chinoises,
leur facilitant ainsi le démantèlement des réseaux
de la résistance intérieure. La résistance tibétaine,
si on fait exception de l'Inde qui l'a un temps instrumentalisée
à son profit, n'a pas bonne presse si près des frontières
de la Chine. Le Bouthan accusera même les Tibétains en exil
de comploter contre son gouvernement.
1975: Le petit royaume du Sikkim, peuplé
de Tibétains, cesse d'être indépendant. Il est absorbé
par l'Inde.
Une nouvelle constitution est adoptée
en Chine. Des dispositions, relativement restrictives, accordent la liberté
d'expression linguistique aux minorités nationales. Des prisonniers
politiques sont libérés.
Francesca Fremantle et Chögyam Trungpa,
célèbre lama kagyupa, publient en anglais une nouvelle version
du "Livre des morts tibétains". L'accent y est mis sur l'art
de surmonter la dualité. Il s'agit d'une interprétation psychologique
avec de longs passages sur les névroses, la paranoïa et les
tendances inconscientes. Chögyam
Trungpa (1940-1987) mourra des suites de divers excès après
s'être notamment employé à former en Occident une milice
de guerriers du Shambala destinés
à participer militairement au triomphe du bouddhisme.
1976: Le Dalaï lama,
sur les conseils de l'oracle de Nechung, interdit la pratique du culte
rendu à Shugden. On peut penser
que cette décision vise à préserver l'image non violente
du bouddhisme tibétain en Occident que ce culte risquerait de remettre
en cause. Les partisans de Shugden, qui défendent le maintien de
la suprématie des Gelugpas sur les autres écoles, sont traités
de fondamentalistes, de talibans du bouddhisme, par leurs adversaires.
Ils s'opposent à la politique de regroupement des différentes
écoles, bön compris, poursuivie par le Dalaï lama. Mis
au ban de la communauté tibétaine, voire menacés de
mort, ils vont dénoncer le comportement sectaire et antidémocratique
du Dalaï lama.
Mort de Chou En Lai puis de Mao Tsé
Toung. Arrestation de la bande des quatre, dont fait partie la veuve de
Mao.
1978: Le Dalaï lama se dit prêt
à retourner au Tibet s'il est convaincu que les Tibétains
sont heureux sous l'administration chinoise. La Chine se déclare
disposée à oublier la trahison du chef spirituel et à
l'accueillir.
Les Tibétains sont autorisés
à se rendre à l’étranger.
Une aide financière gouvernementale
est promise pour aider à la reconstruction de deux cent monastères.
Le Panchen lama rompt ses voeux de célibat
et épouse une Chinoise avec qui il aura une fille.
1979: Changement du gouverneur du Tibet. Le
Dalaï lama est autorisé à y envoyer quatre missions
d'enquête. Une première délégation, conduite
par son frère aîné, arrive à Pékin. Pour
la Chine, tout est négociable sauf l'indépendance.
Le Dalaï lama se rend aux États-Unis.
Il y expose sa vision de l'avenir fondée sur une synthèse
de la compassion bouddhiste, des idéaux socialistes, de la non violence
et du respect de l’environnement.
Valéry Giscard d’Estaing, président
de la République française, visite le Tibet. Le Pays des
Neiges, jusqu'alors fermé, commence timidement à s’ouvrir
au tourisme.
1980: L'un des frères et la sœur du
Dalaï lama se rendent au Tibet. L'accueil des populations est si chaleureux
que le séjour doit être écourté.
Hu Yaobang, secrétaire général
du parti communiste, en visite au Tibet, reconnaît officiellement
que des fautes ont été commises. Le comité régional
du parti est épuré. Une politique de réformes, visant
à stimuler la production, est mise en œuvre. Des milliers de détenus
sont libérés. L'administration s'ouvre aux autochtones. La
langue tibétaine est à nouveau utilisée.
Mais la Chine n'en continue pas moins de mener
une politique de colonisation et d'immigration systématique.
Début d'une "ruée vers l'or"
au Tibet. Des dizaines de milliers de Chinois afflueraient chaque année
dans le désert tibétain à la recherche du précieux
métal, comme autrefois en Alaska. Combien font fortune? Vraisemblablement,
fort peu!
1981: Le 16ème Karmapa meurt aux États-Unis.
Les lamas du monastère de Rumtek, siège de l'école
en exil, se mettent en quête de son tulkou (réincarnation).
En attendant, la régence est confiée à plusieurs dignitaires.
Durant l'été, le Dalaï lama
procède à sa première initiation au Kalachakra hors
d'Asie, dans le Wisconsin, aux USA, pour réaliser la prophétie
de Padmasambhava selon laquelle: "Le Darma parviendra au pays des hommes
rouges lorsque l'oiseau de fer volera et que le cheval roulera." Pendant
la cérémonie, un faucon avec un serpent dans son bec aurait
été aperçu au-dessus de la foule!
Avec l'accord des autorités chinoises,
des militaires français se rendent au Tibet pour effectuer l'ascension
de sommets himalayens. L'initiative donnera naissance à la création
d'une école de guides tibétains de haute montagne formés
selon les méthodes françaises.
1982: Une délégation politique
des Tibétains en exil se rend à Pékin.
Mise en exploitation de la centrale géothermique
de Yangpatchen.
Une nouvelle constitution est adoptée
en Chine. Les droits linguistiques des minorités nationales sont
élargis. L'article 4 de la constitution stipule que toutes les nationalités
de la République populaire de Chine sont égales et que l'État
protège les droits et les intérêts des nationalités
minoritaires. Dans le même article, la constitution reconnaît
le droit aux minorités de conserver et d'enrichir leur langue. Les
personnes de toutes les nationalités sont libres d'utiliser et de
développer leur propre langue parlée et écrite ainsi
que de préserver ou réformer leurs us et coutumes. Toute
discrimination à l'égard des minorités est interdite.
Mais il est aussi rappelé que les minorités font partie intégrante
de la République et que toute action qui sape l'unité des
nationalités ou qui encourage leur sécession est prohibée.
1983: La Chine exclut que le Dalaï lama
puisse obtenir un poste de responsabilité au Tibet après
son éventuel retour.
Ouverture d’un Institut d'études bouddhiques
à Lhassa.
Une initiation au Kalachakra par le Dalaï
lama a lieu pour la première fois en Europe, en Suisse. La même
année, une autre initiation rassemble 300 000 personnes en Inde;
on dénombre une cinquantaine de morts parmi la foule! Ces cérémonies
vont se multiplier à travers le monde; on en comptera une trentaine
en 2003.
Un ancien prisonnier, libéré
en 1965, Lhalou Tsewang Dordje, devient vice-président de la Région
autonome du Tibet. Le Panchen lama, réhabilité, est vice-président
de l'Assemblée; il va s'efforcer de réduire les tensions
entre Chinois et Tibétains ainsi que de restaurer les traditions
culturelles de son pays; son retour au Tibet est marqué par des
manifestations populaires qui montrent l'attachement des simples gens à
la personne du seul hiérarque de l'école gelugpa encore parmi
eux.
En Amdo, le poète Thöndrupgyäl,
natif de la région de Repkong, publie le premier poème en
vers libres de la littérature tibétaine. Fils de paysans,
adolescent pendant la Révolution culturelle, historien et homme
de lettres, Thöndrupagyäl (1953-1985) se suicidera deux ans plus
tard, à trente-deux ans, laissant une œuvre importante.
1984: Le retour au système de production
traditionnel au Tibet est préconisé.
Une seconde délégation des Tibétains
en exil se rend à Pékin.
Le Dalaï lama reconnaît le bön
comme cinquième école du bouddhisme, ce qui n'est pas du
goût de tous les bönpos. Le pontife tibétain ne parvient
pas à unifier toutes les écoles. Mais, dans l'exil, les anciennes
rivalités s'estompent et il est parfois appelé à sanctionner
le choix des tulkou d'autres écoles. En faisant preuve d'un oecuménisme
qui dépasse largement les frontières du bouddhisme, le Dalaï
lama semble vouloir se donner la stature d'un maître de toutes les
religions.
Une loi sur l'autonomie des régions
ethniques est adoptée par le Parlement chinois. Elle organise l'autonomie
de ces régions à différents niveaux et prévoit
que la langue d'enseignement est celle de la minorité nationale.
Cependant, le chinois officiel est obligatoire à partir de la quatrième
année (second cycle) ainsi que durant le secondaire. Des dispositions
garantissent également l'accès des minorités aux médias
dans leur langue.
D'après le gouvernement tibétain
en exil, l'intervention de la Chine au Tibet aurait causé la mort
de 1,2 millions de personnes.
L'Association des Femmes Tibétaines
est reconstituée en exil.
1985: Création de l'université
de Lhassa. La politique d'ouverture se concrétise. Des Occidentaux
peuvent se rendre dans la capitale tibétaine.
Heinrich Harrer, revenu en visite au Tibet,
publie un ouvrage relatant son voyage. Il raconte que les résistants
tibétains étaient principalement des nobles, des semi-nobles
et des lamas; qu'ils ont été punis en étant contraints
d'exécuter les tâches les plus humbles, comme travailler sur
les routes et les ponts. Les autorités les humilièrent en
leur faisant nettoyer la ville avant l'arrivée des touristes.
Ils durent vivre dans un camp réservé à l'origine
aux mendiants et aux vagabonds.
1986: La Chine exige que, dans l'éventualité
de son retour, le Dalaï lama réside à Pékin plutôt
qu'à Lhassa, ce qui entraîne l'échec des négociations.
En octobre, un rassemblement oecuménique
de toutes les religions a lieu à Assise, à l'instigation
de Jean Paul II, avec la participation du Dalaï lama.
1987: Le Dalaï lama
propose un plan en cinq points qui prévoit la transformation du
Tibet, revenu à ses frontières historiques, en zone démilitarisée.
Ce plan est rejeté par Pékin.
Le grand rassemblement du Monlam Chenmo est
autorisé à nouveau pour la première fois depuis vingt
ans. Mais deux jeunes Tibétains "antisociaux" sont exécutés.
Ces exécutions entraînent de violentes manifestations antichinoises
dans la capitale tibétaine. Elles sont réprimées sans
ménagement par la police, sous les yeux de la presse internationale.
La loi martiale est proclamée. Le pays se referme au tourisme.
En octobre une réunion de scientifiques
se tient à Dharamshala afin de déterminer si les découvertes
réalisées en neurobiologie, en psychologie cognitive, dans
le domaine de l'intelligence artificielle et la théorie de l'évolution
sont compatibles avec le bouddhisme. La réponse est positive et
le Dalaï lama évoque la possibilité de combiner la science
de l'Occident avec la spiritualité de l'Orient.
Le Panchen lama crée le Kagchen, une
organisation commerciale destinée à promouvoir le développement
économique du Tibet et l'exportation de ses produits.
1988: Le Dalaï lama propose de laisser
Pékin contrôler les affaires étrangères et la
défense du Tibet en échange d'une autonomie interne. Cette
proposition, formulée à Strasbourg, devant le Parlement européen,
reste sans suite.
Une nouvelle manifestation antichinoise est
réprimée à Lhassa. On compte une cinquantaine de morts
dont plusieurs soldats chinois.
1989: En janvier, le 10ème Panchen lama
décède dans des circonstances d'autant plus suspectes qu'il
ne semblait pas malade et qu'il avait publiquement critiqué la politique
chinoise quelques jours avant; n'avait-il pas alors affirmé dans
un discours, prononcé devant des envoyés de Pékin,
que le prix payé par le Tibet, au cours des trente dernières
années, avait été trop élevé, par rapport
aux avantages qu'il en avait retiré. L'abbé du monastère
de Tashilumpo, Chadrel Rinpoche, est désigné par les autorités
chinoises pour trouver la réincarnation du dignitaire gelugpa défunt;
le Dalaï lama propose son concours qui est récusé par
Pékin; mais Chadrel Rinpoche entre secrètement en relation
avec le chef de l'école gelugpa.
En mars, Pékin impose la loi martiale
à Lhassa, après trois jours d'émeutes antichinoises
qui font plusieurs dizaines de morts. La fête du Monlam Chenmo ne
pourra pas être célébrée cette année.
Au cours des années 80, les réformes
économiques libérales entraînent une montée
du chômage en Chine. Beaucoup de gens des provinces voisines (Sichuan
et Yunnan, notamment) émigrent au Tibet, où il est plus facile
de s'installer dans une activité nouvelle. Cet afflux de population
explique sans doute en partie la frustration ressentie par les Tibétains
de souche qui réussissent moins bien que les nouveaux venus. D'importants
déplacements de population ont déjà eu lieu, on l'a
vu, en 1905 et 1938.
Le Dalaï lama reçoit le Prix Nobel
de la Paix, puis le prix de la Mémoire décerné par
"France-Libertés". L'attribution du prix Nobel de la paix
a plus à voir avec les événements de Tien An Men qu'avec
la question du Tibet. Elle doit être analysée comme une condamnation
morale de la Chine par un moyen détourné. Elle contribue
à entretenir la confusion entre deux questions différentes:
celle des droits de l'homme en Chine et celle du statut politique du Tibet.
Trente ans après, qu'est devenu le Tibet
en exil. Politiquement, l'ancienne théocratie a été
remplacée par un régime inspiré des démocraties
occidentales où le Dalaï lama n'est plus omnipotent; d'après
certains cependant, ces changements auraient gardé un caractère
formel et la réalité du pouvoir resterait aux mains de l'aristocratie;
la liberté de la presse n'existerait pas et les frasques des membres
de la famille du Dalaï lama seraient soigneusement tenues secrètes.
L'organisation d'élections, au sein d'une diaspora dispersée,
n'est évidemment pas chose facile; ni le gouvernement, ni le parlement
ne jouissent d'une réelle autorité; pour les étrangers
comme pour la plupart des Tibétains, les institutions mises en place
sont pratiquement ignorées et le Dalaï lama reste le symbole
et l'unique interlocuteur du Tibet en exil. La question fondamentale qui
se pose est d'ailleurs simple: un régime dirigée par une
réincarnation cumulant les pouvoirs spirituels et temporels peut-il
être démocratique, une politique décidée sur
la foi des oracles peut-elle correspondre à la volonté populaire?
Peut-être selon les schémas de pensée asiatiques mais
certainement pas selon ceux de l'Occident. Des écoles ont été
ouvertes; elles étaient inconnues dans l'ancien Tibet. Des monastères
ont été construits; mais les moines, privés de leurs
anciennes ressources foncières, ont dû s’adonner à
des tâches lucratives pour survivre. Grâce aux aides des organisations
caritatives, nombre de Tibétains se sont intégrés
dans les pays d’accueil où ils exercent des professions ignorées
autrefois au Pays des Neiges. Une religion, enfermée dans sa tour
d'ivoire, s'est répandue à travers le monde et s'est confrontée
aux croyances occidentales. Le Tibet de la diaspora est peut-être
encore plus éloigné du Tibet de 1959 que ne l'est celui qui
est né sous la férule de Pékin! On peut donc comprendre
que cette évolution soit critiquée par les conservateurs
qui y voient une atteinte aux fondements religieux de la société
tibétaine.
Manifestations étudiantes en Chine.
Le printemps de Pékin est écrasé place Tien An Men.
L'ancien diplomate chilien Miguel Serrano (1917-2009),
grand admirateur de l'Inde, publie de nombreux ouvrages sur le mysticisme
nazi. Il fondera même un parti nazi chilien. Pour lui, Hitler
est un tulkou qui va revenir bientôt et son ésotérisme
est le tantrisme. Les Tibétains et les Mongols seraient les vassaux
des Hyperboréens, demi-dieux blonds au corps presque transparents;
ces vassaux seraient chargés de la garde des portes d'entrée
dans leur territoire assimilable au Shambala, autrefois situé au
pôle nord puis ensuite déménagé sous l'Himalaya
et transporté, à la fin de la seconde guerre mondiale, en
Antarctique; c'est là que Hitler se serait réfugié
et il serait prêt à en revenir pour exterminer les Juifs.
L'ordre des SS serait celui du Soleil Noir, une tête détachée
de son corps, qui doit dévorer le soleil et la lune, lesquels ressortiront
purifiés par le cou tranché. Serrano aurait été
reçu plusieurs fois par le Dalaï lama en 1959, 1964 et 1992.
1990: Le monastère de Samye, reconstruit,
est reconsacré. La loi martiale est levée. Des gisements
de pétrole sont mis en exploitation dans l’Amdo.
Le Dalaï lama propose la création
d'une confédération sino-tibétaine, abandonnant ainsi
ses revendications d'indépendance. Des réformes démocratiques
sont introduites dans l'Administration tibétaine en exil.
Le Taisitupa, l'un des régents de la
lignée karma-kagyu, affirme avoir découvert, cachée
dans une amulette du défunt Karmapa, une lettre indiquant la marche
à suivre pour trouver son tulkou. Une mission est envoyée
secrètement au Tibet à cette fin.
Création d’un groupe d’études
"Problèmes du Tibet" au sein de l’Assemblée nationale
française. (Le
site du Sénat sur le Tibet est
ici )
1991: George Bush, président des États-Unis,
reçoit le Dalaï lama. Le Congrès américain reconnaît
le gouvernement en exil comme le représentant légitime du
Tibet occupé par une armée étrangère.
Une nouvelle Assemblée est élue
par la diaspora tibétaine. Une nouvelle constitution, inspirée
de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, est adoptée.
Le Dalaï lama revient sur ses propositions
de 1988. La suzeraineté de la Chine est rejetée. Faut-il
y voir une conséquence de la reconnaissance américaine?
L’Union soviétique se décompose.
Des troubles dans les anciennes républiques asiatiques pourraient
remettre en cause l'unité de la Chine. Le Turkestan chinois (Sinkiang),
voisin du Tibet, est majoritairement peuplé de musulmans. Des mouvements
islamistes pourraient le travailler si le Turkestan ex-soviétique
tombait dans cette mouvance. Cette nouvelle situation ne peut qu'inciter
Pékin à faire preuve d’autorité.
Une expédition française redécouvre
Karadong, enfouie sous les sables. Cette cité avait déjà
été retrouvée par Sven Hedin, à la fin du 19ème
siècle.
1992: Le Tibet s'ouvre à nouveau au
tourisme. Une zone économique spéciale est créée
pour les étrangers à Lhassa.
Le 26 février, le Dalaï lama fait
connaître ses directives pour la future politique au Tibet ainsi
que les bases d'une constitution qui spécifient qu'il ne jouera
plus de rôle politique au sein du gouvernement tibétain dans
le futur.
Les moines chargés de la recherche du
nouveau Karmapa reconnaissent, comme réincarnation, Ugyen Thinlay,
un enfant nomade âgé de deux ans. Le choix des moines est
approuvé par le Dalaï lama comme par les autorités chinoises.
Les retrouvailles du Karmapa avec les régents sont endeuillées
par la mort de l'un d'entre eux, dans un accident de voiture, alors qu'il
se rendait au devant du nouveau dignitaire. Celui-ci reçoit l'ordination
majeure, devant la statue de Sakyamuni, au Jokhang de Lhassa, avant d'être
intronisé le mois suivant. Mais un autre régent, le Sharmapa,
conteste cette décision, au motif que la lettre sur laquelle elle
se fonde est un faux. Il présente aux fidèles celui qui,
selon lui, est le véritable tulkou du Karmapa, un enfant de dix
ans, qu'il intronise officiellement dans un monastère de Delhi.
Les adeptes des deux parties en présence
s'accusent mutuellement d'avoir été manipulés par
les Chinois et se déchirent publiquement. Les événements
de cet invraisemblable feuilleton, qu'il serait trop long de rapporter
en détail, se déroulent sur plusieurs années dans
une atmosphère de complots politiques et financiers auxquels les
gouvernements chinois et indiens ne sont pas étrangers. L'enjeu
principal est le contrôle de l'ordre karma-kagyu et du patrimoine
considérable du monastère de Rumtek. Ce monastère
est l'objet d'assauts des factions rivales. Des moines sont molestés
et chassés. Des vols et un meurtre auraient même été
commis. Les implications des autorités et de la police du Sikkim,
voire de l'armée indienne, sont dénoncées.
Ces querelles intestines donnent au monde le
triste spectacle de luttes d'influence qui continuent entre les clans malgré
l’exil. Ces luttes sont en grande partie les conséquences des manipulations
des puissances voisines.
Un lama tibétain, Sogyal Rinpoche, publie
en Amérique une nouvelle lecture du "livre des morts" sous
le titre "Le Livre tibétain de la vie et de la mort." L'auteur
y fait preuve d'un grand éclectisme et de références
directes au monde dans lequel vit le public auquel il s'adresse, pour rappeler
la valeur universelle du message délivré.
1993: Dans l'Amdo, en territoire golok, des
tracts appelant à chasser les Chinois sont distribués.
Réunion à Dharamsala de la première
conférence des enseignants bouddhistes occidentaux.
Tenue à Munich de la 4ème assemblée
du Comité allié des peuples du Sinkiang,
de Mongolie, de Mandchourie et du Tibet qui contestent la présence
chinoise.
1994: Le gouvernement chinois finance un plan
de 62 projets d'aide au développement économique du Tibet.
Création du Parti national démocratique
du Tibet en exil.
Découverte par une mission archéologique
française de Djoumboulak Koum, une cité fortifiée
vieille de 2 500 ans qui s'étendait sur 10 hectares. Une zone cultivée
et irrigué d'une quinzaine de kilomètres l'environnait. Plusieurs
cimetières, contenant des corps bien conservés, sont mis
à jour, ce qui permet de mieux connaître l'alimentation et
les rites funéraires de ces peuples.
Michel Peissel et son équipe parviennent
pour la première fois aux sources du Mékong. Avant eux, plusieurs
expéditions, françaises ou non, avaient échoué.
Robert A. F. Thurman publie une autre version
du "Livre des morts tibétains" qui se veut plus proche que
ses devancières du message originel.
1995: Le Dalaï lama
reconnaît le tulkou du Panchen lama choisi par Chadrel Rinpoche parmi
trois enfants possibles. Pékin, qui est au courant des tractations
secrètes de l'abbé de Tashilumpo avec le Dalaï lama,
refuse d'entériner cette nomination. L'enfant est enlevé
par les autorités chinoises; il serait retenu dans un lieu secret;
des pétitions réclament régulièrement sa libération.
Quant à Chadrel Rinpoche, démis de ses fonctions, il est
arrêté et condamné à six ans de prison.
Six militants du Parti national démocratique
du Tibet commencent une grève de la faim devant l'immeuble des Nations
Unies à New York. Cette grève sera interrompue à la
demande du Dalaï lama.
En visite officielle à Pékin,
le Karmapa, rencontre d'importantes personnalités du régime.
Découverte par Michel Peissel et son
équipe, dans une vallée perdue du Kham, de ce qui pourrait
être un fossile vivant, le cheval de Riwoche, dont la morphologie
rappelle étrangement celle des chevaux de certaines peintures rupestres.
Dans "Introduction au bouddhisme tibétain",
John Powers observe, en parlant du Tibet, que "la
grandeur du pays a inspiré des personnes en quête spirituelle
depuis des millénaires. Il n'est aucun autre lieu sur terre où
l'on puisse mieux expérimenter le vide; l'espace s'impose à
la conscience où que l'on regarde, la terre semble s'étendre
à l'infini et les larges chaînes montagneuses attirent naturellement
le regard sur le ciel ouvert."
Le 20 mars, Shoko Asahara, gourou de la secte
Aum (Vérité Suprême), et surtout psychopathe, proche
du bouddhisme tibétain, ayant dévoyé à sa manière
la vision de Shambala auprès de ses disciples, fait gazer au sarin
(une arme chimique produite dans un laboratoire du Japon par ses sectaires
illuminés) les passagers du métro de Tokyo. L'attentat tue
une douzaine de personnes et cause de très nombreuses intoxications
(environ 5 500) dans ce qui s'avère l'une des plus grandes catastrophes
contemporaines en relation avec une secte. Cette affaire est significative
des conséquences que peut avoir une interprétation fantaisiste
des mythes religieux ou philosophiques par des esprits dérangés.
Le Dalaï lama aurait rencontré au moins cinq fois le gourou
de la secte japonaise.
1996: Le 8 février,
une cérémonie de purification du cyber espace (Internet)
aurait eu lieu au Namgyal Institute. La possibilité de se réincarner
dans un ordinateur aurait aussi été évoquée.
D'ailleurs, le mot tantra n'évoque-t-il pas un réseau?
Pékin reconnaît un tulkou alternatif
à celui du Dalaï lama pour succéder au Panchen lama.
Il est sélectionné par tirage au sort, selon le principe
que Qianlong s'était en vain
efforcé d'imposer. L'existence de deux dignitaires religieux antagonistes
n'est pas une nouveauté au Tibet, mais, en l'occurrence, l'affaire
se complique du fait qu'elle oppose encore un peu plus la Chine au Dalaï
lama.
Le Dalaï lama propose des négociations
sans conditions sur l'avenir du Tibet, une proposition à laquelle
Pékin oppose la reconnaissance préalable de la souveraineté
chinoise sur le Tibet.
Les autorités chinoises entreprennent
une campagne de rééducation patriotique en direction des
moines et des nonnes pour les amener à renoncer à suivre
le Dalaï lama. Ces pressions psychologiques intempestives entraîneront
des défections parmi les personnes visées qui les ressentiront
comme un viol de conscience. Le président de l'Assemblée
de Dharamsala appelle les Tibétains de l'intérieur à
la désobéissance civile.
Au cours de conversations aux États-Unis,
le Dalaï lama émet l'opinion que, de toutes les théories
économiques modernes, le marxisme est seul fondé sur des
principes moraux, alors que le capitalisme ne s'appuie que sur la rentabilité
et le profit. Le marxisme est basé sur la distribution des richesses
et l'utilisation équitable des moyens de production. Il s'intéresse
au destin des travailleurs et des défavorisés; il se soucie
des minorités exploitées. Pour ces raisons, cette doctrine
interpelle le pontife tibétain et lui semble juste. Il prétend
se considérer lui-même comme à demi-marxiste et à
demi-bouddhiste (M. Dresser). Il semble que, pour le Dalaï lama, le
socialisme est plus compatible avec le bouddhisme que le capitalisme. C'était
aussi l'avis de Norodom Sihanouk, fondateur du parti bouddhiste socialiste
cambodgien. A peu près à la même époque, rappelons
que le pape Jean-Paul II, sans aller si loin, trouvait lui aussi un grain
de vérité dans le socialisme.
Trois bombes explosent à Lhassa. Des
groupes prônant le terrorisme comme moyen de libération (Organisation
de la Jeunesse Tigre-Léopard, Armée des volontaires pour
Défendre le Bouddhisme...) ont vu le jour au Tibet.
Des exilés tibétains
déclenchent en Angleterre une violente campagne de dénigrement
du Dalaï lama qu'ils traitent d'oppresseur et de dictateur impitoyable.
Ils s'efforcent d'obtenir des autorités britanniques l'annulation
de la visite du pontife tibétain dans leur pays. Leur opposition
est la conséquence des prises de position du Dalaï lama à
l'encontre du culte de Shugden. La Chine
aurait récupéré cette querelle afin de porter atteinte
au prestige du Dalaï lama.
Une australienne venue
tard à la littérature, après un certain nombre d'expérience
ésotériques, notamment en Indonésie, Victoria Le Page,
publie "Shambala, la fascinante vérité derrière
le mythe de Shangrila". Cet ouvrage constitue la tentative occidentale
la plus récente de propagation du mythe tibétain d'un royaume
secret. L'auteure présente ce royaume comme l'école suprême
du mystère, dont les grands prêtres appartiennent à
une société invisible, scientifique et philosophique qui
poursuit ses études dans l'isolement majestueux de l'Himalaya. Pour
elle, Shambala est le centre ésotérique de toutes les religions,
l'endroit secret d'où émanent tous les courants significatifs,
occultes et par conséquent aussi religieux, du monde: le bouddhisme
ésotérique, et les écoles sacerdotales égyptiennes
antiques, les pythagoriciens, le soufisme, les chevaliers du Temple, l'alchimie,
la kabbale, la franc-maçonnerie, la théosophie... et même
le culte des sorcières. Le Tantra de Kalachakra est la doctrine
secrète globale d'où découlent toutes les autres doctrines
mystérieuses. Le royaume mythique, régi par la règle
solaire, est situé en Asie centrale, à l'endroit où
se trouve l'axe du monde, le Mont Meru. La capitale du monde y fut d'ailleurs
établie avant la dernière ère glacière. Shambala
a disséminé de nombreuses copies de lui-même à
travers le monde: les pyramides de Gizeh, le monastère du Mont Athos,
Kailash... qui sont autant de mandalas; les lieux secrets du Graal, comme
Glastonbury et Rennes le Château, ou encore Bornholm, au Danemark,
constituent également des traces visibles de l'empire caché,
et des portes ouvertes sur lui, pour ceux qui savent en percevoir le sens.
Cet ensemble forme un réseau de points d'acupuncture d'un corps
cosmique lequel correspond au corps mystique du maître de Kalachakra
(c'est-à-dire, au sens littéral, le corps d'énergie
du Dalaï lama). V. Le Page discerne une grande horloge mystique
dans le Tantra du temps. Les rouages de cette machine enregistrent les
périodes cycliques de l'évolution du du monde; une direction
cachée, la confrérie mystérieuse des êtres immortels
de l'Himalaya, lisent les heures cosmiques inscrites sur son cadran.
Dans une conférence qui se tient à
Bonn, Robert Thurman, un universitaire américain, propagateur du
bouddhisme tibétain aux États-Unis, annonce l'effondrement
des valeurs occidentales et le remplacement de notre société
par une société monachique inspirée du bouddhisme
tibétain régit par une bouddhocratie dirigée par le
Dalaï lama. Ce projet de domination mondiale est développé
dans un ouvrage de Robert Thurman: "Inner Revolution" dans lequel
l'auteur promet la réalisation, d'une manière non violente
et par le bouddhisme, de l'idéal révolutionnaire, égalitaire
et libertaire, des années 1970 et 1980, à partir d'une image
idéalisée de l'ancien Tibet, proche du mythe du Shangrila,
très éloignée de la réalité.
1997: Le 4 février, Lobsang Gyatso,
religieux gelugpa, fondateur de l'Institut de Dialectique Bouddhique de
Dharamsala, et deux de ses élèves, sont retrouvés
assassinés de plusieurs coup de couteaux. Leurs gorges tailladées
et leurs corps partiellement écorchés suggèrent un
crime rituel. On soupçonne de ce triple meurtre des adeptes de Shugden
qui se seraient ensuite enfuis au Tibet, sous la protection des autorités
chinoises. Selon d'autres sources, les meurtriers auraient fui non pas
en Chine, mais au Népal, et le mystère qui entoure ce crime
ne sera jamais élucidé.
Le 19 février, mort de Deng Xiao Ping.
Le nouveau président chinois, Jiang Zemin, demande au Dalaï
lama de déclarer que le Tibet a toujours été "une
partie inaliénable de la Chine"
et en fait une condition à la reprise du dialogue. Cette requête
est rejetée par le Dalaï lama qui se rend à Taïwan
où il rencontre le président de l'île.
L'Administration américaine crée
un poste pour suivre les affaires tibétaines; la mission est confiée
à Greg Craig.
Des moines de Drepung pense que le Dalaï
lama va bientôt revenir au Tibet avec l'aide des États-Unis.
Le moment est donc venu d'entrer en dissidence contre la Chine.
Les représentants spirituels de plusieurs
peuples indigènes se rassemblent en France autour du Dalaï
lama afin d'élaborer un corpus international des traditions et de
présenter au public une charte commune.
La Commission Internationale
des Juristes Démocrates demande à la Commission des Droits
de l'Homme de l'ONU de désigner un rapporteur pour se pencher sur
la question du Tibet. Mais la crédibilité de cette commission
est remise en question lorsqu'on s'aperçoit qu'elle a été
créée essentiellement par des Américains et qu'elle
a été financée pendant plusieurs années par
la C.I.A. (voir
ici).
1998: Coup sur coup, deux responsables tibétains,
chargés de mettre en oeuvre la réglementation protégeant
les espèces menacées par le braconnage, sont assassinés
à Lhassa par les sbires des trafiquants.
Six membres du Congrès de la Jeunesse
Tibétaine font la grève de la faim à New Delhi pour
appuyer la demande de la Commission Internationale des Juristes Démocrates.
La police les contraint à interrompre leur grève. Un jeune
militant s'immole. D'autres écrivent
Tibet Libre avec leur sang sur leur poitrine. Le Dalaï lama condamne
ces actes mais en admire les auteurs. Ces prises de position peuvent paraître
ambiguës voire contradictoires mais elles ne le sont qu'en apparence;
le Dalaï lama se doit en effet de ménager toutes les susceptibilités
avec habileté en vue de recueillir l'adhésion des exilés
tibétains et de l'opinion publique internationale, exercice bien
difficile; la cohérence doit être recherchée dans le
but poursuivi, le triomphe de la cause qu'il défend, plutôt
que dans des actes et des paroles qui lui sont subordonnées et qui
doivent nécessairement s'adapter aux exigences des interlocuteurs
et du moment. On ne saurait non plus reprocher au Dalaï lama de dissimuler
certains aspects du bouddhisme tibétain qui pourraient paraître
choquants aux Occidentaux; ce faisant, il ne fait qu'être fidèle
à sa religion selon laquelle toute vérité n'est pas
bonne à dire, et encore moins à écrire, et qu'on doit
réserver certains enseignements à ceux qui sont préparés
à les recevoir: c'est l'un des sens des textes trésors (terma).
Au surplus, toute vérité est contingente et l'absolu ne se
rencontre que dans le nirvana!
1999: Les autorités chinoises, par le
biais d'un long commentaire de l'agence Chine Nouvelle, lancent une attaque
en règle contre le Dalaï lama, l'accusant d'être le principal
responsable des troubles sociaux au Tibet.
Trois membres du Congrès de la Jeunesse
Tibétaine poursuivent une grève de la faim de 26 jours à
Genève pour faire pression sur les Nations Unies. Promesse leur
est faite que leur demande d'examen de la question des droits de l'homme
au Tibet sera prise en considération.
La Banque mondiale accorde un prêt de
160 millions de dollars à la Chine pour installer 58000 fermiers
chinois en Amdo; les Tibétains en exil contestent cette opération
qui, selon eux, menace le nomadisme dans la région.
En mars, "L'ombre du
Dalaï lama: sexualité, magie et politique dans le bouddhisme
tibétain" de Victor et Victoria Trimondi, deux auteurs d'origine
autrichienne, anciens adeptes du bouddhisme tibétain, est publié
en Allemagne. Il sera suivi de plusieurs autres ouvrages critiques sur
la personnalité du Dalaï lama et sur la religion qu'il représente,
présentée comme fondamentalement rétrograde et idéologiquement
proche du nazisme, sous des dehors séduisants (voir
ici).
Conclusion d'un article de Pamela Logan relatif
à la situation des femmes tibétaines: "La
société tibétaine n'est pas intrinsèquement
accablante pour les femmes, au moins en comparaison avec d'autres cultures.
Dans le passé, les filles ont eu moins d'occasions que les garçons
de s'éduquer, et ce problème est encore d'actualité
dans des secteurs ruraux. Les différences se sont toutefois estompées
parallèlement au développement économique. La loi
chinoise est généralement favorable à la promotion
des femmes, mais elle comporte des aspects perçus négativement
dans la mesure où elle empiète sur la vie de famille. Les
lois, bonnes ou mauvaises, ne sont cependant pas imposées de manière
rigoureuse; dans les régions rurales éloignées, les
changement intervenus au cours des cinquante dernières années
n'ont que peu affecté la vie des femmes. Le bouddhisme, toujours
aussi puissant dans la société tibétaine, ne permet
pas l'égalité des chances entre nonnes et moines et il favorise
les attitudes sexistes. Les personnes favorables à l'émancipation
féminine sont de plus en plus nombreuses. Mais il reste beaucoup
de chemin à parcourir."
Le plus grand canyon du monde serait au Tibet;
profond de 5 382 mètres, long de 496 km, le Yarloung Tsangpo (Haut
Brahmapoutre) serait trois fois plus profond et dépasserait de 56
km en longueur le grand canyon du Colorado. Une équipe de scientifiques
et géographes chinois espère découvrir de nombreux
"fossiles vivants", à savoir des espèces éteintes
partout ailleurs dans le monde, dans cette gorge où le Brahmapoutre
prend sa source, à 5 590 mètres d'altitude. Dans le même
temps, début janvier 1999, une équipe d'explorateurs occidentaux
découvre, dans la gorge du Tsangpo, une chute d'eau mythique et
jusqu'à présent cachée, haute de 35 mètres.
La rivière, de 100 mètres de large, se rétrécit
jusqu'à 20 mètres, et déverse dans la vallée
avec fracas les eaux du fleuve asiatique nourri des sources de l'Himalaya
2000: A la fin de l'année
1999, le 17ème Karmapa s'enfuit du Tibet. Il arrive le 5 janvier
auprès du Dalaï Lama. Pourquoi ne s'est-il pas rendu plutôt
à Rumtek, siège de son prédécesseur? Peut-être
en raison des doutes qui agitent la communauté kagyu concernant
sa légitimité; peut-être aussi parce que l'Inde ne
veut pas voir ses relations avec la Chine se détériorer,
en permettant à un nouveau transfuge d'occuper le siège en
exil du précédent Karmapa; peut-être enfin parce que
le Dalaï lama souhaite garder auprès de lui un rival ou un
successeur potentiel, comme chef spirituel du bouddhisme tibétain,
si la Chine cherche à influencer le choix de son successeur après
sa mort.
2001: La Chine fête le 50ème anniversaire
du retour du Tibet à la "mère patrie" alors que le
Dalaï lama est reçu par le président des États-Unis,
George W. Bush.
Une loi sur la langue et l'écriture
communes nationales est adoptée par le Parlement chinois. Elle stipule
que tout groupe ethnique possède la liberté d'utiliser et
de développer sa propre langue et sa propre écriture en se
référant aux dispositions constitutionnelles et législatives
déjà évoquées.
Les attentats du 11 septembre entraînent
la création d'un front commun des grandes puissances pour lutter
contre le terrorisme. Ce vaste mouvement offre le prétexte à
un raidissement des gouvernements et à l'application de l'étiquette
terroriste à quiconque manifeste son opposition. La Chine n'est
pas le seul pays à céder à la tentation des amalgames
abusifs. Les États-Unis eux-mêmes ne s'en privent pas.
Janvier 2002: Chadrel Rinpoche
sort de prison pour être placé en résidence surveillée
en Chine.
Automne 2002 et printemps 2003: Deux délégations
de représentants du Dalaï lama se rendent en Chine et au Tibet
où elles sont accueillies avec courtoisie par les autorités.
Une visite du Dalaï lama sur les lieux saints du bouddhisme est envisagée.
Pourtant, les autorités chinoises continuent de souffler le chaud
et le froid; des libérations de prisonniers politiques sont suivies
de condamnations à mort et d'exécutions, après des
procès tenus pour inéquitables par l'opinion publique occidentale.
Victor et Victoria Trimondi
récidivent (voir
ici) en publiant "Hitler-Bouddha-Krishna, une alliance
funeste, du Troisième Reich à aujourd'hui" où
ils insistent sur les connexions entre le bouddhisme tibétain et
le nazisme.
Septembre 2004: Nouvelle visite en Chine d'une
délégation d'exilés tibétains. Les discussions
sont qualifiées de sérieuses et approfondies dans une atmosphère
franche mais cordiale. Rien de concret n'en sort mais les deux camps se
mettent d'accord pour organiser d'autres réunions.
Décembre 2004: Voyage du Dalaï
lama en Russie (République kalmouke) pour y rencontrer les bouddhistes
de ce pays. Les autorités russes restent à l'écart.
Voici, pour terminer quelques points de vue
contradictoires que j'ai glanés à travers les écrits
des partisans de la Chine et de ses adversaires. Je les ai repris sans
négliger ma propre expérience. A chacun de dégager
ce qui lui paraîtra juste.
En fin 2004, 70 % des cadres
administratifs en poste au Tibet seraient Tibétains ou membres d'une
minorité nationale, selon les dires de Pékin. Aux termes
de la loi, le tibétain serait utilisé comme langue d'enseignement
à l'école primaire où l'apprentissage du chinois n'interviendrait
qu'à partir de la quatrième. Malgré l'effort de scolarisation
consenti, les deux tiers des Tibétains seraient encore analphabètes,
selon les adversaires des Chinois. Mais les partisans de ces derniers répondent
qu'ils étaient autrefois 95%. Des journaux seraient publiés
et des émissions de radio et de télévision diffusées
en langue tibétaine. Les émissions de télévision
chinoises sont sous-titrées en tibétain. Selon des experts,
la Chine, désormais ouverte sur le monde, aurait pris conscience
de l'atout que représente sa diversité culturelle et le sort
réservé aux minorités nationales y serait meilleur
que dans bien d'autres pays d'Asie. (A
titre de comparaison, des renseignements concernant le sort des minorités
au Japon figurent ici
).
Au cours de la dernière décennie
du 20ème siècle, le Tibet s'est transformé. Des travaux
importants ont modifié la physionomie de Lhassa. La capitale a vu
sa superficie augmenter considérablement. Sa population, qui compte
quelques 200 000 personnes, a été multipliée par sept
en moins de 50 ans. Une ville chinoise nouvelle s'est édifiée
dans les faubourgs. Les espaces verts ont évidemment considérablement
reculé. Toutefois, une vaste plaine herbeuse, marécageuse
par endroits, a été préservée. Elle constitue
le poumon de Lhassa et a été rendue inconstructible. Elle
est encore, en 2004, le royaume des yacks. Des quartiers entiers de l'ancienne
cité tibétaine ont été remodelés, les
opposants disent défigurés. (Des
photos de l'ancienne Lhassa sont ici
).
De larges avenues asphaltées, de plusieurs
kilomètres de long, ont été ouvertes. La principale
porte le nom de Pékin. Elles sont décorées ça
et là de gigantesques statues dorées et l'on y rencontre
aussi parfois un chorten. L'institut de médecine tibétaine
a été démoli (ou déplacé?) et une antenne
de télévision s'élève sur la colline où
il se trouvait. Les petites maisons des quartiers voisins du Potala n'existent
plus. Elles ont été remplacées par des bâtiments
modernes de taille réduite. Ces bâtiments abritent de nombreux
commerces. Une immense esplanade dallée a été ouverte
devant le palais. Celui-ci est maintenant visible de loin et facile à
photographier dans son entier. Dans le fond de l'esplanade se dresse une
haute statue entourée de groupes de bronze hautement symboliques:
c'est le monument élevé à la gloire des "libérateurs"
chinois du Tibet. Une fontaine en orne le milieu. Un plan d'eau, visible
du haut des escaliers du palais, en flanque l'un des côtés.
Un avion militaire désarmé a été placé
au fond de la place, à côté du monument.
.
|
Le
Potala et son esplanade vus d'un satellite (source: Google earth) |
.
L'époque des rues de terre battue,
où la poussière se transformait en bourbier à la saison
des pluies, n'est plus qu'un souvenir. Des supermarchés bien achalandés,
ainsi que de nombreuses petites boutiques, s'ouvrent le long des trottoirs.
Ces commerces seraient majoritairement tenus par des Chinois. La population
d'origine chinoise est très importante à Lhassa et dans les
autres grandes villes du Tibet, mais elle reste marginale à la campagne.
La vieille ville tibétaine, autour du Jokhang, a gardé un
cachet ancien, même si les maisons d'autrefois ont presque toutes
disparu. Ses rues, encombrées d'étalages, grouillent d'une
foule empressée où, comme dans les autres villes du monde,
on risque d'être dépouillé de son argent par d'habiles
aigrefins. On y trouve surtout des souvenirs, plus ou moins authentiques,
mais aussi de nombreuses autres marchandises et services. Il y a même
des dentistes en plein air! Et, pour le tourisme sexuel, on rencontrerait
plus de 4 000 prostituées dans la cité, mais je n'en ai pas
vues. Pour se faire une idée
des transformations survenues à Lhassa, on peut se reporter à
une vidéo du "Dessous des Cartes"
déjà ancienne en cliquant
ici.
.
|
Le
Barkhor vu d'un satellite (source: Google earth) |
.
Le pays a été doté d'un
réseau routier. Quelques voies, à proximité des villes
principales, sont asphaltées et bien entretenues. Les autres ne
sont que des pistes primitives qui subissent les conséquences des
aléas climatiques. Un chemin de fer est en cours de construction.
Il devrait être opérationnel d'ici trois ans. Il mettrait
Pékin à deux jours de Lhassa par le train. Ces moyens de
communication modernes sont perçus comme des éléments
de progrès par les partisans des Chinois. Ils favoriseront les échanges
et le développement économique. Les opposants y voient, au
contraire, un indice de la volonté de Pékin d'accentuer son
emprise sur le pays et d'exploiter au maximum ses ressources minières.
Enfin, leur éventuelle utilisation à des fins militaires
inquièterait les États voisins. D'après les adversaires
de la Chine, cette puissance pillerait les richesses du Tibet, y détruirait
l'équilibre écologique en déboisant à outrance
les zones forestières, installerait sur le toit du monde des équipements
nucléaires et se servirait du désert comme d’une poubelle.
De nombreux temples, rasés pendant la
révolution culturelle, ont été reconstruits. Pour
quelqu'un qui n'a pas connu le Tibet d'autrefois, la trace des exactions
commises est pratiquement invisible, sauf dans les endroits où les
ruines n'ont pas été relevées. Mais il arriverait
encore que des temples soient démolis par suite de l'indocilité
politique de leurs moines. La population monacale a été drastiquement
réduite. Elle ne représente plus qu'une minorité et
le fardeau qu'elle faisait peser sur le pays, au double plan économique
et démographique, s'est considérablement atténué.
Voici maintenant quelques chiffres concernant
la démographie. La diversité des estimations en désorientera
plus d'un! Je les donne telles que je les ai relevées. Elles révèlent
au moins combien il est difficile de se forger une opinion. D'après
les auteurs opposés à la Chine, la population du Tibet historique
s'élevait à 6,5 millions d'habitants en 1950. Ce chiffre
est contesté par Pékin qui affirme qu'aucune statistique
n'était alors disponible. Selon un recensement national chinois
de 1953, la population globale d'origine tibétaine s'élevait
à 2,77 millions. Lors du recensement de 1990, on aurait compté
4,59 millions de Tibétains dans toute la Chine. Selon les autorités
de Pékin, la population du Tibet actuel ne dépassait pas
le million d'âmes en 1950. De cette date aux années quatre
vingt dix, l'invasion, la révolte, la répression et les troubles
entraînés par la révolution culturelle auraient causé
la mort de plus d'un million de Tibétains, selon les exilés.
Ce chiffre est évidemment invraisemblable si l'on accepte l'évaluation
chinoise de la population avant ces événements; il est considérable
dans le cas contraire. 130 000 exilés seraient établis à
l'étranger, ce qui n'est pas rien. La croissance démographique,
due aux apports extérieurs (immigrants chinois) mais aussi aux Tibétains
eux-mêmes, serait spectaculaire puisque, dans la seule région
autonome, le nombre d'habitants aurait dépassé les 2,5 millions,
c'est-à-dire plus de deux fois la population de 1950, selon les
estimations chinoises! La crédibilité de cette évolution,
en pourcentage, est renforcée par les estimations données
par une source favorable au gouvernement en exil bien que son évaluation,
en 2002, de la population du Tibet historique semble exagérée.
De nombreux enfants, qui autrefois seraient devenus moines et n'auraient
pas procréé, sont aujourd'hui pères et mères
de famille. Plus que les autres minorités nationales, les Tibétains
bénéficient d'avantages par rapport aux Han en matière
de contrôle des naissances: les pénalités fiscales
qui frappent l'ethnie majoritaire chinoise, et dans une moindre mesure
les autres ethnies, ne s'appliquent pas à eux. D'après des
sources chinoises, les familles tibétaines auraient droit à
trois enfants, mais la plupart se borneraient aujourd'hui à deux
pour les élever plus facilement; il y aurait donc un frein spontané
de la croissance démographique.
Les statistiques chinoises font état
d'une amélioration de l'économie tibétaine et des
conditions de vie de la population (croissance annuelle du PIB avoisinant
10 %, 13 années successives de bonnes récoltes de céréales,
progression annuelle du revenu des agriculteurs supérieure à
5%, croissance de la production des secteurs secondaires et tertiaires
de 8 % par an, augmentation du nombre des touristes de 22 % d'une année
sur l'autre, ces derniers avoisinant annuellement le million, progression
de l'espérance de vie de 35,5 ans en 1950 à 67 ans un demi
siècle plus tard...). Mais les adversaires de la Chine contestent
ces chiffres et affirment que les progrès obtenus l'ont été
au prix d'une dégradation accélérée de l'environnement.
La maladresse des Chinois, leur méconnaissance des conditions d'exploitation
agricole à ces altitudes, la déforestation et une utilisation
excessive des ressources serait à l'origine d'un véritable
désastre écologique. Mais, si les forêts ont beaucoup
souffert, dans les rares endroits du Tibet où il en existait, les
touristes actuels peuvent constater qu'une campagne de reboisement est
en cours. Par ailleurs, il est probable que l'exploitation minière,
la naissance d'une industrie et le stockage de déchets nucléaires
sur le plateau tibétain ont été source de pollution;
celle-ci est sans doute circonscrite compte tenu du caractère limité
des sites dans cet immense espace mais les menaces de diffusion n'en sont
pas moins à craindre en raison du système hydrographique
du Tibet d'où partent la plupart des grands fleuves de l'Asie.
Il est difficile pour un étranger de
savoir ce que pensent les Tibétains de l'intérieur. L'obstacle
de la langue rend la communication presque impossible. Ce que racontent
les guides est sujet à caution, soit dans un sens soit dans l'autre.
Les uns présentent la situation comme acceptable pour la majorité
des Tibétains, qui verraient leurs conditions de vie s'améliorer;
d'autres laissent entendre qu'ils sont les victimes d'un nouvel apartheid.
Faute de prudence, on s’expose à être le jouet de bien des
manipulations.
Les observations que l'on peut faire soi même
sont trop fragmentaires pour donner une image objective de la réalité.
Certes, les gens vaquent paisiblement à leurs activités dans
les rues des villes et les portraits des dirigeants chinois sont exposés
ostensiblement, à côté des autels religieux, dans les
maisons villageoises. Mais le renforcement des contrôles dans les
aéroports chinois, d'où partent des avions pour le Tibet,
montre que les dirigeants de Pékin sont conscients de la persistance
d'une opposition et qu'ils redoutent des actions violentes de sa part.
La figure du Dalaï lama bénéficie toujours d'une grande
ferveur de la part d'une population restée, dans sa majorité,
manifestement pieuse, mais il serait aventureux d'en tirer des conséquences
politiques. Et puis, que signifie le fait d'être Tibétain
dans un pays où, compte tenu de l'immigration et des mariages mixtes,
la population d'origine tend à se diluer?
Les opinions émises par les Tibétains
de la diaspora sont également trompeuses. Comme c'est souvent le
cas lorsqu'une fraction d'un peuple émigre, deux visions incompatibles
se sont développées: celle de l'intérieur et celle
de l'étranger. Il serait illusoire d'espérer trouver auprès
des uns ou des autres une image fidèle du Tibet.
Les Tibétains en exil ont gommé
les particularismes locaux et religieux qui les distinguaient, et parfois
les opposaient, avant l'arrivée des Chinois. Le sentiment national
identitaire, qui n'avait probablement jamais existé à un
tel degré auparavant, s'est renforcé parmi eux et les a conduit
à construire mentalement un Tibet unitaire largement mythique où
la nostalgie tient une large place. "Tous les dix li (5km) le ciel est
différent", dit un dicton du 18ème siècle; "chaque
vallée a sa façon de parler, chaque lama sa façon
d'enseigner", ajoute un proverbe du 20ème siècle. Les
Tibétains demeurés au pays ont dû, quant à eux,
vaille que vaille, s'adapter au changement dans un monde où la modernité
va de pair avec la pénétration de l'influence chinoise. Entre
les deux visions, il est probable que le fossé ne fera que se creuser
au fur et à mesure que le temps s'écoulera. D'après
National Geographic France (N° 100 - janvier 2008): "Si certains
adolescents résistent en devenant religieux, d'autres verraient
dans la Chine les promesses d'un monde meilleur et moderne."
Le récit d'un émigré en
visite sur les lieux de sa naissance m'est apparu significatif de l'écart
qui sépare ces deux regards et des difficultés que rencontre
un Occidental de bonne foi pour se forger sa propre opinion, à partir
des discours des uns et des autres. Je me bornerai à en rapporter
quelques extraits.
Le retour au pays de cet exilé a eu
lieu en 1987 et s'est effectué à l'extrême sud-est
du Tibet historique, dans une région du Kham annexée au Yunnan.
Dès l'abord, notre homme s'aperçoit que l'idée d'une
civilisation tibétaine homogène, forgée dans l'exil,
ne cadre pas avec les particularités locales qu'il rencontre. La
sinisation de la société est évidente. La langue tibétaine
locale, qui n'est d'ailleurs pas le tibétain de Lhassa, est réservée
à un usage domestique. Elle est devenue une sorte de patois. Les
Tibétains participent en foule, et avec un entrain qui le choque,
aux festivités organisées à l'occasion de l'anniversaire
de la création de la préfecture autonome, dont fait partie
son village natal.
Avant son départ, un repas de famille
est organisé au cours duquel un cadeau, présentant les progrès
accomplis, lui est remis. Un de ses cousins l'invite à éviter
en Inde les mauvaises fréquentations, c'est-à-dire les adversaires
de Pékin. Notre exilé retient avec peine son indignation.
Il mesure la largeur du fossé qui le sépare désormais
de sa famille. Voici quelles sont les conclusions qu'il en tire: "Je
venais de réaliser brutalement que nous appartenions, non pas à
des systèmes différents, mais à des mondes différents,
que nos réalités étaient complètement autres.
Entre nous, l'abîme était immense. Je venais de l'extérieur,
là où vivent les Tibétains de l'exil. La Chine est
l'adversaire, avec une dimension cosmique, la référence centrale
à partir de laquelle nous avons défini qui nous sommes. La
triste vérité est que l'occupation du Tibet, réalité
qui détermine tout pour nous, se trouvait au delà du champ
de vision de mon cousin...". La dimension
cosmique du conflit qui oppose le Tibet à la Chine mérite
d'être soulignée car elle révèle que ce conflit
n'a pas seulement des origines politiques mais aussi des origines religieuses
qui le transcendent; au cours du temps, comme le montre cette chronologie,
plusieurs empereurs de Chine (Wu Zetian, les Mandchous) ont prétendu
au pouvoir spirituel entrant ainsi directement en compétition avec
les lamas tibétains; les dirigeants actuels de la Chine, bien qu'officiellement
athées, n'ont pas renié cette tradition; de plus, la Chine
et le Tibet s'imaginent l'un et l'autre être le centre du monde.
Il faut garder cela présent à l'esprit pour décrypter
les événements qui se déroulent dans cette partie
du monde.
Notre exilé ne se sent vraiment chez
lui qu'au milieu des moines, dans un monastère reconstruit, où
il rencontre un religieux qui partage sa haine des Chinois, ennemis de
la foi. Le récit complet de cette expérience peut être
lu en cliquant
ici.
Cependant, des points de convergence existeraient
entre les Tibétains de l'intérieur et ceux de l'exil. Selon
des témoignages publiés dans la presse américaine,
ils resteraient, dans leur majorité, profondément attachés
à leur religion, ce que tout visiteur peut constater; la personne
du Dalaï lama ne serait pas en cause, cependant rares seraient ceux
souhaitant un retour pur et simple à l'ancien régime, même
parmi la diaspora. Quel crédit accorder à ces articles? Il
est bien difficile de répondre à cette question.
Pour terminer, voici une carte qui illustre
la complexité du problème qui tient en partie à ce
que personne ne s'accorde quant aux frontières du Tibet, la Chine
et les exilés, bien sûr, mais aussi les pays voisins et notamment
l'Inde.
.
.
La suite est ici
Bibliographie:
Pour établir cette chronologie, je me
suis servi des ouvrages suivants:
Pierre Bergeron: Voyages faits principalement
en Asie dans les 12ème, 13ème, 14ème et 15ème
siècles (Benjamin de Tudele, Jean du Plan-Carpin, Guillaume de Rubruquis,
Marco Polo...) - Jean Neaulme - La Haye - 1735.
Peter Simon Pallas: Voyages du professeur
Pallas dans plusieurs provinces de l'empire de Russie et dans l'Asie septentrionale
traduits de l'allemand par Gauthier de la Peyronie - Maradan - Paris -
1794.
Andrade, Bogle, Turner: Voyages au Thibet,
faits en 1625 et 1626, par le père d'Andrade, et en 1774, 1784 et
1785, par Bogle, Turner et Pourunguir, traduits par J. P. Parraud et J.
B. Billecocq - Hautpoul l'aîné - Paris - An 4 (1795-1796).
Samuel Turner: Ambassade au Thibet et au Boutan,
contenant des détails très curieux sur les moeurs, la religion,
les productions et le commerce du Thibet, du Boutan et des États
voisins; et une notice sur les événements qui s'y sont passés
jusqu'en 1793 - Traduit de l'anglais avec des notes par J. Castéra.
Avec une collection de 15 planches dessinées sur les lieux et gravées
en taille-douce par Tardieu l'aîné - F. Buisson - Paris -
an IX (1800)
J. Reuilly: Description du Tibet, d'après
la Relation des Lamas Tangoutes, établis parmi les Mongols, traduit
de l'allemand avec des notes - Bossange, Masson et Besson - Paris - 1808.
J. F. Laharpe: Abrégé de l'Histoire
Générale des Voyages - Chez Etienne Ledoux, libraire - Paris
- 1820
Huc: Souvenirs d'un voyage dans la Tartarie,
le Thibet et la Chine pendant les années 1844, 1845 et 1846 - Librairie
d'Adrien Le Clere et Cie - 1853
Krick (abbé): Relation d'un voyage
au Thibet en 1852 et d'un voyage chez les Abors en 1853 - Auguste Vaton
- Paris - 1854
Huc: Le christianisme en Chine, en Tartarie
et au Thibet - Gaume frères - Paris - 1857 et 1858 (4 volumes)
Clements R. Markham: Narratives of the mission
of George Bogle to Tibet and of the journey of Thomas Manning to Lhasa
- London - Trübner and Co - 1876
Muller (Eugène): Deux voyages en Asie
au 13ème siècle - Guill. de Rubruquis envoyé de Saint
Louis et Marco Polo marchand vénitien - Librairie Delagrave - 1888
Touche à Tout - N° 4: Les grands
Coureurs du Globe: Sven Hedin au Tibet par Charles Rabot - Avril 1909
Alexandra David-Néel: Mystiques et
magiciens du Thibet - Plon - 1929
Lafugie: Au Tibet - Préface de A. David-Néel
- J. Susse - 1950
Marco Pallis: Cimes et lamas - Albin Michel
- 1955
Anna Louise Strong: Tibetan Interviews - New
World Press Pékin - 1959
Stuart Gelder and Roma Gelder: The Timely
Rain - Travels in New Tibet - Monthly Review Press - 1964
André Guibaut: Missions perdues au
Tibet - André Bonne - 1967
F. Ossendowski: Bêtes, hommes et dieux
- L'aventure mystérieuse - J'ai lu - Flammarion - 1973
Lama Kazi Dawa-Samdup: Vie de Jetsün
Milarepa (traduction de Roland Ryser) - Librairie d'Amérique et
d'Orient Adrien Maisonneuve -1975
Lama Anagarika Govinda: Le chemin des nuages
blancs - Pèlerinage d'un moine bouddhiste au Tibet - Albin Michel
- 1975
R. E. Huc: La cité interdite - Gallimard
- 1975
Michel Peissel : Les cavaliers du Kham - Guerre
secrète au Tibet - Robert Laffont - 1976
Rolf A. Stein: La civilisation tibétaine
- Le Sycomore - L'asiathèque - 1981
Alexandra David-Néel: Voyage d'une
Parisienne à Lhassa - Plon - 1982
Michael Taylor: Le Tibet - De Marco Polo à
Alexandra David-Néel - Payot - 1985
Heather Stoddard: Le mendiant de l’Amdo –
Société d’Ethnographie - 1986
Schäfer Ernst: Unter Räubern in
Tibet : Abenteuer in einer vergessenen Welt zwischen Himmel und Erde -
Durach - Windpferd - 1989 (Il existe aussi une édition datée
de 1950)
Chögyam Trungpa: Né au Tibet -
Collection Sagesse - Buchet-Chastel - 1991
Gyalwa Tchangtchoub et Namkhai Nyingpo: La
vie de Yéshé Tsogyal - Souveraine du Tibet - Éditions
Padmakara - 1995
D. N. Tsarong: Le Tibet tel qu'il était
- Éditions Anako - Mémoires de l'Humanité - 1995
A. Tom Grunfeld: The Making of Modern Tibet
- Armonk - New-York and London - 1996
Marianne Dresser: Beyond Dogma - Dialogues
and Discourses - North Atlantic Books - Berkeley - Californie - 1996
Les Grands Explorateurs - Gründ - 1996
Laurent Deshayes: Histoire du Tibet - Fayard -
1997
Jacques Bacot: Le Tibet révolté,
vers Népémakö, la Terre promise des Tibétains
(1909-1910) - Phébus - 1997
Tibétains - 1959-1999: 40 ans de colonisation
- Autrement – 1998
Philippe Cornu: Tibet - Culture et histoire
d'un peuple - Guy Trédaniel éditeur - 1998
Michel Peissel: Un barbare au Tibet - A la
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- 1998
Giuseppe Tucci: Tibet, pays des neiges - Editions
Kailash - 1998
C. Deweirdt - M. Masse - M. Moniez: Le Tibet
- Les Guides Peuples du Monde - 1999
Tenzin Kunchap et Patrick Amory: Le moine
rebelle - Carnets de lutte de ma vie au Tibet - Plon - 2000
Francesca-Yvonne Caroutch: La Fulgurante Epopée
des Karmapas - Dervy – 2000
Michel Peissel: Le Dernier Horizon - A la
découverte du Tibet inconnu - Robert Laffont - 2001
Les Portugais au Tibet - Les premières
relations jésuites (1624-1635) - Chandeigne - 2002
Donald S. Lopez: Fascination tibétaine
- Du bouddhisme, de l'Occident et de quelques mythes - Autrement - Frontières
- 2002
Les explorateurs de l'Himalaya - N° hors-série
de la revue Alpinisme et Randonnée - Glénat - 2003
Ekai Kawagushi: Trois ans au Tibet - Éditions
Kailash - 2003
The Potala - Tibetan Administrative Office
of the Potala - Lhassa - 2004
Nicholas Rhodes, Deki Rhodes: A Man of the
Frontier - S. W. Laden La (1876-1936) - His Life and Times in Darjeeling
and Tibet - Kolkata - Mira Bose - 2006
Namkai Norbu Rinpoché: Dzogchen et
tantra - La voie de la lumière du bouddhisme tibétain- Traduction:
Bruno Espaze - Albin Michel - 2006
Fous du Tibet - Les récits des voyages
de Gabriel Bonvalot, Henri d'Orléans, Dutreuil de Rhins, Fernand
Grenard, Ovché Narzounof et Sven Hedin présentés par
Chantal Edel - Les Éditions des Riaux - Septembre 2007
Heinrich Harrer: Sept ans d'aventures au Tibet
- Arthaud - 2008
Le bouddhisme tibétain - Le Monde des
Religions - N° 30 - Juillet-août 2008
Claude B. Levenson: Le Tibet - Que sais-je?
- Presses universitaires de France - 2008
Tashi Tsering: Mon combat pour un Tibet moderne
- Golias - Cet ouvrage, rédigé avec le concours de l'anthropologue
américain Melvyn Goldstein, relate les tribulations d'un tibétain
peu fortuné, né en 1929, doué pour les études,
qui fut soustrait à sa famille pour entrer au service du Dalaï
lama. Il eut la chance d'aller étudier aux États-Unis. Très
critique à l'égard de l'ancien Tibet, il revint dans son
pays au moment de la révolution culturelle. Suspect, il fut arrêté
et ne fut réhabilité qu'en 1978. Il participa ensuite à
la création d'écoles pour alphabétiser les jeunes
tibétains. Bien que favorable à la modernisation du Tibet,
il regrette la perte d'identité qui en découle et se trouve
donc en porte à faux auprès des exilés comme du côté
du gouvernement chinois. Son témoignage est donc d'autant plus intéressant
qu'il semble moins entaché d'esprit de parti. Il a été
traduit et publié en Chine dans une version édulcorée
compatible avec la ligne officielle
Victor & Victoria Trimondi: The Shadow
of the Dalai Lama - Cet ouvrage, très critique à l'encontre
du bouddhisme tibétain et du Dalaï lama, est accessible sur
Internet
Jianguo Li: Cent ans de témoignages
sur le Tibet - Reportages de témoins de l'histoire du Tibet - China
Intercontinental Press - Date de publication inconnue
Jack Lu : Les deux visages du Tibet - Publibook
- 2013.
J'ai aussi consulté de nombreux sites
Internet ainsi que des revues (Grand Reportages, National Geographic France...).
On peut se reporter notamment à l'ouvrage d'un auteur américain
"Le Lion des Neiges et le Dragon" en cliquant
ici.
Une version chinoise abrégée
de l'histoire du Tibet est ici
.
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