Les tribulations du caporal britannique Baker au Sikkim et au Tibet
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Le caporal Henry George Baker (Hank), qui mourut à l'âge de 87 ans, était un opérateur radio plutôt timide mais compétent qui fut en poste à la frontière nord-ouest de l'empire des Indes et au Tibet pendant la seconde guerre mondiale. Sa carrière peut être brièvement résumée de la manière suivante: 

Né le 23 juin 1918, dans une famille méthodiste de Ryde, sur l'île de Wight, il travaillait comme employé de magasin lorsque son grand-père l'engagea à le suivre. Il l'emmena à Newport, où Baker fut enrôlé pour six ans dans la réserve du régiment de Hampshire. Ayant montré de l'intérêt pour la radio et l'électronique, alors qu'il était à Winchester, il rejoignit le Corps Royal des Transmissions, qui l'envoya en Inde, d'où il fut affecté quelques temps au Tibet. Après sa démobilisation, en 1945, il se maria et devint le directeur des communications de la BOAC à l'aéroport de Nairobi où il fut reconnu comme un opérateur radio incomparable. Il émigra ensuite aux États-Unis où il monta une petite entreprise de fabrication et de commercialisation de tampons en caoutchouc. Il travailla pour la radio d'Eddystone et la Voicewriter Enginering, en développant des dictaphones, avant de s'orienter vers le matériel de transmission des studios de télévision. En 1963, il rejoignit la police du New Jersey, tout en dirigeant un atelier de réparation de matériel électrique, comme occupation accessoire. Devenu aussi détective et juge de paix, en pourchassant un prisonnier évadé à travers un lac, sur un bateau pneumatique, il fut blessé à une cheville, ce qui l'incommoda ultérieurement beaucoup. Après la mort de son épouse, Baker revint en Angleterre où il se remaria, pour devenir veuf une seconde fois. Il avait conservé du goût pour les activités de radio amateur et, pendant ses dernières années, il eut la joie de se remémorer, avec des chercheurs d'Oxford, ses tribulations au Sikkim et au Tibet en se félicitant de la renaissance de la culture tibétaine. 

Ce sont ses aventures indiennes et tibétaines qui nous intéressent plus particulièrement. Il arriva en Inde à la fin de l'année 1938 et fut d'abord envoyé dans une série de forts éloignés du nord, où 400 soldats furent tués ou blessés au cours d'escarmouches contre des autochtones, pendant une période qui ne dura pas plus de six mois. Malgré la sévérité des pertes essuyées par l'armée anglaise, celle-ci ne se laissait pas malmener sans réagir. Baker se souvint toujours qu'une poignée de Gurkhas décidèrent un jour de montrer à leurs adversaires comment les troupes britanniques et indiennes traitaient les rebelles. Ils se précipitèrent hors du fort, leur kris en main, et revinrent en brandissant plusieurs têtes tranchées. Notre hommes conserva jusqu'à sa mort une photographie de cet exploit.  

Une autre fois, tandis qu'une sentinelle montait la garde pendant la nuit, elle entendit un bruit, cria trois fois : « qui va là ? » puis tira, pour s'apercevoir le matin qu'elle avait tué une vache ! Baker fut blessé par l'explosion d'un fourgon de munitions, au cours d'une attaque, et resta six mois à l'hôpital. Il fut ensuite affecté au Southern Command Signal Company à Jubbulpore, ce qui lui donna l'occasion de parcourir une grande partie de la contrée à dos de chameau, de mule ou sur un camion accompagné d'une station de transmission mobile. Après avoir contracté la malaria, il fut chargé de maintenir le contact radio avec Lhassa, une relation essentiel dans le contexte de l'époque, les Chinois se montrant actifs sur la frontière du Tibet et l'Angleterre souhaitant maintenir les étrangers à l'écart du Royaume des Neiges (1).  L'opérateur de Lhassa étant tombé malade, on donna 24 heures à Baker pour le remplacer, que cela lui plaise ou non, en l'affectant à « une destination inconnue ». Après avoir rassemblé les livres de codes et de chiffres à Calcutta, il se pourvut d'un équipement idoine, d'un manteau d'hiver et de six casques coloniaux avant de se mettre en route pour le Sikkim. 

Dès son arrivée à Gantok, la capitale, il gravit les escaliers polis et repolis de la résidence britannique, afin de rencontrer Sir Basil Gould, l'officier politique du lieu. Celui-ci voyant ses souliers à clous lui dit : « Quelle allure pensez-vous avoir avec ça ? Enlevez tout de suite ces godillots de vos pieds et mettez d'autres chaussures ! » Baker rétorqua timidement qu'il n'en avait pas. Il resta trois jours durant sur place pour s'acclimater à l'altitude (plus de 2600 m.) Pendant ce temps, il participa à un dîner au cours duquel il constata que les repas pris à la gamelle dans une caserne ne l'avaient pas prédisposé pour un service à six fourchettes ; un employé ayant apporté une coupe à rincer les doigts, il ne trouva rien de mieux que de la porter à sa bouche. 

Comme il n'avait qu'une expérience réduite de l'équitation, le voyage de 21 jours qu'il entreprit pour se rendre à Lhassa, commença mal : il fit la culbute par-dessus la tête de son cheval, lequel s'était penché pour boire dans une rivière. Néanmoins, il finit par arriver à la forteresse de Gyantsé, sinon sain du moins sauf, quoique blessé. Il y fut invité à passer en revue la garnison indienne (2). Le lendemain matin, à son réveil, il apprit qu'il avait été nommé pendant la nuit membre de l'équipe de polo du commandant. Il se comporta honorablement au début du match qui eut lieu pendant la journée, jusqu'au moment où, ayant tenté de frapper une balle, il cogna brutalement les jambes avant du cheval qui furent brisées net. Un second cheval fut amené mais Baker avait retenu la leçon et se tint désormais prudemment loin de la balle. En voyageant plus avant, il connut des difficultés respiratoires au col enneigé de Karola, à plus de 5300 m d'altitude. Mais il apprécia l'hospitalité tibétaine, chaleureuse malgré ses côtés rudimentaires. Une nuit, s'étant réveillé dans la pièce du rez-de-chaussée où il dormait, il aperçut deux yeux qui semblaient le guetter, comme s'il était une proie. Saisissant son pistolet, tout en lançant un oreiller dans la direction de la menace potentielle, il fit feu et abattit... une chèvre ; le lendemain, une compensation dut être négociée avec le chef du village pour dédommager le propriétaire de l'animal. Après avoir traversé une rivière au flot rapide, sur une barque primitive, Baker fut pourvu d'une escorte montée pour entrer dignement à Lhassa. Là, il découvrit que le Tibétain qui dirigeait la mission britannique était parti faire la nouba (3). Baker fut dirigé sur un petit immeuble de brique qui abritait la station de radio. Dès que son escorte l'eût quitté, il verrouilla les portes d'entrée et monta l'étage où, affirme-t-il, il pleura comme un bébé. 

Dès le lendemain, Baker se mit à la besogne, transmettant quotidiennement des rapports météorologiques et des messages chiffrés à Jubbulpore (4), en utilisant un poste émetteur commercial de 15 watts raccordé à une antenne ficelée entre des arbres qui libérait des gerbes d'étincelles pendant les orages électriques. Portant des vêtements civils britanniques et tibétains, sur les conseils de Gould, qui l'avait engagé à ne pas arborer son uniforme (5), il fut progressivement adopté par un groupe de nobles parlant anglais qui l'invitèrent à leurs parties de plaisir ; il eut ainsi l'occasion d'apprendre quelques notions de tibétain. 

Lorsque l'opérateur précédent revint, au bout de sept mois, Baker retourna au Sikkim pour s'occuper de la radio ainsi qu'installer un émetteur et créer un journal en langue tibétaine. Il devint ami avec le maharaja qui l'appelait « capitaine ». Mais cette familiarité indisposa Gould qui y mit bon terme. 

Ainsi s'achèvent les aventures de Baker surnommé "Hank". 

Article inspiré et traduit des archives du journal The Telegraph
 
1- Londres considère donc toujours le Tibet comme l'arrière cour de son empire des Indes et continue de l'interdire aux étrangers. Alors comment expliquer la dérogation dont a bénéficié l'Allemagne hitlérienne en 1938? 
2- Il y avait donc encore une garnison britannique à Gyantsé pendant la seconde guerre mondiale. 
3- Le personnel tibétain  était-il aussi peu fiable? 
4- Il serait intéressant de connaître la teneur de ces messages. 
5- Gould craignait-il que la vue d'un uniforme anglais n'indispose les Tibétains? Il fallait aussi rester discret, sans doute pour ne pas éveiller les soupçons chinois, comme le montre aussi l'affection de Baker à une "destination inconnue".

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