La Préhistoire
Le peuplement du Tibet est
très ancien. Cette région du globe a dû être
autrefois plus favorable aux activités humaines qu'elle ne l'est
aujourd'hui. Depuis le début de notre ère l'Europe s'intéresse
à l'Asie centrale. Des croyances que l'on trouve dans le bouddhisme
tibétain existaient aussi dans le christianisme primitif.
Voici plus de 50 millions d'années,
la plaque indienne rencontre la plaque eurasiatique élevant progressivement
le plateau tibétain et l'Himalaya du niveau de la mer jusqu'aux
sommets les plus élevés du monde. Le peuplement de ces territoires,
qui subirent de nombreuses transformations au cours des siècles,
se perd dans la nuit des temps.
La préhistoire tibétaine demeure
largement inconnue. Les sites les plus anciens ont cependant livré
des vestiges remontant au paléolithique supérieur.
Au cours des années 1956, 1966, 1976
et 1978, de nombreux vestiges d'une activité humaine ont été
exhumés sur les hauts plateaux tibétains; ces restes
laissent supposer que cette région était habitée voici
20000 ans, voire même 30000 ans; de 8000 à 5000 ans, les hommes
vivant là pratiquaient l'élevage des chevaux, du bétail
et des moutons; vers 6000 ans, ils étaient devenus sédentaires
et cultivaient le sol, la chasse et l'élevage ne constituant plus
que des activités résiduelles. En 1984, un site préhistorique
est découvert près du monastère de Sera. D'autres
sites ont été découverts précédemment
à Ningchi, à l'est du pays, ainsi qu'à Tchougong,
près de Lhasa. Ils confirment que le peuplement du Tibet remonte
à plusieurs milliers d'années avant notre ère et qu'une
civilisation néolithique s'y est développée.
A Kharo, dans le Qinghai, on a mis à jour
une trentaine d'habitations, malheureusement à proximité
d'un site industriel, avec 8000 outils lithiques et 20000 tessons de poterie
qui remontent au néolithique et révèlent une certaine
diversité dans la fabrication. Quelques
menhirs, isolés ou alignés, témoignent de l'existence
d'une culture mégalithique; à diverses époques, plusieurs
monuments de ce type ont été signalés, notamment dans
le sud du Tibet. De nombreuses tombes, analogues à nos tumuli
à allée couverte, utilisées du premier millénaire
avant J.-C. jusqu'à l'an mille de notre ère, ont également
été identifiées. Enfin, il existe, au Mustang comme
dans l'ouest du Tibet, des habitations troglodytiques, creusées
dans de hautes falaises, où se seraient abrités les chasseurs
de la préhistoire. Aucune trace d'art pariétal n'a été
toutefois décelée et les gravures rupestres découvertes
dans l'ouest, avec des représentations d'animaux, de chasseurs,
de symboles divers tels que la roue solaire ou le svastika, sont protohistoriques.
Le bronze, puis le fer apparurent sur le Toit du Monde avec un décalage
d'un millénaire, si l'on considère les dates de leur première
utilisation en Asie occidentale, en Europe et en Chine.
En novembre 2003, des spécialistes firent
état de la découverte d'un habitat préhistorique sur
le plateau du Qinghai-Tibet. Des outils en pierre avait été
été dégagés lors de la prospection archéologique
précédant la construction du chemin de fer. D'après
les archéologues, les sites habités, proches de l'eau, à
l'abri du vent, avec une vue lointaine offrant une protection facile, favorisaient
de manière idéale la vie de l'homme primitif. Ils se trouvent
au bord de la rivière Bi Qu ou sur les pentes des monts Tanggula,
à une altitude de 4700 à 4900 m. Parmi les vestiges répertoriés,
on note la présence d'outils de bonne facture destinés à
divers usages, en particulier pour la chasse, l'élevage et l'agriculture,
courants dans le continent eurasien à l'époque préhistorique.
Ils confirment l'existence de l'homme sur le plateau tibétain à
une époque reculée et apportent une aide précieuse
pour l'étude de l'évolution humaine dans cette région
du globe.
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Objets
néolithiques (haches de pierre, aiguilles en os, jarre double) trouvés
sur un site du comté de Chamdo (Kham) - (source: documentation chinoise) |
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D'après la mythologie tibétaine,
au début, le ciel et la terre étaient le père et la
mère. N'oublions pas que, dans la mythologie grecque, les Titans
sont nés des oeuvres du ciel et de la terre. Le monde se serait
créé à partir d'un oeuf primordial qui contenait les
éléments: air, terre, feu, eau et espace. Cet oeuf se serait
divisé en 18 autres oeufs. L'un aurait engendré un être
pensant immatériel. Ce dernier, pour utiliser les cinq sens, nécessaires
à l'appréhension de ce qui l'entourait, et se déplacer,
se serait doté d'un corps physique. A l'époque des
premiers rois, existaient un dieu-homme (pho-lha) et une déesse-femme
(mo-lha). Les mythes bön font état de la lumière et
de l'ombre comme formant le couple cosmique initial. Enfin, dans plusieurs
mythes d'Asie centrale, le soleil et la lune sont respectivement le premier
mâle et la première femelle.
Selon une légende, le peuple tibétain
tire ses origines de l'union d'un singe-bodhisattva, avatar d'Avalokitesvara
(bodhisattva de la compassion, Chenrézig en tibétain), avec
une ogresse, Srinmo; ainsi s'expliqueraient les bons et les mauvais côtés
des Tibétains. Mais pour d'autres, l'ogresse serait une tara.
Démone ou divinité, chacun tranchera comme il l'entend. Le
couple aurait eu six enfants qui devinrent les hommes-singes fondateurs
des six premières tribus; ces tribus seraient à l'origine
des futurs royaumes qui se partagèrent le Tibet.
En l'an -18000 ou -16000 (cette date laisse
rêveur mais d'autres sources la ramènent à -1063! Où
est l'erreur?) naquit Tönpa (ou Bötön ou Bönteun) Shenrab
fondateur de la religion bön. Né prince, dans une terre de
l'ouest, il abandonne le pouvoir pour se rendre au Tibet et y répandre
la foi. Il se heurte aux démons; peut-être ces derniers sont-ils
les adeptes du chamanisme (ou shamanisme) sibérien qui était
alors pratiqué dans la région. Cependant, selon certains
auteurs, le Bön ne serait parvenu au Tibet depuis la Perse qu'au 6ème
siècle. Il y aurait alors effectivement absorbé des rites
du chamanisme, ancienne religion du Tibet. Quoi
qu'il en soit, la nouvelle religion, qui serait bien originaire de Perse,
fait de nombreux emprunts au chamanisme. Le svastika, que l'on retrouve
dans d'autres endroits du monde, par exemple chez les Amérindiens,
fait partie de ses symboles; plusieurs rites des tribus amérindiennes
seraient d'ailleurs d'inspiration bönpo ce qui laisserait supposer
que cette religion existait bien en Asie centrale voici dix mille ans,
lors du franchissement du détroit de Béring par les Asiatiques
qui devaient peupler le continent américain.
Vers l'an -2000, la plus ancienne cité
habitée du Tibet, Kyunglung, aurait vu le jour, dans la région
de l'ouest qui devint plus tard le royaume du Zhangzhung. Cette cité
troglodyte aurait abrité deux à trois mille personnes, selon
l'explorateur italien Tucci. Elle aurait été
abandonnée vers l'an mille de notre ère.
En l'an -1000: Rédaction en langue locale
archaïque de textes bönpos à l'ouest du Tibet, dans la
région du Zhangzhung.
En l'an -500: Une cité fortifiée,
d'une surface de 10 hectares, avec des champs irrigués sur une quinzaine
de km, prospérait au nord ouest du Tibet. Elle sera découverte
en 1994, par des archéologues français qui lui donneront
le nom de Djoumboulak
Koum (sables ronds en ouïgour).
Avant l'avènement de la monarchie, sept
périodes "civilisatrices" se seraient succédées.
La sixième période est qualifiée de "règne
des douze roitelets". Ces derniers, douze sages bön, accueillirent
le premier monarque du Tibet, Nyathri Tsampo, roi du trône des nuques,
ainsi nommé parce que ses sujets le portaient sur leurs épaules
dans un palanquin. La date de l'avènement de Nyathri Tsampo est
controversée; certains pensent qu'il s'établit dans la vallée
du Yarloung, au sud-est de Lhassa, en l'an -127 et que cette date marque
le début du calendrier royal (année 1); d'autres estiment
à l'an -200 ou même à l'an -500 le début de
ce souverain mythique d'origine céleste; les archéologues,
quant à eux, situent l'événement au 3ème siècle
avant notre ère. Quoi qu'il en soit, le bön devint alors la
religion dominante du Tibet; cette religion étendit son emprise
pendant une période au cours de laquelle une trentaine de tsanpos
(rois?) se succédèrent dans la vallée du Yarloung.
Les relations de la religion avec le pouvoir furent parfois conflictuelles;
c'est ainsi que le huitième monarque, Drigoum Tsempo, persécuta
les prêtres bönpos dont la puissance lui portait ombrage
(Pour en savoir
plus sur le bön, cliquez
ici ).
D'après les bönpos, le premier
roi tibétain serait venu du ciel. Pour les bouddhistes, au contraire,
il serait originaire de l'Inde. De naissance royale, après bien
des tribulations pour échapper à ceux qui voulaient le supprimer,
il aurait fui son pays d'origine pour se réfugier au Tibet. Les
pasteurs nomades qui l'accueillirent, en le voyant descendre des montagnes,
auraient été convaincus de son origine céleste, d'autant
plus facilement que ses mains étaient palmées et que ses
paupières se fermaient par en bas. Certains récits mythiques
se réfèrent au Mahabharata, la grande épopée
indienne; d'après eux la monarchie tibétaine prolongerait
la lignée d'un chef indien vaincu, exilé de l'autre
côté de l'Himalaya. On parle aussi d'un membre du clan Lichavi,
apparenté au Bouddha Gautama, dont les descendants régnèrent
sur le Népal; mais l'arrivée tardive du bouddhisme au Tibet
rend cette hypothèse peu crédible. A leur mort, les rois
tibétains se transformaient en arc-en-ciel pour rejoindre leur demeure
céleste. L'origine divine de ces monarques aurait été
interrompue de la manière suivante. L'un d'entre eux, particulièrement
querelleur, aurait perdu ses armes magiques au profit d'un prince voisin;
celui-ci en aurait profité pour trancher la corde (Mou) qui
reliait le roi au ciel, provoquant ainsi sa mort; selon une autre version
du même incident, la corde aurait été rompue accidentellement,
lors d'une querelle du roi avec un palefrenier, les dieux l'ayant abandonné.
Quoi qu'il en soit, depuis lors, la lignée monarchique n'aurait
plus eu qu'une origine terrestre. Les rois célestes regagnant le
ciel n'avaient pas de sépultures; leur transformation en rois terrestres
eut pour conséquence leur inhumation dans des tombeaux recouverts
d'un tumulus. Mais les montagnes gardèrent un caractère sacré;
n'étaient-elles pas le lieu d'atterrissage des ancêtres venus
du ciel?
Peut-être la corde est-elle un souvenir
de l'arbre cosmique permettant, dans les mythologies primitives, l'accès
à la terre et au ciel, aux enfers et au paradis, chemin aussi utilisé
par les chamans; le naga (ou le dragon) n'est-il pas l'occupant du monde
souterrain? Dérangez-le en aménageant le sol et il se venge
en propageant des maladies; l'art du guérisseur ne revient-il pas
à déterminer la cause de la maladie et à apaiser le
dieu qui en est l'auteur, en passant si nécessaire d'un monde à
l'autre?
A l'époque des premiers rois, existaient
un dieu-homme (pho-lha) et une déesse-femme (mo-lha).
Les mythes bön font état de la lumière et de l'ombre
comme le couple cosmique initial. Enfin, dans plusieurs mythes d'Asie centrale
le soleil et la lune sont respectivement le premier mâle et la première
femelle.
Vers l'an -100, un groupe
de Yuezhi, les "barbares à tête de chien", appelés
ainsi par les Chinois à cause de leur visage barbu, en fait probablement
des Européens, et peut-être des Scythes, qui vivaient au Turkestan,
auraient émigré au Tibet, chassés par des ancêtres
des Mongols (Huigni ou Xiongnu?). A l'époque de Mao Tsé Toung,
des momies d'hommes blancs ont été découvertes; pour
des raisons politiques, elles demeurèrent cachées, dans les
réserves du musée d'Urumqi, jusqu'en 1987, date à
laquelle on les retrouva; elles sont aujourd'hui montrées au public
et il est avéré que le Sinkiang
(Turkestan chinois) fut peuplé autrefois par les Tokhariens de race
indo-européenne. Les caractéristiques morphologiques de la
population tibétaine actuelle montrent qu'elle n'est pas homogène
et qu'elle s'est constituée d'apports divers; il existe une différence
évidente entre les guerriers Khampas de haute taille des vallées
de l'est et les habitants du plateau central de taille plutôt moyenne;
on peut penser que des populations d'origine caucasienne sont venues s'y
mêler à d'autres d'origine mongole ou chinoise pour composer
le peuple tibétain d'aujourd'hui.
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Les spécialistes divisent
la population tibétaine en trois groupes: Ando, Nachan
et Hor qui eux-mêmes se subdivisent en 51 tribus, lesquelles
possèdent leurs propres cultures néanmoins rameaux d'un tronc
commun. Les Hor, d'origine mongole et turque, comprennent 39 tribus;
les Tibétains qui vivent au Kham sont de grande taille et
se nomment les Khampas, alors que les habitants du Tibet central,
les Pöba (ou Bodpa) sont plus petits. Les Ando
seraient les descendants des Karjia. Des Tangoutes se sont
fondus dans la population tibétaine. On connaît mal les origines
ethniques de cette dernière; les nombreux traits qu'elle possède
en commun avec les Mongols ont amené certains à lui
attribuer les mêmes origines; d'autres estiment qu'elle comporte,
au moins partiellement, des apports d'Asie centrale, d'origine peut-être
indo-européenne; d'autres encore pensent qu'elle pourrait être
issue d'Asie du sud-est; la parenté avec les indiens Hopis
ne serait qu'un mythe, en dépit des similarités des cultures.
Les dernières découvertes génétiques laissent
supposer que les origines des Tibétains sont multiples; à
des apports d'Asie centrale s'ajouteraient d'autres apports d'Asie orientale.
Des tribus aux moeurs et aux croyances diverses, de provenances multiples,
et pas toujours en bons termes, se sont très probablement côtoyées
pendant des siècles dans les vallées tibétaines.
D'après le lama Vajranatha,
John Myrdhin Reynolds, des Aryens auraient trouvé refuge
au Tibet. "Selon les annales dynastiques chinoises, quand les Scythes-Tokhariens,
que les Chinois appelaient Yueh-chih, furent vaincus par les Huns de langue
turque, ou Hsiung-nu (Xiongnu),
sur les frontières occidentales de la Chine, au nord du Tibet, au
second siècle avant notre ère, un groupe de langue iranienne,
dont les membres étaient grands et blonds, s'enfuirent au Tibet
oriental, c'est-à-dire dans le Kham et l'Amdo, où, jusqu'à
nos jours, ils constituent une partie de la population khampa parlant tibétain,
un autre groupe, plus important, alla vers l'ouest, dans la région
au nord du Zhang Zhung." |
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Hérodote décrit, au cœur de
l’Asie, un pays habité par de fabuleuses créatures, les fourmis
géantes chercheuses d’or, que bien des gens assimilent au Tibet.
D’autres auteurs exploiteront ce thème. La Perse antique aurait
tiré sa richesse de l'utilisation de ces orpailleurs originaux.
En fait, ces fourmis seraient des marmottes et le lieu où elles
fouilleraient le sol serait la plaine de Dansar, un plateau élevé,
au bord de l'Indus, près de la frontière de cessez-le-feu
entre l'Inde et le Pakistan. Dans cette région isolée, où
le fleuve mugit dans des gorges profondes, des tribus indigènes
vivent encore aujourd'hui comme à l'époque de l'âge
de la pierre et recherchent les pépites du précieux métal
dans les terres que de grandes marmottes extraient du sol en creusant leurs
terriers.
Au premier siècle de notre ère,
un philosophe et thaumaturge grec néopythagoricien, Apollonius de
Tyane*, se lance, en compagnie de son élève, Damis, sur les
traces de Pythagore, vers le royaume des hommes qui savent tout (Shambala).
Passées de très hautes montagnes, les deux compagnons parviennent
dans une contrée où des incidents étranges se produisent.
Le chemin que suit leur caravane disparaît derrière eux au
fur et à mesure qu'ils avancent. L'environnement est si mobile qu'il
est impossible de s'y repérer. Un jeune homme au teint bistre leur
apparaît bientôt. Il enjoint à la caravane de s'arrêter.
Apollonius et son compagnon sont attendus, mais eux seuls doivent rencontrer
les Maîtres. Les deux Grecs abandonnent leurs porteurs et suivent
le jeune homme. Apollonius est présenté au roi des Sages.
Celui-ci connaît tout des péripéties du voyage. Au
cours des mois qui suivent, avant le retour vers la Grèce des deux
voyageurs, ces derniers sont témoins de choses à peine croyables.
Des pierres dotées d'une lumière intérieure intense
sont utilisées comme lampes et permettent d'y voir la nuit comme
en plein jour. Leurs hôtes vivent à la fois sur terre et ailleurs.
Ils ont le pouvoir de se déplacer dans les airs. Ils sont servis
par des sortes de robots. Ils vivent en communauté, ne possèdent
rien et disposent cependant de toute la richesse du monde. Avant de revenir
dans leur monde, les deux voyageurs sont chargés de talismans qu'ils
devront cacher afin que, découverts plus tard, ils prennent une
signification historique (cette anecdote fait penser aux textes trésors
tibétains, les termas).
* Appolonius de Tyane est considéré
par certains auteurs comme une sorte de Christ païen (voir
ici).
Les Tibétains
croient en l'existence de Grands Saints qui vivent plusieurs siècles
et sont chargés de veiller sur l'humanité. Dans les textes
sacrés associés au Kalachakra, le royaume
de Shambala est situé au nord de l'Himalaya. Il est décrit
comme un monde idéal ou tout ne respire qu'harmonie, sagesse et
beauté. Les murs de la capitale, incrustés de miroirs, reflètent
une lumière si vive qu'il n'y existe aucune différence entre
le jour et la nuit. Cependant, ce lieu idyllique n'est pas totalement à
l'abri de tout danger. A l'époque de son huitième roi, les
fidèles de la religion des Védas étaient si nombreux
qu'ils paraissaient présenter une menace potentielle pour le bouddhisme.
Le monarque leur soumit l'alternative de se convertir où de quitter
le pays. Ils adoptèrent le second parti. Le roi prit alors la forme
d'une divinité courroucée et se plaça en travers de
leur route. Terrifiés, ils rebroussèrent chemin et se convertirent.
Une prophétie prédit qu'en l'an 2425 le royaume sera menacé
d'invasion par les barbares. Le roi rassemblera alors son armée,
franchira les montagnes et livrera bataille sur le territoire de l'Inde.
Il en sortira victorieux et l'âge d'or régnera sur la terre.
D'après Chögyam Trungpa, le souverain
du royaume de Shambala libérera l'humanité à la fin
de l'Âge sombre.
2ème siècle: Apparition en Inde
de la philosophie du Véhicule (voie ou enseignement et pratiques
propres au cheminement spirituel permettant de passer de l'état
de l'ignorance à l'Éveil) dont se réclamera plus tard
le bouddhisme tibétain.
Le yogi Nagarjuna, un moine, philosophe et
écrivain bouddhiste indien, fondateur de la Voie du milieu, voyagea
dans le monde des serpents et passa une grande partie de sa vie à
méditer et enseigner la Vacuité. Très vénéré
parmi les Tibétains, il consacra des années à chercher
l'élixir de vie. Albert Grünwedel le baptisa le "Faust du bouddhisme".
Un jour, lassé par ses échecs, il jeta son livre de formules
dans une rivière où se baignait une prostituée. Celle-ci
repêcha le livre et le rendit à Nagajurna. Le yogi y vit un
signe qui l'incita à reprendre ses travaux avec l'aide de l'hétaïre.
Mais une fois de plus, il fut déçu. Un beau soir, cependant,
son assistante déversa un liquide banal dans le mélange sur
lequel travaillait le Sage. Alors, en un clin d'oeil, l'élixir de
vie, que Nagarjuna avait pendant quatorze ans poursuivi en vain, fut découvert.
150 environ: Le Tibet apparaît sur la
carte de Ptolémée sous le nom de "Bod", dénomination
employée par les Tibétains. Au cours du temps, plusieurs
noms lui seront attribués: "Burutabeth" par l'historien perse
Rashid al Din (1247-1318), "Tubbat" par les géographes arabes,
"Tu-bat" par l'historien chinois Ouyang Xiu (1007-1072), auteur
d'une Nouvelle Histoire des Tang, "Gangjong" ou "Pays des
Neiges" puis "Xizang" ou "Pays caché dans l'ouest"
par les Chinois modernes.
200 environ: Construction du palais de Yongbulakhang,
dans la vallée du Yarloung.
Quatrième siècle:
Le désert, au nord-ouest du Tibet, aurait alors été
davantage peuplé qu'aujourd'hui. Jadis, une vaste mer intérieure
occupaient une grande partie du plateau tibétain; les lacs actuels,
dont certains sont salés, n'en sont plus qu'un maigre souvenir.
D'après la tradition, le Jokhang n'est-il pas bâti sur un
lac? Des fleuves, alimentant des points d'eau désormais asséchés,
y auraient coulé en abondance; on y aurait trouvé des forêts
et de gras pâturages; d'importantes cités, maintenant enfouies
sous les sables, y auraient prospéré. L'explorateur suédois
Sven Hedin, au cours de ses voyages, à la fin du 19ème siècle,
y découvrit de nombreux vestiges; des dessins et peintures laissent
supposer que la population qui y vivait aurait pu venir de Perse, ce qui
corroborerait la thèse de l'origine supposée de la religion
bön. Il n'est pas interdit de penser qu'une fraction de cette population
était chrétienne, compte tenu de l'expansion du nestorianisme
en Asie centrale. Des découvertes récentes effectuées
dans des tombeaux laissent supposer que le nomadisme n'a pas précédé
la sédentarisation mais, au contraire, lui a succédé;
les sociétés agricoles primitives se seraient converties
à l'élevage par suite de la sécheresse consécutive
au recul des glaciers qui rendait leurs terres impropres à la culture.
D'ailleurs, la domestication des plantes, favorable à la sédentarisation,
a précédé celles des animaux, sans lesquels il ne
peut pas y avoir de pastoralisme nomade. A une époque reculée,
le Tibet, moins désertique qu'aujourd'hui, était probablement
plus peuplé qu'il ne le fut ultérieurement, par rapport aux
pays voisins. La constitution, à partir de son territoire, de l'un
des plus puissants empires du monde trouve là des éléments
d'explication. Certains se demandent comment des hommes ont pu venir peupler
une région aussi inhospitalière que les hauts plateaux tibétains;
la réponse est simple: elle ne l'était pas lorsqu'ils y sont
arrivés! (voir Harrer).
374-433: Le tsanpo historique Tho-tho-ri, un
roi bönpo, établit sa résidence sur la Colline rouge
(Lhassa?). Il serait le premier roi a être entré en contact
avec le bouddhisme, via des commerçants hindous. Des écritures
saintes, qui seront reprises dans le Kanjur, tombent du ciel; Tho-tho-ri
n'en comprend pas le sens, mais il les conserve pieusement.
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La lévitation et la réincarnation
ne sont nullement des croyances propres au bouddhisme. Au début
de notre ère: Un certain Simon, dit le Mage, accomplit des miracles
et prêche les foules en Samarie, en concurrence avec les apôtres.
Il est capable de s'élever et de se déplacer dans les airs.
Sa notoriété est si grande que le bruit de ses prodiges parvient
jusqu'à Rome où Néron le mande. Pierre, qui deviendra
bientôt le premier pape, se jure de confondre l'imposteur. Ce dernier
se livre devant les yeux de Néron et de Pierre à ses exercices
favoris. Il s'enlève de terre et survole la foule venue assister
au spectacle. Mais Pierre, soupçonnant quelque diablerie, se met
en prière et somme Satan de renoncer à soutenir son adversaire.
Simon tombe comme une pierre sur le sol où il s'écrase. La
foi chrétienne prête le don de lévitation à
plusieurs figures célèbres; citons Sainte Thérèse
d'Avila (1515-1582), lors de ses communions, et le franciscain Joseph de
Copertino (1603-1663), pendant ses extases. Par ailleurs, des médiums
européens auraient démontré leur capacité de
se déplacer dans les airs, par exemple le Britannique Daniel Dunglass
Home (1833-1886). Bien sûr, aucune preuve tangible ne vient étayer
ces prodiges; on croit ou on ne croit pas! Le chef sioux Elan noir raconte
aussi une expérience de voyage sur un nuage entre l'Europe et l'Amérique,
mais dans ce cas il s'agit vraisemblablement d'un délire causé
par un malaise.
Quant à la réincarnation,
c'est une croyance ancienne et assez répandue, avec de nombreuses
variantes. Des écoles de pensée, auxquelles participèrent
des chrétiens mais aussi des adeptes d'autres religions la tenaient
pour vraie; ce fut notamment le cas du courant de pensée gnostique,
dont il sera question ci-dessous. Plus près de nous, les cathares
pensaient que les âmes transmigraient, de corps en corps, jusqu'à
leur salut final auprès du Père éternel. Selon la
doctrine cathare, il existe un dieu du bien et un dieu du mal. Le monde
terrestre est la création du malin: c'est Satan qui obligea des
anges à s'incarner en hommes pour peupler notre planète.
Le royaume de Dieu ne saurait être de ce monde. Mais, contrairement
à ce que prétendaient les inquisiteurs, les cathares ne se
livraient pas à un culte satanique. Il dénonçaient
au contraire la puissance de Satan dans le monde terrestre et ils admettaient
que les hommes, à force de volonté et après plusieurs
transmigrations, pouvaient devenir parfaits. Alors, leur âme
échappait au démon et rejoignait le ciel. Cette croyance
en l'accession à un monde idéal, après une succession
de transmigrations, est évidemment proche des traditions religieuses
orientales. Pour terminer, rappelons que le château de Montségur,
haut lieu cathare s'il en fut, continue de susciter bien des interrogations.
Certains croient que les inquisiteurs poursuivirent les derniers membres
de la secte jusqu'au Tibet et d'autres prétendent même avoir
vu, dans les années 1950, des moines tibétains errant dans
les souterrains du château.
La croyance en la réincarnation
se retrouve dans bien des religions ou philosophies autres que le bouddhisme
même si elle y prend parfois un sens différent: métempsycose,
orphisme selon certains auteurs, manichéisme, pythagorisme et néoplatonisme.
Elle constitue l'un des éléments essentiels de deux autres
religions d'origine hindoue: le jaïnisme et l'hindouisme. Le jaïnisme
offre un cas particulier intéressant puisqu'il vit le jour à
peu près au même moment que le bouddhisme et qu'il professe
que le but de la vie est de se purifier pour se libérer du cycle
des morts et des renaissances en pratiquant la non violence. Enfin, l'hindouisme,
évolution du védisme et du brahmanisme, qui admet le système
des castes, l'une des plus anciennes religions du monde et la troisième
la plus pratiquée, est encore aujourd'hui la religion dominante
de l'Inde.
La métempsycose, c'est-à-dire
la transmigration des âmes, ne doit pas être confondue avec
la renaissance ou la réincarnation bouddhistes puisque le bouddhisme
n'admet pas l'existence de l'âme. Cependant, cette croyance qui fut
celle de Pythagore, lequel la tenait de l'Égypte et de ses adeptes,
qui fut admise par la Kabbale et qui est celle des Druzes, et du Yésidisme
de quelques Kurdes, constitue indéniablement une idée voisine.
Elle n'était pas ignorée des Grecs, Platon la défend
dans ses dialogues, mais son adoption par l'orphisme est controversée.
Quelques auteurs, Montaigne en particulier, pensaient que les druides croyaient
en la transmigration des âmes mais il apparaît plus probable
qu'ils se contentaient de croire à l'immortalité de l'âme
dans un lieu idyllique, voisin des paradis germanique ou islamique, pour
les plus méritants. Au 12ème siècle, le voyageur juif
Benjamin de Tudele affirme l'avoir observée chez les Dogzün,
une peuplade montagnarde du Moyen Orient qui vivait près de Sidon;
voici ce qu'il écrit à leur propos: "Leur sentiment est
que, lorsque l'âme d'un homme de bien est séparée de
son corps, elle entre dans celui de quelque Enfant qui est, dans le même
moment, engendré; que si c'est un méchant homme la sienne
passe dans le corps d'un Chien, ou d'une autre Bête." Les Druzes
de Syrie et du Liban continuent aujourd'hui de croire en la transmigration
des âmes. Dans certaines sociétés africaines contemporaines,
la réincarnation joue un rôle social important; chez les Ashanti
du Ghana, le sang renaît par la lignée maternelle, le principe
masculin retourne aux ancêtres et l'âme rejoint la divinité;
selon les Kikuyu du Kenya, les hommes possèdent deux âmes:
une âme sociale, qui se réincarne dans un autre individu,
et une âme individuelle qui s'en va chez les ancêtres. Ainsi,
la réincarnation, passage entre le monde des vivants et celui des
morts, est aussi associée au culte des ancêtres.
Au 19ème siècle,
le mouvement spirite, lancé en 1857 par Alan Kardec, utilisa la
réincarnation comme fondement de sa religion universelle. Dans
les années 1930, une Britannique, Joan Grant, publia plusieurs ouvrages
relatant ses vies antérieures, en Égypte ancienne, en Grèce
antique, dans l'Angleterre médiévale et l'Italie de la Renaissance.
Plusieurs cas de personnes prétendant se souvenir d'une vie antérieure
ont été recensés; le plus connu est celui d'un jeune
hindou, Munna, qui, victime d'un destin tragique (il fut égorgé
par ses ravisseurs), se serait réincarné en la personne d'un
autre enfant, nommé Shankar, capable de rapporter des détails
précis de sa brève existence passée. On notera que
les Tibétains font une différence entre la réincarnation
et la renaissance: seuls les grands lamas se réincarnent, les personnes
ordinaires se contentent de renaître.
Dernier point: on peut également
trouver des similitudes entre la pensée bouddhiste et l'hésychasme,
un mouvement spirituel chrétien qui remonte aux origines du monachisme
et qui, par la prière intérieure, recherche la présence
sensible de la divinité et la déification de l'orant. Ce
mouvement prône la recherche du silence et de la quiétude
ainsi que le refus du raisonnement, la pensée, toujours éveillée,
devant se tenir sans cesse à la porte du coeur. La voie à
suivre passe par une prière courte, répétée
indéfiniment, à laquelle se joint une mystique de la lumière.
Selon certains auteurs de cette doctrine, si l'essence divine de Dieu est
inaccessible, ses énergies, lumière et gloire, peuvent être
atteintes par l'homme, grâce à l'extase, et participer à
sa déification. L'hésychasme , qui traverse toute la pensée
chrétienne, connut un développement particulier dans la religion
orthodoxe, notamment en Russie, où il est à l'origine des
guides spirituels (staretz). |
.
553: La croyance en la réincarnation
est frappée d'anathème par le second concile de Constantinople.
Les gnostiques chrétiens deviennent des hérétiques.
.
La Gnose, du grec gnosis, c'est-à-dire
"la Connaissance" n'est peut-être pas si éloignée
que cela de "l'illumination" bouddhiste. C'est elle que, dès
l'antiquité, la philosophie grecque et la spéculation judaïque
ont mise à part et idéalisée, sacralisée et
instrumentalisée comme moyen d'accès à la divinité
à travers l'initiation aux mystères. On la réservait
à un lot sélectif d'humains, élus comme par nature.
Au 2ème siècle, elle côtoyait et même,
par endroits, colonisait le christianisme, qui réagit durement au
nom du dogme, réaction normale dans la mesure où les mystères
s'étaient faits chair à travers le Christ et où le
message de ce dernier, loin d'être réservé à
une élite, était universel . Il s'ensuivit la disparition
de bibliothèques entières, dont ne subsistèrent que
quelques dizaines d'oeuvres, complément précieux des amples
citations d'auteurs ecclésiastiques. Le gnosticisme au sens strict
fut un moment fort mais limité dans l'histoire, avec une production
littéraire exceptionnellement riche. Cependant, la Gnose semble
porter en elle des ferments aux effets pérennes. Antérieure
au christianisme, elle constitue un des questionnement les plus profond
de l'âme humaine et resurgit volontiers dans des mouvements
de pensée et dans l'art. À son école, il est possible
de reposer les problèmes demeurés mystérieux pour
l'esprit humain, celui de l'origine du monde et aussi de celui du bien
et du mal. Les gnostiques croyaient en deux principes divins, un dieu bon
et un autre démiurge, le second ayant créé le monde
imparfait dans lequel nous vivons, ce qui les rapproche sur ce point des
cathares et des manichéens. |
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6ème siècle: Règne de
Tagri Nyanzi à Chongye (vallée du
Yarloung). Le Tibet compte alors 12 royaumes. La moitié est
sous la domination de Tagri. La noblesse lui dispute la prépondérance.
Mais certains sujets de ses rivaux, qui détestent leurs maîtres,
réclament son assistance. Tagri mourra avant que cette alliance
ne porte ses fruits.
On observera que la puissance tibétaine
naît dans la vallée du Yarloung, c'est-à-dire dans
la partie la plus fertile du pays. La lecture des exploits légendaires
des héros tibétains, ainsi que les références
aux éléments constitutifs d'une maison: portes, poutres,
traverses... que l'on rencontre à travers de nombreux textes, pour
décrire de manière imagée la société
tibétaine, confirment les découvertes archéologiques;
elles montrent que la civilisation tibétaine fut d'abord sédentaire
et que le nomadisme, imposé tardivement par le changement climatique,
n'y jouait à l'origine qu'un rôle secondaire.
La période de l'histoire du Tibet qui
précède l'unification est caractérisée par
une suite de guerres intestines. Trop faibles pour s'attaquer aux nations
environnantes, les princes tibétains s'en prennent les uns aux autres.
"Ils luttaient entre eux et aimaient tuer" et "Il y avait des
châteaux forts sur toutes les collines et sur les rochers escarpés"
disent les chroniques anciennes. A cette époque, la religion principale,
on l'a dit, est le bön. Mais, à côté de cette
religion d'essence divine, subsiste une religion d'origine humaine composée
de dictons et de maximes morales; cette religion traditionnelle, découlant
d'anciennes croyances populaires, est propagée par des conteurs
et des chanteurs; elle laissera des traces jusqu'à nos jours; certains
de ses rites ont d'ailleurs été intégrés au
bön, puis au bouddhisme; les croyances populaires furent absorbées
en partie par les deux religions tibétaines, comme elles le furent
en Chine par le taoïsme.
Vers 600: Règne de Songtsen (570-629),
fils de Tagri, qui se rebaptise Namri (montagne céleste). Ce roi
triomphe de ses ennemis. Les 17 bannières (provinces) sont réunies
sous son sceptre. Les premiers textes tibétains sont rédigés.
608 et 609: Premières ambassades du
Tibet en Chine.
627: Le ministre tibétain Myang Mang-po-rje
Zhang-shang défait le Sumpa, royaume au nord-est du Tibet.
629: Mort de Namri, empoisonné par ses
ministres. Le pays sombre dans le chaos.
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L'empire
Par des mariages et une série
de conquêtes, le Tibet devient l'un des plus grands empires du monde;
il ne tardera pas à abuser de sa puissance. Le bouddhisme y est
introduit. Il s'impose, non sans difficultés, contre le bön.
Les luttes religieuses et le triomphe du bouddhisme s'accompagnent de la
dissolution et du morcellement de l'empire en de multiples fiefs indépendants.
629: Début du
règne de Songtsen Gampo, fils de Namri, (né en 569, 610 ou
617, mort en 649, 650 ou 651) - La première date de naissance paraît
la plus plausible, c'est pourtant la troisième qui serait la plus
proche de la vérité puisque Songtsen Gampo aurait régné
à partir de 13 ans; la vie était brève et l'on était
précoce à cette époque! Ajoutons que les rois n'attendaient
pas d'être débiles pour quitter le pouvoir; ils le cédaient
à leur héritier dès que celui-ci était en âge
de se faire respecter; parfois, l'ancien roi était purement et simplement
éliminé; pendant la minorité du nouveau roi, la régence
était exercée par sa mère ou les frères de
cette dernière.
Songtsen Gampo est prédestiné.
Une lumière, jaillie du cœur d’Avalokitesvara (bodhisattva de la
compassion), inonde le palais de ses parents avant sa venue au monde. Il
porte sur l’occiput une image de la tête d’Amithaba (bodhisattva
de la lumière infinie). Le nouveau tsenpo (empereur) arrive
au pouvoir dans une époque troublée: il échappe à
une tentative d'empoisonnement peu après sa naissance. Seule une
extrême fermeté, conjuguée à une astucieuse
politique d'alliances, sont de nature à lui éviter le sort
de son prédécesseur. Peu après son accession au trône,
il mate donc une insurrection de seigneurs, qu'il fait exécuter,
et épouse trois princesses tibétaines, afin de réunir
sous son sceptre leurs provinces.
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Songtsen
Gampo entre ses deux épouses népalaise et chinoise |
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632: Par son mariage avec une princesse népalaise,
Songtsen Gampo protège son flanc sud.
632 ou 633: Myang Mang-po-rje Zhang-shang est
exécuté et remplacé par Mgar-srong-rtsan.
633: Songtsen Gampo quitte la vallée
du Yarloung, où il résidait jusqu'alors, pour s'établir
à Lhassa. Il entreprend l'édification d'un palais à
l'emplacement du Potala. Ce palais comportera 909 pièces.
634: Victoire sur les T'ou-yu-huen du lac Kokonor
où l'empire va se procurer des chevaux pour sa cavalerie.
635: Thonmi Sambhota rapporte l'écriture
tibétaine de l'Inde, où Songtsen Gampo avait envoyé
des Tibétains pour y étudier le sanskrit. Cependant, si la
langue écrite est désormais fixée et n'évoluera
presque plus à partir du 12ème siècle, la langue parlée
continuera jusqu'à nos jours à se subdiviser en de nombreux
dialectes différents selon les régions, voire d'une vallée
à l'autre.
635-636: Victoire des troupes de Songtsen Gampo
sur les A-zha qui vivent au bord du lac Kokonor.
638: Les Tibétains envahissent le Sichuan
et le nord du Yunnan, défiant l'empereur Tang de Chine qui a refusé
la main de sa fille à Songtsen Gampo. Ils menacent aussi la Birmanie.
639: Songtsen Gampo fait brûler vif son
frère cadet avec lequel il était en conflit.
640: Les Tibétains envahissent le Népal.
641: Les victoires tibétaines amènent
l'empereur de Chine a céder aux exigences de Songtsen Gampo. La
princesse Wencheng, fille de l'empereur Taizong, va devenir la nouvelle
épouse du monarque du Pays des Neiges; elle amène à
Lhassa une statue du Bouddha supposée réalisée du
vivant de ce dernier.
L'influence chinoise commence à pénétrer
au Tibet dans les bagages de la nouvelle épouse du monarque tibétain.
Des produits jusqu'alors inconnus: vers à soie, papier, encre, pierre
à moudre, alcool de riz et verre y parviennent; des étudiants
tibétains se rendent en Chine. Le mode de vie des Tibétains
se transforme. La culture des céréales et des fruits, l'irrigation,
la métallurgie, un système de poids et mesures, de nouvelles
manières de se comporter et de se vêtir... et bien d'autres
éléments de civilisation se répandent peu à
peu sur le Toit du Monde.
Les monastères du Ramotché et
du Jokhang sont édifiés pour abriter
les effigies du Bouddha amenées par les
épouses chinoise et népalaise du roi. Le monastère
du Jokhang est construit sur un terrain marécageux comblé
par la terre apportée par une chèvre sacrée. On attribue
à la statue apportée de Chine des vertus miraculeuses. L'épouse
chinoise de Songtsen Gampo aurait découvert que le sol du Tibet
était le corps d'une démone couchée sur le dos. Pour
neutraliser les pouvoirs néfastes de cette dernière et favoriser
ses aspects positifs, un système de temples, inspiré de la
géomancie chinoise, est construit à sa demande par son royal
époux; les temples sont des clous chargés de maintenir au
sol la démone. Le bruit que l'on entend au Jokhang serait à
la fois celui de l'eau du lac souterrain et du battement du coeur de la
démone subjuguée qui gît en dessous. Ces constructions
marquent le début de la première diffusion du bouddhisme.
Les épouses, chinoise et népalaise, de Songtsen Gampo sont
encore aujourd'hui vénérées au Tibet comme Tara
blanche et Tara verte; la première introduction du bouddhisme au
Tibet est donc d'origine chinoise et népalaise (Grand
Véhicule).
641-645: Règne de Goungson Goungtsen,
fils de Songtsen Gampo, en faveur de qui ce dernier a abdiqué. La
mort du fils ramène le père sur le trône.
645 (ou 635): Soumission du Zhangzhung. Pour
vaincre plus facilement le monarque de ce royaume, Songtsen Gampo
lui offre la main de sa soeur. Cette dernière a pour mission de
liquider son époux; elle s'acquitte parfaitement de cette tâche:
le roi Ligmigya passe l'arme à gauche. Le vaste royaume du
roi assassiné, en réalité une confédération
de tribus, s'étendait du mont Kailash jusqu'au bassin du Tarim.
Cette région, d'où le bön est originaire, est annexée
au Tibet.
647: Les Tibétains parviennent au nord
de l'Inde.
L'empire tibétain
est né. Une administration militaire et civile est mise en place;
le pays est divisé en circonscriptions militaires dont les responsables
doivent fournir des contingents de fonctionnaires et de soldats groupés
en décuries, selon des principes que l'on retrouve chez les Turcs,
les Mongols et même dans l'empire perse des Achéménides.
Des codes civils et militaires sont édictés. Par conquêtes
successives, l'empire s'agrandit aux dépens de ses voisins. Il sera
l'un des plus puissants du monde. Mais, à l'intérieur de
ce vaste ensemble, une structure clanique continue de subsister, dirigée
par les anciens rois, les gyalpo; ces derniers, constitués
parfois en véritables chefs de bandes, ne disparaîtront jamais
complètement et seront encore présents au 20ème siècle;
par ailleurs, l'empire est loin d'être stabilisé; c'est ainsi,
qu'au cours du règne de Songtsen Gampo, les IDong, une peuplade
de l'Amdo, se proclame indépendante; la rébellion est réduite
par les armes et les vaincus s'exilent au Ningxia, au Shanbei et au Shanxi.
Plus tard les IDong formeront le royaume de Mi-nyag (des Tangoutes ou Xia
occidentaux) à cheval sur le Qinghai, le Gansu et le Sichuan.
649 (ou 650 ou 651): Mort de Songtsen Gampo.
Il laisse un vaste empire qui s’étend des sources du Brahmapoutre
aux plaines du Sichuan et du Népal au bassin du Tsaïdam. Ses
obsèques sont celles d'un satrape oriental, selon le rite bönpo.
Son corps desséché est recouvert d'or. Des serviteurs sont
ensevelis à ses côtés; la dépouille du roi mort
est gardée par des ministres qui, à défaut d'être
inhumés avec lui, se comportent comme des morts et n'ont plus de
contact avec le monde des vivants. L'empereur défunt admettait
les sacrifices d'êtres vivants, lors de la signature des contrats
et, même s'il a permis l'introduction du bouddhisme au Tibet, il
ne peut pas être historiquement considéré comme un
monarque bouddhiste. D'ailleurs, il aurait été selon
le rite bön. Après lui, le bouddhisme va péricliter.
Il se heurte à la concurrence du bön. Alors, qu'au début,
les deux confessions se sont tolérées, leur antagonisme devient
de plus en plus vif. La doctrine bouddhiste est incompatible avec certains
aspects de la religion ancestrale des Tibétains. Cette dernière
procède à des sacrifices rituels d'animaux dont le sang abreuve
les divinités; certains auteurs parlent même de sacrifices
humains. C'est évidemment insupportable pour les bouddhistes. Par
ailleurs, il convient de préciser que cette première diffusion
du bouddhisme au Pays des Neiges est incomplète; elle ne s'accompagne
en effet pas de l'élément qui constituera plus tard l'un
de ses traits fondamentaux, à savoir le monachisme.
Début du règne de Mangsong Mangtsen,
petit-fils de Songtsen Gampo. Le ministre Gar Tongtsen poursuit l'expansion
territoriale de l'empire. Il initie une lignée de puissants ministres,
celle des Gar.
654: Un recensement vise à distinguer
les sujets susceptibles d'être enrôlés dans l'armée
des autres considérés comme des sauvages.
658: Une stèle portant des caractères
chinois est apposée sur une paroi rocheuse; elle relate les péripéties
du voyage d'un émissaire extraordinaire de la cour des Tang en Inde
via le Tibet.
665-666: Soumission de Khotan, Kucha, Karashahr
et Kashgar au Sinkiang.
667: Mort de Gar Tongtsen, remplacé
par son fils, Gar Tsenya Dombou.
670: Les Tibétains dominent le bassin
du Tarim et contrôlent la Route
de la Soie.
676: Mort de Magsong Mangtsen et début
du règne de Tri Dusong, un enfant de deux ans. Le rôle du
clan des Gar s'en trouve accru. Devenu adulte, l'empereur préfère
chasser le yack sauvage, égorger le sanglier et tirer les oreilles
du tigre plutôt que de gouverner.
Les Tibétains s'emparent de Dunhuang,
importante étape de la Route de la Soie.
677: Révolte contre le Tibet au Zhangzhung.
680: Le Tibet prend le contrôle du royaume
de Nanzhao. Mort de la princesse Wen-tch'eng, épouse chinoise de
Songtsen Gampo.
683: Wu Zetian exerce le pouvoir en Chine.
Elle favorise
le bouddhisme et se fait même passer pour une réincarnation
d'Avalokitesvara. Elle entreprend la construction d'une tour pourvue d'une
horloge flanquée d'un pilier métallique représentant
le Mont Meru, afin de devenir symboliquement le Maître du Temps et
de l'Espace. Mais elle lutte aussi fermement contre l'empire tibétain.
Les deux puissances, chinoise et tibétaine, prétendent à
l'hégémonie politique et religieuse.
685: Mort de Gar Tsenya. Son frère Gar
Thiding prend la direction des affaires.
En 691, une terrible tempête met à
bas la Tour du Temps et l'effigie du Mont Meru de Wu Zetian. La Tour est
reconstruite pour être à nouveau détruite par le feu
en 694.
692 (ou 694): Les Chinois reprennent Kucha,
Kashgar, Yarkand et Khotan aux Tibétains. La Chine contrôle
à nouveau la Route de la
Soie.
695: Victoire de Gar Thinding sur les Chinois
dans le Gansu.
698 (ou 678): Victoire des Chinois sur les
Tibétains au Kokonor. L'empereur
tibétain finit par trouver la tutelle des Gar d'autant plus pesante
qu'ils ne remportent plus qu'épisodiquement des victoires. Il s'en
affranchit. Les Gar doivent s'enfuir en Chine.
699: L'armée impériale tibétaine
bat celle de Gar Thinding, du clan des Gar, qui se suicide.
Au cours du 7ème siècle, Tsongpön
Norbuzangpo, un marchand d'une haute spiritualité, a rédigé
une version tibétaine du Livre des Changements chinois (Yi
King); il a également compilé les premières annales
du commerce du Tibet avec les autres pays.
702: Paix sino-tibétaine.
Le Tibet organise administrativement le royaume du Sumpa.
703 (704): Le royaume de Nanzhao
(nord du Yunnan) reconnaît la suzeraineté du Tibet.
Le Népal et les pays himalayens se soulèvent
contre le Tibet. Tri Dusong meurt au cours de la campagne entreprise pour
dompter la révolte et ses fils se disputent la succession.
Début du règne du prince Lha.
705: Le prince Lha est déposé
suite aux intrigues de l'impératrice douairière Trimaleu,
qui avait déjà exercé la régence sous Tri Dusong.
Début du règne de Tride Tsougtsen, alias Mes Agtsom (Grand
Père Barbu), encore un enfant. Sous le règne de cet empereur,
le cadastre sera instauré.
Le roi du Népal, vaincu, est destitué;
son pays redevient tributaire du Tibet. Les Tibétains enlèvent
le Ferghana aux Chinois.
Expansion turque en Asie. La Chine s'allie
aux Turcs. En contrepartie, le Tibet s'allie aux Arabes.
709: Le roi du Serib, petit royaume au sud-ouest
du Tibet, est pris et son pays tombe sous la domination des Tibétains.
710: Mariage d'une princesse chinoise, fille
adoptive de l'empereur Zhongzong, avec Mes Agstom (Tride Tsougtsen), petit-fils
de Trimaleu. Le Tibet revendique la possession d'un territoire chinois
afin que la princesse puisse disposer d'un fleuve où se baigner.
La Chine, effrayée par la réputation de cruauté des
guerriers tibétains, accepte cette cession.
712 : Mort de Trimaleu.
L'empereur chinois Xuanzong (Hiuan-tsong)
(712-756) adopte le taoïsme comme religion officielle. La princesse
chinoise, devenue impératrice du Tibet, favorise la
pénétration de la civilisation
chinoise sur les hauts plateaux; le confucianisme, le taoïsme, la
médecine et le bouddhisme chinois y font une timide apparition.
Le nestorianisme y aurait également pénétré;
le patriarche Thimotée 1er (727-823) mentionne en effet l’existence
au Royaume des Neiges d’une communauté prometteuse pour laquelle
il réclame l’envoi d’un évêque.
714: Tentative tibétaine d'invasion
de la Chine. Elle échoue.
717-720: Le calife Umar de l'empire perse envoie
Salah bin Abdullah Hanafi au Tibet. Ce serait la première tentative
de pénétration de l'Islam sur le Toit du Monde.
727: Nouvelle tentative d'invasion de la Chine.
Elle est couronnée de succès. Les troupes tibétaines
s'empare d'Anxi, au Gansu, et se gorgent de pillages, mais elles échouent
dans le bassin du Tarim. Les Chinois reprennent le Ferghana.
730: L'équilibre des forces contraint
l'empire tibétain et l'empire chinois à engager des négociations
de paix. Les classiques chinois et un recueil de littérature sont
envoyés au Tibet.
737 (740?): Le Brusha (Gilgit, Grand et Petit
Po-lu) se soumet au Tibet. Le roi du Gilgit épouse une princesse
tibétaine; impuissant face à la résistance de ce petit
royaume, Tride Tsougtsen a trouvé ce moyen pour asseoir sur lui
son autorité.
747: Le Tibet perd le contrôle du Gilgit.
750: Offensive chinoise contre le Tibet. Des
troupes tibétaines rallient l'armée chinoise. Xuanzong, allié
aux Turcs ouïgours, occupe le nord du Tibet.
751: Victoire des Arabes sur les Chinois sur
les rives de la rivière Talas, en Asie centrale. Le bassin du Tarim
s’ouvre à la conquête musulmane. L'expansion de l'Islam amène
des bouddhistes à se réfugier au Tibet; cet exode favorise
le développement du tantrisme
dans le bouddhisme tibétain.
755: Tride Tsougtsen est assassiné suite
à un complot de ses ministres.
755-763: Révolte de seigneurs de la
guerre (An Lushan) en Chine.
755 (ou 756): Début
du règne de Trisong Detsen (742-798 ou 803), fils cadet de l'empereur
défunt; on le prétend doté de pouvoirs magiques.
756-757: Le Bengale est tributaire du Tibet.
La Chine est menacée de toutes parts
(Arabes, Tibétains, Mongols, dissensions internes).
762: L'empereur de Chine renonce unilatéralement
aux échanges de cadeaux traditionnels avec l'empereur du Tibet.
763: Alliance du Tibet avec
les Ouïgours. Xian, capitale de la Chine, alors en proie à
la rébellion d'An Lushan, tombe aux mains des Tibétains et
de leurs alliés. La ville est mise à sac, l'empereur de Chine
s'enfuit. Il est détrôné au profit d'un usurpateur
imposé par les vainqueurs. Mais le règne de ce dernier ne
durera que quinze jours. Passé ce délai, les envahisseurs
se retirent pour aller piller ailleurs.
Dans le bassin du Tarim, les Tibétains,
profitant de l'affaiblissement de la Chine, prennent Turfan et Hami.
778: Alliance du Tibet avec le Siam pour attaquer
le Sichuan.
783: Traité de paix
sino-tibétain. On égorge des animaux et les plénipotentiaires
scellent la réconciliation de leurs maîtres en se barbouillant
les lèvres de leur sang. La Chine abandonne le Kokonor au Tibet.
Les Tibétains vont bientôt rompre cette paix qui n'est en
fait à leurs yeux qu'une trêve.
787: Nouvelle invasion de la Chine par le Tibet;
Dunhuang tombe à nouveau. On renégocie. La Chine est humiliée:
ses ambassadeurs sont faits prisonniers.
789-790: Les Tibétains s'emparent de
Beshbalik et de Khotan, dans le bassin du Tarim.
780, 792 ou
793?: Le maître du Tibet organise un concile à Lhassa. Les
représentants du bouddhisme hindou et ceux du bouddhisme chinois
sont invités à y présenter leurs points de vue respectifs.
Le choix de l'empereur se porte sur les premiers. D'après une des
versions de l'affaire, nombre de partisans de la doctrine rejetée
se suicident; ils ont pourtant triomphé au cours des débats,
mais l'empereur a tranché en faveur de leurs adversaires pour des
raisons politiques: il privilégie l'influence indienne pour tenir
la Chine à l'écart; le principal avocat du camp des vaincus
quitte les lieux en y oubliant une chaussure; l'essentiel de son enseignement
y est dissimulé; il est destiné aux générations
futures.
On remarquera le goût des Tibétains
pour les joutes verbales qui permettent de départager des doctrines
différentes; on les reverra à l'oeuvre plus tard et il n'est
pas impossible qu'elles soient à l'origine du pittoresque système
de contrôle des connaissances entre étudiants encore en usage
dans les monastères.
Trisong Detsen s'efforce de contenir la poussée
musulmane à l'ouest. Il essaie même d'envahir les possessions
d'Haroun al-Rashid; ce dernier s'allie alors à la Chine. Les troupes
tibétaines sont refoulées et la menace musulmane assombrira
la fin du règne de l'empereur.
794: Le royaume de Nanzhao échappe à
la tutelle du Tibet. Il s'allie à la Chine et lui servira de rempart.
797: Trisong Detsen abandonne le pouvoir. Il
mourra un an plus tard. Pour les bouddhistes tibétains, ce prince,
émanation de Manjusri, bodhisattva de la sagesse, aurait choisi
lui-même le moment de sa disparition, alors qu'il était encore
en bonne santé. Son tumulus funéraire, une pyramide à
trois degrés de 180 m de côté, la plus imposante des
tombes de la vallée de Tchong-gyé, rappellera la puissance
de l'Empire tibétain au cours de son règne.
Au 8ème siècle, l'expansion de
l'empire tibétain l'a fait entrer en contact avec de nombreux autres
peuples (Ouïgours, Sogdiens, Chinois, Iraniens, Arabes) et les religions
pratiquées par ces peuples (manichéisme, nestorianisme en
particulier) sont susceptibles d'avoir influencé le bouddhisme tibétain;
il est probable que les funérailles célestes sont inspirées
des tours du silence perses où les morts sont la proie des vautours;
la crémation est évidemment venue de l'Inde; mais le mythe
d'un être né de l'accouplement d'un homme et d'une vache pourrait
bien avoir été inspiré par celui du Minotaure grec.
Des influences se sont également exercées dans le domaine
scientifique, la Chine et l'Inde apportant diverses techniques de divination
et de calculs astrologiques ainsi que leur science médicale.
Durant le long règne
de l'empereur, d'importants changements sont intervenus au Tibet. Trisong
Detsen s'est efforcé d'étendre l'influence du bouddhisme
à l'ensemble du pays, peut-être dans le but d'affaiblir le
clergé de l'époque afin de renforcer son pouvoir politique.
Il a persécuté les sectateurs du bön et s’est heurté
à l'hostilité d'une partie de son entourage. Pour surmonter
ces difficultés, il a fait appel à un savant réputé
de l'Inde Shântarakshita, puis à un sage tantriste Padmasambhava,
dont le nom signifie "Né du Lotus"; on notera que cette plante,
qui pousse dans des eaux fangeuses, possède en quelque sorte le
pouvoir de tirer la pureté de la boue; être né du lotus
est donc hautement symbolique. Padmasambhava est initié à
la magie et peut lutter contre les bönpos sur leur propre terrain.
Au lieu de répudier les croyances antérieures, il montre
leur compatibilité avec le bouddhisme, dans lequel il les intègre.
C'est ainsi que les montagnes sacrées bönpos vont devenir des
lieux de pèlerinages bouddhistes. La plupart des terribles et belliqueuses
divinités locales ne sont pas éliminées mais seulement
asservies au bouddhisme. Elles demeurent présentes dans les rituels
d'une religion pourtant basée sur la non violence et la compassion.
Ces divinités peuvent se rebeller et entrer en conflit avec leurs
maîtres qui doivent sans cesse s'efforcer de les contenter ou de
les subjuguer. C'est ce qui explique les aspects contradictoires d'une
religion qui déroutent et fascinent à la fois les esprits
européens. On peut voir aussi dans cette opposition l'effort du
peuple tibétain pour refouler les instincts guerriers qui sont une
composante essentielle de sa culture afin de respecter les préceptes
bouddhistes. Ce peuple tibétain n'est-il pas l'héritier à
la fois des vertus pacifiques de son père, Avalokitesvara, et des
traits de caractères violents, guerriers et courageux de sa mère,
Srinmo?
Cette période d'expansion de la nouvelle
religion voit la fondation du monastère de Samye
, "l'inimaginable", en 779 (ou 774?), et celle de l'école
des Nyingmapas (coiffes rouges) qui
ne porteront cependant ce nom qu'à partir de la création
des autres écoles. L'avènement du monachisme constitue une
étape essentielle dans le développement du bouddhisme tibétain;
il deviendra l'une des pièces maîtresses de la civilisation
du pays. C'est dans les monastères que s'acquiert la connaissance
et c'est en eux, ainsi que dans les ermitages, que l'on se livre aux pratiques
qui conduisent à l'éveil. Les bénéfices retirés
de cette activité sont supposés se répandre sur toute
la société. Les laïcs ne participent pas aux rites auxquels
ils ne peuvent qu'assister; ils accumulent néanmoins des mérites
grâce à leurs offrandes aux monastères. Ces derniers
vont progressivement prendre une place prépondérante dans
l'organisation sociale, économique et politique du pays. Ils seront
dotés de terres, de serviteurs et jouiront d'exemption d'impôts
et de corvée. Leurs abbés, souvent issus des mêmes
familles que les princes, constitueront avec ces derniers des hiérarchies
parallèles qui s'appuieront mutuellement*. Au sommet de la hiérarchie,
l'empereur, protecteur de la religion officielle, sera investi d'une sorte
de souveraineté spirituelle; il sera proclamé chögyel,
roi de la Loi, défenseur du Dharma.
Possédant une proportion importante de la propriété
foncière du pays, la richesse et la puissance des monastères
en feront un des éléments majeurs du féodalisme tibétain;
au plan économique, il joueront même un temps le rôle
de banquiers, comme les Templiers en Occident.
* Cette sorte de dyarchie se
reproduira jusqu'à nos jours, des lamas faisant encore partie de
l'administration chinoise. Elle trouvera sa forme la plus significative
dans la relation chapelain-protecteur.
A l'époque de
Trisong Detsen, apparaît également Vimalamitra, un maître
hindou formé en Inde et en Chine qui va propager, avec Padmasambhava
et Vairotsana, la doctrine dzogchen au Tibet. Cette doctrine s'efforce
de surmonter le dualisme entre le nirvana et le samsara. Aussi appelée
Grande Complétude, elle fait partie des traditions les plus
révérées du Bouddhisme et du Bön et son origine
se perd dans la nuit des temps. Le Dzogchen repose sur l'état
primordial, celui d'éveil total qui constitue l'essence de tous
les Bouddhas et de toutes les voies qui conduisent à l'évolution
spirituelle. C'est la perfection suprême de la nature de Bouddha
qui repose en chaque être et que celui-ci atteint lorsque se dissipe
son ignorance. Certains auteurs pensent que le Dzogchen constitue
en fait une quatrième voie en plus des trois véhicules traditionnels
(petit véhicule, grand véhicule et véhicule de diamant).
Son principe est l'autolibération spontanée des passions
plutôt que leur transformation comme dans le tantrisme. Il
présente des analogies avec le chan (bouddhisme chinois)
chassé du Tibet lors du concile de
Lhassa au profit du bouddhisme hindou.
Malgré ces développements,
le triomphe du bouddhisme n'est cependant pas total. L'impératrice,
épouse de Trisong Detsen, Tse Pongza, demeure fidèle au Bön,
et se montre l'une des plus acharnées opposantes à Padmasambhava.
Pour elle, tous les attributs du bouddhisme: les trompettes creusées
dans les ossements humains, les coupes faites dans des crânes, les
peaux humaines tannées, les guirlandes d'os... sont moins religieux
que démoniaques et ont été envoyés par l'Inde
au Tibet pour le pervertir. Elle y voit une menace pour la monarchie et
prévoit, avec beaucoup de justesse, sa disparition. Des prêtres
bönpos sont massacrés et jetés dans les rivières.
La persécution dont ils sont l'objet conduit les bönpos à
cacher leurs textes sacrés dans des lieux secrets. Padmasambhava,
de son côté, engage ses disciples à dissimuler les
leurs. Des textes dzogchen qui réapparaîtront plus tard sont
supposés avoir subi le même sort au cours des persécutions
qui ne vont pas manquer. Les cachettes peuvent être matérielles
mais elles utilisent également la mémoire humaine. Elles
sont non seulement destinées à protéger les textes
sacrés d'une possible persécution future mais aussi à
mettre en attente ceux qui seraient incompréhensibles au public
de l'époque et qui seront diffusés plus tard, à des
auditeurs aptes à les recevoir, par les réincarnés,
qui les auront mémorisés dans une vie antérieure.
Ainsi naissent les termas (textes
trésors).
Sous le règne de Trisong Detsen, un
nouveau code de procédure pénale voit le jour. Les châtiments
qu'il prévoit sont extrêmement cruels (bris de membres, par
exemple), selon nos normes, mais probablement tout à fait en phase
avec l'esprit du temps. Il subsistera longtemps, avec des adaptations;
au 19ème siècle, à Litang, le coupable d'un vol à
main armée était encore mis à mort; ses partisans
pouvaient néanmoins demander sa liberté, s'il était
pris vivant; mais alors il devait acquitter une sorte le rançon,
le prix de la vie, qui représentait neuf fois la somme volée.
Le prix de la vie s'appliquait aussi au meurtre; cette coutume permettait
d'éviter d'interminables vendettas entre les familles; si le prix
de la vie ne pouvait pas être payé, la vengeance s'exerçait,
appelant d'autres vengeances. Toute atteinte à la religion, était
sévèrement réprimée: qui montrait un religieux
du doigt était amputé de celui-ci, qui parlait mal de la
religion avait les lèvres coupées, qui regardait un moine
de travers avait l'oeil arraché, qui volait les biens du clergé
devait restituer quatre-vingt fois la valeur des objets subtilisés.
Le clergé était mis presque à la hauteur du souverain;
en cas de vol de ce dernier, la restitution s'élevait à cent
fois la valeur, alors qu'elle n'était que de neuf fois lorsque la
victime était un laïc ordinaire. Lorsqu'une peine de mort était
prononcée, le condamné était brûlé vif
ou jeté dans un fleuve. Les religieux bénéficiaient
d'un traitement de faveur; on ne pouvait pas arracher un oeil aux moines,
ni couper le nez aux nonnes! Certains auteurs attribuent cependant ces
réformes judiciaires à Rapalchan.
Parmi les 25 principaux
disciples de Padmasambhava, il convient de réserver une place particulière
à Yeshe Tsogyal (777-837). Cette dernière naquit dans une
famille princière. L’heureux événement fut accompagné
du jaillissement miraculeux d’une source qui donna naissance à un
lac. Celui-ci, appelé "Lha-Tso", devint ultérieurement
un lieu de pèlerinage. Ses parents durent la cacher car, à
peine âgée de quelques mois, elle avait déjà
la taille d'une enfant de dix ans!
Ses origines princières n’évitèrent
pas à la jeune fille bien des tribulations. Deux prétendants
se présentèrent pour l'épouser. Craignant de mécontenter
celui qui essuierait un refus, son père décida qu'elle
appartiendrait au premier qui l'attraperait. Elle partit en avant avec
des chevaux et des mules portant des provisions. Les deux jeunes gens et
leur suite se lancèrent à sa poursuite. Les suivants de l'un
des deux la rejoignirent et tentèrent de l'enlever en la saisissant
par les cheveux. Peine perdue, elle ficha ses pieds dans un rocher d'où
il leur fut impossible de l'arracher. Alors, rendus furieux, ils la frappèrent
à grands coups d'épieu tout en l'insultant. Couverte de blessures
et de sang, elle finit par accepter de les suivre. Ses tortionnaires se
divertirent en arrosant copieusement leur prise. Elle profita de leur sommeil,
consécutif à cette mémorable beuverie, pour s'évader.
Elle se réfugia dans une vallée où elle vécut
en se nourrissant de baies et en s'habillant de feuilles d'arbres. Le galant,
dont les suivants n'avaient pas été assez rapides, eut connaissance
de l'endroit où elle se cachait. Il y envoya ses hommes d'armes,
la fit saisir, l'enchaîna et abusa d'elle. Apprenant son infortune,
le vainqueur de la course soupçonna le père deYeshe Tsogyal
de complicité et le menaça de lui faire la guerre.
.
|
Yeshe
Tsogyal |
.
Trisong Detsen s'interposa et mit tout le
mode d'accord en faisant entrer la jeune fille dans son harem. L'empereur
l'offrit ensuite à Padmasambhava qui la lui avait demandée.
Le maître l'affranchit. Elle devint son épouse mystique et
trouva le bonheur. Elle était alors âgée de 16 ans.
Comme elle suivait avec ferveur les enseignements du gourou, celui-ci lui
conféra l'initiation à l'âge de vingt ans, dans une
ambiance érotico-religieuse où l'influence du tantrisme est
évidente. Puis il lui ordonna de se rendre au Népal pour
s'y chercher un jeune et vigoureux compagnon, aux doigts palmés
et portant un signe au niveau du coeur. Chemin faisant, la jeune femme
convertit des brigands qui en voulaient à son or. Elle ressuscita
le fils mort à la guerre d'un riche marchand, avant de revenir au
Tibet avec son compagnon, un esclave hindou, qu'elle avait racheté.
Les ministres bönpos de Trisong Detsen
ne voyaient pas d'un bon oeil l'ascendant que prenait le gourou sur leur
maître. Ils complotèrent pour s'en défaire et mettre
à mort l'épouse de l'empereur qui se commettait avec cet
ennemi mortel de la religion de leurs ancêtres. Padmasambhava en
fut réduit à dissimuler la jeune femme sous les apparences
d'un trident. Il lui redonna figure humaine devant l'empereur et ses suivants
médusés. Les ardeurs des comploteurs en furent calmées
pour un moment : on ne s'oppose pas à quelqu'un qui possède
de tels pouvoirs! Mais ce n'était que partie remise. Pour mettre
un terme au conflit, l'empereur décida de départager les
antagonistes. Il organisa un tournoi à Samye. La religion qui triompherait
serait la seule admise sur ses terres. L'autre serait définitivement
bannie. Bönpos et bouddhistes se livrèrent à des joutes
verbales sous le regard de la cour et d'un grand concours de peuple. Des
points furent marqués de part et d'autre. Mais les bouddhistes finirent
par triompher. Les bönpos en avalèrent leur langue de dépit
tandis que la grêle d'une averse les accablait et qu'une pluie de
fleurs tombait sur leurs rivaux. On passa ensuite à la confrontation
des pouvoirs magiques. Là encore, les bouddhistes se montrèrent
insurpassables. On notera que, dans ces différents combats, Yeshe
Tsogyal gagna toujours, chaque fois qu'elle fut opposée à
des bönpos. Comme ces derniers, vaincus mais non convaincus, tentaient
de détruire Samye, au moyen d'un charme, elle s'empara de celui-ci,
le retourna contre eux et les extermina! Trisong Detsen déclara
le bouddhisme vainqueur. Il devint la religion officielle du Tibet. Le
bön fut divisé en deux classes : le bön extérieur
et le bön intérieur. La première classe fut interdite
et la seconde tolérée; ses enseignements furent admis au
même titre que ceux du bouddhisme.
Yeshe Tsogyal passait pour posséder
une mémoire phénoménale. Aussi lui confia-t-on le
soin de retenir des enseignements précieux afin de les préserver
de la destruction. Cette femme extraordinaire se réfugia dans plusieurs
ermitages pour y méditer, seule ou accompagnée de disciples,
nourrie d'air et de plantes médicinales. Nue sur les montagnes,
elle survécut grâce à la maîtrise de sa chaleur
corporelle. Elle y fut attaquée ou tentée à diverses
reprises par toutes sortes d'êtres bizarres. Des divinités
du bön la combattirent. Des éphèbes vinrent lui caresser
les seins et le sexe. Mais elle ne broncha pas: tout cela n'étant
qu'illusion.
Ses vicissitudes n'étaient cependant
pas terminées. Une bönpo essaya de l'empoisonner. Elle transmua
le venin en élixir de longue vie. Sept brigands la volèrent
et la violèrent. Par cet acte, et grâce aux pouvoirs occultes
de leur victime, les malfaiteurs gagnèrent l'accomplissement spirituel
et la libération. La douleur de l'épouse mystique de Padmasambhava
atteignit son paroxysme lors de la mort de ce dernier. Elle se frappa au
sol, se déchira aux rochers, pour tenter de le retenir. Ce fut en
vain. Il s'en alla sur un rayon de soleil. La compassion de la jeune femme
ne connut alors plus de borne. Elle donna sa chair aux bêtes affamées
et le bas de son corps aux lubriques. Indra la mit plusieurs fois à
l'épreuve. Les amis d'un condamné, qui avait eu les rotules
brisées, en application du code de Trisong Detsen, vinrent lui demander
les siennes pour les remplacer. Elle se laissa entailler les genoux pour
en extraire les os. Un lépreux, tellement hideux que sa femme l'avait
quitté, vint lui proposer de la remplacer. Elle accepta sans hésiter
de partager sa couche. Pour mettre le comble à ses bienfaits, elle
parcourut le Tibet et les pays voisins, pendant qu'elle était encore
en âge de se dépenser. Elle y dissimula, en des endroits propices,
une multitude de textes sacrés destinés à l'édification
des générations futures.
Yeshe Tsogyal dispensa son enseignement à
la famille impériale et continua de répandre ses faveurs
sur le Tibet jusqu'à l'âge de deux cent onze ans (211!). Alors,
réfugiée avec ses disciples sur une montagne, elle prophétisa
les événements que connaîtrait dans l'avenir le Pays
des Neiges. Elle annonça notamment la dissolution de l'empire. Puis,
malgré les supplications des uns et des autres, elle disparut dans
un palanquin de lumière, abandonnant derrière elle sa cloison
nasale, ses dents, ses ongles et ses cheveux, qui furent transformés
en reliques, sous forme de petites perles. Elle aurait également
laissé l'empreinte d'un de ses pieds dans une montagne voisine du
monastère de Moura, en région Golok (Amdo), où elle
serait venue méditer. On dit aussi que sa chair fut dévorée
par les dakinis avant que ses ultimes restes s'évanouissent
dans un arc-en-ciel. Rappelons que les
dakinis sont des divinités de nature féminine qui
dansent dans les airs. Démones buveuses de sang dans la mythologie
brahmaniste, elles sont, dans le bouddhisme tibétain, des divinités
protectrices parfois représentées avec des têtes d'animaux;
ces divinités occupent un état intermédiaire entre
les hommes, les démons et les bouddhas et jouent un rôle important
dans les rituels et les pratiques tantriques; elles se repaissent de chair
et s'abreuvent de sang humain. Mais elles sont aussi le symbole de la sagesse
au féminin.
Malgré sa grande piété
et ses dons hors du commun, Yeshe Tsogyal pâtit de sa condition féminine
dans un monde où les femmes n'étaient pas considérées
comme les égales des hommes. Selon les conceptions de l'époque,
les femmes pouvaient en effet rarement atteindre le nirvana et naître
femme était une sorte de malédiction. Voici les lamentations
de Yeshe Tsogyal: "Je suis une femme. Je
possède peu de pouvoir pour résister aux tentations. A cause
de ma naissance inférieure, chacun s'en prend à moi. Si je
me fais mendiante, les chiens m'attaquent. Si je produis un grand bien,
les gens du commun m'attaquent. Si je ne fais rien, les commérages
m'attaquent. Si tout va mal, tout le monde m'attaque. Quoi que je fasse,
je n'ai aucune chance de trouver le bonheur. Parce que je suis une femme,
il est bien difficile de suivre la loi du Dharma. Il est même bien
difficile de rester en vie."
Yeshe Tsogyal reste l'un des rares exemples
d’ermites féminins. A titre d'illustration, voici l'une des visions
qu'elle fit lors de l'une de ses retraites: "...
Je me trouvais en pays d'Oddiyana, la contrée des dakinis.
Sur un sol compact de chair humaine, poussaient des arbres fruitiers tout
enfeuillés de lames effilées; des squelettes dressés
composaient falaises et collines où les mottes de terre s'éparpillaient
en fragments d'os. Au centre s'élevaient les murailles d'une forteresse
bâtie avec des crânes desséchés, des têtes
humaines fraîchement coupées et pourrissantes. Portes et toits
y étaient faits de peaux d'hommes tendues. Dans un rayon de cent
mille lieues, l'endroit était entouré par un cercle de montagnes
de feu, une tente de vajras,
une pluie d'armes, les huit charniers et une palissade de ravissants lotus.
A l'intérieur de ce périmètre, j'étais environnée
d'oiseaux mangeurs de chair et de bêtes buveuses de sang, de démons
et de démones sanguinaires et de tant d'autres monstres. Vision
terrifiante! Mais personne ne se montra ni agressif, ni amical, et, passant
les trois portails successifs, je pénétrai dans la citadelle.
Je vis là maintes dakinis d'apparence
féminine et de couleurs différentes, portant des offrandes
multiples qu'elles présentaient à la dakini principale. Quelques-unes
taillaient des tranches de leur propre chair avec des couteaux, les disposaient
en guise de festin sacré et les offraient. Dans le même but,
quelques-unes se saignaient les veines, d'autres extrayaient leurs yeux,
leur nez, leur langue, leurs oreilles, s'extirpaient le coeur ou d'autres
organes, muscles, intestins, sucs, moelle épinière, leur
vie, leur souffle, quelques-unes leur tête, quelques-autres leurs
membres : les découpant et les arrangeant pour les offrir en festin
sacré à la principale dakini enlacée à son
époux;..."
Voici une autre de ses visions recueillie au
cours de mes lectures; je n'en garantis pas l'authenticité : "Une
femme ayant ses menstrues, totalement nue et ne portant autour du cou qu'un
collier d'ossements humains, se dressa devant moi. Elle plaça son
vagin sur ma bouche. Son sang se mit à couler, je l'avalai goulûment.
Alors tous les royaumes s'emplirent de bénédictions. Une
force seulement comparable à celle d'un lion m'envahit."
Début du règne de Mone Tenpo,
second fils de Trisong Detsen. Cet empereur, inspiré par les enseignements
du bouddhisme, tente de soulager les misères de son peuple. Il est
assassiné par sa mère jalouse de l'impératrice. Elle
l'empoisonne avec de la tisane de colchique. Les bouddhistes attribueront
ce crime à l'influence des bönpos.
800: Le trône revient à Tride
Songtsen, alias Senaleg. Le bouddhisme accroît son influence. L'empire
semble s'orienter vers une renonciation à l'esprit de conquête.
809: Les Tibétains, alliés aux
Qarluqs turco-mongols, assiègent Samarcande et le souverain abbasside
Al Mamun doit traiter avec eux.
810: Les troupes abbassides s'emparent du Gilgit
sans susciter de réaction tibétaine.
814 (ou 815): Mort
de Tride Songtsen. Début du règne de Tritsoug Detsen, alias
Tri-Ralpachan (ou Ralpachen - Le Chevelu). Il est imposé par les
ministres bouddhistes qui ont récusé son aîné,
jugé trop emporté. Très pieux, le nouvel empereur
pousse la dévotion jusqu'à se faire moine; il accélère
les réformes en faveur du bouddhisme; de nouveaux privilèges
sont accordés aux monastères; les textes sacrés font
l'objet d'une traduction plus minutieuse. Les bönpos sont persécutés;
leur opposition se manifeste avec violence.
Voici comment un commentateur parle de lui
: "Une loi qu'il a promulguée, a
placé les droits des moines bien au-dessus de ceux des gens ordinaires.
Par exemple, quiconque pointait un doigt sur l'un des moines condamnés
risquait de se le faire couper. Quiconque disait du mal de l'enseignement
du Bouddha aurait les lèvres mutilées. Quiconque jetait un
regard pervers sur un moine aurait les yeux bouchés, et quiconque
volait un moine devait rembourser vingt-cinq fois la valeur du vol. Il
fallait que sept familles du pays assurent le coût de la subsistance
d'un moine. Le roi, totalement soumis aux prescriptions religieuses, aurait
rejoint une Sangha (communauté monastique). Il n'est pas surprenant
qu'il ait été assassiné en l'an 838 de notre ère,
après avoir imposé un régime aussi dur."
822: Signature d'un traité de paix avec
la Chine. Cette puissance reconnaît les conquêtes tibétaines.
Le Tibet englobe alors le Qinghai, une partie du Gansu et l'ouest du Sichuan.
La paix met fin à deux siècles de conflits entre la Chine
et le Tibet.
823: Érection de monuments pour marquer
l’alliance entre la Chine et le Tibet. L'un de ces monuments se dresse
encore sur l’esplanade du Jokhang.
Dans les annales chinoises de l'époque
des Tang, on trouve une description imagée des Tibétains.
Pour saluer, ils aboient comme des chiens. Pour manger, ils fabriquent
un bol en farine d'orge, le remplissent de soupe qu'ils lapent tout en
dévorant le bol! Il faut préciser qu’en Europe, au Moyen
Âge, on se servait également du pain comme d'une assiette,
certains y voient l'origine de la pizza. Quoi qu'il en soit, pour les Chinois,
les Tibétains restent des barbares et cela marquera longtemps les
relations entre les deux pays.
836 ou 838? (vers 840): L'opposition des nobles,
mécontents des distributions de terres concédées aux
monastères, débouche sur un complot. L'empereur est assassiné
par Wagyal Daw-Ri et ses affidés.
Son frère, Oudoumtsen
Darma, alias Langdarma (Darma le Taureau), partisan des bönpos, lui
succède. Les bouddhistes sont persécutés; les quelques
monastères existants sont détruits (par exemple Samye); les
moines et leurs partisans sont tués ou dispersés. Voici du
moins la version bouddhiste.
Les bönpos n'accordent pas autant d'importance
à ce roi et n'en font pas l'un des leurs. En fait, pour préserver
le pouvoir royal, il n'aurait fait que lutter contre l'influence croissante
du clergé bouddhiste dans les affaires politiques. Quoi qu'il en
soit, en 842(?), un ermite bouddhiste teint en noir un cheval blanc, se
revêt d'une cape noire doublée de blanc, se coiffe d'un chapeau
noir surmonté d'un crâne humain et se rend à Lhassa
déguisé ainsi en magicien bönpo. Arrivé devant
le palais du monarque, il se livre à une danse rituelle en brandissant
un arc et des flèches. L'empereur apparaît à son balcon.
Le faux magicien le "délivre" d'une flèche qui lui
perce le coeur avant de sauter sur son cheval et de prendre la fuite. On
ne le retrouvera jamais. Au passage d'un fleuve à la nage, il a
retourné sa cape et le cheval, lavé par l'eau, a retrouvé
sa couleur d'origine. Le meurtre aurait été dicté
par Palden Lhamo une divinité terrifiante qui
chevauche un coursier sur une mer de sang
et dont la selle est confectionnée avec la peau tannée de
son fils qu'elle a tué parce qu'il refusait de se convertir au bouddhisme.
La mort de Langdarma marque la fin du pouvoir civil et ouvre la voie au
pouvoir monastique tout puissant. Le meurtre politique est déjà
de tradition au Tibet; au moins six rois de la dynastie du Yarloung sont
morts assassinés. En principe, le meurtre est interdit par le bouddhisme,
cependant, on peut tuer quelqu'un lorsqu'il n'y a pas d'autre moyen de
l'empêcher d'accomplir les plus grands forfaits; on le "délivre"
ainsi de lui-même.
La date de la disparition de Langdarma est
sujette à caution. On pense qu'elle pourrait avoir été
plus tardive. Un oubli de plusieurs dizaines d'années aurait contracté
la chronologie. Pendant un siècle et demi les chroniques tibétaines
ne donnent plus de dates; les annales chinoise sont plus précises,
mais elles sont sujettes à caution dans la mesure où les
événements survenus au Tibet ne parviennent en Chine qu'après
un long retard et que c'est le moment de leur arrivée qui est souvent
utilisé pour les dater; on estime qu'il pourrait manquer au moins
soixante ans dans la chronologie des faits, voire 120 ans. En l'absence
de documents fiables, il n'est pas facile de dater avec précision
les événements survenus au Pays des Neiges.
Quoi qu'il en soit, la puissance du Tibet touche
à sa fin. L'empereur assassiné laisse deux héritiers
nés de mères différentes, Eusoung et Youmten, qui
se disputent le trône pendant une vingtaine d'années. L'un
devra s'enfuir en Amdo et l'autre règnera sur le Tibet central.
Mais le pouvoir est devenu impuissant. L'empire se morcelle en plusieurs
petites monarchies qui luttent les unes contre les autres. Le pays retombe
dans le féodalisme. Le premier Potala est détruit. Les sanctuaires
désertés sont désacralisés. Bien que proscrit,
comme toutes les religions étrangères, le bouddhisme, menacé
de mort sous Langdarma, se maintient timidement, à la faveur des
troubles, notamment au Kham, grâce à la proximité de
la Chine qui le favorise, et à l'influence d'un personnage important,
Gerabsel (mort en 915 ou 975).
Pendant plus de deux siècles le puissant
empire d’Asie centrale a dominé certaines parties de l’Inde, du
Népal, de la Birmanie au sud, de la Route
de la Soie au nord, de la Chine à l’est, du Pakistan à
l’ouest; au nord-ouest, l’influence tibétaine s’est faite sentir
jusqu’à Samarcande. La menace tibétaine obligea même,
on l'a vu, la Chine et le monde musulman à se rapprocher. Cet empire
sombre maintenant dans une anarchie entrecoupée de révoltes
paysannes.
Les pays conquis font sécession: Dunhuang
se sépare en 849 (ou 831); les villes frontières chinoises
de Touen-houang et Cha-tcheou tombent en 851; c'est le tour du Turkestan
(futur Sinkiang) en 860; en 866, le ministre tibétain commandant
à la frontière est décapité et son armée
se disperse; le Népal recouvre son indépendance en 879. Les
armées tibétaines n'intimident plus grand monde; pouvaient-elles
d'ailleurs espérer conserver longtemps sous le joug les populations
conquises, compte tenu des ressources limitées de leur patrie? |
.
.
L'anarchie
féodale
Le bouddhisme, menacé
par le dernier empereur, se développe à nouveau. Des écoles
(lignées) voient le jour. Des monastères sont construits.
Le clergé profite de la faiblesse et de la dispersion du pouvoir
laïc pour devenir de plus en plus puissant. Les différentes
écoles du bouddhisme tibétain voient le jour; elles vont
tenter de rétablir l'unité du pays à leur profit en
luttant d'influence les unes contre les autres et en entraînant les
chefs laïcs locaux dans leurs querelles. On commence à rêver
en Occident d'un prince asiatique assez fort pour stopper l'essor de l'islam.
917: Les descendants de la famille impériale
tibétaine quittent le Tibet central et viennent s'établir
à l'ouest du pays. La branche aînée fonde au Ladakh
la dynastie Lha Chen; la branche cadette règne sur le Guge dont
les capitales seront Tholing et Tsaparang; le Guge serait situé
à peu près au même endroit que le Zhangzhung soumis
par Songtsen Gampo. Le bouddhisme tibétain va renaître dans
cette région de l'ouest, sous l'influence du traducteur Rinchen
Zangpo (958-1055) qui a étudié au Cachemire, d'où
il est revenu chargé de sagesse et de manuscrits; cet érudit
est protégé par le roi du Guge, Yéshé Ö,
un roi religieux dont il est le chapelain, cependant que, plus au nord,
dans l'Amdo, trois moines, venus du sud, par la Route
de la Soie, initient un mouvement parallèle. La renaissance
bouddhiste au Guge s'exprimera à travers des peintures qui sont
l'un des sommets de l'art tibétain; ces chefs-d'oeuvre, fortement
influencés par l'art hindou, sont caractérisés par
des coloris vifs et des dessins d'une finesse exquise.
Un texte chinois fait descendre
les Tibétains des tribus Qiang du nord de la Chine dont l'existence
est mentionnée dès 200 avant notre ère. C'est peut-être
la première fois qu'un texte chinois revendique l'appartenance des
Tibétains aux peuples de la Chine antique. On a vu que la population
tibétaine est probablement d'origine diverse (voir ici).
Les Qiang (ou Byang) pourraient être les IDong, qui fondèrent
le Mi-nyag, et leurs contacts avec les plaines centrales
de Chine sont à peu près certains.
982: Naissance d'Atisha (982-1054). Fils d'un
prince du Bengale, il décidera de chercher refuge dans la religion
laissant à son frère aîné le soin de succéder
à leur père à la tête de la "seigneurie de Zahor".
Atisha sera l'élève de Naropa.
988: Naissance de Tilopa (988-1069), un des
maîtres du tantrisme, le premier apôtre des Kagyupas. Cet ancien
roi choisira la vie de yogi vagabond.
1005-1064: Vie de Dromtonpa, qui deviendra
disciple d'Atisha, et fondera l'école kadampa.
1012-1088: Vie de Rongdzom Mahapandita qui
commencera à systématiser l'enseignement de Guru Rinpoché
(Padmasambhava).
1012-1096 (ou 1097): Vie de Marpa le traducteur
qui se rendra en Inde d'où il rapportera des textes sacrés
qu'il recevra des yogis Naropa et Maitripa.
1016: Naissance de Naropa (1016-1100), le second
apôtre des Kagyupas. Il sera maître de l'université
indienne de Nalanda avant de partir à la recherche de Tilopa.
1027: Introduction au Tibet
du Kalachakra, doctrine de la roue du temps. Le Kalachakra couronne le
bouddhisme tibétain. Dans ce texte sacré, Adam, Enoch, Abraham,
Moïse, Jésus, Mani, Mahomet, le Madhi seraient présentés
comme des membres de la famille des serpents démoniaques; une guerre
apocalyptique verrait le triomphe des bouddhistes sur les musulmans et
l'avènement d'un monde parfait (Shambala)
sous l'autorité d'un bouddha-roi qui concentrerait tous les pouvoirs.
Il est difficile, pour un non initié, de se faire une idée
exacte du contenu du Kalachakra, parfois décrit par certains presque
comme un manuel de démonologie qui, sous prétexte de surmonter
les contraires, gommerait les différences entre le bien et le mal,
le propre et le sale, le mangeable et l'immangeable... ces tabous à
éliminer. Le meurtre et la consommation de chair humaine, sauf celle
des sacrifiés aux dieux, deviendraient possibles et même conseillés.
L'application de cette doctrine laisserait libre cours à toute licence
et tendrait à priver les êtres de leur individualité.
Le rite d'initiation ferait appel à des pratiques sexuelles, avec
une partenaire réelle ou imaginaire, qui devrait avoir entre 10
et 20 ans, plus âgée elle serait porteuse d'énergie
négative, ce serait une démone; il s'agit de s'approprier
son énergie pour gagner en puissance; 10 femmes prendraient part
à l'initiation; une d'entre elles devrait être apparentée
à l'initié qui l'offrirait à son gourou; l'initié
s'approprierait l'énergie en retenant sa semence et en aspirant
celle de sa partenaire.
032: Le roi du Guge, Yéshé
Ö, fait appel à Atisha dont la réputation comme Pandit
est déjà grande dans le sous-continent indien.
1038: Le Mi-nyag (royaume
des Tangoutes ou Xia occidentaux) enlève aux Ouïgours les villes
chinoises de Cha-tcheou et Kan-tcheou. Il se heurte vers l'ouest à
un royaume tibétain créé autour de Xining (Ts'ing-t'ang
ou Tsongkha). Des moines bouddhistes, peut-être chassés du
Sinkiang par l'invasion musulmane, y jouent un rôle politique.
1040 (ou 1042): Atisha
arrive à Tholing, capitale du royaume du Guge. Il y reste deux ans,
avant de se rendre à Lhassa. C'est le début de la seconde
diffusion du bouddhisme. Celle-ci n'ira pas sans heurt. Atisha devra souvent
fuir, poursuivi par l'hostilité des habitants. Mais sa cause finira
par s'imposer. Pour ce sage, la réalisation suppose des dispositions
et le respect d'une éthique. Aucun acte de la vie n'est anodin.
Il engage ses disciples à comptabiliser leurs bonnes et leurs mauvaises
actions en élevant des tas de cailloux blancs et de cailloux noirs.
Il rétablit la discipline et impose le célibat dans les ordres
monastiques qui, sous l'influence du tantrisme et dans un contexte de décadence
religieuse, se livraient à des activités criminelles et dépravées
ainsi qu'à la magie noire. Il introduit le culte des taras
dans le bouddhisme tibétain. Son disciple, Bromtonpa (ou Bromston),
créera l'école des Kadampas qui, en se distinguant par sa
rigueur exemplaire, annoncera celle des Gelugpas.
1050: Atisha organise un concile en vue de
restaurer le bouddhisme au Tibet.
1040 (ou 1052): Naissance
de Milarepa (1040 ou 1052 - 1123 ou 1135) saint et poète du Tibet.
Encore enfant, à la mort de son père, Milarepa est dépouillé
de son héritage par sa tante et son oncle paternels qui le réduisent
en esclavage ainsi que sa soeur et sa mère, leur octroyant, pour
satisfaire leur faim, une nourriture à peine bonne pour les chiens.
Tant de méchanceté rend sa mère
vindicative et celle-ci, dès que son fils atteint l'âge nécessaire,
lui enjoint d'apprendre la magie noire auprès de gourous renommés.
Ceux-ci le mettent à même d'exercer une éclatante vengeance.
Au cours d'une réunion de fiançailles de ses cousins, la
maison secouée par un scorpion géant, s'écroule sur
l'assistance tandis que la cour s'emplit de lézards, de serpents,
d'araignées, de grenouilles et de scorpions (sans doute s'agissait-il
de tulpas, c'est-à-dire
de matérialisations de la pensée du magicien). Trente cinq
personnes sont écrasées sous les décombres. Les déités
apportent triomphalement à Milarepa le coeur et la tête sanglante
de ses victimes. L'hécatombe soulève la colère des
partisans de son oncle et de sa tante qui décident de tuer le sorcier
avant de s'en prendre à la mère indigne qui l'a incité
à suivre le Sentier des Ténèbres. Prévenu,
Milarepa apprend l'art de maîtriser la grêle et dirige un orage
effroyable sur les champs du village, juste avant une moisson d'orge qui
s'avérait prometteuse.
Devenu un malfaiteur, notre héros éprouve
un sentiment de contrition. Il décide de renoncer au mal et d'aller
trouver un nouveau gourou qui le conduira vers la Voie de la Lumière.
Ce gourou sera Marpa le traducteur, le savant lama. Des épreuves
sévères lui sont imposées. Il construit quatre (le
chiffre est symbolique) maisons de neuf étages, qu'il doit détruire
à moitié achevées. Blessé par les lourdes pierres
qu'il transporte, couvert de plaies purulentes, il ne reçoit
que rebuffades de la part du maître. Ce dernier le roue de coups.
Il l'incite même à retomber dans le mal. C'est ainsi que,
pour lui complaire, Milarepa doit châtier, en employant ses pouvoirs
magiques, des brigands nomades qui ont pillé les disciples du gourou.
Tout le dévouement dont fait preuve
l'élève s'avère néanmoins inutile: sans argent
pour payer la cérémonie, il ne recevra pas l'initiation du
maître! Milarepa est désespéré, malgré
la prédilection qu'éprouve pour lui l'épouse de Marpa.
Il part, puis revient, à plusieurs reprises. Naturellement, le courroux
et la vénalité du gourou ne sont que simulacres, si les bourrades
ne le sont pas. Il s'agit d'épreuves à surmonter pour
remporter la plus grande des victoires qui puisse échoir à
un être humain: atteindre le nirvana en une seule vie. L'initiation
vient enfin.
En raison de ses dispositions naturelles, Milarepa
reçoit un enseignement orienté sur la maîtrise de la
chaleur intérieure, connaissance utile pour la vie d'ascète
voué à la méditation qu'il mènera désormais,
seulement couvert d'une robe de coton pour affronter la rigueur des hivers
tibétains (Milarepa signifie Mila vêtu de coton).
A la suite d'un rêve, il retourne sur
les lieux de son enfance. La maison paternelle est en ruine et, sous des
immondices, il découvre les ossements de sa mère. Il s'en
fait d'abord un oreiller avant de décider de les réduire
en poudre et d'en confectionner de petits reliquaires (chortens
de taille réduite appelés tshas tshas). Sa soeur est
absente, elle erre au loin, devenue mendiante. Milarepa reprend sa vie
d'ermite, non loin de là, et mendie lui aussi pour obtenir sa nourriture.
Il rencontre sa tante et son oncle. La première lâche ses
chiens sur lui et le poursuit à coups de bâton en le frappant
comme on bat une gerbe. Il tombe dans un étang où il manque
périr noyé. Son oncle, un peu plus tard, cherche à
le tuer à coups de pierres et de flèches. Mais, comme il
est désormais sur la voie de la sainteté, il pardonne.
Il repart vivre sa vie d'ermite, dans la grotte
de la Dent de Cheval du Roc Blanc; il se nourrit de brouet d'orties, en
méditant et composant des poèmes; il casse son écuelle
et la bouillie d'orties se répand avant de prendre la forme d'une
cruche; le voici réduit à manger les orties crues! Soumis
à ce régime, son corps s'amenuise, sa peau et son poil verdissent.
Il prend l'apparence d'une chenille. Des chasseurs qui passent devant sa
caverne sont effrayés en découvrant cet être squelettique.
Détrompés, ils jouent avec lui en le jetant en l'air comme
un pantin au risque de lui briser les os. Il leur pardonne. Mais ses tourmenteurs
seront tout de même punis. Le gouverneur de l'endroit les arrête
et leur fait arracher les yeux, sauf à celui qui a manifesté
de la pitié pour l'ermite. Un peu plus tard, d'autres chasseurs
lui offrent de la viande. Il l'accepte puisque ce n'est pas lui qui a tué
les animaux. Il l'économise cependant tellement que les vers s'y
mettent. Il renonce alors à s'en sustenter car ce serait la leur
voler.
Grâce à ces mortifications, il
obtient des pouvoirs supra normaux, en particulier celui de se déplacer
dans les airs en volant. Il redoute que ces pouvoirs ne lui valent une
notoriété dangereuse, car il pourrait alors se laisser séduire
par le vain attrait de la gloire. Pour éviter ce péril, il
s'enfonce toujours plus loin dans les solitudes de la montagne. Il rencontre
et convertit ses premiers disciples, d'abord des non humains, dont quelques
déités, puis des humains. Parmi ces derniers figure Gampopa,
futur gourou du premier Karmapa,
chef de file des Karma-Kagyu.
Un jour, Milarepa est appelé, dans un
village bönpo, aux obsèques d'un homme fortuné qui lui
a légué sa richesse afin qu'il lui montre la voie de l'illumination.
Il arrive au moment où les prêtres bönpos officient;
le mort, habillé d'une pelisse bleue, boit de la bière dans
leur cercle; les bönpos prétendent en effet pouvoir ramener
les morts en chair et en os parmi eux; Milarepa démasque la supercherie
et prouve que l'homme à la pelisse bleue n'est qu'un démon;
il le pourchasse et le démon retrouve sa forme naturelle qui est
celle d'un loup. Milarepa, après avoir admonesté sévèrement
les bönpos, juste capables d'invoquer les bourreaux, montre que le
défunt s'est réincarné dans un ver de bouse; il l'appelle
à lui; le ver meurt, une lumière émane de son cadavre
et se réfugie dans le coeur de Milarepa, d'où elle en ressort
pour gagner le ciel. On trouve dans ce récit maintes allusions à
la doctrine lamaïste: le changement de demeure, le transfert, permettant
de trouver le chemin du salut, et l'assomption selon des formes qui rappellent
la disparitions des anciens roi du Tibet, le long d'une corde lumineuse
aux couleurs de l'arc-en-ciel.
Ayant atteint l'âge de 83 (ou 84) ans,
Milarepa tombe malade. Des événements miraculeux se produisent.
Les arcs-en-ciel se multiplient dans l'air d'où tombe une pluie
de fleurs, tandis qu'une musique divine se fait entendre. L'ermite convertit
un lama jaloux qui avait tenté de l'empoisonner. Au cours de son
déplacement vers la caverne, où il a décidé
de mourir, il manifeste son don d'ubiquité en apparaissant, au même
instant, à plusieurs de ses disciples, dans des endroits différents.
Au moment de sa mort, les phénomènes
miraculeux se renouvellent. Des fleurs de lotus et des mandalas apparaissent
au fond des cieux. Des divinités se mêlent aux humains et
conversent avec eux sans s'offusquer de leur mauvaise odeur. Un parfum
suave se répand dans l'atmosphère. La cérémonie
de crémation du saint donne lieu à des événements
fabuleux qui sont longuement rapportés. Comme deux groupes rivaux
de disciples se disputent le corps, celui-ci se dédouble et chacun
des deux groupes peut emporter un corps entier à l'endroit où
il souhaite le brûler. Le corps qui échoie à ses disciples
préférés se rapetisse à la taille d'un enfant
de huit ans. Le feu refuse de prendre tant que l'un des disciples, qui
est absent, n'est pas de retour. Ce disciple est prévenu par un
rêve. Il revient, parcourant en une matinée un chemin qu'un
voyageur normal met deux mois à couvrir. Milarepa redonne vie à
son corps et apparaît ou disparaît à volonté.
Le feu prend enfin. Milarepa s'élève, assis dans la position
de l'enseignement, au milieu d'une fleur de lotus soutenue par les flammes.
Cette vision fait place à d'autres toutes plus merveilleuses les
unes que les autres.
Le lendemain, l'emplacement de la crémation
est vide. Les cendres froides ont disparu. Les disciples se lamentent de
ne pas posséder de reliques. Un oeuf lumineux, entouré de
divinités, leur apparaît. Milarepa leur fait comprendre qu'il
leur a laissé la meilleure des reliques, c'est-à-dire la
connaissance. Des rais de lumière descendent de l'oeuf sur la tête
de chacun d'eux. Les disciples se souviennent alors que leur maître
leur a demandé de fouiller, après sa mort, un emplacement
où il prétendait avoir enterré l'or amassé
pendant son existence. Ils creusent et découvrent une pièce
de toile, un morceau de sucre et un couteau. Le couteau permet de couper
le sucre et la toile, multipliant ainsi l'un et l'autre. Chaque fraction
est équivalente au tout. De plus, toile et sucre sont dotés
de propriétés miraculeuses et guérissent les malades.
Voici, brièvement résumé, le récit de la crémation
de cet apôtre des Kagyupas.
Un point mérite d'être rapporté
car il montre la persistance des pratiques antérieures au bouddhisme.
Il arrive parfois à Milarepa, durant sa vie d'ascète, d'observer
les rites bönpos. Enfin, rapportons un détail significatif
du mode de vie des Tibétains: les coquillages leur servaient alors
de monnaie. Autres renseignements fournis par un de ses disciples sur la
vie dans l’Himalaya à cette époque; ce disciple se rendait
en pèlerinage en Inde; voyons comment il dépeint ce qu’il
rencontra en chemin: «… la maladie,
plus encore qu’une couverture, recouvrait les hommes; les tas de cadavres
humains étaient plus élevés encore que les tas de
cendres; la force de ma vie, plus encore qu’une goutte, s’évanouissait.»
Pour en terminer avec Milarepa, voici une dernière
anecdote. Un de ses disciples lui ayant demandé comment il s’y était
pris pour atteindre son niveau de sagesse, le maître leva sa robe
de coton et lui montra son derrière couvert de corne.
Un poème de Milarepa est
ici .
Drokmi Shakya Yéshé,
disciple du maître indien Virupa, ramène de l'Inde "La Voie
et le fruit" (lamdré).
Les lignées
(ou écoles, ou sectes) font leur apparition. Elles sont fondées
par un maître (hiérarque) dont l’autorité est indiscutable.
Celui-ci n’a généralement que peu de disciples directs. Les
liens entre maître et disciples sont très forts. Les premiers
des disciples sont qualifiés de soleil ou de lune, selon qu’ils
se montrent ou se cachent. Les premières lignées sont d’origine
nobiliaire. Elles peuvent se ramifier à l’infini. Toutes les écoles
s’accordent sur le but, l’atteinte de la réalisation dans le nirvana.
Elles diffèrent sur les moyens pour y parvenir et les méthodes
d’enseignement. Ces lignées vont tenter de réunifier le Tibet
à leur profit, en luttant les unes contre les autres, pour s'assurer
la prééminence; elles s'appuieront sur les seigneurs locaux,
leurs protecteurs, et s'allieront même parfois à des puissances
étrangères.
1056: Le fondateur de
l'école kadampa, Dromtonpa,
disciple d'Atisha, construit le monastère de Reting, près
de Lhassa.
1071: Fondation de la lignée des Sakyapas
qui sera pendant longtemps la plus puissante et finira par imposer un temps
son pouvoir à l'ensemble du Tibet.
1073: Construction du monastère de Sakya
dans le centre ouest du Tibet par Khön Köntchok Gyalpo (1034-1102),
un disciple de Drokmi Shakya Yéshé.
1075: Tenue à Tholing (au Guge, à
l'ouest du pays) d'un Concile des savants et dignitaires religieux de l'ensemble
du Tibet dans le Temple d'Or de la ville.
1079: Naissance de Gampopa
(1079-1152 ou 1153), disciple de Milarepa, fondateur
de l'école kagyupa. Il intégrera
des enseignements de l'école kadampa à ceux de l'école
kagyupa.
1110: Naissance du 1er Karmapa, Dusum Chenpa
(1110-1193). Il vivra trois ans sur un rocher, soulagera les misères
humaines, aura le pouvoir de traverser les montagnes et de voler dans les
airs. Il fera ériger, selon une coutume ancienne, une sorte de campement
fortifié, ceint de flèches plantées en terre et de
murailles. Le nomadisme sera une des particularités de sa lignée;
plusieurs Karmapas s'y adonneront pendant au moins une partie de leur existence.
1145: Il est fait mention en Occident de l'existence
d'un monarque chrétien, le prêtre Jean, qui serait le descendant
d'un roi Mage. Il règne sur un royaume fabuleusement riche qui couvre
une grande partie de l'Asie centrale. Il a déjà remporté
de grandes victoires et va prendre à revers les musulmans dont l'expansion
est en passe d'être arrêtée. Les textes qui parlent
de ce roi sont des faux produits pour encourager la chrétienté
à partir en croisade et lui redonner foi en la victoire finale.
Cependant, cette supercherie trouve peut-être son origine dans les
succès remportés en Asie par le christianisme nestorien.
Fondé au début du 5ème
siècle par l'évêque Nestorius, qui affirmait qu'il
était indécent de faire référence à
la Vierge comme étant la Mère de Dieu, car elle avait simplement
donné naissance à la nature humaine de Jésus et non
à sa nature divine, l'Église nestorienne fut bannie de l'Empire
Romain pour hérésie. Mais, comme les marchands missionnaires
l'avaient emportée avec eux en Chine, tout au long de la Route
de la soie, via la Perse, les siècles suivants virent cette
Église faire une incroyable percée en Asie centrale, Chine
et Inde où elle rivalisa avec le bouddhisme, le confucianisme, le
chamanisme, l'hindouisme et le manichéisme. Au 12ème siècle,
il y avait deux archevêchés en Chine (à Xian et à
Pékin), qui dépendaient du Catholicos de Bagdad. Finalement,
le nombre de chrétiens nestoriens en Chine était tellement
important qu'il fallut établir une agence particulière en
vue de les superviser. La secte remporta un véritable succès
auprès des Ouïgours et de nombreuses églises furent
bâties dans les oasis d'Asie centrale.
Cependant le christianisme nestorien ne survécut
pas aux vagues grandissantes de l'islam et du bouddhisme. Il disparut pratiquement
au 14ème siècle. Mais il avait occupé en Chine
une place non négligeable. A la fin de la décennie 1990,
des sutras de Jésus ont d'ailleurs été découverts
dans une ancienne pagode chrétienne du 8ème siècle
au coeur de ce pays.
La situation géographique du royaume
du prêtre Jean, même si elle reste imprécise, fait penser
au Tibet. Il n'est d'ailleurs pas impossible que les Tibétains aient
pu entrer en contact avec l'hérésie nestorienne à
l'époque de son expansion, on l'a déjà dit.
Le mythe des chrétiens de l’autre côté
du monde perdurera longtemps. Vasco de Gama, au moment de s’embarquer,
trois siècles plus tard, prétendra encore partir à
la découverte du Christ et des épices.
1147: Apparition des
Karmapas avec la fondation du "camp de Karma du sud", au Kham. Successivement
seront créés les monastères de Karma Tsur Lhalung
(1155), Karma Ladheng (1185) et Tsurphu (1189), au nord-ouest de Lhasa,
qui deviendra le siège du Karmapa. On remarquera la connotation
nomade et militaire qui d'emblée s'attache à cet ordre.
1158: Phagmodrou fonde Densathil, le premier
monastère kagyupa, au Tibet central. Ce monastère est en
fait à la fois kadampa et kaguypa; le pouvoir monastique s'y transmet
d'oncle à neveu; le maître du fondateur, Gampopa, était
un disciple de Milarepa; originaire du Kham, Phagmodrou est apparenté
aux Gar.
1165: Dans son "Itinéraire",
un voyageur juif, Benjamin de Tudele, fait état du Tibet, pays dont
les forêts abritent le daim d'où provient le musc négocié
à Samarcande. On croit même deviner à la lecture de
son récit qu'il existait à cette époque des relations
entre le Tibet et le calife abbasside de Bagdad.
1175: Fondation du monastère kagyupa
de Tsal, à l'est de Lhasa.
1179: Fondation du monastère de Drigung
au nord-est de Lhassa. Ce monastère se rattache aux Kaguypas. L'abbé
est assisté d'un gouverneur civil et militaire.
1189: Fondation du monastère de Tsurphu,
siège des Karmapas, par le premier d'entre eux (voir ci-dessus).
L'expansion monastique est en marche. Souvent,
les abbés sont issus des milieux nobiliaires. Une certaine misogynie
les anime. Les monastères de femmes ne verront le jour que progressivement
et les nonnes seront pendant longtemps assujetties à la tutelle
des moines. A beaucoup près, sauf exceptions rarissimes, elles ne
bénéficieront pas d'un statut équivalent à
celui de leurs confrères masculins. L'enseignement qu'elles recevront,
en particulier, ne sera jamais complet. Quoi qu'il en soit, le décor
des affrontements futurs, pour la conquête et la conservation du
pouvoir, est planté au moment où la menace mongole va faire
son apparition. Cependant, si les luttes entre les différentes écoles
du bouddhisme tibétain furent nombreuses et parfois sanglantes,
ce ne sont pas des conflits de doctrine qui les causèrent;
on ne saurait donc les qualifier de guerres de religion. Les motifs en
furent politiques ou économiques. On aurait cependant tort de penser
que la diffusion du bouddhisme fut seulement un facteur de troubles; il
fut aussi un facteur de paix; les lamas intervinrent à plusieurs
reprises pour résoudre les différends qui poussaient les
princes à en venir aux mains; ils y parvenaient d'autant plus facilement
que certains ordres religieux étaient également des ordres
militaires. C'est ainsi, qu'au 15ème siècle, le 7ème
Karmapa, agissant comme médiateur armé, mit fin aux querelles
intestines qui agitaient le royaume de Ling, opposant serfs monastiques
et serfs laïcs, bouddhistes et bönpo. Au 16ème siècle,
le 8ème Karmapa arrêta la guerre qui s'était déclarée,
entre ses partisans et ceux d'une réincarnation rivale, en accomplissant
des miracles etc.
1193: Mort du 1er Karmapa. Il a laissé
des indications concernant sa réincarnation. La succession par réincarnation
entre en scène. Elle pose le problème de l'exercice du pouvoir
pendant la minorité du tulkou (réincarnation); il est résolu
par l’institution d’un régent. Cette astucieuse manière de
régler les successions, en intégrant un des aspect les plus
importants des croyances bouddhistes, présente un inconvénient
majeur qui apparaîtra au fil du temps; elle favorise les luttes sournoises
entre clans pour l’obtention et la conservation du pouvoir et de la richesse.
Elle sera progressivement reprise par d’autres écoles, mais pas
toutes.
1198: Destruction de l’Université monastique
de Nalanda (Bihar) par les musulmans. Les religieux se réfugient
au Népal et au Tibet. |
.
.
La menace
mongole
Le Tibet est menacé
à la fois par l'expansion musulmane et par l'expansion mongole.
Le bouddhisme est perçu comme un élément fédérateur.
Il n'empêchera pas la conquête du Tibet par les Mongols mais
ceux-ci se convertiront. Le bouddhisme, qui recule devant l'islam, se réfugie
au Pays des Neiges. Après la disparition de Gengis khan, fondateur
de l'empire mongol, celui-ci se divise: les chagataïdes, à
l'ouest, appuieront les Kagyupas et se convertiront à l'Islam; l'empire
de Chine, à l'est, soutiendra les Sakyapas puis les Gelugpas.
12ème siècle:
Début de la découverte des trésors, textes sacrés
dissimulés par les bouddhistes mais aussi par les bönpos. Ces
découvertes sont soit matérielles, soit spirituelles. Les
textes d'inspiration bouddhistes sont centrés sur la personnalité
divine d'Avalokitesvara, bodhisattva de la compassion, le saint patron
du Tibet. Ils contiennent une partie historique largement légendaire
et des parties religieuses. Ils prédisent parfois les événements
futurs. La nostalgie de la puissance impériale passée y est
présente. Ils contribueront à forger l'identité nationale
tibétaine.
D'après les textes bouddhistes, leur
religion, venue de l'Inde, aurait été un facteur de civilisation
du Tibet. Antérieurement, le Pays des Neiges aurait été
la terre de démons mangeurs de chair. Ses habitants, sauvages et
barbus, enclins à la violence, ne respectaient que la force et le
courage. Les grands personnages du passé, et particulièrement
les rois "bouddhistes" sont assimilés à des réincarnations
de divinités. Un moine exhume ainsi des secrets selon lesquels Songtsen
Gampo serait la réincarnation d'Avalokitesvra, Trisong Detsen celle
de Manjushri et Rapalchan celle de Vajrapani. Ainsi se forge l'image
du "roi vertueux" ultérieurement transmise au Dalaï
lama. L'apparition de cette mythologie pseudo historique n'est pas fortuite.
Elle coïncide avec l'expansion mongole. Les Tibétains, désormais
dépourvus d'une puissance militaire suffisante, ne vont pas tarder
à se placer sous la protection des armées mongoles qu'ils
savent ne pouvoir vaincre. Selon certains auteurs, le concept de roi religieux
serait toutefois originaire du Mi-nyag dont il a été parlé
plus haut. Pour d'autres, le premier roi vertueux
pourrait avoir été l'empereur Ashoka qui conquit presque
toute le péninsule indienne, en se livrant à des massacres,
avant de se convertir au bouddhisme, de l'imposer, de prêcher la
compassion, d'interdire de tuer des animaux et d'inciter ses sujets à
devenir végétariens; il régna de -272 à -236.
Plusieurs monarques hindous furent ensuite à la fois détenteurs
du pouvoir spirituel et du pouvoir politique, un peu comme les empereurs
romains déifiés à la même époque en Occident.
Le bouddhisme, qui s'était primitivement créé à
l'écart de l'État, en prônant la non violence et la
liberté, se coula ainsi dans le moule étatique et en accepta
la violence et la coercition.
Parallèlement, une pénétration
musulmane se produit au Ladakh et au Tibet par le biais de commerçants
du sous-continent indien.
1205: Première tentative
d’invasion musulmane du Tibet par un conquérant turc, Ikhtyar ud-dîn.
Elle échoue. Les cimes himalayennes sont infranchissables. Ne dit-on
pas qu’une licorne protège le Tibet? Cet animal fabuleux est peut-être
une représentation symbolique de l’Everest. Quoi qu’il en soit,
la forteresse naturelle a pleinement joué son rôle. Beaucoup
de musulmans sont morts de froid. Leurs armes sont ramenées à
Lhassa où elles seront montrées à la foule lors des
parades annuelles.
Au cours de ce siècle, Vanaratana, le
dernier pandit indien, va travailler à l’implantation du bouddhisme
au Tibet pour le sauver de la destruction dont il est menacé dans
son pays.
1206: Gengis Khan devient chef suprême
des Mongols.
1207: Arrivée au Tibet d'émissaires
mongols à qui des livres religieux sont offerts. Les Tibétains
deviennent tributaires des Mongols (peut-être après une première
razzia du Tibet central?).
1226: Genghis Khan détruit l'empire
tangout. Les Mongols sont aux portes du Tibet. Les princes tibétains
sont contraints de s'organiser pour faire face à la menace. Les
rois vertueux, qui ont favorisé la propagation du bouddhisme (Songtsen
Gampo, Trisong Detsen…), sont enrôlés sous cette bannière.
L'ancienne puissance impériale est évoquée comme une
manière d'exorcisme.
Mais cet exercice est basé sur un malentendu.
Historiquement parlant, Songtsen Gampo n'est pas un véritable roi
bouddhiste. La religion nouvelle ne s'est épanouie que sous ses
successeurs et, paradoxalement, cet épanouissement a coïncidé
avec la décomposition de l'empire. N'importe, le bouddhisme, au
moins chez ses adeptes, est perçu comme un élément
fédérateur. Les provinces centrales (U et Tsang) connaissent
alors un semblant d'organisation étatique sous l'autorité
des dignitaires sakyapas.
Parallèlement à la mythologie
des rois vertueux, de caractère essentiellement bouddhiste, se développe
une autre mythologie propagée par les bardes: celle des épopées
légendaires (le roi Gesar, le Lang Poti Sérou). Ces épopées
populaires magnifient des héros tibétains en faisant appel
à des souvenirs et à des rites prébouddhiques. La
persistance à travers les siècles de l'influence bönpo
dans l'inconscient collectif est ainsi confirmée, mêlée
il est vrai à d'autres influences plus diffuses; ne pourrait-on
pas voir dans Gesar un lointain écho de César, qui aurait
pu parvenir jusqu'au Toit du Monde via les conquêtes grecques.
.
|
Le
roi Gesar de Ling |
.
Pour mieux cerner la nature des relations
qui existent entre les religieux et les seigneurs laïcs, il convient
de rappeler le rôle particulier tenu par la famille dans l'ancienne
société tibétaine. Les biens d'une famille sont indivis
et sont cultivés collectivement par ses membres. Les hommes possèdent
généralement les biens immobiliers alors que les biens mobiliers
reviennent aux femmes; mais cette règle souffre des exceptions et
il arrive fréquemment qu'une femme possède également
en propre des propriétés terriennes; lors de son mariage,
la nouvelle épouse reçoit souvent de ses parents un cadeau
plus ou moins conséquent, sur lequel son mari n'aura aucun droit;
de ce fait, les femmes bénéficient d'un certain degré
d'autonomie dans une société guerrière plutôt
machiste. Des règles évitent les problèmes de consanguinité,
surtout du côté paternel. La polygamie et la polyandrie sont
pratiquées, la première pour des raisons de prestige et aussi
de diplomatie dans la maison royale, la seconde pour préserver l'unité
de la propriété familiale. L'épouse d'un homme est
également souvent celle de ses frères ou le devient à
la mort de son mari; les enfants sont ceux de la famille, qui les élève
ensemble; la différence s'estompe entre les oncles et les pères.
L'harmonie ne règne malheureusement pas toujours à l'intérieur
d'une famille; une hiérarchie peut s'y imposer et des rivalités
opposer les uns aux autres (voir ci-dessus les aventures familiales de
Milarepa). La polygamie et la polyandrie font naître
des problèmes de succession qui se règlent parfois par le
meurtre d'un membre de la famille pour en favoriser un autre (voir ci-après
Drukpa Kunley); les exemples sont nombreux, jusque
dans les allées du pouvoir. Dans les familles nobles, le fils aîné
entre dans les ordres pour devenir abbé du monastère, son
cadet devient le chef de famille; l'abbé, si son ordre interdit
le mariage, peut entretenir des relations sexuelles avec l'épouse
de son frère. Ces différentes explications permettent de
mieux comprendre à la fois les interactions entre pouvoir religieux
et pouvoir politique ainsi que la succession d'oncle à neveu de
tradition dans certaines écoles du bouddhisme tibétain.
Le lien qui unit un suzerain à son vassal
est très fort; on peut y voir une projection, dans le domaine laïc,
de celui qui existe entre un gourou et son disciple. Un petit serment de
fidélité est prêté tous les ans et un grand
serment tous les trois ans; au cours de ces cérémonies, on
se réfère aux divinités du ciel, de la terre, des
montagnes, des fleuves...; ces cérémonies s'accompagnent
de sacrifices qui attestent certainement une origine pré-bouddhiste;
dans certains endroits (Kham), on érige une pierre, symbole du clou,
en mémoire de l'événement.
1227: Disparition de Gengis khan. Les Tibétains
cessent de verser leur tribut aux Mongols. Ces derniers préparent
une invasion. L'empire mongol se divise; à l'ouest, les chagataïdes,
du nom du fils de Gengis khan, Chagataï, à qui cette partie
de l'empire est revenue, se convertiront
à l'Islam et appuieront les Kagyupas; à l'est, l'empire de
Chine soutiendra les Sakyapas puis les Gelugpas. Des armées mongoles
s'opposeront en intervenant dans les querelles religieuses tibétaines
jusqu'au 18ème siècle.
1240: Les Mongols de Godan
envahissent le Tibet. Le monastère kadampa de Reting est brûlé.
Les moines sont massacrés. D’autres monastères échappent
à la destruction grâce à l’intervention des puissances
célestes qui font pleuvoir sur les envahisseurs une grêle
de pierres. Godan invite le chef des Sakyapas à se rendre auprès
de lui. |
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L'ère
des Sakyapas
Une école bouddhiste,
celle des Sakyapas, règne sur le Tibet avec l'accord des Mongols.
La chrétienté recherche l'alliance de ces derniers pour prendre
à revers les musulmans. L'empereur mongol de Chine établit
avec le chef des Sakyapas une relation chapelain-donateur. Sous Koubilaï
khan, le Tibet devient une circonscription administrative de l'empire mongol.
1244: Sakya Pandita (1182-1251), hiérarque
des Sakyapas, rencontre Godan près de Kokonor. Il guérit
le fils du khan d'une maladie. Les Mongols vont se convertir au bouddhisme.
1246: Guyuk, arrière petit-fils de Gengis
khan, devient khan. Le Tibet passe sous son contrôle.
Un missionnaire
catholique, frère Jean du Plan Carpin, accompagné d'un autre
religieux, parvient en Mongolie mandaté par le pape Innocent IV,
pour exhorter les "Tartares" à ne plus massacrer les chrétiens
et convertir leur khan. Les Mongols, stupéfaits de l'impudence de
ces étranges ambassadeurs, décident de les ignorer. Ils pourront
donc à loisir s'intéresser à la région et en
ramener des récits fantaisistes où domine le merveilleux.
Ils n'iront pas au Tibet mais rencontreront des représentants des
populations soumises aux Mongols parmi lesquelles se trouvaient probablement
des Tibétains. On trouve dans leur récit des allusions à
l'existence du royaume du prêtre Jean et à la présence
de communautés chrétiennes en Asie. Les Huires seraient
de confession nestorienne; les Kitayens, c'est-à-dire probablement
les Chinois, auraient une langue à part, croiraient en Jésus-Christ
et révéreraient les Saintes Écritures, mais ne seraient
pas baptisés. Les Mongols de Gengis Khan se seraient attaqués
au royaume du prêtre Jean, situés dans les Grandes Indes,
mais ce dernier les aurait refoulé en employant des chevaux de bronze
transformées en fournaises ardentes crachant de la fumée;
au retour de cette expédition, les Mongols auraient traversé
une contrée peuplée de femmes et d'hommes à tête
de chien lesquels, en se jetant dans l'eau, se recouvrent d'une couche
de glace très dure qui leur sert de cuirasse, ce qui les rend invulnérables
aux flèches et leur permet d'attaquer leur ennemi et de le déchirer
à belles dents; ces invincibles monstres, sans doute des Tibétains,
firent beaucoup souffrir les Mongols. Les Burutabeth, une autre
allusion aux Tibétains, sont laids et difformes, mangent leurs morts
(un écho mal interprété des funérailles célestes?)
et s'épilent le visage (un détail exact).
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Les
funérailles célestes |
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1247: Le pape envoie des émissaires
en Perse, dont un nommé Ascelin, pour entrer en communication avec
le khan de Mongolie, par l'intermédiaire du chef de la horde qui
domine ce pays en poursuivant le même but que l'ambassade du frère
Jean du Plan Carpin.
1248: Mort de Guyuk khan.
1249: Les Sakyapas
reçoivent des Mongols l’investiture
du pouvoir temporel sur l’U et le Tsang.
1250: Le second Karmapa, Karma Pakshi, convertit
Möngke, le premier empereur Yuan (dynastie mongole régnant
sur la Chine).
1252-1254 (ou 1253-1255): Mission en Mongolie
de frère Guillaume de Rubruquis (ou Rubrouck) envoyé par
Saint Louis, alors en guerre en Syrie contre les Sarrasins. Le roi a reçu
un ambassadeur envoyé par un prince mongol, présenté
comme étant chrétien, un certain David. Ce dernier lui a
affirmé que ce prince projetait d'attaquer les musulmans et souhaitait
que le roi entreprenne une diversion en Égypte pour favoriser ses
desseins. En réponse, Saint Louis a dépêché
auprès du prince un premier émissaire, le frère André.
Le pape et le roi de France espèrent détourner les invasions
mongoles de la chrétienté en les incitant à se jeter
sur les musulmans, ce qui leur permettrait de faire d'une pierre deux coups.
Louis IX, qui espère nouer une alliance avec le khan pour prendre
les musulmans à revers, délègue ensuite le frère
Guillaume de Rubruquis pour sonder les dispositions de l'empereur des Mongols.
Après bien des péripéties, celui-ci parvient
à la cour du khan. Il ne va pas jusqu'au Tibet mais rencontre des
bouddhistes et entend parler des Tibétains.
Sans doute au Sinkiang,
il visite des monastères bouddhistes qu'il décrit de manière
très réaliste. Voici l'image qu'il donne des Ouïgours,
réputés, dit-il, pour leur musique: il y a là des
nestoriens qui emploient la langue du pays; ils sont mêlés
à des idolâtres et à des Sarrasins (musulmans); certains
idolâtres portent des croix mais paraissent ignorer leur signification;
les portes des temples des Sarrasins sont au nord et celles des autres
idolâtres au sud; il y a de très grandes idoles (des bouddhas);
les prêtres ouïgours ont la tête rasée et portent
une robe jaune; ils sont coiffés d'une mitre; ils sont chastes;
ils lisent en silence des livres assis sur des bancs dans leurs temples;
ils portent des cordes enfilées de grains comme des chapelets et
marmonnent sans cesse Ou mam bactavi*, ce qui signifie: Seigneur,
tu le connais; ils pensent obtenir une récompense de la répétition
de cette phrase; devant leur temple, au midi, s'étend un parvis
entouré d'une muraille où ils discutent; ils y dressent une
perche dont le sommet peut être vu de loin. De Rubruquis constate
que le khan n'est pas chrétien et que les Mongols sont enclins à
user de ruse pour envahir les pays qu'ils convoitent afin d'assurer leur
domination sur le monde. Ils pensent en effet qu'il ne doit y avoir qu'un
seul empereur sur terre comme il n'y a qu'un seul Dieu dans le ciel. Ils
tolèrent toutes les religions à condition qu'elles prient
pour l'accomplissement de ce grand dessein. Une de leur première
victime fut le prêtre Jean, souvenir probable d'un prince nestorien.
* Écho déformé
du mantra "Om Mani
Padme Hum".
Pour ce qui concerne les Tibétains,
voici ce que contient à leur sujet la lettre qu'il adressa à
Saint Louis, faute de pouvoir se rendre auprès de lui. Les habitants
du Tebeth mangeaient autrefois leurs parents morts, coutumes qu'ils
ont abandonnée comme étant en abomination aux autres peuples.
Mais ils font encore de belles tasses de leurs têtes afin de se souvenir
d'eux et se réjouir en buvant dedans. Leur pays regorge d'or mais
ils ne le serrent jamais dans leurs coffres de peur que Dieu ne leur retire
celui qui est dans la terre. Les habitants du Tebeth écrivent
de gauche à droite et en usant de caractères semblables aux
nôtres (en fait, il s'agit de caractères tirés du sanskrit,
comme on l'a dit plus haut).
D'après d'autres relations anciennes,
qui complètent celle de l'envoyé du roi de France, les prêtres
et idoles d'un pays que l'on suppose être le Tibet sont coiffés
de coqueluchons jaunes. On compte parmi les habitants de ce pays des ermites
et des anachorètes qui vivent au fond des forêts et sur les
montagnes dans une surprenante austérité
Malgré leur caractère fabuleux,
les récits des premières missions ne manquent pas d'intérêt.
Les Tibétains y sont décrits pour la première fois
par des Occidentaux. Les femmes seraient dotées de raison et parleraient
mais les hommes se contenteraient d'aboyer. Ces hommes chiens seraient
particulièrement féroces et prompts à l'attaque. Ils
mangeraient leurs morts. Leur barbe étant peu fournie, ils ne se
raseraient pas mais s'épileraient avec des pinces. Les aboiements
sont comme un écho des annales chinoises de l'époque des
Tang. Le cannibalisme rituel est sans doute une interprétation approximative
des funérailles célestes pratiquées encore aujourd'hui
au Tibet. Quant à l'épilation, elle s'appuie sur des bases
historiques certaines.
.
Un résumé de
ces récits anciens est ici
.
1253: Nouvelle invasion mongole du Tibet.
1255: Koubilaï recherche l’alliance des
Karmapas. Il pense en avoir besoin pour accéder au trône occupé
par son frère. Il est éconduit.
1260: Phagpa (1235-1280),
du lignage Khön, est nommé précepteur impérial
(Dishi) par Koubilaï devenu khan; il initie le chef mongol
aux mystères d'un célèbre cycle trantrique, le Hevajara.
Le chef des Karmapas est contraint de prendre la fuite. Ses poursuivants
ne peuvent l’appréhender car il détient le pouvoir de se
transformer en arc-en-ciel.
Les Mongols et les religieux de Sakya créent
la relation chapelain donateur ou de maître religieux à protecteur
laïc. Le clergé tibétain dispose du pouvoir spirituel
sur l'ensemble de l'empire et, en échange, l'empereur protège
le Tibet. On pense à une sorte de protectorat miroir dont la dualité
rappelle celle qui existe aux niveaux des territoires tibétains
entre les abbés et les princes. Koubilaï khan reconnaît
Phagpa comme chef du Tibet. Les monastères sont devenus une pièce
maîtresse du féodalisme tibétain. Le monarque mongol
procède à une réorganisation administrative et territoriale
du Pays des Neiges mais laisse une large autonomie à ses habitants.
En réalité, le prince et l'abbé s'appuie mutuellement
l'un sur l'autre afin d'asseoir leur autorité; c'est ce schéma
qui s'appliquera avec les différents chefs mongols qui interviendront
au Tibet et aussi, mais dans une moindre mesure, avec les empereurs de
la dynastie mandchoue.
1267: Institution par Pékin d’une nomenclature
administrative précise des fonctions de la maison des gouverneurs
du Tibet.
1268: Premier recensement au Tibet. Les résultats
sont inconnus.
1270: Phagpa et ses moines diffusent l’enseignement
bouddhiste dans l’empire mongol. Il crée un alphabet mongol qui
n’aura qu’une existence éphémère. Son frère
épouse une princesse mongole.
1276: Koubilaï khan prend le titre d'empereur
de Chine. Le Tibet fait partie de l'empire; mais il serait abusif d'en
conclure qu'il est alors intégré à la Chine; celle-ci,
en effet, est un pays conquis par les Mongols; il est donc plus judicieux
de considérer que la Chine et le Tibet sont, l'un et l'autre, sous
domination mongole.
1280: Mort de Phagpa. Le peuntchen de
Sakya, gouverneur administratif et militaire, seigneur du monde périssable,
est accusé de l’avoir empoisonné.
1281: Sur ordre de Koubilaï khan, le peuntchen
de Sakya est jugé et exécuté.
Darmapala, neveu de Phagpa, âgé
de 14 ans, lui succède. Il épouse une princesse mongole.
1282: Le hiérarque de Dripoung, un Kagyupa,
s’allie aux Mongols d’Iran (Hulagu), pour contrebalancer le pouvoir des
Sakyapas.
1283: Apparition de la lignée Kagyu
des Sharmapas (coiffe rouge). Les Sharmapas seront les régents des
Karmapas.
1285: Les Kagyupas de Dripoung, appuyés
par les Mongols d’Iran, entrent en guerre contre les Sakyapas.
1287: Second recensement au Tibet. Les résultats
ne parviendront pas jusqu’à nous.
Un moine nestorien ouïgour, Rabban Bar
Sauma, natif de Pékin, jouissant d'une grande considération
comme anachorète et enseignant, arrive en Europe pour proposer une
alliance des Mongols de Perse contre les Mamelouks. Bar Sauma résidait
en effet à cette époque à la cour de l'ilkhan Arghoun,
petit-neveu de Koubliaï khan. Au nom d'Arghoun, l'envoyé rencontrera
le pape, Philippe le Bel, roi de France, et Édouard 1er d'Angleterre,
roi d'Angleterre, mais son ambassade échouera. L'époque des
Croisades est passée.
1288: Création par Koubilaï khan
d’un conseil politique chargé d’administrer les affaires religieuses
et séculières du Tibet avec l’accord du hiérarque
des Sakyapas. Le peuntchen lui est subordonné. Le Tibet est
devenu l’une des circonscriptions administratives de l’empire mongol, avec
la bénédiction des Sakyapas. Treize tripeuns, chefs
d’une région militaire, complètent la subdivision administrative
du pays et contrebalancent le pouvoir des Sakyapas. Koubilaï khan
choisit les tripeuns parmi plusieurs lignées religieuses
et la noblesse; il entend ainsi diviser pour mieux régner.
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Le
5ème hiérarque des Sakyapas - Jade
(source: documentation chinoise) |
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1290: Les Sakyapas triomphent des Kagyupas
de Dripoung qui s'étaient malencontreusement alliés aux Hulagu,
rivaux de Koubilaï khan. Le monastère est brûlé
par le fils de ce dernier. Les vaincus connaissent un sort pire que celui
des damnés en enfer!
Naissance du célèbre écrivain
Butön, du monastère de Shalu (Tsang) qui dressera le catalogue
des deux grands recueils, le Kangyur et le Tengyur, qui renferment
l'héritage littéraire, philosophique et liturgique du bouddhisme
hindou. Le premier est supposé contenir la révélation
du Bouddha lui-même; le second comprend les travaux des commentateurs
et exégètes ainsi que les traités sur les disciplines
secondaires: médecine, art vétérinaire, chiromancie,
grammaire, prosodie du sanskrit... Cet effort de clarification s'avérait
nécessaire à plusieurs titres; d'abord parce que le bouddhisme
fut introduit au Tibet à l'époque de son déclin en
Inde, alors qu'il était déjà encombré de notes
et de commentaires qui l'éloignaient de ses origines; ensuite parce
que les Dzogchen, disciples de Padmansambhava, y avaient ajouté
des textes de leur cru (manuels de magie et de mysticisme) à l'orthodoxie
douteuse; enfin, parce que, à la suite du règne de Langdarma,
le bouddhisme, privé de direction spirituelle, avait revêtu
des formes liturgiques éloignées de la doctrine primitive,
en raison notamment de la propension des Tibétains à accorder
créance aux pratiques magiques. Le travail de Butön servira
de base aux réformes futures.
1271-1295: Second voyage supposé de
Marco Polo en Chine. Il se rend dans les provinces limitrophes du Tibet
comme délégué de Koubilaï khan. Il y rencontre
des Tibétains et peut se faire une idée de leur civilisation.
Une douzaine d'années auparavant, le Tibet a été dévasté
par les Mongols et il n'est plus que ruines (voir
plus haut: Godan).
On ne peut plus le traverser qu'en emportant avec soi ses vivres. Pratiquement
inhabité, les bêtes sauvages y pullulent et il est si périlleux
d'y séjourner que les voyageurs y allument la nuit de grands feux
de roseaux et font du tintamarre pour éloigner les bêtes féroces.
Dans une autre région sous dépendance du Tibet, les hommes
comptent pour rien le brigandage (il pourrait s'agir du Kham); ils vivent
de chasse et de cueillette et sont vêtus de peaux de bêtes
ou de grosse bure; on y trouve l'animal qui porte le musc (le gadderi),
de l'or et du corail dont les femmes font des colliers pour elles et pour
leurs idoles; il y a là des chiens aussi gros que des ânes
dont on se sert pour la chasse ainsi que des faucons et autres oiseaux
de rapine; la cinnamome (cannelle) et autres aromates y crossent en quantité.
Le Tibet, très vaste, est divisé en huit royaumes soumis
à Koubilaï khan. Il est sous l'autorité du lama en chef
de la secte sakyapa. Cette autorité ne s'étend toutefois
qu'aux vallées du Tibet central. Ailleurs, de petits chefs locaux
entretiennent l'anarchie. Pour le marchand vénitien, les habitants
du Tibet sont des barbares et des brigands qui ont toutefois le mérite
de posséder quelques richesses (or, corail, musc, épices...).
Des jeunes filles sont offertes au voyageur qui demande l'hospitalité
et il est d'usage que ce dernier leur fasse quelque cadeau qu'elles exhiberont
ensuite pour apporter la preuve qu'elles sont désirables. Les Mongols
continuent de tolérer plusieurs religions dont le christianisme
et l'islam.
1294: Mort de Koubilaï khan.
Dans un texte arabe du 13ème siècle,
on peut lire: "Le pays du Tibet possède
des propriétés particulières en ce qui concerne son
air et son eau, ses montagnes et ses plaines. Là-bas, un homme rit
et se réjouit constamment. La tristesse, le danger, l'anxiété
et la douleur ne l'affectent pas... Le sourire y est général.
Il apparaît même sur les faces des animaux."
Au cours du 13ème siècle
est fondée, par Kumpang Tu Je Tsondra, l'école jonangpa,
dans le Tibet central. L'enseignement de cette école s'appuie sur
une étude approfondie des tantras tout particulièrement sur
le Kalachakra.
1306: Detchen Zangpo Pal devient chef des Sakyapas.
Ses sept femmes lui donneront douze fils.
1308-1363: Vie de Longchenpa qui approfondit
la doctrine de Guru Rinpoché (Padmasanbhava).
1315: Odoric de Pordenone (Frioul) parvient
jusqu'à Pékin. D'après le père Huc, ce missionnaire
franciscain se soumettait à de sévères mortifications,
portait un corset en mailles de fer et vivait volontiers dans la solitude.
Il quitta son monastère en 1314 pour se rendre à Constantinople,
puis à Trébizonde, ensuite à Ormuz où il s'embarqua
pour la côte du Malabar. Parvenu aux Indes, il y apprit le martyr
de quatre religieux franciscains qui se dirigeaient vers la Chine. Il ouvrit
leur cercueil, rassembla leurs os, et se mit en devoir d'amener ces restes
des martyrs jusque dans le pays qu'ils comptaient convertir afin de leur
permettre d'exercer malgré la mort leur salutaire apostolat. Durant
son voyage, il s'endormait la tête sur ce précieux fardeau
qui lui servait d'oreiller. Il passa ainsi par Ceylan, Sumatra, Java et
Bornéo avant de toucher le sud de la Chine. De là, il remonta
vers Pékin (Kanbalik) en évangélisant. Il resta trois
ans dans la capitale de l'empire mongole puis, franchissant la Grande Muraille,
il se rendit en Asie centrale. Il serait ensuite allé jusqu'à
Lhassa, où il aurait séjourné en 1325-1326. Mais l'information
est sujette à caution. Il peint les Tibétains comme des nomades
vivant sous des tentes dans les vallées de hautes montagnes. Il
observe que les murailles de Lhassa sont de couleur blanche et noire ce
qui amène Huc à penser qu'elles étaient en cornes
de boeuf (blanches) et de bélier (noires) comme il en existait encore
au 19ème siècle, lors de son séjour dans cette ville.
Odéric aurait vu de nombreux missionnaires catholiques dans la capitale
du Tibet (ce qui paraît peu vraisemblable). Il serait ensuite revenu
en Europe, après avoir franchi l'Himalaya, via les Indes et la Perse
et serait arrivé à Pise en 1330.
1320: Le pouvoir mongol déclinant commence
à se désintéresser des Sakyapas. Le ministère
des Affaires religieuses de Pékin va être supprimé.
1322: Changchoub Gyeltsen (1302-1364 ou 1373),
de la famille Phagmodrou, est nommé tripeun. Ce Kagyupa militarise
la région sous son contrôle. Il aura plusieurs fois maille
à partir avec les Sakyapas. Il sera leur prisonnier, et sera même
torturé, mais finira toujours par s'en sortir et reprendre la lutte.
Mort de Detchen Zangpo Pal. La zizanie ne va
pas tarder à éclater parmi ses fils. La succession, chez
les Sakyapas, est héréditaire.
1332: Le 3ème Karmapa se rend à
Pékin à l’invitation de l’empereur de Chine.
1347: Le pouvoir des Sakyapas est réparti
entre quatre maisons rivales. |
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L'ère
Phagmodrou
Des troubles successoraux
affaiblissent le pouvoir des Sakyapas. Une autre famille religieuse,
la famille Phagmodrou, en profite pour s'emparer du pouvoir. Le fondateur
de cette nouvelle dynastie rêve de restaurer l'ancienne puissance
du Tibet. Le moment est d'autant plus favorable que les Mongols cèdent
la place au Ming à la tête de l'empire de Chine et que ces
derniers n'ont pas la capacité d'imposer leur loi sur le toit du
monde. L'Ü et le Tsang commencent à s'opposer.
1348: Changchoub Gyeltsen entreprend une guerre
de conquête. Il tente d'unifier le Tibet et de le doter d'un gouvernement
central fort.
1358: Le hiérarque de la lignée
sakyapa est assassiné par son ministre Wangtseun. Changchoub Gyeltsen
saute sur l’occasion, s’empare de Sakya et exécute Wangtseun. Les
Sakyapas sont évincés du pouvoir. Sakya cède son rôle
de capitale à Neoudong Tse, une ville fortifiée des Phagmodrou.
Une nouvelle organisation administrative, de
type féodal, est instituée. La société est
divisée en castes. La première est celle du souverain et
des tulkou (réincarnations). La dernière est celle des croque-morts
et des orfèvres. Ces derniers, malgré l’admiration que l’on
porte à leur art, sont mal considérés car l’extraction
du minerai est considérée comme une profanation. Le code
pénal module les peines en fonction des castes. La peine de mort
est rarement appliquée. On lui préfère la mutilation
qui offre l’occasion au délinquant de se racheter. Par ailleurs,
la souffrance qui lui est infligée lui laisse espérer une
réincarnation moins pénible. Ce code, qui peut paraître
barbare, est pourtant un grand progrès par rapport aux pratiques
de la période qui vient de s’écouler. Au cours de cette période,
les anciennes lois étant tombées en désuétude,
on punissait à tort et à travers. En application d'une pratique
mongole, les suspects étaient punis sans aucune instruction de leur
procès! Sous les Phagmodrou, tout s'améliore. Les routes
deviennent si sûres, que, selon un dicton, une vieille femme peut
traverser le pays avec un sac d'or sur le dos sans éprouver aucune
crainte. Le nouveau maître du
Tibet, qui est un religieux comme les Sakyapas, institue des cérémonies
d'État et crée des titres officiels inspirés de l'époque
impériale. Il poursuit une politique d’aménagement en favorisant
la construction de routes et la plantation d’arbres.
Le 4ème Karmapa est reçu à
Pékin par l’empereur de Chine.
1361 et 1363: Nouvelles visites à Pékin
du 4ème Karmapa. La Chine est en train de rechercher une nouvelle
alliance; elle favorise le développement de l'école karmapa
à l'est du Tibet. Mais la dynastie des Yuan va bientôt disparaître.
1368: L’empire mongol a
cédé la place à l’empire ming. La tutelle de la Chine
sur le Tibet, qui s’est effritée au cours des dernières années,
disparaît totalement. Les Ming n’auront plus qu’une influence purement
nominale sur les hauts plateaux; leur autorité se borne pratiquement
à la confirmation des diplômes et des titres. Mais, cela ne
signifie évidemment pas qu’ils ont abandonné tout espoir
d’y reprendre pied de manière plus concrète. Enfin, la coutume
d’échange annuel de cadeaux entre le souverain du Tibet et l’empereur
de Chine se poursuit. Elle perdurera jusqu’à la révolution
de 1911.
1385: Naissance de Thangton Gyalpo (1385-1509),
inventeur de l'opéra tibétain. Il
fut également constructeur de ponts et philosophe. Les représentations
de l’opéra tibétain se donnent en plein air sur une scène
circulaire. Narrations, chants et danses s’y succèdent. La
pensée bouddhiste et les légendes populaires y sont mêlées
à des épisodes tragiques ou burlesques.
1391: Naissance du 1er Dalaï lama, Guedun
Droup (1391-1474 ou 1475), à l'ouest du Tibet. Mais le titre de
Dalaï lama n'existe pas encore.
Vers la fin du 14ème siècle,
le fils du roi du Mi-nyag, quitte le palais de son père pour se
trouver un maître spirituel. Il se rend à Tsurphu où
le 5ème Karmapa devient son gourou. Après dix ans de retraite,
dans des conditions d'extrême austérité, son maître
lui enjoint de fonder un monastère pour y enseigner la bonne doctrine.
Trung-mase Rinpoche trouve un endroit convenable dans la vallée
de Yöshung, au Kham, où il construit une hutte de roseau, embryon
du futur établissement monastique, qu'il nommera Surman, c'est-à-dire
"avec de nombreux coins", en raison de la forme biscornue de sa
cabane. Conformément à la pratique de l'école, le
nouveau lama et ses disciples se déplaceront souvent.
1405: Le réformateur bönpo Sherab
Gyaltsen fonde le monastère de Menri au Tibet central.
1407: Le 5ème Karmapa est reçu
avec faste à Pékin. Il lui est fait cadeau d’une coiffe noire
qui deviendra le symbole de l’école. Cette coiffe est la réplique
visible de celle qui fut offerte au 1er Karmapa par les dakinis.
Tissée avec les chevelures de ces divinités, elle ne pouvait
jusqu'alors être vue que par des personnes ayant atteint un niveau
élevé de réalisation spirituelle.
La Chine rêve de recouvrer la tutelle
du Tibet en s’appuyant sur les Karmapas. L'empereur s'apprêtait même
à envahir le pays pour imposer la suprématie religieuse de
ses nouveaux amis. Heureusement, son hôte l'en dissuade. Le pouvoir
de Pékin continue de reconnaître l’autorité des Phagmodrou
sur les régions qu’ils contrôlent.
1409: Les préfets tibétains sont
nommés personnages officiels de l’empire de Chine. Pékin
leur octroie des sceaux confirmant leur statut. Mais cette démarche
reste purement symbolique.
Fondation du monastère
de Riwo Ganden par Tsongkhapa (1357-1419) qui entreprend une réforme
religieuse et fonde l'école des Gelugpas.
La réforme est motivée par le relâchement des moeurs
des moines que l'enrichissement a dépravés (voir les textes
de Drukpa Kunley); des interprétations
fantaisistes du tantrisme avaient conduit des moines à devenir non
seulement guerriers mais également brigands; certains se seraient
même livrés à des sacrifices humains en exécutant
à la lettre des rites qui doivent être interprétés
dans un sens symbolique; ils prétendaient ainsi surmonter la dualité
entre le bien et le mal! La réforme vise donc à restaurer
la pureté religieuse primitive. On donne aux adeptes de la nouvelle
école le surnom de Vertueux. Ces derniers auront un temps la réputation
de rester à l'écart des luttes politiques; cela ne durera
pas, au contraire, la nouvelle école se trouvera, sans que son fondateur
l'ait voulu, au centre des conflits pour le pouvoir. Le problème
de la succession des chefs monastiques de l'école est réglé
par l'affirmation de la réincarnation du lama (tulkou). La réincarnation
du supérieur, on l’a vu, était déjà admise
par les Kagyupas.
D'après le père Huc, Tsongkhapa
aurait reçu l'enseignement d'un lama au long nez venu d'Occident,
c'est-à-dire d'un missionnaire catholique européen. Il note
les analogies qu'il croit déceler entre le rituel du bouddhisme
tibétain et celui de la religion romaine. De là à
penser que la réforme qui a présidé à la naissance
de l'école des Gelugpas est d'inspiration chrétienne, il
n'y a qu'un pas! Et, s'il faut en croire Markham,
Tsongkhapa serait une réincarnation d'Amithaba, ce qui en ferait
un précurseur du Panchen lama.
Après Ganden, deux autres monastères
gelugpas sont construits: Drepung en 1416 et
Sera en 1419. Les trois monastères vont
concentrer la puissance gelupga. Une période de discordes commence
entre l'école non réformée des Nyingmapas (coiffes
rouges), alliée aux seigneurs locaux, et celle des Gelugpas, protégée
par les Mongols. Cette dernière école bénéficie
d'un autre avantage par rapport à ses rivales: elle est centralisée
alors que les autres accordent une large autonomie à leurs monastères.
Tsongkhapa redonne du lustre à Lhassa avec le grand festival du
Monlam Chenmo au cours duquel les moines des trois grands monastères
du Tibet se réunissent au Jokhang. Avant l'instauration du Monlam,
l'anarchie régnait dans Lhassa lors du nouvel an; tout y était
permis à tout le monde. L'institution d'un bouc émissaire,
permet de se décharger symboliquement des tensions internes à
la société tibétaine; la face peinte d'un côté
en noir, de l'autre en blanc, le torse nu décoré d'entrailles
d'animaux, le bouc émissaire monte un cheval blanc; on le couvre
d'avanies, on lui jette des pierres et, s'il meurt, c'est bon signe!
1415: Avant de mourir, le 5ème Karmapa
aurait prophétisé la réalisation d'événements
terribles entre sa 16ème et sa 17ème réincarnation:
l'empereur de Chine déposé, le Tibet envahi, le bouddhisme
persécuté...
1419: Mort de Tsongkhapa.
1420: Mariage d’un fils du souverain phagmodrou,
Sangye Gyaltsen, avec une fille du clan des Rinpoung, des seigneurs locaux.
1432: Mort du souverain phagmodrou. Une querelle
divise ses successeurs potentiels. Sangye Gyaltsen l’emporte sur les autres
prétendants.
1433: Chute de Sangye Gyaltsen. Le fils qu’il
a eu avec son épouse Rinpoung, Dragpa Djoungne, lui succède,
grâce à l’aide de sa famille maternelle.
1435: Un Rinpoung, Norbou Zangpo, pourtant
ministre, commence à s’émanciper des Phagmodrou. Il devient
le maître du Tsang et installe sa capitale à Shigatse. Laïc,
il gagne le soutien spirituel des Karmapas. La lutte entre Gelugpas et
Karmapas va se dérouler sur le fond d'une opposition entre deux
régions du Tibet: l'Ü et le Tsang, qui resteront longtemps
antagonistes.
1444: Ephémère retour au pouvoir
de Sangye Gyaltsen.
1445: Kunga Legpa, marié à une
Rinpoung, devient le souverain de Neoudong Tse. Les Rinpoung sont de plus
en plus influents. Le pouvoir des Phagmodrou va désormais se cantonner
au Ü où ils favorisent les Gelugpas.
1447: Construction du monastère de Tashilhumpo
(Shigatse) par Guedun Droup, neveu de Tsongkhapa, qui sera considéré
comme le premier Dalaï Lama par les Gelugpas. Cette construction est
une provocation pour les Rinpoung et leurs alliés Karmapas dans
la mesure où il se situe dans un lieu sous leur influence; ils répliquent
en érigeant une forteresse à Shigatse.
Des prisons sont créées dans
les monastères pour punir les moines qui s'écartent du droit
chemin en leur infligeant des châtiments rigoureux: ablation d'une
main, privation de nourriture, peine du fouet et la mort pour ceux qui
rompraient leur voeu de célibat. Ces mesures sévères
sont bien accueillies par la population.
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Drukpa
Kunley |
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1455: Naissance de Drukpa
Kunley (1455-1570). Ce fou divin est l'un des plus célèbres
adeptes de la "démente sagesse" des régions
himalayennes.
Selon un de ses biographes, qui lui fut contemporain,
Drukpa Kunley était la réincarnation d'un poète mystique
Saraha. Enfant précoce, on prétend qu'il se souvenait parfaitement
de ses vies antérieures. On le représente souvent portant
un arc et des flèches comme témoignage de sa perspicacité
et de son pouvoir pour détruire les dix ennemis des dix directions.
Il est accompagné d'un chien pour chasser l'habitude de la pensée
duale. Ses longs cheveux sont noués derrière sa tête.
A ses oreilles pendent de grands anneaux ronds. Son torse est couvert d'un
gilet et le bas de son corps d'une jupe de coton.
Drukpa Kunley entra dans les ordres, déçu
par la vie, après le meurtre de son père, par un de ses oncles,
au cours d'une querelle familiale. Son nom de Drukpa indique à quelle
école particulière de coiffes rouges il appartenait et auprès
de qui il fut éduqué. Vers l'âge de 20 ans, il quitta
la vie monastique et abandonna les pratiques religieuses pour adopter la
vie de mendiant et devenir un maître dans les arts, aussi bien mondains
que spirituels, la magie, la divination et la lévitation. Il expliqua
dans ses écrits les motivations de cette décision. "Lorsque
l'on est incapable de méditer spontanément, que peut-on attendre
d'un effort violent de la pensée? Si une perspective lumineuse n'est
pas ouverte par sa propre intuition, que peut rapporter une quête
systématique? Vêtu d'habits grossiers et inconfortables, quel
bonheur espère gagner l'ascète en souffrant un froid d'enfer
dans sa vie? Amasser des connaissances tout en ignorant la méditation
sur la nature de l'esprit, n'est-ce pas se laisser mourir de faim alors
que le garde-manger est plein?"
Drukpa Kunley utilisa le chant et la danse,
l'alcool et le sexe, comme des voies de perfectionnement. Il passait la
plus grande partie de son temps à boire et à chanter avec
des jeunes femmes et à déflorer des vierges. Il aurait connu
plus de cinq mille femmes et aurait éparpillé ses enfants
sur les hauts plateaux du Tibet et du Bouthan. Chemin faisant, il dénonçait
l'hypocrisie, la suffisance, l'individualisme, la soif des biens terrestres
de ses contemporains, religieux ou profanes, leurs vices cachés,
afin de les amener à suivre une vie honnête dédiée
aux choses de l'esprit. Lorsque on lui demandait: "D'où viens-tu
et où vas-tu?", il répondait: "Je
viens de derrière et je vais
droit devant!" Les abbés le chassaient des monastères.
Un jour il fut mis à la porte d'un temple où il avait amené
un âne portant une robe de moine pour braire à sa place au
moment de l'office! Un autre jour, de faux dévots et des moines
véreux, qui le recevaient, lui demandèrent, pour le mettre
à l'épreuve, d'accomplir devant eux un miracle car ils n'en
avaient jamais vus. Voici ce qui se produisit. Ils lui servirent une tête
de chèvre et une carcasse de boeuf qu’il mangea de grand appétit.
Quand il eut fini, il plaça la tête de chèvre sur le
squelette sans tête du boeuf. "Tu n’as pas de chair sur les os,
dit-il à l’animal. Va sur la montagne et broute !" Il
claqua des doigts et la bête se releva et s’enfuit dans la vallée
à la stupéfaction générale. Cette espèce
animale, à tête de chèvre et corps de boeuf, est encore
observée dans la vallée aujourd’hui: c'est le yack sauvage.
Drukpa Kunley, amateur de viande, ne manquait jamais de rappeler à
l'existence, à partir de leur squelette, les animaux dont il venait
de se repaître!
Il enseignait que la réalité
transcendantale (nirvana) et le monde des phénomènes (samsara)
apparaissent comme étant de même essence dès lors que
l'on abandonne préjugés et idées préconçues.
"Ce mendiant indigent n'éprouve
que dégoût pour le désir. En laissant parler sans frein
son esprit, il montre que la vertu l'habite. Ne travaillant jamais, laissant
la réalité en plan, tout ce qui lui arrive est le Chemin
de la Réalisation." Il tournait
en ridicule le monde établi et se moquait de la morale conventionnelle:
"Dans le Centre religieux du Saint Lhassa,
l'encens monte et les lampes à beurre brûlent jour et nuit,
devant notre mère unique, la glorieuse déesse. Et moi, je
t'offre mon pénis, accepte-le, déesse, et sois compatissante."
Drukpa Kunley employait un langage direct et
cru, volontairement provocant, qui fait, tour à tour, penser à
Villon et à Rabelais. Il fixait ainsi l'attention de ses interlocuteurs.
De retour dans le village qui le vit naître, il proposa à
sa mère de coucher avec lui et divulgua le fait sur la place publique.
Cette énergique médication psychologique exerça un
effet salutaire sur la vieille femme qui vécut jusqu'à cent
trente ans! Les références constantes à l'érotisme
du moine vagabond sont imprégnées de tantrisme. Cette école
de pensée recourt à la sexualité pour approfondir
la conscience de l'expérience physico-spirituelle de l'union des
contraires. Les émotions et le désir ne sont pas éliminés
mais surmontés, en quelque sorte purifiés, et, de la sorte,
on se rend du sexe à l'esprit. L'excès est considéré
comme un bien dès lors qu'il vise un but élevé. La
verge du yogi est un flamboyant éclair de sagesse qui pourfend les
démons. En déflorant une vierge, on pénètre
jusqu'au secret de la vie. Le désir et les relations sexuelles libèrent
les êtres de l'attachement au monde illusoire et réveillent
la nature de bouddha qui sommeille en eux. Le fou divin, complètement
libéré de toute inhibition, présente à celui
qui l'écoute un miroir dans lequel ce dernier, non sans stupeur,
découvre ce qui est profondément enseveli au plus profond
de lui.
Au cours de ses voyages, Drukpa Kunley entendit
parler d'une jeune fille admirablement belle, nommée Sumchock, dont
la description faisait penser à une dakini. Il se mit en devoir
de la rencontrer. Quand il l'eut trouvée, celle-ci reconnut son
visiteur que la renommée avait précédé. Drukpa
Kunley et Sumchock se mirent à échanger des propos en chantant
à travers la fenêtre ouverte de la maison où la jeune
fille servait du thé à son maître. Elle éloigna
ce dernier en lui faisant croire que des chasseurs avaient tué une
bête dans la montagne et que, en se hâtant, il pourrait en
avoir sa part. Dès qu'il fut parti, elle fit entrer le moine errant
et lui demanda de la tirer du samsara dont elle était prisonnière,
s'il était un véritable lama. Comme elle proposait du thé
à son invité, "il la prit
par la main, l'amena jusqu'au lit de son maître, l'y étendit,
souleva sa jupe et regarda fixement son mandala inférieur. Puis,
il ajusta son organe viril au lotus du mandala, entre la chair blanche,
aussi lisse que de la crème de yack des cuisses. Leur rapport ainsi
étroitement établi, l'acte d'union s'accomplit et il lui
donna plus de plaisir et de satisfaction qu'elle n'en avait jamais éprouvés."
Ensuite, ils se régalèrent. Ils burent du thé et du
chang (bière d'orge), mangèrent de la viande et la jeune
femme s'exclama qu'elle avait obtenu tout ce que son coeur désirait.
Drukpa Kunley s'apprêta alors à prendre congé. Sa nouvelle
amie désirait ardemment le suivre. Elle lui promit en tout obéissance.
Alors, le fou divin l'emmena dans une caverne où il l'enferma pour
y méditer et prier en pensant à lui. Et c'est ainsi que Sumchock
gagna son corps de lumière à l'aube du quatrième jour!
Drukpa Kunley excellait à mettre ses
contemporains en contradiction avec eux-mêmes. En prenant leurs engagements
au pied de la lettre, il savait les amener là où il souhaitait
qu'ils aillent. Dans les textes qu'il a laissés, il décrit
le Tibet et le Bouthan de son époque, dans une langue drue et savoureuse,
avec énormément de pénétration et de sens social.
Ses histoires ont été reprises jusqu'à nos jours par
les conteurs populaires comme par les professeurs d'université.
Il est le saint patron du Bouthan où, dit-on, les phallus sont des
objets de décoration courants au caractère souvent sacré.
(Des textes de Drukpa Kunley sont
ici ).
1474: Mort du 1er Dalaï lama, au monastère
de Tashilumpo (Shigatse).
1475: Naissance du 2ème Dalaï lama,
à l'ouest du Tibet. Il ne porte toujours pas le titre.
1480: Les Karmapas construisent un monastère
à proximité de Lhassa. Plusieurs centaines de moines gelugpas,
qui s'estiment offensés, y mettent le feu et le détruisent.
Le 7ème Karmapa échappe de justesse à la mort. Une
armée des Rinpoung, accompagnée de moines belliqueux, encouragés
par le Sharmapa, envahit le Ü pour venger l’affront, malgré
les appels au calme du Karmapa.
1481: Kunga Legpa est détrôné.
Échec d'une attaque de Lhassa par les troupes du Tsang. |
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L'ère
laïque (Karmapas)
Les Rinpoung, des seigneurs
laïcs, alliés à la famille Phagmodrou, supplantent celle-ci.
Leur pouvoir sera de courte durée. Ils cèdent bientôt
la place à un de leurs administrateurs qui crée un royaume
laïc au Tsang, avec Shigatse pour capitale. Les Rinpoung et le roi
du Tsang s'appuient sur les Karmapas. Le maître de Shigatse s'efforce
de réduire l'influence de la puissante école des Gelugpas
que Tsongkhapa vient de créer. Mais un prince mongol, Altan khan,
se convertit au bouddhisme et soutient la cause des Gelugpas. Au même
moment, des missionnaires jésuites arrivent à l'ouest du
pays pour ramener à la vraie foi les habitants qu'ils prennent pour
des chrétiens dont la religion s'est pervertie. Ils vont se trouver
mêlés aux luttes pour le pouvoir qui déchirent le Pays
des Neiges. Les Mongols triomphent. Le roi de Shigatse est tué.
Le 5ème Dalaï lama, un Gelugpa, est investi du pouvoir temporel
et du pouvoir spirituel. Mais le chef des Mongols se proclame roi du Tibet.
1491(ou 1488): Gyantse tombe aux mains des
Rinpoung. Un des leurs devient régent de Neoundong Tse. La tentative
de restauration impériale des Phagmodrou vient d’échouer.
1498: Les Rinpoung s’emparent de Lhassa. Le
festival du Monlam Chenmo est interdit.
Les Rinpoung investissent le 4ème Sharmapa
de l’autorité spirituelle sur le Tibet.
Vers la fin du 15ème siècle,
rédaction des Annales bleues. On y rapporte que des textes sacrés
sont tombés tout écrits du ciel.
1503: La construction d’un monastère
karmapa est entreprise à Lhassa.
1506: Mort du 7ème Karmapa. Il s’était
opposé en vain aux violences. Le Sharmapa pense que l’heure est
venue de réaliser ses ambitions. Selon un régent de cette
époque : «Accumuler autant
que possible était considéré comme le nectar des nectars.»
En écho, voici la pensée d’un mystique: «Quel
est l’esprit malin qui dévore les autres même s’il n’a pas
faim? Le dirigeant qui abuse de ses sujets et qui les regarde comme du
fourrage.»
1517: L’hostilité contre les Rinpoung,
d’abord sourde, enfle d’autant plus qu’ils se divisent. L’anarchie règne.
«Trente hommes, trente avis, trente
bœufs, soixante cornes» proclame
un proverbe. Lhassa échappe à leur contrôle. Le festival
du Monlam Chenmo pourra avoir lieu à nouveau. Les Rinpoung entraînent
le Sharmapa dans leur chute.
1526: Fondation de l'empire moghol. L'islam
domine les Indes. Le Tibet devient le refuge du bouddhisme. La plupart
des empereurs moghols se montreront tolérants et, sauf exception,
n'imposeront pas l'islam comme religion unique. Ils faciliteront même
les missions chrétiennes qui rêvent pourtant secrètement
de les évincer. Pour ce qui concerne le bouddhisme, celui-ci n’est
plus dangereux; il a été sérieusement mis à
mal par les premières invasions musulmanes trois siècles
plus tôt. Beaucoup de textes anciens auraient été perdus
s’ils n’avaient pas trouvé refuge au Tibet, en sanskrit ou en tibétain.
Certains ne seront redécouverts qu’au 20ème siècle.
Le Tibet est devenu le sanctuaire d’un bouddhisme réformé
pour résister à l’islam.
1532: Tentative de conquête musulmane
du Tibet depuis l'Inde. Cette tentative tourne court. Après s'être
emparé de l'ouest du plateau tibétain, les troupes musulmanes
préférèrent se diriger vers le Cachemire.
1537: Le 8ème Karmapa s'allie aux Digung
et au gouverneur du Tsang pour détruire les Gelugpas et les princes
de Galdan, leurs protecteurs.
1542: Mort du 2ème Dalaï lama,
au monastère de Drepung (Lhassa).
1543: Naissance du 3ème Dalaï Lama,
Seunam Gyamtso, à Tulong Sarhong.
1546: Destruction par les Rinpoung du monastère
de Gounthang des Tselpa-Kagyupas qui s’étaient alliés aux
Gelugpas. Les moines de Drepung (Gelugpas) attaquent les camps militaires
des Karmapas; le hiérarque gelugpa apprécie d'autant plus
ce geste que ses protecteurs royaux, les Phagmodrou, sont alors divisés
en deux branches hostiles.
Un général moghol, Mizra Haidar,
décrit le Tibet, le bouddhisme, l'Himalaya et la traversée
du Karakorum dans "Tarikh i Rashidi".
1547: Destruction par les Rinpoung du grand
temple des Taloung-Kagyupas, également alliés aux Gelugpas.
Les appels à la non violence du 8ème Karmapa restent sans
effet.
1550: Nouvelle expansion mongole. Altan khan
(1543-1585), chef des Tümet, menace Pékin.
1565: Tsetsen Dordje, un administrateur des
Rinpoung, les remplace, à la suite d'un complot. Il avait obtenu
de ses maîtres l'autorisation de collecter des aiguilles ("khab"
en tibétain). Il a remplacé sur l'autorisation le mot aiguille
par le mot armure ("khrab" en tibétain). Grâce à
ce subterfuge, il a réussi à former une armée et à
s'emparer du pouvoir! Avec le soutien des Mongols, il fonde la dynastie
laïque du Tsang. Son gouvernement siège à Shigatse.
1576: Altan khan, petit-fils de Dayan khan
(le Grand Yuan), prince des Tümet, qui vient de razzier la Chine,
se convertit au bouddhisme. Depuis qu'ils ont été refoulés
sur leurs steppes, à la suite de la perte de l'empire de Chine,
les Mongols vivent dans la nostalgie de leur puissance passée et
de la civilisation perdue; mais, aucun de leurs chefs ne parvient à
s'imposer durablement aux différents clans. Malgré ses dissensions
internes, le Tibet conserve son rayonnement spirituel. Ses mystiques sont
parés de toutes les vertus et dotés de tous les pouvoirs.
Ils font jaillir l'eau ou l'or des rochers en y mettant leurs mains; ils
boivent du métal en fusion; les dieux locaux sont impuissants contre
eux… En se convertissant au bouddhisme tibétain, Altan "civilise"
son peuple guerrier et pense probablement en retirer un surcroît
de puissance politique vis-à-vis des autres chefs mongols.
1578: Seunam Gyamtso, troisième incarnation
de Guedun Droup, visite la Mongolie. Il est reçu avec faste dans
la capitale d'Altan khan. Ce dernier lui donne le titre de Dalaï lama
(Océan de Sagesse, comme Gengis khan avait été Chef
Océan). Seunam Gyamtso et ses deux prédécesseurs sont
reconnus comme les trois premiers Dalaï lamas. Altan, quant à
lui, est reconnu par son visiteur comme la réincarnation de Koubilaï
khan. Cette double reconnaissance renforce évidemment le poids du
Mongol et du Tibétain face à leurs compétiteurs; la
relation chapelain-protecteur est réaffirmée au bénéfice
des deux parties dans un environnement instable.
1582: Un jésuite italien, Rodolfo Acquaviva,
établi en Inde du nord, envoie en Europe des informations sur une
nation inconnue appelée Bottan (on pense au Boutan mais aussi au
Tibet; Bhotanta pourrait être un autre nom du Tibet).
1588: Mort de Seunam Gyamtso, en Mongolie,
alors qu’il est sur le chemin du retour au Tibet.
1589: Naissance de l'arrière-petit-fils
d'Altan khan, en Mongolie. Il est reconnu comme 4ème Dalaï
lama, de préférence à un autre candidat d'origine
tibétaine. Les parents refusent d'abord cet honneur, puis finissent
par accepter.
1590: Un compagnon d’Acquaviva, Antoni Montserrat,
décrit par ouï dire les croyances et coutumes des Boths (les
Tibétains).
1597: Un autre jésuite, le père
Jeronimo Javier, neveu de François Xavier, compagnon des précédents,
recueille des informations sur le Tebet (sic) au cours d’un voyage
au Cachemire.
1601: Le nouveau Dalaï lama, Yeunten Gyamtso,
entre au Tibet protégé par une escorte mongole. Il s’installe
au monastère de Drepung. Les Gelugpas espèrent ainsi faire
pièce à la montée en puissance du roi du Tsang allié
aux Karmapas.
Au début du 17ème siècle,
pour freiner l’expansion islamique, le Ladakh fait appel aux Droukpa-Kaguypas.
1603-1604: Parti à la recherche du Cathay,
un autre mythe du Moyen-Âge, Bento de Gois rencontre, au Turkestan
chinois (Sinkiang
ou Xinjiang), un prince tibétain, le roi du Ladakh, prisonnier des
musulmans. De la conversation en persan qu’il noue avec lui, il conclut
que les Tibétains sont chrétiens. Quelques temps avant, un
marchand portugais, Diogo de Almeida, de retour du Ladakh, avait fourni
les mêmes informations à l’évêque de Goa. Le
mythe du royaume du prêtre Jean va trouver un second souffle. Les
missionnaires portugais, qui vont bientôt se lancer à l’assaut
des montagnes, iront avant tout chercher, sur l’autre versant, des chrétiens
qu’il faut tirer des griffes du diable.
1605: Les proches du Dalaï lama estimant
que ce dernier a été insulté par un poème du
6ème Sharmapa, les Mongols attaquent les terres de ce dernier. Les
troupes du roi du Tsang, allié des Karmapas, ripostent et conquièrent
une partie du Ü.
1616(ou 1617): Mort du 4ème Dalaï
lama, au monastère de Drepung (Lhassa). Son autorité, réduite
par l’expansion du Tsang, ne dépassait guère les limites
de son domaine monastique. De plus, il n'était qu'une marionnette
entre les mains de son entourage. Coupé du monde, il n'a pratiquement
joué aucun rôle dans la difficile partie qui se joue au Tibet
entre le monarque de Shigatse et les Gelugpas de Lhassa.
A la mort du dignitaire suprême des Droukpa-Kagyupas,
deux tulkou sont reconnus. Le premier succède au hiérarque.
Le second, devient le chef spirituel et temporel du Bouthan. Cette lignée,
riche et puissante, suscite des convoitises. Le roi du Tsang prend le parti
du premier tulkou et attaque le Bouthan. Ce royaume, vaincu, devient tributaire
du Tsang.
1617: Naissance de Ngawang
Lobsang Gyamtso (1617-1682), au sud du Tibet. Il deviendra le 5ème
Dalaï lama.
Le roi du Tsang occupe la vallée
de Lhassa et détruit Drepung et Sera. Des milliers de moines
gelugpas, qui ont pris les armes pour défendre la ville sainte,
perdent la vie dans le conflit. La colline de Drepung aurait été
couverte de corps de moines morts. Des monastères gelugpas sont
convertis en monastères karmapas. La recherche du tulkou du Dalaï
lama est interdite. Elle sera menée à bien clandestinement.
Le 5ème Dalaï lama sera reconnu secrètement et restera
longtemps caché.
L'enfant désigné
comme la réincarnation du Dalaï lama aurait été
en compétition pour ce choix avec un autre enfant issu d'une famille
aristocratique: Drakpa Gyeltsen. Ce dernier aurait été reconnu
comme la réincarnation d'un érudit maître du 3ème
Dalaï lama. Les deux enfants vécurent un temps au monastère
de Drepung et ils ne tardèrent pas à s'opposer. Drakpa Gyeltsen
devait en effet devenir un savant réputé et un rhétoricien
talentueux. Après être sorti vainqueur d'un débat avec
le Dalaï lama, on le retrouva mort. Certains penchèrent pour
la thèse de l'assassinat. D'autres soutinrent qu'il s'était
suicidé. Fatigué des ennuis que lui causait sa rivalité
avec le Dalaï lama il se serait étouffé en s'enfonçant
dans la gorge une écharpe de cérémonie. Quoi qu'il
en soit, des événements étranges se produisent. Le
Tibet traverse une période difficile de famines et de tremblements
de terre. Une force mystérieuse retourne les plats du Dalaï
lama lorsqu'on lui sert ses repas. On fait appel à des lamas et
à des magiciens qui tentent d'apaiser l'esprit du défunt
en lui proposant de placer les Gelugpas sous sa protection. L'esprit accepte
et des rites sont élaborés pour implorer son secours chaque
fois que ce sera nécessaire. La demeure de Shugden, c'est le nom
donné à cet esprit, est propre à inspirer l'effroi:
le mobilier est essentiellement composé de cadavres d'hommes et
d'animaux; des peaux humaines y font l'office de rideaux. Le culte rendu
à Shugden requiert l'utilisation de lampes à graisse humaine
dont la mèche est en cheveux humains.
Les Karma-Kagyupas décident la construction
d’un monastère au-dessus de celui de Tashilumpo (gelugpa). Ils en
profitent pour faire rouler des pierres sur ce dernier. Quelques moines
sont blessés et tués.
1619: Sous prétexte de pèlerinage,
des Mongols se rendent à Lhassa.
1620: Les pèlerins mongols, avec le
soutien des moines, fomentent des troubles contre le roi du Tsang à
Lhassa.
Les possessions du Tsang ont été
dotées d’un nouveau système judiciaire.
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Tsaparang vers 1940 |
Le père Andrade |
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1624: Deux jésuites, le père
Andrade et le père Marques, partent d’Agra, déguisés
en musulmans, avec le dessein de se rendre au Tibet, sans l’accord de leurs
supérieurs de Goa. Ils pensent y retrouver des chrétiens.
Des marchands musulmans leur ont en effet décrit la grande similitude
qui existe entre les temples tibétains et les églises catholiques.
Le père Andrade a appris le persan et c’est dans cette langue que
les échanges avec les autochtones vont s’effectuer.
Le voyage n’est pas une partie de plaisir.
La charité chrétienne pousse le père Andrade à
souhaiter aux brahmanes qu’il rencontre d’être traînés
par les cheveux et molestés par la garde musulmane du Grand Mogol.
Leurs figures, qui ressemblent à celle du diable, ne lui reviennent
pas! Les deux hommes passent par le territoire du prince de Srinagar. Dans
un village, celui-ci veut les arrêter. Marques, malade, reste sur
place et Andrade continue. Le voyage est de plus en plus pénible.
La neige est abondante et le froid intense. Les pieds et les mains du jésuite
et de ses compagnons gèlent. Ils deviennent aveugles. Notre aventurier
de la foi vérifie ainsi l’utilité des oeillères dont
sont équipés d’autres voyageurs. Il leur faut revenir vers
le village, si imprudemment quitté, alors que le plateau du Tibet
est à leurs pieds.
Mais un miracle se produit. Le roi de Tsaparang,
au Guge (Tibet occidental), prévenu de leur tentative, a donné
l’ordre de leur venir en aide. Ils repartent donc vers les sommets.
Ils sont favorablement accueillis par le monarque
et son épouse à qui ils distribuent des images pieuses. Le
père Andrade croit reconnaître, dans le culte tibétain,
plusieurs éléments du christianisme: la confession, la croix,
la vierge et la sainte trinité. Les adeptes de ce culte joignent
les mains comme on le fait pour prier. Tout cela résulte évidemment
d’une interprétation erronée: un double diamant-foudre est
pris pour une croix; une tara pour la vierge Marie; les trois joyaux, Bouddha,
son enseignement et la communauté spirituelle (Shanga), sont assimilés
à la sainte trinité! Comme les jésuites doivent repartir,
le roi fait promettre au père Andrade de revenir. Le jésuite
accepte à condition d’être autorisé à construire
une église et à prêcher librement la vraie religion.
Dans le traité qu’il signe avec le roi, il est écrit qu’il
ne sera jamais exigé des missionnaires de se livrer au commerce.
Cette clause mérite d’être soulignée. Elle s’adresse
en fait par avance aux détracteurs des missionnaires. Le père
sait très bien que, sans commerce, il lui sera impossible de survivre
dans un pays où l’argent est inconnu et où il ne faut rien
attendre des aumônes, tant qu'une proportion suffisante de la population
n'aura pas été convertie.
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Tara blanche ou Vierge Marie? |
Double diamant-foudre ou croix? |
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Pendant le voyage de retour, une guerre éclate
entre des roitelets tibétains et le Guge. Le prince de Srinagar
attaque lui aussi Tsaparang. Tous les ennemis du roi sont piteusement défaits
car les Tibétains, pieux, accueillants et sales, sont aussi de redoutables
guerriers. Ils détestent les musulmans, ce qui est évidemment
un bon point aux yeux des missionnaires et renforce ces derniers dans l’opinion
que leurs interlocuteurs doivent descendre d’anciens chrétiens.
1625: Le père
Andrade et un autre compagnon, Gonçalo de Souza, repartent pour
Tsaparang, cette fois avec l’accord de leurs supérieurs. Malgré
un sauf conduit du Grand Mogol et l’appui du roi du Guge, ils sont dépouillés
en chemin d’une partie de leurs bagages. Ils parviennent néanmoins
à destination beaucoup plus facilement que la première fois.
Le récit du père Andrade à
ses supérieurs fourmille de détails pittoresques dont la
véracité n’est pas douteuse. Les touristes peuvent encore
le vérifier aujourd’hui. Le gel ou la déshydratation, celle
des navets, par exemple, sont utilisés pour conserver les aliments.
La description qu’il donne de trois méthodes de funérailles:
l’enterrement, la mise en chorten et les funérailles célestes
est exacte au détail près. Quant aux moines, ils avalent
beaucoup de thé car cette boisson leur délie la langue. Ils
utilisent des trompes creusées dans des tibias et disent leur chapelet
avec un rosaire d’ossements humains. Ils boivent dans des crânes
en forme de coupe pour garder toujours présente à l’esprit
la vanité des choses terrestres. Ils disputent entre eux du dogme
dans les temples.
Dans l’image d’une déité armée
piétinant un démon, le père Andrade croit reconnaître
Saint-Michel. Il insiste auprès du roi pour habiter dans une maison
habitée par les démons. Ceux-ci disparaissent. Le roi est
convaincu que l’eau bénite chrétienne est de meilleure qualité
que celle des lamas. Le Père Andrade ne s’arrête pas en si
bon chemin. Chaque fois qu’il en a l’occasion, il démontre au roi
la fausseté des pratiques religieuses tibétaines. Qu’il s’agisse
de prédire l’avenir, de guérir des malades, tout y passe
et son interlocuteur reconnaît qu’il a raison.
L’intimité du roi et du père
Andrade s’accroît. Elle est pourtant basée sur un double malentendu.
Le père pense que le bouddhisme tibétain est un christianisme
abâtardi qu’il convient de revivifier. Le roi prend son hôte,
dont il a fait son grand lama, pour un sage venu d’ailleurs, comme il y
en eut d’autres, Atisha par exemple, pour réformer la religion et
fonder une nouvelle école plus favorable à ses projets.
Les moines bouddhistes redoutent que leur monarque
ne se convertisse. Ce serait une catastrophe qui leur ferait perdent tout
crédit et de nombreux bénéfices. Ils dépêchent
une délégation auprès de lui pour l’amener à
réfléchir et au besoin pour l’effrayer. Deux lamas proches
du roi, son frère et son oncle, en font partie. Le père Andrade
célèbre force messes pour venir à bout de ce piège,
évidemment tendu par le malin. Il débat avec les moines qu’il
couvre de ridicule, à ce qu’il affirme. Le roi finit par être
persuadé que le clergé bouddhiste trompe le peuple pour vivre
à ses dépens. Les moines se montrant têtus, le père
Andrade use d’un subterfuge en leur faisant croire que le mantra Om Mani
Padme Hum, qu’ils répètent sans en connaître le sens,
signifie "Seigneur, pardonnez-nous nos péchés! " D’autres
formules sont ainsi traduites en langage chrétien et le père
estime avoir bien travaillé pour la rédemption des âmes!
Les adversaires du missionnaire ont alors recours
à un artifice diabolique. Ils incitent le roi à prendre une
autre épouse. Ils espèrent ainsi introduire la discorde dans
le ménage royal et enfoncer un coin entre Andrade et son puissant
protecteur. Le monarque est séduit par l’idée. La reine se
désole. Le père Andrade ramène le roi sur le droit
chemin. A son tour, il met les lamas en difficulté. Le bouddhisme
proscrivant la mise à mort des êtres vivants, le missionnaire
portugais leur demande si leur religion n’interdit pas la guerre. Les lamas
sont contraints de répondre par l’affirmative. Cette réponse
n’est pas du goût du roi dont les troupes combattent sans cesse par
monts et par vaux.
Le père Andrade donne à la cour
une conférence sur l’enfer si évocatrice que tout le monde
est effrayé. L’orateur, qui sait ménager ses effets, plante
là son crédule auditoire pour le laisser méditer dans
la crainte en espérant qu’il réclamera ensuite le réconfort
du catéchisme.
Le père brûle des reliques tibétaines.
Il voit avec plaisir arriver le moment où il pourra massivement
baptiser les fidèles qui se pressent déjà dans son
église. Les Tibétains battent leur coulpe à coups
de cailloux, non pour regretter leurs fautes, mais en signe de chagrin.
Il va falloir redresser cela. Un renfort de missionnaires l’a rejoint.
Ces derniers sont en bonne voie dans l’apprentissage du tibétain.
La conquête religieuse des hauts plateaux semble d’autant plus facile
et fructueuse que des voyageurs de l’Ü-Tsang prétendent que,
chez eux, les temples sont encore plus nombreux et plus proches des églises
catholiques. On y célèbrerait même le saint sacrifice
de la messe et on y donnerait la communion! Un projet de mariage est dans
l’air entre le fils du roi du Guge et la fille de celui de l’Ü-Tsang.
La concrétisation de cette union favoriserait le développement
de la mission.
Le roi fait démolir des maisons et aménager
une vaste esplanade, dans un endroit particulièrement bien choisi,
pour y édifier une église. Comme un bienfait est toujours
récompensé, son ennemi, le prince de Srinagar, meurt empoisonné.
D’autres potentats et des militaires hostiles au Guge décèdent
également. Des mauvais plaisants, qui ont molesté les missionnaires
au cours de leur voyage, sont coupés en morceaux.
Comme le pays ne possède pas de bois,
il faut aller en chercher ailleurs pour construire l’église. Le
roi fait alors abattre des maisons princières pour en prélever
les poutres. Les moines sont profondément mortifiés. Certains
d’entre eux apportent pourtant des briques sur leur dos et collaborent
à la construction du nouveau sanctuaire. Le peuple est content car
les missionnaires ont distribué des secours aux pauvres lors de
la pose de la première pierre. A la demande du roi, une croix de
bois plaqué de laiton est dressée sur la plus haute éminence
afin qu’on la voit de loin. L’église sera de dimension modeste,
mais le père Andrade compte mettre la main sur les monastères
bouddhistes lorsque l’évangélisation sera suffisamment avancée.
Voici comment est rendue la justice à
Tsaparang. Un récidiviste est arrêté. On lui coupe
le pied droit et on lui arrache un œil. S'il n’en meurt pas, au bout de
deux jours, on lui coupe l’autre pied et on lui arrache l’autre œil. L’ordre
est donné de lui couper les mains s’il s’obstine encore à
vivre! Le père Andrade se réjouit de ces punitions expéditives
qui dissuadent les pécheurs.
1627: Nouvelle relation du père Andrade
à ses supérieurs. Avec les deux autres missionnaires qui
lui ont été adjoints, il poursuit l’étude du tibétain.
Lors de la semaine de festivités du premier de l’an, le fils du
roi s’habille à la portugaise. Cette nouvelle mode vestimentaire
soulève des protestations. Le roi offre aux missionnaires les meilleures
places. Les moines font courir le bruit de la défaite de son armée.
Elle est victorieuse et ramène de bonnes prises: moutons, yacks
et captifs. La famille royale assiste pieusement, et en pleurant beaucoup,
à la fête de la Nativité.
Le roi méprise ostensiblement le clergé
tibétain. Mais il hésite à se faire baptiser car il
sent l’hostilité monter autour de lui. Il retire tous ses biens
à un de ses frères, le lama, qui a pris la tête de
l’opposition, et lui intime l’ordre de se retirer dans une forteresse.
Le roi réduit drastiquement le nombre des moines. Il est conseillé,
à ceux qui refusent de se défroquer, de se réfugier
en ermites dans les montagnes. Le père Andrade pense que, devant
une telle extrémité, les réfractaires accepteront
de se soumettre. Espérant un retour en grâce, le lama, frère
du roi, s’entremet pour rétablir la paix avec un prince ennemi.
L’entreprise échoue car le roi ne veut pas entendre parler des persécutions
qu’il inflige aux bouddhistes.
Le monarque est en passe d’être brouillé
avec toute sa famille et il redoute la réaction du roi de l’Ü-Tsang
s’il se fait baptiser. Malgré tout, les jésuites sont confiants.
Une guérison miraculeuse a été causée par une
de leurs reliques et le nouveau prince de Srinagar punit de mort quiconque
prétendrait exiger des missionnaires un droit de péage. Pourtant,
la mission finira par échouer. Mais cette triste fin n’est pas évoquée
par le père Andrade qui remplira alors d’autres fonctions; il mourra
à Goa, le 6 mars 1634, s'il faut en croire le père Huc.
Voici comment on peut supposer que les choses
se sont passées. Le monarque du Guge accueille favorablement les
jésuites portugais et leur accorde ostensiblement ses faveurs. Il
compte en effet se servir de l'influence des "lamas du Seigneur des
cieux d'Occident" pour faire reculer celle des moines bouddhistes qui
ne cessent d'empiéter sur ses prérogatives. La mission devient
donc, sans qu’elle s’en doute, un acteur des luttes politiques locales.
Au moins dans un premier temps, les lamas, quant à eux, espèrent
que les missionnaires catholiques amèneront le roi à renoncer
à ses velléités de laïcisation. Une église
est bâtie. Les bouddhistes s'en émeuvent d'autant plus que
les religieux catholiques ne cachent pas leur intention d'éradiquer
leur culte. Une révolte éclate. Une guerre avec le Ladakh
se solde par la défaite du Guge. Le roi est détrôné
(voir ci-après:
1629).
Pendant ce temps, deux autres pères,
Cacela et Cabral, pénètrent au Bouthan et se dirigent vers
le Tibet. Ils sont partis à la recherche du Cathay. Au pied de l’Himalaya,
ils ont rencontré des Tibétains que tout le monde paraît
redouter. On essaie de les retenir en route. Par deux fois, ils sont volés
par ceux qui les accompagnent. Ils finissent par atteindre la tente d’un
roi pieux et bon, doué pour les arts, et qui se réfugie parfois
pour prier dans un ermitage. Le roi les accueille bien car ils lui font
comprendre qu’ils viennent au nom de la religion de ses ancêtres.
Les échanges s’effectuent par l’intermédiaire d’un lama de
Tsaparang qui parle un peu le langage de l’Hindoustan. Mais les difficultés
d’interprétation sont accrues du fait que le tibétain parlé
à Tsaparang n’est pas exactement le même que celui du royaume
où ils se trouvent.
Au bout d’un certain temps, le monarque, désorienté
par leurs rites, pense qu’il s’est laissé abuser et commence à
leur marquer de la froideur. Les missionnaires décident alors de
partir pour Tsaparang. Le roi tente de les retenir. Ils répondent
qu’ils ne resteront qu’à deux conditions: que leur présence
lui fasse plaisir et qu’ils puissent convertir les âmes. Le roi leur
donne des facilités pour exercer leur ministère mais refuse
de se convertir pour le moment. Il redoute que l’abandon de la foi de ses
ancêtres ne lui soit fatal.
Des conversations avec le roi et les lamas,
il ressort que les Tibétains n’ont jamais été chrétiens.
Mais ils se moquent des païens et nomment musulmans tous les méchants.
Ils placent dieu dans le ciel et croient en sa trinité. Ils parlent
d’un fils né d’une vierge, Sakyamuni! Ils ont un enfer et un paradis…
Tout cela n’est évidemment qu’affabulation résultant de la
mauvaise traduction des pères. Ces derniers parlent également
de trois paradis où les élus passent successivement pour
se spiritualiser (une interprétation hardie de la réincarnation?).
Aux questions sur le Cathay, les Tibétains
répondent qu’ils n’en ont jamais entendu parler. En revanche, ils
connaissent la Mongolie (Sopo) et la Chine (Guena), qui se
font une guerre perpétuelle, et Shambala (Xembala), situé
vers la Mongolie. Les pères se disent alors que le Shambala doit
être le Cathay! Cacela se promet de laisser Cabral sur place et d’aller
évangéliser Shambala.
Grâce, notamment, aux vertus de l’eau
bénite, employée comme médicament, et aux jeunes lamas
que le roi lui a confiés pour les instruire, la mission remporte
quelques succès. Ceux-ci sont d’autant plus méritoires qu’elle
est installée à côté d’une pagode où
officie le démon! Les pères font état de l’exaltation
que l’on ressent au milieu de la pauvreté et de la solitude des
montagnes en découvrant la beauté du monde. Vertige des hauteurs,
pureté de l’air, rareté de l’oxygène, on ne sait trop
ce qui explique cette étrange atmosphère ressentie par bien
des voyageurs.
Voici quelques autres informations tirées
de la correspondance avec leurs supérieurs. Les Tibétains
sont blancs de peau. Mais ils sont tellement sales qu’ils paraissent bruns!
Ils sont curieux et accueillants. Cependant, l’oncle d’un roi étant
venu visiter leur pays, ils l’ont réduit en esclavage et attaché
à la charrue. Il a fallu que son neveu les menace de la guerre pour
qu’ils le libèrent. Les hommes s’épilent pour garder le visage
imberbe. Seuls le roi et les lamas portent la barbe. Le roi se coupe les
cheveux dès qu’un successeur lui est né. Il laisse le pouvoir
à son fils assez tôt pour se recueillir dans la solitude avant
la mort. Le climat est sain. Le pays est riche en céréales,
en viande et en fruits. Il commerce avec ses voisins (Chine, Cachemire).
Les missionnaires s'aperçoivent que
le roi ruse et qu'il ne les retient que pour contrecarrer leurs projets.
Grâce au soutien d'un lama félon, Cacela profite de l'absence
du monarque pour s'en aller vers Shigatse.
1628: Sur l’invitation du roi de Shigatse,
Cabral se rend à son tour dans cette ville. Les deux missionnaires
sont bien reçus par le roi. Mais des émissaires du royaume
qu’ils viennent de quitter arrivent pour convaincre les lamas de chasser
ces ennemis déclarés du
bouddhisme. Le roi en paraît quelque peu troublé. Cabral repart
bientôt pour le Bengale, via le Népal, dans le but de découvrir
une liaison plus facile entre Shigatse et Goa. Cabral trouve beaucoup d’analogies
entre le Tsang et le Portugal. Son jeune roi habite une forteresse superbe
où il ne manque que des canons. Il est propre, ce qui mérite
d’être souligné. Il n’aime pas les lamas qu’il traite de sales
gens.
1629: Cabral tente de se
rendre à Tsaparang. Cacela et Dias vont à Shigatse; mort
de Dias.
Révolte des lamas au Guge. Le roi du
Ladakh en profite pour attaquer le royaume. Le roi du Guge est trahi par
la population de Tsaparang qui se soulève. Il se réfugie
dans la citadelle. Il accepte cependant d’en sortir pour négocier.
Le roi du Ladakh s’empare de lui. La plupart des chrétiens de Tsaparang
sont emmenés en captivité.
1630: Le royaume tibétain du Guge disparaît.
Il est victime des dissensions internes, d'une invasion étrangère
et aussi de son ensablement progressif à partir du 12ème
siècle. La civilisation particulièrement brillante de ce
petit État bouddhiste, fondé au 10ème siècle,
laissera des traces longtemps admirées; les sables préserveront
d'ailleurs les admirables fresques de ses monastères (voir
ici ).
L'empire des Ming se désagrège.
Les provinces périphériques font sécession.
1631: Francisco de Azevedo se rend d'Agra à
Tsaparang en mission d’inspection pour la Compagnie de Jésus. Il
insiste beaucoup sur les difficultés quasi insurmontables du voyage
et les frayeurs qu'il doit surmonter. Le prince de Srinagar vient de mourir
et il doit effectuer un long séjour sur place avec la crainte d'être
volé car, pendant la vacance du pouvoir, le pillage est autorisé!
Il assiste à l'incinération du défunt, au cours de
laquelle ses soixante concubines sont précipitées dans les
flammes, à coups de bâtons, parce qu'elles refusent de s’y
rendre de leur plein gré.
Il passe par la pagode de Badri où les
dévôts de l'Inde viennent baiser les pieds d’un démon.
Ce diable est le singe de dieu. Azevedo n’en veut pour preuve que les nombreuses
cérémonies religieuses qui lui sont dédiées
lesquelles miment celles du culte catholique. On nourrit Satan avec des
offrandes qu'il dédaigne mais que dévorent les brahmanes.
Ces derniers prétendent que leur divinité se sustente de
l'odeur que dégagent les offrandes!
Les nouvelles du Tibet ne sont pas bonnes.
Le nouveau roi du Guge n'est pas favorable aux missionnaires. Azevedo poursuit
comme il peut son chemin en priant dieu de lui éviter la chute dans
les précipices. Des moutons sont utilisés pour porter des
charges comme le ânes en Portugal. Les gens du Pot (Pays des
Neiges) ressemblent à des Chinois sauvages. La saleté de
leur visage et de leur corps débute avec leur naissance et ne s'achève
qu'à leur mort. Ils ne possèdent qu'un seul habit qu'ils
gardent jusqu'à ce qu’il tombe en lambeaux. Ils s'épilent
la barbe pour éviter qu'elle ne gèle. Ils sont cependant
doux et bons. Ils ignorent la jalousie et se prêtent leurs femmes.
Ils portent des colliers autour du cou et se beurrent les cheveux. On doit
manger toute la nourriture qu'ils offrent ou l'emporter sous peine de paraître
impoli. Ils ne connaissent pas l'usage de la monnaie. Des salines sont
pourtant exploitées sur les hauts plateaux.
Ils détestent les musulmans. Leur religion
procède du christianisme mais elle est bourrée d’erreurs!
La vierge aurait enfanté à la façon d’un vitrage que
traverse les rayons du soleil. Ils portent au cou des reliques, de la forme
et de la grosseur d'une crotte de chèvre, faites avec les excréments
d'un lama! Le roi du Ladakh, nouveau maître de Tsaparang, se lave
tous les matins les mains avec l'urine de son lama! L'ancien roi, vertueux
et ami des chrétiens, a été puni par dieu pour avoir
différé trop longtemps son baptême et avoir vécu
maritalement avec deux sœurs. Les persécutions qu'il fit subir aux
moines bouddhistes peuvent également avoir exercé une influence.
Le nouveau monarque, après avoir dérobé
les objets précieux de l’église, a laissé les pères
libres de rester. Mais la situation a bien changé. De nombreux convertis
ont été emmenés en captivité. La foi de ceux
qui restent vacille. Azevedo décide de se rendre dans la capitale
du nouveau souverain, Leh, au Ladakh. Ce n'est pas chose facile, car les
déplacements sont limités pour éviter la propagation
de la variole. Le roi du Ladakh est aussi sale que ses sujets et son palais
encombré de toiles d’araignées.
Après avoir obtenu du roi du Ladakh
l'autorisation de prêcher la vraie religion, Azevedo décide
de revenir vers les possessions du Grand Mogol. Après bien des péripéties,
émaillées d'incidents périlleux du fait de la rigueur
du climat, il retrouve le bercail, non sans s'être fait voler à
plusieurs reprises par les seigneurs locaux dont le rançonnement
des voyageurs est l'activité favorite.
Pendant ce temps, le roi de Shigatse rappelle
Cabral. Domenico Capece et Francisco Morando sont envoyés au Tibet
mais attendent des nouvelles de Tsaparang à Agra. Cabral écrit
de Shigatse à Azevedo.
1633: Les missionnaires de Tsaparang sont placés
en résidence surveillée.
1635: Naissance de Zanabazar, un Mongol qui
sera reconnu comme tulkou de Javsandamba par le 5ème Dalaï
lama; il introduira le culte de Maitreya, le Bouddha du futur, dans son
pays; premier Bogdo-Gegheen, réplique mongole du Dalaï
lama, il sera à l'origine de l'autonomie de la lignée des
Gelugpas de Mongolie, par rapport à celle du Tibet. Impuissants
à établir durablement leur autorité politique sur
le Tibet, les Mongols s'affranchiront ainsi de la tutelle spirituelle que
les Tibétains exerçaient sur eux.
Un jésuite espagnol, Nuño Coresma,
part vers Tsaparang à la tête d’une petite équipe de
missionnaires. Arrivé dans la ville, il y relève les missionnaires
qui l’ont précédé. Ceux-ci retournent en Inde. Coresma
et son compagnon Marques sont privés de liberté. Ils quittent
le Tibet quelques temps après. Le rapport remis par Coresma à
ses supérieurs est accablant. La mission était un gouffre
financier. Elle s'est livré au négoce et ne s'est maintenue
qu'à renfort de cadeaux et de subornation. Elle n'a jamais converti
que des miséreux qui venaient chercher leur subsistance auprès
d'elle. Ceux-ci se convertissent à l'islam dès qu'on ne leur
donne plus de nourriture.
Le provincial de Goa décide la fermeture
de la mission au Guge et le rapatriement des derniers missionnaires. Le
prophète Isaïe avait annoncé que la fin des temps surviendrait
après la conversion d’une nation vivant sur une très haute
montagne d'où coulent des fleuves puissants. Ce sera pour une autre
fois!
1637: Le gouvernement du Guge invite les pères
à revenir.
Gushri khan, chef mongol des Qoshots, s'installe
au Kokonor (Amdo). Le nord du Tibet historique est sous administration
mongole.
1638: Gushri khan rend visite au Dalaï
lama dans le but d’être reconnu comme souverain temporel du Tibet.
Le Dalaï lama et le Karmapa font leur
possible pour éviter un affrontement. Mais l'entourage du premier
pousse à la guerre. Le roi du Tsang, quant à lui, lance une
opération de diversion au Kham. Il incite le roi de Béri,
protecteur des bönpos, bien implantés dans la région,
à attaquer les monastères gelugpas de son royaume. De nombreuses
lamaseries, gelugpas ou non, sont détruites.
1640: Le roi de Béri, au Kham, est déposé
puis exécuté par les Mongols de Gushri khan.
Rome décide la réouverture de
la mission de Tsaparang. Les pères Malpichi et Marques quittent
Srinagar pour le Tibet. Ils sont emprisonnés, s’échappent,
mais Marques est repris.
1641: Gushri khan conquiert le Kham et une
partie du Yunnan, qui étaient jusqu'alors sous l'influence des Karmapas.
Il s'y livre à des déprédations contre les monastères
karmapas; des moines et des abbés sont emprisonnés; un lama
est libéré dans les circonstances suivantes: une sécheresse
excessive désole la région; du fond de sa geôle, le
saint homme offre son chapelet pour qu'il soit trempé dans une rivière;
un nuage s'élève au dessus des eaux et la pluie bienfaisante
fertilise le sol assoiffé; Gushri khan ne peut maintenir en prison
l'auteur d'un tel miracle!
Les Mongols se retournent ensuite contre le
roi du Tsang. Leur avance est d'abord rapide. Mais, lorsqu'ils approchent
de la capitale, la résistance devient plus coriace. Il va falloir
envisager un long siège. Le dignitaire gelugpa qui les accompagne
demande alors la médiation du Dalaï lama. Ce dernier, qui aurait
souhaité parvenir à un accommodement avec le roi du Tsang
avant l'ouverture des hostilités, refuse de s'entremettre. Il répond
que ceux qui ont poussé à la guerre doivent la terminer et
que, s'ils la perdent, il n'y aura plus de place pour eux au Tibet. Finalement,
Shigatse tombe. On compte des milliers de victimes. Les troupes du roi
du Tsang, qui régnait sur la majeure partie du Tibet avant ces événements,
sont écrasées. Le roi est emprisonné.
Le monastère de Tsurphu, siège
du Karmapa, est mis à sac. Le 10ème Karmapa distribue ses
biens aux pauvres et se réfugie dans son camp. Le Dalaï lama
demande au Karmapa de s'engager à ne l'attaquer jamais. Ce dernier
répond qu'il ne l'a jamais attaqué dans le passé et
qu'il ne voit pas pourquoi il l'attaquerait dans l'avenir. Cette réponse
déplaît aux bellicistes de l'entourage du Dalaï lama.
Les Mongols, semant partout la désolation et la terreur, attaquent
le camp du Karmapa. Celui-ci doit prendre la fuite en direction du Kham.
Cette fois, il ne se transforme pas en arc-en-ciel, mais en cerf ou en
vautour, pour échapper aux soldats qui le traquent. Sollicité
de se rendre en Chine, il refuse en précisant qu'il préférerait
bénir le crâne d'un chien plutôt que le fils du ciel!
Marques, détenu à Tsaparang,
échange une correspondance avec ses supérieurs. Les Tibétains
refusent de le libérer. Il mourra en captivité à une
date inconnue.
Au cours du 17ème siècle l'école
jonangpa, persécutée, se réfugie en Amdo où
elle subsiste encore de nos jours, en territoire golok; les Jonangpas,
issus des Sakyapas, se sont alliés aux Kaguypas contre les Gelugpas
et ils subissent les conséquences de la défaite de
leurs alliés. A la même
époque, l'empereur de Chine s'en prend aux Nyingmapas dont il craint
les pratiques magiques, susceptibles de porter atteinte à l'intégrité
de l'empire, pense-t-il. |
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