Récits des plus anciens voyages au Tibet et en Mongolie
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Ces voyages se situent dans le cadre particulier d'une époque dominée par les Croisades et par les invasions mongoles à l'Est européen. Le Pape Innocent IV et le roi de France Louis IX espéraient détourner les envahisseurs mongols des terres chrétiennes en les incitant à se jeter sur les musulmans, ce qui eût été faire d'une pierre deux coups. Pour cela, ils dépêchèrent plusieurs émissaires auprès de la puissance qui dominait l'Asie, avec le secret espoir qu'il existait,  de l'autre côté du continent eurasiatique, des chrétiens ou des princes susceptibles d'être convertis qui, alliés à l'Occident, permettraient de prendre en tenailles l'Islam et de le contenir avant de le réduire et de délivrer définitivement le tombeau du Christ. 
 
On peut se rendre directement à un voyage en cliquant sur l'un des noms ci-dessous: 
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Benjamin de Tudele   Jean du Plan Carpin    Ascelin    De Rubruquis    Vincent de Beauvais et de Guillaume de Nangis
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Les textes entre parenthèses en italiques sont des commentaires qui ne figurent pas dans les documents originaux.
 

Benjamin de Tudele 

"A près de dix milles de là (Sidon) on trouve des peuples qui font la guerre aux Sidoniens, ils s'appellent en leur langue Dogzün, quelques autres leur donnent le nom de Païens. Ils ne sont d'aucune Religion, habitent sur de hautes Montagnes dans des Cavernes profondes, n'obéissent à aucun Prince, mais ils vivent en sauvages entre des Rochers et de lieux escarpés. Leur Pays a trois journées d'étendue jusqu'à la Montagne d'Hermon. Abominables par leurs incestes, les Pères se marient à leurs Filles. Ils célèbrent tous les ans une Fête où tant les Hommes que les Femmes assistent à un Banquet commun, où ils changent entre eux des Femmes. Leur sentiment est que, lorsque l'âme d'un homme de bien est séparée de son corps, elle entre dans celui de quelque Enfant qui est, dans le même moment, engendré; que si c'est un méchant homme la sienne passe dans le corps d'un Chien, ou d'une autre Bête. C'est ainsi qu'ils raisonnent de la même manière qu'ils vivent. Aucun Juif ne demeure parmi eux..." 

Benjamin de Tudele n'a jamais été en Mongolie ni au Tibet, mais il en a entendu parler. 
 

Jean du Plan Carpin 

Jean du Plan Carpin, émissaire du pape, part d'Italie avec ses compagnons pour aller à Cracovie, à Kiev, puis en Russie où commence le pays des Tartares. Il se rend auprès du prince Bathy (Batu ou Batou, petit fils de Gengis khan, un chef de guerre remarquable, qui régna sur la Horde d'Or, établie sur les steppes russes, entre 1243 et 1255), passe par le pays des Comans (peuplade turque kiptchake de la région du Kouban) et des Cangites avant d'atteindre la cour de Cyuné, l'empereur des Tartares. Voici un résumé de son récit. 

Kiev, autrefois très puissante principauté, n'est plus que l'ombre d'elle-même; les ravages mongols ont parsemé les alentours d'ossement humains. Les Samogedes, que les émissaires ne voient pas, auraient des têtes de chiens. Les ossements des voyageurs morts de soif et de faim traînent dans le désert comme des ordures. Les Cangites ne labourent pas la terre mais vivent seulement de l'élevage des bestiaux; ils ne bâtissent pas de maisons se contentant d'habiter sous des tentes. Dans la Nigra Cathaya (probablement le Sinkiang), le grand empereur des Tartares, descendant de Gengis khan, a fait construire un palais; à proximité, s'étend un grand lac d'où sortent l'hiver d'épouvantables bourrasques.  

Vient ensuite le pays des Mongales, qui sont les vrais Tartares. Les chefs aux riches harnachements délibèrent pour élire l'empereur en buvant du lait de jument (probablement fermenté); dans cet assemblée, il y a des envoyés de Géorgie et du califat de Bagdad; la cérémonie de l'élection dure plus d'un mois, après quoi le nouvel empereur est installé dans la tente impériale, la horde dorée. L'empereur s'appelle Mog et son frère Magog, puisqu'il fut prédit que Gog et Magog apporteraient la ruine et la désolation sur la terre! L'immense empire des Mongales ou Mongols confine à la Perse et à la Hongrie; ses armées ne peuvent pas se compter et sont prêtes à fondre sur les proies voisines. Le nouvel empereur est âgé d'une quarantaine d'années; il paraît sage et accepte la présence de prêtres chrétiens grecs; il n'y a pas de chicane (hommes de justice) dans son entourage, ce qui est inutile puisqu'il décide de tout; il estime être le maître du monde et s'apprête évidemment à se ruer sur la chrétienté.  

L'usage des ambassadeurs est de le couvrir de riches présents. Une favorite de l'empereur défunt, soupçonnée de l'avoir empoisonné, a été exécutée; le même soupçon pèse sur la mère du nouvel empereur, un duc de Russie étant mort de coliques après avoir mangé chez elle. Les ambassadeurs du Saint-Siège sont d'abord assez mal traités puis sont renvoyés avec la réponse du khan. On leur propose de les faire accompagner par des émissaires, ce qu'ils ne souhaitent pas; ceux-ci pourraient se livrer à des activité d'espionnage ou, pire encore, être attaqués, ce que le khan ne pardonnerait jamais; ils reviendront seuls à travers des déserts de neige.  

Suivent quelques informations sur le pays et les moeurs des Tartares. Le bois manquant, les Tartares nourrissent leurs feux de bouse de vache et de crottin de cheval. Le pays ne compte qu'une seule ville assez considérable. Le climat est rude, glacial en hiver et torride en été; les vents sont extrêmement violents et les orages de grêle terribles. Les hommes sont petits, se rasent le crâne tout en gardant une couronne de cheveux longs qu'ils nattent autour de la tête. Ils sont tenus d'épouser la femme de leur frère aîné si celui-ci meurt. Les vêtements des hommes sont peu différents de ceux des femmes. Leurs maisons (les yourtes) se démontent facilement cependant certaines sont portées telles quelles sur des chariots; leur dimension donne une idée de l'importance sociale du propriétaire. Les Tartares croient en un dieu qui dispense récompenses ou punitions ainsi qu'en une vie après la mort, mais ne le prient pas et ignorent les cérémonies religieuses. Ils manifestent leur dévotion en déposant des offrandes devant des idoles de feutre ou de soie supposées protéger leurs troupeaux. Ils ne brisent pas les os des animaux qu'ils mangent mais les font brûler. Ils font passer leurs visiteurs entre deux feux pour les purifier et détruire les venins qu'ils pourraient porter sur eux. Il leur arrive de frapper à mort ceux qui se refusent à adorer leurs divinités: le soleil, la terre, l'eau, le feu et la lumière. Bien que ne sachant pas différencier le bien du mal, ils respectent des interdits traditionnels comme de ne pas mettre un couteau dans le feu, tuer des petits oiseaux au nid, uriner dans son enclos, battre un cheval avec sa bride, briser un os avec un autre, répandre du lait par terre... Marcher sur le seuil du palais impérial est puni de mort mais tuer des hommes et ravager d'autres pays est permis. Ils sont superstitieux et tiennent les augures pour la parole de Dieu alors qu'elle est celle du diable.  

L'empereur mort est enseveli avec des victuailles, une jument et un poulain ainsi que ses richesses et parfois aussi son premier esclave que l'on retire, de temps à autre, pour le faire respirer, et, s'il ne meurt pas au bout d'un certain temps, il devient libre. Si le feu purifie, comme on l'a dit plus haut, la foudre pollue et ce qu'elle a touché devient immonde. Les Tartares ne se volent jamais entre eux et partagent volontiers leurs biens si c'est nécessaire. Tout larcin important et l'adultère sont punis de mort mais les fautes moins graves, comme une offense à un supérieur, sont punies de la bastonnade. Si les Tartares se respectent entre eux, ils se montrent excessivement méprisants vis-à-vis des étrangers, leur mentent facilement et les pillent et tuent sans scrupule. L'ivrognerie est chez eux une vertu. Ils mangent n'importe quelle viande: chien, loup, renard, cheval, placenta des juments, rats, souris, voire de la chair humaine, sans autre instrument que les doigts. Ils essuient leurs mains toujours souillées de graisse avec de l'herbe ou sur leurs bottes. Ils jeûnent sans impatience apparente. Quand ils manquent de lait de jument, ils boivent de l'eau de millet cuit. Ils ne se lavent jamais. Ils ne font pas de différence entre leurs enfants légitimes et ceux de leurs concubines. Les hommes ne se livrent pas à d'autre travail que la confection des flèches et la garde des troupeaux. Le tir à l'arc est une discipline apprise dès l'enfance et ils y sont de très habiles archers. Les femmes et les hommes pratiquent l'équitation avec la même facilité. les Mongols tiennent leur écriture des Huires qui étaient chrétiens nestoriens.  

Au cours du siège de la capitale des Katains (Chinois?), qui tiraient sur son armée des lingots d'argent tellement ils étaient riches, Gengis khan fut contraint de tuer certains de ses soldats pour nourrir les autres faute de vivres; il vint à bout de la résistance de ses ennemis grâce à une mine. Vers le sud s'étend un désert où vivent des hommes sauvages qui ne peuvent pas se relever seuls lorsqu'ils tombent à terre (les Tibétains?). Du côté de la mer, les Kitayens (les Chinois) ont une langue à part, croient en Jésus-Christ et révèrent les Saintes Écritures mais ne sont pas baptisés. Les Mongols de Gengis khan s'attaquèrent aux chrétiens des Grandes Indes dirigés par le prêtre Jean lequel gagna la bataille grâce à des chevaux de bronze transformés en fournaises crachant de la fumée et, pendant leur retraite, les vaincus traversèrent une contrée habitée par des femmes où les hommes n'avaient pas figure humaine mais celle d'un chien (le Tibet?) et qui, se jetant dans l'eau, se couvraient d'une glace très dure, ce qui les rendaient invulnérables aux flèches, et leur permettaient d'attaquer leur ennemi et de le déchirer avec leurs dents. Les Burutabeth (les Tibétains?), laids et difformes, mangent leurs morts et s'épilent le visage. Gengis khan ne put vaincre les habitants des Monts Caspiens, ces montagnes magnétiques attirant les flèches des guerriers mongols; les habitants envahirent même le camp mongol, en passant par un tunnel, et lui causèrent des pertes sensibles; au retour de cette expédition, Gengis khan fut obligé de se nourrir des entrailles d'une bête crevée et, comme il n'en fut pas malade, il décréta qu'il était désormais interdit de jeter les entrailles et le sang mais que l'on devait les manger après en avoir ôté l'ordure. Il décréta aussi que quiconque voudrait se faire empereur de son propre chef, sans l'élection des princes et seigneurs, devrait être mis à mort immédiatement et c'est ainsi que fut puni un de ses neveux. Gengis khan réorganisa l'armée avant de périr d'un coup de foudre.  

L'empereur est tout puissant et possède tout, y compris les femmes qu'il choisit à son gré pour les garder pour lui ou les donner à ses proches. Ses sujets n'ont aucun bien qu'ils puissent soustraire à sa convoitise ni aucune sécurité personnelle. Les ambassadeurs à sa cour se ruinent en cadeaux. Après la mort de Gengis khan, son successeur commença par réduire à sa merci par les armes tous les vassaux de son prédécesseur après quoi il ravagea la Pologne, la Hongrie et la Bulgarie. Puis il s'en prit aux Parossites qui ne mangent pas de chair mais se contente de humer son fumet. Vint ensuite le tour des Samogètes. Puis les guerriers mongols se dirigèrent vers l'Océan et rencontrèrent les hommes à pied de boeuf et tête de chien qui parlent en aboyant. Ensuite ils allèrent vers le sud où vivent les Kergis (Kirghizes?) qui se détachent une courroie de peau du visage quand un des leurs succombe. De là, sur le chemin de l'Arménie, ils traversèrent des déserts où l'on rencontre des unijambistes avec un bras au milieu de l'estomac, qui courent plus vite qu'un cheval et se mettent à deux pour tirer à l'arc. Ils soumirent le soudan (sultan) de Halape (Alep?) et allèrent ennuyer le calife de Baldach (Bagdad?) qu'ils assujettirent à payer un tribut de quatre cents besans et autres présents.  

Les chefs et les guerriers qui s'enfuient sont mis à mort. Les hommes et les chevaux sont protégés par des cuirasses de cuir et de fer. Les cavaliers sont armés de lances à crochet pour désarçonner l'adversaire, d'arcs et de flèches qu'ils affûtent avec une lime toujours dans leur carquois, d'épées à un tranchant et de haches. L'armée est précédée de coureurs qui tuent mais ne détruisent pas, laissant le soin de piller et de ravager à ceux qui viennent derrière. Pourvus d'un grand nombre de chevaux, ces redoutables guerriers en ont toujours de frais. Ils traversent les rivières sur des barques de cuir tirées par des chevaux ou poussées à la rame. Les Mongols sont maîtres dans l'art de ruser et d'attirer leurs adversaires dans des pièges. Comme ils se déplacent avec leurs femmes, leurs enfants, leurs chariots et leurs troupeaux et qu'ils simulent même la présence de cavaliers avec des poupées bourrées de paille, on les croit toujours plus nombreux qu'ils ne sont. Ils s'efforcent d'attirer l'ennemi sur leur centre pour l'envelopper par les ailes où ils dissimulent leurs meilleurs soldats. Si leurs adversaires se défendent bien, ils s'ouvrent pour les laisser s'échapper, sinon ils les massacrent. Ils ne recherchent pas la mêlée et bloquent les forteresses plutôt que de leur donner l'assaut. Ils confectionnent des feux grégeois avec la graisse des combattants tués pour incendier les maisons. Ils savent user aussi de l'inondation, de la sape et de la mine. Quand une ville est tombée, ils gardent les artisans habiles, réduisent en esclavage les habitants vigoureux et tuent les autres. Ils n'acceptent aucune paix que les gens ne se soumettent et ne leur livrent une quote-part toujours plus grande de leurs biens, y compris les filles dont ils font des servantes; ceux qui ne peuvent rien fournir deviennent des esclaves. Ils éliminent les nobles, enlèvent les enfants pour s'approprier leurs héritages et sont guidés vers un unique but: dominer toute la terre. Ils envoient des Baschats ou gouverneurs à qui il faut obéir au doigt et à l'oeil sous peine de destruction de la contrée par le fer et le feu. Il n'y a pas d'autre solution que de les combattre. Malheur aux peuples qui céderaient à leurs paroles cauteleuses: ils s'en serviraient pour attaquer les autres en les envoyant en enfants perdus. Les princes chrétiens doivent donc s'unir pour les affronter en tenant compte de leur tactique.  
 

Ascelin 

Pendant le voyage de Jean du Plan Carpin en Mongolie, d'autres émissaires du pape dont Ascelin avaient été envoyés en Perse, auprès du chef mongol de cette région. Ils étaient venus sans cadeau, ce qui constituait une injure grave, et refusèrent de se prosterner devant lui, ce qui était pire. Le chef mongol ne comprenait ni n'admettait l'étrange comportement d'Ascelin et des autres religieux pas plus que l'audace des lettres du souverain pontife. Furieux il envisagea de tuer les envoyés de différentes façons toutes plus cruelles les unes que les autres, par exemple en écorchant vif l'un d'entre eux et en emplissant sa peau de foin pour l'envoyer au pape. Finalement, il n'osa pas mettre cette menace à exécution par peur que le grand khan ne lui arrache le coeur et n'attache son corps à la queue d'un cheval pour le faire passer devant les troupes, punition déjà appliquée à un chef pour avoir outrepassé les ordres avec d'autres ambassadeurs. Les émissaires du pape furent retenus jusqu'à l'arrivée d'un envoyé du grand khan. Ils reçurent alors des réponses au message du pape. Ces réponses disposaient que ce dernier devait faire allégeance au khan puisque dieu avait voulu qu'il régnât sur toute la terre et que ceux qui lui résistaient soient immolés. 
 

Guillaume de Rubruquis 

Guillaume de Rubruquis, envoyé de Saint Louis, part de Constantinople, accompagné d'autres personnes, le 7 mai 1253. A cette époque, presque tous les pays à l'ouest et au nord de la Mer Noire sont soumis aux Tartares ou leur payent tribut. L'émissaire du roi de France est chargé de cadeaux destinés aux chefs pour faciliter le voyage car il sait qu'il est dans la coutume de leur offrir des présents.  

Les Tartares ne sont pas sédentaires mais au contraires se déplacent vers le nord l'été et vers le sud l'hiver. Leurs grandes maisons sont traînées sur des chariots tirés par des boeufs, à raison parfois de deux douzaines pour un chariot. Il existe aussi des maisons plus petites où ils serrent leurs ustensiles. Lorsqu'ils établissent un camp, la porte des maisons est au sud et deux rangées de coffres font une allée devant elles. L'ensemble des yourtes donne l'impression d'un village. Dans la yourte, la couche du chef, au nord, est orientée de telle sorte qu'il regarde la porte, au midi; les yourtes des femmes sont  à l'est, c'est-à-dire à gauche; celle des hommes sont à l'ouest, c'est-à-dire à droite; il y a une idole de feutre au-dessus de la tête du maître et des idoles de chaque côté de la porte avec des pis, pour ceux qui traient les juments du côté des hommes et pour celles qui traient les vache du côté des femmes; ces idoles sont arrosées de boisson au début d'une beuverie. Les Tartares ne boivent jamais sans verser quelques gouttes devant eux par terre ou sur l'encolure de leur cheval. Ils consomment différentes boissons de riz, de mil et de miel ou de lait de jument, le cosmos (koumis). Quand ils veulent inviter quelqu'un à boire, ils le saisissent par les oreille et le forcent à ouvrir la bouche. Les beuveries sont accompagnées de musique. Ils se nourrissent de viande de bêtes mortes qu'ils ne salent pas mais laissent sécher au soleil pour les conserver et ils font des andouilles avec les boyaux. Ils confectionnent de grandes bouteilles de peaux de boeufs et de belles chaussures en cuir de cheval. Au cours des festins de chair de mouton mangée avec des poires ou des pommes cuites dans du vin, le chef se sert le premier et donne des morceaux aux convives qui doivent les manger à fond et sucer les os, sauf à serrer le superflu dans une escarcelle prévue à cet effet, os mal curés compris: rien ne doit se perdre!  

Le cosmos est fabriqué à partir de lait de jument écrémé pour faire du beurre, le plus clair est réservé au maître, le trouble, qui procède de la lie, est le lot des esclaves que cette boisson fait dormir; le cosmos fait beaucoup uriner. Les Tartares font dessécher le lait de chèvre afin de le garder pour l'hiver et le réhydratent avant de l'utiliser. Ils ne mangent pas de rats, mais un petit animal appelé sogur qui vit en colonies et dort l'hiver ce qui facilite sa capture. Il existe aussi des lapins à longues queues et force gazelles qu'ils chassent ainsi que des ânes sauvages, des mulets et des artaks qui sont des sortes de béliers sauvages. Ils ont aussi des gerfauts, des faucons et des cigognes qu'ils utilisent comme oiseaux de proie; la plupart de leurs vivres sont tirés de la chasse. Leurs vêtements proviennent de Cathay (Chine), de Perse et autres pays orientaux; leurs fourrures en peaux de loups et de renards pour les riches, en peaux de chiens et de chèvres pour les pauvres, viennent de Russie, de Bulgarie, de Hongrie et autres pays à forêts. Pour chasser, ils s'assemblent, s'approchent du gibier, l'enferment dans des enclos et l'abattent ensuite à coups de flèches. Ils font des cordes de laine et de poils ainsi que du feutre qui sert à divers usages, notamment comme abri contre la pluie.  

Les hommes se rasent le crâne mais laissent pousser leurs cheveux sur le pourtour. Les vêtements des femmes sont semblables à ceux des hommes mais plus longs et fendus par devant. Les vestes se boutonnent du côté droit alors que chez les Turcs c'est du côté gauche. Les femmes sont coiffées d'un chapeau d'écorce à forme de chapiteau de colonne orné de plumes. Elles montent à cheval comme les hommes et pour cela retroussent leur robe. Vues de loin on les prendrait pour des guerriers. Après leurs couches, elles ne gardent pas le lit. Elles sont grasses et celles qui ont le nez le plus petit sont considérées comme les plus jolies. Elles ne lavent jamais leurs robes car elles pensent que cela attirerait le tonnerre que les Tartares redoutent beaucoup. Elles ne lavent pas non plus leurs écuelles, se contentant de les rincer avec du bouillon lorsque la viande est cuite. Pour se laver les mains ou autres parties du corps, les Tartares s'emplissent la bouche d'eau et la crachent sur l'endroit à nettoyer. Les femmes sont toujours achetées par leur époux et les veuves ne se remarient pas car elles doivent servir leur mari dans l'au-delà. Après la mort de son père, le fils épouse les femmes de celui-ci, sa mère exceptée: elles font partie de l'héritage. Lorsqu'un père vend sa fille à un homme, la fille va se cacher; la cérémonie est précédée d'un banquet à l'issue duquel le mari cherche son épouse et l'emmène de force chez lui.  

La peine de mort punit les meurtres, les larcins importants ou les voleurs récidivistes, l'adultère, sauf s'il est consommé avec une servante, celle-ci appartenant au maître qui en dispose comme il l'entend. Les menus larcins, comme le vol d'un mouton, sont punis de coups de bâton. La gêne est appliquée pour obtenir des aveux. Les sorciers et messagers de princes étrangers sont exécutés. Les Tartares laissent une yourte à proximité d'une sépulture; dans certains endroits, ils élèvent aussi des tumulus, des pyramides, ou des édifices sur la tombe ainsi que des statues dirigées vers l'orient. Un malade signale son indisposition afin que personne ne le visite et les parents d'un mort restent un certain temps sans se rendre auprès du cham (khan); on ne sait pas où se trouve la tombe de Cengis (Gengis).  

En arrivant chez les Tartares, de Rubruquis a l'impression de pénétrer dans un autre monde. Ils lui demandent du vin et de ses provisions et s'enquièrent du but de sa visite. Il se garde bien d'avouer qu'il est envoyé par Saint Louis et prétend se rendre auprès de Sartach, un prince qu'il croit chrétien (en fait Sartach protégeait les chrétiens et détestait les musulmans). Grâce aux lettres de l'empereur de Constantinople, l'expédition est autorisée à poursuivre son chemin. Les envoyés sont régalés avec du petit lait aigre. On leur fournit des chevaux et des boeufs mais on cherche à obtenir d'eux du pain et tout ce qu'ils portent: couteaux, aiguillettes, bourses... objets que convoitent les Tartares; ces derniers importunent les voyageurs mais ne prennent rien de force. Les émissaires poursuivent leur chemin en dormant à la belle étoile faute d'agglomération. Ils rencontrent Sacatay et le rituel des cadeaux est observé; les nouveaux venus n'ont que du vin, des gâteaux et quelques fruits à offrir et Sacatay eût préféré de riches étoffes. Ce chef possède de nombreux chariots surmontés de maisons (yourtes) et beaucoup de bêtes avec peu d'hommes pour les garder. Il les reçoit assis sur son lit, guitare en mains, sa femme à son côté; celle-ci paraît n'avoir pas de nez; elle a frotté le peu qui en lui tient lieu ainsi que ses sourcils d'un onguent couleur de suie. Un peu plus loin, les émissaires rencontrent des Alains qui connaissent le Christ et sont bien disposés à l'égard des chrétiens quoiqu'ils ne sachent à peu près rien de la religion; ils se demandent comment on peut être sauvé en mangeant de la viande d'animaux tués par des infidèles et en buvant du cosmos, choses que les Russes et les Grecs estiment polluées. Leur vin tirant à sa fin et les points d'eau rencontrés étant souillés par les chevaux, les voyageurs se demandent comment ils vont pouvoir continuer à se désaltérer. Un sarrasin (musulman) envisage de se faire baptiser mais y renonce car il lui serait impossible de vivre dans ces déserts sans boire de cosmos!  

Après cinq jours de marche, l'expédition arrive dans un village misérable où de Rubruquis a le sentiment d'entrer en enfer. On leur apprend qu'ils ont maintenant quinze jours de route à parcourir. Le manque d'eau se fait sentir. A travers le pays des Comans (peuplade turque kiptchake de la région du Kouban), ravagé par les Tartares, les émissaires ne trouvent que des tombeaux, de la steppe et, de temps à autre, un nouveau capitaine à qui il faut faire des cadeaux. Les vivres commencent à être insuffisants et les voyageurs ne peuvent rien acheter avec leur argent. Les autochtones ne se contentent plus de les importuner mais les volent, et viennent sans vergogne se vider le ventre à proximité de leurs chariots. De Rubruquis n'a même pas la satisfaction de prêcher la bonne parole chrétienne, par le truchement de son interprète, car, en se familiarisant avec la langue locale, il s'aperçoit que le traducteur raconte n'importe quoi. De station en station, les voyageurs arrivent ainsi au Tanaïs (le Don), frontière entre l'Europe et l'Asie. Le fleuve est passé dans des barques, une roue dans une barque et l'autre roue dans une autre barque, les deux barques étant liées ensemble. Par suite d'un malentendu, le guide ayant renvoyé les chevaux et les Russes habitant les rives étant exemptés d'en fournir d'autres par Baatu (sans doute Bathy de Jean du Plan Carpin), leur prince, la caravane est arrêtée trois jours sur la rive orientale. On les régale d'un poisson que les Tartares dédaignent; ces derniers ne pêchent d'ailleurs pas. Finalement, on les pourvoit de bêtes pour tirer leurs chariots mais les hommes devront cheminer à pied.  

Ils traversent un pays de forêts peuplés de Moxels (Morduens qui vivent dans des huttes entre le Don et la Volga) idolâtres que les Tartares ont emmené guerroyer contre les Allemands, lesquels ont tué leur chef et les ont décimés, ce qui fait que ces gens attendent désormais des Allemands leur délivrance des Tartares. Les Moxels sont accueillants, fournissent le gîte et le couvert et prêtent même leurs femmes sans jalousie. Un peu plus loin sont les Merdas ou Merdues ou Mardes, des sarrasins (musulmans). Au sud, les Kergis et les Alains ou Acas, qui vivent dans les montagnes, sont chrétiens et combattent les Tartares, puis les Lesges, des sarrasins assujettis aux Tartares et, ensuite on trouve la porte de fer que fit édifier Alexandre pour interdire la Perse aux Tartares (la ville de Derbend dans un étroit défilé entre le Caucase et la Caspienne).  

Arrivé au camp de Sartach, où se trouve un chrétien nestorien, de Rubruquis est d'abord reçu par Jauna, un seigneur, auprès de qui il s'excuse de n'avoir rien à offrir ayant fait voeu de pauvreté comme religieux. Jauna lui demande quel est le premier prince d'Occident; de Rubruquis répond que c'est l'empereur; Jauna rétorque que c'est le roi de France dont il a entendu parler par Baudouin de Hainaut et par un templier. De Rubruquis lui offre une bouteille de vin de muscat. Le lendemain, Jauna invite les voyageurs à venir près de lui avec leurs livres et leurs ornements religieux. Il voudrait que les religieux les offrissent à Sartach, ce qui est impossible s'agissant d'habits sacerdotaux. Ils leur dit alors de les revêtir pour se rendre auprès de son maître. On prévient les étrangers de ne toucher à aucun moment le seuil de la porte et on leur demande de chanter quelques cantiques devant Sartach. Ce dernier examine les livres et les objets sacerdotaux qui lui sont présentés par le prêtre nestorien. Après quoi les émissaires du roi de France transmettent leurs lettres traduites en plusieurs langues puis sortent pour déposer leurs habits sacerdotaux. Ils reviennent offrir leurs présents de pain, de fruits et de vin et on leur rend les ornements et les livres. La rencontre a lieu le jour de Saint Pierre aux liens. Le lendemain de cette entrevue, Sartach et les prêtres nestoriens se montrent de plus en plus intéressés par les livres et les objets sacerdotaux. Ils reconnaissent que les lettres du roi de France sont très honnêtes mais qu'ils ne peuvent pas s'engager sans en référer à Baatu, le père de Sartach. Ils engagent donc les émissaires à se rendre auprès de Baatu en laissant là les deux chariots de livres et d'ornements afin qu'ils puissent les examiner à loisir. De Rubruquis, qui soupçonne un piège, propose de laisser tous les chariots. On leur recommande en même temps de se montrer humbles et patients. Une dispute éclate au sujet des vêtements qu'un prêtre nestorien voudrait retenir comme cadeau à Sartach. Finalement, de Rubruquis laisse ses chariots sous la garde d'un de ses hommes et doit abandonner une partie de ses livres, notamment un psautier dorés et bien enluminé, et part en direction de l'Orient, vers Baatu. Le prêtre nestorien lui recommande de cacher que Sartach est chrétien et de ne pas traiter Baatu de Tartare ce qu'il n'aime pas car il est d'un autre peuple. 
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Le trajet approximatif suivi par de Rubruquis à l'aller et au retour - Source: Internet
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Les Tartares sont dirigés par des cham (khan), c'est-à-dire des devins. Autrefois un prêtre nestorien, le prêtre Jean, régnait sur une partie du pays, mais sa puissance n'était pas aussi grande que les nestoriens, portés à l'exagération, le prétendent. Un frère du prêtre Jean régnait à Caracarum (Caracorum, Taracoram, Korakarum, Karakarin, Karakum, et aussi Holin en chinois), au-delà des montagnes; d'abord nestorien, il abandonna la foi et devint idolâtre, invoquant les sorciers et les diables. Plus loin habitent les Moals et les Tartares, pauvres et sans foi. Le prêtre Jean mourut sans enfant; son frère Unc lui succéda et devint cham. Cependant, un maréchal du nom de Cingis (Gengis khan) parcourait la contrée volant le bétail. Une armée se lança à sa poursuite. Il se réfugia chez les Tartares. Il réussit à convaincre ceux-ci ainsi que les Moals de le choisir comme chef pour se libérer de l'oppression de leurs voisins. Ce Cingis lança ses guerriers de tous côtés, se jeta sur la terre de Vut, frère du prêtre Jean, qu'il vainquit et il donna une des filles de Vut à son fils, le futur cham Mangu (Mangou ou Möngke). Le nom des Tartares devint si célèbre, en raison des atrocités qu'ils commirent, que leurs successeurs ne veulent plus s'entendre appelés que Moals. Le pays où ils apparurent en premier s'appelle Mancherule (la Mandchourie?) et c'est là qu'ils tiennent encore leur cour et qu'ils élisent leur grand cham. De Rubruquis doute de la religion de Sartach; des prêtres nestoriens officient à sa cour, mais ils défend qu'on dise qu'il est chrétien; il n'a rien donné à manger aux émissaires du roi de France et ceux-ci seraient morts de faim sans les provisions qu'ils avaient amenées; il reçoit tout le monde, chrétiens comme sarrasins, en proportionnant son amabilité à l'importance des cadeaux qui lui sont offerts. 

De l'autre côté du fleuve Etilia (la Volga) qui prend sa source en Grande Bulgarie (région de l'ancienne Scythie, à l'ouest de l'Oural, où se trouvait l'antique cité de Bolgari, d'où seraient originaires les Bulgares) et se jette dans la Caspienne, un autre vassal de Baatu se tient près de la Porte de Fer d'Alexandre; il est sarrasin. En chemin vers Baatu, de Rubruquis et ses compagnons redoutent d'être la proie des bandes de Russes, de Hongrois et d'Alains qui sillonnent la steppe et pillent les voyageurs. Dans le pays anciennement appelé Albanie, qui s'étend vers la mer septentrionale, il y avait autrefois des chiens si puissants qu'ils pouvaient tuer des taureaux et des lions. Aujourd'hui les chiens y remplacent les boeufs pour tirer les attelages. De l'Etilia jusqu'à la Grande Bulgarie, pendant cinq jours de marche, on ne rencontre que quelques mauvais villages. Les Bulgares sont de très méchants musulmans. La cour de Baatu est très étendue; sa maison est immense; l'ensemble fait penser aux tribus d'Israël. L'habitation de Baatu est toujours située au milieu du camp mais le midi en est libre, personne n'osant s'installer dans cette direction.  

De Rubruquis est amené devant Baatu non sans avoir été prévenu de se taire jusqu'à ce que cet important personnage ne l'ait autorisé à parler. Baatu demande si le roi de France a déjà envoyé des ambassadeurs; de Rubruquis répond qu'il est là parce que le roi de France ne le redoute pas, qu'il sait qu'il est bon chrétien et qu'il souhaite le féliciter. Le chef mongol emmène ensuite les émissaires dans sa tente, là où vint Jean du Plan Carpin, et il leur est recommandé de veiller à ne pas toucher les cordes du seuil. Tout le monde reste silencieux, les émissaires têtes nues, le temps d'un miserere, Baatu sur un trône doré de la grandeur d'un lit, ses femmes et des courtisans autour. A l'entrée de la tente, sur un banc sont disposés du cosmos et des tasses d'or et d'argent enrichies de pierres précieuses. Après un long moment, pendant lequel Baatu examine les émissaires, le chef invite de Rubruquis à prendre la parole; celui-ci met un genou en terre, ainsi qu'on lui a dit de le faire, et se lance dans un exorde d'où il ressort que pour gagner le ciel Baatu doit se faire chrétien, ce qui fait sourire le chef mongol et déclenche l'hilarité de ses courtisans. Baatu demande alors aux envoyés de présenter le roi de France et de se présenter également eux-mêmes. Il dit qu'il sait que le roi de France est sorti de son royaume avec une armée. De Rubruquis lui répond que c'est seulement pour délivrer le tombeau du Christ. On offre du cosmos aux émissaires, ce qui constitue un heureux présage, et Baatu demande à de Rubruquis de ne pas baisser les yeux, comportement interprété comme un mauvais signe. Les émissaires sont ensuite emmenés à leur demeure et leur truchement (leur interprète) leur dit que Baatu ne peut rien décider seul et qu'il engage de Rubruquis à aller rencontrer Mangu-Cham avec certains de ses compagnons tandis que les autres retourneront auprès de Sartach, cette décision ne souffrant aucune discussion.  

Pendant cinq semaines, accompagnés de Baatu, de Rubruquis et ses compagnons, mal pourvus de nourriture en raison du peu de valeur de leurs cadeaux, s'acheminent vers la cour de Mangu-Cham. Ils rencontrent des Hongrois sachant un peu de latin qui leur sont d'un grand secours; ces derniers leur demandent des livres en compensation, requête à laquelle ne peuvent consentir les Français car il ne leur reste plus que leur bible et leur bréviaire. Au bout de ce laps de temps, Baatu, confie les émissaires à un millénaire, commandant à mille cavaliers, pour les conduire jusqu'à Mangu-Cham, à quatre mois de route de là. Le millénaire les prévient que le trajet ne sera pas une partie de plaisir, qu'il va faire froid à fendre les arbres et que, s'ils ne peuvent pas suivre, il les laissera en plan par les chemins. Il les engage à laisser leurs bagages superflus et à échanger leurs hardes contre des vêtements chauds qui leur sont fournis et, ainsi équipés, ils cheminent vers le nord-est jusqu'à la Toussaint, à travers le pays des Cangles que l'on dit être d'anciens Romains (probablement à l'ouest du Kazakhstan) en accomplissant des journées de Paris à Orléans sur des chevaux de mauvaise qualité, les Moals se réservant les meilleurs. On ne mange que le soir et les émissaires se plaignent de la faim. D'abord méprisés, ils finissent, le temps aidant, par être assez bien considérés par leurs accompagnateurs qui les font passer par les cours des fils de Cengis. Dans la steppe, il est difficile de trouver de quoi alimenter les feux quand manquent le crottin, les broussailles ou le maigre bois qui flotte sur les rivières. La veille de la Toussaint, ils rencontrent des ânes sauvages très véloces. Au sud s'élèvent de hautes montagnes. A la Toussaint, l'expédition atteint le fleuve Jagag (l'Oural) qui vient du pays de Pascatir d'où les Huns sont originaires et aussi bien d'autres peuples qui furent jetés par Dieu contre ceux qui n'ont pas gardé sa Loi.  

La Caspienne est maintenant dépassée. Des Allemands étaient établis à Talas, au sud, à six jours de marche. Leur chef Ban a été mis à mort pour avoir revendiqué, après boire, le droit de mener paître ses bêtes sur les terres de Baatu. Il n'a pas été tenu compte de son ivrognerie qui constitue pourtant une circonstance atténuante. Les Allemands ont été maintenant envoyés à l'est, travailler dans les mines d'or et d'argent, et forger des armes. Les voyageurs arrivent sur les terres de Mangu-Cham. Les habitants accueillent l'escorte en chantant et battant des mains. Ils traversent des pays où se rencontrent des châteaux et des bourgs ruinés, des Caracathays (Karakhitaï ou Khitans), des Persans et des sarrasins, des montagnes, un grand lac et arrivent à Cailac ou Cealac où se tient un grand marché (Muller pense que le lac pourrait être le Baïkal mais on pense plutôt au Balkach et la ville pourrait alors être Saïak); ils y stationnent 15 jours; c'est le pays d'Organum appelé ainsi parce que les gens y étaient de bons musiciens. Il y a là des nestoriens qui emploient la langue du pays; ils sont mêlés à des idolâtres et à des sarrasins. Certains idolâtres portent des croix mais paraissent ignorer leur signification; les portes des temples des sarrasins sont au nord et celles des autres idolâtres au sud; il y a de très grandes idoles (des bouddhas?). Les prêtres des Jugures (Ouïgours) ont la tête rasée et portent une robe jaune; ils sont coiffés d'une mitre; ils sont chastes; ils lisent en silence des livres assis sur des bancs dans leurs temples; ils portent des cordes enfilées de grains comme des chapelets et marmonnent sans cesse Ou mam bactavi, c'est-à-dire: Seigneur, tu le connais! Il pensent obtenir une récompense de la répétition de cette phrase. Devant leur temple, au midi, s'étend un parvis entouré d'une muraille où ils discutent. Ils y dressent une perche dont le sommet peut être vu de loin. Les Tartares ont pris leur écriture dont les lignes vont de haut en bas et de gauche à droite. Les lettres de Mangu-Cham sont en langue moale mais en caractères jugures. Les Jugures font des images de leurs morts qu'ils mettent dans leurs temples. Leur façon de traiter Dieu et l'âme désoriente visiblement de Rubruquis. Les devins paraissent jouer chez ce peuple un rôle important. Les Jugures sont mêlés de chrétiens nestoriens et de sarrasins. Les Jugures sont au sud des montagnes et les Moals au nord, vers Caracarum et le royaume du prêtre Jean et de son frère Vut. Plus à l'est, sont les Tanguth qui retinrent un moment Cingis prisonnier avant d'être subjugués par lui; ces Tanguth possèdent des boeufs poilus à pattes courtes et à queue de cheval (les yaks), à cornes effilées ce pourquoi elles sont toujours rognées; leurs vaches ne se laissent pas couvrir à moins qu'on ne leur chante; le rouge les excite comme les buffles. Après ces peuples, il y a ceux de Tebeth (Tibet) qui mangeaient leurs parents morts, coutume qu'ils ont abandonnée comme étant en abomination aux autres peuples. Mais ils font encore de belles tasses des têtes de leurs parents afin de se souvenir d'eux et se réjouir en buvant dedans. Leur pays regorge d'or mais ils ne le serrent jamais dans leurs coffres de peur que Dieu ne leur retire celui qui est dans la terre. Les Tanguth sont grands et basanés; les Jugures sont de taille moyenne, leur langage est d'origine turque. Au-delà des Tanghut sont les Laugues et les Solaugues, petits comme des Espagnols, vêtus de robes et coiffés de mitres dont les ambassadeurs viennent à la cour du cham avec des chariots tirés par six boeufs. Encore plus loin, est le Muc où les bêtes vivent en liberté et répondent à l'appel d'un homme monté sur une colline lorsqu'on en veut attraper une; les ambassadeurs qui viennent en cette région sont enfermés jusqu'à ce que leur affaire soit traitée de crainte que la vue de ces intrus ne fassent fuir de peur les bêtes qui retourneraient alors à l'état sauvage. Plus loin encore est le grand Cathay (la Chine), pays des Seres d'où vient la soie, où se trouve une ville aux murailles d'or et d'argent et dont les peuples ne sont pas encore tous soumis aux Moals.  

[Ces informations entre crochets sont tirées en partie d'un autre document ancien. L'Inde est entre la grande mer et le Cathay. Les Cathayens sont courts de taille et ont de petits yeux. Ils sont adroits en beaucoup de métiers. Leurs médecins connaissent les simples et diagnostiquent les maladies en prenant le pouls et en examinant les urines. Les professions se transmettent de pères en fils. Ils paient tribut aux Moals ainsi que tous les peuples jusqu'au Caucase et la Scythie. Ces peuples comptent de nombreux idolâtres dont certains divinisent des hommes. Des sarrasins et des nestoriens vivent parmi eux. Les nestoriens sont établis dans quinze villes du Cathay et ont un évêché dans la ville de Ségin. Les nestoriens ont des livres sacrés en syriaque mais ne comprennent pas ce qu'ils disent, pas plus que les frères ignorantins d'Europe. Certains sont ivrognes, usuriers et méchants et vivent avec plusieurs femmes. Ils se lavent leurs parties secrètes avant d'entrer dans un temple. Leur rite ressemble à celui des sarrasins et ils ne font pas maigre le vendredi. La plupart n'ont jamais vu leur évêque. Pratiquement tous leurs enfants mâles sont voués dès le berceau à la prêtrise. Simoniaques, il font payer les sacrements. Ils s'occupent davantage du soin de leurs femmes et de leur progéniture que de la propagation de la foi. Quelques-uns sont bien introduits auprès des Moals mais, dans l'ensemble, leurs mauvaises moeurs font du tort au christianisme. Les prêtres et idoles du pays d'après (sans doute le Tibet) sont coiffés de coqueluchons jaunes; il y a parmi eux des ermites et anachorètes qui vivent au fond des forêts et sur les montagnes dans une austérité surprenante. 

Le 30 novembre, l'expédition passe auprès d'un village nestorien ce qui offre aux religieux la possibilité d'entrer dans une église. Ensuite, ils rencontrent un grand lac à la surface agitée et à l'eau légèrement salée. Puis ils atteignent une région de montagnes où leurs vêtements de fourrures s'avèrent très utiles et, enfin, le 7 décembre, ils pénètrent dans une région où les démons enlèvent les voyageurs, leur arrachent parfois les entrailles et les abandonnent éviscérés sur leur cheval. Les membres de l'escorte demandent à de Rubruquis de composer une oraison pour les protéger du danger. A court d'idée le père leur enseigne le Credo et le Pater en leur disant que, munis de ces deux prières, ils n'auront plus rien à craindre. L'expédition arrive ensuite au pays des Naymans, ancien royaume du prêtre Jean, où se tint la cour de Ken-Cham. On pense que Ken-Cham mourut empoisonné mais d'autres disent aussi qu'il se disputa avec un frère de Baatu, Stichen, et que les deux hommes s'entre-tuèrent. Baatu fit ensuite élire Mangu-Cham. Mais un frère de Ken-Cham, Sirémon, animé de mauvaises intentions à l'encontre du nouveau cham, se rendit en chariot à la cour de ce dernier, dans l'intention de le tuer, lui et son entourage. Il fut retardé dans sa marche par le bris d'une roue ce qui donna à un envoyé l'occasion de percer ses intentions homicides. Mangu-Cham le fit saisir, amener auprès de lui, et avouer son dessein. Il fut mis à mort ainsi que son fils et ses femmes, lesquelles furent d'abord battues afin de les faire parler. Le dernier fils de Sirémon, qui n'avait pas trempé dans le complot, eut la vie sauve et hérita des biens de son père.  

Vers la fin du mois de décembre, les émissaires parviennent dans une vaste plaine. On cherche alors à les détourner de leur chemin direct et d'allonger leur pérégrination d'une quinzaine de jours dans le but de les faire passer par l'endroit où vécut Cengis, afin de les éblouir par les restes de sa grandeur. Ils apprennent aussi que les lettres de Baatu à Mangu-Cham disent que le roi de France les a envoyés afin que Sartach lève une armée contre les sarrasins, ce qui est faux, Saint Louis demandant seulement aux Moals d'être les amis des chrétiens et les ennemis de leurs ennemis. L'expédition arrive enfin à la cour de Mangu-Cham où le guide, logé dans une grande maison, est bien traité avec du vin de riz aussi bon que du vin d'Auxerre, ce qui n'est pas le cas des émissaires, logés à l'étroit. On demande à ceux-ci l'objet de leur mission. De Rubruquis répond qu'il apportait des lettres à Sartach, qu'il pensait chrétien, et que Sartach, ayant demandé l'avis de son père Baatu, celui-ci n'a rien voulu décider sans en référer à Mangu-Cham. De Rubruquis, qui sait que Baatu à adressé un message au cham, n'ose pas s'avancer trop, de crainte de contredire ce message. Comme on lui demande s'il vient offrir la paix, il répond négativement Saint Louis n'étant pas en guerre contre les Moals et ne leur voulant aucun mal. Les Moals, habitués à ce que les ambassadeurs fassent preuve de plus d'humilité, sont quelque peu surpris du comportement des envoyés de Saint Louis. Le lendemain, les Français sont emmenés à la cour et s'y rendent pieds nus, selon la règle de leur ordre, ce qui suscite l'étonnement du peuple. Le premier secrétaire, un nestorien, palabre avec leur guide hongrois et finit par les renvoyer chez eux. En chemin, ils entrent dans une église nestorienne où officie un moine arménien. Ce dernier prétend venir de Jérusalem où Dieu lui serait apparu trois fois l'incitant à se rendre auprès de Mangu-Cham pour l'engager à se convertir au christianisme moyennant quoi toute la chrétienté, le pape et le roi de France, accepteraient d'être ses vassaux. Le moine invite de Rubruquis à tenir le même langage. A quoi l'émissaire du roi de France rétorque qu'il n'en a pas le mandat et que le roi de France n'est nullement décidé à se soumettre. Là-dessus, les Français rentrent dans leur logis, sans chauffage et presque sans nourriture, tandis que leur guide festoie à la cour ainsi que les ambassadeurs des Vastaces (princes de Nicée en Anatolie). Le lendemain, ils se rendent auprès de ces ambassadeurs lesquels leur conseillent de dire que la France est en paix avec leur pays. Il fait très froid et de Rubruquis a les ongles des pieds gelés. A Caracarum la neige est parfois si abondante qu'on doit l'enlever avec des tombereaux; beaucoup de bêtes meurent.  

En janvier, on les appelle de nouveau à la cour où on leur demande de quel côté ils adorent leur divinité. Ils répondent que c'est du côté de l'Orient. Ils se sont rasés la barbe, sur le conseil de leur guide, et on les prend un moment pour des tuiniens (idolâtres, sans doute bouddhistes). On les interroge sur la Bible et on s'enquiert de la révérence qu'ils feront devant le cham. Ils répondent que les religieux ne s'agenouillent que devant Dieu, mais qu'ils sont disposés à des accommodements à condition que ceux-ci soient compatibles avec leur religion. Cette réponse rapportée au cham semble lui convenir. Aussi sont-ils introduits en chantant des cantiques.  

Au moment de pénétrer dans le logis de Mangu-Cham, les émissaires sont fouillés et on enlève le couteau de leur interprète. Le cham est assis sur une sorte de lit avec une jeune femme à son côté. Celle-ci est la fille d'une chrétienne qui fut sa favorite. Mangu demande ce qu'ils veulent boire. De Rubruquis répond qu'ils ne sont pas portés sur la boisson. On leur offre du vin de riz. Sur quoi le cham, après avoir joué avec des oiseaux de proie, demande à l'envoyé de Saint Louis de s'expliquer. Celui-ci expose les motifs de sa venue et sollicite du cham l'autorisation de séjourner dans son empire. En échange il s'engage à prier Dieu pour lui en s'excusant de n'avoir pas d'autre richesse à offrir que ses prières. L'interprète, pris de boisson, bafouille et le cham, qui paraît aussi un peu chargé d'alcool, laisse percer sa mauvaise humeur. Il est fâché que les émissaires du roi de France soient d'abord passés par Sartach au lieu de venir directement le trouver. Les Français prennent congé accompagnés par des curieux qui leur posent force questions sur tout ce que l'on trouve en France, comme s'ils avaient déjà l'intention d'en faire leur proie. L'interprète du cham les rejoint pour leur dire que ce dernier, dans sa bonté, leur accorde deux mois de séjour, qu'ils peuvent se rendre à Caracarum ou rester avec la cour mais qu'il sera pénible pour eux d'accompagner celle-ci partout. Sur quoi, les ambassadeurs rentrent dans leur logis glacial et leur guide les quitte pour retourner vers Baatu.  

Ils rencontrent une Lorraine, originaire de Metz, enlevée en Hongrie, qui, après bien des misères, est entrée au service de la chrétienne favorite du cham. Cette femme s'est mariée à un Russe qui s'y connaît en bâtiment, science très prisée des Moals. Elle leur apprend qu'un orfèvre parisien, Guillaume Boucher, réside à Caracarum en compagnie d'un jeune homme qu'il considère comme son fils, lequel est un très bon interprète. De Rubruquis écrit pour demander à l'orfèvre de lui envoyer le savant jeune homme; il reçoit une réponse dilatoire, l'orfèvre ne souhaitant pas que ce jeune homme paraisse à la cour avant d'avoir achevé une belle pièce d'orfèvrerie que Mangu-Cham lui a commandée. De Rubruquis décide donc de prendre son mal en patience en rencontrant les ambassadeurs, ce qui est plus facile que chez Baatu. Il y a là notamment un chrétien de Damas envoyé du soudan (sultan) de Montréal et de Crac qui paraît vouloir se soumettre à Mangu-Cham. De Rubruquis apprend qu'un personnage d'Acre est déjà venu à la cour du cham, qu'il a persuadé celui-ci qu'il lui apportait des lettres d'or tombées du ciel dans lesquelles Dieu manifestait son intention de faire de l'empereur des Moals le maître du monde mais que ces lettres étaient portées par un cheval fougueux, que ce cheval s'est échappé et que les lettres sont perdues. Il a aussi affirmé que le royaume de France est séparé des terres du cham par les sarrasins, ce qui a empêché Saint Louis de nouer des relations avec les Moals. Mangu-Cham a alors envoyé l'homme d'Acre accompagné d'un Moal en ambassade auprès du roi de France dans le but de faire la guerre aux sarrasins et de se partager leurs dépouilles. Mais, en réalité, le Moal était chargé d'espionner partout où il passerait, pour préparer une invasion future. Il était pourvu d'un arc très puissant tirant des flèches trouées qui sifflaient et d'une plaque d'or portant le nom du cham, sauf-conduit habituel des envoyés de ce dernier. L'ambassade cependant tourna mal, l'homme d'Acre fut jeté en prison à Vastace (Nicée en Anatolie), le Moal mourut et les tablettes de Mangu lui ont été renvoyées.  

Le moine arménien dont il a déjà été question prétend baptiser Mangu-Cham pour l'Épiphanie; de Rubruquis manifeste le souhait d'assister à la cérémonie. Le moine se garde bien d'inviter l'ambassadeur français. Une grande fête se déroule cependant à laquelle de Rubruquis est convié. Mangu-Cham, ne croit visiblement en rien, mais incite les prêtres de toutes les religions à prier pour lui en les comblant de cadeaux, ce pourquoi ceux-ci bourdonnent autour de lui comme les abeilles autour des fleurs. Les Français ne se pliant pas à la coutume hypocrite des autres religieux retournent à leur petit logis, où ils manquent de chaleur et reçoivent juste de quoi ne pas mourir de faim. Le peu qu'ils ont suffi pourtant à exciter l'appétit des Moals pauvres lesquels viennent les harceler pour obtenir quelques reliefs de leur table. Mangu-Cham finit tout de même par leur envoyer des vêtement en peaux de papions (singes africains?) et par s'enquérir du confort de leur habitation. Les Français sont alors logés plus décemment, à proximité de la cour et de ses devins. Ils assistent à des cérémonies nestoriennes fréquentées par les dames de la cour, dont la favorite de Mangu accompagnée du fils aîné du cham. Tout ce monde fait montre d'une grande dévotion à la mode nestorienne, en touchant le sol de son front, les images de leur main qu'ils baisent ensuite et en touchant la main de tous les présents. Cette cérémonie se tient dans une église permanente et non pas sous la tente provisoire d'un nomade. Bien que de Rubruquis n'ait assisté à aucun baptême, il pense que les prêtres nestoriens pratiquent ce sacrement sur les Moals. Mangu-Cham étant venu à l'église en l'absence des Français, ceux-ci y sont rappelés, non s'en avoir été fouillés avant d'entrer. On les invite à chanter des cantiques. Mangu-Cham demande la signification des images de leur Bible. Les nestoriens expliquent cela à leur façon. Une fois le cham parti, sa favorite distribue des cadeaux, puis l'assistance se bâfre et s'enivre, princesse comprise, tandis que les religieux français chantent des cantiques. Le jour de l'évangile des noces de Cana, la fille du cham, née de la chrétienne nestorienne, se rend à l'église où l'on festoie et boit à nouveau jusqu'à l'ivresse.  

Au début du carême, les nestoriens jeûnent trois jours et les Arméniens jeûnent cinq jours. Mangu-cham respecte le jeûne. Il n'entreprend rien sans consulter des os de moutons, d'abord tels qu'ils sont, ensuite carbonisés; il en tire les augures. Un membre de l'expédition s'attire une mauvaise affaire en touchant par mégarde le seuil de la porte du cham. Comme il est étranger, il en est quitte pour une remontrance, mais il doit veiller à ne pas récidiver. De Rubruquis rend visite aux princes et princesses en compagnie de religieux nestoriens et arméniens. Tous se prosternent devant la croix, bien que plusieurs continuent d'adorer les idoles et de consulter les devins. Comme des libations accompagnent chaque visite, les religieux sont ivres avant la fin de la tournée mais l'ivrognerie n'est pas considérée comme une faute chez les Moals. 

Le moine arménien soigne une dame de la cour avec une décoction de rhubarbe dans laquelle il a trempé une croix pendant une nuit. La prise de cette décoction, coupée d'eau bénite sur le conseil de de Rubruquis, est accompagnée de la lecture de l'évangile. Elle opère le plus heureux effet. Ce dénouement sauve le moine d'un mauvais pas car il avait offert sa tête à couper en cas d'échec. La moine arménien n'est d'ailleurs qu'un tisserand ignorant qui n'a jamais été ordonné prêtre en son pays. La dame guérie rétribue ses singuliers médecins en leur distribuant de l'argent que de Rubruquis dit avoir refusé. Il est clair que les prêtres nestoriens et arméniens abusent de la crédulité des Moals pour en tirer profit à renfort de sortilèges. 

Au nord du pays des Moals, existent des hommes qui portent des os polis attachés aux pieds ce qui leur permet d'attraper les bêtes et les oiseaux à la course sur la neige et la glace. A l'est du Cathay (Chine), il y a des êtres à apparence humaine, petits et couverts de poils, qui ne peuvent pas plier le genou et qui vivent dans des grottes. On les attire en plaçant sur les rochers des coupes emplies de boissons enivrantes et en les appelant en criant chin-chin, d'où l'on a tiré leur nom. Lorsqu'ils sont ivres, on leur tire trois ou quatre gouttes de sang à la gorge avec lequel on teint les robes des prêtres du Cathay. Par delà de la mer qui gèle en hiver s'étendent des îles qui sont à la merci des Moals lorsque l'eau est prise. La monnaie du Cathay est en papier (détail confirmé par Marco Polo: les Chinois connaissaient déjà le papier-monnaie) sur lesquels on trace des signes au pinceau. Les habitants du Thébeth (Tibet) écrivent de gauche à droite et en usant de caractères semblables aux nôtres. Les Tanguth écrivent de droite à gauche comme les Arabes. De Rubruquis se plaint de la nourriture qui leur est leur laissé: du millet et du beurre ou de la pâte cuite dans de l'eau avec du beurre, du pain sans levain cuit dans un feu de crottin et de bouse, le moine arménien, qui partage leur logis, se réservant la viande. 

Le carême des Orientaux commence à la Quinquagésime ce qui attire à l'église une foule de monde avec des vivres. Les portiers et huissiers de la cour en prennent ombrage et interviennent auprès du moine arménien afin de mettre fin à cette assemblée. L'Arménien le prend de haut. Il est convoqué devant Mangu, qui manipule ses os de moutons brûlés. Le cham l'admoneste vertement en lui reprochant son impudence: il est resté couvert devant lui. Le moine piteux s'en retourne en faisant porter sa croix par de Rubruquis tant il est affaibli par la crainte. Peu de temps après, il se réconcilie avec Mangu en lui promettant d'aller voir le pape pour que le Saint-Père invite la chrétienté à se soumettre. Une querelle s'élève entre les nestoriens et l'Arménien qui soutient que l'homme fut créé avant le paradis terrestre. De Rubruquis est sollicité pour trancher le différent. Il dit que, selon les Saintes Écritures, le paradis terrestre fut créé le troisième jour, c'est-à-dire avant l'homme, ce que continue à contester l'Arménien. Finalement de Rubruquis décide d'instruire ce moine ignorant tandis que ce dernier lui servira d'interprète. Cet échange de bon procédé rétablit l'harmonie entre les deux hommes. La première semaine de carême passée, les Moals cessent d'apporter des vivres. Les religieux recommencent à pâtir de la faim. Pour se désaltérer, ils n'ont guère que de la neige fondue tandis que le moine arménien, qui feint de jeûner, se gave d'amandes, de raisins, de pruneaux et autres fruits secs, dissimulés dans un coffre sous l'autel. Heureusement, Mangu fait livrer du vin aux Français. Alors les nestoriens se pressent chez eux comme une bande de loups affamés; ils s'enivraient déjà auprès des Moals mais cela ne leur suffisait pas! 

La cour se rend à Caracarum en traversant des régions montagneuses où il fait un temps exécrable. Mangu demande aux prêtres de prier pour que cesse le mauvais temps qui menace la vie du bétail. L'Arménien brûle de l'encens et la température s'améliore. L'expédition arrive dans la ville pour les Rameaux. De Rubruquis se rend à la messe célébrée par les nestoriens mais refuse d'y communier n'étant pas à jeun. Après quoi, il se rend chez Guillaume, l'orfèvre français, marié à la fille d'un sarrasin. L'émissaire de Saint Louis se rend au palais du cham entouré de murailles comme un monastère. Mangu promet d'aller à l'église mais quitte la ville sans y avoir mis les pieds. Il prétexte qu'il n'ose plus y entrer depuis qu'on y a amené des défunts. Guillaume a confectionné une croix d'argent à la mode de France, c'est-à-dire avec une représentation du crucifié, ce qui n'est pas du goût des nestoriens qui la renvoient. Cependant, le chef d'oeuvre commandé par le cham est achevé. C'est un grand arbre d'argent avec des feuilles et des fruits d'or et d'argent, quatre lions d'argent avec des pipes d'où sortent du vin, du lait de jument fermenté, de la boisson de miel et de la téracine(?) de riz, à son pied. En haut de l'arbre, se dresse un ange d'argent tenant une trompette. Un homme caché dans le creux de l'arbre joue de la trompette pour avertir les serviteurs d'alimenter les canaux en boissons. Des serpents dorés, dont les queues s'enroulent autour de l'arbre ornent les canaux. La boisson est reçue dans des vaisseaux d'argent. Deux fois l'an des fêtes somptueuses sont organisées au cours desquels Mangu trône à l'égal d'une divinité et couvre ses invités de cadeaux pour montrer sa munificence. 

A Pâques, les nestoriens pétrissent le pain de communion avec de la graisse de queue de mouton en place de levain. Ils prétendent utiliser la farine du temps du Christ et baptiser avec l'onguent dont Madeleine se servit pour oindre ses pieds. Ils seraient disposés à se placer sous l'autorité du pape et accepteraient d'en recevoir leurs patriarches si les chemins étaient libres. Ils s'accusent en confession de voler sans honte car, sans larcins, ils ne pourraient pas vivre, eu égard à la lésinerie de leurs maîtres, et d'ailleurs ils ne subtilisent que le nécessaire sans jamais abuser. De Rubruquis absout volontiers ces pauvres pêcheurs. Quant aux guerriers, il leur défend seulement de porter leurs armes contre des chrétiens. L'orfèvre Guillaume fabrique des objets sacerdotaux permettant à de Rubruquis de confectionner des hosties et de célébrer la messe le Jeudi Saint et à Pâques. La veille de ce dernier jour, plus de 60 personnes sont baptisées. 

Guillaume tombe malade. Pendant sa convalescence, le moine arménien lui administre une écuelle de sa potion de rhubarbe qui manque le faire périr, au grand scandale des Français qui n'admettent pas cette confusion des genres entre la médecine et l'eau bénite. C'est ensuite au tour d'un diacre, Jonas, de tomber malade. Sa famille s'adresse à un devin sarrasin qui lui recommande de se réconcilier avec un homme maigre. Le moine arménien, identifié comme cet homme maigre, est prié de bénir le malade. Le moine refuse de se rendre auprès du malade. Il engage les Français à faire de même en leur disant que ce prêtre complote auprès du cham pour les faire expulser. Ces différents religieux sont en froid pour une sordide affaire de partage de cadeaux. De Rubruquis accepte tout de même de venir en aide à cet homme en piteux état, qui crache le sang et souffre de la tête, à condition qu'il reconnaisse le pape comme le père de tous les chrétiens. L'envoyé du roi de France lui touche aussi quelques mots de l'extrême-onction. Le malade commence à aller mieux. Le moine arménien s'amène et lui donne des coups de pieds que l'autre embrasse avec humilité. De Rubruquis lui administre la communion, remède souverain contre la possession par le diable. Le moine arménien profite d'une absence du Français pour administrer une de ses potions au malade dont l'état empire. De Rubruquis a beau le frotter avec des huiles soi-disant consacrées, chanter forces cantiques et prononcer beaucoup de prières, rien n'y fait. Le moine arménien invite alors les Français à se retirer car, s'ils assistent au décès du moribond, ils ne pourront plus paraître devant Mangu-Cham pendant un an. Après la mort du prêtre, l'Arménien affirme l'avoir fait périr dans le but de servir les envoyé du roi, le malade leur étant contraire. Ce méchant moine fréquente les devins sarrasins et se livre à des sortilèges en compagnie d'un diacre russe. De Rubruquis regrette beaucoup d'être obligé de partager le logis de ce mauvais homme par ordre du cham. 

La ville de Caracarum ne vaut pas celle de Saint-Denis. Elle possède deux grandes rues, celle des sarrasins, ou se tient le marché, et celle des Cathayens. On y compte une douzaines de temples d'idolâtres, deux mosquées et une église. Elle est ceinte par une muraille de terre percée de quatre portes; on vend les brebis et les chèvres à celle d'Occident, les grains à celle d'Orient, les boeufs et chariots à celle du Midi et les chevaux à celle du Nord. A leur arrivée dans la ville, les étrangers sont interrogés par Bulgay, le premier secrétaire, car le bruit court que quatre cents assassins sont venus pour tuer Mangu-Cham. Au cours de ses visites à la cour, de Rubruquis s'aperçoit que celle-ci est très loin des idéaux chrétiens et qu'elle continue d'accorder des libations à ses idoles de feutre. Le cham a envoyé ses frères guerroyer contre le pays des Assassins qui est Mulibet, pour les exterminer, contre la Perse, contre Baldach et contre Vastace (Nicée). L'orfèvre Guillaume a été pris à Belgrade ou fut également saisi un évêque normand. Lors de la mort d'une dame de la cour, une querelle s'élève entre des sarrasins et le moine arménien qui les a traités de chiens; le décès de la dame est accompagné d'un grand vent comme si tous les démons étaient déchaînés. La cour ne revient jamais par le même chemin que celui qu'elle a suivi en allant et nul n'ose passer là où elle a séjourné tant que ses feux ne sont pas totalement éteints. Par suite d'une nouvelle querelle entre les sarrasins et le moine arménien, qui frappe ses adversaires à coups de fouet, Mangu-cham ordonne aux Français et au moine, qui habitent ensemble, de changer de logement; il les éloigne de la cour. Voici cinq mois que de Rubruquis est là; il craint de devoir repartir en hiver et demande à Mangu l'autorisation de s'en aller. Le cham manifeste l'intention de rencontrer le Français qui souhaite prendre comme interprète à cette occasion le fils de l'orfèvre Guillaume. L'envoyé de Saint Louis observe que les Mongols s'emparent des royaumes plus par la ruse que par la force. 

Interrogé une fois de plus sur les raisons de sa venue, de Rubruquis répète ce qu'il a déjà dit. A l'invitation de personnages de la cour, il se lance dans une discussion sur la religion. Mangu-cham, que le religieux catholique tient pour un idolâtre, décide de confronter toutes les religions qui gravitent autour de lui afin de déterminer quelle est la meilleure. Tout le monde soumet sa foi au cham par écrit. Le lendemain de Rubruquis est à nouveau invité à répéter ce pourquoi il est venu, les lettres du roi de France ayant été perdues. Il répond qu'il est là pour répandre la parole de Dieu et que le roi de France l'a envoyé en croyant que Sartach était chrétien. L'échange avec le cham se poursuit par écrit. Ce dernier répond qu'il sait que les Français sont venus pour prier pour lui mais leur demande si le roi de France n'a pas expédié d'autres ambassadeurs. Il leur écrit ensuite qu'ils sont demeurés trop longtemps sur ses terres, qu'ils doivent s'en retourner et il leur demande d'emmener avec eux son ambassadeur. De Rubruquis refuse, le voyage étant trop long, trop périlleux, et un pauvre religieux comme lui ne pouvant pas se charger de la sécurité d'un ambassadeur. A la veille de la Pentecôte, une controverse oppose les Français, les nestoriens, les sarrasins et les tuiniens (sans doute des bouddhistes) avec injonction de ne pas s'insulter sous peine de mort. La controverse porte notamment sur le monothéisme, le manichéisme et sur la renaissance après la mort (bouddhisme) cette dernière croyance étant illustrée par l'exemple d'un enfant chinois, capable de raisonner en adulte, qui prétend avoir déjà passé par trois corps. La conférence s'achève par un chorus des monothéistes, musulmans compris, contre les tuiniens. 

A la Pentecôte, Mangu-Cham fait venir devant lui de Rubruquis et son contradicteur tuinien. Le cham demande à l'envoyé du roi de France s'il est vrai qu'il l'a accusé d'idolâtrie. De Rubruquis nie évidemment. Mangu répond qu'il pense que l'interprète s'est trompé et se lance dans une profession de foi: il ne croit qu'en un seul dieu, mais il y a plusieurs chemins pour aller au ciel comme une main possède plusieurs doigts; non sans une certaine sagacité teintée d'humour le khan mongol observe que les écritures des chrétiens sont remplies de bons préceptes qu'ils ne respectent pas toujours; les Moals ont leurs devins avec lesquels ils se trouvent bien, que les chrétiens gardent donc leurs écritures et les observent. A la suite de quoi le cham ordonne à de Rubruquis de retourner en France et, comme il ne veut pas se charger d'un ambassadeur, qu'au moins il transmette au roi ses paroles et ses lettres. De Rubruquis accepte cette mission, refuse les dons proposés par le cham, mais lui demande de défrayer le voyage jusqu'au royaume d'Arménie ainsi que l'autorisation de revenir plus tard pour s'occuper des chrétiens qui vivent sur les terres moales. Après une longue réflexion, Mangu-Cham laisse cette requête sans réponse.  

De Rubruquis s'étend sur les devins qui accompagnent les prêtres tartares. Ces devins sont savant en astrologie et savent prédire les éclipses. On les consulte avant chaque action et ils sont couverts de cadeaux lorsqu'ils annoncent un événement favorable. Il assistent à la naissance des enfants afin de prédire leur destin. Ils diagnostiquent quelle est la cause d'une maladie, laquelle peut-être naturelle ou causée par un sortilège. Ils se servent de ce pouvoir pour accuser des personnes de sorcellerie. Ces dernières sont alors fouettées plusieurs jours durant pour les amener à avouer des forfaits imaginaires dont la punition va jusqu'à l'exécution capitale. Mangu-Cham étant devenu père d'un fils, les devins lui prédirent une longue et heureuse vie, ce qui ne l'empêcha pas de mourir quelques jours plus tard. La mère leur en fit le reproche. Ils répondirent que le fils était décédé par suite des sortilèges d'une nourrice qui avait été condamnée à mort sur leurs instances quelques jours plus tôt. Ne pouvant plus se venger sur la nourrice, la mère fit périr le fils et la fille de la présumée sorcière. Les malheureux enfants apparurent en rêve à Mangu-Cham qui s'enquit de ce qu'ils étaient devenus. Ayant appris qu'ils avaient été sacrifiés sans son autorisation, il fit enfermer la mère de son fils décédé pendant sept jours sans boire ni manger dans un cachot, fit couper la tête de l'homme qui avait exécuté le fils, attacher la tête au cou de la femme qui avait tué la fille et flageller celle-ci avec des tisons ardents en la traînant à travers les rues avant de la mettre à mort. La mère de son fils eut la vie sauve en considération des enfants qu'elle lui avait donnés mais elle fut exilée de la cour pendant un mois. Les devins purifient les objets des morts par le feu. Ils séparent les juments blanches des autres pour les dédier aux dieux. Pendant une fête, la coutume veut que la première boisson soit versée sur le sol. Les devins sont supposés troubler l'air par leurs charmes; aussi, lorsque le mauvais temps devient excessif et qu'ils n'y peuvent rien, certains d'entre eux sont exécutés sur le champ. Ils ont aussi le pouvoir de plonger les gens dans le sommeil. Ils invoquent les diables pour prédire l'avenir, en mangeant de la chair bouillie dans un chaudron et servie par le démon; un Hongrois assista caché dans la maison à une de ces cérémonie sataniques; il entendit le diable crier sur le toit qu'il ne pouvait pas entrer dans la maison où se tenait dissimulé un chrétien; le Hongrois ne dut son salut qu'à la fuite.  

Au milieu de juin, tandis que sont préparées les lettres destinées au roi de France, Mangu-Cham organise une grande fête à laquelle sont conviés tous les ambassadeurs. C'est l'occasion pour de Rubruquis de rencontrer les envoyés de Bagdad, des Indes et de la Turquie. Les lettres achevées, de Rubruquis prend connaissance de leur contenu que l'on peut résumer ainsi: il n'y a qu'un dieu et qu'un empereur: Cingis (et ses successeurs); qui ne leur obéit pas est condamné; il ne faut accorder aucune créance aux ambassadeurs envoyés précédemment (David). Bref, ces lettres contiennent une exhortation à respecter la volonté divine assortie de menaces. Une quinzaine de jours après la Saint-Jean, de Rubruquis reçoit le congé du cham, mais ce dernier accepte que son compagnon malade suive la cour ou prenne un autre chemin. Cet homme fatigué décide de rester sur place. Des habits sont donnés comme cadeaux aux envoyés de Saint Louis qui acceptent ces présents pour ne pas paraître mépriser ceux qui les offrent. 

A Caracarum, de Rubruquis reçoit de l'argent de la part du cham (dix jascots). Il en laisse la moitié à l'orfèvre Guillaume et à sa famille, en distribue une autre part aux chrétiens et garde le reste pour le voyage de retour. Guillaume donne, à l'intention du roi de France, une ceinture ornée d'une pierre utilisée en Mongolie pour conjurer la foudre. Avant de quitter la ville, le religieux français baptise quelques enfants. Puis il se dirige vers le camp de Baatu, à travers une région presque totalement vide d'habitations où l'on ne rencontre que des tombeaux, tandis que son compagnon malade demeure avec Guillaume. L'accompagnateur moal pourvoit les Français d'un mouton par jour. Mais il leur arrive de n'avoir pour toute nourriture qu'un peu de cosmos. Ils repassent en été par le même chemin qu'ils ont parcouru en hiver. Ils croisent un roi d'Arménie se rendant à la cour de Mangu-Cham. De Rubruquis manifeste son intention de récupérer ses livres et ses vêtements sacerdotaux laissés à l'aller. Il lui est répondu que, pour les livres qui ne sont pas des cadeaux, on verra, mais que les vêtements ont déjà été accaparés par des prêtres locaux. Deux habits de soie lui sont envoyés pour lui ou le roi Louis, à son gré. Les voyageurs arrivent enfin à la cour de Baatu un an tout juste après leur premier passage. Ils y retrouvent les compagnons qu'ils y avaient laissés. Sans le passage du roi d'Arménie, qui soulagea leur misère, ils fussent morts de faim où eussent été réduits à garder les troupeaux. Baatu veut voir les lettres envoyées par Mangu-Cham au roi de France et demande quelle route les voyageurs comptent suivre. Ce sera la route de terre, celle de mer n'étant plus de saison. De Rubruquis compte rejoindre Saint Louis en Syrie où il pense qu'il est encore. Il suit les déplacements de Baatu pendant un mois. Au bout de ce temps, il obtient un guide jugure (ouïgour) avec des lettres de recommandations pour le soudan (sultan) de Turquie et la caravane met le cap sur l'Arménie. Ils descendent l'Etilia (la Volga) en direction de Saray (à proximité de Tsaritsine), ville construite par Baatu, sur la rive orientale du fleuve. L'Etilia se divise en plusieurs bras; sur celui du milieu s'élève la ville de Sumerkent (proche d'Astrakhan) que les crues transforment en île. La région est couverte de pâturages et de roselières. De Rubruquis récupère une grande partie de ses ornements sacerdotaux et de ses livres, sauf quelques vêtements retenus par les prêtres, un beau psautier de la Vierge, qu'il offre comme étant visiblement très convoité, une bible en vers et quelques autres curiosités. 

A la Toussaint, l'expédition se dirige vers le pays des Alains. Elle rencontre un fils de Baatu qui se livre au plaisir de la chasse au faucon. Autrement, la contrée est déserte et manque de points d'eau de sorte que les voyageurs faillissent périr de soif. Les Tartares ne sont point parvenus à soumettre les Alains et doivent monter bonne garde autrement ces derniers fondraient de leurs montagnes sur les troupeaux. Dans la partie resserrée entre les montagnes et la Caspienne, habitent les Lesges également insoumis. L'escorte est renforcée; certains soldats portent des cuirasses prises aux Alains qui sont d'excellents forgerons, d'autres des habits de fer venus de Perse. Avant les Portes de Fer se dresse un château des Alains pris par les Tartares. On cultive des vignes, ce qui offre l'occasion aux voyageurs de boire du vin. Les Portes de Fer sont une ville bâtie par Alexandre le Grand, dans une petite plaine, entre les montagnes et la Caspienne, à l'ouest de celle-ci. Cette ville, située en un lieu de passage forcé, était fortifiée et pourvue d'une porte de fer d'où son nom. Les environs sont fertiles. A deux jours de là, les voyageurs passent par Samaron, où vivent de nombreux Juifs. Plus loin, des murailles barrent la plaine, des montagnes à la mer, pour empêcher les nomades de venir piller les terres des agriculteurs sédentaires. Après la ville de Samach, les voyageurs atteignent le fleuve Cur (la Koura), qui a donné son nom aux Curges (Géorgiens); ce fleuve fourmille d'excellents saumons. Dans cette campagne coule aussi l'Araxes qui vient de la Grande Arménie ou Terre d'Ararat. A l'ouest s'étend la Curgie (Géorgie) autrefois pays des Crosmins ou Corasmins. La ville de Gange était jadis la capitale de la région; elle empêchait les Curgiens de descendre dans la campagne environnante. Au confluent du Cur et de l'Araxes un pont de bateaux permet la traversée. Les voyageurs se dirigent sur le sud-ouest en laissant la Perse à leur gauche. Ils traversent les pacages d'un certain Bachu vainqueurs des Curgiens, des Turcs et des Perses. Il y avait un autre gouverneur à Tauris (Tabriz) en Perse. Mangu-Cham va rappeler ces deux personnages (Bachu et le gouverneur de Tauris) pour nommer un de ses frères à leur place.  

Dans l'ancienne Hyrcanie, Bachu leur sert du vin tandis que lui se désaltère au cosmos. On remonte l'Araxes jusqu'à sa source. Bachu fait passer les voyageurs à Naxuam ou Vaxnam, sur l'Araxes, naguère capitale d'un grand royaume, aujourd'hui ruinée par les Tartares; il y avait là autrefois huit cents églises arméniennes et il n'en reste plus que deux, les sarrasins ayant détruit toutes les autres. De Rubruquis célèbre la fête de Noël dans l'une de ces chétives églises dont le prêtre meurt le lendemain. Deux prophètes de la région ont annoncé la venue des Ismaélites et des Archers, c'est-à-dire celle des musulmans et des Tartares, ces derniers devant aller jusqu'à Constantinople où un sage des leurs, séduit par les beautés du christianisme, se fera baptiser, et montrera aux Francs comment vaincre les Tartares, avec l'aide des Arméniens, et convertir tout le Moyen-Orient à la vraie foi. De Rubruquis a déjà entendu cette prophétie que croient les Arméniens. L'arche se serait posée sur les montagnes proches de la ville. Là s'élève la petite ville de Cemainum, c'est-à-dire huit, parce qu'elle fut construite par huit personnes sorties de l'arche. Nul ne peut gravir la montagne de l'arche qui se nomme Massis, la mère du monde, mais une poutre de l'arche est tout de même visible dans une église. Les Français sont retenus dans Vaxnam par les neiges jusqu'à l'Épiphanie. Les Arméniens sont de bons chrétiens avec des crucifix dans leurs maisons; ils se servent de l'encens pour chasser les démons comme en France de l'eau bénite.  

L'expédition passe par ville d'Arserum (Erzurum, en Anatolie orientale), qui appartient au soudan de Turquie, et dans le voisinage des sources de l'Euphrate et du Tigre. A Arsengan, peuplée d'Arméniens et de Curgiens chrétiens, le seigneur sarrasin se refuse a fournir des vivres et des moyens de transport tant aux Francs qu'aux Arméniens. Il faudra désormais s'en procurer moyennant finances jusqu'à l'arrivée à Chypre, ce qui n'empêchera pas le guide de voler des moutons le long du chemin. A Ayni, qui compte une centaine d'églises arméniennes et seulement deux mosquées, les Tartares ont établi un gouverneur. De Rubruquis rencontre cinq religieux frères prêcheurs, quatre Français et un Syrien, munis des lettres de créance qui se rendent auprès de Sartach; il les dissuade de poursuivre leur chemin car nul ne saura ce qu'ils deviendront. 

Le récit devient quelque peu confus avec des retours en arrière: remontée du fleuve Araxes, passage en haut de la montagne (Monts Taurus), atteinte de l'Euphrate et suivi de ce fleuve en direction de l'ouest jusqu'au château de Camath; à cet endroit, l'Euphrate continue vers Halape (Alep). La caravane quitte le fleuve pour continuer vers l'ouest en traversant une région montagneuse. Un tremblement de terre vient de secouer la ville d'Arsengan (près de Kharput ou Harput, en Turquie) où plus de 10000 personnes de qualité ont péri sans compter les pauvres. Le paysage, encombré de débris et de rocs roulés, fait penser à la prophétie d'Isaïe selon laquelle les montagnes seront aplanies et les vallées comblées. Passage au champ de bataille où les Tartares ont défait les Turcs malgré le nombre de ces derniers, ce qui amène de Rubruquis à supposer que la terre s'est ouverte pour boire le sang des sarrasins. Arrivée pour l'octave de Pâques à Sebaste (plusieurs villes du Moyen Orient portent ce nom en l'honneur d'Auguste; l'allusion aux martyrs permet de situer la ville en Turquie), en petite Arménie, où les voyageurs visitent les tombes des quarante martyrs (légionnaires romains qui refusèrent de renier la foi chrétienne). Il y a là une église dédiée à Saint Blaise, dans un château sur une hauteur. Arrivée le dimanche de Quasimodo à Césarée, en Cappadoce. Quinze jours plus tard à Iconie, en petites journées, à cause du guide qui se livre au commerce. De Rubruquis, mécontent des activités de ce guide, n'ose pas protester de crainte d'être tué ou vendu comme esclave. Plusieurs Français vivent à Iconie, dont un spécule sur l'alun associé à un Vénitien. Ce marchand aide les voyageurs à aller à Curch, un port du roi d'Arménie. De Rubruquis se rend auprès du roi de ce pays lequel vient de recevoir des nouvelles de son fils envoyé auprès de Mangu-Cham; celles-ci sont bonnes: le roi est exempté de payer tribut. C'est l'occasion de grandes réjouissances. Le roi d'Arménie procure aux Français les moyens de gagner le port de mer de Layace, d'où ils s'embarquent pour Chypre. De Chypre ils vont à Tripoli de Syrie (aujourd'hui au Liban qui, à cette époque, ne faisait qu'un avec la Syrie), où ils arrivent pour l'Assomption, d'où de Rubruquis obtient de son provincial l'autorisation de se rendre au couvent d'Acre, mais pas celle d'aller auprès du roi de France.  

Il écrit donc à Saint Louis. Il assure le roi que la population de Turquie est chrétienne à hauteur de 10% et que le soudan de ce pays, vaincu par les Tartares, a désigné comme successeur un de ses fils de faible constitution. Un autre enfant de ce prince méditait l'extermination des chrétiens mais il a été défait par ses frères. La Turquie, entourées d'ennemis et sans argent, est dirigée par un enfant. Le royaume de Vastace, ruiné, est sous domination tartare. Une armée chrétienne aurait facilement raison de tout ce monde. Si les petites gens de la chrétienté voulaient marcher comme le font les Tartares, ils seraient les maîtres du monde. Il est inutile d'envoyer des religieux à Mangu-Cham, ce qu'il faut c'est une ambassade en bonne et due forme pourvue d'un interprète qualifié. 
 

Additions de Vincent de Beauvais et de Guillaume de Nangis 

Un ambassadeur, Sabeldin Moufat David, envoyé par un prince mongol, Ercalthay (peut-être Sacatay ou Sartach de Rubruquis), annonce au roi de France que ce prince s'est converti et qu'il est décidé à employer son armée pour le triomphe du christianisme. Les lettres aux mains de l'ambassadeur proposent une alliance afin de vaincre les musulmans. L'offre paraît d'autant plus plausible qu'une lettre du connétable d'Arménie à Lusignan, roi de Chypre, magnifie la puissance invincible des Mongols et prétend que les peuples d'Asie sont chrétiens, même aux Indes opprimées par les musulmans. La fin de cette lettre du connétable reste toutefois ambiguë; il y est écrit que le khan élude la question de sa religion en invitant le pape à venir vérifier sur place s'il est chrétien! L'ambassadeur, interrogé par Saint Louis, lui répète que le khan projette d'attaquer le Calife et lui demande d'organiser une diversion en Égypte pour favoriser cette attaque. L'ambassadeur précise aussi que les premières victoires des Mongols ont été remportées sur le prêtre Jean et que le khan actuel est marié à une fille de ce monarque chrétien. Ces faits déterminent le roi à envoyer auprès des Mongols un premier ambassadeur en la personne du frère André. 


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