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15 ème
jour: Xi'an -
(Les photos sont ici
)
Nous entrons dans Xi'an. Les imposantes fortifications qui défendaient Chang'an (paix éternelle), la capitale impériale, défilent sous nos yeux; une porte monumentale s'élève derrière une autoroute qui la masque à demi; le moderne côtoie l'ancien et lui porte préjudice, mais il en va ainsi partout. A la gare, nous sommes attendus par un nouveau guide féminin; une voiture a été prévue pour convoyer les bagages; nous ne voulons pas nous en séparer de peur de les perdre; nous allons devoir les porter sur une longue distance; en raison des encombrements aux abords de la gare, notre bus n'a pas pu se garer plus près. Nous voici en route pour l'hôtel. Chemin faisant, nous passons devant une porte de l'enceinte fortifiée que nous pouvons admirer dans son entier. Malheureusement, la promenade sur le haut de la muraille, qui est un véritable boulevard, n'est pas prévue au programme; lors de ma précédente visite, en l'an 2000, la largeur de cette construction m'avait beaucoup impressionné. Notre accompagnatrice s'identifie, en ajoutant quelques précisions sur les patronymes chinois: les noms de famille sont peu nombreux; ce sont, en général, des noms de couleurs (jaune, rouge, blanc, bleu...) ou d'arbres (prunier, peuplier, pommier...); la différenciation des individus s'effectue par les prénoms. Suit une brève explication sur l'organisation administrative de la Chine; le pays se divise en 22 provinces (sans compter Taiwan qui est la 23ème), 5 régions autonomes (dont le Sinkiang et le Tibet), 2 régions spéciales (Hong Kong et Macao), 4 villes directement sous le contrôle central (Pékin, Shanghai, Chongqing et Tianjin), des préfectures, dont un grand nombre, peuplées de minorités ethniques, sont autonomes (comme celle où se trouve Xiahe)...; l'ensemble est relativement complexe et il est impossible de retenir tous les détails (voir ici le compte rendu de la mission effectuée en Chine par des sénateurs français du 10 au 22 septembre 2005). La cité où nous venons d'arriver nous est rapidement présentée. Par rapport aux grandes villes chinoises, Chongqing avec ses 31 millions d'habitants, Shanghai avec ses 15 millions (ou 17 millions suivant les sources), Pékin avec ses 14 millions, Xi'an, capitale du Shaanxi, dont la population est inférieure à 8 millions, selon notre guide, et à 3 millions, selon d'autres sources (?), n'est qu'une grosse bourgade provinciale, qui a su rester à taille humaine (notre guide dixit!).[De tels écarts entre deux estimations de la population des mêmes villes ont de quoi surprendre, sauf si la date n'est pas la même, car la Chine est un pays en voie d'urbanisation rapide]. Point de départ de la Route de la Soie, dans le sens est-ouest, c'est une cité ancienne, dont la culture brillante, mondialement reconnue, est comparable à celle de Rome ou la Byzance. A partir du 2ème siècle avant notre ère, elle fut, par intermittence, la capitale des Zhou, des Qin, des Han, des Sui, des Tang et d'autres dynasties, au total pas moins de onze, sur une période de 1100 ans. Le grand poète Thou Fou (712-770), dont j'ai visité la maison voici deux ans à Chengdu, au Sichuan, y résida à la cour des Tang. L'histoire de Xi'an est la plus longue des six villes les plus anciennes de Chine. Son prestige fut autrefois immense en Asie: les monarques coréens et japonais s'en inspirèrent pour construire leurs capitales. Cette cité éprouva bien des vicissitudes; en 763, les Tibétains l'envahirent et la saccagèrent; elle traversa, malgré tout, les étapes de l'évolution humaine en conservant les traces de leur passage; les touristes qui la visitent peuvent bénéficier de son important héritage culturel et artistique. Son ancien statut de capitale impériale lui vaut d'être également une ville universitaire, où se plaisent intellectuels et artistes. Notre guide nous initie à l'astrologie chinoise, en faisant circuler un document où sont résumées les caractéristiques de tous les signes; elle est, comme moi, de l'année du chien, ce qui me vaut le plaisir de lui faire la bise. Une fiche astrologique du Chien est ici. La vitrine de notre hôtel est ornée
de la reproduction grandeur nature d'un chariot dont l'original figure
au musée des fouilles de l'empereur Qin Shi Huang Di.
Nous commençons notre visite par le musée de Xi'an, ce qui offre aux explications de notre guide l'avantage d'aller du général au particulier. A l'entrée du musée, un énorme lion chinois accueille les visiteurs; notre guide nous apprend que cette animal stylisé est d'inspiration persane, ce qui prouve que les échanges entre la Chine et le Moyen-Orient remontent à l'antiquité. Nous nous arrêtons d'abord devant une carte du Shaanxi, la région où naquit la civilisation chinoise. Xi'an est au centre de la plaine du Guanzhong, arrosée par le Fleuve Jaune, au pied de la chaîne montagneuse des Qinling. Un site archéologique important de la société chinoise, celui de Banpo, se trouve dans les environs. . Le musée de Xi'an m'est déjà connu. Il renferme une riche collection qui retrace l'évolution de la société chinoise depuis une époque très reculée. Il est bien entendu impossible de tout rapporter dans le détail. Dans une des premières salles, un panorama montre au visiteurs ce qu'était un village chinois voici six mille ans; c'est un ensemble de cabanes rondes au toit pointu, parmi lesquelles figurent deux ou trois bâtiments rectangulaires plus conséquents; l'ensemble est ceinturé par une muraille défensive à peu près circulaire; la société chinoise reposait alors sur le matriarcat: elle était dominée par les femmes; les enfants morts en bas âge étaient ensevelis dans des jarres, à proximité de la maison de leurs parents. Un peu plus loin, nous passons devant un carillon de cloches qui est un instrument de musique de l'époque du bronze: une sorte de xylophone. .
Plus loin encore, ce sont des vases de bronze à trois pieds, probablement de l'époque des Zhou, des objets trouvés dans des sépultures, notamment des pièces de jade que l'on plaçait dans la bouche du mort pour favoriser sa résurrection, ou dont on bouchait les orifices du corps, afin d'empêcher l'âme de s'enfuir; je remarque particulièrement une cigale finement ciselée, semblable à celle que nous avons vue en cage à Pékin. La reconstitution à taille réduite d'une tombe ancienne est l'occasion d'expliquer l'évolution des rites funéraires; au début, les cadavres étaient simplement posés sur le sol et recouverts de terre; dans un second temps, ils furent ensevelis dans des fosses où l'on entassait des objets supposés leur être utiles dans l'au-delà: nourriture, jarres, roues de chariot etc.; la fosse était ensuite comblée jusqu'au niveau du sol; plus tard, un monticule de terre pyramidal fut érigé au-dessus de la sépulture et une véritable colline artificielle marqua l'emplacement du tombeau de l'empereur Qin Shi Huang Di (259-210 avant notre ère), unificateur de la Chine; une réplique d'un char de bronze, trouvé à proximité de ce tumulus, qui rappelle celle de l'hôtel, est exposée au musée. La statuaire donne d'utiles indications sur les modes vestimentaires: robes amples sous les Qin, serrée sous les Tang. Les statues de guerriers grandeur nature qui défendaient le tombeau de l'empereur Qin Shi Huang, sont de taille beaucoup plus réduites chez ses successeurs. Les vestiges de la civilisation Tang témoignent du développement prodigieux de la Chine sous cette dynastie: chevaux de terre vernissée, élégantes poteries, peintures représentant des cavaliers jouant au polo ou des ambassadeurs approchant l'empereur, coupe à boire en corne de bovidé ornée d'or... Les eunuques de terre cuite colorée, de taille réduite, de l'époque Ming, nous rappellent la décadence de cette dynastie qui finit par se laisser diriger par ces gardiens de harem, ce qui ne l'empêcha pas de nous laisser de magnifiques porcelaines ainsi que d'ingénieuses inventions, comme cette théière réversible admirablement décorée. Au passage par la boutique, ou nous prenons
un thé payant, j'achète un ouvrage, traduit en un français
approximatif, abondamment illustré, consacré à l'histoire
de la civilisation chinoise, qu'un écrivain local a rédigé,
à l'intention des visiteurs. Je remarque un ouvrage sur le Dalaï
lama en anglais, placé au premier plan; cela m'étonne un
peu et j'ai presque envie de l'acquérir; j'imagine qu'il ne doit
pas être à l'avantage du pontife tibétain; les autorités
de Pékin le considèrent toujours comme un traître responsable
des soubresauts qui agitent périodiquement son pays, même
si les ponts n'ont jamais été complètement coupés
avec lui (voir la chronologie historique du Tibet ici).
Après le musée, nous nous rendons dans une fabrique de statues selon les techniques qui présidèrent à la confection des guerriers retrouvés dans les fouilles de la sépulture de Qin Shi Huang Di. Nous apprenons que ces statues sont creuses et qu'elles n'étaient pas faites d'un bloc, mais en plusieurs morceaux réunis ensuite; la tête, en particulier, s'ajuste à la cavité ménagée en haut du torse, entre les deux épaules; cette méthode ingénieuse offrait la possibilité de standardiser la production des corps, en distinguant les soldats des différentes armes, ainsi que leur grade, tout en diversifiant les physionomies. En arrosant d'eau l'argile, en cours de cuisson, on lui donne une couleur métallique gris foncé d'un assez bel effet. La fabrique propose à la vente toute une gamme de reproductions de statues, des guerriers, bien sûr, mais également d'autres pièces de l'époques des Qin, des Tang et des Ming; certaines sont monumentales, d'autres tiendraient dans une poche. A déjeuner, nous serons privés des raviolis prévus au programme; c'est pourtant une spécialité de Xi'an, située dans une région où l'on ne cultive pas de riz, mais du blé; nous en faisons d'autant plus facilement notre deuil que nous en avons mangé plusieurs fois à Lanzhou; j'ai le plaisir de revoir un cuisinier fabriquer en public des spaghettis en étirant entre ses mains, à plusieurs reprises et avec vivacité, une boule de pâte; cela tient de la magie. Les pâtes ne furent pas inventées par les Italiens, mais par les Chinois; c'est Marco Polo qui les rapporta dans son pays, où elles connurent le succès que l'on sait. Pour sortir du restaurant, il faut traverser un magasin; on s'y attarde et on y laisse quelques yuans; une chemise de soie multicolore attire mon attention; là dedans, je ressemble à un perroquet; après négociation, on me la laisse à moitié prix, selon la coutume, mais on refuse ma carte de crédit; mes derniers billets s'envolent; il me faut d'urgence passer à la banque; notre guide promet de nous conduire à un distributeur, en fin de journée. En début d'après-midi, nous allons visiter les fouilles de Lintong, où fut exhumée l'armée souterraine de l'empereur Qin Shi Huang Di. Les formations massives cette armée, furent découvertes par hasard en 1974, en creusant un puits, pendant une période de sécheresse particulièrement sévère. Les fouilles sont située à 1,5 km environ du mausolée de l'empereur, un énorme tumulus pyramidal, dans la campagne, à l'extérieur de Xi'an. Les trois fosses couvrent une superficie d'environ 20000 m2; elles contiennent des guerriers et des chevaux de terre cuite grandeur nature. La première fosse est essentiellement consacrée à l'infanterie; la seconde fosse contient des formations mixtes de chariots, d'infanterie et de cavalerie; la troisième fosse est celle du quartier-général. Le nombre total des pièces contenues dans les trois fosses est estimé à 7000 guerriers et 300 chevaux; toutes les statues étaient soigneusement rangées et sculptées avec précision; chacune était dotée de sa propre apparence; les rôles et les grades sont facilement identifiables, par la pose et la coiffure. L'aspect imposant de la reconstitution, réalisée à partir des débris récupérés, a conduit d'illustres visiteurs à qualifier le site de "huitième merveille du monde" (Jacques Chirac dixit). Devant le site, sur une vaste esplanade, se dresse la statue monumentale de l'empereur coiffé d'un curieux chapeau plat qui semble en équilibre précaire sur sa tête; des fils en pendaient; ils me rappellent ces émouchoirs que l'on mettait devant le museau des bovidés, pour en éloigner les mouches, dans mon Auvergne natale. Avant d'arriver aux fouilles, nous cheminons dans les allées parfaitement entretenues d'un parc arboré. Nous pénétrons dans la fouille principale, qui compte la plus grande quantité de pièces. Maintenant, les photographies sont permises; il y a six ans, elles étaient interdites, mais tolérées; les gardiens tournaient le dos pour ne pas voir les contrevenants; avant, ces derniers risquaient l'expulsion. La fosse me paraît plus grande que lors de ma visite précédente; il me semble qu'une partie, qui était alors encombrée de débris, est maintenant dégagée et emplie de statues restaurées; ce n'est pas impossible puisque la restauration se poursuit. Une charmante speakerine de la télévision
chinoise me propose de m'interviewer, par le truchement du guide; j'acquiesce;
elle me pose toute une série de questions sur l'endroit où
je me trouve et les sites chinois qui font partie de la liste du patrimoine
mondial de l'UNESCO; pris au dépourvu, mes réponses sont
parfois quelque peu embarrassées; en fait, j'apprendrai de la bouche
du guide, après la fin de l'interview, que l'on voulait m'amener
à parler d'un site archéologique préhistorique inconnu
du grand public, même chinois, que les autorités souhaiteraient
voir figurer sur la liste; naturellement, ignorant son existence, je ne
l'ai pas cité, mais c'était peut-être le but recherché.
Nous faisons le tour de la fosse. Sur l'avant sont massés les guerriers restaurés, en formation rectangulaire de combat, comme à la parade, dans de longs hangars, séparés par des murs; derrière, dans ce qui constitue en quelque sorte le bloc opératoire ou l'infirmerie, comme on voudra, des statues, encore mal en point, attendent qui un bras, qui une tête, qui un plastron, qui une jambe; une fois achevées, alors qu'elles sont en instance d'affectation, on les dispose en contrebas, dans un espace quadrangulaire. Plus loin, un groupe de cinq chevaux est surveillé par un soldat qui devait manifestement être armé d'une lance, laquelle a disparu. Le tour de cette fosse achevé, nous passons à celle du quartier général, que j'avais visité en premier, lors de mon précédent voyage. Rien n'a pratiquement changé dans la fosse. Mais, des explications complémentaires ont été apposé sur les murs du chemin de ronde qui la surplombe, d'où les visiteurs admirent les statues; on y apprend, preuves à l'appui, que ces dernières étaient peintes dans le souci de reproduire, avec réalisme, le teint de la peau et les couleurs des uniformes. Nous passons ensuite à la dernière fosse, qui est en fait la seconde; elle n'était pas ouverte au public lors de ma première visite; c'est de loin la moins intéressante, pour le moment; elle n'est pas encore complètement déblayée et aménagée. Ensuite, nous faisons le tour du musée.
Dans une des pièces consacrées à l'historique du site,
j'avise, sur une photographie inaugurale, un général chinois
qui me ressemble; je réussis à convaincre une famille chinoise,
à renfort de gestes, que je suis l'officier supérieur qui
figure sur le cliché; elle en demeure béate de saisissement,
pour la plus grande joie de notre guide. Dans une autre salle, sont exposés
deux chariots, dont l'un a servi de modèle à la reproduction
de l'hôtel. Ils sont tous les deux tirés par quatre chevaux,
mais diffèrent par leur forme et aussi probablement par leur fonction;
je pense que le premier est un char de combat et le second un char
de voyage; ce que l'on devine de l'équipement intérieur
de la cabine de ce dernier le laisse supposer. A la différence des
guerriers de terre cuite, ces équipages sont de taille réduite;
peut-être ont-ils une signification symbolique.
Nous n'aurons pas droit à la séance de projection cinématographique historique à laquelle j'avais assisté, voici six ans; le film, maintenant démodé, à été retiré; il paraît qu'un autre est en préparation. Nous ne verrons pas non plus, l'inventeur des fouilles; ce vieillard est maintenant choyé par les autorités; on nous affirmera à la boutique, où nous pensions le trouver, qu'il est absent aujourd'hui. Pour me consoler de cette déconvenue sans gravité, j'achète un DVD multilingue consacré à Xi'an; j'y retrouverai des passages du film vu six ans plus tôt et j'y trouverai le visage de l'heureux décrouvreur des guerriers enfouis. L'empereur Qin Shi Huang fut non seulement un grand chef de guerre mais aussi un bon administrateur; il promulga nombre de réformes utiles qui marquèrent pour longtemps la société chinoise. Malheureusement il était aussi quelque peu mégalomane; c'est ainsi qu'il entreprit la construction de la Grande Muraille; jouisseur, il refusait l'idée de la mort et crut se prémunir contre la fatalité en construisant un tombeau bien gardé, qui lui garantirait la vie éternelle; de nombreux joyaux et objets précieux accompagnèrent sa dépouille; les plafonds des pièces de ce gigantesque cénotaphe étaient tapissés de pierres précieuses pour rappeler les constellations de la voute céleste; des ruisseaux et des flaques de mercure reproduisaient les lacs, les mers et les rivières de l'empire; un système défensif efficace, déclenchant le tir d'arbalètes, fut mis en place, afin de dissuader d'éventuels pillards; à l'emplacement des terres extraites, pour construire l'énorme tumulus, un lac artificiel se forma; par mesure de prudence, les bâtisseurs du mausolée furent enterrés vivants, dans une fosse du voisinage. Toutes ces précautions s'avérèrent vaines; après la mort du grand empereur, les dissensions civiles divisèrent la Chine; deux généraux rivaux se mirent à la tête d'armées de paysans révoltés; en 207 avant notre ère, les soldats vainqueurs envahirent les hangars où les guerriers de terre cuite montaient la garde et, pour les empêcher de nuire, ils mirent le feu aux constructions de bois qui retenaient la terre au-dessus d'eux; les plafonds s'effondrèrent engloutissant, pour plus de deux mille ans, l'armée impassible qui devait protéger la dépouille impériale. En sortant, je ne sais comment, on en vient
à parler de la politique familiale de la Chine. Notre guide nous
confirme ce que je savais déjà, à savoir la limitation
des naissances à un enfant par couple pour les Han et à deux
pour les minorités, sous peine de pénalités fiscales;
elle ajoute cependant, qu'au delà d'un délai de six ans,
après la naissance du dernier enfant, il est permis d'en avoir un
autre sans payer de pénalité; c'est un détail que
j'ignorais. Il serait aussi possible d'avoir gratuitement un enfant supplémentaire
lorsque le premier enfant est une fille. Comme je lui fais observer que
cette politique restrictive posera un jour problème, en causant
le vieillissement de la population, elle me répond que c'est déjà
le cas et que les autorités vont certainement être amenées
à l'assouplir. Un autre effet pervers de cette politique familiale
découle des traditions chinoises: c'est le garçon qui hérite
et c'est lui qui est chargé de l'entretien de ses parents âgés;
ces derniers s'exposent donc à vivre une vieillesse difficile s'ils
n'ont donné le jour qu'à une fille; on peut donc comprendre
leur préférence pour les garçons; il en résulte
un déficit féminin déjà important qui posera
de redoutables problèmes démographiques dans le futur; les
gouvernants en sont conscients, mais il n'y a guère d'autre parade
qu'une amélioration de la protection sociale des retraités
de nature à amener progressivement une évolution des mentalités
plus favorables aux naissances et à l'entretien des filles.
En revenant vers Xi'an, nous apercevons la colline pointue du mausolée s'élever au-dessus d'un mur. A l'origine, ce tumulus était une pyramide de terre entourée de constructions monumentales; une reconstitution figure sur le DVD que je me suis procuré. Une question qui se pose est celle de savoir si le corps de l'empereur y repose vraiment; comme le tombeau n'a pas été ouvert, aucune certitude n'existe; mais les traces de mercure trouvées laissent penser que la réponse est positive. Au hasard de la route, je remarque une école polytechnique flambant neuf: le réputation de cité intellectuelle de Xi'an n'est pas près de se perdre. D'autres renseignements sur Qin Shi Huang Di et son armée de terre cuite sont ici et ici Nos pas nous portent maintenant vers la Grande Pagode de l'Oie Sauvage. Cette pagode date de l'époque Tang. Elle comporte sept niveaux. Son nom, d'après une légende assez sommaire, viendrait d'une bonne fortune survenue à un moine affamé: une volaille lui serait tombée du ciel, dans son assiette, crue ou cuite? J'avoue ne pas me souvenir de ce détail. Une autre légende prétend qu'un moine égaré dans le désert retrouva son chemin en suivant une oie qui lui serait apparue. Plus prosaïquement, d'autres disent qu'elle serait inspirée d'une pagode hindoue du même nom. Tout cela est bien confus. Une large esplanade pavée, plantée d'arbres, conduit jusqu'à l'édifice. On y rencontre des brûle-encens de bronze qui ressemblent à de petites chapelles ou à des braseros tarabiscotés. La pagode, fut construite en 652, sur une plate-forme carrée, par l'empereur Tang Gaozong ( 649-683); son plan prouve qu'elle est antérieure aux pagodes octogonales. Elle fut restaurée en 701, sous le règne de l'impératrice Wu Zetian (690-705), qui fonda la dynastie Zhou (un intermède au milieu des Tang). Plusieurs autres restaurations suivirent. Elle occupait le sud-est du monastère de la Grande Compassion, fondé en 647, sous le règne de l'empereur Tang Taizong (626-649). Sa hauteur est de 64 m. Le nom du moine Xuan
Zang (602-664), que nous avons déjà rencontré,
est associé à cette pagode où furent recueillis ses
écrits. D'abord nommé Chen Wei, ce moine naquit dans le comté
de Yen Shi, dans la province du Henan. En 629, il parcourut des milliers
de kilomètres sur la Route de la Soie,
vers la terre sainte du bouddhisme Tian Zhu (aux Indes), pour y chercher
les textes sacrés. Pendant ce voyage, on lui attribua le nom de
Maître Moine et il gagna une grande réputation. De retour
à Chang'an (Xi'an), en 645, il passa les dix-neuf années
suivantes à traduire du sanskrit 75 recueils d'écritures
sacrés en 1300 volumes chinois. Il fut non seulement un moine distingué,
un érudit et un traducteur éminent, mais aussi un voyageur
hors du commun qui rédigea ses souvenirs. On le désigne également
sous le nom de Maître Tripitaka et sous celui, plus populaire, du
Moine Tang.
Parvenus au pied de la pagode, nous la contournons sur la droite et débouchons sur le cimetière des supérieurs du monastère qui entourait la pagode; environ 300 moines y vivaient autrefois. Des piliers hexagonaux, terminés en pyramide sommée d'une boule, marquent l'emplacement de ce que je pense être les sépultures; ces monuments sont peu nombreux et presque tous semblables; ils reposent sur un sol dallé. A l'entrée, un petit bouddha, debout sur une fleur de lotus, est posé en haut d'une pierre curieuse, comme les Chinois les aiment; la statue a été sculptée en creusant un gros caillou en forme d'ogive, de sorte qu'elle semble se trouver dans une grotte, sur le fond de laquelle elle s'adosse. La visite terminée, nous en venons à évoquer les religions. Notre guide soutient que Bouddha est l'équivalent de notre Dieu. Je suis en complet désaccord avec elle; dans la tradition chrétienne, Dieu est antérieur à tout, il est le créateur, il est éternel et infini; Bouddha est un homme qui a trouvé le chemin de la lumière, il n'a pas crée le monde, ce dernier existait avant lui, il ne juge pas, il enseigne; la notion de châtiment éternel est totalement étrangère au bouddhisme; tous les êtres atteignent la plénitude absolue du nirvana, après les épreuves successives de réincarnations, qui seront plus ou moins nombreuses et pénibles, selon les actions de chacun; franchement, je ne vois pas comment on peut comparer bouddhisme et christianisme, sauf à se borner à dire que ce sont deux religions à caractère universel. Au milieu d'une large place dallée,
la statue d'un moine pèlerin
se détache, bâton en main, sur le ciel crépusculaire;
sans doute s'agit-il de Xuan Zang. Un cerf-volant multicolore virevolte
au-dessus de la pagode. Après un passage au distributeur d'une banque,
pour y retirer de l'argent, nous allons dîner. La nuit est tombée,
lorsque nous rentrons à notre hôtel; les remparts sont éclairés;
la porte devant laquelle nous passons est décorée d'une multitude
de lampes et de lanternes rouges, grosses comme des citrouilles; ces illuminations
sont d'un assez joli effet.
16 ème
jour: Xi'an (suite) -
(Les photos sont ici
)
Si le nom de Xuan Zang est associé à la Grande Pagode, la Petite se rattache à l'histoire de l'éminent moine Yi Jing et possède, elle aussi, ses écritures. Yi Jing fut un traducteur célèbre de textes bouddhistes de la période Tang. Il se rendit par mer en Inde à la recherche des principes du Bouddha, en 671, et en rapporta plus de 400 volumes d'écritures saintes en sanskrit; son périple dura vingt ans et il traversa une trentaine de pays. Ce moine érudit traduisit 56 volumes d'écritures et rédigea l'ouvrage "Biographie des moines importants de la période Tang qui vouèrent leur vie à la recherche de la vérité bouddhiste en Inde". Il mourut au 8ème siècle, dans le temple Jianfu. La Biographie est considérée comme le complément du "Pèlerinage en Inde" de Xuan Zang. Ces textes sont d'une grande utilité pour l'étude de l'histoire croisée de la Chine et de l'Inde. Nous accédons au site en empruntant
un passage voûté dont le mur est recouvert de plantes grimpantes.
La pagode se profile entre les conifères de l'allée qui y
conduit. A chaque étage, une ouverture au sommet arrondi, précédée
d'une corniche, la fait ressembler à un empilement de ruches. Notre
guide nous fait remarquer les angles brisés, déjà
mentionnés, qui sont la caractéristique principale de cet
édifice. Nous contournons la pagode et débouchons, à
l'arrière, sur une cour intérieure. Au fond de celle-ci des
Chinois matinaux se livrent aux lentes évolutions de leur éveil
musculaire, avant de regagner leur atelier, leur échoppe ou leur
bureau; l'univers étant régi par la circulation de l'énergie
vitale, il est très important d'apprendre à maîtriser
son souffle. A l'entrée de la cour, des piliers, surmontés
de sculptures expressives, servaient autrefois de piquets auxquels on attachait
les bêtes; derrière eux, des pancartes, en chinois et en anglais,
fournissent quelques précisions sur la pagode et sur le moine Yi
Jing.
La cour est entourée de bâtiments parmi lesquels un magasin de souvenirs et une salle d'exposition d'oeuvres d'art. Au magasin, j'achète une paire de boules joliment peintes, enfermées dans un élégant coffret de bois verni; on les fait tourner sur la paume de la main avec les doigts, pour améliorer la souplesse de ces derniers; c'est un exercice utile auquel je me promets de me livrer, pour entretenir ma dextérité, promesse qui ne sera sans doute pas tenue. Sur le mur extérieur de la salle d'exposition, je remarque des tableaux intéressants; les anciens renseignent sur la vie dans l'ancienne Chine: on y voit notamment des dames jouant au golf et des cavaliers pratiquant le polo; les plus récents montrent que la fibre artistique est toujours vivante dans les alentours de Xi'an; j'apprends que les fermiers des villages environnants sont également des peintres naïfs; certains d'entre eux ont atteint une renommée internationale; c'est le cas de Cheng Min-sheng, dont j'achète un livre de reproductions; les scènes de la vie rurale de la Chine moderne y sont retracées avec fraîcheur et souci du réalisme, même si les préoccupations politiques n'en sont pas toujours absentes. Je me promène autour de la cour. D'autres personnes, plus nombreuses que sur la terrasse, pratiquent leur taï chi quotidien, dans un autre espace, en bordure d'un parc. Dans le coin diamétralement opposé à celui par lequel nous sommes arrivés, se dressent d'autres piliers destinés à servir de piquets aux chevaux. Derrière le bâtiment qui ferme le fond de la cour, stationnent plusieurs véhicules antiques, aux roues à rayons de bois, à larges jantes de même matière, cerclées de fer clouté; l'une est couverte comme un chariot du Far-West, les autres sont des sortes de tombereaux; il y a aussi un tarare, il ressemble à celui qui se morfond depuis des années dans la grange de mes parents, je l'ai vu fonctionner pendant ma jeunesse. Une démonstration de calligraphie
nous est dispensée dans la salle d'exposition. Chacun repart avec
son nom en chinois.
Sur le chemin du quartier musulman où se tient la Grande Mosquée, nous admirons pour la dernière fois, les remparts de Xi'an. Construits sous l'empereur Hongwu (1368-1398), fondateur de la dynastie Ming, à une époque où la ville n'était déjà plus la capitale du pays, ils n'en sont pas moins monumentaux. Ils ceinturent l'ancienne cité sur 14 kilomètres de long et leur épaisseur varie de 15 à 18 m à leur base; à certains endroits, je l'ai dit, leur sommet est aussi large qu'une avenue. Nous n'y monterons pas, ce n'est pas prévu au programme. Nous ne verrons pas non plus la Forêt des Stèles, un livre dont les pages, au nombre de 114, sont des pierres levées, dont certaines auraient été gravées par Confucius en personne; à la lecture d'une stèle de Xi'an, on apprend que le nestorianisme se répandit en Chine avant le 7ème siècle; ces vestiges, dont certains sont vieux de plus de 2000 ans, témoignent de l'importance de l'écrit en Chine depuis l'aube de sa civilisation. L'orientation des stèles est dotée d'une signification symbolique; celles qui donnent au sud concernent l'empire et le pouvoir, celles qui sont tournées vers le nord parlent d'amitié, celles qui regardent l'est concerne l'amour, celles de l'ouest sont consacrées aux faits militaires; d'autres, pointées vers le haut, sont celles du moi ou du soi. Plantées le long des chemins, les stèles, d'abord objet funéraire, s'adressent à ceux qui les rencontrent, au hasard de leurs errances. .
Nous passons devant la Tour de la Cloche, qui sonnait jadis l'heure de l'ouverture des portes de la cité le matin; cet édifice est l'un des points clé de la ville: les quatre grandes artères principales en partent, Bei Dajie au nord, Nan Dajie au sud, Dong Dajie à l'est et Xi Dajie à l'ouest; les quatre portes de la ville correspondent aux quatre points cardinaux. Notre bus s'arrête ensuite à côté de la Tour du Tambour, qui signalait l'heure de la fermeture des portes au crépuscule; nous passons sous sa voûte pour gagner le quartier musulman et la grande mosquée, à travers des ruelles bordées d'échoppes, un véritable bazar. La Grande Mosquée est le point de ralliement des 30000 musulmans chinois de Xi'an, les Hui, que l'on reconnaît, ici comme ailleurs, à leur toque blanche et à leur barbiche. Elle est la plus vaste de Chine et, comme celle de Linxia, elle est constituée d'un ensemble de pagodes où ne se décèlent que de rares influences extérieures. Face à l'entrée, se dresse un large mur écran blanc. Un immense portique de bois, peint de rouge, consolidé par des étais, ouvert à l'est, accueille les visiteurs. L'allée centrale rectiligne est doublée de deux allées latérales tracées dans un jardin; l'ensemble est clos de bâtiments sur les deux ailes. On atteint d'abord le Pavillon aux Cinq Pièces, flanqué, à gauche et à droite, de deux ailes, de part et d'autre des allées; puis la Porte de Pierre, avec, à gauche le pavillon d'expositions du sud et, à droite, la salle de réception; ensuite, le Hall Impérial; le Minaret, qui n'est pas plus haut qu'une pagode, dont il a la forme, avec, à gauche le pavillon administratif du sud, et, à droite, la bibliothèque; les Trois Portes; le Pavillon du Phénix, avec, à gauche et à droite, les salles d'exposition du sud et du nord; enfin, la Salle de Prières, tournées à l'ouest, vers La Mecque, une large pagode au toit de tuiles vertes vernissées, sur les coins duquel on remarque les petits animaux traditionnels, au nombre de sept, car le chiffre neuf est réservé à l'empereur, avec sa porte surmontée d'une inscription en arabe, dorée sur fond noir, seule concession aux origines du culte qui s'y célèbre. Avant de partir pour l'aéroport, où nous déjeunerons, nous flânons un moment dans le quartier musulman. La préposée aux postes, en uniforme vert à épaulettes galonnées d'or, distribue le courrier sur le pas de leur porte aux commerçants hui; elle se déplace en vélo. Un mannequin de cire d'allure occidentale, coiffé du fichu musulman, exalte la mode locale, devant un magasin de vêtements; j'apprendrai plus tard que les musulmanes voilées ou coiffées d'un fichu ne sont pas toutes Chinoises, certaines d'entre elles sont des Mongoles. Les ruelles sont bordées de boutiques ouvertes qui se touchent; on y trouve à peu près tout; je remarque le petit livre rouge de Mao, qui voisine avec le jeu de cartes des dirigeants irakiens édité par la propagande américaine contre Saddam Hussein, puis les portraits de tous les maîtres du marxisme: Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao. C'est réellement le temple, ou le Capharnaüm de la pacotille pour touristes! Nous nous promenons un moment sur la vaste esplanade piétonne, entre la Tour du Tambour et la Tour de la Cloche, avant de retourner à notre bus. Sur le chemin du départ, nous passons
sur une place, embouteillée par la circulation, au milieu de laquelle
trône une statue équestre, dont j'ignorerai toujours la signification.
A l'aéroport, un malentendu vaut à notre guide d'être
privée de gratification par une partie des membres du groupe; ils
ont entendu le mot pourboire et en ont conclu qu'elle en réclamait
un; ce n'était pas le cas: elle demandait seulement de ne pas lui
confier la part du chauffeur, afin d'éviter la suspicion éventuelle
de ce dernier. Pour ma part, satisfait de sa prestation, je me montrerai
généreux, d'autres aussi.
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