Le Mas de Pin Fourcat |
Le Mas du Pin Fourcat
(les photos sont ici
)
Nous allons consacrer toute la journée
qui commence à la découverte d'une manade et des traditions
taurines. Pour cela, nous nous, rendons au Mas de Pin Fourcat qui est situé
pas très loin de la mer, entre le Grau du Roi et les Saintes-Maries,
sur le territoire de cette dernière commune, comme il ressort de
la carte ci-dessous.
En quittant la route du Bac du Sauvage, nous pénétrons dans une longue allée qui nous mène jusqu'aux bâtiments du Mas dans lesquels des billets nous sont délivrés. Le paysage alentour nous est désormais familier; dans une prairie entourée de barbelés paissent une vingtaine de chevaux blancs en compagnie d'un poney pie. L'entrée du Mas est décorée d'un gros massif de lauriers roses, rouges et blancs. L'heure de la présentation venue, le propriétaire du Mas, le manadier, possesseur d'une manade, rassemble les visiteurs autour de lui et de sa monture. Il est armé de la longue gaule des gardians sommée d'un cours trident, le "ficheiroun". Il nous donne quelques explications sur le cheval Camargue qui complètent ce que nous avons déjà appris. Je ne reviendrai pas dessus puisque la question a déjà été traitée plus haut. Que dire de plus: en Camargue, le cheval est le compagnon du gardian; ils sont inséparables. Le gardian est en quelque sorte le cow boy de la Camargue et le manadier est son patron. Pour les uns comme pour les autres, leur travail est davantage une passion qu'un emploi lucratif. Un manadier découvre rapidement si un apprenti gardian fera l'affaire: il suffit de voir comment il se comporte déjà avec son cheval. L'équipement du gardian est très
caractéristiques. Il est conçu pour que le cavalier soit
solidement installé sur sa selle et qu'un choc ne parvienne pas
facilement à le désarçonner. Les étriers sont
pourvus d'une très large semelle permettant de poser les pieds bien
à plat pour plus de confort; une armature à l'avant protège
les pieds contre les chocs, dispositif qui les fait ressembler à
des cale-pieds de cyclistes. Le pommeau (avant de la selle) et le troussequin
(arrière de la selle) sont surélevés pour donner une
meilleure assise au cavalier; sur certaine selle, le troussequin fait presque
penser à un dossier de fauteuil; à l'arrière du troussequin,
on remarque une pièce de cuir qui recouvre une partie du dos de
la monture, cette pièce de cuir n'a pas grande utilité: elle
est une survivance d'un élément plus important du harnachement
féodal qui protégeait l'arrière-train de chevaux de
guerre. En dehors des traits caractéristiques du harnachement camarguais,
on trouve évidemment les éléments traditionnels de
l'équipement d'un cavalier: la croupière, longe qui passe
sous la queue de l'animal et se rattache à la selle, en passant
par un anneau de la pièce de cuir évoquée plus haut;
l'étrivière, reliant la selle à l'étrier qui
se referme sur elle-même et possède une boucle et des trous
pour l'attacher... Tout cet équipement a été conçu
en fonction des occupations du gardian: randonnée, équitation
de travail, jeux camarguais; il vise à assurer une stabilité
maximale au cavalier.
Cette brève présentation terminée, nous prenons place sur une plate-forme sur roues tirée par un tracteur qui nous emmène dans la prairie, à proximité de la manade. Le taureau de Camargue (biou) est petit, un mètre trente pour 300 kg en moyenne, et trapu; sa peau est aussi noire que celle du cheval est blanche, elle est luisante et ses muqueuses sont sombres; il porte des cornes en forme de lyre; léger, il est rapide à la course. Il s'agit d'une race très ancienne, dont la présence est attestée dans des écrits gallo-romains, qui pourrait descendre des aurochs du quaternaire; des tentatives de reconstitution de pseudo aurochs ont d'ailleurs été tentées à partir d'elle. Le biou camarguais est parfois croisée avec des taureaux espagnols, pour accroître sa combativité, en raison de l'engouement du public pour les corridas. Mais les défenseurs de la pureté de la race préfèrent destiner les produits de leurs élevages à la course camarguaise. Celle-ci est l'objectif principal du manadier. Mais il est rare d'obtenir un champion: la plupart des bêtes ne remplissent pas les conditions requises; nombre de mâles sont donc destinés à finir encore jeunes sur les étals des bouchers; quelques femelles vivent plus longtemps pour la reproduction. La viande, qui provient d'animaux n'ayant jamais couru et vivant en demi liberté, quasiment à l'état sauvage, est maigre et rouge foncée; elle rappelle le gibier; il existe une filière de viande A.O.C. taureau de Camargue dont les débouchés sont surtout locaux, cette particularité (l'A.O.C.) mérite d'autant plus d'être signalée qu'elle est unique en France pour la viande. Nous voici arrivé dans un coin de la prairie. Des instruments de torture chauffent dans un brasero. Le cérémonial peut se dérouler. Les gardians se rassemblent d'abord tous, hommes, femmes et enfants, devant notre tribune itinérante, pour le salut des visiteurs. Ensuite, ils se dirigent vers l'autre bout du terrain où sont concentrées les bêtes. Ils se placent derrière elles et les amènent près de nous pour la présentation de la manade. Puis les gardians ramènent les taureaux là où ils étaient lorsque nous sommes arrivés. Les affaires sérieuses vont maintenant commencer et, ceux qui le souhaitent, sont invités à descendre de leur podium. Les gardians isolent un veau et l'amènent auprès du brasero. On le tire, gambadant et meuglant à fendre l'âme, qui par la queue et qui par les oreilles; quelques gaillards solidement musclés l'empoignent, le jette sur le sol, lui lient les jambe de derrière pour éviter les ruades (gare aux coups de sabots!) et le maintiennent fermement, une fesse contre la terre et l'autre en l'air bien dégagée. Le manadier vient y imposer sa marque avec un fer brûlant; le cuir grésille et une fumée blanche s'élève dans l'air. Il paraît que l'animal ne souffre pas car son cuir, très épais, protège la chair de toute lésion. On ne s'aviserait pas de faire subir le même traitement aux chevaux dont le cuir est beaucoup plus fin. Une fois l'opération achevée, le veau est libérée et il s'enfuit; douleur ou non, il ne semble pas apprécier le traitement qu'il vient de subir. Nous venons d'assister à une ferrade. Il paraît que cette opération doit être suivie de l'escoussure qui consiste à entailler les oreilles de l'animal, selon un schéma propre à chaque manadier, au moyen d'un couteau spécifique, afin de l'identifier au cas où il irait se mélanger aux bêtes d'une autre manade; nous ne l'avons pas vu pratiquer. En revanche, un veau, tiré par la queue et par les oreilles, a été pourvu devant nous, non pas de deux boucles d'oreilles, mais de deux larges étiquettes portant un numéro d'identification; ce procédé, qui n'a rien de traditionnel, est imposé par la réglementation européenne pour faciliter la traçabilité des viandes et s'assurer du respect des normes imposées par le label A.O.C.; il ne s'imposait certainement pas et les manadiers ne s'y livrent qu'à contre-coeur, pour ne pas encourir les foudres de la Commission de Bruxelles. Les tourments infligés aux animaux leur inspirent un désir de vengeance; aussi, pour leur permettre d'évacuer rapidement leur stress, un jeune gardien se jette à terre devant eux afin qu'ils le piétinent; le veau n'étant pas très lourd, le danger n'est pas très grand. Lorsqu'on castre un biou, lui permettre de décharger sa hargne sur un humain serait évidemment beaucoup plus risqué, aussi place-t-on devant lui un bonhomme de paille à l'effigie d'un gardian sur lequel il peut apaiser à satiété son désir de vengeance à coups de cornes (une vidéo de la ferrade est ici ). Nous changeons de place afin
d'assister de plus près à l'opération du tri
des bêtes. Il s'agit d'un véritable ballet des gardians au
sein du troupeau afin d'isoler l'animal à extraire et de l'amener
progressivement en dehors de la manade. Une vache pourvue d'une clochette
est ainsi chassée de la prairie où nous nous trouvons; le
manadier nous explique qu'elle a pour mission de ramener un veau enfui
qui n'a que médiocrement goûté la ferrade ou
le percement de ses oreilles; il est à craindre qu'il ne tombe dans
quelque roubine (canal d'évacuation des eaux, où il
pourrait se noyer; la clochette lui indiquera la position de la vache,
qu'il pourra ainsi rejoindre, une fois calmé son ressentiment. D'autres
exercices de tri se déroulent devant nous tandis que le manadier
nous fournit des explications appuyées d'exemples concrets sur la
course camarguaise. Comme ces explication figurent sur la page consacrée
à ce spectacle, je n'y reviendrais
pas ici (une vidéo du tri est
ici ).
La matinée se termine sur les jeux du cirque. Je veux parler d'une série d'exhibitions qui se déroule dans une petite arène construite à l'intérieur de la propriété. C'est une reproduction en miniature des arènes où nous avons assisté à une véritable course. Ici, le biou sera remplacé par des vachettes, mais il ne s'agira pas de course landaise, comme nous le précise le manadier, mais bel et bien d'une course à la cocarde, il ne faut pas confondre! Le spectacle est une version très édulcorée de ce que nous avons vu à Beaucaire, ce qui n'empêchera pas les agiles génisses de sauter à plusieurs reprises derrière les barrières; ce peut être une excellente entrée en matière pour les touristes qui souhaitent ultérieurement assister à une course à la cocarde professionnelle. Ensuite, nous avons droit à quelques évolutions plus originales; ces exercices d'adresses sont destinées à mettre en valeur les qualités équestres des gardions. Tout d'abord, il s'agit de passer d'un cheval à l'autre au galop; ensuite, vient le tour du Jeu des oranges, ou de son équivalent: des objets, ce peut être des fruits, sont tenus sur une assiette à bout de bras par une jeune femme et le cavalier qui passe au galop doit en attraper le plus possible (une vidéo de ces divertissements est ici ). La matinée s'achève. Nous déjeunons sur place; il y a ce qu'il faut car le Mas organise parfois des repas camarguais, lorsqu'un nombre suffisant de touristes en fait la demande; il est donc équipée d'un vaste espace couvert, pourvu de tables et de bancs; il y a même un bar. Comme, aujourd'hui, la demande était insuffisante, nous nous contenterons d'un pique-nique. Quant aux gardians, la vache à la clochette n'ayant pas ramené le veau fugueur, ils partiront à sa recherche et mangeront sur le pouce! L'après-midi, mon fils et sa fille aînée
participent à une promenade
à cheval à travers les marais. Plus modestement, je me contente
d'un parcours pour piéton, en compagnie de ma bru et de ma seconde
petite-fille, trop jeune pour monter à cheval, mais assez grande
pour faire du poney. Le paysage que nous traversons ressemble beaucoup
à celui des Marais du Vigueirat: chevaux
blancs, roselières, étangs recouverts de plantes lacustres,
ça et là fleuries de jaune... Au hasard d'une éclaircie,
dans les haies qui bordent le chemin, j'aperçois une multitude de
flamants roses au milieu d'une
lagune. Je remarque une belle libellule
rouge prenant le soleil sur la tige d'un roseau. Plus loin, sur le
chemin du retour, nous traversons des champs cultivés où
je remarque une vaste plantation de carottes. Un animal, que je n'ai pas
le temps de reconnaître, détale devant moi. Les moustiques
abondent et, comme ils paraissent affectionner le poney, ma petite fille
rentre avec le visage tout boursouflé; c'est une mauvaise surprise
car ces fâcheux ne nous avaient pas jusqu'à présent
trop importuné, si je fais exception de la soirée où
nous avions tenté de manger dehors, devant notre gîte; nous
n'avions pas cru devoir nous encombrer des produits qui tiennent à
distance ces voraces petits vampires; nous avons eu tort!
De retour à notre grange aménagée, nous sommes accueillis par deux petits lapins de garenne, assez mal en point, qui semblent rechercher le réconfort d'une présence humaine. Ils ne nous fuient pas; mais leur maladie nous tient prudemment à distance, malgré l'envie que les deux filles auraient de les caresser. Ils finissent par disparaître, dans les buissons, sans se hâter, comme accablés de lassitude. |
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