Les Marais du Vigueirat et les Salins de Giraud |
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. La Camargue n'est ni un musée,
ni un jardin publique,
ni un terrain d'expérimentation.
C'est d'abord un lieu de vie.
Philippe Duciel
Les Marais
du Vigueirat (les
photos sont ici
)
Notre matinée va être consacrée à une promenade bucolique dans les Marais du Vigueirat. Ces marais se trouvent à trois kilomètres au sud du hameau de Mas Thibert, près de l'île de Camargue, à l'est du grand Rhône et au bord de la plaine de la Crau; à une vingtaine de kilomètres au sud-est d'Arles, en y est encore sur le territoire de cette commune très étendue. Nous nous rendons d'abord aux Cabanes de l'Étourneau,
entrée du site, où l'on délivre les billets et où
abonde la documentation. L'heure de la promenade venue, nous nous dirigeons
vers la remise où nous allons embarquer dans une sorte de char à
banc, pompeusement qualifié de calèche, tiré par deux
robustes chevaux à la robe marron, dont je ne sais plus s'ils sont
normands ou bretons; une opulente crinière blanche se répand
de part et d'autre de l'encolure de l'un d'eux. Nous partons; les roues
étant pourvues de pneumatiques, le confort du véhicule est
tout à fait acceptable. Chemin faisant, à travers le labyrinthe
des canaux et des roselières, un guide nous fournit d'amples explications
sur notre environnement.
Le domaine que nous visitons s'étend sur plus de 902 hectares soit six kilomètres et demi du nord au sud. C'est l'un des plus grands territoires acquis par le Conservatoire du littoral dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. A l'époque romaine, le site était constitué d'une série d'étangs et de paluds. La navigation entre Arles et le port de Fos, justifiait alors que l'on favorisât l'alimentation en eau du sillon du Vigueirat. Après la chute de l'empire romain, les habitants de la région s'efforcèrent d'étendre leurs propriétés à l'abri des eaux; le courant qui parcourait le sillon disparut et les crues du Rhône, en y déposant leur limon, permirent le développement d'une végétation palustre. En 858, le chef viking Hasting, qui venait de piller l'Espagne, hiverna avec sa flotte en Camargue; l'année suivante, il pilla les côtes languedociennes et l'Italie, et revint à nouveau passer l'hiver dans les marais qu'il connaissait déjà. Au Moyen Âge, vers 1250, le développement des monastères soumit la région à une intense activité humaine; un drainage partiel des marais et un premier endiguement du Rhône et de la Durance s'en suivit, afin de mettre fin aux litiges territoriaux qui opposaient Arles à Tarascon, en raison de la fréquence des inondations. Au 17ème siècle, après son séjour en Provence (1622), Louis XIII dépêcha sur place un ingénieur hollandais, Van Ens, afin d'améliorer le drainage de la région; les résultats furent heureux; cependant, les fortes crues de l'année 1789 endommagèrent les travaux qui furent laissés en l'état pendant la période révolutionnaire. A la Restauration, en 1827, le canal entre Arles et Bouc devint le principal moyen de drainage. Au cours du 19ème siècle, plusieurs projets furent conçus, en vue de promouvoir la culture du blé et de la vigne; mais ils ne donnèrent pas les résultats escomptés; après un temps d'exploitation des terres, la salinité du sous-sol remonta à la surface, qui n'étant plus lavée par l'eau douce des inondations fluviales, rendit le terrain impropre à la culture des plantes vivrières classiques. L'élevage et la riziculture se substituèrent alors, au moins partiellement, à la culture du blé et de la vigne. Ces différentes tentatives d'assèchement dotèrent les Marais du Vigueirat d'un réseau complexe de chenaux visant à gérer les niveaux d'eau par secteur, indépendamment des conditions climatiques, pour satisfaire les besoins successifs de l'économie locale, tels qu'ils ont été sommairement décrits ci-dessus. Aujourd'hui, ce réseau offre aux crues du Rhône des capacités d'extension qui en limitent les risques. Il est clair que les riziculteurs et les saliniers ont imposé une hydrologie du delta inverse au régime naturel qui ne favorise pas la conservation des espèces les plus originales et aujourd'hui, quelles que soient les activités, préservation du milieu, chasse, coupe du roseau, croissance du riz... toutes ont besoin d'eau de telle sorte que celle-ci est au centre de toutes les convoitises. L'apport pluvieux ne suffisant pas à compenser l'évaporation, l'eau amenée par le fleuve est essentielle pour éviter à la région d'être brûlée par le sel, c'est pourquoi tout détournement de cette eau douce menace l'équilibre écologique régional. En 1982, le Conservatoire du littoral se porta acquéreur du domaine du Ligagneau afin d'assurer la protection de la diversité biologique qui s'y rencontrait, ce qui n'empêche nullement des activités humaines respectueuses de l'environnement de s'y poursuivre, l'élevage des taureaux noirs et des chevaux blancs par exemple. En 1988, les Cabanes de l'Étourneau furent adjointes à la première acquisition. En 1992, la gestion de l'ensemble fut confiée à la ville d'Arles qui délégua la gestion quotidienne du domaine à la Station Biologique de la Tour du Valat. Des aménagements (sentiers de découverte, poste de guets...) furent réalisés pour faciliter la visite des touristes et susciter leur intérêt. Aujourd'hui, les Marais du Vigueirat sont classés Zone Naturelle D'Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique de type 1. Sur les digues longeant les canaux d'eau douce, croissent les frênes, les tamaris, les saules et des peupliers blancs; les terrains bas inondables, secs en été et très chargés de sel, les sansouïres, sont le domaine des salicornes les plus résistantes, plantes qui affectionnent les terres saumâtres, roussisent en automne et sont appréciées pour leurs qualités nutritives, gastronomiques et diurétiques; entre les deux, au niveau des enganes, prairies où poussent des plantes halophytes adaptées aux terrains salés, prospèrent toute une variété d'herbages et de buissons, coupés par les roubines, canaux d'évacuation des eaux; les paluds envahis d'eau plus ou moins saumâtre offrent des conditions propices aux roseaux et au joncs, parmi lesquels les hérons viennent chercher leur nourriture; ça et là se rencontrent aussi des plantes qui paraissent tenir à la fois du roseau et du bambou: la canne de Provence, tandis que sur les canaux d'eau douce fleurissent les nénuphars blancs. Une vingtaine de plantes protégées ont rencontré des conditions d'existence favorables dans cet environnement particulier qui offre aussi le gîte et le couvert à une faune abondante: hérons et butors parmi les roseaux, guêpiers et ragondins creusant leurs galeries dans les talus des canaux, canards nageant sur les marais, aigrettes fréquentant les troupeaux, sangliers errants à travers les fourrés ou sur les langues de sables au bord des étangs, renards tentant de pêcher quelque carpe... On peut voir au Vigueirat plus de 260 espèces d'oiseaux, soit la moitié du nombre total d'espèces recensées en France; 24 espèces de poissons, dans les étangs et les roubines, dont certaines sont d'origine (ablette, anguille, brochet...) et d'autres ont été introduites (carpe, poisson chat...); 25 espèces de mammifères d'origine (sanglier, garenne, lièvre, belette, blaireau, loutre, renard...) ou introduites (ragondin, rat musqué...); une dizaine d'espèces de reptiles, dont cinq espèces de couleuvres et la tortue de Floride, bien sûr introduite; cinq espèces d'amphibiens, grenouilles, crapauds et tritons, dont la rare rainette bleue. En 1994, cinq nouvelles espèces d'oiseaux ont choisi le Vigueirat pour s'y reproduire: la cigogne blanche, la chouette effraie, la sterne pierregarain, le goéland leucophée et le traquet pâtre, ainsi que trois couples d'oies cendrées. En 1995, la faune locale s'est enrichie de l'oedicnème criard et du hibou moyen duc. Les cigognes s'y plaisent si bien qu'elles ne quittent plus la réserve et que l'on peut voir leurs nids dans les arbres. L'existence de cette immense réserve
où le gibier à poil et à plume trouve facilement remises
et gagnages, où se réfugier et se reposer, offre à
l'étude des espèces et à l'observation de leurs migrations
un vaste champ d'expérience en même temps qu'elle favorise
le maintien d'une activité cynégétique importante
en bordure de son territoire. Les limicoles, qui nichent pendant la belle
saison dans le nord-est de l'Europe, dans la toundra, s'arrêtent
ici quelques semaines, à la fin de l'été, le temps
d'y amasser des réserves de graisse suffisantes pour affronter le
long chemin qui les conduira en Afrique, où elles hiberneront; d'autres
espèces, venues au printemps des pays chauds, passent ici l'été,
avant de repartir vers le soleil; et d'autres, enfin, sédentarisées,
vivent ici à l'année longue.
Nous suivons un chemin qui nous mène, à travers des enganes et des roselières coupées de canaux où dort une eau verdâtre, vers notre première rencontre: un troupeau de chevaux camargues, blancs et roux, en fonction de leur âge, accompagnés de cigognes qui, selon les dires du guide, vivent ici à demeure; Les chevaux se tiennent sur une langue de terre ocre dénudée, au milieu d'une prairie teintée de violet (on pense à de la bruyère), derrière un rideau de roseaux frissonnant dans le vent, ou les mûres de quelque buisson, jettent des gouttes d'encre et de sang; un jeune cheval s'approche pour s'abreuver, dans le canal qui longe le chemin, en penchant sa tête au milieu de touffes de joncs. Un peu plus loin, dans la boue sèche d'un étang vidé de son eau, plusieurs échassiers déambulent, sur leurs longues pattes maigres, à la recherche d'une proie; on reconnaît parmi eux des hérons à tête de pioche. Dans un étang bleu, bordé de tamaris, barbotent maintenant d'étranges "canards" blancs au bec en forme de spatule. Puis des hérons encore et, plus loin, une pléthore d'oiseaux blancs dont il est difficile de deviner l'espèce parmi lesquelles se mêlent peut-être des aigrettes, sur des îlots recouverts de buissons roux, qui composent, avec le bleu clair de l'eau et le vert tendre des pâturages, une agréable harmonie de couleurs. Bientôt un troupeau de taureaux noirs jette quelques taches d'ombre sur les herbages baignés de soleil. Un sanglier au cuir terreux sort des roseaux, sur une berge de sable, pour quitter rapidement de notre champ de vision, en nous montrant son derrière: cet animal impoli n'apprécie visiblement pas notre compagnie! Il est impossible de retenir le nom de tous les oiseaux vus, sur le sol ou dans les airs, mais le martin pêcheur et le guêpier méritent un sort particulier, en raison de la somptuosité de leur plumage. Notre trajet s'achève par où nous l'avions commencé; les chevaux ne sont plus là mais les cigognes, plus casanières qu'on le croit, n'ont pas changé de place. Le guide nous fait remarquer un nid de ces oiseaux perché dans les branches d'un bosquet, en bordure de la prairie que nous longeons. Cette prairie offre l'occasion de rappeler que l'herbe de la Crau est particulièrement appréciée; il paraît que des chargements entiers en sont dirigés vers tous les haras de France chaque année. Nous pique-niquons sur place, dans un endroit
aménagé à cet effet. Là, pas plus que pendant
la visite, nous ne sommes pas dérangés par les moustiques,
ce qui mérite d'être souligné, dans un environnement
aussi marécageux. En début d'après-midi, nous empruntons
les sentiers de l'Étourneau, des chemins de planches qui promènent
le visiteur, d'étape en étape, à travers des étangs
dont on ne voit presque pas l'eau tant les roseaux y poussent drus. A chaque
étape, des cabanes de bois fournissent des explications accompagnées
d'illustrations. Cette interprétation, surtout destinée aux
enfants, pallie aux insuffisances de la nature, car, à part de nombreux
insectes, notamment des libellules
qui s'accouplent, on ne voit pas grand chose de vivant. Sans doute faudrait-il
rester longtemps à l'affût pour apercevoir un batracien gobé
par un oiseau, mais nous n'aurons pas cette patience.
Les Salins de Giraud (les photos sont ici ) Le reste de l'après-midi sera consacré à la visite des Salins de Giraud et à la plage. Nous reprenons la route jusqu'au village. Ce village est situé du même côté de la Camargue que les Marais du Vigueirat; il compte un peu plus de 2000 habitants. Jusqu'à présent, il a fait partie de la commune d'Arles, malgré plusieurs demandes d'émancipation, de 1904 à 2001; ses souhaits ont enfin été exaucés en 2007 et il va désormais accéder à l'indépendance. Cette agglomération est un village typique aux maisons de briques roses, qui rappelle les cités ouvrières et les corons d'autres régions de France. L'exploitation du sel sur le site est ancienne, mais elle s'est surtout développée au 19ème siècle, avec l'implantation de deux sociétés dédiées à cette activité; elle a alors suscité l'arrivée de nombreux travailleurs migrants. Après avoir traversé le village,
nous prenons la direction des salines et nous garons sur l'aire de stationnement
ouverte aux visiteurs. Après nous être arrêté
quelques instants auprès d'une lagune bleue que le soleil convertit
en flaque de lumière, nous gagnons l'éminence chauve, couronnée
de buissons saupoudrés de poussière blanchâtre, d'où
l'on jouit d'une vue panoramique sur l'ensemble du site.
Une longue colline de sel blanc s'élève sur l'azur du ciel bouchant presque l'horizon; cette énorme congère neigeuse serait presque immaculée sans les quelques traces d'impuretés qui la souillent par endroits. Derrière elle, des tas coniques plus petits paraissent moins raffinés, de sorte que l'ensemble fait penser à une énorme poule blanche accompagnés de poussins bâtards bis. A leurs pieds s'étendent des mares d'eau saumâtre qui s'étalent en étangs peu profonds (peut-être des bassins d'évaporation) ou en minces ruisseaux immobiles. Les plages et les berges sont si imprégnées de sel que la terre en a troqué sa couleur ocre pour une teinte grise mâtinée de rose. Ailleurs, des touffes d'herbes palustres rabougries, que la salinité du sol ne paraît pas rebuter, ponctuent le terrain de taches brunes et vert foncé. La zone des salins de Camargue présente un grand intérêt écologique; plusieurs espèces d'invertébrés y trouvent un terrain favorable offrant une nourriture appréciée des oiseaux qui viennent y nidifier; on y rencontre ainsi de nombreux flamants roses; mais nous n'en verrons pas au cours de notre visite. Le soleil, en jouant sur l'eau et sur le sel, transforme les étangs en autant de miroirs bleutés et les amas de sel en amoncellement de minuscules diamants scintillants. La blancheur des reflets de l'eau rivalise avec celle du sel de sorte que le regard qui se porte sur les nappes d'eau parfois s'y perd et croit y découvrir de la neige. Des zones d'ombre tendre tempèrent ce que les teintes originelles peuvent avoir de trop cru. Le fond des mares semble rouillé par place comme si une poussière de fer s'y était désagrégée. A la chute du jour, lorsque le soleil rougeoie bas sur l'horizon, il paraît que le spectacle est féerique. Tout cela me rappelle les salines du désert d'Atacama, au nord du Chili, que j'ai visitées voici déjà seize années! Le groupe dont font partie les Salins de Giraud est l'un des premiers en Europe; outre la France, il est présent en Espagne, en Italie et en Afrique. Il pratique les trois techniques de production de sel: la technique agricole d'évaporation du sel de mer, la technique industrielle de raffinage et la technique minière d'extraction du sel gemme. Le sel a longtemps été cantonné dans les utilisations alimentaires: assaisonnement et conservation des aliments; aujourd'hui, son emploi s'est largement diversifié: il est présent dans de nombreux produits (tubes de rouge à lèvres, plastiques, agents de propulsion des fusées...); on le sème sur les routes en hiver pour les déneiger et c'est une des matières premières de l'industrie chimique. Les Salins de Giraud produisent quelques 900000 tonnes par an d'un sel destiné à la vente en vrac sur les marchés de sel de mer de qualité en France et à l'étranger. Pendant nos vacances, une rumeur laissé entendre pourtant que le site allait bientôt fermer; ce serait vraiment dommage pour l'économie et l'écologie de la région et j'espère que ce bruit s'avérera inexact. Notre visite achevée, nous nous dirigeons vers la plage la plus proche. Nous n'avons que l'embarras du choix tant abondent les lieux touristiques. Des couvées de caravanes blanches marquent la proximité de l'endroit où nous nous rendons, mais la plage de sable fin est assez vaste pour que les baigneurs ne se marchent pas sur les pieds les uns les autres. Ici, on ne ressent pas cette oppression de la foule vacancière qui rend parfois si pénible la présence sur certains bords de mer. Pendant que mes enfants et petits enfants barbotent et construisent des châteaux de sable, comme je ne goûte que très modérément la cuisson des coups de soleil, je me rends sous une sorte de hangar où est installée une buvette. J'y passerai le reste de l'après-midi en buvant une bière et en lisant un journal. J'y apprendrai que Nîmes, but de notre prochaine escapade, était autrefois une étape d'un chemin de Compostelle. |
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