Le Pont du Gard et la course camarguaise |
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. Le Pont du Gard (les photos sont ici ) Aujourd'hui, la matinée sera consacrée à la visite du Pont du Gard. Dans le courant de l'après-midi, nous avons prévu de nous rendre aux arènes de Beaucaire, pour assister à une course camarguaise, sur le conseil de nos logeurs. Nous partons en direction de Beaucaire et de Remoulins. Nous traversons des paysages déjà connus (cultures protégées du vent par de hautes haies de cyprès). Nous garons notre voiture dans le vaste parking aménagé sur la rive droite du Gardon, à quelque distance de la rivière. Nous regagnons à pieds la berge, constituée de ce côté par une large plage en pente; sur l'autre rive, la végétation descend presque jusqu'au bord du fleuve. Le sable cède la place aux galets, mais nous avons la chance de disposer de l'une des installations placées là pour les touristes; il s'agit d'une plate-forme en planche couverte d'un toit plat; nous y serons à l'abri relatif du soleil et à celui plus complet des cailloux, très inconfortables lorsque l'on doit s'y asseoir. Nous prenons là notre déjeuner, avec le majestueux Pont du Gard sous les yeux; puis ceux qui aiment l'eau se préparent pour la baignade et ceux qui la détestent, dont je suis, se dirigent vers le monument objet de notre visite. Le Pont du Gard, vestige de l'aqueduc construit
pour apporter à Nîmes l'eau de la source d'Eure, près
d'Uzès, est l'une des manifestations les plus grandioses du génie
romain. Il enjambe le Gardon et, du temps où il était en
service, c'était en quelque sorte un ruisseau à cheval sur
un fleuve. Inscrit sur la première liste des monuments nationaux
de Prosper Mérimée, en 1840, il fut classé au patrimoine
mondial de l'Unesco en 1985. Il est visité chaque année par
plus de 1250000 touristes, ce qui en fait le monument antique le plus visité
de France et le place au second rang des sites provinciaux les plus courus,
après le Mont-Saint-Michel.
La construction de l'aqueduc aurait débuté en 38 après Jésus-Christ, sous le règne de Tibère, pour s'achever en l'an 52, sous celui de Claude, après avoir traversé la période courte mais troublée de Caligula; elle aurait donc duré une quinzaine d'années, sur lesquelles cinq auraient été consacrées à l'édification du pont; ces dates sont d'ailleurs imprécises et les opinions à ce sujet divergent quelque peu, mais l'on s'accorde sur le siècle; un millier d'hommes ont été mobilisés et 50000 tonnes de pierres furent utilisées pour mener à bien cette oeuvre gigantesque; le pont mis à part, de l'ensemble de l'aqueduc, qui mesurait à l'origine une cinquantaine de kilomètres, ne subsistent plus que des traces, à demi ensevelies sous la végétation des garrigues. La source n'étant guère plus haute que les réservoirs de la ville (une douzaine de mètres), les architectes romains firent preuve d'une remarquable précision et d'une grande ingéniosité pour amener l'eau à destination par simple gravité; la pente de l'aqueduc n'est que de 34 cm par kilomètre (d'autres disent 25 cm!); le relief du terrain qu'il traverse a été mis à profit judicieusement, afin de minimiser les travaux d'art, à une époque où les tunnels se creusaient à la main; ces contraintes expliquent la longueur de l'ouvrage, alors que la source n'est qu'à une vingtaine de kilomètres de Nîmes, et ont rendu encore plus difficile la résolution des problèmes posés par la nécessité de maintenir une pente à peu près constante. Sur la cinquantaine de kilomètres du trajet, 15 sont à fleur de terre, 35 sont enterrés, dont près de 4 km de tunnels, et 6 sont en élévation. .
Le pont compte trois étages, mesure 275 m de long et 48 m de haut (d'autres disent 49), ce qui en ferait le plus haut pont-aqueduc romain connu. Les 35 arceaux de l'étage supérieur ont un peu plus de 3 m d'épaisseur sur 7,4 m de hauteur, l'ouverture étant toujours de 4,8 m; ils reposent sur un étage intermédiaire de 11 arches épaisses d'environ 4,5 m et de 19,5 m de hauteur dont l'ouverture est variable (24,5 m au-dessus de la rivière, 19,5 m au-dessus des rives); ces arches intermédiaires sont portées par les 6 arches inférieures d'environ 6,4 mètres d'épaisseur pour 21,9 mètres de hauteur; les piles du second étage s'alignent sur celles de l'étage inférieur afin d'accroître la solidité de l'ensemble; les piles des deux étages ont donc le même écartement au-dessus de la rivière. On remarquera qu'au dessus de chaque arche intermédiaire, on compte presque toujours trois arceaux supérieurs, régularité qui, conjugué à l'élégance des piles, confère à l'ouvrage un aspect très esthétique. Les piles du bas reposent directement sur le roc, qui a peut-être été préparé au préalable pour les recevoir; elles sont garnies d'avant-becs triangulaires d'une dizaine de mètres de haut pour fendre le courant en cas de fortes crues, lors des violentes pluies d'automne; par ailleurs, le pont est légèrement convexe vers l'amont, ce qui lui permet de mieux résister au courant. Les deux premiers niveaux sont composés
d'imposants blocs de pierre de taille calcaire de couleur jaunâtre,
provenant des carrières voisines de Vers, dont certains pèsent
plus de six tonnes; ce calcaire coquiller assez tendre, facile à
travailler, ne craindrait pas les gelées et durcirait par l'effet
du temps; les blocs sont parfaitement ajustés, aucun mortier n'a
été utilisé pour les lier, on dit que la poussière
dégagée lors de leur pose, arrosée d'eau, les a soudés;
je crois aussi avoir lu quelque part que certaines pierres sont assujetties
entre elles au moyen de chevilles de fer, mais je ne garantis pas l'authenticité
de ce renseignement. Les grandes voûtes sont constituées de
plusieurs tranches réunies, ce qui a facilité leur construction
et leur assure une certaine souplesse, en cas de mouvements de terrain;
ce genre de construction s'est révélé extrêmement
solide; le pont a résisté aux crues les plus fortes, qui
ont ravagé ses rives et emporté les ponts modernes, en 1790,
1826, 1848, 1890, 1891, 1900, 1907, 1958 et 2002! D'après Vitruve,
les blocs ont été déplacés au moyen de plusieurs
machines de l'époque, en particulier le "tripaston simple"
similaire à la chèvre à haubans, le "tripaston
à tambour" actionné par des esclaves introduits à
l'intérieur d'une cage et le "polypaston" pour le levage
à grande hauteur; des échafaudages, dont il reste encore
des traces (boutisses qui dépassent), ont également été
dressés le long des murs et pour la réalisation des voûtes.
La canalisation est constituée de moellons plus petits du même
matériau; elle mesure 1,2 m de large sur 1,8 m de haut et est couverte
de dalles qui font saillie; elle a été surélevée
probablement par suite d'un débordement de la source à certaines
périodes de l'année; son plancher, fait de mortier et de
cailloux, est rendu étanche au moyen d'un enduit, la malthe,
composé de chaux, de vin, de graisse de porc et de lait de figue,
ce lait ayant des propriétés voisines de celles du latex;
la composition de cet enduit est toutefois discutée et son efficacité
n'était pas totale puisque des fuites se produisirent; le débit
était de 35000 m3 par jour (la source, quant à elle, débitait
430 litres par seconde). Les pierres portent parfois des marques: certaines
remontent à l'époque romaine et ont sans doute servi de repères
d'assemblage; d'autres ont été gravées par les compagnons
qui restaurèrent l'ouvrage au 19ème siècle; les graffiti
plus récents ressortent du vandalisme. Les plus curieux découvriront
aussi quelques rares sculptures discrètes, dont un phallus.
L'aqueduc et le pont auraient été utilisés jusqu'aux années qui suivirent la chute de l'empire romain, c'est-à-dire pendant environ six siècles, après quoi ils furent abandonnés; malgré leur solidité, ils subirent alors les injures du temps et celles des hommes. Des infiltrations, on l'a dit, causèrent d'abord quelques dégâts. Ensuite, ils servirent un moment de carrière pour la construction d'édifices religieux. Au 17ème des travaux de restauration furent envisagés; au 18ème siècle, une voie de circulation fut aménagée de berge à berge, le long du pont, en haut des arches inférieures; au 19ème siècle, enfin des réparations furent entreprises, sous Louis-Philippe, après l'inscription du pont sur la liste des monuments nationaux, mais c'est Napoléon III qui, tombé sous le charme du monument, le fit complètement ravaler. Lors de ma première venue au Pont du Gard, dans les années soixante, je suis arrivé par l'amont de la rive droite et je me rappelle avoir découvert l'impressionnant ouvrage d'en haut, d'une manière à la fois plus inattendue et plus émouvante; il est vrai, qu'à cette époque, les environs étaient encore sauvages et peu fréquentés par les touristes. J'y suis revenu il y a une dizaine d'années, par l'aval et la rive gauche; il y avait également moins de monde qu'aujourd'hui; la plage de la rive droite était aussi moins large, me semble-t-il; peut-être la grande crue dévastatrice de 2002 y est-elle pour quelque chose; en tous cas, je ne me souviens pas avoir vu les plates-formes de bois où nous venons de déjeuner agréablement; ces installations sont probablement récentes. Nous traversons le pont, en suivant la voie
qui le longe, pour nous rendre sur la rive gauche, à la rencontre
du vieil olivier que j'espère y retrouver. Il est défendu
de plonger du haut du parapet, mais les amateurs ne se privent pas de sauter
dans l'eau depuis un rocher situé en contrebas; une sorte de piscine
où s'ébattent quelques tritons s'étend sous ce plongeoir
improvisé; elle est bien délimitée et les baigneurs
sont invités à respecter les bornes: des remous signalés
plus loin feraient se repentir les contrevenants. L'énorme olivier,
accompagné de deux confrères, est toujours là; né
en l'an 908, cela lui fait maintenant 1099 ans; mais bien sûr, du
point de vue du pont, il est encore jeune; son tronc affiche 5 m de circonférence
et sa souche 3 fois plus; né en Espagne, il y a vécu tranquille
jusqu'en 1985; c'est alors que le Conseil général du Gard,
séduit par sa longévité et par son histoire, lui octroya
la nationalité française; on ne sait pas si le vieil arbre
fut consulté, mais ce qui est sûr, c'est qu'en 1988, il fut
enlevé à sa terre natale et transplanté au pied du
Pond du Gard, où il semble se plaire, puisqu'il est toujours aussi
vigoureux; c'est à peu près ce que l'on peut lire sur une
pierre gravée placée à ses côtés. N'oublions
pas que l'olivier fait la richesse de la Provence!
Il y aurait bien encore à parcourir les 2500 m2 du Musée de l'histoire du Pont du Gard et de l'aqueduc romain de Nîmes où se mêlent, annoncent les prospectus, pièces originales, reproductions, images, sons et reconstitutions, qui plongent le visiteur au coeur du chantier de construction de l'aqueduc et l'amènent dans une villa romaine où il découvre l'ambiance des thermes... Mais l'après-midi avance et il nous faut regagner Beaucaire, dans notre voiture transformée en four solaire. Un site très intéressant sur le Pont du Gard est ici La course camarguaise (les photos sont ici ) Nous arrivons à Beaucaire assez tôt pour trouver une place pas trop loin des arènes "Paul Laurent", où doit se dérouler une course comptant pour le championnat de France, palme d'or 2007. Nous allons repérer ces dernières pour ne pas perdre de temps lorsque le moment sera venu de prendre nos billets. En attendant, nous nous promenons dans le quartier, au pied du donjon qui dresse fièrement son profil triangulaire sur la butte où s'élèvent les hautes murailles du château que nous nous proposons de visiter une autre fois. Nous nous désaltérons sur une petite place typique, ombragée de platanes, où une estrade attend des musiciens. .
La course camarguaise, appelée aussi course à la cocarde, n'est pas une corrida: le taureau n'y est jamais mis à mort. Après avoir fait son temps, il finira ses jours dans les pâturages et, après sa mort, vers les vingt ans, il sera enterré sur la propriété de son manadier. S'il s'en est montré digne, on lui élèvera même une statue rappelant ses exploits. Les seules personnes à risquer leur vie, au jeu de la course camarguaise, ce sont les hommes. Heureusement, les accidents mortels arrivent rarement. La tradition de cette compétition sportive remonterait au Moyen Âge et elle aurait pour origine une distraction à laquelle se livraient les valets de ferme avec les taureaux promis à l'abattoir; le plus ancien témoignage remonterait à 1402. Les principaux personnages de cette pièce qui se déroule à la manière antique, sur le sable de l'arène, sont le taureau, les raseteurs et les tourneurs. Le taureau, ou cocardier, est l'acteur principal, c'est en premier lieu lui qui attire les foules; son nom figure en gros sur les affiches; les meilleurs taureaux ont leurs supporters, comme les champions dans d'autres disciplines. Le taureau est improprement nommé ainsi car il est habituellement castré (bistourné); c'est donc un boeuf, un biou, comme on dit ici. Il existe bien aussi des animaux entiers, les taù, au moins pour la reproduction, mais ceux-ci, massifs et lourds, se prêtent mal à la course et sont plus dangereux. Un taureau commence sa vie sportive à partir de 3 ou 4 ans; il est alors opposé à de jeunes raseteurs, en ouverture d'une séance de courses; il apprend progressivement son métier et s'améliore au fil des courses pour devenir un véritable comédien, sans doute conscient de ce l'on attend de lui et fier de son talent; il n'atteint la parfaite maîtrise de son art qu'après un dizaine d'années et prend sa retraite vers l'âge de quinze ans. La dépense physique qu'il fournit dans l'arène ne lui permet pas de courir plus d'un quart d'heure et, à la suite de chaque course, il prend plusieurs semaines de repos; la prestation du taureau peut être interrompue, sur la demande du manadier, si l'animal est victime d'un accident; celui-ci quitte également l'arène prématurément, honte sur lui, s'il s'est laissé enlever tous ses attributs avant le coup de gong, excusez-moi, j'ai voulu dire le coup de trompette final! Le taureau noir camarguais est plus athlétique et plus souple que son cousin espagnol; ses cornes (bannes) pointent généralement vers le ciel en forme de lyre. Chaque année un Biou d'Or récompense le meilleur animal de la saison, ou plutôt son propriétaire. Les raseteurs sont chargés d'enlever
les attributs attachés à la tête du taureau, à
savoir une cocarde, un frontal, deux glands blancs suspendus de chaque
côté du front et des ficelles entortillées autour de
la base des cornes; l'enlèvement s'effectue dans l'ordre croissant
des difficultés: on commence par la cocarde; vient ensuite le tour
des glands, puis celui du frontal; les ficelles sont gardées pour
la bonne bouche et il arrive que le taureau reparte avec; lorsque l'animal,
peu expérimenté, se défend mal, le nombre de ficelles
est augmenté, pour rendre la tâche plus ardue. Le raseteur
subtilise l'attribut convoité au moyen d'une sorte de griffe, constituée
de plusieurs crochets, dentés comme des scies, qu'il tient fermement
entre ses doigts, serrés sur un axe moletonné; pour ce faire,
il doit s'approcher du cocardier, le frôler pour le raset,
d'où son nom, et s'échapper le plus vite possible, dès
qu'il a tenté sa chance, sous peine de recevoir un coup de pointe;
c'est donc un métier réservé à des gens jeunes,
courageux et rapides. L'animal, bien entendu, s'efforce de conserver le
plus longtemps possible les décorations que les raseteurs lui disputent
et, pour ce faire, il ne ménagera ni ses cornes ni ses jambes! Chaque
attribut enlevé vaut à celui qui le ramène un ou deux
points suivant la difficulté; le total des points permet d'effectuer
un classement des raseteurs à l'issue du tournoi; le raseteur touche
également le montant de la prime attaché à l'attribut,
lequel dépend de la difficulté, mais aussi de la générosité
de ceux qui misent; les primes les plus élevées sont sur
les ficelles, elles peuvent dépasser 1500 euros pour des événements
exceptionnels aux As, en finale, par exemple; elles restent modérées
pour les autres attributs (une centaine d'euros); il faut garder présent
à l'esprit que les primes les plus élevées peuvent
ne pas être distribuées, si le cocardier rentre au toril avec
l'attribut, ce qui se produit, comme on le verra plus loin.
Les tourneurs sont chargés d'orienter le taureau pour faciliter le travail des raseteurs. Leur tâche est moins risquée et leur fonction est généralement remplie par d'anciens raseteurs. Raseteurs et tourneurs sont vêtus de blanc et portent leur nom écrit en grosses lettres dans leur dos, en noir pour les premiers, en rouge pour les seconds. Tout un essaim de raseteurs descend sur la piste, plus d'une dizaine; les tourneurs sont beaucoup moins nombreux. Il est important que tourneurs et raseteurs s'entendent bien. Le spectateur n'en a sans doute pas conscience, mais c'est un véritable ballet qui se déroule sous ses yeux. Si l'animal est mal placé, le raseteur ne pourra pas tenter de l'affronter sans danger. Par ailleurs, il existe des raseteurs droitiers et des raseteurs gauchers, les uns et les autres doivent aborder l'animal par des côtés différents. Le taureau anticipe les mouvements de son antagoniste; le raseteur doit s'efforcer de suivre la trajectoire la plus efficace pour enlever l'attribut, mais aussi la plus spectaculaire, sans risquer le coup de corne, avant d'avoir pu se réfugier derrière la barrière; la souplesse de l'échine du taureau étant limitée, il ne peut pas tourner brusquement; le raseteur doit donc éviter également de se rabattre trop vite, pour se mettre à l'abri, sous peine de s'attirer les huées de l'assistance. L'heure du spectacle étant venue, nous prenons nos billets au guichet et nous entrons dans les arènes qui commencent à se remplir. Nous avons de la chance car il reste des places libres à l'ombre des platanes et c'est là que l'on nous installe, certes pas aux premiers rangs, qui ont l'air d'être réservés aux personnalités ou aux habitués. Pour commencer, de jeunes raseteurs se confrontent à des taureaux aussi novices qu'eux. Je pense qu'il s'agit de ce que l'on appelle course de protection. C'est la mise en bouche, les spectateurs sont venus pour la seconde partie et même tous ne sont pas encore arrivés, mais l'ambiance commence déjà à chauffer. J'aperçois des fans de la vedette du jour, le taureau Camarina, Biou d'Or en 2005 qui porte fièrement son nom écrit en grosses lettres sur leur tea-shirt. Une foule bigarrée nous entoure où se rencontrent les deux sexes, tous les âges, plusieurs accents, les aficiona et les simples curieux, tout ce beau monde coude à coude sur les gradins de l'amphithéâtre. * Aficiona: amateur de courses de taureaux. Voici enfin la partie tant attendue. Les raseteurs
arrivent dans l'arène et saluent le public et le président;
c'est le capelado que l'on pourrait traduire par coup de chapeau.
L'air de Carmen accompagne cette présentation. La course, selon
la tradition, comprend six taureaux, avec un entracte d'un quart d'heure
au milieu. Le nom du taureau et de sa manade sont affichés en hauteur,
visibles par toute l'assistance, à côté de la porte
du toril.
Sur un coup de trompette, la porte du toril s'ouvre et le premier biou entre sur la piste. Il s'agit d'un nommé Afouga, de la manade Nicollin. L'animal fait un tour de piste, comme pour saluer lui aussi l'assistance, en fait pour s'habituer à la lumière et prendre la mesure des lieux, puis il gratte furieusement le sol de ses sabots, pour montrer qu'il n'est pas disposé à se laisser tirer les glands sans résister. Pendant ce temps, le président fait les présentations et annonce la prime qui sera gagnée par l'heureux raseteur qui enlèvera la cocarde, prime pour le moment très modeste. Un second coup de trompette donne le signal du départ de la course; tourneurs et raseteurs se mettent en place et le ballet commence. Les tourneurs encouragent l'animal, du geste et de la voix, à se mettre dans une position favorable pour le raset. Un raseteur court sur le taureau, pour lui arracher la cocarde avec son crochet; l'animal le charge et, au point de rencontre des deux trajectoires, l'homme essaie prestement de ravir la cocarde entre les cornes de la bête; puis il continue de courir jusqu'à la barrière peinte en rouge, sur laquelle il saute, pour se protéger de son adversaire lancé à sa poursuite, en prenant appui du pied sur une sorte de marche peinte en blanc qui fait le tour de la piste, le long de la barrière; il faut aller vite car, en ligne droite, la bête est plus véloce que l'homme! Le taureau vient parfois frapper les planches, voire les démantibuler: c'est le coup de barrière. Très vite, un raseteur se fait coincer contre les planches sans être blessé, c'est un dangereux enfermement. Les beaux coups déclenchent des applaudissement nourris et quelques notes de musique. Quasi sans discontinuer, une forte voix énumère les enchères et le nom du donateur: de la part d'un tel, 10 euros de plus, ce qui porte la cocarde à 90 euros! Une fois l'attribut en jeu retiré, on passe au suivant; une nouvelle prime de départ est annoncée, qui gonfle de minute en minute grâce aux nouvelles enchères. On trépigne, on crie, on s'agite, on acclame ou on conspue, mais ce joyeux vacarme est toujours dominé par le haut parleur qui annonce les enchères et les exploits. L'affaire est rondement menée avec ce premier taureau qui perd ses ficelles l'une après l'autre dans les cinq minutes. Le second taureau se nomme Nénuphar et appartient à la manade La Galère. Il effectue quelques belles actions à la barrière, sur laquelle il fonce au risque de s'y briser les cornes. Il envoie même des planches en l'air! Il aura droit cinq fois à la musique de Carmen. Néanmoins, il sortira avant la huitième minute. Galaad, de la manade Les Baumelles, lui succède. Fûté, il se place au milieu de la piste, certain ainsi de ne pas être pris au dépourvu. Cette tactique lui réussit et lui permet de contester plus longtemps ses attributs. La première ficelle fait l'objet d'un litige, la seconde ne tombe qu'à la dixième minutes. Il sort avec les honneurs, accompagné par l'air de Carmen. Un quart d'heure de pause est accordé aux artistes et aux spectateurs. Les marchands ambulants continuent de passer parmi la foule, sans gêner le public pour le moment, comme c'était le cas pendant la course. Les spectateurs se dégourdissent les jambes en faisant un tour ou en partant se désaltérer. Tout le monde regagne sa place avant la reprise des réjouissances. Le quatrième taureau a nom Severo, de la manade Ribaud. C'est un gaillard. A la deuxième minute, il gratifie un raseteur, qui n'a pas couru assez vite, de deux coups de pointe, un à la jambe et l'autre à la cuisse; le blessé est conduit à l'hôpital. A la reprise, l'irascible cocardier se montre toujours aussi vindicatif. Les raseteurs échaudés font preuve de prudence; les enchères montent. La première ficelle ne tombe qu'à la 13ème minute; Severo repart glorieux, en ayant conservé la seconde. Il a été gratifié par deux fois de l'air martial de Carmen; il s'est même payé le luxe de sauter par dessus la barrière, pour se retrouver tout penaud dans l'étroit couloir qui s'épare les planches des tribunes, couloir trop étroit pour lui permettre de développer toute la puissance de ses muscles. Vient ensuite Varenne, de la manade Chauvet.
Ce taureau se déplace beaucoup. Les premiers attributs sont levés
à la 7ème minute, après d'épiques poursuites.
La première ficelle tombe à la 11ème minute. L'animal
accomplit de belles enfermées sur les raseteurs. Mais, in extremis,
il se fait voler sa seconde ficelle et sort donc totalement dépouillé,
mais non sans avoir entendu l'air de Carmen pendant sa prestation.
Enfin, voici Camarina de la manade Chauvet, celui que tout le monde attend, et nous en particulier puisque, sur le conseil de notre logeur, nous avons retenu cette course pour le voir à l'oeuvre. Âgé de 13 ans, il a de l'expérience; c'est un véritable comédien; il fait le tour de la piste comme une vedette; il gratte le sol des quatre fers et défend ses décorations avec la plus grande détermination. La musique joue plusieurs fois et les applaudissements crépitent. Le deuxième gland ne tombe qu'à la 10ème minute. Pour les ficelles, il n'y faut pas songer; la prime monte, monte, monte... jusqu'à 1500 euros; j'attends les 2000, aucune limite n'étant fixée aux enchères, avant de me précipiter sur la piste, pour tenter d'empôcher la mise, ce qui est une façon de parler puisque le public n'a pas le droit de se mêler de la querelle entre le cocardier et ses assaillants; mais la trompette du jugement dernier sonne avant et le héros du jour repart avec ses deux ficelles. Vainqueur, il fait le tour de la piste, comme pour saluer les spectateurs, puis ressort en entendant l'air de Carmen, une fois de plus, sous les ovations du public. Je ne me souviens plus quel taureau n'a pas regagné le toril spontanément, à la fin de son exhibition. Il a fallu recourir au taureau, qui conduit habituellement le troupeau, avec une clochette au cou, le simbeu; le cocardier récalcitrant a suivi son meneur sans regimber, autrement un gardian serait venu en renfort pour le persuader, avec les arguments plus convaincants de la pique en forme de trident. La course qui vient de s'achever opposait des taureaux de manades différentes, c'était un concours de manades; si tous les taureaux avaient appartenu à la même manade, il aurait s'agit d'une royale. On a déjà évoqué les course de tareaux entiers (courses de Taù) et les courses de protection, réservées aux jeunes raseteurs; il existe aussi des courses de vaches cocardières. Au cours de cette journée du jeudi 26 juillet 2007, six raseteurs ont marqué des points pour le Trophée des As (Benafitou: 8; Khaled: 7; Allouani: 6; Auzolle: 5,5; Matray: 4; Outarka: 1). Pour ce qui est des taureaux, Camarina fut le meilleur. La recette et les primes non distribuées
serviront à rémunérer la participation des raseteurs,
des tourneurs et des manades. L'excédent sera mis en caisse pour
financer d'autres manifestations.
La foule sort des arènes comme un étang se viderait en de multiples ruisseaux babillants. Certains regagnent leurs voitures; d'autres s'entassent derrière de hautes barrières métalliques plantées au bord de la rue; il faut se faufiler entre leurs gros barreaux pour traverser la voie; celle-ci est devenue une sorte de couloir entre deux rives protégées. Sur la chaussée se tiennent des gardians en chemises colorées, montés sur leurs chevaux blancs, la pique surmontée du trident en main; des badauds les entourent. Les uns et les autres attendent la sortie d'un taureau. Un mouvement de foules se produit, les gardians se déplacent en direction de l'arène. Ils reviennent au bout d'un moment, formés en pointe de flèche, le taureau trottinant au milieu; des jeunes gens courent derrière; ils cherchent à sortir l'animal des deux files de cavaliers qui l'encadrent, en le tourmentant de mille manières et même en lui tirant la queue. Les gardians resteront maîtres du terrain et leurs poursuivant ne parviendront pas à faire s'échapper le taureau. On appelle abrivado* le spectacle taurin des rues où les taureaux, encadrés par les gardians, sont menés depuis la manade jusqu'à l'arène. A l'inverse, la bandido (ou abandido)** assure le retour des taureaux à la manade. Des jeunes gens dégourdis, les attrapaïres, profitent de ce passage dans les rues pour défier les gardians dans l'espoir de faire dévier les animaux du droit chemin; les fortes barrières de sécurité sont là pour empêcher que le taureau libéré ne se précipite sur la foule. * Du provençal abriva
qui signifie accélérer, lancer, précipiter. En dehors
des courses, des concours d'abrivado entre les manades sont organisés
dans certaines cités, notamment à Vauvert, en petite Camargue,
le jeudi de l'Ascension; le spectacle rassemble des milliers de personnes.
En repartant, nous remarquons une affiche annonçant une course portugaise; le taureau n'est pas mis à mort là non plus et le jeu consiste à le bloquer en se plaçant le torse entre les deux cornes, ce qui serait extrêmement dangereux si celles-ci n'étaient pas émoussées et si les hommes qui toréent ne portaient pas un rembourrage épais comme un coussin sur la poitrine. Nous terminons la soirée en dînant
à Tarascon, la patrie de Tartarin, avant de regagner notre gîte,
près d'Arles.
Pour vous faire une idée de l'ambiance, vous pouvez visionner une vidéo en cliquant ici |
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