Sur le Petit Rhône et aux Saintes Maries de la Mer |
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. Le Petit Rhône (les photos sont ici ) Ce matin, nous prenons le chemin des Saintes
Maries de la Mer. Nous allons d'abord reconnaître la plage, afin
que ceux qui aiment la baignade trouvent un endroit à leur convenance
pour la fin de l'après-midi. Après quoi, nous prenons le
chemin du Grau d'Orgon, d'où part le Tiki III, un bateau à
roue, qui offre à ses passagers la chance de découvrir la
Camargue depuis le cours du Petit Rhône. Le Petit Rhône est
l'un des deux bras actifs du delta du Rhône, celui de l'ouest; il
existe aussi des bras morts. La mini-croisière part quasiment du
débouché du bras dans la mer, le remonte jusqu'au Bac du
Sauvage, puis le redescend jusqu'au point de départ; elle dure environ
1h30. Du pont du bateau, où il existe une partie couverte et une
partie à l'air libre, on peut observer la faune (taureaux, chevaux,
hérons, aigrettes, guêpiers...) et la flore (marais, pinèdes,
enganes, salicornes...) peuplant les rives; les commentaires du capitaine
aident à identifier plantes et bêtes.
Comme il est presque l'heure de déjeuner, nous prenons nos billets pour le départ du début de l'après-midi, puis nous nous installons, pour prendre notre repas, sur l'aire aménagée à l'intention des visiteurs, à une table ombragée. Il n'y a pas foule et le choix est large: nous sommes seuls; pendant nous nous restaurerons, une autre famille viendra s'installer à côtés de nous; ce sera tout. L'heure venue, nous prenons place dans la file
d'attente du bateau. Celui-ci arrive enfin, peint de couleurs vives, blanc
et rouge, pourvu de deux hautes cheminées et d'une roue à
l'arrière laquelle est surmontée d'une sorte de balcon entouré
d'une balustrade; il a l'air de sortir tout droit d'une carte postale exotique;
avec un peu d'imagination, et en fermant les yeux, on pourra se croire
sur le Mississippi, il y a un siècle! La chaîne qui interdit
l'accès est levée et la file s'ébranle en direction
de la nef, en empruntant un pont de planche. La nombreuse assistance néglige
le pont couvert et privilégie celui qui est à l'air libre.
Par chance, une place m'échoit, dans le fond, certes, mais contre
le bastingage de bâbord; au moins, je ne serai pas gêné
par mes voisins sur ma gauche, si j'ai peu de chance d'apercevoir ce qui
se passera sur ma droite, à tribord! En effet, dès que le
navire entre en mouvement, de nombreux passagers se lèvent pour
prendre des photos, sans se demander s'ils gênent ceux qui sont derrière
eux; on pourrait croire qu'ils se prennent pour l'homme invisible! Je me
contenterai donc de la rive droite à l'aller; je m'en console en
me disant que je verrai la rive gauche au retour!
A babord, un bateau de pêcheur (à moteur, hélas!) est arrêté au long d'une digue de gros cailloux qui sépare le bras de la haute; à tribord, des taureaux noirs couchés sur le sable de la rive, sont venus chercher le frais au bord de l'eau, devant de grosses touffes de joncs piquants. Les images se succèdent: un groupe de mouettes ou autres oiseaux de mer; un échassier blanc perché sur une branche morte, devant un bosquet touffu de tamaris; un superbe héron cendré, dépassant fièrement de l'eau dans laquelle il marche, en haut de ses longues jambes grêles; une mouette encore, sur un tronc d'arbre mort torturé, comme ondulé par un fer, probablement arraché en amont, lors d'une crue, qui est venu échouer là, dans le courant, devant des plantes basses à larges feuilles que je n'ai pas identifiées; à nouveau d'énormes touffes de joncs piquants, devant une forêt de tamaris, la nature est exubérante; un autre héron juché sur des épaves d'arbres; des filets de pêche verts mis à sécher, suspendus aux branches. A mi chemin, nous nous arrêtons pour la présentation d'une manade venue s'abreuver au bord du fleuve: taureaux noirs, chevaux blancs et poulains alezans, gardian, la pique sur l'épaule, monté sur un coursier immaculé. De temps à autre, au delà de la rive, on aperçoit les toits rouges et les murs chaulés d'une ferme, au milieu des pâturages. La journée est superbe, le bleu du ciel qui se reflète dans l'eau verte et grise, l'ocre de la terre, le vert vaporeux des tamaris, la teinte des joncs piquants tirant parfois vers le violet, celle plus tendre des salicornes... composent une harmonieuse palette de couleurs qui est comme un hymne au soleil. De vastes prairies succèdent aux taillis, des hectares d'un seul tenant, entrecoupés de canaux, imprégnés d'eau saumâtre, où poussent des salicornes, plantes dont on extrait la soude, très appréciées par le bétail, s'il faut en croire notre capitaine. De nombreux oiseaux de toutes tailles, parmi lesquels on reconnaît des échassiers, picorent les herbages. Notre intrusion bruyante, dans cet univers paisible, entraîne le départ brusqué de gros et lourds volatiles aquatiques, blancs et gris; ils ont bien du mal à s'arracher à l'eau et rament bas un long moment sur la rive marécageuse. Nouvel héron cendré, et nous voici au Bac du Sauvage, juste au moment du départ du traversier; il est mû par des roues à aubes, à peu près comme le nôtre, et il est aussi peint de couleurs blanche et rouge; il circule sans possibilité de direction, car il est fixé le long d'un câble, c'est un traversier à traille; ce bac assure la continuité de la route départementale 85, sur une distance de 230 mètres; pendant la morte saison, il est réservé aux riverains; habituellement, il effectue une traversée toutes les trente minutes, mais, pendant la période de pointe estivale, la fréquence des passages est doublée. Après avoir effectué un large virage, nous revenons vers l'embouchure et c'est à mon tour d'explorer la rive gauche; enclos au bord du fleuve: chevaux et taureaux sous les ombrages d'arbres assez hauts, au tronc noueux et torse, que je ne parviens pas à identifier; oiseau blanc sur une branche d'un massif de tamaris, sans doute une aigrette; filet mis à sécher; maisons de plaisance, entourées de lauriers fleuris, ombragées d'arbres au tronc pâle ou au feuillage sombre, peut-être des peupliers et des pins; devant les maisons, des embarcadères de planches roses et blanches, sur pilotis, le long desquels patientent des barques à rames et des bateaux à moteur; appontements agrémentés d'un mât surmonté d'un fanion flottant dans le vent; échappée sur un chenal perpendiculaire où d'autres bateaux sont attachés à des piquets... Nous revoilà à la plage aux mouettes, puis à celle des taureaux, dont plusieurs, maintenant, se sont levés et paissent parmi les touffes de joncs piquants derrière des débris de bois charriés par les crues. Au delà de la berge, dans le lointain, entre deux bosquets, l'église des Saintes Maries de la Mer se dresse vers le ciel, comme une prière. La mini-croisière s'achève; elle a tenu ses promesses. Evidemment, sur le fleuve, il ne fallait pas
s'attendre à voir des flamands; ils ne fréquentent que les
étangs. Mais nous aurons l'occasion d'en admirer sur le chemin du
retour aux Saintes Maries de la Mer.
Les Saintes Marie de la Mer (les photos sont ici ) Aux Saintes Maries de la Mer, il n'est pas facile de se garer: les places sont chères à proximité du centre et des plages, dans une cité grouillante de monde qui vit aujourd'hui essentiellement du tourisme! Nous finissons par en trouver une, dans une petite rue, un peu à l'écart. Il faudra marcher un peu. Tandis que mon fils, son épouse et leurs deux petites filles se rendent au bord de la mer, je m'achemine vers le centre ville pour le visiter. Je me rends d'abord au bureau de tourisme, situé à proximité d'un groupe statuaire symbolisant la Camargue: taureau et gardian, pour me procurer de la documentation afin de ne pas errer totalement à l'aventure. L'origine des Saintes Maries de la Mer est très ancienne comme le montre la chronologie historique en encadré. Le nom de la ville provient d'une légende fondée peut-être sur un événement historique. Selon les évangiles, Marie de Magdala (Marie Madeleine), Marie Jacobé (soeur de Marie, tante de Jésus et mère de Jacques le mineur) et Marie Salomé (mère de Salomé, de Jacques le Majeur et de Jean) achetèrent des aromates et se rendirent au tombeau du Christ pour embaumer son corps. Elles furent les premières à avoir connaissance de sa résurrection. Les Actes des Apôtres, prolongement des évangiles, racontent la propagation du christianisme depuis la mort de Jésus jusque vers la fin du premier siècle; ils ne font pas directement allusion aux Maries, mais mentionnent les persécutions de la nouvelle église, la dispersion des fidèles et l'exécution de Jacques le Majeur, frère de Jean, sur ordre de Hérode Agrippa (41-44). C'est dans ce cadre que les Saintes Maries seraient arrivées en Provence, fuyant les persécutions; cette hypothèse est d'autant plus plausible que la présence du christianisme est attestée dans cette région des Gaules à une date très ancienne et, qu'au premier siècle de notre ère, l'expansion du christianisme se poursuivait vigoureusement, notamment sous l'impulsion de Saint Paul. Les fidèles de l'Antiquité et du Moyen Âge se montraient évidemment préoccupés de se tenir proche des témoins de la vie du Christ, puis de conserver leurs reliques et, pendant des siècles, les lieux du culte furent rattachés à des fondateurs supposés avoir rencontré le Messie ou avoir vécu à son époque. Les Saintes Maries ne dérogent pas à
la règle; d'après le bréviaire du diocèse d'Aix,
les saintes femmes furent arrêtées, avec d'autres disciples;
elles furent mises sur un navire sans voile ni rame qui, guidé par
la Providence, vint atterrir sur le rivage de Provence. Marie Jacobé
et Marie Salomé auraient été accompagnées de
Lazare, de Marthe, soeur de Lazare, de Marie-Madeleine et de l'aveugle
Sidoine; les exilés ne tardèrent pas à se disperser,
Lazare se rendant à Marseille, Marie-Madeleine à la Sainte
Baume, Marthe à Tarascon et Maximin à Aix; seules Marie Salomé
et Marie Jacobé restèrent sur place. On peut imaginer que
ces expulsés de Terre Sainte furent accueillis par l'une des nombreuse
communautés de la diaspora juive du pourtour méditerranéen.
Il n'existe cependant aucune trace de leur présence avant l'an mille
et ce n'est qu'en 1448, à la faveur des fouilles sous l'église,
que furent découvertes des sépultures. Si les textes sacrés
parlent bien des Maries, il n'en va pas de même pour Sara (ou Sarah),
associée aux Maries dans la tradition des Saintes Marie; plusieurs
versions existent à son sujet: selon certains, elle aurait été
une servante des Maries et, comme, en dépit de ses supplications,
on aurait refusé de l'embarquer avec ses maîtresses, elle
aurait jeté un manteau sur la mer et s'en serait servi comme d'un
radeau pour les suivre; selon d'autres, elle serait la fille du roi d'une
tribu camarguaise convertie par les saintes, cette version aurait la faveur
des Gitans; selon d'autres encore, elle serait une Égyptienne, abbesse
d'un grand couvent de Lybie, ou encore une martyre de Perse, voire une
âme charitable ayant sauvé les nouveaux venus de la noyade;
une chose est sûre, c'est que Sara est devenue la sainte patronne
des Gitans, qui sont ici des Boumians! Voilà pour la tradition
chrétienne. Mais on a également cherché au lieu des
origines païennes: les trois saintes ne seraient alors qu'une adaptation
des matres (matrones) de l'Antiquité, déesses mères
protectrices, symboles de la fécondité, qui étaient
représentées par groupe de trois et tenaient sur leurs genoux
des fruits dans une corbeille ou une corne d'abondance, ou encore versaient
sur la terre le contenu d'une coupe; cette hypothèse est renforcée
par un certain nombre d'indices (le crâne de Jacques le Majeur rapporté
de Palestine, selon la tradition, par les saintes, évoquerait le
culte des têtes coupées des Ligures, anciens habitants de
la région; Sarah, la vierge noire, aurait elle-même été
amputée de sa tête que l'on aurait remplacée; les processions
en barque jusqu'à la mer seraient des réminiscences du culte
solaire rappelé également par l'ancien nom du site: Râ).
Jusqu'au milieu du 19ème siècle, les Saintes Marie de la Mer étaient éloignée de la côte mais la mer, en rongeant peu à peu le rivage, est venu progressivement lécher ses pieds. Pour arrêter l'érosion, qui menaçait maintenant la ville, une digue a été construite ainsi que le Port-Gardian destiné à la navigation de plaisance. Je me dirige vers l'église romane fortifiée, coeur de la cité; la trouver n'est pas un exercice bien difficile car elle s'élève au dessus des maisons et on la voit d'à peu près partout dans la ville et de très loin dans les environs; lieu de pèlerinage, elle est aussi l'église paroissiale. Je suis des ruelles bordées de magasins bien achalandés; la presse est grande, de nombreux touristes baguenaudent, assaillis par de vraies ou fausses gitanes qui cherchent à leur vendre des médailles miraculeuses. Je passe devant le musée Baroncelli, une haute et mince bâtisse claire qui porte le nom de l'homme qui oeuvra pour donner aux pèlerinages des Saintes Maries leur forme actuelle. D'autres maisons typiques, construites avec la pierre d'Arles, attirent mon attention. Au débouché d'une rue, je tombe sur l'église, un édifice massif pourvu d'un donjon, dont le rebord du toit est crénelé, qui fait penser à une forteresse. J'en fait le tour. Le caractère architecturale de l'église, construite aux 9ème, 10ème et 12ème siècle* (voir l'encadré ci-dessus), peut-être à l'emplacement d'un ancien temple païen et d'un chapelle mérovingienne, s'explique par la proximité de la mer et les nombreuses incursions ennemies contre lesquelles la population locale dut faire face. En cas d'attaque, l'édifice ne protégeait pas seulement les reliques qu'il contenait, mais aussi la population locale qu'il accueillait; Un puits d'eau douce, à l'intérieur, permettait aux assiégés de survivre. Quoique imposant, le donjon carré, situé à l'angle sud-ouest de l'édifice, sur une petite place, est loin d'être écrasant, avec ses lignes montantes, il est même plutôt élégant et incite à lever le regard; l'abside est ornée de lésènes** et de bandes lombardes; la fenêtre du choeur est décorée de deux gracieuses colonnettes. Les murs, presque aveugles, sont percés de fenêtres de facture romane, étroites et courtes, à peine plus grandes que des meurtrières et le portail de la façade ouest ne fut ménagé que tardivement; des créneaux en encorbellement masquent les pentes du toit; les contreforts, élancés plaqués contre les murs, contribuent cependant à leur donner une apparence plus légère. Au sud, une porte, celle des lions, est murée. Les lions de la porte d'entrée nord proviennent sans doute d'un temple païen. Au-dessus de l'entrée habituelle de l'église, une croix de Camargue accueille le visiteur; cette croix se compose de trois symboles: en haut la croix proprement dite, signe de la foi, ornée du trident des gardians pour rappeler le travail quotidien; cette croix prolonge l'ancre marine de la base, signe de l'espérance au milieu des tempêtes; au centre, le coeur est une invitation à l'amour et au partage; la croix camarguaise résume donc les trois vertus théologales: la foi, l'espérance et la charité. Une plaque rappelle les origines de l'église et sa destination. Une porte au bas du donjon permet d'accéder à la terrasse par un escalier assez raide. J'y monte (visite payante). * L'édifice fut remanié
à diverses reprises au cours du temps, comme le montre l'historique
(encadré, ci-dessus).
De là haut, on jouit d'une belle vue sur les toits de la ville et sur ses environs. La ville, comme d'ailleurs d'en bas, apparaît propre, pimpante et cossue; elle a un petit air de vacances et de Côte d'Azur! Un chemin de ronde court derrière les créneaux autour du toit à deux pentes couvertes de larges dalles; c'est de là que l'on jouit de la plus belle vue. Le clocher à peigne a été surélevé pour recevoir une cinquième cloche. Je redescend pour pénétrer à l'intérieur de l'édifice. Il y règne une pénombre propice
au recueillement. La lumière qui émane des petites fenêtres
est parcimonieuse. Il se dégage de la construction une impression
de puissance et d'harmonie. Long de 40 mètres, haut de 15 et large
de 9, l'édifice est à taille humaine; son vaisseau se dresse
d'un jet, sans chapelles latérales; ses lignes sont épurées;
la voûte romane est en berceau brisé; la succession des piliers
oriente le regard en direction du choeur et de la crypte dédiée
à Sainte Sara; les décorations sont assez rares, on note
à peine la présence d'un petit vitrail; l'autel, au-dessus
de la crypte, paraît être placé dans une niche, sous
le regard bienveillant d'une vierge en bois doré du 18ème
siècle qui paraît lumineuse dans la pénombre. Une porte-fenêtre,
en surplomb de l'arc du choeur, encadrée de deux élégantes
colonnettes, donne accès à la Chapelle Haute, où sont
conservées les châsses contenant les reliques des saintes;
c'est par la porte-fenêtre que l'on descend les saintes pour les
processions. En faisant le tour de la nef, on rencontre plusieurs éléments
d'intérêt. Le portail ouest, qui donne sur une petite place,
fut percé au 19ème siècle pour faciliter le passage
des pèlerins; il est surmonté d'un tableau représentant
la descente de la croix; les deux Saintes Maries y sont représentées.
Sur le mur sud, les fonts baptismaux, en bois sculpté sont surmontés
d'un tableau de l'école de Nicolas Poussin (1594-1665) qui représente
le baptême de Jésus par Saint Jean Baptiste. L'accès
muré de la porte aux lions à été recouvert
d'une vitrine dans laquelle sont exposés des ex-voto; le plus ancien
date de 1591; ces peintures naïves expriment la vie, les malheurs,
les espoirs et la foi des pèlerins des siècles passés;
j'y ai remarqué la scène d'un enfant sauvé miraculeusement
d'un coup de pied de mulet ainsi qu'un autre relatif à l'effondrement
d'un plancher, au cours d'une fête, qui ne causa heureusement aucune
victime; à côté se trouve une vierge
noire vêtue de rouge (Sainte Sara?); la vitrine contient aussi
un parchemin de 1448 relatant les fouilles et la découverte des
reliques; le bras avec des reliques des Saintes Maries (utilisé
pour bénir) est en double exemplaire, le premier ayant été
volé, on en refit un second, avant de retrouver le premier. On passe
ensuite devant le portail sud; pas très loin de lui, s'ouvre le
puits d'eau douce qui permettait aux habitants réfugiés dans
l'église de résister pendant un siège, comme dans
un château fort; un peu plus loin, un tableau représente la
pêche miraculeuse.
On arrive alors face au choeur, à l'entrée de la crypte; selon la tradition, elle servit de demeure aux Saintes Maries, elle pourrait être les vestiges d'une chapelle mérovingienne du 6ème siècle; elle fut aménagée au 15ème siècle, par le roi René, comte de Provence; c'est à cette occasion que les reliques des saintes furent découvertes; dans cette crypte brûlent en permanence des dizaines de bougies, allumés par les pèlerins, de sorte qu'il y règne une atmosphère étouffante, presque aussi chaude que dans un four; ces bougies diffusent une lueur rougeâtre; au fond de la crypte, à droite, se dresse la patronne des Gitans, vêtue d'habits multicolores, dons des familles gitanes, ils sont fréquemment changés; à côté de sainte Sara, sur la gauche, on remarque le portrait du premier saint gitan, le bienheureux Ceferino, dit "El Pelé" (1861-1936). L'abside, dont le plancher forme le toit de la crypte, est surélevée; on y monte par un escalier à double volée; une élégante colonnade avec arceaux et chapiteaux sculptés la décore; les chapiteaux représentent des satyres, des figures humaines, des masques, des feuilles d'acanthe; deux d'entre eux ont trait à l'histoire biblique; on y admire le sacrifice d'Isaac et des événements entourant la naissance de Jésus (annonciation à Zacharie, annonciation à Marie, visitation); ces chapiteaux ne peuvent malheureusement pas être vus de près, l'accès en étant interdit. Au-dessus de la crypte, et sous la porte-fenêtre de la Chapelle Haute, en avant de l'abside, un autel, en forme de table de bois, reçoit les châsses des Saintes Maries dont il a la dimension exacte; il a été sculpté par Barthélemy Contestin de Beaucaire, aveugle depuis l'âge de 5 ans, qui aurait été miraculeusement guéri par les saintes, le 25 mars 1850. Au fond de la voûte, sous le vitrail et la statue de la vierge à l'enfant en bois doré, un tabernacle de bronze renferme le Saint-Sacrement. Un Christ en bois du 17ème siècle termine sur la gauche le pourtour de la voûte où se blottit l'autel. .
Sur le mur nord, un autel païen du 4ème siècle avant notre ère est surmonté d'un tableau de l'Assomption de Marie. Vient ensuite l'oreiller des Saintes Maries, à savoir un bloc de marbre sur lequel reposait les têtes des corps trouvés en 1448; la vénération des fidèles a poli la pierre. Un peu plus loin, la représentation colorée des Saintes Maries dans leur barque est en bois polychrome; on pense que les personnages sont plus récents que la barque; ils mesurent environ 60 centimètres; leur visage est rose et les lèvres rouges; ils portent des robes bleue et mauve clair ceinturées d'or; Marie Jacobé, tante du Christ, est située à l'arrière de la barque, partie moins exposée aux dangers (on devine l'arrière à la présence de la quille de la barque); elle tient dans sa main gauche un vase à parfum, élément rituel de l'époque (faut-il y voir une allusion à la coupe des matres?); sa main est ouverte en forme de bénédiction; aucun anneau n'est visible aux doigts. Dans le prochain renfoncement se tient une statue en bois originaire d'Italie offerte en signe de reconnaissance; il s'agit probablement d'une représentation de Saint François d'Assise. .
On ne visite pas la Chapelle Haute pour le moment, des travaux de rénovation étant nécessaires. Cette chapelle est située sous le clocher, dans l'ancienne salle du corps de garde. Elle contient le reliquaire avec les restes des reliques brûlées en 1794, pendant les troubles révolutionnaires, ainsi que celles qui ont pu être alors sauvées (voir l'encadré ci-dessus). Ces dernières se trouvent dans une double châsse qui est descendue par la porte-fenêtre lors des pèlerinages; les reliques calcinées, quant à elles, ont été rassemblées dans un reliquaire posé sur un autel de cette chapelle. Le système de levage pour la descente et la remontée de la châsse y figure également. L'église des Saintes-Maries rassemble
deux fois par an des foules immenses pour des pèlerinages. Le cérémonial
général de ces fêtes se répète à
l'identique depuis le Moyen Âge. Au début du pèlerinage,
les châsses sont descendues lentement dans l'église au moyen
de treuils et de cordes, à partir de la fenêtre de la Chapelle
Haute. La foule chante et acclame les Saintes en essayant de toucher les
châsses. A la fin des festivités les châsses sont remontées
solennellement. Le premier pèlerinage, pour la fête de Marie
Jacobé, a lieu les 24 et 25 mai. C'est le pèlerinage des
Gitans; ils viennent par milliers vénérer leur sainte patronne
Sara; celle-ci est transportée à la mer le 24 mai. Le 25
mai, c'est au tour des Saintes Maries de se rendre à la mer; elles
sont précédées de groupes d'Arlésiennes et
de gardians à cheval. Pendant ces deux jours, les offices et les
prières se succèdent dans l'église. Le 26 mai est
consacré à la mémoire du marquis de Baroncelli (1869-1943);
c'est lui qui a remis en vigueur les traditions de Camargue et a redonné
leur place aux Gitans dans le pèlerinage de mai. Le deuxième
pèlerinage a lieu le dimanche le plus proche du 22 octobre, pour
la fête de Marie Salomé. Le cérémonial est semblable
à celui du premier pèlerinage, mais seules les deux Saintes
sont amenées à la mer; c'est le pèlerinage des Provençaux.
Un troisième pèlerinage annuel, avec le même cérémonial
dans l'église, mais sans procession à la mer, a lieu le 1er
dimanche de décembre, pour commémorer la découverte
des reliques et la confection des châsses, le 3 décembre 1448.
Qui sont les Gitans? D'où viennent-ils ? Depuis quand viennent-ils aux Saintes Maries? Les Gitans n'ont pas d'histoire écrite. Leur migration serait partie, autour de l'an 900, du nord de l'Indus vers l'Iran, la Grèce et l'Europe via l'Empire byzantin, avant d'émigrer pour certains aux Amériques, en Australie ou en Afrique du Sud; les femmes sont brunes, les hommes ont le teint bazané. En Arles, on garde le souvenir de leur passage en 1438. Mistral décrit leur participation au pèlerinage en 1855. Suivant les endroits, on les a gratifé de noms différents: Gitans, Roms, Romanichels, Manouches (signifiant "homme" en sanscrit), Bohémiens (nom donné en France à ceux qui possédaient un sauf-conduit délivré par un roi de Bohème), Sintis, Gypsies, Zigueunes, Zingaris, Yéniches... Certains termes ont une signification générique comme Tsiganes, Gitans (pour les pèlerins des Saintes) ou gens du voyage. Ils sont nomades; ils aiment la danse et la musique (ne sont-ils pas à l'origine du flamenco espagnol?); leur société est fondée sur la solidarité familiale; ils aiment aussi la nature, l'eau vivifiante, le feu purificateur et réchauffant, le vent du grand large; ils étouffent à rester sur place, aiment encore la fête, la convivialité, vivent une foi forte, confiante, parfois superstitieuse, mais toujours joyeuse. Pour vivre, ils ont exercé divers métiers au cours du temps: baladins, saltimbanques et musiciens, à l'époque des tournois, puis chaudronniers, rétameurs, chiffonniers, vanniers, travailleurs saisonniers, vendeurs à domicile, diseuses de bonne aventure, récupérateurs de métaux, dompteurs de chevaux ou de fauves (famille Bouglione)..., ils ont évolué avec la société et de nouvelles professions se sont récemment ouvertes à eux comme élagueurs, ravaleurs de façade... pour se substituer à celles qui avaient disparu. Les caravanes motorisées ont remplacé les pittoresques roulottes d'antan tirées par des chevaux; le progrès est passé par là! Mais les gens du voyage forment toujours un groupe uni face aux gadjé (singulier masculin gadjo, féminin gadji) c'est-à-dire tous ceux qui, à la différence d'eux, ne partagent pas leur mode de vie d'aventures, ce qui ne va pas toujours sans incidents. A travers les âges les relations avec les gadjé ont évolué entre la sympathie et la méfiance; tantôt tolérés, tantôt rejetés, souvent persécutés (six siècles d'esclavage en Roumanie jusqu'au 19ème siècle; plusieurs centaines de milliers de morts dans les camps d'extermination nazis), conviés à se sédentariser, parfois par la force. Tous les ans, les 24 et 25 mai, ils se retrouvent huit à dix milles, près de Sara la Kâli, mot tsigane signifiant Sara la noire. Ils la vénèrent dans la crypte, l'habillent de neuf (on a compté une soixantaine d'habits différents), brûlent des cierges, l'emmènent à la mer. Aux Saintes Maries ont lieu également des baptêmes, des enseignements religieux, parfois des mariages. Dès l'arrivée des premières caravanes, aux alentours du 18 mai, leur aumônerie catholique organise des catéchèses sur les terrains, des préparations de baptême, des veillées de prière à l'église. Le pèlerinage est avant tout la fête d'une foi qui a gardé toute son authenticité. Ma visite terminée, je vais prendre
un verre à une terrasse, devant l'hôtel de ville, où
mon fils doit venir me prendre. La journée s'achève.
Cette page doit beaucoup au "Petit Guide" d'Albert Hari que l'on peut se procurer sur place. Je ne saurais trop conseiller aux visiteurs de l'acquérir. L'office du tourisme des Saintes Maries de la Mer est ici |
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