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Cañasanta
Dans l'attente d'une saison sous ce portique
Je ne mourrai pas sans voir
la neige
Nelson Simón
nous avons cru qu'une
île était un pays vaincu par le soleil et le salpêtre
qui assoupissait nos visages pendant des années de fête. en
guettant les premières cartes postales nous arborâmes le rêve
de nager vers d'autres îles où éteindre la soif. Paris
et Philadelphie furent des paysages parfaits en couleur, et les yeux
fermés nous percevions un port, une eau de roses, un savon de toilette.
A contrario s'en allait la griffe de l'ami ébloui par la neige,
la nuit du vingt-quatre décembre, la nuit où la mère
dormait à La Havane après avoir béni le fils et suivi
le rêve.
Paris et Philadelphie
ont planté les visages de l'étrange,
les drapeaux
de l'incertain.
Nous avons cru que
l'île était la mère candide disposée à
lécher les blessures. nous avons été des créatures
qui se réduisaient à perdre leur peu de valeur pendant de
longues années de résidence au sein de la famille, favorisant
la loyauté pour ne pas courir après les premières
chimères. Plus tard, la mère à la porte leva la main
et dit retourne avec cette poignée dont nous parlâmes tant
et hissa mon rêve inachevé, cela calmera la fièvre
de ce jeu perdu dans l'attente d'une saison sous ce portique.
de nouvelles cartes
postales arrivent aujourd'hui à l'île, la mère réclame
d'aborder à la nouvelle patrie de son fils, de dépouiller
la misère de la table, et le pardon de ces années
qui nous ramènent
à toute la famille.
paroles inutiles
trouant les chansons
de la troupe décimée
jeunes bottés
aux longs cheveux qui déambulent par les rues
à la recherche
d'un endroit pour l'amour, de paroles
citadines et qui
ne savent pas
rien de ce jeu des
apparences, de ce hasard
étincelant
des villes qu'ils attendent
de cet automne pareil
à une caresse.
ils s'ouvrent au
vice et nous percevons seulement le parfum/ la couleur/ la rose
d'un autre jeune
déloyal qui convoite et dans sa négligence
oublie la fièvre
qui nous rend muets.
Paris et Philadelphie
ont planté les visages de l'étrange,
les drapeaux
de l'incertain.
Images
destinées à être écrites
tu essayes de tracer
la ligne des corps comme sel
et cela ne te suffit
pas
tu proroges le feu
pour le moment où
la solitude commence à revenir sur ses pas
par les mêmes
chemins et te reconnaît
ce bras d'eau par
où doivent couler des poissons.
dénudé
sur cette page
rien ne changerait
en cette seconde
seulement la foule
qui nourrit un ciel identique
à l'aube
sur l'asphalte
par où tu
vas à la recherche de la ville destinée à la parole.
Ihosvany
Hernández González est un poète cubain qui vit à
Montréal (Québec)
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Miguel
Aguilar Carrillo
Théorie de la connaissance
Je l'ai su|J'ai palpé
la surface et la ride presque
en silence|J'ai
pénétré jusqu'au guano où le liquide
sacré s'amasse
doucement|où le vent
vieillit pour voyager
et grisonner
au plus profond
dans la grotte où
nage la sirène avec ce hurlement
de remous nécessiteux|où
la mauve exhale
son arôme
à quatre
bras|à corps enflammé déconfit
et presque brin|Je
l'ai su|Je l'ai connu sans rancoeur
et sans oubli ce
fragment qui unit à ses fragments
cette vétille|ce
vide tellement profond et si plein
cette île
pareille à
la musique sans voix|avec l'haleine rude
qui est celle de
la mort quand elle nous aime.
Miguel
Aguilar Carrillo est un poète mexicain, couronné en 2009
par le prix Desiderio Macías Silva
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Jorge
Castillo Fan
(De écho du feu)
Tu sais que je n'ai
jamais eu d'âge seulement des battements
pour annoncer toute
la rosée
que verse ton corps
sur le dernier iris
du désir
Seulement ce chant
qui à fleur de soif croissante
souligne mon destin
Seulement ce navire
insomniaque qui échoue en toi
sans que tu le saches.
(De revolver de l'amour)
Tandis que je continue
à t'aimer
Juan Gabriel
Que Dieu entre dans
ta poitrine
avec une lampe sans
temps
et que fleurissent
les enfants
comme un jardin
d'étonnements couleur lilas
Que le pollen de
ton rêve
adoucisse ton regard
et que tout le rêvé
te couronne
(Tandis que je pleure
dans l'obscurité
et que je continue
de t'aimer).
Jorge
Castillo Fan est un poète péruvien
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Carlos
Ernesto Garcia
Amour interdit
Le néon frappe
un corps dénudé
qui tourne harmonieusement
autour d'une barre.
Les regards lascifs
le poursuivent
en voulant l'atteindre
et le dévorer.
Le rhum et la bière
coulent à flots.
On écoute
Luis Miguel et Ricky Martin.
Le porte-jarretelles
de la danseuse
déborde de
dollars.
Elle sourit et pense:
au lait de ses fils
au loyer qui n'est
pas payé
et qu'il est déjà
très tard
et qu'elle a sommeil.
L'embuscade
Une poignée
d'hommes
se dirigent sans
le savoir
vers le néant.
A moitié ivre
l'homme frémit.
La goutte de sueur
au front.
Le regard fixé
sur les chronomètres
qui annoncent en
silence
le surprenant point
de départ.
Carlos
Ernesto Garcia est un poète salvadorien qui vit à Barcelone
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Alcides
Herrera Duarte
Dans le passé, avant cinq heures
Je crains de m'arrêter
en face d'elle,
de marcher à
son côté, de durer
dans le siège
du passager.
Je crains de me montrer
à des étoiles
que j'ai déjà
vu mourir
dans cinq mondes,
cinq avant les cinq heures.
Je chemine vers une
nouvelle mort:
par un fil d'argent,
par la nouvelle
relation.
Avec la foi de ces
anges.
Je crains le nombre
et ses couleurs
ennemies
et la cage d'or d'un
instant
avec le feu. Dans
ce monde, dans celui-ci.
Face à l'eau
avec le sel.
Je crains son parfum
semblable à ses mots.
Je crains qu'on
parvienne à me voir,
Je voudrais être
inconnu, quelqu'un par moi-même,
et que ces anges
s'alarment
et se retirent.
Jusqu'à la
grève de toutes les visions,
en un lit étranger,
énumérant
des places, des
dieux de boue,
je vais suivant
la musique interdite.
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Marlene
Pasini
SORTILÈGE
Ondulation égarée
dans le regard,
inscriptions de
l'invisible
qui tombent au fonds
du rêve,
normes d'un autre
temps.
Des ailes fugaces
dansent
entre les branches,
chaque mouvement
s'évapore
dans le feu du moment.
Du lointain le bruit
de nos pas
assiège l'étang
et sa tranquillité de jade.
Intacte noirceur d'ombres.
Une dernière
marche discrètement enterre l'obscurité
Des quartz de lumière
croisent une splendeur
de nuages,
et se réverbèrent
dans les eaux muettes.
Le ciel profond
est une chant impassible
de corneilles.
Rêver,
lumière qui
se dissout:
sortilège.
INSOMNIE
Obscurité
des filaments de
givre s'étendent sous mon ombre,
ils transpercent
la grotte de ma poitrine.
Syllabes embryonnaires
recouvrez la nuit
de tuiles.
Dans leur tombe
d'oubli
explosent des voix
de vent et de sel.
Marlene
Pasini est native de Toluca, au Mexique
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Melissa
Nungaray
Silence illuminé
I
L'oubli est une
goutte
qui tombe dans le
fonds
d'un désastre
inconnu
et contrecarre
le coeur de la nature.
II
L'humilité
est une coutume
de la profondeur
de l'être
qui s'approche
de la raison même
du spectre.
III
Le ciel me guette
dans la distance
qui révèle
la lumière
de la nuit
et clignote
dans la voix innocente
qui m'oublie.
IV
Ma voix
se ferme
dans le poème
que la terre
découvrira;
dans la colère
qui rode
sans disparaître;
dans la tourmente
qui achèvera
le monde
en l'intense nuit
qui chemine.
Melissa
Nungaray est une enfant poète, âgée d'à peine
plus de 11 ans (en mars 2010), native de Guadalajara (Jalisco), au Mexique,
qui rappelle le phénomène Minou Drouet, en France, au milieu
du siècle dernier.
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Juanita
Conejero
Au royaume des yeux
Le temps s'est enfui
rapidement sans la moindre honte.
Je suis comme une
simple feuille qui vole et tombe massacrée
dans la boue outrage
de tous les hivers.
Je fus un arbre
touffu quasiment imbattable ne redoutant pas les rocs
ni les serpents. J'ai pu creuser jusqu'au fond la racine
la plus profonde
convaincre des multitudes énormes bâillements
solitaires et percevoir
les battements des corolles assoiffées.
Je fus celui-là
et cet autre et beaucoup plus encore fureur immergée
dans une coquille
provocante désobéissante et dans
cette minute
le temps s'enfuyait
l'épine empoisonnée meurtrissait.
Tout est mémoire
légende mythe enfoui dans mes profondeurs
et ce fromager que
j'observe épanoui à mes côtés gémit
quand les amandiers
tombent en poussière.
Et je me demande
si je fus un arbre? pourquoi suis-je une feuille massacrée
dans la boue?
Si j'ai creusé jusqu'au fond pourquoi la racine si facilement
se résume à un poing?
Ce n'est pas possible!
Mes yeux m'annoncent
d'autres yeux
mes mains se tordent devant un adieu retenu.
Il faut continuer
à creuser profondément il faut forcer d'ardeurs
les récoltes
il faut mordre le blé bleu afin qu'il guérisse.
Il faut trouver
un nouveau Soleil et un jour sans exil.
Il est nécessaire
d'armer de lumières ce puzzle de lunes.
Juanita Conejero est une poète
cubaine.
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Omar
Alberto Santos
Contre toutes les prévisions
Contre toutes les
prévisions
et en considérant
la piété que t'offrit
la main de la vie,
sans doute, tu marcheras
en recueillant les semences miraculeuses
du ponant. Tu avanceras
avec une philosophie de Géante
incomparable. Tu
étaleras ton corps sur le gazon
des ardents et ils
te chercheront et ils te souhaiteront.
Sans doute, tu avanceras
comme un lac surnaturel lavant
la nostalgie et
les blessures d'autrui. Très certainement : tu seras l'oiseau
que l'enfant a rêvé,
la garantie qui sauve des égouts. Tu vaincras,
tu laveras le lieu
de la licorne, tu empileras lettres sur lettres,
quelle lumière
quelle prospérité accumuleras-tu, ah, et par ailleurs tu
seras
l'oreiller de Dieu.
Toutefois, tu ne verras pas mon vêtement avec
ton habit, mes yeux
où tu découvrais l'évasion, la maison
entière,
le poème. Contre tous les pronostics et
en considérant
les contradictions sans faille, le silence
et la bibliothèque
du magicien te feront souffrir,
tu désireras
mon poème, ma peau, vide,
dans ton oreiller
tu dessineras mes bras…
___________________________________________________
Waldo
Gonzalez Lopez
Années
Parce que je te pense,
mon amour, parce que je te pense
dans ces moments
lointains,
quand dans un temps
si long et pourtant sans distance,
nous convoitions
un rêve plus intense…
déjà
aujourd'hui avec les années rivière débordée.
Parce que maintenant
je te regarde et pense, mon amour,
dans le présent
si éloigné d'hier
-quand nous étions
au temps du bon vouloir-,
je sens que l'existence
n'est pas une douleur
et que la nostalgie
est beaucoup plus qu'une fleur.
Waldo
Gonzalez Lopez est un poète cubain
__________________________________________________
Tu n'es pas si différent
Tu n'es pas si différent
de celui que tu as voulu être.
Au moins tu sais
que les moulins
à vent seront toujours gigantesques.
À l'intérieur
de ta chair
se mirent tes moments
passés. Au fond de toi tu ne t'es jamais promis d'être
le début
ni la fin: tu as voulu être le voyage, le vol, le chemin.
Et c'est cela que
tu es.
Tes amours t'escortent
ainsi que tes haines et tu hais tes haines comme tu aimes tes amours.
Tu n'es pas si différent
de celui que tu as voulu être.
Une femme nue est
ton danger le plus rare.
Le sentier
de quelques
seins. La salive fugace des étoiles aigres.
Les yeux avec lesquels
tu te vois mieux que dans un miroir
sont les yeux qui
regardent ce qui te résume, dénudés, désirant.
Tu ressembles un
peu à celui qui a jeté la pierre
et à celui
qui l'a reçue.
Tu ressembles encore
à celui qui
pensa que le monde
n'est pas non plus
différent
de ce qu’il a voulu
être.
Frank
Abel Dopico est un poète cubain
_______________________________________________________
Edelmis
Anoceto
Matière obscure
Je soupçonne
la fleur, la silhouette qui ne se laisse pas sculpter.
L'eau apporte des
morts, mouvement de la nature
pour me séduire,
faire de moi un nom,
un numéro.
Il n'y a pas autre
chose dans le lieu où fut la fleur.
Je crois en ce qui
est vide et c'est cette perfection là qui me tente
et m'incline à
rester dans la limite des limites,
dépourvu,
au milieu d'intempéries éteintes.
La lumière
a des frontières que l'homme ne traverse pas.
L'eau apporte des
morts virtuels à mes yeux,
elle dépose
leurs corps,
ces yeux de mes
yeux.
Edelmis
Anoceto est un poète cubain
______________________________________________________________
Yvette
Guevara
Off-side
aux aphorismes, par leur
Kafka
Quand je fus homme,
je vécus près des oiseaux.
Quand je fus oiseau,
je vécus près des hommes.
Quand je fus homme
j'essayai de voler,
quand je fus oiseau
j'essayai d'être homme.
Quand je fus homme-oiseau
je vécus au milieu du maïs,
avec la paille tendue
de mes bras
attachés
à un pieu,
et les épis
de maïs se gonflèrent de sève.
Quand je fus oiseau-homme
je vécus en aimant
une colombe
dans le vitrail
d'un temple
une colombe sur
le point de s'échapper
vers la certitude.
Yvette
Guevara est une poète cubaine
____________________________________________________________
Alexis
Castañeda Pérez de Alejo
SÉBASTIEN
(du livre "Révélations
du Silence")
Voici mon corps
Je suis celui qui
convoque
aujourd'hui les
flèches.
Quelles viennent
incrédules,
qu'elles s'acharnent
dans l'entaille de ma tendresse
qu'elles soulèvent
la rancoeur dense des estrades.
Voici la blancheur
de ma poitrine,
qu'on laisse ici
les insultes
qu'on perçoive
le rite obscur du péage.
Mon pardon
renverra tous les
coups
il sera comme une
rivière domptée dans les consciences
et quand un seul,
seulement un seul d'entre la multitude
baissera son arc,
je saurai qu'au-delà
de mes blessures,
bien au delà
du mythe et des trophées
quelqu'un gardera
l'ombre de mes actes.
Alexis Castañeda Pérez
de Alejo est un poète cubain
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Andrés
Norman Castro Arévalo
Polaroids
de la fin du monde
Il manque deux minutes
pour la fin du monde.
Dieu a pris la forme
d'une vieille solliciteuse
qui n'est pas intéressée
à connaître ou entendre davantage
les créations,
les cantiques ou les éloges ;
il demande seulement
notre miséricorde.
Il manque deux minutes
pour la fin du monde.
Les seins des prostituées
des rues
sont des sources
du Malbec le plus fin
avec lequel on devrait
baptiser les oiseaux
qui chantent tandis
que nous nous précipitons à l'abîme.
Il manque deux minutes
pour la fin du monde.
J'ai appelé
mon amour platonique
- celle-là
même que j'ai poignardée dans une nuit de Prognosis négatif
*
mais j'ai découvert
que ce n'était pas elle, mais plutôt
celui qui mourut
d'un infarctus dans son utérus
tandis que je lui
écrivais des poèmes d'amour.
Ce pourrait-être
mon épitaphe.
Il manque deux minutes
pour la fin du monde.
Le temps maudit résiste
à la fin.
Les aiguilles de
l'horloge ne mincissent pas
bien que l'on n'écoute
plus que le chant des oiseaux.
Le corbeau tient
le rôle du baryton dans le choeur.
Il manque deux minutes
pour la fin du monde.
* Un autre poème du même auteur
D'autres textes de cet auteur sont ici
Andrés Norman Castro
Arévalo est un poète salvadorien. Son blog est ici
__________________________________________________
Margarita
Garcia Alonso
Axe
de contes
Quand tu t'es rendu
au chalet de la montagne avec quatre inconnus troubles
pour fumer toute
la fin de semaine, mon ventre engendrait
un foetus vulnérable.
Je me souviens que
l'angoisse assombrissait les rues
et on m'interrogeait
sur des chemins à prendre et je répondais,
je répondais
atrocement tout ce dont je me souvenais puisque j'étais encore vivante.
J'aurais pu le garder
sans ma fragile corpulence
et cette ancienne
séduction pour le désastre.
Je dois revenir
au chas de l'aiguille,
à la tête
d'épingle où les brumes brûlent,
où les mi-journées
sont des lamentations de plomb
où les après-midis
défont le monde,
où la nuit
dernière terrifie.
Margarita Garcia Alonso est
une poète cubaine qui vit en France
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Luis
Manuel Perez Boitel
Un
poème comme plat principal
Je dessinerais des
gares et atteindrais les crêtes
Les plus sacrées
/ mais le temps nous sépare /
Ceux qui m'accompagnent
ne déchiffrent pas ce qu'il y a
sous la ville.
Mon compère
/ ne cherche pas dans le poème d'hier de ce que je t'ai
signalé
sur la ville et
la solitude d'un homme.
Je suis pour le
moment un réprouvé de l'île.
Savourer qu'on t'oublie
/qu'on te repousse du pied /
Cesser d'exister
avec le poème comme plat
principal.
Mon compère
/ ne cherche pas dans le poème d'hier de ce que je t'ai
signalé.
Une navaja, voilà
ce que tu possèdes / l'amour est mensonge.
Se taire.
Ensuite je te parlerai de poésie.
Luis Manuel Perez Boitel est
un poète cubain
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Liudmila
Quincoses Clavelo
Depuis
que je connais ton nom je l'écris sur l'eau
Depuis que je connais
ton nom je l'écris sur l'eau,
parce que ton corps
et d'eau
et que tes yeux
sont eau.
Ce soleil m'annonce
déjà que tu ne dois pas t'en retourner.
Nuit après
nuit je t'ai libéré des grands messieurs
qui avec leur face
ténébreuse essayent de nous séparer.
L'univers est seulement
un cercle,
un serpent subtil
qui se mord la queue.
J'aurais voulu de
la paix et je ne l'ai pas,
j'aurais voulu me
délasser et il n'y a pas du repos,
j'aurais voulu être
pierre et je suis seulement une ombre
comme tu dois l'être.
Mais ta beauté
est si grande,
et si grande ta
tristesse
que je ne peux pas
t'emmener au fond de mon obscurité.
Dans ces lieux où
la pénombre est lumière
images sinistres
de ce que fut ton visage
qui vivent dans
l'eau.
Le temps n'existe
pas,
l'or du jour et
le bronze de la nuit sont deux métaux
imprimés
dans une même monnaie
qui n'arrête
pas de roder, qui ne s'arrête pas.
Qui traverse des
labyrinthes, des paysages difficiles,
et mon âme
déjà transpercée
pour jamais n'arriver.
Dans les jours que
l'on appelle ici habituellement des nuits
j'ai reconnu ta
voix
qui vibre dans le
silence et me condamne.
Libère-moi
de la peur,
je vis parmi les
ombres, élève-moi à la lumière,
à la lumière
intense.
Ils sont venus te
chercher les Employés du Maudit,
mais si au dernier
moment tu découvres ma présence
je sais que je t'aurai
sauvé.
Liudmila
Quincoses Clavelo est une poète cubaine. Son site est
ici
_______________________________________________
Tinito
Díaz
Tragi-comédie
(Fragment)
Nous vivons entourés
d'artefacts qui apparemment nous stimulent.
Une carte de crédit
nous fournit le passe du labyrinthe
où les aigles
sont nourris de mansuétudes bleues
et où l'homme
est un chiffre dans le panneau du destin.
La vie est devenue
un cirque de mauvaise mort:
les lapins perdent
leur forme dans la pénombre d'un chapeau
L'intellect est
une lumière qui se déplace à l'intérieur d'un
aquarium;
une ligne pythagoricienne
entre le bien et le mal.
L'ignorance ouvre
ses jambes sur de monstrueuses béances.
"Rien ne nous différencie
déjà des hyènes"
Jesús A. Díaz
(Tinito) est un poète et dessinateur cubain
_______________________________________________
Ulises
Varsovia
Condition
Je ne t'écrirai
pas, poème,
jusqu'à ce
que tu me promettes
que tu défendras
à bras raccourcis
mon nom attaqué
par langues bifides,
tu n'émergeras
pas à la lumière,
jusqu'à ce
que tu me jures
loyauté et
obéissance,
et sois plus mien
que toutes les lettres
dont je suis fait.
Ballade
Ballade de la mauvaise
mort,
en cheminant par
les poblaciones
d'une région
non mentionnée sur les cartes,
ni dans les fables,
ni dans les documents,
seulement ici et
nulle part.
Tu n'existes pas
et le contraire aussi, peuple,
dans une auberge
duquel mon cheval
fut brusquement
commotionné
par de cruelles
hallucinations,
en hennissant toute
la nuit.
Nous partirons d'ici
à l'aube,
mais avant de vous
quitter, montrez-moi
où se trouve
le cimetière,
où sont vos
morts, dites-le moi,
les seuls témoins
dignes de confiance ?
Sur le chemin d'un
autre peuple fantôme,
nous croiserons
la rivière d'eaux
envenimées
de la province,
Nous n'en boirons
pas et je n'interromprai pas
ma progression sur
sa berge malveillante.
Vous vous mourrez
tous d'absence,
et de ne pas m'expliquer
vos morts,
et quand bien même
on n'arriverait nulle part
je ne regarderai
ni en arrière, ni en avant,
perdu dans le monde.
Ulises Varsovia est natif
de Valaparaiso, au Chili
__________________________________________
Fidel
Ginoris Rodríguez
Moi
aussi
Moi aussi je fus
un traître
qui poignarda dans
le dos le matin
informe de l'automne
le saint et le signe
des lis,
qui détraqua
la communion des épis
et de ses mains
aida à creuser chaque tombe
dans laquelle rêvaient
les oiseaux avec les vents du nord.
Moi aussi je fus
un naufragé,
sur la roche solitaire
où j'ai fondé mes pouvoirs
j'ai compilé
les strophes d'un hymne guerrier
et je me suis cru
la moitié de tous ses mensonges,
j'ai mendié
à chaque bateau une bouteille
dans laquelle laisser
de petits messages tristes.
Moi aussi je fus
un dictateur
qui adaptait les
horaires du déjeuner
en distribuant de
menus miettes et des consignes,
j'ai mélangé
les spasmes du temps
avec un morceau
de mot
au moyen d'un sourire
et de la toile de fond
de toutes mes misères.
Moi aussi j'ai fait
partie du jeu
sur mon dos marqué
s'accumulent encore
les fantômes
de la frayeur.
Conquêtes
J'ai vaincu la peur
de l'oiseau qui
l'emporte de la montagne
et la laisse tomber
dans un silence assourdissant
sur les murs qui
contiennent la lumière.
J'ai soldé
ma dette
avec la terre qui
dans son tourbillon terrible
détrône
la supercherie
en laissant à
sa place
la mort permanente.
J'ai démantibulé
le mythe de l'enfance.
Jamais nous n'avons
été plus enfants
que le jour où
nous commençâmes à nous croire des hommes.
J'ai conquis à
nouveau mes rêves
et je crois que
cela me suffit.
Fidel Ginoris Rodríguez
est un poète et narrateur cubain qui réside au Chili depuis
2003.
__________________________________________________________
Sergio
Gabriel Lizárraga Rodríguez
PASSÉ
Tu flambais sur
ma table
Où ta viande
exquise abondait.
Je te jetais sur
les grils
Et te faisais rôtir!
Je te dévorais
proie de ma gloutonnerie
Après quoi
une fois assouvi.
Avec morgue
Je balançais
tes restes aux mendiants
En me moquant de
ces gens là
Derrière
notre porte à l'affût
Que je traitais
comme des chiens!
Mais maintenant
Tes viandes ont
déserté ma table.
Et je supplie
Ces mêmes
mendiants
De partager avec
moi tes os.
Sergio Gabriel Lizárraga
Rodríguez est un poète argentin
_____________________________________________________________
Alberto
Lauro
Mon père
est mort.
Et je suis à
Madrid en train de fêter l'anniversaire
De l'actrice Enma
Suarez,
Quand cela se passe-t-il?
Voici à peu près cinq jours.
Quelqu'un m'offre
une coupe de champagne rosé.
L'Espagne l'a rendu
insensible, pense ma tante Lilí
A l'autre bout du
fil, du côté de Miami.
Il y a une semaine
que mon père est mort
Et elle a pleuré
tout le temps
Avant de me retrouver
tandis que je festoyai
Je n'étais
pas de la fête: j'en étais le maître.
En exil nous n'avons
pas souvent le temps
de pleurer nos morts
La fête doit
se poursuivre où l'on n'est que l'invité
Cela n'a pas d'importance.
Je pleurerai bien plus tard
Lorsque je ne serai
plus mon heure dernière arrivée
J'aurai disparu,
mon père,
Tu vivras dans mon
poème.
NUIT OBSCURE D'ESPAGNE
Pour Aurore Adrada
Je scrute cette
nuit obscure
De l'Espagne qui
est mon miroir.
Comme un aveugle
je peux voir
Ton visage et le
mien,
Ces lèvres
qui taisent un nom,
Ce nom qui se cache
Entre des lèvres
scellées.
Et voici mon cou
Qui est aussi le
tien, bourreau aimé,
Sur le point d'être
exécuté.
Alberto Lauro est un poète cubain, plusieurs fois primé dans son pays et à l'étranger, qui vit en exil en Espagne depuis 1993.
Cañasanta est ici
Étendu dans
une bière
Comme en un habit
de bois
Étendu
Disons que c'est
un vaisseau
Sur les vagues de
l'orage
Disons que c'est
un berceau
(Ces vers se réfèrent à une nuit entière passée caché dans un cercueil pour échapper aux rafles allemandes pendant la seconde guerre mondiale en Lituanie)
Là-bas (en Europe), je voulais par mon chant donner la vie aux vivants. Maintenant, je veux donner vie aux morts. (En Israël, 1953-1954)
Le soleil est à
tout le monde, mais plus qu'à tous
Il est mien
Les racines des
ténèbres
Je n'en ai nul besoin.
Je suis un enfant
du soleil
Je suis la vie même
Et la trace d'un
renard argenté sur la neige
Est ma mémoire.
(Ces vers font allusion à l'expérience du poète réfugié en Sibérie, pendant la première guerre mondiale, pour échapper aux pogroms)
Avrom Sutzkever était un poète Yiddish (source: Le Monde - 29 janvier 2010)
Pour en savoir plus sur ce poète, cliquez
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Ne
te prive pas du bonheur du copiste
Qui lisant et écrivant Mêle ces deux dimensions du temps Sans souci de la page vide Et puis copiant et
recopiant
A sauts et à gambades |
Encres Vives - N° 399
...
Que faire de la pluie qui remplace l'hiver des fleurs du cerisier sous mon abricotier? Les Japonais anciens
Mon poème
ce matin
Le voilà apparu
Le voilà disparu...
|
les bornes emportent chaque lieu
détail d'une
pierre ou d'un toit
un arbre attaché
à un pont
un château
de roi sur une rive d'eau
chaque fois,
le détail
s'écoule dans mes veines
chaque fois
voyage imaginaire
tout vouloir à
chaque kilomètre
L'instant où
l'on sait
que le bruit de
la vague demeure
cette attente qui
pique le coeur et la tête
sans cesse les mêmes
places
il n'y a pas de borne
entre les pleines lunes
seulement les lieux
de notre émotion impuissante
l'ombre des arbres change à chaque instant
Un autre texte de cet auteur est ici
Tout à coup, je suis seul
et j'ai très peur
au milieu de tout le monde.
Les sons de la nuit ne me protègent
plus,
ils savent encore que les frissons du matin
réveilleront pour toujours
ces vieilles chansons,
remplies de paix,
de liberté
de bonté et de péchés
et amies des entrailles de l'abîme.
Matias Tugores Garau est un poète
catalan qui vit aux Baléares
L'âge recouvre la plage
où finissent les mots
L'attente des jours
est prise par les sables
Ainsi de l'étendue de la mémoire
et de l'enlisement du souvenir
grain à grain
dans la mouvance du temps
qui glisse entre les phrases
du désir jusqu'au vide
D'autres textes de cet auteur sont ici
...
Tu es un mot
et je ne sais
rien
de ce que tu signifies
Mais je te confie
cet instant
où l'on dirait
que quelque chose
en moi
veut parler
...
Le
Portique de la Beauté
Ô toi qui es plus belle
Ah! Comme j'admire ta croupe
Tous mes désirs sont tournés
J'ai beau essayer d'éteindre la flamme
|
|
Comme une blanche pigeonne nichée dans une corniche de la Cité Violette tu te plis dans mes bras ô mon amour plus belle que toutes les colombes blanches qui hantent la Cité interdite, et plus nostalgique que tous les lieux de retraite et de recueillement des sages de Chine! ... Ô femme, afin de décrire ton balancement sacré, je me servirai d'une autre image, encore plus saisissante, l'image d'un dragon de feu, d'un dragon de lumière dont les dix mille ondulations enivrent les hommes, en attirant sur eux la bénédiction du Ciel et la protection de l'Empereur de l'Est, autre forme de l'Auguste de Jade, dont l'Épouse règne sur la Montagne Divine! Or, la légère oscillation
de ton corps
|
et toute ta gestuelle expriment ta grande réserve d'aristocrate et de dame de la Cour! Et quand tu marches,
Ô toi que j'aime et adore
Qui es-tu donc,
Tu es l'image même de la Liberté
|
Quand tu chantes, une eau abondante abreuve les jardins, les rizières sont inondées, toute la terre est fertile et même les hommes de l'âge de fer sont sensibles aux sons qu'émet ton gosier d'or! Quand tu joues la harpe,
Quand tu déclames,
Et quand, enfin, tu danses,
Écoute la brise du Sud:
|
Ô frangipanier ô manguier de ma tendresse, tu effaces le souvenir de ma vie de jadis, rendue impossible par les moues, les quolibets et les brimades des femmes du Nord! ö mon arbre à pain,
Ô toi pure comme la pleine lune et comme le silence nocturne, te souvient-il de la nuit indicible où, pour la première fois dans ta vie, tu devais disposer de ta jeunesse, vigoureuse comme une jeune jument dans la splendeur de ses muscles, oui, te souvient-il de cette nuit où l'angoisse de l'attente nous étouffait, avant que je ne t'invite à la chambre d'amour? ... Rapide comme une hase, tu passes sur le chemin, faisant germer des multitudes de fleurs partout autour de toi, cependant que les mauvaises herbes s'étiolent sous tes pas joyeux! Lorsque le soleil descend
|
Et son site est ici
Ma
vie à deux
...
A la fin il y a de la musique encore de love
me tender - un rire rauque elle est reine - ses cheveux ont des reflets
d'alcool - les derniers verres vers deux heures du matin - la nuit absorbe
les cris et les essoufflements - je baisse les yeux je ne me contrarie
plus - nos regards se voilent nous respirons nous respirons en fermant
les yeux - je m'absente et je reviens - elle m'ouvre la porte et m'embrasse
- notre oeil est expert nos doigts - le tourment ancien tourne en rond
est aspiré dans le siphon du temps - nous sommes les amoureux de
longue conversation - notre nez nos lèvres se partagent des morceaux
d'adn - les yeux archivent - les coeurs palpitants sont enfilés
sur la pique à brochettes de l'amour - nous croyons qu'il y a quelque
chose
______________________________________________
Sereine
Berlottier
Passages de l'attente
3 mars
ta peau blanche et combien de grains de rousseur
à ton dos
j'ai oublié
j'oublie encore
opaque la main qui caresse
plongée dans le noir
ce n'est pas cette étreinte-là
ce n'était pas cette étreinte-là
je t'entends
tu matches dans le couloir
tu vas venir
ne me dis pas tes doutes
tes joues sont douces tes lèvres sont
douces
j'ai oublié
le caillou de ton oeil gauche
et on est là
nus et mouillés
et j'ai cassé une tasse
mes cheveux flottaient sur ton ventre
loin des mains
sourdes
__________________________________________
Patrick
Argenté
17
attentions
1
Je suis attentif j'écoute
l'orange
et le cidre
dans mon jardin je rencontre
quelques moines chargés
de la quête et des cierges
moines doux
comme sont les anges
et les chiens
moines doux
porteurs de rien si ce n'est
sous leur chemise
leurs brûlures et leurs stigmates
moines tenant sous leur aisselle
parapluie et rendez-vous
je devise avec les herbes
je suis attentif j'écoute
le sourire du monde.
_____________________________________
Patricia
Cottron-Daubigné
Le
corps dans le regard
IV
le cri ne traverse pas le silence
se tient là
dans la chair
jusqu'au bout des ongles
dans les doigts parfois
on pourrait l'entendre
derrière la nuque aussi
quelque chose même dans les épaules
je vous offre amour
ce cri
celui que personne
jamais ne prend
enfoui loin
autre que les grands remuements de plaisir là
où il s'étale et s'étend s'enroule à l'espace
le cri que vous prenez toujours si beau et que
j'aime dans vos vastes paumes et le monde
éclaté de votre sexe
à perdre le contour de soi
qui s'enroule au vôtre dans des appareillages
de jambes qu'on ne sait plus qui
quand plus rauques nos gorges
iraient au bout presque
je vous offre l'autre
noir
le cri ailleurs
l'envers
celui des jours ajoutés aux jours
que même à aimer on n'entend
pas
je vous offre cela
comme une tête sur un plateau
en plus du corps
qui est.
______________________________________
Olivier
de Pierrebourg
Patience de l'art
Le silence seul parle
[Par silence j'entends ce qui sourd de moi nécessairement, mots, phrases, dégagés du souci de se faire entendre, mots ou phrases détachés de l'envie de se faire aimer, du désir de jouer quelque personnage que ce soit. Tel souci, envie, désir, est un pervertisseur du langage. Bien sûr je ne suis pas idiot au point de penser que j'écrirais pour moi seul, qu'une très ancienne tentation de surpasser mon père n'a pas trouvé là son truchement, et que je n'écrirais pas pour que les yeux des femmes et des hommes brillent lorsqu'ils me regardent. Mais si le prix de mon effort est l'accomplissement de cela qu'au moins j'ai comme Rimbaud dans la Corne de l'Afrique pesé l'or sur une balance exacte.]
[Les voici ces paroles drapées, qu'on imagine poseuses, majestically proceeding sur le tapis rouge d'une salle du trône hollywoodienne, ou agitant leurs mains dans un prétoire. Cependant, malgré tout ce regrettable tintamarre d'images, comprenez ce qu'elles sont ces paroles "dignes du silence", ni paroles proférées de quelque chaire ou tribune, ni paroles assénées comme des coups sur la tête, ni paroles confiées à une bande magnétique entre quatre murs comme des paroles à la mer, ni même paroles murmurées à l'oreille, ni paroles hurlées dans le désert - des paroles non pas dites, des paroles écoutées.]
Arcendrile
"j'étais
aussi
pour toi"
qu'on
prononce
toujours
dans l'ombre
à mi-voix
devant
la nudité
du geste
où le regard
se penche
vers celui
qui attend
déjà
une gerbe
de blé
sur la
tombe
où Dieu
renonce
à la
pierre
...
D'autres textes de Laurent Fels sont ici
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Fred
Johnston
A minuit sur la rue du solstice
Donne-moi ta main, le verglas est dangereux
les voitures boitent et la nuit est noire
comme le chagrin:
nous pouvons mourir, par hasard, sur le miroir
étoilé,
sous un ciel rouge-noir, et soyeux comme la
peau de ma bite -
je suppose que le silence strident dans la
rue est
le bruit fait par la neige qui tombe sur les
toits musclés,
le lait gelé dans les bouteilles, des
petites langue blanches
qui avancent, explorent le visage d'hiver,
la Négresse,
Reine de la Lune; au lit, tes cuisses sous
mes doigts
sont froides au toucher.
Fred Johnston est un poète
irlandais
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Isabelle
Lévesque
A Claude Lévesque, 9 septembre
...
C'est l'heure sonnée du contre-jour,
c'est la seconde altérée disparue des vivants. Encore dans
l'ombre, entre silence et blanc.
Réveil et nous croyons vivant celui
qui dans la terre compte les morts.
*
Faussaires. Images comme.
Tu étais, tu fus, sur le film encore
tu recules.
Je veux l'ombre pour exister plus.
Père. Passé. Bobine déroulée,
évidée. Manque la vie, le fil. Nous liait.
Ce qui battait - pas, le coeur.
*
...
L'hiver appelle l'encre déliée
des phrases emportées. L'été coule d'encre vive dans
les vers, le gris n'est pas. Seul le noir.
*
...
As-tu parcouru le jour couvert ou bleu, as-tu
pour trouver un socle soulevé la terre de tes cendres, es-tu resté
où tu étais? Quel chemin discontinu as-tu tracé?
- l'encre blesse la page où tu saignais.
Noir. Serment de signes. Hiéroglyphes,
hypothèse du silence posée près de la pierre où
j'ai tracé
un titre.
...
D'autres extraits de cette auteure sont
ici
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Béatrice
Machet
Bal kanique
C'est drôle comme aujourd'hui dans le
corps
c'est bal kanique
un rythme aboyé
des sursauts des froids dans le dos des chauds
les retrouvailles et les séparations
les spéculations les inter-prétations
sans gages
les rencontres les raconte
ça remue les méninges ça
fait le ménage
sous le crâne et derrière les
yeux
fallait oser
...
... la poésie rythme le monde où
les bruits travaillent
...
c'est drôle comme aujourd'hui dans le
coeur
la langue lèche ce que la marée
basse découvre
où le sel dans le sang de ses cristaux
diamantaires
puzzle tessons fragiles c'est bal-kanique
c'est can-idée du rationnel au relationnel
volonté réalise son aurore boréale
chien de traîneau rythme glissé
feux d'artifices jusqu'au tomber du jour balsamique
humeur baltique
détail balzanique chien blanc
...
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Lydia
Padellec
La maison aux racines bleues
Le soir, la maison paraît plus vaste
de son silence. Plus vide aussi. Les ombres jouent à cache-cache
dans ses recoins. Des rires lointains se font entendre. Un écho
dans la lumière. La petite fille est morte en même temps que
la mésange. Découverte au bas de l'escalier. Les plumes déchirées.
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Jeanpyer
Poëls
Sang
Un après-midi dans l'infini
et tous les oiseaux s'étoufferont
sauf une fauvette et celles tout
à leur amour de libre trois
fois
quand l'air maltraitera trop le temps
à l'abri jusque dans la poitrine
d'un poète sous le sang du coeur
étonné qu'il soit un hoche-queue
un hoche-queue et une fauvette
pour un même de les échanger
s'enchantent à jamais en un seul
qui bat les petites marées rouges
avant que des phrases s'ébrouent
en en sortant comme leur silence
plus concerto que mots à l'affût.
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Serge
Ritman
C'est pour nous perdre que les arbres s'approchent
les uns des autres.
...
(La forêt)
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Saïthong
Mort
Ce que nous avons vu hier n'est pas ce que
nous voyons aujourd'hui
Ce n'est plus exactement semblable, mais déjà
différent
Tous vivants, toutes choses, tout ce qui existe,
Portent en eux-mêmes leur propre décomposition
et extinction.
Remplis d'illusion, nous prenons l'apparence
pour la réalité
Et nous pensons que la mort n'arrive qu'une
seule fois.
En fait la mort de tout ce qui existe
Ne cesse de survenir à chaque instant.
Saïtong est thaïlandaise
Le Mausolée du Voyageur
"L'homme garde toujours la trace
"d'avoir voulu changer de place"
disais-tu mais elle s'efface
ici C'est le dernier palace
promis à chaque voyageur
Ce destin qui nous rend songeurs
et qui nous fait courir rageurs
autour du globe et dans l'espace
doit s'accomplir C'est le malheur
d'être mortel et c'est la peur
qui ne nous rendra pas meilleurs
mais nous tenaille et nous pourchasse
Et toi passant que ces mots lassent
toujours pressé tu ne dépasses
jamais quelque effort que tu fasses
ton ombre et c'est ce qui t'agace
Rainer Maria Rilke cité par Béatrix Balteg
Pomme
ronde...
.
Pomme ronde, poire banane
et groseille... Tout cela parle
de vie, de mort, dans la bouche. Je sens...
Lisez plutôt sur le visage de l'enfant
Lorsqu'il mord dans ces fruits. Oui, ceci
vient de loin.
Sentez-vous l'ineffable dans votre bouche?
Là où étaient des
mots coulent des découvertes,
comme affranchies soudain de la pulpe du
fruit.
Osez dire ce que vous nommez pomme.
Cette douceur qui d'abord se concentre,
puis, tandis qu'on l'éprouve, doucement
érigée,
se fait clarté, lumière, transparence.
Son sens est double: terre et soleil.
Expérience, toucher: ô joie
immense!
Extrait de "Les sonnets à
Orphée - 1922"
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Lorand
Gaspar
Comme un grand vent qui invente les bronches
dans l'espace
qui connaît les pores secrètes
du vide et du diamant.
Étendues.
Rayonnement sans vagues, sans plis,
pris de quel amour un premier faisceau se
laisse-t-il
convaincre de convergence?
Et d'autres, toujours plus intenses, offrant
leurs
branches de plus en plus denses. Nous voici
au
seuil d'une plus grande respiration. D'un
souffle
ample, plus ample que jamais les terreurs
n'avaient
en nous creusé, nous sommes prêts
à épouser les
courbures mouvantes.
Prêts à ne jamais plus nous arrêter.
Extrait de "Gisements"
Un autre extrait de cet auteur est ici
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Yekta
La
bibliothèque des pluies (extrait)
...
il pleut dans ma poitrine mes entrailles sont limaille d'ivoire et compost de sang je fume par toutes les fissures de mon coeur cette motte de terre meuble ce poing de boue cogne comme tambour dans la soute du bateau qui sombre j'ai des noix de beurre rouge à la place des pouces mes mains fondent sur les feuilles du livre et bientôt je serai bouts d'ongles nervures bleutées dans l'herbier des corps perdus je suis la bouche abrupte d'un ravin et dans chaque goutte il y a le double de cette bouche et de ces dents qui claquent dans le vide comme j'ai laissé les vagues peindre la mer sur mon visage je laisse le vent me parfaire jusqu'à la poussière ce soir je le laisse m'entraîner dans le lit trouble du miroir où se noie mon reflet ... |
Où est la trace
du regard
sur le nuage?
Quel signe
laissons-nous
d'un regard
sur la lune?
Et quand nous regardons
les nuages et la lune
qui
hors de l'univers
nous voit?
Extrait de "Petite suite des
choses" - 2009
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Beatrix
Balteg
Dans l'allée de la mémoire
seul le compas fait office de jambes
le décimètre avare scrute la
page blanche
Passé le cap des vicissitudes
un temps arrondi, s'accoude au balcon
A quelle patère accrocher tes désirs
pour qu'ils gonflent tels des algues
que la mer cajole à mi-voix
Il est toujours l'heure des adieux
Mais le présent têtu parle plus
haut
et la pulpe des jours
enchante et vivifie l'instant
D'autres textes de Beatrix Balteg sont ici
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Jules
Mougin cité par Fernand Leréec
J'ai rencontré ce matin
trois petites pierres
Toutes les trois étaient orphelines
L'une était verte
et l'autre rouge
La dernière était sale:
- je suis l'espoir que l'on piétine
- je suis la paix que l'on méprise
- et moi dit la troisième, je suis l'indifférence
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Florence
Whitty citée par Françoise Coty
Nos bras n'éclairent plus que l'ombre des fontaines
Un autre extrait de Florence Whitty est ici
des pierres dressées
sur les dormeurs
sans visage
une allée
de platanes
au bout
du glacis
une rose
sans nom
dépose
pour la flamme
et le charbon
confiés
à l'ultime
brin
qui témoignera
contre le marbre
muet
René Welter est un poète luxembourgeois
Un autre texte de cet auteur est ici
D'autres poèmes de cet auteur sont ici
et ici
ou encore ici
Gérer
l'instant
.
Tout laisse supposer
Qu'entre l'immuable et l'empressement de l'événement
S'est installée cette incapacité
à gérer le monde
Croire que l'amour s'accommode de la durée
S'accrocher en vain et sans cesse à
ce vieux rêve d'homme
Qui fait croire que chaque jour on sera meilleur
à observer
Ce que la vie a enfin réussir à
faire de nous
Un
poème comme bonheur
.
J'écris un poème
Avec le parfum d'une fleur
J'écris un poème
Avec mon regard
Demain en lisant le poème
Vous sentirez l'odeur du bonheur
D'autres poèmes de cet auteur sont ici
et ici
Étranger, d'une autre
teneur, peut-être?
Ou trop proche
trop exactement
de la même
matière galactique?
Étranger, comme nous, un
peuple de l'être
non-reconnu
présent, non-visible
pareil
à une blessure secrète
de la matière?
Un peuple de passage:
de ce quelque chose qui nous crée
et que nous re-deviendrons.
Au coeur blessé, oui, blessé
de la condition humaine
et pourtant
au coeur ouvert
du rêve premier.
Où est l'être?
Dans un autre regard?
Au-delà du désir?
Au-devant de nos rêves?
Dans ce que nous appelons
nos différences?
Nul ne sait
Ailleurs et autrement:
dans ce non-lieu
dans ce non-savoir
il vit, en négatif à nos yeux
l'être.
Autre-que-nous:
dans un autre état de la matière
ou de la conscience
Étranger, non
d'une autre teneur
ou de la même
matière galactique.
Pareil
à une blessure secrète
du Divin?
je parcours ma propre distance.
S'échouer en soi
avant de chercher en l'autre
le rivage sans trace
puis
geste par geste
naître de son silence.
C'est peut-être
à l'avenir du monde
que songent les poissons.
Son épée flamboie
comme le sable qui s'embrase
tout d'un coup phosphore
Ce n'est pas de se pavaner
dans la majesté des lions
qu'il apprend la soumission à l'amour
Il s'accorde
en seigneur détenant la clef
cette tranquille captive
Il la libère
ébloui de sagesse
flamme qui se dégage du falot
trop étroit de ses pensées
D'autres textes de ce poète sont ici
Un autre texte de cet auteur est ici
les lointains redeviennent intimes
et nous allons vers eux
cette poudre ardente
fragile comme l'or des papillons
aiguë comme la constellation du Capricorne
infuse notre âme
déjà nous sommes égarés
privés de couchants
ivres de l'aveuglement sans tache
sauf la poitrine rouge de l'oiseau
qui tente un appel
par delà nos traces piétinées
D'autres textes de cet auteur sont ici
L'écoute
cytologique
.
Le plus souvent j'écoute mon corps
gémir
les cellules se disloquent - un arbre
pousse ses racines comme à travers
la terre
un arbre enfoui qui me déchire
que montera-t-il à son sommet
sur la cime de son feuillage encore absent
sous un soleil à ce jour invisible
ce sera moi d'une certaine façon
pourtant je ne sais pas
cachée en deçà du germe
je rêve
de l'embouchure future
de mes branche
et des oiseaux qui pourraient
s'y poser
Dana Shishmanian est d'origine
roumaine. Flammes Vives est ici
Le quand dira-t-on
vois l'hiver est passé
ils ont poussé au noir
elle était en eux
Mariam
ils espéraient
il leur aurait fallu
car elles sont
|
...
ça mijote dans l'humus ou dans une marmite en fonte. ça s'évapore ou ça se fait manger, tout cru comme tout cuit. ça dort... En fait, dans le dernier cas, ça dore! (Moi j'adore; mais, vous, vous êtes pas obligés d'aimer rigoler avec ça.) ... Le cimetière c'est la décharge où on met les hommes. ... Ils meurent tous les hommes. Ils se retrouvent un jour tous ensemble. ça me fait tout drôle quand j'y
pense:
|
dans le secret
au large des villes
qui les éteignent
Feu d'artifice
du mois d'août
pluie
d'étoiles
muettes
glissantes
s'évanouissant
dans un ultime
éclat
Surface profonde
s'ouvrant
en abîme
haut et bas confondus
pleine d'émoi
et pourtant
d'oubli de soi
II
En cet instant d'éveil et de naissance,
je t'ai rejoint, guetteur infatigable
et visiteur enfin réconcilié.
Nous voici réunis après le long
partage:
l'un prisonnier des tourbes maléfiques
où gisent embrassées de même
mort
le chasseur et le fauve;
l'autre tendu de toute sa pensée
vers le sommet de l'impossible tour.
Nous avons maintenant même coeur, même
visage
et le soleil enfant dans le berceau des branches
s'arrache rouge des ronciers.
Après la nuit des gueules carnivores,
des fuites et des râles,
il n'y a plus de peur.
Le sanglier qui, dans le noir, a labouré
le seuil
est retourné dans sa tanière.
Le hibou rassasié s'endort sur une
cime
et le renard s'est enroulé sur son
rêve de sang.
C'est l'heure du lilas, du lézard,
des tourterelles:
résurrection du coeur et du regard.
Alors on entre dans le jour
comme le cerf longtemps traqué s'avance
dans l'eau du fleuve
puis, souverain, un instant se retourne.
...
Et vous, miroirs, souvenez-vous du sable
du feu et de la main.
Dans vos enclos, nous ne voyons jamais
que l'envers du visage
et le reflet fugace des oiseaux.
L'ailleurs nous fuit,
le ténébreux,
où se marient les monstres et les songes.
Et comme le cristal égaré sous
la grêle
nos yeux parfois se fêlent et se brisent.
D'autres poèmes de cet auteur sont ici
des nuages se défont
des fleurs mates en plastique dansent
et entrelacent les bancs froids
nos mots sont anguleux
sertis dans l'illusion de nos manteaux
dans ce jour de cendres
qui vient battre à mes tempes
les nuages du soir filent
saignent la lune qui se vide
mes yeux brûlent d'un ciel qui se dérobe
la main qui cherche
ne sait plus écarter les doutes
Les
Orphelins
.
Ils ont tout perdu.
La couleur
de leurs cheveux,
leur vieil ami
le chien,
leurs parents.
Ils ont parfois des larmes
aux yeux
que personne
ne comprend.
Et pourtant,
c'est facile de savoir
pourquoi!
A cinquante-sept ans,
qui voudrait bien
les adopter?
_____________________________________
Pedro
Mairal
Une
pêche
.
Mordre l'été,
mordre le soleil entier
pour 1,80 le kilo.
Cette pêche, tout juste arrivée
à la maison
fut à peine rêve d'arbre caché
encouragée par l'engrais,
après fut fleur et fruit ver seulement
protégée des épidémies
et des gelées
par cinq pesticides,
grossie par des pluies et l'arrosage aux goutteurs
récoltée par Pablo Luis Ojeda
originaire du Rio Negro
lequel s'écroule sur un matelas de
mousse
chaque nuit, de tout son corps endolori.
Chargée dans un camion roulant sous
le ciel
cette pêche mûrit grâce
au voyage
puis elle arriva au marché,
passa à travers les mafias,
finit par se retrouver dans une chambre froide
qui lui fixa la couleur
et l'attarda pendant quatre mois
près de San Cristobal
jusqu'à ce que les Supermarchés
Disco l'achètent,
et l'emportent à l'annexe 14
rayon fruits libre-service
où je l'ai choisie, mise dans le sac,
fait peser
jetée dans le chariot
à côté du pain Fargo,
du poulet,
près du Skip Intelligent et du fromage,
je l'ai conduite jusqu'à la caisse,
où on lui a lu
son code-barres,
je l'ai payée et lui ai remis du nylon,
je l'ai acheminée à pied jusqu'à
chez moi
traversant l'avenue,
longeant l'hôpital,
parmi les aveugles, les clochards, les policiers,
je l'ai montée par l'ascenseur
et elle est arrivée jusqu'au plan de
travail sans dommages.
Alors je l'ai libérée des deux
sacs,
je l'ai lavée du pesticide sous l'eau,
le l'ai lavée de toute la fatigue du
camion, de la fumée,
de la nuit entre les mains de Pablo Luis Ojeda,
je lui ai enlevé l'étiquette
de la marque
et je l'ai mordue avec l'envie de la tuer,
je l'ai assassinée avec dents, mâchoires
et langue
et malgré la chimie, la distance morte,
malgré la longue chaîne d'intermédiaires
je me suis retrouvé là-bas,
au fond de son sommeil jaune
avec cette fleur première qui parfumait
le vent.
Pedro Mairal est un poète
argentin - Traduction de Julia Azaretto
Sa mère adorait l'habiller de vêtements neufs, mais Machrab donnait sa robe aux mendiants nus...
En pleurs, elle lui demanda un jour: "Mon fils, lumière de mes yeux, j'ai cousu pour toi avec amour les vêtements les plus beaux, pourquoi ne les portes-tu pas?"
Shah Machrab: "Mère, suis-je venu au monde habillé?"
Sa mère : "Non!"
Shah Machrab: "Donc je vivrai et mourrai nu!"
Je suis si rempli de lumière que je
ne peux prendre place dans le ciel,
Je n'ai place ni en son centre, ni sur le
trône de son huitième cercle, ni au paradis.
Mon ombre est lumière pour ceux sur
qui elle tombe,
Je suis le livre de l'Esprit-Saint; je n'ai
pas de place dans la langue.
Je suis le paradis et sa source, l'enfer et
sa flamme;
Je suis, en ce moment, le seul à n'avoir
pas de place dans un des huit cieux.
Venu parmi l'ombre humaine, j'ai cherché
la lumière du sens;
Je n'ai pas trouvé place dans l'espace
supérieur du paradis.
Vivant au temps de Noé, le déluge
ne m'a pas submergé...
Compagnon de route de Moïse, je n'ai
pu trouver place dans le Sinaï...
Ressuscitant des morts, j'ai marché
durant cinquante ans avec Jésus,
Mais je n'ai su trouver ma place en un point
quelconque du temps de Machrab.
Traduit de l'ouzbek par Hamid
Ismaïlov avec la collaboration de Jean-Pierre Balpe
Et dans ce silence béant
On dirait, tant le temps est lisse
Que c'est l'éternité qui
glisse
A travers l'ombre du néant.
Saint-Denys Garneau est un
poète québécois
___________________________________________
Lorand
Gaspar
La pensée peut-elle
de ces neiges en nous
peser le silence?
et la nuit écrire
avec des mots blancs?
Un autre texte de cet auteur est ici
Sur la carte le poncho, les empanadas,
ainsi que la musique
Et le mate bien chaud
N'étaient qu'une résonance d'une
vieille musique
Dans ce vaste chemin inconnu
...
Perdre pied dans l'abîme
d'un décalage horaire infini,
terrifiant et sans merci
...
Les appels téléphoniques nous
unissaient à l'abîme,
Nous, les existentialistes du Néant
...
L'exil est un serpent
Qui s'enroule à tes jambes,
Tu cherches
Le serpent, il n'est plus là,
Tu touches le serpent,
Il s'enroule à tes jambes,
C'est un piège
A lapin
Un cercle, un terrier.
Tu paraphrases Neruda comme on paraphrase la vie.
Tu publies des poèmes dans des revues
oubliées par le temps.
...
Ma valise
Ma valise connaît toutes les gares du
monde.
Je la nettoie, je l'astique.
Elle est en cuir, en cuir
de Patagonie.
Elle m'accompagne dans tous mes voyages.
Un jour nous étions tous les deux,
Face à une rue de Valparaiso.
Je la reconnais à sa forme, à
sa façon
De parcourir tous les chemins.
Elle aura bientôt une année de
plus.
De trop.
Je n'en sais rien.
Elle m'accompagne depuis toujours.
Elle porte mes chemises,
Un vieux parapluie rouge,
Un chapeau offert en 1960 par mon oncle Dario.
Elle porte mes crayons et mes carnets de poèmes.
Deux ou trois souvenirs sans importance: un
peigne
Et un foulard, et un vieux pyjama
Acheté un matin pluvieux au marché
de Prague.
Et l'étonnement du soir?
Aurait-il survécu s'il avait emporté
nos silences?
...
Père aussitôt. Démis,
tu tentais l'assaut
pour une étoile peut-être
ou l'anneau, ressassant poussière
et traces. Fourches laissant filer le jour.
Désagrège la nuit le ciel
où je compte les fragments
imperceptibles
des retrouvailles.
L'éternité de neige a fondu
sur le sable.
...
Nous eûmes pour le ciel
une vigueur altière.
...
...
La nuit livre sa sentence, nos campements
s'établissent loin des écarts.
Nous ne redoutons plus les rivages acérés.
Ta voix loin
des chemins
porte
la flamme
des hommes maîtres du feu.
...
Rendez-moi mes ailes... je promets de ne pas
les froisser
en frôlant la cime du langage
j'y cacherai la sagesse du condor
l'ambre de l'alouette et l'écume du
courlis.
Je me ferai discrète, fidèle
et familière;
les nuages m'oublieront,
les arbres rumineront des discours sévères
mais dénués de malice.
Rendez-moi mes ailes... non, je ne fuis pas,
les bagages sont ancrés au fond de
ma mémoire;
ma bouche de terre glaise n'oublie pas d'où
elle vient
et mes pieds de granit lesteront le voyage.
Permettez-moi seulement
de tutoyer l'armada des oiseaux,
d'apprendre le palper liquide de la brise,
de délester mes mots de l'humaine pesanteur.
Rendez-moi mes ailes... je promets de parfaire
la courbe du silence
avec mes mains en rappel et mon cœur pour
boussole.
Les rectrices de mes yeux
m'offriront des idées neuves, à
l'épreuve du pire;
mon corps dévié de sa ligne
primaire
calmera les versants affamés des plus
hautes montagnes.
Rendez-moi mes ailes... je les tricoterai sous
le pavot du cœur,
les remiserai comme trésor de guerre
pour réchauffer mon âme,
les soirs où le corps, harcelé
par la meute
des déluges et des peurs demande grâce...
à genoux.
Un autre extrait de Florence Whitty est ici
_____________________________________________
Amédée
Guillemot
Bornes perdues
Le temps s'est aboli à l'ombre du vieux
saule
le passé m'a laissé courir après
le vent
Je ne regrette rien - la route était
trop large
aujourd'hui je m'allège et mesure mes
pas
à l'aune d'un parcours qui oublie les
ornières
Les bornes sont semées - je ne les
compte plus
Mon avenir s'assoit aux carrefours des rêves
mon voyage sait bien qu'il regarde le ciel
et je trouve toujours une main près
de moi
pour m'assurer et rassurer ma soif de vivre
une halte d'espoir
Un autre extrait d'Amédée Guillemot
est ici
____________________________________________
Béatrix
Balteg
Je n'irai pas à Aden
les têtes sont coupées
mais sous le manteau du temps
la voyageuse à les ongles longs
et refait même voyage
L'arc-en-ciel en tous cieux
est arche de partance
Le moindre souffle de vent
montgolfière
Toute goutte d'eau
embarque le pas
Ce n'est pas rêve au bord des cils
mais voyage au long cours
sur mes cascades de l'âme.
D'autres poèmes de Béatrix Balteg
sont ici
___________________________________________
Serge
Bouvier
"Nous sommes toujours ailleurs...
nous ne sommes jamais chez nous,
toujours au-delà."
Montaigne
La salamandre ou l'éloge de la lenteur.
Elle était tapie et engourdie sous les
feuilles quand la froideur perdurait.
Avec le redoux, les démangeaisons la
taraudent.
Avec ou sans congénères, elle
s'embarque
Pour un puisard humide.
C'est son Grand-Canal.
Migration raisonnée, exploration calculée,
pauses interminables.
Elle réfléchit ou baguenaude,
Avec des gestes suspendus, ciselés.
Un art de vivre, un art de voyager.
Pivoines fiancées du feu
Des fleurs? Non pas mais des cascades
Des éprises de cavalcades
Des fleurs? Non des boulets furieux
Pivoines jongleuses d'un dieu
De magnificence et de rage
Le contraire des roses sages
- Et nique aux astres vaniteux!
Si rouge que c'est une honte
Si ronde que c'est un défi
Pelotes d'amour et d'épis
- C'est le mai Les révoltes grondent...
Pivoines affamées de feu
Foudre au ciel jetée par la terre
Assaut du printemps qui espère
On dirait envahir le bleu
Filles d'un oiseau rengorgé
Et de brins de soies en lambeaux
Terriblement fleuries et trop
Exubérantes pour durer
Plus que peu de jours tête haute
Impératrices en jupons
Se sont sauvées pour un garçon
- Ma robe est rouge Qui me l'ôte?
Balafres faites aux jardins
Par une faux rouge démente
- Je suis fière d'être une amante
- Je suis fière de n'être rien
Qu'un peu de sang vivant et tendre
Femmes et fleurs sont alliées
Contre toute la cruauté
De tout ce qui veut nos coeurs fendre
Pivoines vives écorchures
Au feuillage mal réveillé
- Non vous n'avez pas mérité
De mourir ainsi moisissures
IX.
Dieu, vous!
Idiot hideux, idiome odieux, ta face
Vermifuge
O quelle grâce
Raye cette figure?
Tout puissant très haut tes traits
saints d'esprit
Énervent ma fougue qui se
X prime au prisme des
Tout puissant
Un regard sexe et mot
Encore des
Locales vocales
Le prisme des mots des sexes
En prime.
IX.
Tiède est la palmeraie de Gabès
au matin du troisième jour
Une calèche m'emporte parmi un vert
tendre et pâle.
Notre cheval est noir.
Imprévisible est le cocher enveloppé
d'une bure sombre puante.
Seuls les cabots dispersent l'odeur.
Il roule d'une troisième main le tabac
que je lui offre
Et qu'il apprécie fort. Ses mains calleuses
sont comme gantées d'une seconde peau.
Tremblement du végétal autour
de mes yeux.
Une course qui rappelle mon triste destin:
Ne pas fuir sans tourner le dos à Eurydice,
comment?
Installé sur le haut siège à
côté de mon passeur,
Sifflement dans les cheveux du vent.
Illusion que la végétation s'enfonce
sans fin
Et que la Bête sous le fouet ne peut
plus s'arrêter...
VIII.
Dehors tout vent va vers sa vitesse
Et flétris flagrante se fane la flegme
espèce
Solitude où j'avais rangé mes
crayons d'hiver
Avec foi s'inonde le rameau de lumière
Combien d'heures lui son exquises à
flatter le soleil
Rayonnant au troù noir encore au fond
de mes yeux
Oublier comme déraciné débranché
semble en orbite mon miroir affreux
Sur la sente des épices les arômes
s'accrochent aux pensées
Tout le pays joue de ce contact sans pareil
Ivresses du fruit qui se laisse arracher sans
véhémence
Cachons notre désarroi et laissons
parler la démence:
Hisse l'oriflamme du sang qu'il a fallu aux
vies versées
Épaule lorgne ce qui de l'amazone estomaque
la ruse
Signe d'une flèche sur l'insensible
cible et s'amuse!
I.
Je suis assis dans le siège N° 13,
les mâchoires du monstre sont mon destin.
J'écoute l'éclat de rire des
petits diables
qui révèlent des intentions
obscures
derrière la proposition de boire le
colostrum
de la vieille mapuche
qui a mis au jour un carton de vin.
Je suis dans le siège N° 13
et les mâchoires du monstre sont mon
destin.
II.
A se perdre
dans le désert d'Atacama
demandera-t-on de l'eau
ou du Coca Cola.
[En Survolant le Chili]
III.
Je parcours tes rues propres
où personne n’est aimable
et tous ont vu le serpent
qui entoure ton corps
sous les tunnels de ta peau.
[Du métro de Santiago]
IV.
J'ai marché hier dans la rue,
et tandis que je traversais devant un autobus,
des ailes m’ont poussé
et je me suis accroché au pare-choc
d'une patrouille policière
qui m'a jeté en l’air pour me faire
voler
et entre les nuages j'ai vu
Dieu à genoux,
qui priait.
J'ai alors compris combien le soleil brûle
et comment il endommage le nez d’un Boeing.
[De Providence, Santiago]
V
Nefertiti est une marque d'eau
qui me regarde
tandis que j'urine dans les toilettes
de l'hôtel Aconcagua.
[Dans les toilettes de l'Hôtel Aconcagua]
VI.
Je t'ai vu debout,
les jambes écartées
et les bras en l'air
comme un mannequin
publicitaire dans la vitrine
avec une affiche succincte :
"Soldes de femmes à l'intérieur".
[De "Passapoga" et ses filles]
VII.
Par Bellavista ils déambulent
bras dessus bras dessous
muses et esprits,
avec leurs barbes et leurs poitrines à
l'air,
abandonnant leur fétidité
dans les allées où Santiago
s’enivre et danse.
[Du quartier Bellavista]
VIII.
Arauco a perdu son chamal *
maintenant il porte une chemisette de chez
Simpsons
et nul ne trouve rien à redire.
[D'une foire d'artisanat à Santiago]
* Vêtement
indien du Chili
IX.
Malgré les sept couvertures,
le froid de la dernière pluie d'hiver
a congelé mon scrotum
à 3 heures du matin.
[De Rancagua au printemps]
X.
3 h 33 de l’après-midi
Gonzalo est déjà de retour dans
sa maison,
mes parents dorment embrassés,
et ma fille repose dans mes bras.
Vers 3 h 33 de l’après-midi
je me fie à l'étage qui nous
soutient,
à demain qui sera le dimanche 28 février
et à Violeta Parra qui chante dans
ma tête.
J'admets, vers 3 h 33 de l’après-midi,
qu'après ce pot,
je ne me souviendrai pas de grand’ chose.
A 3 h 34 de l’après-midi
et la vraie fête
commence à peine.
[Du tremblement de terre du 27/02/2010]
XI.
Quand je veux sortir à nouveau,
je prends une Sprite,
et je me sens
la dernière Marlboro de Mariona
*.
[Lors d’une nuit poétique au bar "le Vieux Rancagua"]
* Mariona
est le surnom de la Centrale pénitentiaire l'Espoir; une des prisons
les plus emblématiques du Salvador.
XII.
Je suis passé l'après-midi en
face de la municipalité
où se trouvent des gradins qui m'invitèrent
à m'asseoir
et où un chien s'approcha en quémandant
amour et nourriture
un chien que j'ai caressé
jusqu'à ce qu'il ait mordu ma main
et maintenant que j'écris
je ne me souviens plus
si j'ai caressé un chien
ou bien un indigent.
[De Machalí]
XIII.
Je suis fatigué de monter sur ton dos,
ange bossu;
mes pieds brûlent et
je veux les rafraîchir avec ta langue,
mais faire cela
serait un festin d'albatros.
[De Valparaiso en ses rues]
XIV.
Ma barbe croît,
en haut de la ligne,
comme King Kong.
[Après 9 jours de voyage]
XV.
J'ai hier soir rêvé de Kim Kardashian.
j'ai rêvé que je la voyais couchée
en rêvant
qu'elle était Delia
et quand j'ai ouvert le placard,
c’était un poster avec la face de ma
femme,
et pour miroir à son lit,
une photo de moi avec le rouge à lèvres
de sa bouche.
[Encore après 9 jours de voyage]
XVI.
Je me suis trouvé hier à Cristo,
de nuit,
dans un escalier près de l'Avenue Équateur
peignant un graffiti d'extraterrestre
tout en fumant une Lucky Strike.
[Des murs de Valparaiso]
XVII.
Il y a une horloge sur la plage
qui tient des comptes de la richesse des gens,
de la pauvreté des voisins,
des bateaux dans la baie,
des colombes grasses,
des touristes ignorants
et aussi,
parfois,
du temps.
[De Viña del Mar]
XVIII.
Au coeur de la ville,
près d'une artère,
j'ai trouvé les plus belles jambes
du lieu :
elles avaient 16 ans
mais un regard de 25.
[Des écolières de Viña del Mar]
XIX.
Je repose en Ton Nuage,
- je le fais en me cachant -
je regarde l'oeuvre de Sebastián
et je ne comprends pas Ta renommée.
[De Neruda et du Musée la Sebastiana]
XX.
Grâce à la faveur du vent
on parvient à entendre
le percuteur du fusil
qui tua ton chirigüe *,
même que j'ai voulu le prendre dans
mes mains
mais mes larmes l'ont effrayé.
[De Violeta Parra]
* Oiseau
chilien au dos olivâtre, aux ailes noires, à la gorge jaune,
au bec et aux pattes brunes.
XXI.
J'ai écouté le cri de ton âme
logé dans le fond de la fiole d'Escudo
et j'ai vu Luchín à côté
avec un cigare éteint
endormi sur son vomis
et sans le cheval qui le porte à la
maison.
[De Victor Jara]
XXII.
Notre Père qui es loin d’ici,
parfois je ne comprends pas pourquoi tu luttes
pour nous
si tant de fois nous t'avons donné
l’occasion de pleurer.
Ce serait mieux de t’en aller ailleurs,
là où il n'y a plus personne
comme nous
et où se trouverait un Andrés
pour t’écrire des odes
au lieu de ces lignes.
[En me prenant pour Nicanor Parra]
XXIII.
Dans le quotidien
est la poésie.
[De Claudio Bertoni]
XXIV.
À Néstor Vargas
J'ai parcouru les rues
sans personne pour capturer mes instants Kodak,
jusqu'à ce que face à O'Higgins
tu me dégages de moi-même
en me donnant
le porte-monnaie avec tes particularités
et autres souvenirs,
que je porte maintenant dans ma poche.
XXV.
En me souvenant de Delia
Avant de m'endormir j'ai pensé toi.
Je me suis imaginé la couleur de tes
sous-vêtements,
la forme de tes seins quand je les presse
et que tu fronces les sourcils
non de colère mais par plaisir
du plaisir que provoquent
les fourmis rouges sur ton corps
quand nous ne faisons qu’un
et qu'il n'y a pas d'eau qui nous sépare.
XXVI.
Je m'en retourne
à notre chaos quotidien
désirant un sourire sincère,
en voulant rincer toute pose
et en me tuant à enlever mon masque
avec des lingettes humides qui sentent le
bébé.
[4 novembre, 2010]
Andrés Norman Castro
Arévalo est un poète salvadorien. Son blog est ici
La baie s'ouvre
aux arpenteurs de mers,
aux architectes galactiques,
aux bâtisseurs des mondes…
Vigie des navettes spatiales,
j’ensemence le sol astral
de larves maritimes,
de boutons de rosée,
de voiles de verdures,
d’animaux multiples.
Un autre texte de cet auteur est ici et son site est ici
Salvatore Gucciardo est un
poète et peintre belge d'origine italienne
La table de nuit
Fatigué, fatigué,
le vieux prêtre cherchait le sommeil.
Près de lui, son pot de chambre
rêvait d'une table de nuit,...
une forme du paradis où se reposent
tous ceux qui reçoivent
le besoin des autres.
Le trou noir
J'ai gommé tant de mots de ce poème
qu'il dévore tous les mots qui l'entourent.
Va-t-il absorber la main qui le fait naître,
qui souhaite sa densité, mais rejette
sa pesanteur?
Va-t-il étouffer l'être de son
avenir
par amour de l'amour qu'il respire?
Deviendra-t-il obscur en se nourrissant de
lumière?
Les images qu'il enfouit dans son coeur
échangent avec l'infini
les échos flottants de l'humanité
contre ceux de la profondeurs.
_________________________________________________
A la recherche des
pas perdus
.
L'Harmattan
Au bord du vide
Dieu de mon enfance,
pourrais-je échanger un soupçon
de science
contre un peu de ton mystère?
Assis sur le bord du vide,
les pieds dans les particules
mais les yeux vers le ciel,
j'ai du mal à prier.
Tu colles à mon esprit,
mais ton absence est dans mon coeur
comme la nuit dans ses battements.
Un rire adolescent
...
Rimbaud prétendait que je est
un autre...
Je suis sûr cependant qu'ils
sont morts comme un seul homme.
Je pensais parfois: "Tu seras sur le bon
chemin quand tu commenceras à ressentir le silence de Dieu comme
un appel". Problème: le diable ne parle pas non plus. Les hommes
font un bruit d'enfer.
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
Le pas du général
En marchant au pas une - deux, voici qu'avance
la mort
au pas cadencé une - deux, au pas cadencé
une - deux
le pas que marquent les généraux
solennels.
Ils fouinent dans leurs cartes avec des règles
et des compas,
seigneurs de la guerre,
traqueurs de vies, de sang avides.
... les yeux démesurément
ouverts
et dans les yeux la brume,
un enfant silencieux…
Avec leurs batteries de médailles de
fer blanc étincelant
au pas cadencé une - deux, au pas cadencé
une - deux.
… dans les yeux de la peur,
un autre enfant écoute
l'horloge de sa faim.
Imposants, ils décident "la nation
va jusqu'ici ".
Ensuite ils se décorent au pas cadencé
une - deux,
au pas cadencé une - deux, au pas cadencé.
Si la trompette sonne
si le tambour convoque,
si le Général mande…
Le creux des poitrines vibre dans les harangues.
Les médailles de fer blanc resplendissent
rutilantes
ces médailles qu'ils gagnèrent
grâce à la mort.
… prenez le à contre-pied,
ce pas cadencé une - deux,
ce pas cadencé…
Car la mort si elle arrive, à son pas,
à son pas une - deux, à son
pas une - deux
la mort sera en avance.
Empruntez le pas deux - un
ce pas décalé deux - un,
ce pas décalé!
D'autre textes de cet auteur sont ici
Une page lui est dédiée
ici
et le site Portal de Poesia
est ici
I - Les seules patries
DANS LE RÊVE OISEAU, MENDIANT DE LA RÉALITÉ,
mes yeux ne doivent pas annoncer la terre
ni prendre la forme d'une épée
qui ferait de l'oubli un olivier.
Il ne me reste plus à mes yeux qu'à
perdre une bataille
et qu'en une lente flambée je ne puisse
qu'en faire
des boîtes à musique noyées
afin de voir
s'ils chantent comme des idiots
et que sur la clé de l'insomnie
je t'offre une frayeur.
LES SEULES PATRIES
Tu ne chantes pas qu'une étoile en a
fait des haillons,
ou qu'elle lui a menti; tu ne te donnes pas
ce mal, tu n'imites pas les mères
et pas davantage les pluies, mais que des
fausses peurs ou des lunes bavardes,
de la fin de la vie ou de ses échecs
le poète connaît son destin
ou que le poète sait - je veux dire
- que son destin
n'est rien. Car les chants respirent dans
l'anonymat,
et le vin leur arrive tardivement aussi leur
est-il est si difficile
de trouver les seules patries où clouer
le vers,
les seules patries où le vers soit
poisson,
rouge ou vivant, les seules patries, te dis-je,
de coeurs ou d'oubli, de coeurs mordus.
AU DOS DE LA LUMIÈRE
Au dos de la lumière je te le dirai
à nouveau.
Au dos de la lumière et jusqu'à
l'épuisement.
Visage inutile aveugle ou nocturne,
la pluie ne rappelle déjà plus
des souvenirs d'enfant,
petits oeillets pour de tièdes chairs
de rire,
lierres avec lune, cieux sans murailles.
Face aveugle et nocturne.
Dos, araignées, peurs infinies.
Au dos de la lumière je creuse des
trous.
SOUS LE CIEL
Sous le ciel on ne dessine rien,
dans le ciel on ne dessine rien: seulement
des mensonges qui anciennement
prirent forme d'âmes.
Oui. Oublie-toi jusqu'à la fin,
jusqu'à la fin sachant n'être
personne
et qu'à ton ultime amenuisement
il ne reste rien que la nuit la plus bâtarde
disposée à échanger des
anneaux
avec les rêves mal reprisés,
pour s'inventer des noms.
SOUVENIR
Lune à l'intérieur du puits,
solitude peuplée,
la peau, la glace, l'araignée blanche
et laborieuse.
Eh bien, je me souviens ayant fixé
des adieux,
que je fus passager de baisers et de menaces
bien avant que le balcon
n'ait annulé toutes les portes.
Lune, étang, amour, solitude peuplée.
Souvenir donc. Puisque je t'ai aimée.
Flamme, dague. (Et solitude peuplée).
SI VIEUX SI VIEUX
Squelettes d'oiseaux
maintenant les poèmes
prient derrière la nuit.
Mais tu pourrais refaire l'histoire.
Tu pourrais. (Lutins tombés
sans discrétion).
Je n'ai même plus d'enfance
pour te chérir ou feindre
de me survivre.
Si vieux si vieux,
je te donne six pignons.
D'AMOUR
Comme un soleil chu, comme une pluie manquée,
ainsi t'ai-je aimée,
et ainsi je te le redis: comme un soleil chu
et une pluie manquée,
avec nuage et ombre je t'ai aimée,
enfant de l'eau,
je t'ai aimée comme dans le destin
que la vie m'imposa
mieux je l'ai su. Et ainsi je t'ai aimée
comme si cela ne suffisait pas.
Et la nuit se fit voleuse, et meurtrière,
du peu de lumière qui parvenait à
pénétrer
ma misère. Je sais maintenant que les
tunnels
dans lesquels il est interdit au vivant de
respirer
jamais ne doivent se terminer.
DE L'ADIEU
Et pendant un moment je penserai que je voudrais
laisser mes os aux amis, je penserai cela,
un moment seulement, juste avant de me souvenir
fils de personne, solitude vaincue, ce que
je leur
abandonnerais, s'il me restait quelque chose,
si je me souvenais des adresses et des dates
d'anciens téléphones
je les leur laisserais comme une bouteille
d'alcool à moitié vide,
comme le petit testament
d'une solitude mordante
je les leur laisserais, pour qu'ils les mettent
à la tête de leur lit, à
l'intérieur du radiateur,
sous les ongles de leurs enfants papillons,
et je voudrais
que ce soit en mâchant dans les dimanches
de la vie
ou, mieux, qu'ils les jettent à l'eau,
qu'à l'eau
ils les jettent comme l'homme jette
la douceur des enfants morts.
JAMAIS
Plutôt que mentir le poète annonce
et temporise à la fois. Par des travestissements
de papier il retarde
l'arrivée du sang
mais les déguisements sont
semence de linceul:
l'adieu ne se conjugue pas
au futur. Et peut-être qu'un jour
ne fut pas ainsi l'azur ou le baiser, si quelqu'un
d'autre
qu'un fantôme décrépi
dans la mémoire mord.
Quelqu'un plus, ou un soleil croustillant
à l'intérieur un enfant. Il
n'en fut pas ainsi, cela n'a pas pu être.
Et délesté de souvenir,
mon territoire est dans jamais.
À PIED DE PAGE
Batailles, fantômes. Et fantômes,
batailles.
O les silences qui à l'ombre s'arrachent
des murs qui sont
des enfances noyées.
DANS LES MARGES DU PAPIER
Papier que la nuit fait apparaître,
papier avec de la lumière parfois,
papier ou feu ou plutôt
le salut triste
qui reste aux orphelins:
hôpital de l'oiseau que le silence guette
et où pendent les enfances aussi bien
que le reste,
hôpital innocent, visages que tu fus,
abandons de nom - amours, histoires, murailles,
lunes de fenêtres mortes, folies
minimes, dernier hôpital, papier et
feu,
hôpital sans fin, charité perdue.
Ou refuge triste,
papier ou personne, extinction de voix sèche,
vieux fou
qui perdit ton histoire, celui que tu es et
que le temps
t'a interdit d'être, poète et
martyr, hôpital,
papier, vieil hôpital, hôpital
d'ombres,
hôpital des innocents.
CE NE SONT PAS SEULEMENT DES VERS D'ÉPOQUE
Poète d'eau et de lumière Poète
d'eau et de lumière
le temps inexistant où les aurores
feignaient d'avoir forme de mère ou
d'aube
tu sais bien que tout cela est du passé
Un hiver leur a dérobé les doigts
L'espoir a été débité
en rondelles
des géants nains furent contents de
le manger
Poète d'eau et de lumière
Seule demeure l'ombre
Poète d'eau et de lumière
Si tu as une enfant
on te perdra dans la forêt
Eh bien n'aie pas d'enfants
ou dans un rire lugubre aie les par centaines.
TOILE
Après-midi, pluies qui épuisent
les campagnes,
ombres ou fausses biographies sans paix,
l'une après l'autre.
Après-midi
dans lesquels s'égoutte le jour défait
sur le champ mouillé de l'ombre hirsute.
Pluie que l'après-midi enferme,
exposition dépareillée de biographies
déjà sans merci, mots mal tracés.
Pluies, oui, après-midi, campagnes,
vies,
l'une après l'autre, se poursuivant.
Et déserts. Déserts sans rien,
seulement déserts sous la pluie, bien
sûr,
avec des champs, avec des après-midi.
Avec des après-midi.
Et des déserts. Surtout cela: des déserts
de mots sur des vies brisées mal arrosées,
mots, après-midi, champs au compas
de la pluie
oui, je le répéterais mille
fois, jusqu'à
ce qu'ils ne causent plus de dégât,
dans ce néant
comme une mer de lignes qui formera
la trame cachée de ton nom.
LES ENFANTS IDIOTS
Dans les aubes lisses comme des pierres blanches
et qui se sont endimanchées pour le
temps
des gris après-midi où il est
seulement permis que s'embrassent
des biscuits à thé et de petites
aïeules veuves
les enfants idiots se mettent à rire
et on les sait des idiots quand ils rient
et seulement rient, les enfants idiots.
Les enfants idiots que je suis rient,
on leur fait grâce ou non
mais ils ne peuvent pas faire autrement que
rire en pensant
aux gares froides et aux araignées
aveugles
avec lesquelles besogna un espoir inutile,
laborieusement. Ils rient à cause
de cela
et plus encore en te voyant ratatinée
et morte,
complètement idiots ils rient de te
voir ainsi,
fleur plus que pauvre et inexistante
dans son abandon de lèvres de sang.
Les enfants idiots rient, après t'avoir
tuée.
Mes enfants idiots, dans les aubes râpées
qui jamais ne furent blanches,
comme ils rient quand ils te cherchent
en battant des mains
pareils à de pauvres oiseaux
dans l'ombre,
comme ils sont enfants et idiots, dans les
aubes râpées,
dans ton vieux souvenir, quand ils te cherchent
et croient parfois t'atteindre
pour savoir à nouveau ensuite
que tu es toute petite et morte, qu'ils t'ont
assassinée,
avec le sentiment triste d'un échec,
dans le coin d'un amour
ou d'un oubli
un jour quelconque pendant lequel il ne pleuvait
même pas.
Parce qu'ils t'ont tuée sans repos,
une fois et encore,
avec les couteaux défaillants de leur
ombre
les enfants idiots rient quand tu es morte
et avec ton souvenir
de vie ils s'élèvent.
D'autres poèmes de cet auteur sont
ici
L'horloge
Pense à ceci: quand ils t'offrent une montre, ils te font cadeau d'un petit enfer fleuri, d'une chaîne de roses ; d'un cachot d'air libre.
Ils ne te donnent pas seulement la montre, en te souhaitant un heureux anniversaire et en espérant qu'elle durera longtemps puisqu'elle est de bon aloi, suisse avec des ancres de rubis.
Ils ne te donnent pas seulement ce petit pic-pierre qui s'attache au poignet et marche avec toi. Ils te donnent - sans le savoir et c'est ce qui est terrible - ils te donnent un nouveau morceau fragile et précaire de toi même, quelque chose qui est toi sans appartenir à ton corps, qu'il faut fixer à lui avec son bracelet comme un bras minuscule et désespéré qui se pend à ton poignet.
Ils te donnent la nécessité de remonter l'objet tous les jours, l'obligation de lui donner du nerf pour qu'il soit encore une horloge; ils te donnent l'obsession de vérifier l'heure exacte partout, dans les vitrines des bijouteries, dans les annonces de la radio ou le service de l'horloge parlante.
Ils te donnent la peur de la perdre, de te la faire voler ou bien encore qu'elle tombe au sol et se brise. Ils te donnent sa marque, et la sécurité qu'elle apporte parce qu'elle est la meilleure, ils te donnent cette propension à la comparer aux autres.
Ils ne te font pas présent d'une montre,
le cadeau, c'est toi; ils t'offrent pour l'anniversaire de la montre.
Instructions pour remonter la montre (ou le temps?)
Là au fonds, il y a la mort, mais n'ayez pas peur. Tenez la montre d'une main, prenez avec deux doigts le remontoir, et tournez-le doucement. Maintenant s'ouvre un autre laps de temps: les arbres déplient leurs feuilles, les bateaux courent des régates, le temps comme un éventail s'en va rempli de lui-même et l'air, les brises de la terre, l'ombre d'une femme, le parfum du pain, jaillissent de lui.
Que voulez-vous de plus, que vous faut-il d'autre? Attachez rapidement la montre à votre poignet, laissez-la battre en liberté, imitez-la, mimez son souffle précipité. La peur rouille les ancres, chaque chose qui était à portée de main et fut oubliée s'en va corrodant les veines de l'horloge, en gangrenant le sang froid de ses rubis. Et là dans le fonds, il y a la mort, si nous ne courons pas et n'arrivons pas à temps et si nous finissons par comprendre que tout cela n'a déjà plus d'importance.
Julio Cortazar (1914-1984)
était un écrivain argentin naturalisé français.
Traduction Jean Dif et Nadine Aubert
Le poème
peut venir sans ratures
ou s'écrire après maints essais. Quand on s'est résolu à le livrer à un lecteur de bonne foi, même si l'on ne souhaite pas qu'il soit autre, il est toujours inachevé, tant que ce dernier ne se l'est pas approprié, afin de le réinventer. JJD
Le goût des aphorismes
Le goût des définitions et des
étymons
La langue en contrebande
|
Son blog est ici
Un Notre Père
Oncle Sam qui êtes au Nord,
ensanglanté soit ton nom.
Nous ne voulons plus de ton règne
et nous ne ferons plus ta volonté
ni sur la terre, ni dans le ciel.
Dès aujourd'hui nous prendrons
notre pain de chaque jour,
ne voulant plus de tes miettes
nous ne pardonnerons pas tes offenses
ni celles des autres faux amis.
Et nous succomberons à la tentation
de te faire payer tes péchés
pour nous libérer du mal...
... Ainsi soit-il.
L'adresse
A une fille douce et jolie
au regard de glace coupante
j'ai demandé toujours galant
comment toucher son coeur de rose
"Tournez à droite par deux fois,
ensuite continuez tout droit
en arrivant à mon sourire
allez jusqu'au fond de la gauche.
Longez à les frôler mes hanches
et sans jamais vous arrêter,
rendez vous jusqu'au carrefour
là suivez le cours de mes veines
jusqu'à un pré couvert de fleurs.
Du pré faites deux fois le tour
ensuite empruntez la venelle,
vous y verrez un écriteau
qui vous guidera vers mes seins..."
Le policier du coin de rue
fut incapable de m'aider
si bien que je me suis perdu
au fond des yeux d'une autre fée.
Rodrigo Durand Campos est
un poète chilien qui vit en France.
J'ai pris la liberté
de traduire à ma façon ces deux poèmes bien qu'ils
soient publiés en espagnol et en français ayant préféré
lire l'ouvrage dans sa langue d'origine.
L'un sans dieu parmi des enfants, assis
dans un pré lumineux au coeur
d'un Centre de vacances,
l'autre,
le coeur d'un apôtre enseignant, élu
par ses douleurs pour compatir à d'autres.
Les deux disparus, nous allons
leur ressembler, et nous
de si peu de chair vive, irons
bientôt les embrasser dans nos dépouilles.
Ils furent exclus de leur corps
mais par morceaux,
lèvres violettes, prélevées
dans le dernier des derniers sangs.
Dans ces absences, même fraîches,
comment restaurer leur visage?
Et parler désormais n'est plus
qu'un infinitif sans présent,
mode à personne disparue,
seule issue, le silence.
D'autres poèmes de Marcel Migozzi sont
ici
Tout alentour aussi l'oreille nous dit le vent
Un chien dans le lointain aboie,
sans qu'à l'oeil se présente
un "lointain" quelconque
Tout alentour aussi l'oreille nous dit le
vent,
sa rumeur quand il effleure les ultimes feuilles
de l'année mourante,
vert jaune, des tilleuls au long de la route,
en deçà du quai de la petite
gare.
Nous sentons alors sa caresse, ici, sur notre
joue,
alors que file sur l'air un morceau de papier
blanc,
à toute allure, entre les troncs d'un
brun austère.
C'est que vient l'hiver. Le paysage à
l'oreille s'assourdit.
Les lointains, dans la nuée froide,
s'estompent, feutrés.
Le chien n'a cessé d'aboyer et nous
l'imaginons,
la truffe à l'affût, trépignant
sur ses quatre pattes,
et frétillant peut-être, l'oeil
implorant.
Dans le camaïeu gris de l'hiver,
l'imagination luit de ses feux mordorés
et dicte les vives couleurs de gouache sur
le cri noir
du devenir flétri, découragé,
aux aguets,
offert à la rédemption de nos
intimes enluminures.
Nulle vie égarée n'est superflue
Il souffle un vent très frais tandis
que le soleil
se faufile à travers les nuages qu'il
rend plus gris
de son éclat, plus sombres, plus courroucés
qu'en leur ordinaire,
quand l'astre se dérobe, se dissimule,
disparaît
loin derrière la frissonnante mélancolie
de la terre,
son ombre douceâtre, sa langueur indécise.
Notre déréliction consiste à
l'abandon de notre vigueur,
de cet élan vivant qui nous anime,
transcende le tragique
et ne se laisse pas aller aux facilités
du sacrifice.
Nulle vie égarée n'est superflue,
pas même
celle de l'humilié, du méprisé,
de la victime
puisque c'est au puits de notre être
que s'ouvre l'infini,
à connaître à reconnaître.
D'autres poèmes d'Anne Mounic sont ici
Lettre à Coquelicots
On a tenté de vous occire par pesticides interposés, baisers de pétales éparpillés sur les blés. C'est que vous n'êtes pas convenables, avec votre goût de pavot sur les lèvres. On a su dissoudre vos mutineries, dans ces plaines désormais tissées d'industries.
Si proches des braises, à la fois si pudiques et si rebelles, vos pétales sont héritage d'une liberté où rôde encore la dépouille des barricades. Oriflammes qui se cabrent et se mutinent, vous dites votre révolte avec des mots de soie.
Il fallait vous stériliser, vous broyer, vous biffer des très pures farines. Vous immoler dans les coursives de la productivité. Car vos dissidences n'ont plus place dans le tourbillon linéaire des moissonneuses. Illusions parmi les certitudes, mots de poètes jetés sur le miroir laitonné des récoltes, on vous dit parfaitement inutiles. Pourquoi des mots d'amour quand, aux foules, suffit l'or des blés? Pourquoi ne pas se résigner, quand nos plans quinquennaux si bien charroient l'utile?
Certes, on vous a rayés de la carte
comme on a stérilisé l'artiste. Mais en sous-pente demeurent
les gênes du Celte, l'imprudence de celui qui ne se résigne.
Malgré la léthargie du bien-pensant, la bourse de l'économiste,
les communes pensées des masses, voilà qu'un coquelicot et
puis cent, vous et vos frères, par millions renaissez sur la lèvre
des chemins, à la marge des haies vives, entre les pavés
si bien cloutés. Herbes folles, sangs qui perle dans l'indifférence
du siècle, gifle aux gardiens de l'uniformisation. Hic est enim:
et pourquoi pas, quand l'âme, malgré tout, suinte du corps?
Le passeur exilé
en des contrées inabordables
se penche
sur le premier grimoire
rebrousse chemin
vers le temps où l'homme était
habitacle du vide
avant de se vouloir
témoin du feu
veilleur de l'incréé
son regard météore
amnistie
les heures flibustières
droit
dans la nuit du poème
pour retenir la chute
J'ai grandi dans les linges de la neige
j'en ai gardé le goût du silence
de l'infini de l'absolu
j'ai cru
aux soudaines métamorphoses
qui émerveillent
au règne de la beauté
à la légèreté
aérienne de la vie
à sa profondeur aussi
Son silence était le gage
d'une vie profonde
Elle descendait du ciel
se confondre avec le rêve
avec l'oubli du temps
L'âme prenait de la hauteur
dans sa blancheur infinie
Elle était repos et respiration
J'ignorais alors sa lourdeur de pierre tombale
Aujourd'hui
je voudrais qu'il neige dans ma parole
D'autres textes d'Annie Briet sont ici
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Gilles
Lades
...
tu veux voir resurgir
de leurs brouillons perdus
ta parole défunte
comme l'onde ouvrière
devient dans le moulin
une nouvelle source
...
Les images ont un socle
de nuit. Si elles éclairent
c'est à la faveur d'une porte
qui s'ouvre
Entrez donc! On la reconnaît
entre toutes cette voix légère
comme le doigt de l'enfant
désignant ce qui l'étonne et
le ravit.
Avons-nous franchi le seuil,
ne nous sommes-nous pas
retournés pour partir?
Partir! Vieux déjà
ne répondant plus
qu'à l'appel des pierres.
D'autres textes de Gilles Lades sont ici
Oraison des chenilles
Nous nous aimions
au bois sacré des petits pauvres
dans les chemins creux de l'insomnie
dans les antiques cités saintes
dans les prairies de l'âme
Sous l'ombre sucrée des cèdres
tu buvais le lait de l'amande mystique
Frissons d'orange douce
amour de haute lisse
Le saut d'un puceron faisait trembler
un arbre à Trébizonde
Ton sourire ébranlait une étoile
naine
aux confins du cosmos
D'autres poèmes de Francesca Y. Caroutch sont ici, ici et ici. Et son site est ici.
Les chèques de travers
Les chèques qui se déchirent
en travers diagonal
c'est vraiment infernal
mais aussi très fréquent
ils seraient les cousins
d'après ce que l'on dit
de ceux où lieu et ordre
se trouvent inversés
au moment de signer
le dernier du carnet
Les grilles dans l'ombre affûtent leurs
griffes
Sentiment d'inachevé
de déchirure sans nom
comme un arbre invisible se mettrait debout
Les bateaux courent autour des maisons
Se maintenir à cette hauteur de vivre.
Lassée de chercher estuaires et deltas
de ne pas être allée au bout
de moi-même
de ce livre qui n'a pas été
écrit
Sommes-nous en mesure de durer
l'âme au bord du vide
comme un écho sans réponse
Lors de mon tour de guet sous les étoiles
J'écoute le vent battre sur mes tempes.
...
Tu poursuis sous les étoiles la sagesse
des ornières
La pluie use la pierre qui devient sable
On bute dans l'air
Qui sait ce qu'il demeurera d'un oiseau enfui
La journée s'éternise sur ton
visage
Ciel improbable et vrai
Il est tard sur ta peau d'homme
pour moi l'inassouvie.
Le mur blanc raconte l'histoire de la nuit lorsque le noir l'entoure et se plaint. Lorsque passe furtif le chat au long poil et la main du voleur. Il n'y a pas d'écho ici mais soudain irrémédiable la blancheur de la cécité. On promène inlassablement le soupir de l'inachevé. On fait goûter à la fontaine le temps de 1'improbable et l'on mélange les pelages, les rendez-vous et les cargaisons des pêches hauturières. Le mur blanc s'anime alors comme une poitrine et c'est à ravir qu'il finit par conter son histoire.
*
J'ai rencontré une biche dans le bois
de Sainte-Hermine. Je l'ai surprise elle m'attendait. Tout était
dans le regard et le frémissement de la peau. Nous étions
les ancêtres de nous-mêmes. Nous étions notre vérité
et notre symbole. Les mots ne suffisaient plus. Je connus tout de sa vie
mieux que dans les rencontres humaines. Une feuille a glissé sur
son échine. Une
brindille a craqué. Un simple saut
l'a enlevée définitivement.
D'autres textes de Michel Cosem sont ici,
ici et ici.
Devant ces géants immobiles que sont
les grands
rochers, nous nous taisons et nous avons plusieurs
façons d'y croire.
Un jour les roches reprendront leurs trajectoires.
Car les
montagnes ne sont pas des avalanches immobiles.
Les
roches se meuvent. C'est d'ailleurs assez
émouvant
d'assister pour la première fois à
ce spectacle. Venez au
coeur des Alpes, la nuit au clair de lune.
C'est d'abord
leurs arêtes aiguisées qui vibrent
dans l'air frais. Surtout
ne bougez pas. Vous verrez alors des masses
imposantes
de roc frissonner, s'étirer comme le
dos d'une bête qui
s'éveille. Si vous n'avez pas fui,
vous les verrez ramper en
tous sens (elles peuvent remonter des pentes
abruptes),
se frotter tendrement les unes aux autres.
Avec
beaucoup de chance, vous assisterez peut-être
à la
naissance de petites pierres.
Au matin, l'examen des stries peut indiquer
dans quel
sens s'est déplacée la roche.
D'autres textes de cet auteur sont ici
Une voix
Au souvenir de Jean Rousselot
Une voix que la radio extrait du silence et du temps. Celui à qui elle appartient a disparu. On a peine à imaginer que la mort a radié la vie en ces instants et que cette voix est à jamais déracinée de son corps. En elle on surprend parfois la marque des années, mais on ne parvient pas à admettre qu'elle flotte ainsi, ne survivant que par elle-même.
Comment accepter qu'elle constitue l'unique témoignage d'une présence fragmentaire, "une voix sans personne", qui répétera les mêmes paroles tournoyant dans l'espace, dernière épreuve qui s'acharne à résister à l'oubli, l'absence, trace seulement audible? Voix d'outre-tombe pourrait-on dire.
D'autres textes de ce poète sont ici
On n'attend plus rien de la nuit
Tous les puits sont à bout de corde
L'absence nous avait prévenus
La terrible absence au soleil
Les morts gonflent la termitière
Sous les arbres
Heureux sans nous
Vienne l'ultime retrait
Où s'éteindre ne signifie
Qu'être confondu de lumière
Avec la boue
La mort n'est pas cette masse grise
Sur le pavé et la paille
Dans l'odeur chaude qui monte
Araigne posée sur l'oeil
Souffle arraché aux naseaux
Mais cette flèche dans la vitre
Interdite
La criarde visite de la lime
Qu'un rayon glisse
Entre les barreaux
Majestat antiqua
"Car dans la tombe, il avait
laissé le moi qui lutte, qui s'affaire et qui s'affûte."
D. H. Lawrence, L'Homme qui était
mort.
.
Saint Pons en Mauchiens
26 décembre 2008
|
Au souffle des derniers récits,
l'incendie haletant qui rêve,
la main secouant les verrous.
Un escalier mène aux portes murées.
Une pupille observe
à travers des verrières.
Lueurs d'astres où tintent
les enclumes gelées.
Parler est le choc du lointain,
le retour hébété
de régions lacunaires.
Une femme s'évanouit
sans éclairage.
Devant elle la nuit,
les yeux purs qui
tairont.
...
Une poussière traverse
des tamis.
...
Échines bossues de la neige
sous la varlope des traîneaux.
...
Mémoire dans
ses puits d'éther.
...
Les armoires sont pleines d'ombres,
de vêtements qui ne réchauffent
plus.
...
Et à l'entour, comme un bruit
de pieds nus sur les sommets
Remous de branches assourdis
à la cime des souvenirs.
...
Le sang remue les sourds
métaux de l'insomnie.
...
Dans le soir, cet éclair avant
de perdre connaissance.
...
Une goutte d'encre est une fontaine masquée.
...
Tous ce qui meurt s'accomplit,
tout ce qui troue dévoile.
...
chevauchant
vers ce qu'il n'aura jamais vu,
ce qui, d'avant qu'il naisse
n'a cessé de le voir.
...
la lumière qui est
l'opaque en expansion.
Adieu à Voronca
Avaient-ils vu ta déchirure?
En tous cas, nul n'en dit rien
Et il n'y eut guère pour te plaindre
Que le paysage bousculé par le printemps.
Lui non plus n'avait pas le temps...
...
Tu as bu jusqu'à la lie
Le couchant brouillé des ornières.
Tu ne t'es relevé qu'à l'aube
Sur tes mains de suie, tes genoux de pierre;
La terre avait sué du fiel pendant
la nuit.
...
Hélas nul ne t'a vu rôder sous
les arches aux pieds boueux
Où le vin noir qu'on échange
a le goût des sommeils d'autrefois;
...
Nous pardonneras-tu d'avoir joué
nos propres drames qui n'étaient que des bagarres,
D'avoir suivi des mollets de joie sur les
trottoirs, et fait l'amour,
...
En rentrant, j'ai cherché ton nom
dans le journal;
Je ne l'ai trouvé qu'avec peine,
imprimé en tout petit:
La mort d'un poète est un accident
si banal!
...
Et si tu viens à rencontrer ce Dieu
qui n'aguère t'accorda
Une interview, dis-lui, veux-tu
Que nous ne sommes mauvais que par habitude
Et que nous péchons sans joie.
...
Pour te faire un peu de fraîcheur:
Tu ne seras pas seul...
Il y a tous ces morts, qui ne sont plus qu'oreille
Autour de toi; tu pourras leur parler si tu
t'éveilles
De ce monde fourbu dont ils ont souvenir
Et nostalgie - ô douce-amère!
Et dont il n'est rien, torrents et larmes,
hommes et pierres,
Que tu n'aies su nommer et contenir...
Ainsi, ô mort d'amour!
Dans le silence, dans les ténèbres,
Ferons-nous chanter la haute marée
fraternelle de ta voix,
Les jours de grande soif...
D'autres poèmes de Jean Rousselot sont
ici et ici
_________________________________________________
Ilarie
Voronca (1903-1946)
Sur le poème et l'anthologie
Un poème ne doit pas être constitué
seulement de mots mais aussi de vide
A l'heure incertaine
...
Dans les granges où tombent les draperies
lourdes des moissons,
Où l'archet de la solitude fume comme
une assiette de soupe
Ou dans la capitale où vibrent les
armes de la faim,
Parmi les racines dans le marbre et la chair
en lacées,
Sous l'orage, d'une branche à l'autre
défait,
Le matin prenant sa place tel le sucre dans
le légume
Et toutes les allées qui s'abîment
en moi dans un doux bruit de cendre,
Seul, seul
Je plane au-dessus des quartiers pauvres.
Le pied des fontaines touche le ciel enfermé
dans la terre;
Je suis seul dans l'étain où
ressuscitent les cohortes invisibles,
Mon ombre échelle de soie au balcon
des autres hommes,
Mais j'ai vu que derrière leurs fenêtres
se cachaient massacres et défaites.
Hémorragie, ascension
Près de vos armes, hommes inflexibles
Près de vos aigles dressés à
déchirer les poumons
Des porteurs de flammes, voici mon ombre entre
les montagnes inclinées
Attentivement vers la ville prise dans les
menottes du pain.
Sachez que si vous me fouillez jusqu'aux entrailles
Ainsi qu'on ferait d'un violon, afin d'y trouver
le chant,
Ou d'un miroir pour en arracher les images
Jamais vous ne toucherez la vision qui demeure
en moi.
Parmi le matin qui s'ouvre une artère
Avec la brume tombée au fond des éprouvettes,
Avec l'âme qui, dans la chair comme
dans une camisole de force,
Se tord, s'écorche et voudrait se délivrer.
Et vous qui mordez la neige et vous mordez
entre vous
Comme des chiens au traîneau montant
vers quel orage,
Bourreaux ou frères, me voilà
je marche parmi vous
Et je ne sais ce que vous enfoncez dans mon
épaule: poignard ou aile.
La joie est pour l'homme
Plus pur en ma demeure qu'en sa neige un nuage,
...
Comme une mer qui se déploie dans un
golfe amoureuse d'elle-même.
...
Ô ! Femme
Ô ! Femme avec ton corps fait de pain
et de sel
Tu m'accueilles et ma main tremble en touchant
ta main
C'est ainsi que sous l'eau tremble la main
du pêcheur de perles.
O! J'ai été longtemps comme
un voyageur égaré
Et soudain ton visage
Me fut comme la lumière d'une fenêtre
C'est ainsi qu'une voix afflue vers l'oreille
qui l'écoute,
C'est ainsi que les rayons du soleil épars
dans l'air
Se réunissent sous l'attraction d'une
loupe
Et redeviennent chaleur brûlante,
Feu,
...
Près des arbres tranquilles j'attendais
l'arrivée
De l'oiseau mystérieux qui dépose
les oeufs d'où naît l'aurore,
J'ai guetté sur les rochers la chèvre
noire,
Qui sait trouver sur les rochers les débris
du soleil
...
L'étrange
fleur
L'agave, dit-on, fleurit tous les cent ans
Notre floraison à nous c'est la mort
Il faut se pencher avec amour, avec soin
Sur cette fleur pâle de notre corps.
Chacun de nous est un jardinier et la plante
Qu'il doit préserver jour et nuit
Avec son parfum de tilleul et de menthe
C'est sa propre mort qui en est le fruit.
...
Perdu entre des millions d'hommes
...
Il y en a qui demandent des sacrifices aux
foules
"Que chacun, disent-ils, fasse son devoir
Et qu'il se contente d'un salaire minime"
Ceux-là on les nomme bâtisseurs
d'avenir.
...
Des textes de Christophe Dauphin sont ici
Et la rose s'incline et le merle se tait: seule marche la colombe issue de sa falaise, sur le fleuve tranquille de toutes les eaux lustrales.
Et le cri silencieux de sa voix qui proclame la beauté de l'instant: tout se trouve suspendu au vol de la colombe.
Puisqu'elle est là.
Quand elle tourne sans fin sur ma tête inclinée, mes mains dégouttent de myrrhe; mon coeur déborde de nard, mon corps s'inonde d'encens vers l'azur tour ouvert -
ma chair a tressailli, l'âme exulte de joie, et dans la joie de son vol circulaire à mon corps, je sais bien que je suis le Temple du mystère.
D'autres textes de Michel Cazenave sont ici
Cellulose
T'attendre. Attendre. Tendre. A la tombée
du jour. L'immobilité d'un arbre pour se glisser dans les ombres
qui bougent sous lui.
Étendre sur toi quelque chose de très
léger. Qui te rend presque immatériel. Qui souffle. Tue es
bleu, entouré de cellulose.
Tandis que, égrené - qui? quoi?
- prend forme sous terre, à l'abri des regards. Les mains, les bouches
n'ont pas cessé.
Des fonctions, des douves, où passer.
Les pas, les traces, les fleurs arrachées, au-dessus. Une imperceptible
chaleur. La fumée des vallons. Labours, rangs de vigne convergeant
vers la haie toute proche. Que le jardin est net.
Le monde se rétracte. Il est blanc.
La serre est vide. Il n'y a que des narcisses, des lis narcisses, de courtes
grappes odorantes de citronnier.
Des corbeaux traversent en croassant. Quatre
ombres instantanées dans la fable. Plus la ligne parfaite d'un avion
qui a disparu juste après la corniche. Plus le pin. A ses branches,
des points, des écailles, ce qui brille encore. Comme si chargé
d'eau par la lumière avant quelle ne bascule.
L'ombre légère des cistes sur
la roche remue à peine. Le coeur est pris dans l'épaisseur
des vêtements. Coller l'oreille sur ce qui est léger, léger,
gris.
Un peu lointaine, la voix. Sans battement.
Sans fleur.
D'autres textes de Chantal Danjou sont ici
...
J'aurais beaucoup à dire
Ce qui remonte de la nuit
Ce que le jour te jette à la figure,
les traînées rouges du ciel entre
les branches
Et toi, n'osant bouger pour ne pas déranger
cette splendeur fugace
J'ai quelquefois si mal de toutes ces ferveurs
Que faire de l'absence, qui grandit,
qui déploie ses ailes miroitantes
imprègne le langage
Je pourrais dire la fascination de l'inutile,
l'aimantation du vide
Je pourrais même dire le besoin de parler,
comme on crache,
comme on urine
et l'âpre nécessité de
se taire
parce que rien, jamais, n'aboutit,
rien n'atteint l'aube suffisante
...
Le vide englobe l'univers
s'installe au coeur,
écharde vive
Tant d'étoiles
et si peu de clarté
...
Si la mort est au bout du chemin,
qu'elle soit l'estuaire
où la rivière abandonne ses
boues
pour entrer, nue, dans l'océan
...
D'autres textes de Colette Gibelin sont ici
La pluie distrait le silence
du haut pays
l'orage gronde encore au loin
moi je rince mon coeur
dans les sources vives
avant de retourner
vers moi-même
sans jamais me trouver
Le jardin sous l'averse
est le seul poème
que la nuit déclame
pour elle seule
l'orage gronde au loin
et la pluie distrait le silence
de la chambre vide
en glissant sur la vitre
comme un mot sur la page.
...
Si le poème peint, la peinture parle...
Sous le masque l'être
sous l'être le gouffre...
Pesanteur et apesanteur: en nous, le lieu...
L'absence, paysage intime...
Créer des figures pour se dissimuler...
La parole du poète: respiration des gouffres...
D'autres fragments de Gérard Paris sont
ici
L'acharnement
du retour
A Ioan Tepelea
...
On revient de la mort,
Je le sais,
On revient pétrifié,
Comme les prisonniers de guerre,
Dispersés,
Dans l'infini de la Sibérie,
Reviennent
Et, dans leurs havresacs
Déchirés et râpés,
Les blessures,
Les décorations,
Les camarades
Tombés sur le champ de bataille.
On revient de la mort,
Je le sais,
Seulement pour frapper
Une fois de plus à sa porte
Un beau jour...
On revient de la mort,
Je le sais,
Seulement
Si la parole
Nous réclame...
Valeriu Stancu est un poète
roumain.
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Horia
Badescu
Tu
n'as plus rien
Pour Ioan Tepelea
Tu n'as plus rien pour toi;
ami;
rien que les vents de tous les horizons,
les pluies de tous les automnes
et la terre,
la terre qui garde encore
les traces de tes pas sans retour
et l'écho de ta voix dans nos âmes.
Tu n'as plus rien pour toi,
ami;
seul l'habit de tes paroles,
seuls tes mots
pour affronter
le silence entier
de l'au-delà.
Horia Badescu est un poète
roumain.
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Ioan
Tepelea (1949-2012)
Sous le regard du monde
Au seuil du millénaire les vers avancent
en colonne
notre seule chance de ne pas être défaits
par l'ennemi
est de les faire progresser pas à pas
de les parfumer de les éduquer au dedans
et au dehors
Vois Seigneur
comme ils rampent à l'assaut d'un roseau
pensant
lustrant leur glorieux uniformes
tels un contingent de nouvelles recrues...
Sous le regard du monde toute merveille
nous prend à témoin...
Illusions tenaces
Je regarde le film de mes illusions
J'invoque comme excuses toutes sortes de détails
toujours les mêmes
maladies eczémas champignons toujours
les mêmes
hôpitaux cliniques infirmeries
illusions tenaces
C'est le bon moment pour faire une crise de
nerfs
donner la parole à une femme hystérique
quelqu'un qui nous dessinera au tableau et
puis
qui effacera tout!
Sous le poids du réel
Tu as vieilli héritier de toi-même
au nom du père
Après la promenade rituelle sur la
colline
après l'eau restée dans la cruche
sur la margelle du puits. Après tout
ce qui coule s'écoule
Dans les regards demeure la poussière
d'étoiles
et l'obsession le silence déboussolés
l'ombre de l'arbre abattu sous le poids du
réel. Délaissé tu palpes
en roi-même
la mémoire du rêve. Tu te sens
t'extraire de ta vie
Traduction de Jean Poncet.
Ioan Tepelea était un poète roumain.
Neuvième station
Que tant d'oiseaux
Naissent du ventre fécond
Des arbres
Te réjouit
Car c'est ainsi qu'un souffle
Passe sur toi
Le temps
d'un essor de plumes
Vers un insaisissable azur
Ici le cerisier
En fleurs de tes paupières
Et là
Le hêtre rouge de ton désir
Chaque fois le ciel tombait
A nos genoux
Treizième station
De ma poitrine
Aux collines de tes seins
Un chant
appelle ses brebis
A brouter l'herbe sauvage
Et nous tremblons de n'en
Connaître que l'écho
Assourdi
Le ciel pose
Sa couronne d'épines sur
Le front de la nuit
Il n'y a plus dit-on
Qu'Orphée pour enchanter
Le dernier frisson
Mais chaque atome d'âme
En préserve la durée
Werner Lambersy est un poète belge d'expression française.
D'autres textes de cet auteur sont ici
Y a-t-il eu un océan sur Mars?
c'est le sujet de la table ronde aujourd'hui
question de l'origine des réseaux de
vallées
question de la dégradation des cratères
anciens
question des signatures minéralogiques
question de la permanence de la glaciation
question d'une possible bifurcation climatique
question de l'évolution du volcanisme
question de l'activité hydrothermale
question de l'efficacité des gaz à
effet de serre
question sur la question
question sur la question sur la question
controverse et absence de réponse
mon voisin de table ce soir explique
que les savants ne se résolvent jamais
à résoudre
que par nature ce qu'ils cherchent
n'est pas la réponse mais la question
Hotel Hyatt Regency - Lakeside A/B
Vincent
Muselli (1879-1956)
.
Fleurs
A Jean Paulhan
Sous la poussière d'or qui tombe des
tilleuls
L'air lucide flamboie ainsi qu'une verrière
Transparente où la souple et féline
lumière
Rôde autour des rosiers, des lys et
des glaïeuls.
Fleurs! songes enflammés de la Terre!
armoiries
Dont l'azur qui triomphe a marqué les
gazons,
Vos luxes tour à tour insultent les
prairies
Et sont une fourrure aux pieds de nos maisons.
Âmes de feu! esprits dangereux des Essences!
Que ne puis-je, vaincus par vos fauves puissances,
Dans la tranquille ardeur d'un grand midi
vermeil,
Au jardin reflétant la clarté
qui l'arrose
Et tissant mon linceul de soie et de soleil,
Mourir sous la caresse éclatante des
roses!
Léon-Gontran
Damas (1912-1978)
.
La
mort dont je rêve
La mort dont je rêve
la mort dont je rêve tant et tant
et qui rêve elle-même
tant et tant
d'elle-même
à partir du cauchemar
de mes rêves
est déjà mienne
aussi vrai qu'est tien
le droit de survivre à la mort
dont je rêve
tant
et
tant
Léon-Gontran Damas
est un poète guyanais de la négritude.
Une
femme
C'est joli une femme parce que ça
frémit
|
Marièva Sol: un peintre à Paris |
Hector
de Saint-Denys Garneau (1912-1943)
.
Les
cils des arbres
Les cils des arbres au bord de ce grand oeil
de la nuit
Des arbres cils au bord de ce grand oeil la
nuit
Les montagnes des grèves autour de
ce grand lac calme
le ciel la nuit
Nos chemins en repos maintenant dans leurs
creux
Nos champs en reposoir
avec à peine le frisson passager
dans l'herbe de la brise
Nos champs calmement déroulés
sur cette profondeur
brune chaude et fraîche de la terre
Et nos forêts ont déroulé
leurs cheveux
sur les pentes...
Hector de Saint-Denys Garneau était un poète québécois qui mourut inconnu avant de trouver le succès après sa mort.
Le sentier poétique du Québec
est ici
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La poésie
c'est ce qui continue à nous parler quand le poème s'est tu |
On cherche un mot pour éponger
la fonte des images
On fixe en guise de fanal
ce feu pâle au fond de l'espace
Fleur de brume pour les égarés
Un autre extrait de Jacqueline Saint-Jean est
ici
Nous comptions les journées en dragées
Les semaines en pilules
Les saisons en pansements stériles
L'alphabet déclinait ses médications
Aspirine camomille gentiane
Palfium papavérine et témesta
Tandis que les suppositoires
Comme de preux soldats
Rentraient dans leur docile sarcophage
Le père régnait par son silence
Tandis que la mort poussait son front
Sur les flacons frappés d'un cachet
rouge
L'enfant debout sur l'escabeau de bois
Rêvait d'un monde sans escarre
A la hauteur de ses divagations.
Un autre extrait de Béatrice Libert
est ici
Dans la très vieille
civilisation des cyprès
L'obscur
Est bien entretenu.
*
Dans l'enfance
Cette peur
Quand la nuit effaçait les limites du corps.
*
Personne au jardin seul
Le silence des fleurs
Veille
*
Conteneur du cimetière
Les fleurs jetées
Appartiennent à qui?
*
On trébuche sur des notes
Une page
Un dépotoir
*
Dans les blancs
Entre les mots se perdent
D'autres mots sans mot de passe
D'autres poèmes de Marcel Migozzi sont
ici
face à la maison, avant qu'ils aient
construit
les bâtiments somptueux
les bureaux aseptisés de la rue Belgrano
les magasins de friandises
il y avait un terrain vague
avec en son centre
un manège
nous allions avec Mauro Lesjtch,
à l'heure des siestes, nous amuser
à être des chevaux aveugles
et nous tournions autour
du puits sec
Mauro est maintenant un homme
il a gagné de l'argent, et a des fils,
demeurent en lui seulement
les yeux foncés
avec des cils de poupée
et moi je reste encore attachée
au rituel de ces après-midi
où nous tournions autour du puits
en jouant à la bête aveugle
maintenant
la soif est réelle
Elena Anníbali est
une poète argentine.