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ème jour (30 septembre - matin): Le Qasr Ibn Wardan (les
photos sont ici)
Le matin, après le petit déjeuner,
je prends quelques photos des environs: palmiers, fleurs, végétation
abondante et comme un parfum d'oasis. Nous prenons ensuite le chemin du
désert pour nous rendre au Qasr Ibn Wardan, situé à
une soixantaine de kilomètres au nord-est de Hama.
Il s'agit d'un poste militaire établit par l'empereur Justinien vers la fin de son règne, en 564, pour contenir les envahisseurs perses sassanides et aussi pour en imposer aux tribus arabes du désert. Il faisait partie d'une ligne défensive comportant aussi Resafa et Halabiyeh. Ce camp ne revêtait évidemment pas l'importance de ceux qui se trouvaient à proximité de l'Euphrate, où le danger était plus immédiat. Il n'en était pas pour autant dépourvu d'allure. Des anciennes casernes, qui se situaient au sud, pratiquement rien ne subsiste. Les ruines ont été recouvertes par le sable duquel n'émergent que deux sortes de petites tours. Mais deux importants bâtiments passablement ruinés: un palais et une église, donnent une idée de ce que devait être l'ensemble. Les bâtiments sont construits en brique et en basalte sombre avec des éléments de calcaire, pour les encadrements des portes, et du marbre pour les colonnes et leurs chapiteaux. Le basalte fut amené des régions volcaniques du nord et du sud; quant au marbre, il est supposé venir d'Apamée. Le style élégant, combinant heureusement les différents matériaux avec un grand souci des détails ornementaux, est directement inspiré de Constantinople et constitue un exemple unique en Syrie. Il se distingue nettement des constructions des villes mortes du massif calcaire au nord d'Alep que nous devons visiter demain. La couleur à dominante rougeâtre des deux bâtiments s'harmonise parfaitement avec celle du sable et se détache agréablement sur le bleu du ciel. Le palais est construit autour d'une cour carrée, selon un schéma voisin de celui des châteaux du désert, surtout Qasr al-Harrana, que j'ai visités voici deux ans en Jordanie. Il était probablement la résidence du gouverneur local ou le quartier général des chefs militaires byzantins. On pénètre à l'intérieur par une porte dont l'encadrement est orné de fines sculptures symboliques où la croix n'est pas oubliée; elle est même souvent répétée. Cette porte s'ouvre sur la façade sud qui est la mieux préservée de l'édifice. Suivent des salles voûtées surmontées d'un étage auquel on accède en empruntant un escalier intérieur. De cet étage, on peut voir le haut de l'église, à l'ouest du château, et la cour qui se trouve au nord des premières pièces traversées. Ces pièces comportent des détails architecturaux intéressants ou curieux dont il faut retenir l'heureux arrangement d'un enchaînement de voûtes parfaitement exécutées. La fonction des pièces est précisées par une pierre sculptée. Les deux ailes de la cour comportent un bain, qui se trouvait à l'est, et, au nord, des bâtiments plus bas qui abritaient les écuries; devant ces derniers batiments sont exposés des vestiges archéologiques. L'église est du même style que le palais et fut construite avec des matériaux identiques. De forme carrée, elle était couverte d'une vaste coupole dont il ne reste pas grand chose. Lors de sa construction, on en était encore à l'aube des dômes byzantins. L'intérieur de l'édifice comportait une nef centrale avec, de part et d'autre, deux allées séparées d'elle par des colonnades de marbre. Ces colonnades supportaient, sur trois cotés, des galeries réservées aux femmes. Le quatrième côté se terminait par une abside coiffée d'une coupole byzantine demi-circulaire. En grattant un peu le sable qui recouvre le
sol de la nef, on peut retrouver une partie de l'ancien dallage fait d'un
assemblage de cailloux de différentes formes et couleurs.
En revenant vers Hama, nous nous arrêtons dans un village où se dressent encore d'anciennes maisons d'adobe coniques qui me rappellent de loin les bories, chibottes et autres cazelles de chez nous. Un coup d'oeil jeté à l'intérieur de l'une d'elle permet de se faire une idée de la manière dont elle sont construites. On élève probablement des murs circulaires, faits de brique de terre crue, en resserrant progressivement le diamètre du cercle au fur et à mesure que l'on monte pour qu'à la fin il ne reste plus qu'à boucher le centre par la brique de faîte. Ensuite, la surface extérieure est crépie de boue afin d'être lissée. Le résultat ressemble à une grosse ruche peu confortable. A l'extérieur, un vieil extirpateur aux socles soudés et ressoudés a certainement beaucoup servi. L'endroit ne respire pas la richesse. Cependant, sur le bord de la route, se dresse une maison récente plus coquette où je remarque une fenêtre au grillage noir décoré de fleurs de lys dorées. 6 ème jour (30 septembre - matin- suite): Hama (les photos sont ici) Hama est la ville des norias séculaires
(pour situer Hama, voir une carte,
ici). Pour peu que l'on s'approche
de l'Oronte, on ne peut pas les manquer. Ce sont d'immenses roues dont
les godets sont intelligemment conçus pour puiser l'eau lorsqu'ils
sont en bas et la restituer lorsqu'ils arrivent en haut. Certaines norias
approvisionnent un aqueduc qui emmène le précieux liquide
là où on en a besoin, au loin du fleuve. L'Oronte n'est pas
très large et son eau verte ne semble pas très profonde.
Certains bras du fleuve sont à sec.
Les norias photographiées à souhait nous nous arrêtons à l'écart des voies principales, à l'ombre d'un arbre et devant un mur derrière lequel on aperçoit une noria au repos. Des enfants s'attroupent autour de nous, attirés par la curiosité. Notre accompagnatrice française les invitent poliment mais fermement à s'écarter. Elle veut nous entretenir de ce qui s'est passé à Hama et ne souhaite pas que cela tombe dans quelque oreille indiscrète. En 1982, du temps de Hafez el-Hassad, la population de Hama s'est soulevée contre les autorités. On dit qu'elle y fut entraînée par les Frères musulmans, mais notre accompagnatrice nous affirme que toute l'opposition s'était réunie pour manifester. Ce soulèvement a été durement réprimé; il y aurait eu des dizaines de milliers de morts; certains parlent de 30000, d'autres de 40000, qui peut savoir le nombre exact? On peut encore voir des traces de projectiles sur des murs de la ville. Nous nous rendons vers le palais Azem en suivant des rues étroites sur lesquelles s'ouvrent des fenêtres grillagées. Les nombreux passages couverts sont surmontés d'une belle voûte à arc légèrement brisé. Le palais, une ancienne résidence ottomane aujourd'hui convertie en musée, est construit autour d'une cour, selon un schéma courant dans la région. Un bassin octogonal occupe le milieu de la cour. Derrière lui s'ouvre une sorte de haute niche dont l'estrade est recouverte de coussins (un iwan). C'est un endroit sans doute frais en été où il doit faire bon converser entre hommes en fumant un narguilé. La fontaine est ombragée d'un arbre au tronc noueux qui n'est sans doute pas planté d'hier, ni même d'avant hier. Le haut des fenêtres de la façade, qui fait face à l'iwan, est ajouré de motifs décoratifs comme si l'on avait voulu transformer la pierre en dentelle. Sur la façade qui regarde l'entrée, un étage en bois fait saillie sur la cour, comme les maisons du Moyen Âge. A côté, s'étend une terrasse: c'est l'étage des femmes. Une niche est ornée d'un décor richement coloré qui me fait penser, en plus grand, aux miniatures persanes et aux contes des mille et une nuits. Une colonnade d'inspiration mauresque court le long de la face gauche de la terrasse, ménageant ainsi une sorte de promenoir couvert sur lequel s'ouvrent des portes artistement travaillées. Les colonnes et l'encadrement des portes utilisent au mieux les différentes couleurs des pierres pour former d'heureux motifs décoratifs. L'alternance de pierres sombres et de pierres claires me rappellent le style roman auvergnat de nos églises qui doit sans doute beaucoup aux influences orientales. Dans le mitan de la terrasse, se trouve l'inévitable bassin. Tout autour, les portes ouvertes donnent sur des pièces où sont reproduites, en cire, des scènes de la vie d'autrefois. Je remarque que tous les personnages sont sur un espace surélevé. Nous nous rendons ensuite dans une cour retirée
et gravissons un escalier pour atteindre un balcon couvert d'un toit rustique,
mais en bois rouge, soutenu par des colonnes. La cour est pavée
d'un beau décor de mosaïque; de petites fenêtres, au
sommet en arc brisé ouvragé, éclairent le balcon;
sous ces fenêtres, des niches, dont le haut sculpté adopte
la forme d'un bulbe, sont creusées dans les murs blancs. De belles
portes sculptées, en bois précieux, sont closes sur des pièces
où nous ne pénétrerons pas. Notre guide revient sur
la situation politique du Moyen Orient. Elle nous fait part des ennuis
qu'un de ses collègues a éprouvé en Iran. Je ne me
souviens plus très bien des détails de cette affaire que
je résumerai en disant qu'une imprudence le rendit suspect et que,
de suspect, il fut lestement converti en coupable; on lui reprocha mêmes
des fautes qu'il n'avait pas commises; il fut très difficile d'obtenir
sa libération et son retour en France. Donc, ni paroles ni gestes
inconsidérés en public quand on ne connaît pas les
personnes qui peuvent nous entendre, surtout dans des lieux sensibles.
A fortiori, on ne doit pas se mêler des querelles qui peuvent
opposer les gens du pays visité. C'est ma règle de conduite
chaque fois que je me rends à l'étranger et je m'en suis
jusqu'à présent toujours bien trouvé.
Nous regagnons ensuite notre bus. Le minaret et le dôme d'une mosquée pointent par dessus les toits. Nous nous engageons dans un long tunnel qui débouche sur un escalier en haut duquel un marchand ambulant vend des fruits secs. Quelques-uns procèdent à des achats. Puis nous allons déjeuner. 6 ème jour (30 septembre - après-midi): Sergilla (les photos sont ici) La première visite de l'après-midi nous conduit à Sergilla. Cet ancien village romano-byzantin est situé au nord d'Hama et d'Apamée dans un massif calcaire, le djebel Zawiye, où se trouvent plusieurs autres sites qui furent occupés à un moment où, grâce à la paix romaine, la population augmentait ce qui poussait les gens à venir s'installer sur des terres relativement pauvres, où affleurent les roches, sous une terre peu épaisse, à dominante ocre, qui ne porte qu'une végétation rabougrie (pour situer Sergilla, voir une carte ici). Une quinzaine de villages antiques ont été retrouvés dans cette région. Bien conservés, ils apparaissent comme les plus importants et les plus populeux, bien qu'il existe de notables différences de taille entre le plus petit et le plus grand. Leur diversité est tributaire du relief des sites sur lesquels ils sont implantés: sur des crêtes (Sinsharah), sur des plateaux (Mugleyya), sur des versants escarpés (Wadi Martàun), en fond de wadi (Sergilla) ou encore dans une cuvette (El Bâra). Les terroirs de ces sites sont parmi les plus riches et les plus étendus du djebel. On pense que l'élevage y était pratiqué à une échelle réduite par rapporte à l'arboriculture, qui devait tenir un rôle majeur, avec des oliviers et des arbres fruitiers associés à des vignes rampantes. La zone la plus fertile du djebel, là où l'espace et les terres arables manquent le moins, correspond au secteur d'El Bâra, dans la province de l'Apamène. Cette agglomération offre les dimensions d'une véritable petite ville alors que sa morphologie ressemble plutôt à celle d'un village: tissu distendu de l'habitat, absence de monuments publics... El Bâra, tenait sans doute, au niveau local, le même rôle que les villes à l'échelle de la région: celui de centre administratif et économique secondaire où les paysans venaient échanger les produits de l'agriculture contre ceux de l'artisanat local. Il est probable que la dizaine de villages regroupés dans les environs immédiats s'organisaient alors en un réseau plus ou moins hiérarchisé. Proches les uns des autres, ils présentaient une image authentique d'un secteur des campagnes syriennes aux époques romaine et byzantine. Sergilla occupe la totalité d'un vallon
dont on découvre le panorama dès l'entrée du site.
On accède par des chemins qu'empruntent encore les moutons dont
la présence perpétue le caractère pastoral de ce village
longtemps oublié. Dès l'entrée, les visiteurs sont
accueillis par des tombeaux profanés. L'enchevêtrement des
couvercles des sarcophages, déplacés lors des pillages de
tombes, produisent un effet saisissant. Le fond du wadi est occupé
par des ruines dont il ne reste que des montants de portes surmontés
parfois de linteaux. Ces vestiges correspondent au secteur ancien du village,
constitué de maisons construites avec des pierres colmatés
à la terre. Ces habitations d'époque romaine sont très
imbriquées et il est parfois difficile d'en reconstituer les limites.
Certaines de ces maisons ont été partiellement fouillées,
d'autres simplement dégagées. Bâties par les paysans
eux-mêmes, ces installations correspondent à la première
phase d'occupation du site, datée du 1er siècle de notre
ère, alors que les ressources devaient être réduites
et la vie précaire; elles sont donc de taille réduite et
ne devaient comporter qu'un confort très rudimentaire. Les grands
bâtiments en pierre de taille, dont il reste d'imposants vestiges,
furent érigés durant la deuxième phase d'expansion,
en pleine christianisation des campagnes. Ces grandes bâtisses protobyzantines
occupent les parties hautes du village, en périphérie du
premier noyau. Elles sont remarquablement bien conservées, à
l'image des thermes et de l'auberge. Les découvertes récentes
montrent que ces campagnes étaient occupées par des paysans
laborieux et inventifs qui empruntaient aux villes certains modèles
de comportement social. Après avoir rendu un culte à des
divinités païennes, les habitants de Sergilla devinrent chrétiens,
puis certains d'entre eux commencèrent à se convertir à
l'islam, peu avant l'abandon progressif mais durable du village, vers le
7ème siècle, sous la pression des vicissitudes historiques.
La construction des bains de Sergilla est datée de 473 par une inscription découverte au début du siècle dernier sur le pavement de mosaïque de la grande salle. C'est un riche habitant, appelé Julianos, qui en fit la généreuse donation. Avec ses salles froides, tièdes et chaudes, ces bains fonctionnaient sur le modèle des thermes romains: les hypocaustes, situés sous les sols des salles chaudes (9) étaient alimentés par le foyer de la salle de chauffe (11). Le combustible était entreposé dans une réserve (12) desservie par un couloir d'accès indépendant (10). Au sud, un petit réservoir (13) permettait de stocker l'eau puisée dans la grande citerne (15). L'eau s'écoulait par des canalisations extérieures pour approvisionner, d'un côté, deux petits bassins disposées dans les salles thermales et, de l'autre côté, la chaudière connectée à une baignoire. Le public entrait par un premier vestibule (1) dans une salle monumentale où les baigneurs se déshabillaient (3). Cinq à six personnes se dirigeaient vers les pièces thermales, après s'être lavé les pieds dans le pédiluve d'un second sas (5). Les baigneurs traversaient ensuite la petite salle froide (6) pourvue de latrines (7) et rejoignaient une salle tiède (8) pour s'habituer progressivement à la température ambiante. Ensuite, ils parvenaient aux salles chaudes (9) pour se laver à tour de rôle dans une petite baignoire maçonnée. A l'inverse des Romains, qui s'adonnaient volontiers au plaisir du bain collectif, il se pratiquait ici individuellement. Le baigneur réglait la température à sa convenance avant de se plonger dans la baignoire. Après s'être lavé, il rejoignait la petite salle froide où il pouvait se rafraîchir sous une douche avant de retourner aux grands vestiaires. Cet espace monumental, avec sa tribune à colonnade (4) et ses banquettes latérales, servait aussi de salle publique lors des assemblées villageoises. .
Les ressources en eau des habitants de la région, durant l'Antiquité, furent longtemps considérées comme dépendantes du régime des pluies. Les eaux de ruissellement étaient stockées dans des citernes creusées dans le roc. Mais les paysans pouvaient aussi compter sur de nombreuses résurgences karstiques leur permettant de mettre en oeuvre un système d'irrigation. Au 5ème siècle, une stratégie de captage et de stockage de l'eau se mit en place à partir des réseaux de puits et de conduites karstiques. Ainsi, l'église fut implantée à proximité d'une micro faille dont la cavité souterraine se remplissait par résurgence d'une eau utilisée dans le cadre des pratiques religieuses. De la même manière, un conduit karstique alimentait le grand pressoir en eau potable nécessaire à la fabrication de l'huile. On continuait toutefois à creuser des citernes dans les cours des maisons pour récupérer les eaux d'écoulement des toitures. A l'utilisation de réservoirs privés, fondée sur un usage de type autarcique, s'ajoutèrent des aménagements hydrauliques à usage collectif, comme le réservoir creusé au pied du versant nord. Cette grande citerne de 800 m3 recueillait l'eau de pluie captée sur une vaste dépression d'environ 200 m2. Elle fut creusée dans le rocher sur 7 m de profondeur pour servir également de bassin de rétention contre les risques d'inondation. Sa couverture est composée d'une centaine de blocs rectangulaires reposant sur douze arcs appareillés disposés deux à deux. Les parois internes de la citerne sont tapissées d'un revêtement de fragments de céramique colmatés à l'argile puis recouverts d'un épais enduit de chaux hydraulique. Parfaitement étanche, la citerne était pourvue d'un seul canal d'alimentation connecté à un bac de décantation. Un préposé aux bains puisait de l'eau à partir de la margelle nord-ouest pour remplir le petit réservoir accolé aux thermes. La seconde ouverture, située dans l'angle opposé, devait servir pour l'auberge. Le remplissage de la citerne était régulièrement contrôlé par une jauge qui passait à travers un trou de 10 cm percé dans une dalle. Les aménagements hydrauliques, tantôt refermés sur les espaces domestiques, tantôt ouverts sur les parties communes, mettaient en jeu des rapports de voisinage selon les coutumes propres à chaque communauté villageoise. .
L'auberge est un bâtiment sans enclos orienté au sud, face au village. Son portique-galerie est parfaitement conservé. Il ne manque que les éléments en bois dont restent les traces d'encastrement pour l'installation des planchers, de l'escalier, de la charpente et des bois supportant la couverture en tuiles. Ce monument fut longtemps considéré comme l'andran du village, un lieu public réservé aux assemblées villageoises. Cependant, les dernières fouilles ont montré l'installation d'une écurie au rez-de-chaussée avec des mangeoires disposées entre les piliers intérieurs. On accédait à l'étage par un escalier à deux volées situées sous le portique du côté de l'ouest. La galerie communiquait avec une première salle de jour que l'on traversait pour se rendre à la petite pièce orientée au nord qui était probablement l'alcôve. Bien que modeste, cet établissement était destiné aux gens de passage; il pouvait servir de gîte d'étape aux pèlerins dans l'hypothèse d'un développement de l'ensemble ecclésial de Sergilla. .
Le complexe religieux s'est développé progressivement sur environ trois siècles, de la fin du 4ème au début du 7ème siècle. Trois grandes étapes de construction ont ponctué son histoire. On édifia, dans un premier temps, une église à chevet plat pourvue d'un portique sud (2) et d'un bâtiment annexe constitué de deux pièces en rez-de-chaussée (5 et 6). Cette première église se composait d'une seule nef divisée en deux parties (hommes (1b) et femmes (1c)) auxquelles on accédait, du côté sud, par deux portes latérales. Le choeur (1a) était percé, au nord, d'une porte donnant sur le diaconicon (3). La salle sud, dotée d'un tombeau à arcosolium (4), correspondant au martyrion, selon l'architecture des églises d'Antiochène. La situation de ces deux salles s'inversa au 5ème siècle, lors de la construction de l'église à trois nefs (sur le modèle des églises d'Apamène). Les deux portes d'entrée furent orientées au nord, avec la construction d'un nouveau portique (2a). La première abside fut entièrement démontée, avant la construction de la seconde dans l'axe de la nouvelle église. De plus, la cour (7) fut entièrement dallée. On y arrivait de l'extérieur par un portique (11) et par un porche d'entrée (9) qui débouchait sous la galerie (8) desservant les trois nouvelles salles situées à l'étage. Dans le courant du 6ème siècle, l'ensemble ecclésial fut étendu plus au sud par l'édification d'une chapelle (13) prolongée par deux portiques nord (14) et ouest (12). Une salle funéraire (15) fut également ajoutée pour l'installation de deux, puis de six sarcophages. Du côté nord, le martyrion fut agrandi progressivement pour l'installation de nouvelles reliques (16). Ce n'est que bien plus tard que fut aménagée une petite mosquée dans les ruines du sanctuaire chrétien. Avec son mirhab, construit en blocs de remploi, elle est identique aux cinq oratoires implantés à El Bâra datés par des inscriptions. .
L'ensemble ecclésial de Sergilla est situé sur le versant est du wadi, à proximité d'une résurgence d'eau souterraine utilisée pour sa pureté lors des offices religieux. Il est composé de plusieurs bâtiments dont les constructions s'échelonnent sur environ deux siècles. Les extensions sont en partie fondées sur d'anciennes installations qui furent entièrement démontées. Ce complexe religieux, à son apogée, au 6ème siècle, se composait d'une grande église aménagée au-dessus d'une cavité souterraine plus ancienne, d'un édifice à portique abritant des tombeaux au rez-de-chaussée et de salles d'habitation à l'étage ainsi que d'une chapelle à trois nefs accolée à une salle funéraire contenant plusieurs sarcophages. La cour était limitée à l'ouest par un mur auquel étaient adossées des constructions destinées à des activités artisanales. On accédait au sanctuaire par trois portiques. Le portique nord prolongeait le collatéral nord de l'église paroissiale dans laquelle on pénétrait par deux portes latérales; la plus ouvragée permettait d'entrer dans la partie réservée aux hommes, près du choeur, séparée de celle destinée aux femmes par une barrière de chancel. Délimité par son iconostase, le choeur était surélevé de trois marches. Il englobait l'abside et la première travée de la nef centrale. Le mur d'abside porte les traces d'installation des sièges en bois du synthronon. Il était percé d'une petite porte communiquant avec le diaconicon côté sud. A l'opposé, le martyrion s'ouvrait par un arc triomphal sur le collatéral nord. Il fut progressivement élargi au fur et à mesure des apports de reliques. Le portique de l'est, accolé derrière le bâtiment d'habitation, permettait de gagner la cour dallée par un corridor débouchant sous le portique-galerie. Enfin, le portique ouest fut érigé contre la façade de la chapelle dans laquelle on entrait par une porte centrale. De là, une porte latérale permettait de rejoindre la cour en passant sous un second portique qui se trouvait dans l'axe de la porte de la salle des tombeaux. .
A partir des 5ème et 6ème siècles, lors d'une période de croissance démographique et d'enrichissement des villageois, les propriétaires disposaient de surplus qui provenaient de leur commerce. Ils complétèrent l'économie vivrière par la fabrication de l'huile et du vin, comme en témoignent les trois pressoirs découverts à Sergilla. Le plus grand mesure quinze mètres sur dix. Il est en grande partie creusé dans la roche, sur quatre mètres de profondeur, pour mieux résister aux vibrations des opérations de presse. De puissants arcs transversaux furent construits, en pierre de taille, pour soutenir la couverture de tuiles. Ils étaient effondrés à l'intérieur de l'édifice et leur dégagement permit d'identifier l'existence d'un pressoir mixte où l'on pressait alternativement des olives et du raisin, au rythme des saisons. La fabrication de l'huile commençait par le dénoyautage des olives à l'aide d'un broyeur à meules (8). La pulpe, stockée dans les bassins (9a) et (9b), était ensuite déposée dans des paniers en osier (les scourtins) placés au centre de l'aire de presse (2b). Durant l'opération de pressurage, l'huile s'écoulait par une canalisation circulaire dans un petit bassin surmonté d'un couvercle de bois (3b). Cette première presse achevée, on déplaçait le premier panier sur une aire d'attente (2a), où l'huile continuait de s'écouler dans une seconde recette (3a) pendant qu'on pressurait un second panier. On échangeait alors les scourtins pour réaliser une seconde presse. Les grappes de raisin étaient jetées directement à l'extérieur dans un grand bac rectangulaire (4) grâce à un déversoir percé dans le mur sud du pressoir. On bloquait le bras de la presse en position haute afin de fouler les grappes dans la cuve. Le jus s'écoulait dans une recette (5) creusée dans l'angle nord-ouest de l'aire de foulage. En définitive, la presse des olives et le foulage du raisin se déroulaient dans des espaces séparés qui étaient utilisés à des époques différentes. Une quinzaine de personnes devaient être employées à ces tâches. .
La maison la mieux conservée de Sergilla occupe une parcelle de 600 m2. Elle était composée d'un bâtiment de deux pièces au rez-de-chaussée surmontées de deux pièces à l'étage. On peut voir le stylobate et le dallage d'un portique à deux niveaux qui était accolé à la façade principale. Ce portique-galerie ouvrait sur une cour délimitée par un mur de clôture de 3 m de haut; ce mur n'avait pas d'utilité militaire défensive; de règle autour des cours des maisons, il visait plutôt à protéger l'intimité de la famille; contre ce mur, deux petits bâtiments annexes étaient adossés. Un troisième bâtiment, ajouté à l'extrémité sud de la parcelle, était accessible directement de l'extérieur par une porte surmontée d'un auvent. Le bâtiment principal fut reconstitué entièrement, à partir de l'étude des blocs trouvés dans la cour, en fonction des encoches taillées dans les murs pour maintenir les éléments en bois aujourd'hui disparus. D'après la disposition des empreintes, la charpente comprenait quatre fermes supportant un toit à deux pentes. Le plancher était en solives recouvertes d'un mortier de terre. Il reposait au niveau de l'arête supérieure d'un grand arc de 1,10 m de l'arge construit en anse de panier. Le portique, surmonté d'une galerie à l'étage, s'est effondré dans la cour. On peut le reconstituer à partir des blocs conservés. Les blocs de pierres taillées, les colonnes, les chapiteaux et les architraves étaient posés les uns sur les autres sans scellement. Les hauteurs des planchers et de la couverture correspondent aux alignements des mortaises en façade. Le même parement porte les marques d'installation d'un escalier en bois qui devait se trouver dans l'angle est du portique. Une des salles de l'étage était pourvue d'une armoire creusée dans l'épaisseur du mur; c'est l'une des particularités de cet édifice bien conservé. Une autre maison a été utilisée ultérieurement par les habitants de la région qui ont relevé les murs au moyen de pierres grossièrement posées selon un schéma qui n'a rien de comparable avec la perfection de l'époque antique. On pourrait même considérer cet ajout comme une sorte de profanation le haut de la porte de cette maison étant finement sculpté, particularité qui jure avec l'amoncellement désordonné des murs plus récents. On pense que les villageois habitant ces demeures s'adonnaient à la polyculture: blé, légumineuses, oliviers, vignes, arbres fruitiers ainsi qu'à l'élevage de quelques moutons et bovins. Des preuves épigraphiques et archéologiques de ces activités ont été trouvées: aires de broyage d'olives taillées dans le roc et mangeoires pour les ovins et les bovins. A ces activités de base, ils pouvaient ajouter des activités d'appoint durant la morte-saison, telles que la taille de la pierre et la construction d'édifices, maisons ou sanctuaires, et peut-être d'autres encore, dont l'épigraphie et l'archéologie attestent l'existence, comme le textile, ailleurs que dans le Massif calcaire, dans les lieux proches de la plaine d'Alep. Au stade d'extension maximale du village, la quantité de terres exploitées par chaque famille, terres stériles comprises, ne pouvait pas dépasser trois ou quatre hectares en moyenne, ce qui correspond à un régime de petite propriété. Avant de quitter Sergilla, nous nous dirigeons
vers une sorte de caveau dressé sur la colline parmi quelques chétifs
oliviers.
6 ème jour (30 septembre - après-midi - suite): Ebla (Tell Mardikh) (les photos sont ici) Nous arrivons à Ebla (Tell-Mardikh) en fin d'après-midi. Il nous restera peu de temps pour visiter ce site important dont nous verrons tout de même l'essentiel. Ebla se trouve à une soixantaine de
kilomètres au sud d'Alep, sur le chemin de Hama (voir
une carte ici).
Les archéologues ont divisé le site en deux parties, conformément
au schéma des cités syriennes anciennes: l'Acropole, située
sur une colline artificielle qui domine la ville (15 hectares environ),
et la ville basse au pied de l'Acropole (45 hectares environ), du côté
de l'ouest. La cité est bâtie sur un monticule calcaire naturel
d'où découle son nom (Ebla signifie roche blanche). Beaucoup
de monuments importants se trouvent dans la ville basse. Pour les besoins
de l'analyse, on distingue les vestiges datant de la période s'écoulant
de sa fondation, au 4ème millénaire avant notre ère
jusqu'au troisième millénaire, de ceux qui datent de la période
qui va du 2ème millénaire jusqu'au 2ème siècle
avant notre ère.
L'existence d'Ebla était citée dans de nombreux documents anciens (textes d'Akkad, au pays des deux fleuves, datant de -2300; textes d'Alalakh-Tell Atchana, dans la plaine de l'Amouk, datant de -1750; textes d'Emar-Meskéné, près de l'Euphrate, datant de -1400; annales de Thoutmosis III, gravées sur les murs du grand temple de Karnak, en Égypte; textes hittites d'Anatolie. On ne connaissait pourtant pas l'emplacement de cette cité avant les fouilles de 1964 qui la firent apparaître au jour. Le site a été habité sans interruption depuis le 4ème millénaire avant notre ère jusqu'au 7ème siècle de notre ère non sans connaître plusieurs vicissitudes historiques. Dans la deuxième moitié du 4ème millénaire, elle n'était encore probablement qu'un petit village. Avant -2500, elle était encore vassal de Mari et lui payait tribut; mais la puissance de cette rivale ayant subi une éclipse, Ebla s'émancipa. Et, dans la seconde moitié du 3ème millénaire, à l'époque du Bronze ancien, elle était devenue une ville puissante qui dominait tout le nord de la Syrie, sous l'impulsion de son vizir Ibbi-zikir; sa domination serait même étendue au sud jusqu'au Sinaï. Elle avait vaincu Mari et noué des alliances avec les royaumes de Nagar (Tell-Brak en Syrie du nord) et de Kish (en Mésopotamie). Ebla devait aussi sa prospérité au commerce des bois du Liban et de l'Amamus et à celui des tissus précieux qui sont encore une spécialité syrienne; c'est là que serait né l'artisanat de la soie mêlée de fils d'or d'où sont issus les brocards. Elle commerçait probablement avec l'Égypte, par Ougarit, comme paraît le prouver la présence d'objets égyptiens trouvés sur le site. Elle était célèbre pour son industrie du meuble en bois incrusté de nacre ou d'ivoire ancêtre des marqueteries que l'on peut encore se procurer aujourd'hui à Damas. Sa puissance n'allait pas sans inquiéter certains de ses voisins, bien sûr Mari, mais aussi l'empire d'Akkad en Mésopotamie. C'est ainsi que, en -2250, elle fut conquise et détruite soit par Sargon d'Akkad soit par son petit-fils, grands guerriers et bons administrateurs, les deux revendiquant son occupation et sa destruction. On penche généralement pour Sargon. Ce potentat aurait connu un étrange destin. Sa mère l'aurait placé dans un panier déposé sur l'Euphrate. Recueilli et élevé par un berger, l'enfant, une fois devenu adulte, aurait renversé le roi de Kish et conquit la Mésopotamie, plusieurs régions du nord de la Syrie et l'Elam. Il fonda une nouvelle ville, Agadé, qui devint la capitale de son État, Akkad. Sargon et ses successeurs parlaient une langue sémitique aujourd'hui appelée akkadien. Ils adaptèrent les signes cunéiformes sumériens pour l'écrire. L'akkadien supplanta le sumérien comme langue régionale dominante. La légende de Sargon est étrangement semblable à celle de Moïse et aussi à celle de plusieurs autres personnages historiques ou mythiques du Moyen-Orient. Des traces de la destruction d'Ebla sont visibles dans le Palais Royal. La cité traversa ensuite une période de décadence politique et économique et elle ne se releva qu'au moment de la constitution des royaumes amorrites en Syrie, au 2ème millénaire avant notre ère, à l'époque du Bronze moyen (paléo-syrienne ou paléo-babylonienne). A la même période apparurent les royaumes de Yamkhad (Alep), de Alalakh (Tell Atchana) et de Quatana (Mishrifeh, à l'est de Homs). De -1850 à -1600, Ebla connut une nouvelle période de prospérité. Beaucoup de monuments datent de cette époque, laquelle nous a transmis la statue de basalte du roi Ibbit-Lim qui a permis l'identification du site par les archéologues italiens. Malheureusement, son territoire fut traversé par les Hittites partis conquérir Babylone et ceci ne se fit pas sans mal. En -1620, le roi hittite Hattushili Ier s'empara de Ebla et la rasa. C'en était terminé de l'âge d'or de la cité. En 1983, une tablette fut découverte dans les ruines de Hattusha, la capitale hittite, rédigée en hittite et en hourrite, racontant le récit épique de la prise d'Ebla par un souverain hourrite nommé Pizikarra de Ninive. Les conditions de la destruction d'Ebla restent néanmoins encore mystérieuses. Quoi qu'il en soit, la ville était désormais inexorablement sur le chemin du déclin même si elle apparut encore dans une description de campagne du pharaon Thoutmosis III au 14ème siècle. Elle refit pourtant surface à l'époque araméenne, entre -720 et -235, et à l'époque perse, entre -535 et -200. Et la découverte d'une petite installation religieuse chrétienne, vers l'ouest, laisse supposer une continuité de l'habitation jusqu'au début de notre ère. Mais l'époque glorieuse de la cité avait pris fin depuis longtemps et elle tomba dans l'oubli jusqu'à ce qu'une mission archéologique italienne l'en tire au milieu du 20ème siècle. En arrivant sur le site, nous passons d'abord
devant la Terrasse au Lion pour gagner le Palais Royal.
La Terrasse du Lion (P3?) de l'espace sacré d'Ishtar, la déesse céleste identifiée à Vénus, est située au long du côté sud de la place des citernes (ville basse). Cette vaste terrasse cultuelle de 42 m de large sur 52,50 m de long, comprenait seulement une cour sans entrée de 23x12 m. Elle était faite de gros blocs de pierre de dimension décroissante dont la maçonnerie montre une extraordinaire régularité. Elle constitue, avec le temple de la déesse du nord de la place des citernes, le principal édifice de l'aire sacrée d'Ishtar. Elle fut édifiée aux alentour de 1650 avant notre ère et ne fut peut-être jamais achevée. Elle abritait probablement les lions sacrés de la grande déesse: des enclos et des bâtiments appropriés au logement des animaux sacrés: lions, aigles, colombes... sont décrits jusque pendant la période impériale romaine, au second siècle de notre ère, par Lucien de Samosate, pour ce qui concerne le temple d'Atargatis de Hiérapolis en Syrie, la moderne Membij. Quelques rares sceaux cylindriques archaïques syriens, datant d'environ 1850 avant notre ère, représentent ce genre de construction, avec des lions dessus et autour d'eux. Dans le schéma urbain des anciennes villes syriennes, ce genre de terrasse sacrée monumentale, haute probablement de 15 à 20 m, devait impressionner avec ses murs en pente. L'effet visuel de ces monuments syriens était comparable à celui des ziggourats des villes de la Mésopotamie d'Hammourabi. .
Nous passons ensuite devant le Palais de l'Ouest (ville basse - Q). Ce palais fut certainement construit au 20ème siècle avant notre ère. Il servait probablement de résidence au prince royal et, d'après sa surface qui couvre quelques 7200 m2, il était seulement dépassé par le palais royal de l'Acropole. L'édifice se développe selon un axe nord-sud sur une longueur de 115 m et une largeur de 65 m, approximativement. Sa façade principale est orientée au sud où s'ouvrait probablement l'entrée principale entre deux colonnes. Cet important bâtiment devait comporter deux étages, au moins à certains endroits de sa surface, comme le suggère la présence d'au moins quatre escaliers dont le plus monumental se trouve au nord, et aussi l'épaisseur considérable des murs de la périphérie (près de 3,1 m). .
Parmi les techniques particulières de construction employées, on retiendra celles qui furent aussi utilisées sur d'autres sites du nord de la Syrie, de Alalakh à Tilmen Hüyük, à savoir des orthostates (pierres dressées de champ) de taille moyenne pour les linteaux des portes. D'un autre côté, l'emploi régulier de grands orthostates comme socle des murs périphériques semble tout à fait extraordinaire. Ils ont été presque complètement retirés à l'époque byzantine, mais quelques-uns d'entre eux sont encore en place contre la façade extérieure nord; les plus grands ont 4 m de long. Les vestiges montrent que ce palais était construit en briques crues sur des fondations de grandes pierres équarries. .
Le Palais de l'Ouest recouvrait les caves du cimetière royal où l'on a trouvé de nombreux objets intéressants d'un point de vue historique et archéologique, en particulier dans la tombe dite de la princesse qui était intacte; les autres tombes, bien que violées, comportaient également quelques objets importants. Une pièce de ce palais était consacrée au broyage du grain pour des centaines de personnes. Nous voici maintenant devant le Palais Royal
appelé aussi Palais des Archives (flanc ouest de l'Acropole - G).
Ce palais fut construit, ainsi que le Hall des Audiences du quartier administratif,
peu de temps après 2400 avant notre ère, c'est-à-dire
pendant la première période de prospérité,
sur les ruines d'un bâtiment plus ancien remontant au Bronze ancien.
Il fut détruit par Sargon d'Akkad. Des trous dans le sol ont permis
de deviner la présence de poteaux de bois et de faciliter ainsi
la reconstitution du site. Le palais était le siège de la
puissance éblaïte à l'apogée de la cité
proto-syrienne sous les rois Igrish-Halab, Irkab-Damu et Ishar-Damu qui
gouvernaient tout le nord de la Syrie. La sauvegarde et la conservation
des monuments du complexe urbain d'Ebla fit appel à différents
moyens de restauration, validés au cas par cas, en cherchant la
technique la plus appropriée et en utilisant les matériaux
locaux autant que faire se pouvait. C'est ainsi qu'un grand nombre de travailleurs
syriens, inexpérimentés mais connaissant les techniques,
les traditions et les matériaux locaux, ont été employés
après une adaptation des techniques et l'élaboration d'une
méthode de travail adéquate. La décision a été
prise d'agir de manière pragmatique pour assurer la conservation
de ces extraordinaires structures monumentales afin de les rendre compréhensibles
aux visiteurs tout en formant une main d'oeuvre locale susceptible d'en
assurer la maintenance à l'avenir. La restauration du Palais des
Archives fut particulièrement compliquée avec ses murs de
7 m de haut et ses montagnes de débris de plâtre et de planchers.
Elle exigea plusieurs années d'études, d'expérimentation,
et de mise en oeuvre. Une équipe d'archéologues, d'architectes,
de topographes, de géologues et de restaurateurs fut réunie
pour la mener à bien.
Nous revenons sur nos pas, en jetant un coup d'oeil commenté sur les fouilles auprès desquelles nous passons. Les constructions sont réalisées en pierres et en briques. Nous montons jusqu'au sommet de l'Acropole.
De là-haut, on jouit d'une belle vue sur les vestiges de l'ancienne
ville basse: la Terrasse du Lion, Le Temple d'Ishtar de la ville basse
(P2), daté entre -1900 et -1600, c'est-à-dire de la seconde
période de prospérité, qui passe pour le plus grand
des temples du pays de Cham; le Palais du nord (P), daté de -1800
à -1600 (même période que le temple précédent);
le Palais archaïque; ces monuments sont facilement identifiables grâce
aux panneaux qui jalonnent le site. En contrebas, un berger conduit son
troupeau dans le désert. Des fouilles sont encore en cours un peu
plus loin sur le tell; il s'agirait de celle d'un palais royal (E), incomplètement
dégagé, dont les éléments sont ensevelis sous
des constructions de l'époque du Fer et de l'époque perse.
A nos pieds, dans le sol, s'offrent à nos yeux les vestiges d'un
temple. Le grand Temple de l'Acropole (D), dédié à
d'Ishtar, fut édifié vers 1900 avant notre ère (seconde
période de prospérité). Il comprend une entrée,
un vestibule et une grande pièce rectangulaire. Les murs extérieurs
ont plus de 2 mètres d'épaisseur. Jadis l'effigie de la déesse
trônait dans une niche creusée dans le mur du fond de la cella.
Devant la niche, se trouvait une banquette en face de laquelle étaient
placés les objets du culte, une table d'offrandes et une grande
vasque circulaire, toutes les deux en basalte. A l'angle sud-ouest de la
cella fut trouvé un bassin rectangulaire en calcaire à
deux vasques, avec des reliefs rituels et mythiques sur trois de ses faces.
Outre Ishtar, un culte était rendu à d'autres divinités
de la cité qui avaient aussi un ou plusieurs temples dont Shamosh
(Shamash), le dieu du soleil (N), auquel on doit un long hymne en éblaïte;
Hadad, le dieu de l'orage; Dagan, le dieu de la fertilité et d'autres
encore. Beaucoup de constructions plus ou moins mutilées sont certainement
encore enfouies. On nous parle d'un temple de je ne me souviens plus quelle
divinité qui devrait se trouver à proximité. Le tell
est encore loin d'avoir livré tous ses secrets.
Nous redescendons et revenons vers le Palais Royal pour nous diriger vers le Temple des Ancêtres divinisés (ville basse - B2) qui est naturellement divisé en plusieurs parties, a priori autant que de rois défunts divinisés; on a trouvé dans ce premier temple deux tables d'offrande très bien conservées. A son côté se trouve un autre sanctuaire. Ce second temple fut probablement édifié entre 2000 et 1800 avant notre ère et son entrée fut orientée au sud, comme la plupart des temples d'Ebla. Il était sans doute dédié au dieu du monde inférieur, l'implacable et sans merci seigneur de la mort, de la guerre et de la peste, Reshef (Rashap). Les deux temples faisaient partie d'une aire sacrée de la ville basse. Le Temple de Reshef joua un rôle particulièrement important dans l'histoire de la cité d'Ebla, car, juste en face de lui, encore dissimulé par la surface intacte du tell, on trouva, dans la deuxième moitié des années 1950, le bassin rituel sculpté sur trois côtés, actuellement au musée de Damas, qui fut l'une des premières découvertes des fouilles italiennes. La riche décoration de ce bassin, daté de 1850 avant notre ère environ, où l'on voit le roi faisant une libation devant une table couverte de pains, parmi des soldats en marche, représente probablement une cérémonie royale en l'honneur du dieu du monde inférieur dont la série des têtes de lions rugissant, à la base de ce bassin rituel singulier, symbolise certainement la terrifiante puissance. On ne peut pas écarter la possibilité que les maisons privées construites sur le rocher à l'est du temple aient fait partie d'un ensemble dévolu à la prêtrise de l'aire sacrée du temple. .
Nous nous éloignons ensuite du tell jusqu'à la Porte de Damas (au sud-ouest de l'Acropole). Cette porte était construite avec d'énormes monolithes qui délimitaient une sorte d'allée conduisant à la sortie. Elle était flanquée de deux tours dont il ne reste à peu près rien. Des morceaux de remparts sont cependant encore visibles. La cité était enfermée dans une épaisse enceinte de pierre et de terre levée pour en assurer la protection ce qui n'a pas empêché sa conquête et sa destruction. Cette enceinte, bâtie sur une fortification plus ancienne, consistait en un énorme tas de terre, large à sa base de 40 m, qui allait en rétrécissant vers son sommet. A l'est son élévation devait avoisiner 20 m. Des fortins destinés à surveiller les environs la jalonnaient. Quatre portes principales s'y ouvraient; ces portes était en relation avec une ville antique importante: Damas, au sud-ouest, Alep, au nord-est et Ougarit au nord-ouest. La Porte de Damas est la mieux conservée; elle respecte un plan dit "en tenaille" avec des chambres pour la garde; sa longueur était d'environ 48 m. Les découvertes archéologiques d'Ebla revêtent une grande importance. En effet, jusqu'à elles on pensait généralement que la Syrie n'avait été qu'un point de passage entre les deux civilisations de l'Orient antique: celle de l'Égypte né autour du Nil et celle de Mésopotamie née entre le Tigre et l'Euphrate. Les archéologues bornaient l'histoire de la Syrie à l'époque de Zimri-Lim, roi de Mari, au début du second millénaire avant notre ère. Ebla prouve que d'autres civilisations syriennes sont en droit de disputer cet honneur à la cité des bords de l'Euphrate que nous visiterons dans les prochains jours. Nous gagnons Alep (pour
situer Alep, voir une carte ici)
où nous allons passer la nuit.
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