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4 ème
jour (28 septembre - matin): Amrit (les
photos sont ici)
Notre première visite de la marinée va nous emmener à Amrit, un ancien port phénicien, où subsiste un sanctuaire énigmatique, que l'on suppose dédié à des divinités guérisseuses, situé au milieu d'un bassin. A proximité se trouvent quelques sépultures originales. Le site d'Amrit est situé à quelques kilomètres au sud de la ville de Tartous (pour situer Amrit, voir une carte ici). Cet ensemble religieux néo-phénicien s'élevait à proximité du port de l'île phénicienne d'Arwad (ou Arouad). Les Phéniciens s'installaient très souvent sur des îles. A l'époque, la configuration du terrain environnant était très différente et le site était probablement beaucoup plus proche qu'aujourd'hui de la mer. Il se trouvait dans une zone agricole propice à la culture et la région jouissait sans doute d'une certaine prospérité. Nous nous dirigeons d'abord vers le monument le plus important, à savoir un sanctuaire construit autour d'un bassin artificiel sacré, au sol pavé de larges dalles, entouré d'arcades soutenues par des colonnes quadrangulaires, sur trois de ses côtés, dont ne subsistent plus que quelques-unes des colonnes. Une source, supposée receler des vertus curatives, alimentait en eau le bassin au milieu duquel s'élevait, sur un rocher, une sorte de tour faisant fonction d'autel, couronnée d'une corniche d'inspiration égyptienne et de merlons triangulaires. On pense que cet édifice était dédié au dieu guérisseur Melqart (assimilé à Hercule pendant la période hellénistique) et peut-être aussi par la suite à Echmoun. Le sanctuaire daterait du 4ème siècle avant notre ère et les vestiges les plus importants relèveraient de la période achéménide. Lorsque Alexandre le Grand s'y arrêta, en 330 avant notre ère, alors qu'il se dirigeait sur Damas, ce sanctuaire était encore en activité. Marathus (ou Marathos), comme on appelait alors Amrit, abritait un stade olympique parmi les premiers du monde antique. Plus au sud, se trouvent deux tours-fuseaux monumentales, hautes respectivement de 7 et 4 m, restes d'une nécropole. L'une des deux tours se termine par un pyramidon à cinq faces; elle abrite un hypogée avec deux chambres funéraires. L'autre est ornée à sa base de quatre lions monolithiques qui supportent une architecture décorée de merlons. A côté, un escalier creusé dans le sol donne accès à un hypogée sans tour. Il existe une autre tombe, la tour de l'escargot, à quelques 500 m. Tel qu'il se présente aujourd'hui, le site d'Amrit présente la particularité rare de rassembler en un même endroit des influences phéniciennes, égyptiennes, mésopotamiennes et perses. (Un texte sur les écritures phéniciennes d'Amrit est ici). Les photos sont évidemment permises mais notre guide nous invite à ne pas prendre le paysage dans une certaine direction car des installations militaires présentes aux environs pourraient nous valoir quelques désagréments. Cette première visite matinale achevée,
nous faisons route vers Tartous.
Tartous: (les photos sont ici) Tartous, ville côtière de Syrie, abrite le second port du pays après Lattaquié. Elle est la capitale du gouvernorat du même nom. La ville se situe à environ 160 kilomètres au nord-ouest de Damas et à 30 kilomètres de la frontière libanaise (pour situer Tartous, voir une carte ici). C'est aussi une station balnéaire. La ville fut fondée par les Phéniciens. Ils étaient déjà maîtres de l'île d'Arwad (ou Arouad) toute proche mais moins accessible*. La ville passa ensuite entre les mains des Grecs, des Romains, des Arabes, puis des Croisés. Elle était nommée Antarados (ou Antaradus) sous l'Antiquité, c'est-à-dire la ville en face d'Arados (actuelle Arouad), et Tortose par les Croisés. Sa population est estimée à 96401 habitants, celle du gouvernorat à 720000. * Sous le mandat français, des nationalistes syriens furent emprisonnés dans la citadelle d'Arwad. L'antique Antarados, enlevée aux Musulmans par les Croisés, garde des vestiges du passage de ces derniers du 11ème au 13ème siècle. Les Francs en firent en effet un important bastion stratégique qui, grâce à son port, permettait d'assurer la liaison avec Chypre et de là avec tout l'Occident chrétien. En 1152, elle passa entre les mains des Templiers qui prirent à leur charge sa défense comme ils le firent pour plusieurs autres villes fortifiées et citadelles de Syrie. Saladin réussit à prendre la ville mais ne put venir à bout du donjon entouré d'un large fossé et pourvu des machines de guerre. La Tortose des Croisés participait au système défensif syro-palestinien, à la fois côtier et continental, dont elle constituait l'une des clefs, avec l'île d'Arouad qui lui fait face, Tripoli au Sud, Lattaquieh (ou Latakié) au Nord et la chaîne de citadelles de la Montagne: Marqab, le Krak des Chevaliers, Safita... Le Sultan mamelouk d'Égypte et de Syrie échoua devant elle à deux reprises en 1270 et 1276. Elle demeura ainsi l'une des dernières cités franques avant de tomber entre les mains du Sultan Qala'un (1291) après que les Templiers aient été chassés d'Âcre, leur principal centre de commandement en Palestine. Les derniers résistants francs passèrent alors à Arouad où ils restèrent encore dix ans avant d'être évacués en 1302 sur Chypre. Avec leur départ définitif, s'acheva un chapitre mouvementé de l'histoire dont les conséquences sont encore présentes parmi les peuples du Proche Orient, de la Méditerranée et de l'Occident. Durant la période byzantine, la cité connut une certaine prospérité, dont on conserve le souvenir grâce à une chapelle, lieu de pèlerinage qui, selon la tradition, aurait été consacrée à la Vierge Marie par Saint-Pierre en personne, alors qu'il se rendait de Jérusalem à Antioche. Une icône peinte, dit-on, par Saint-Luc l'Évangéliste, y était déposée; elle serait aujourd'hui au couvent de Sednaya (ou Saydnaya), à une trentaine de kilomètres de Damas. L'empereur Constantin favorisa la ville en raison du culte qu'elle vouait à Marie. La première chapelle dédiée à la Vierge aurait été construite au 3ème siècle. La Cathédrale Sainte Marie de Tortose (ou Tortosa), bâtie par les Croisés en 1123, est le plus remarquable édifice religieux de l'époque franque en dehors de Jérusalem. Il s'agit d'une église à trois nefs et trois absides de 41 mètres de long sur 34,5 mètres de large. Lorsque Nour-ed-Din eut repris Tortose aux Croisés, la cathédrale fut convertie en mosquée. En 1152, la ville étant à nouveau sous le contrôle des Croisés, la cathédrale fut remise aux Templiers. Ceux-ci renforcèrent les angles du côté des absides par des tours, à la fin du 13ème siècle, pour transformer le bâtiment en forteresse. Les Ottomans l'utilisèrent comme caserne et elle fut réhabilitée sous le mandat français. L'édifice mêle les styles roman et gothique de l'Occident non sans avoir été influencé aussi par le style architectural de l'Orient chrétien. Elle abrite aujourd'hui un musée archéologique où sont exposés les objets trouvés dans la région. Le donjon, qui résista aux assauts de Saladin en 1188 et à ceux de Baybars un siècle plus tard, occupait une position stratégique sur la façade maritime de la cité, face au port, lui-même jadis fortifié. Il s'agit d'une tour carrée à deux étages couvrant 1570 m2 au sol. En dehors de ces deux édifices, construits en grosses pierres de taille calcaire, de couleur légèrement ocre, il ne reste aujourd'hui de la cité-citadelle franque que des vestiges épars surmontés de constructions plus récentes. Nous cheminons d'abord sur une large avenue
parallèle au rivage. Ensuite, nous visitons les ruines d'anciens
bâtiments dont je ne saurais dire s'il s'agit de celles de la chapelle
car je ne m'en souviens pas. Puis nous nous dirigeons vers la cathédrale
en passant à travers des rues de la ville décorées
de petits drapeaux multicolores en l'honneur d'un pèlerin de retour
de La Mecque. Nous longeons ensuite les murailles des fortifications franques
sur lesquelles s'élèvent maintenant des maisons d'habitations.
Arrivés devant la façade de la cathédrale, notre accompagnatrice
française, nous en résume l'historique. Il n'est malheureusement
pas possible de visiter le musée car c'est jour de fermeture. Cependant,
deux Syriennes ayant réussi à se faire ouvrir la grille par
un des gardiens, notre accompagnatrice nous fait faire le tour du bâtiment.
Sur l'arrière de la cathédrale, en effet, s'étend
une aire ombragée d'arbres où un débit de boisson
a installé de nombreuses tables. A travers le dédale de ces
dernières, et en contournant la cathédrale, il est possible
de pénétrer dans la cour, devant le portail du sanctuaire
transformé en musée. Hélas, les gardiens ont repéré
notre manège et viennent nous déloger trop rapidement pour
que notre manoeuvre ait pu porter ses fruits. Notre accompagnatrice aura
beau s'appuyer sur le précédent du passe-droit des deux Syriennes,
nos cerbères resteront intraitables et il nous faudra repartir par
où nous sommes entrés.
Marqab: (les photos sont ici) De Tartous, nous mettons le cap sur Marqab. L'imposante et sombre citadelle, perchée sur sa butte, domine toute la contrée et se voit de loin. Al-Marqab (ou Margat) était l'un des
châteaux les plus vastes et les plus importants de la période
médiévale au Levant. Il se dresse dans la région côtière
de la Syrie à un emplacement particulièrement stratégique
(pour situer Marqab, voir la carte de Syrie,
ici). Du haut de sa montagne volcanique, à
380 m d'altitude, il surveillait la route côtière, à
2 km à l'est, gardait la ville de Banyas et les plaines en bordure
de mer vers Latalda et surplombait tout l'environnement montagneux. La
muraille fortifiée englobe le somment de la montagne en son entier
et protège une superficie de sept hectares. L'ensemble se compose
de deux grandes partie: la citadelle qui s'élève sur le coin
méridional de la montagne et les dépendances, occupées
par un village, qui s'étendaient sur le reste du plateau. Un double
rempart d'une impressionnante dimension entourait le tout. Un autre mur
reliait le château à la tour Burj as-Sabi, à proximité
du rivage; cette tour faisait fonction de poste de douane entre la principauté
d'Antioche et le comté de Tripoli. Une garnison d'un millier d'hommes
pouvait résider dans la citadelle Al-Marqab avec des vivres pour
cinq ans.
L'histoire du château fut mouvementé, comme on peut s'en douter. Les habitants de la régions aurait élevé un premier castel en 1062-1063 peut-être sur les débris d'une forteresse antique. Après une courte période d'occupation byzantine, autour de 1104, le château fut pris par les Croisés en 1117-1118. Il semble être retombé sous le contrôle musulman en 1130, avant d'être pris par Renaud II de Mazoir (ou Masoier) en 1140. A partir de ce moment, il devint la place forte de la famille des Mazoir, des barons de la Principauté croisée d'Antioche. Les de Mazoirs transférèrent le château à l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem au début de 1187. Les Hospitaliers en firent la citadelle la plus importante de leur ordre et, en 1188, le siège de l'évêque de Venenia (Banyas). Saladin assiégea le château en 1188 mais ne parvint pas à le prendre. De 1203 à 1205, les Hospitaliers lancèrent plusieurs expéditions contre Hama et Homs; le sultan d'Alep, Malik Zahir Gazi, envoya une armée qui détruisit les tours d'enceinte mais il se retira après la mort de son général blessé mortellement par une flèche. En 1269 et 1270, Al-Marqab repoussa les assauts de Baybars. Il ne tomba qu'en 1285 aux mains des musulmans. Parmi les hôtes involontaires du château, citons Isaac Dukas Comnène, empereur usurpateur byzantin de Chypre, prisonnier de Richard Coeur de Lion qui avait confié sa garde aux Hospitaliers; il y mourut empoisonné en 1195. Après l'évacuation de la côte syrienne par les Croisés, la forteresse perdit de son importance. Elle continua néanmoins à être utilisée comme dépôt militaire et comme prison. Pendant la période mamelouke, un caravansérail accueillit les voyageurs dans ses dépendances. Les Ottomans continuèrent d'utiliser le site comme les Mamelouks. En 1920, les forces révolutionnaires du cheik Saleh al Ali en firent une place forte contre les Français; ce fut son dernier emploi militaire. Le village des dépendances subsista jusqu'en 1958. En 1963, le château fut inscrit par la Direction Générale des Antiquités syriennes sur la liste du patrimoine national conformément à la loi sur la protection des antiquités. Depuis cette date il a été restauré et est ouvert aux visiteurs. Malheureusement, lorsque nous arrivons devant sa porte, c'est pour constater qu'elle est close, comme la cathédrale de Tartous. C'est jour de fermeture des musées. Mais les gardiens sont ici plus accommodants et, comme nous n'avons pas la possibilité de revenir, ils nous autorisent à pénétrer à l'intérieur, à condition que notre visite ne dépasse pas un temps très limité, probablement voisin du quart d'heure. Nous allons donc voir cet ensemble monumental au pas de course ou presque. Ce qui me frappe au premier abord, outre le gigantisme, qui rabaisse quelque peu le prestige du Krak, pourtant plus connu, c'est l'emploi dans la construction d'une pierre volcanique noire, aux joints soulignés de blanc, mariée à une pierre blonde, notamment pour les encadrement des portes et des fenêtres; ce détail architectural me rappelle les bâtiments médiévaux de mon Auvergne natale. L'entrée principale de la forteresse fut aménagée vers 1270 dans la barbacane à l'ouest du donjon. On y accédait par un escalier en pente douce puis par un pont. Nous nous dirigeons vers la façade est de la citadelle. Le Hall des deux colonnes est situé entre la Salle des Gardes et le Grand Hall. C'était à l'origine une vaste pièce à couverture de bois dont la toiture fut remplacée, pendant la première moitié du 13ème siècle, par un dôme soutenu par deux colonnes sur pied qui divisaient celui-ci en six voûtes distribuées sur deux nefs. Il semble que ce Hall était relié au Grand Hall par un porche. Cette partie du château était défendue par deux constructions parallèles édifiées en plusieurs fois à l'époque des Hospitaliers. Le première construction était pourvue d'archères donnant sur l'extérieur. Un voûte éclairée par des fenêtres couvrait les bâtiments. Une chapelle, construite par les Hospitaliers,
vers 1186, possède une belle porte, mais elle est close.
Passons maintenant au donjon. Sa forme est ronde (29 m de diamètre); sa hauteur est de 24 m; il est placé au coin sud, et non au milieu de la forteresse selon les habitudes féodales. On suppose qu'il fut le premier bâtiment construit par les Hospitaliers au cours des 12ème et 13ème siècles. Il comporte deux étages à pièces rectangulaires sommées de lourdes voûtes; des trous montrent que les étages ont dû être divisés par des cloisons de bois. Le donjon servait de centre de défense sur la partie la plus vulnérable. Il était aussi la résidence du seigneur dont l'appartement se trouvait à l'étage supérieur. Des puits creusés dans la cour offraient à la garnison une autonomie en eau suffisante pour soutenir un siège. Nous revenons en passant sous la remarquable entrée gothique de la forteresse. Notre visite achevée dans les temps,
nous déjeunons à proximité du château avant
de prendre la route pour Ougarit.
Ougarit: (les photos sont ici) Le site de Ougarit Ras-Shamra se trouve à
une quinzaine de kilomètres au nord de Lattaquieh (ou Lattaquié),
port principal de la Syrie, où Nasser tenta une expédition
militaire qui échoua au moment de la dissolution de la République
Arabe Unie (Égypte et Syrie) (pour
situer Ugarit Ras-Shamra, voir une carte
ici). Cette cité cananéenne
(ou phénicienne) fut la capitale du royaume d'Ougarit (14ème
siècle - début du 12ème siècle avant J. C.)
qui couvrait à peu près l'actuelle province de Lattaquieh.
Son tell s'étend sur plus de 27 hectares. La forteresse royale,
à l'ouest, consiste en un palais, au sud, occupant environ 2 hectares,
et en un bâtiment, au nord, dépendance du palais. A l'arrière,
se trouvaient les différents quartiers où vivait la population
de la ville (des maisons avec leurs tombeaux, des sanctuaires...). Sur
la partie la plus élevée de la colline, au nord-est, les
deux principaux temples dominaient la ville.
Les hommes furent présents dans la région depuis l'époque paléolithique comme le trouve les outils de pierre qui y ont été trouvés. A l'époque néolithique, au 7ème millénaire avant notre ère, un petit village s'y était déjà formé. Ses habitants pratiquaient l'agriculture, l'élevage des animaux et la fabrication de la poterie. On pense qu'Ougarit fut l'un des plus anciens villages agricoles du monde. L'occupation du site évolua vers une urbanisation qui persista jusqu'à la fin du Bronze récent. Le royaume dont la cité était la capitale devait comporter quelques 200 villages; il dominait plusieurs autres petits royaumes voisins et il était réputé pour son commerce, sa science et son art de la navigation. Les artisans d'Ougarit étaient organisés
en corporations (maçons, charpentiers y compris de marine, tailleurs
de pierre, tisserands, constructeurs de chars, boulangers, bouchers, bijoutiers,
fabricants d'arcs, fondeurs de métaux: argent et cuivre, graveurs,
dresseurs de chevaux, écrivains, prêtres, conteurs et chanteurs).
Le premier animal domestiqué fut sans doute le chien qui assura
la transition entre la chasse et l'élevage puisqu'il servait aussi
bien à traquer le gibier qu'à garder les troupeaux. On pratiquait
l'élevage des vaches, des moutons et de la volailles et l'industrie
de la teinture au pourpre y était florissante. On fabriquait une
poterie polychrome, d'argile mêlée de paille et de sable,
décorée de dessins géométriques qui se retrouve
ailleurs en Syrie à l'époque chalcolithique; plus tard, les
techniques de fabrication de la poterie évoluèrent sous l'influence
de la Mésopotamie. On cultivait des céréales, l'olivier
et la vigne (d'où les moulins et les récipients découverts
dans la ville).
Les relations avec les pays de la Méditerranée orientale et aussi vers l'intérieur des terres, notamment Chypre, l'Égypte, la Grèce, l'Anatolie et la Mésopotamie, étaient relativement intenses. Les échanges s'effectuaient par le port de Minet el-Beida par lequel arrivaient les métaux, les parfums, l'encens et partaient le bois, les armes, les chevaux et les ustensiles de bronze. Ougarit disposait d'une flotte d'une centaine de navires. A l'époque du Bronze, la cité atteignit l'apogée de sa prospérité économique et sociale. On ne sait pas avec précision quelle fut la fin d'une aussi brillante civilisation. Certains pensent qu'un tremblement de terre ensevelit la cité sous ses ruines. D'autres privilégient une invasion des peuples de la mer; la cité aurait alors subi le même sort que d'autres royaumes voisins tombant sous les coups de conquérants équipés de redoutables armes de fer. Ces deux hypothèses n'expliquent pas pourquoi la cité ne se redressa pas et disparut complètement. L'ancienne cité a été redécouverte par hasard en 1928 lorsque la charrue d'un paysan mit à jour la couverture d'un tombeau familial. Des fouilles, dirigées par l'archéologue français Claude Shaeffer, permirent ensuite de dégager d'importants vestiges dont des tablettes d'argile ou de pierre gravée retraçant les relations internationales, l'histoire, les légendes, les épopées, les mythes, la religion et la vie de la Méditerranée orientale dans la seconde moitié du 2ème millénaire avant notre ère. Le nom d'Ougarit, probablement vieux de 4000 ans, est venu jusqu'à nous par des tablettes du royaume de Mari, sur l'Euphrate, datant du 18ème siècle avant notre ère; on le trouve aussi dans des écrits de Tell al-Amarna, en Égypte ainsi que dans ceux de la capitale des Hittites, Boghaz Kôy. On pénètre sur le site de la
cité antique par une porte voûtée triangulaire par
un escalier coudé. C'est l'ancienne poterne fortifiée de
la forteresse royale. Le rempart d'Ougarit était constitué
d'un mur de soutènement incliné (glacis) surmonté
d'une muraille aujourd'hui disparue. L'entrée se faisait au travers
d'une tour carrée massive donnant accès à une place
située devant le palais royal. Une poterne voûtée en
encorbellement, à droite quand on regarde la tour depuis l'extérieur,
constituait un accès secondaire vers cette même place.
Les premiers bâtiments rencontrés faisaient partie de la forteresse royale. De la tour d'entrée, située à l'ouest, on parvient à la place royale sur laquelle donne, à l'est, l'entrée du palais, auquel on accède par un vaste porche à deux colonnes. Au nord, un petit temple ouvre sur cette même place. Il jouxte un vaste bâtiment, muni d'une grande salle à piliers que l'on atteint par un porche monumental et un escalier. L'ensemble de ces bâtiments est isolé de la ville par des murs continus. Seuls deux accès, défendus par des postes de garde munis de portes, permettaient d'entrer ou de sortir de la forteresse royale. Le principal se trouve dans la rue qui longe l'édifice au nord, le second dans la rue qui est située à l'ouest. .
Le Palais royal couvre une superficie d'environ un hectare. Il comporte une place dallée de pierres de gypse ouvrant sur un porche aux banquettes de pierre prévues pour accueillir les visiteurs venus rencontrer le roi. Il se compose d'une centaine de pièces non compris les halls de réception et les appartements royaux. Il est considéré comme un chef-d'oeuvre de l'âge du Bronze récent. Des escaliers en pierre attestent l'existence d'étages supérieurs. .
Le Palais royal est séparé de la ville. L'entrée se faisait par une galerie menant à la partie officielle. Des bassins, des jardins et des cours l'agrémentaient. On y trouvaient également des archives et des tombes royales ainsi qu'un système complexe d'adduction d'eau et d'évacuation des eaux usées. Le Palais a été découvert lors des fouilles de 1950 à 1955. D'après une inscription trouvée
dans la cité de Mari, datée du 18ème siècle
avant notre ère, le fondateur de la dynastie d'Ougarit serait un
certain Yaqarum. La succession des rois identifiés ne remonte qu'à
l'époque du début de la prospérité du royaume,
en 1400 avant notre ère. Voici quels sont ces rois: Amistamrou II
(-1400 à -1370), Niqmad II (-1370 à -1340), Arhhalpo (-1340
à -1330), Niqmepa (-1330 à -1260), Amistamrou III (-1260
à 1230), Ibiranou (-1230 à -1210), Niqmad III (-1210 à
-1200), Amorapi (-1200 à -1180). Le roi d'Ougarit était à
la fois le chef politique, le grand prêtre, le juge et le commandant
des armées; garant de la prospérité, il était
uni à son peuple par un lien magique inaltérable. La reine
tenait un rôle important à la cour et dans la vie politique;
elle vivait dans un grand luxe.
A l'est du Palais royal s'étend un vaste quartier d'habitations. On y remarque des demeures privées, dont deux ont fourni de nombreuses tablettes inscrites en écriture cunéiforme et en différentes langues (la maison de Rapanou, un diplomate (C) et celle de Rashapabou (B)) et des bâtiments aux fonctions diverses, des magasins et peut-être une taverne (bâtiment aux vases de pierre). Les maisons, regroupées en îlots, comportaient toutes un étage et le plus souvent une tombe familiale aménagée en sous-sol. On y a retrouvé des objets liés à la vie quotidienne et, dans les tombes, des offrandes funéraires. Les tablettes fournissent une foule de renseignements: noms d'oiseaux, de poissons, de tissus, de divinités, renseignements sur les rituels magiques de guérison, sens de mots sumériens, hourrites et babyloniens... .
L'architecture caractéristique des bâtiments de pierre symétriques est unique au Levant. Ces bâtiments étaient construits pour offrir une protection contre la chaleur de l'été, le froid de l'hiver et pour résister aux tremblements de terre. Des canalisations aménagées en surface amenaient l'eau aux maisons et des égouts évacuaient les eaux usées hors de la cité. Les maisons d'Ougarit étaient construites en pierre pour les murs et en bois pour le support des toitures, matériaux abondants à proximité du site. Le roseau servait aussi parfois de couverture. Les maisons comportaient plusieurs pièces organisées autour d'un patio central. Les maisons des plus fortunées disposaient de salle d'eau et de toilettes; c'était notamment le cas de celle de Rashapabou, située dans un quartier luxueux, proche du Palais royal, et qui comportait aussi un puits, un patio pavé, plusieurs pièces sur deux niveaux ainsi qu'un tombeau. Les tombeaux étaient en général sous l'une des pièces; cependant on ne compte qu'environ un tombeau pour trois maisons. Le matériel découvert dans ces caveaux laisse supposer que les Ougaritains croyaient en une vie après la mort et qu'ils honoraient les mânes de leurs ancêtres supposés détenir de grands et magiques secrets, croyances courantes parmi les peuples anciens du Levant; un des usages consistait à séparer la tête du défunt de son corps et à la couvrir de chaux pour la conserver et la garder dans la maison; les crânes symbolisaient le culte des ancêtres placés au rang de demi-dieux. Des présents plus ou moins riches et de la nourriture étaient déposés dans les tombeaux. Des pleureuses trouvaient place dans les rituels funéraires. La famille était au coeur de la société
avec le père à sa tête, son autorité étant
transférée à l'enfant le plus âgé. Le
mariage était monogame ou polygame et pouvait être conclu
avec des étrangers, notamment pour des raisons politiques; il était
célébré dans les temples, en suivant des rites sacrés,
au cours de cérémonies accompagnées de chants et d'offrandes
aux divinités.
Cinq temples ont été retrouvés à Ougarit. Les deux temples principaux, le temple de Baal et le temple de Dagan, dominent la ville depuis la partie la plus élevée du tell, au nord-est. Ils se présentaient l'un et l'autre comme de véritables tours, hautes d'une vingtaine de mètres et précédées par un vestibule plus bas. Avec son enclos, le temple de Baal occupait une surface au sol d'environ 1000 m2. On pénétrait dans le sanctuaire depuis la cour par un escalier menant dans un vestibule et, de là, on accédait à la cella (lieu saint) du temple. Sa tour surplombait la cité et on pense qu'elle était utilisée comme un phare pour guider les navires accostant au port de Minet el-Beida ce qui expliquerait la présence des lourdes pierres percées d'un trou, employées comme ancres, offertes à la divinité. Le panthéon d'Ougarit comportait plusieurs divinités: El, le dieu suprême, créateur de l'univers; Baal, le seigneur-mari, dieu du climat, principal héros des légendes; Dagan, protecteur et pourvoyeur de richesses et de céréales; Ishtar, déesse de l'abondance et de la fertilité (Astarté, Aphrodite, Vénus); Sahar et Salem, l'aube et le crépuscule; Cothar, divinité de l'artisanat et des arts. Certaines croyances et le recours à des amulettes relevaient de la sorcellerie; le foie et le poumon des animaux, confectionnés en argile et portant des inscriptions, étaient utilisés par les prêtres magiciens. La société d'Ougarit étant essentiellement agricole, la pluie et la fertilité y revêtaient une importance primordiale ainsi que le révèlent les légendes, notamment celle de Daniel et d'Akhat et celle du roi Keret. Daniel était un roi juste privé d'enfant. Il pria les dieux qui lui donnèrent un fils Akhat. Celui-ci devint un beau garçon, habile à la chasse. La déesse Anat, qui lui demandait son arc et ses flèches, en échange d'or et de l'immortalité, essuya un refus. Furieuse, elle demanda à Aftan, le guerrier ivre, de tuer Akhat pour lui voler son arc et ses flèches. Une fois le marché conclu, Anat métamorphosa Aftan en aigle. L'aigle fondit sur Akhat et le tua. Anat survint, s'empara de l'arc et des flèches et tenta, mais en vain, de rappeler Akhat à la vie. La déesse alors s'effondra en larmes car elle savait que la mort d'Akhat allait entraîner une sécheresse terrible qui détruirait les récoltes. En apprenant la mort de son fils, Daniel poussa un hurlement terrible. Mais Bejt, la soeur d'Akhat, décida de le venger. Elle enivra Aftan et, une fois celui-ci endormi, elle le tua avec son épée. Anat apprit avec satisfaction la mort d'Aftan et elle pria El de rappeler Akhat à la vie. Le dieu suprême accéda à ses voeux à condition qu'elle passerait le premier semestre de chaque année parmi les hommes et le second semestre auprès du dieu de la mort. Et c'est ainsi qu'alternèrent dans l'année le renouveau de la vie et la mort. Au retour d'une absence de son pays, le roi Keret apprit la mort de sa femme et de son fils tué au cours d'une invasion ennemie. Désespéré, il se mit à pleurer comme il grêle. Cependant, tandis qu'il dormait écrasé par le chagrin, le dieu El lui apparut en rêve. Il lui dit de cesser de se lamenter et de sacrifier aux dieux. Keret monta sur les tours de la ville et s'adressa aux dieux. Puis il assembla une armée aussi nombreuse que les sauterelles et s'en alla assiéger Oudoum. A bout de ressources, le roi d'Oudoum proposa à Keret de l'or, des esclaves et de jeunes hommes. Keret refusa et demanda en mariage la fille du roi, belle et chaste autant que Ishtar. A son réveil, le roi Keret se souvint de son rêve et fit tout ce que El lui avait prescrit afin que le rêve se transforme en réalité. Notre accompagnatrice française profite
d'une halte entre le temple de Baal et celui de Dagan pour nous lire quelques
extraits très intéressants de textes d'époque. Malheureusement,
ils sont difficiles à trouver d'autant que je n'en ai pas retenu
les sources.
Une des découvertes les plus intéressantes réalisée dans le Palais royal est celle d'une petite tablette d'argile avec l'alphabet d'Ougarit. Cette tablette se trouve aujourd'hui au Musée national de Damas. L'alphabet ougaritain comprenait 30 caractères, uniquement des consonnes. C'est lui qui est à l'origine des alphabets phénicien, grec, latin et aussi arabe. Sans l'invention de cet alphabet, notre système d'écriture et, par voie de conséquence, notre pensée, nos connaissances, notre civilisation, auraient peut être suivi un chemin très différent. Les nombreux écrits traduits des tablettes trouvées à Ougarit laissent supposer une parenté entre l'arabe et la langue qui y était parlée. .
La musique tenait une place importante dans la société d'Ougarit. On y a retrouvé, sur une tablette datant du 14ème siècle avant notre ère, la notation d'une composition musicale qui a été déchiffrée par des chercheurs et même enregistrée sur support magnétique. Il s'agit d'un chant hourrite dont le texte est accompagné de la mise en musique écrite selon le plus ancien principe de notation connu, antérieur d'un millier d'années à celui de Pythagore. .
Nous finissons la journée en nous rendant à Lattaquieh où nous allons passer la nuit (pour situer Lattaquieh, voir une carte, ici). |