Pour revoir la cueillette de 2013-2015: cliquez ici
Pour accéder directement à un auteur de la cueillette la plus récente, cliquez son nom dans le tableau ci-dessous:
Encres Vives - N° 447
.
On
se demande s'ils sauront
Dans le froid de décembre, qui crispe
et rend pusillanime, le jeune couple qui,
peut-être, se forme à présent,
ou vient, - depuis quelques
jours, quelques minutes -, de se déclarer,
a l'air emprunté, chacun à sa
façon, l'un et l'autre.
La jeune femme, talons hauts, collants noirs,
trop fins contre le froid, se tient sur la
réserve
de la séduction, évitant le
faux pas, qui reviendrait
à trop donner ou à cesser de
plaire; le jeune homme,
l'air maladroit, tente d'écarter toute
violence
de son comportement, se montre tendre, et
disposé
à obéir. Se souvient de sa mère.
A les voir si maladroits, on se demande s'ils
sauront
tisser entre eux deux le lien invisible qui
dans l'ombre
charnelle fonde le lieu fluide de l'amour,
une
certitude intérieure émaillée
d'exigences, de déceptions,
de naïveté et d'enchantement -
cette chaleur de la lumière
au coeur de la nuit qui, décembre,
envahit le jour.
D'autres textes d'Anne Mounic sont ici
Encres Vives - N° 448
.
Hanko
Miastik
Tant d'arbres givrés par le grand froid
du temps
André Breton Marcel Duchamp René
Alleau
Alain Mangin Roger Van Hecke Jean Palou
Sarane Alexandrian Mesens Suquet Rosey
Philippe d'Araucanie et Gérard Legrand
Avec le maître d'Eoux Robert Amadou
Enfin pleuré toi qui nous veilles Gaston
Puel
Adrien Dax lisant sans fin les ennéades
J'ai même accompagné Schuster
Au cimetière de Pantin
Lui qui pourtant ne m'aimait guère
Le coeur d'Anne Bédouin ouvert au grand
Gurdjieff
Et Jean-Louis aux athanors
Et vous tous amis de Rimbaud et de Ducasse
Nous pleurons Jean-Jacques Lefrère
Le compagnon d'errance à Montevideo
Et Caradec pour l'asado
A Montréal Tokyo Paris Tarbes et Pau
A Penne aussi Noël Arnaud
Arsène Bonafous-Murat Saint-Antonin
Tant d'arbres givrés par le grand froid
du temps
Papier glacé des amis morts.
Encres Vives - N° 449
.
Villages
Dans quel beffroi trouverons-nous encore l'orfraie
criarde ivre de vin de messe?
Il n'y a plus de prêtre ensoutané
pour marmonner matines à l'heure bleue du coq.
Silencieuses sont les arches où ne
rôde qu'un chien couleur de pus,
mais sur le mail qu'un franc soleil grillage
d'ombres et de rameaux
les filles ont toujours des chevelures d'orge
mûre et d'orage
des hanches comme houle sur les blés
et au corsage cette montée de sève
dans le fruit.
Elles rient et chuchotent lorsque passent,
casqués de sueur, les garçons
et parfois l'une d'elles, soudain rêveuse,
séparée,
se détache et se perd dans l'ombre
des ruelles.
D'autres poèmes de Jean Joubert sont
ici
Encres Vives - N° 450
.
A la fois hier et demain
Est-ce que le présent existe
A part dans les conjugaisons?
Il ne faut pas dire aux enfants
Que les étoiles sont mortes depuis
longtemps
Mais espérer que l'arbre d'hiver
Oublie son squelette au printemps.
Encres Vives - N° 451
.
.
D'autres poèmes de C. Cailleau sont
ici
Encres Vives - N° 452
.
ici
toute tombe
est vide
ni suaire
ni sang
dans les tranchées
des arbres croissent
sans ombre
sans gibet
à leurs racines
mille cailloux
en pyramides
vestige secret
d'un ossuaire
D'autres poèmes de J.-C. Villain sont
ici
Instantané
Vous donnez à boire à votre fils.
Vous le laissez seul cinq minutes,
le temps de passer à la cuisine
rincer le biberon.
Lorsque vous revenez,
il chausse du quarante-trois et discute
au téléphone avec sa petite
amie.
Vous soupirez et fermez les yeux
un instant.
Quand vous les rouvrez,
il tient un bébé dans ses bras
et vous appelle papy.
Encres Vives - N° 453
.
A l'embrunir
l'âme des choses -
comme un halo -
sourd de la matière
Sous le carrare blanc luit l'esquisse
d'un mouvement -
parole ou sourire on ne sait
retenu comme le sinueux
mouvement de la tête penchée
Quelque tremblant fantôme s'accroche
encore aux vitres
aux arêtes polies des meubles
qui m'entourent
La candeur du marbre diffuse -
intense et fugitive -
la lumière
remontant de la pierre
du fond des âges d'avant l'homme
d'avant toute chose
toujours en quête d'une forme
soustraite
chaque soir
au néant
Ainsi dans le bloc ébauché
la matière fait signe
au sculpteur
afin qu'il en révèle
la forme qu'elle contient
Encres Vives - N° 454
.
LA
TERRE LASSEE
C'est la terre lassée
des brûlures de l'esprit.
Saint-John Perse
I
Mythe d'une perfection qui
fut au commencement :
quand l'homme n'était pas encore.
Songe de poète: la
consonance du monde et de
l'homme à l'origine.
Mais l'homme n'est qu'une
saison: le temps d'un jeu
dans la grande cour de l'univers.
L'homme est une apparition:
imprévue, et sans doute
éphémère.
II
L'homme s'est arraché
à la nature; c'est depuis lors
qu'il flotte si maladroitement entre terre
et ciel.
Pourquoi précipiter
le rendez-vous avant la fin?
L'homme ne serait-il qu'une erreur du hasard?
Pourquoi éternellement
se repaître de violence et de
terreur?
Il faudra bien, un jour,
faire place à l'ordre tendre des
poètes.
Encres Vives - N° 455
.
La peau
est toute seule
et se promène la nuit
Son regard est immobile
comme fixé
sur l'éclat d'une braise
Sa parole basse est inaudible
Je ne sais le chemin qu'elle prend
entre
les cailloux et les dieux
Je n'ignore rien de ses offrandes
Le froid laboure la plaine et libère
les corbeaux
Sortira-t-il enfin
de ses dents blanches
et de ses étreintes glaciales
qui mordent le temps
arrache l'écorce des arbres et des
hommes?
Je reviendrai voir demain
Elle avait le nez piqueté comme un oeuf.
Ses seins aussi et elle riait de se savoir convoitée, comme on convoite
une colline rouge où poussent des prunes sucrées. Sa main
dans ma main ne pesait pas plus lourd qu'un oiseau et elle faisait semblant
de tout savoir.
Était-ce un livre? Était-ce
hier? Était-ce dans une autre vie et pourquoi pas demain?
J'ai traversé des champs entiers d'orge
et de blé tel le vent d'autan, telle la tramontane calligraphiant
les nuées et les orages.
Je porterai au loin des nouvelles fraternelles,
des crépuscules qui brillent et des déserts qui verdissent.
Je serai au rendez-vous des fleuves et des
deltas, de la foudre et de la braise, là où le temps est
comme un bijou.
Je donnerai aux mots la beauté et la
luisance que nul ne saura oublier dans les temps à venir.
D'autres poèmes de Michel Cosem sont
ici
Ricardo Pochtar : Petites perceptions (Pequeñas percepciones)
Amargord, 2016
.
Livré à lui-même, le présent
est une énorme erreur de perspective.
L'ombre, ce que les choses paient du prix de la mort.
Entre cogito et sum, règne le doute.
Le regard de l'autre sait davantage : il sait au moins que l'autre regard bat de la paupière.
Les religions: tant de personnes qui attendent que le monde se meurt.
Dans le sourire de l'instant, l'ironie du temps qui passe.
Si confuse la vérité, si claire l'erreur, si dense le chaos.
La photographie, cette invention prodigieuse
qui atrophie la grâce du souvenir.
Le site de Portal
de Poesia
Encres Vives - N° 456
.
Calme des jours qui se succèdent
enfilades des lucarnes
ouvrant sur d'énigmatiques jardins
de lointaines compositions de couleur
s'encadrant dans le noir des salles
tout est loin et proche
nous sommes dans l'entre-nuit
la profondeur qui sépare la lumière
de la réalité des formes éclairées
nous vivons dans l'écoute
de ce feu qui brûle en nous
pleinement conscient de cette mémoire
qu'il érode jour après jour
de cette part qu'il nous ôte
avec la perte nécessaire du rêve
nous voyons bouger dans la fenêtre
les fleurs d'un arbre
rien n'est dit du souffle qui les porte
ce souffle est en nous
le silence du feu est en nous
la flamme qui s'éteint est en nous
D'autres poèmes de cet auteur sont ici
Encres Vives - N° 457
Salon
de thé La Española
.
C'est une ville où le désir
a fait son nid dans les ancres.
Il y a une ancienne faute que nous expions
dans les salons de thé où il
est possible
de construire des territoires de silence et
de béryl.
Le ferry de l'après-midi est parti,
mais la fumée bleuâtre ouvre
à des souvenirs
que cimente le geste de faire des mots croisés.
Mémoire fuyante, fragile
des hommes qui viennent pour oublier.
Ici la peur entoure les marcs de thé.
Latitudes atlantiques
où nous ne renonçons pas à
l'abîme.
Verónica Aranda est
une poète espagnole, prix international de poésie Miguel
Hernandez 2016. Les poèmes de ce recueil ont été
traduits par Rémy Durand.
Encres Vives - N° 458
Récits du Feu
D25
.
Une certitude. On ne jette pas les couleurs.
Comme les brindilles dans le feu. Autre certitude: la neige. Accumulation.
Pellicule. Objets hétéroclites. Clairs-obscurs.
Terre. Révolue terre. De minuscules
architectures. De grotesques jardins. Maçons, bâtisseurs et.
Charpentiers, couvreurs, peintres. Pas plus hauts que des soldats de plomb.
Ils disent: gagner du terrain. L'été vient. Ni eau. Ni feu.
Ni tremblement.
D'autres textes de Chantal Danjou sont ici
Ce qui reste - 2017
Encres Vives - N° 459
Les mots
se mélangent
à l'encre.
Il peut commencer
Il écrit l'amour
de la nuit,
le refus du
sens donné
amour.
L'oeil s'est posé
sur la main.
Un trait
noir couvre
l'étendue
blanche.
Elle va
partir
la jeune fille.
suivre l'absente
Les amants
sont séparés.
Un autre texte de cet auteur figure ci-après
Encres Vives - N° 460
.
Mes chevaux rétifs galopent
le long d'un gouffre de silence
syllabes lancées dans le vide
un pont vers l'incommunicable.
...
Murs couverts de glyphes
tu tatoues mon nom par envoûtement
l'encre capture l'être.
...
L'arbre du monde abattu
ampute mon coeur privé d'espoir
mon cri déchire le vent.
...
Encres Vives - N° 461
NUIT ET LAMENTATIONS
Celle, celui, ceux qui
pleurent, là, entre
une bougie, un bouquet
de roses et la
flaque de sang, le long du mur maculé,
ne
mêlent pas leur
peur à la douleur du
monde.
Ils psalmodient l'effroi, ils veulent laver
la
haine, ils mêlent
leur humble don, aux
prières affligées, ils
tissent les liens de la
fraternité dans les coeurs déchirés.
Leurs corps trop submergés
par tant de
barbarie, offrent leurs larmes, leur colère,
la sueur de leur courage,
à l'espérance
hébétée, qu'il
faut à nouveau implorer,
recommencer.
Ils lèvent, face
à la barbarie, l'éternel
visage des libertés chèrement
conquises,
jamais acquises.
Encres Vives - N° 462
Pénombre
L'air comme poudreux,
où filtre une lumière grise,
sans soleil -
impulse un rythme lent à l'écriture.
Par les sens cherchant
les mots qui pourraient donner une réalité à
cela.
Mais c'est là...
... un regard posé dans la pénombre
de la chambre, qui semble vouloir
éclairer par bribes une zone incertaine
-
à midi passé.
Les secondes s'égrènent
au passage de l'aiguille sur le cadran
de
l'horloge, signes
du réel qui se succède sans cesse à lui-même
- tels
que conférant au corps et à
sa mémoire une fonction de sablier.
La parole en germe
dedans portée par l'enfance
renouvelée de
l'esprit -
ou mots ouverts sur le jour,
la liberté.
D'autres poèmes de cet auteur sont ici
Encres Vives - N° 463
utopie qui respire
La paix vaste et féconde, synonyme
de plénitude, s'atteint sur l'axe vertical
de l'utopie qui respire, puisant
comme un arbre en nous son souffle,
sa sève, tandis que s'étire
le fleuve, lisse sous le soleil
et apprivoisant le ciel sur le défi
de sa lenteur.
Durant les dernières journées
de l'été, il faut savoir rassembler
les raisons cachées de la joie -
l'infatigable énergie où s'enracine
l'arbre du souffle.
D'autres textes d'Anne Mounic sont ici
Encres Vives - N° 464
Cet espace rouge
à l'intérieur du ventre
nos angoisse
en gestation
la peur de ne savoir
garder la main ouverte
lorsque monte la colère
de laisser éclater
l'injure qui salit
celui qui la profère
...
et puis toi
si attentive
tu le vois lui
dans ce monde clos
de ton ventre
sais qu'il ne sait
pas jusqu'où
étirer ses bras
ses jambes
ni porter son regard
qui jamais n'a vu
...
Main posée
sur l'agitation invisible
de celui qui déjà
n'est plus nous
devient lui
dans nos regards
échangés
l'étonnement
d'offrir la vie
sans la comprendre
D'autres textes de Cédric Le Penven
sont ici
Nous marchons,
Nous marchons avec la solitude,
Avec la neige et les branches des arbres.
Nous marchons avec les errants,
Avec la parole perdue, les obscurs
Et les poèmes défaits.
Nous marchons,
Comme si marcher c’était se tenir debout,
Loin de soi et au-devant de soi-même.
Nous marchons,
Nous marchons depuis toujours
Dans une forêt de cristal et dans les
arbres,
Dans le bec de l’oiseau et sous l’anneau d’or.
Nous marchons,
Nous marchons dans l’immense.
Yves Namur est un poète
belge.
Tinjis
On dit de toi, terre de salut,
Que Noé bénéficia de
ta paix.
Une colombe ou une huppe,
Un corbeau
Et entre deux vagues,
Tanger s'est reproduite comme l'écume
des océans.
Sur ton hymen se sont succédé
Les scalpels de la lubricité et des
conquérants,
Les rites de la réincarnation, de la
métempsycose,
Et la fête de Bacchus déchaînait
la frénésie des reines,
Le délire dans les jérémiades
de la mer.
L'on aurait dit Troie, échue en partage
au cheval.
L'on aurait dit une mariée écroulée,
Assommée, et ranimée par Zeus.
Mohamed Choukri était
un poète marocain. Extrait de "Tinjis", Le Temps des erreurs, traduit
de l'arabe par Mohamed El Ghoulabzouri - Seuil, 1994.
Editions Bruno Doucey
Chroniques d'un village en temps de crise
1
Elles sont assises sous le mûrier
et conversent sans bavardage
Le soleil n'est jamais aussi beau
que dans son ombre
La parole n'est jamais aussi forte
que dans le silence
2
Une femme vêtue de noir
rit de toutes les dents
qu'elle a perdues
Son visage de pomme tavelée
dit une chose
et en raconte une autre
...
Les
poèmes de Douce Ybroun
...
13
Quand il était enfant
les mots roulaient entre nos mains
comme des coquillages
Je disais Chien, il disait Niche
Ange? - Nage
Rose? - Oser
Vélo? - Volé
Et nous partions ensemble d'un grand éclat de rire
Il nageait dans les nuages avec les anges
jallais en Chine avec le chien
nous rêvions de nous envoler en vélo
la fleur avait osé devenir rose
Mon enfant aimait alors la magie de l'image
Aujourd'hui
les jeux ne le font plus sourire
L'ivresse des mots est interdite
la parole est celle du Prophète
et qui écoute de la musique
court le risque d'être transformé
en singe ou en cochon
Quand il a dit Coran
j'ai répondu Narco
mais son regard m'a toisée
et j'ai vu sur ses lèvres
le poison des trafiquants du jour
...
Encres Vives - N° 465
Chagrin d'un jour
Je regarde la plaine froissée par ses démons. La blancheur pesante d'un matin apeuré. Elle dit le froid et son chagrin du jour. Devant-elle des hommes appellent les couleurs de la région. Le blanc se dilue dans les ajoncs. Le vent se lève et couche tous nos rêves. J'ai du mal à écrire proprement. Jamais personne n'a su pleurer plus que nous. Des larmes sèches et nos yeux terreux sondent la peur du monde. A perte de vue, la plénitude du temps: la grisaille s'époussette et laisse son dépôt de cendre sur le sol. Les pleurs s'allongent sans lendemain. Le sombre et l'obscur se pressent aux portes de l'ombre. Pas une fille n'ose franchir la grille. Elles regardent de loin le lent ballet du clair obscur. Elles ne veulent pas tenter l'aventure. Tout semble aller trop vite. Les gares ne sont plus sûres. Les rues se diluent dans la boue du temps. Même le soleil est sale. L'éden est fait de détritus; ses jardins sont de véritables décharges. "La madone des ordures" trône face à des pèlerins incrédules.
Extrait de Carnets du destin
- à paraître.
Encres Vives - N° 466
Les portes cèdent
à la provende
des mots trempés
ruissellent à l'évier.
Je n'oublie pas
le meubles d'angles
les migrations d'hiver
la grenaille des souvenirs.
Nous allons souffler les quinquets, nous perdre en nous-mêmes. Le froid, la fête, autant d'occasions d'être réunis. L'haleine a réchauffé l'oeuf du coucou qui va naître. Mais viendra sur le tard l'odeur âcre des lampes.
Qui osera le premier mot?
Dans la sueur frétille la différence.
A coups d'erreurs. Pour des réponse qui oscillent de la ferveur
à la furie.
Encres Vives - N° 467
D'autres textes du même auteur sont ici
Rite
inaccompli
A ma mère
Ils disent que la mort est solitaire
que nous mourons seuls
quoique entourés de ceux qui nous aiment
mais toi tu m'appelas
et moi je ne fus pas là :
je ne t'ai pas fermé les yeux
je ne t'ai pas baisé le front
je ne t'ai pas aidé à paser
de l'autre côté
j'étais loin
loin de toi qui m'as donné la lumière
m'as nourrie
m'as appris à voler de mes propres
ailes.
Je n'ai pas accompli le rite
j'étais loin
loin
et cette absence est le sanglot
qui m'emporte en des vagues
en des voûtes
en des grottes
et qui ne peut sortir
qui me poursuit dans mes rêves
et qui me noie.
Pardonne-moi/libère-moi
j'ai besoin de hurler
de battre des tambours
d'un coup dans la nuque
d'une manifestation
pour arracher à la coagulation ce sanglot
et ne plus t'invoquer
en vers
désolés.
Clara Isabel Alegría
Vides, dite Claribel Alegría, née le 12 mai 1924 à
Estelí (Nicaragua), est une écrivaine nicaraguayenne et salvadorienne
décédée le 25 janvier 2018 à Managua (Nicaragua)
Encres Vives - N° 468
Lieux de rêve.
Presque des temples de solitude. La colonne permet au monde de passer. Derrière l'arbre, l'ombre, le mât? Et la terrasse arborée d'ici revoit le balcon-Biduyan. Plongé dans les bois nains des racines crayeuses. Si petit l'Homme qui regarde. Le paysage tourne. Grosse moto cornue. Bruit des jours ! la rambarde flotte. Le ciel stratifie. Les ténèbres laissent après eux une odeur de tabac. Leur fumée est claire comme une fenêtre. Leurs arbres forment la chevelure du visage. Et c'est une tête énorme. Ne cache plus. Se brise sur les rochers. Toujours la mer à tanguer les objets précieux qui s'en échappent. |
Encres Vives - N° 469
...
La nuit me confie ce qui la trouble
Elle sait que je saurais lui donner
Vie avec mes mots
La nuit qui enchante les silences
Tourne dans les coeurs
Comme une comptine fidèle
Une ancienne chanson répétée
depuis l'enfance
A qui l'on demande comment le jour
Prend racine dans les étoiles
Quelle clarté elle est prête
A tisser sur le monde
Quand je perçois très loin
Dans son corps
La place dune flamme amoureuse du vent
...
D'autres textes de cet auteur sont ici
Encres Vives - N° 470
Sur l'aube
tu avais déjà tant écrit
que dire
du baiser de la bouche
ensommeillée
du drap
que l'on plie
sans savoir
où le ranger
du parquet
qu'il ne faut pas faire
craquer
de ce trouble
à chaque fois
renouvelé
Encres Vives - N° 471
Nous ignorons jusqu'où
nos pas suivront nos
pensées, mais se
mettre en marche vaut
toujours la peine.
Le but n'est jamais celui que l'on
s'est donné.
On croit pénétrer
un paysage, un lieu connu
ou à découvrir, et
c'est toujours au coeur des
mots que l'on déambule.
Les pierres, les arbres...
se nomment ; un
dialogue s'amorce : toutes choses
se muent
en phrases.
L'espace bientôt s'emplit de pages précieuses,
le monde devient un livre à transcrire.
Encres Vives - N° 472
Laisser couler la source -
Du fond de soit et
sur ce point.
Y concentrer son énergie...
Jusqu'à la fleur éclose, dans
le creux
Des mains.
Cette parole, ce poème.
D'autres poèmes de Jean-Michel Tartayre
sont ici
Encres Vives - N° 473
...
Brûlures du gel
Les oiseaux battent des ailes en signe de
deuil
Les buissons et les hautes herbes
ont rencontré la mort au petit matin
Le mouvement s'est figé
Pourtant nous avançons
comme les nuages dans le ciel
mais les oiseaux ne volent plus
qu'à l'intérieur de nous
Ils nichent tout près du coeur
Petites graines des fleurs du sommeil
lancées à la volée
La vie est en dormance
Un nid vide entre deux branches noires
La vie menue en souvenir
Lumière malgré tout
dans la grisaille du jour
Juste là
pour éclairer la grisaille de l'être.
Il neige aujourd'hui à gros flocons
...
D'autres poèmes d'Annie Briet sont
ici
Encres Vives - N° 474
Empreintes et résonnances
Pour voir éclore
dans ton jardin d'hiver
toute la flore
de l'univers
tu n'auras guère
d'autre moyen
avant l'été prochain
que d'y planter des métaphores.
De toi me vient le vent qui m'arrache à
moi-même
et déployant mes rêves pour te
retrouver
par le détour de toi je me retrouverai.
Par les chemins de vie
Le vent voudra ce soir peut-être
entrer par ta fenêtre
Qui peut savoir? Ne t'enclos pas dans ta maison
ouvre ton âme à la fraîcheur
du soir qui tombe
et si ce n'est le vent ce pourrait être
l'une ou l'autre de ces étoiles
du firmament
qui voudrait venir se poser
sur le bord de tes yeux
comme une larme.
Un autre poème de G. Mottet est ici
Encres Vives - N° 475
Assaut
Je n'avais rien vu venir.
Je naviguais en eaux troubles,
sans m'inquiéter des esquifs
et des écueils des cieux.
La route semblait pourtant belle
à l'abord des aveux.
Je n'avais pas vu
le monde s'affaiblair
et perdre de ses mille jeux,
la horde déchirer la voile
à la racine de mes cheveux,
le rouge déborder
du bastingage bleu.
Je voyageais
le coeur prisonnier
d'une chevelure d'anges en feux,
croyant, peine perdue,
que celui qui amarrerait l'ivresse
serait mon unique dieu.
Encres Vives - N° 476
On s'évertue à ne pas céder
Cette pluie fine et glacée
pénètre l'intimité.
On se recroqueville,
on s'évertue à ne pas céder
aux tentations du gris
et du laisser aller.
L'ennui est un abandon
à l'oubli. Très froid,
le vent t'invite à animer
la flamme intérieure, celle
qui résiste à la vaine dispersion
de l'énergie.
On ne se réchauffe
qu'avec effort au cours
de ce long cheminement bariolé
entre le pressant camaïeu du terne
et les mûrs éclats de la vive
décision.
D'autres textes d'Anne Mounic sont ici
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,
Un amour éternel en un moment conçu:
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû
le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.
Hélas! j'aurai passé près
d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés,
et pourtant solitaire.
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur
la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et
tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur
ses pas.
À l'austère devoir, pieusement
fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle
"Quelle est donc cette femme?" et ne comprendra
pas.
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
Hommes de pays loin
Cobayes des colonies
Doux petits musiciens
Soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d'Aubervilliers
Brûleurs des grandes ordures de la ville
de Paris
Ébouillanteurs des bêtes trouvées
mortes sur pied
Au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
Embauchés débauchés
Manœuvres désoeuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
Pêcheurs des Baléares ou du cap
Finistère
Rescapés de Franco
Et déportés de France et de
Navarre
Pour avoir défendu en souvenir de la
vôtre
La liberté des autres.
Esclaves noirs de Fréjus
Tiraillés et parqués
Au bord d'une petite mer
Où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
Qui évoquez chaque soir
Dans les locaux disciplinaires
Avec une vieille boîte à cigares
Et quelques bouts de fil de fer
Tous les échos de vos villages
Tous les oiseaux de vos forêts
Et ne venez dans la capitale
Que pour fêter au pas cadencé
La prise de la Bastille le quatorze juillet.
Enfants du Sénégal
Dépatriés expatriés et
naturalisés.
Enfants indochinois
Jongleurs aux innocents couteaux
Qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
De jolis dragons d'or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite
en allés
Qui dormez aujourd'hui de retour au pays
Le visage dans la terre
Et des bombes incendiaires labourant vos rizières.
On vous a renvoyé
La monnaie de vos papiers dorés
On vous a retourné
Vos petits couteaux dans le dos.
Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
Vous êtes de sa vie
Même si mal en vivez
Même si vous en mourez.
Un autre texte de Jacques Prévert est
ici
Guillaume Apollinaire (1880-1918)
A Tristan Derème redivivus
Amis je vous écris du fond d'une cantine
Le vent crie et le ciel a sa couleur turquine
Il est bleu mais hostile Il se fait plus d'un
an
Que vous n'écrivez plus de lettres
Maintenant
Souhaitant m'égaler à vos héros
qui meurent
Je conduis conducteur les canons qui demeurent
Quatre-vingt-dix soixante-quinze et cent vingt
long
Mes chevaux argentins volent tel l'aquilon
J'ai reçu ce matin votre noble poème
Je l'ai relu vingt fois et tel qu'il est je
l'aime
Vos vers les conducteurs les servants les
ont lus
Et les larmes mouillaient les faces des poilus
Je voudrais bien vous voir Je vais partir
en guerre
Venez un jour ici
19 janvier 1915 - 38ème
R.A.C. 70e batt. Nîmes
____________________________________________________
Norge
(1898-1990)
La porte
Non, n'ouvre pas cette porte
ça donne sur l'océan...
ça donne sur des cloportes...
Pas compris? Sur le néant!
Après ça, c'est difficile
D'aller vivoter, Cécile.
C'est difficile, Zaza
De vivoter après ça.
Disons qu'on a des raisons
De froid, de vent, de tonnerre.
N'ouvre pas, disons, disons
Que c'est pour les courants d'air.
Au bonheur des maisonnées,
Il faut des portes fermées,
- Tralalaire et troundelaire -
D'ailleurs l'usine a sifflé
Il est grand temps d'y aller,
Prends bien la porte ordinaire!
Quatrain treize
Lustre incliné sur les plus riches sommeils
Tu perds peu à peu tes joyaux.
Le poète travaille à retirer
de l'eau
Ces bijoux faux qui sont vrais au réveil.
D'autres extraits de ce poète belge
sont ici
____________________________________
Véronique
Joyaux
Je t'écris de l'ultime point.
Je t'écris depuis la courbe d'une aile
l'indicible des mots.
Je t'écris de la frange des algues
où l'eau devient l'air, où l'air devient de l'eau.
Je t'écris à la frange des fleuves,
à la lueur des lampes quand le soir efface le jour avec de l'ombre.
Je t'écris pour que le silence entre
nous soit habité, toi qui es là-bas et moi ici, à
l'autre bout de la terre.
Je t'écris pour retenir ce qui est
beau ou trop petit pour tenir même entre les doigts, pour le murmure
et pour le cri.
Je t'écris debout contre l'arbre, assise
à la table ou dans le hamac allongée.
Je t'écris pour la douceur et la rudesse,
pour la chaleur et pour le froid.
Je t'écris pour le pelage des loutres
et le rouge de l'érable, pour tout ce que l'on élude, pour
ce qui émeut et fait sous la peau de petites vagues.
Je t'écris parce que tu existes au-delà
des gestes et des mots.
Je t'écris pour l'homme que tu es,
la femme que je suis, et ce point de rencontre dans l'immensité
du monde.
Extrait du recueil Traces
- Éditions Parole et Poésie - Collection de l'Églantier
_____________________________________________________
Seyhmus
Dagtekin
Ceux qui se hissent, verront
Ceux qui se terrent, mourront
De ce qu'auront vu
Ceux qui se hissent.
Seyhmus Dagtekin est un poète
kurde d'expression française. La citation est tirée d'une
analyse de l'excellente revue Décharge.
Encres Vives - N° 477
A peine le temps
Sous le regard immobile de l'univers
sur cette minuscule orange bleue
qui danse en rond autour d'un feu
les hommes naissent les hommes meurent
les hommes ont juste le temps
d'aimer et de souffrir
à peine le temps de s'entre-tuer
et d'enterrer leurs morts
à peine l temps d'espérer
juste l'instant d'une pensée
l'éclair d'un rêve
l'étincelle vaine d'un voeu
juste à peine le temps d'ouvrir leurs
yeux
clairs ou sombres pour défier
le regard fixe
le regard incolore des étoiles.
Un autre poème de G. Mottet est ici
Encres Vives - N° 478
1- Compréhension
Il y a des géraniums bâillonnés
sur le champ de bataille
ton père, petit
marche sur des pétales minés
en ce jour qui ne prend fin
on mutilera ton père, petit
et il y aura peut-être une note de bas
de page
et un timide adieu de la secrétaire
ton sourire est absent de la première
page du journal
où est passé le bleu cristallin
du ciel de la piscine
il y a dans le printemps éternel
de ta journée
un éclat de rire qui fait taire les
tigres
il y a dans mon désir d'être au-delà
de moi
l'étonnement
de l'alcoolique qui se réveille
après avoir raté son arrêt
de bus
Extrait de Le chasseur de
papillons - Première édition française - Éditions
Cosette Cartonera - Clermont-Ferrand - 2016
Encres Vives - N° 479
Acte
Pose ta main sur l'épaule de la nuit
nouvelle
Et croise ce jour achevé avec des jours
anciens
Parle à la nuit sûr de son écoute
sûr de ses fantaisies
Comme tu parlais hier de tes projets de tes
inventions
Suis-la dans son voyage dans le rythme de sa
parole
Suis son mouvement lent de batelier prudent
Laisse aller sa chanson comme une barcarolle
Et repose ton coeur sur cet air indolent
Alors tu entendras monter avec surprise
Une musique d'été comme une
sortie d'église
Un autre poème de cet auteur est ici
Le ciel s'étire dans les draps de l'aube. Au front des arbres, s'étalent quelques nuages, égratignés par la nuit. L'attente se fait lourde, comme un galet trop sage.
A grands cris de verdure s'ébroue la lumière des premiers pas du monde. L'oeil égoutte l'ombre encore présente dans ses plis puis accueille ce qui vient.
La terre, embroussaillée d'oiseaux, s'épaule au jour, qui titube sur chaque bout de l'herbe.
Et le vent suspendu au cratère des secondes, scandalise les feuilles, dépourvues de paupières.
Un autre poème du même auteur est ici
L'Etincelle, bulletin annuel
des Amis de la Tour du Vent (http://www.latourduvent.org),
a succédé à AVEL IX qui a cessé de paraître.
Aspect
Confins
des fondations
...
L'air matinal lèche sous les franges
de la nuit.
Un instant hors du temps, sans souffle de désir, je vous respire confins!
Lointains aimés qui me rendent sans attente! Vous êtes plus grands que l'absence.
Les dormeurs enchevêtrés dans le lit, la langue entre les dents, les deux fleuves entre les sables. Entre leurs yeux : l'ombre d'un sourire.
Une seule âme d'une rive à l'autre.
Autoportrait
aux livres
...
Comme si dans le réveil d'un profond
sommeil, je n'étais plus moi. Comme si je n'étais pas. Comme
si j'avais rêvé ce que j'étais jadis. Comme si j'avais
rêvé ma vie. Comme si j'avais caché ce que j'ai toujours
rêvé. Comme si j'allais être ce que j'ai prétendument
rêvé. Comme si j'allais rêver ce que j'étais
vraiment. Comme si jadis j'avais été un... Comme si j'avais
été un autre. Comme si j'allais à jamais rêver
les rêves des autres. Comme si je n'étais que le sosie de
moi-même...
Encres Vives - N° 481
au détour de moi-même
née dans des sources
qui affleurent dans mes silences
je suis à l'infini
dans l'intuition des choses
dans les petits bonheurs
qui distillent
mon impatience
l'enfance m'accompagne, silencieuse
sur des terres immergées
les images
rayonnent
et m'attachent à la vie
ce que je suis depuis toujours
est ma force
apprendre à la peupler de mon intimité
...
un jour
j'habiterai mes rêves
dans l'ivresse des petits bonheurs
après avoir été en marge
de moi-même
je prendrai une main
dans l'attente
et l'ivresse des départs
quand les ombelles fleurissent à nouveau
les traverses
dans la nuit apaisée
mon ventre aspire les étoiles filantes
D'autres textes de cette poète sont
ici
Encres Vives - N° 482
Perclus de mots rouillés
et de brumes ingrates
j'attends l'éclair
silence diluvien
aux ailes de l'abîme
sur l'eau lente
passe
un collier d'ambre
et de regret
à terre perdue
je compte les collines
dans le lamé de l'aube
l'heure cristallise
sous la braise et le givre
silence à recoudre
sous son écorce de pierre
D'autres texte de ce poète sont ici
El Bardo - 45 - Cuarta etapa
12 novembre 2015
Au
loin les nuits, au loin les jours.
La douleur, au loin. Je crois que parfois
j'ai dit ça. Mais je peux le redire
maintenant, dans cette salle d'aéroport.
Hier, ils ont opéré maman, et
cela
s'est bien passé. Jours d'hôpital.
Et
auparavant mois de fatigue et de médecins,
de doutes, d'angoisses, d'ombres sur l'âme,
d'embrouilles diverses de cette profession,
parmi les plus belles et qui fut celle de
son père,
mais une profession aussi difficile et parfois
même
accablante à supporter - pour quelques-uns
de ceux qui l'exercent - et dans laquelle
on se perd. Au loin. Adieux, au loin,
comme parfois je l'ai dit et plus encore
je le répète à présent.
C'est passé, et tout
a bien allé. Reste le rétablissement,
qui sera lent, mais au moins nous aurons
le calme, ce qui nous manquait. Au loin,
douleur. Adieux, au loin. Je suis à
l'aéroport parce que je vais en Hollande.
J'y vais parce que l'opération s'est
bien déroulée
et parce que je n'ai pas annulée cette
tournée organisée
par mon traducteur, pour maman, parce que
cela la peinait
et la tourmentait de me sacrifier, pensait-elle,
si je la perdais sans y aller. C'est seulement
pour cela que j'ai maintenu ce voyage. A cause
de cela que j'y vais.
Hollande. Vers toi je me rends. Avec ma poésie.
Avec ma mère dans l'âme, à
qui je dois dédier ma poésie,
afin qu'elle ait un frontispice
superbe et fort, comme celui
d'autres poètes, qui de cette façon
ouvrirent
leur poésie, manière d'agir
qui s'avère parfois splendide
-Je me souviens de celle de Borges, de celle
de Guillen.
En ce moment, moi, j'écris ces lignes,
qui déjà ne sont plus des vers,
tandis que j'attends l'embarquement
dans l'avion. Mère: parfois déjà
je l'ai dit, dans ma poésie de jeunesse
et dans la plus récente, mais davantage,
et d'une façon
encore plus profonde je le ressens
aujourd'hui. Ma poésie et ma vie tout
est pour toi. De toi cela vient, et à
toi je le dédie.
Toi, qui m'a appris la vie et les mots,
et ce don de les métamorphoser en art,
en poésie. La poésie sauve.
Dieu te sauve et te garde avec moi,
qu'il me donne la joie de ta longue compagnie,
en de fécondes
années. Ainsi voulu ainsi donné,
comme un cadeau. Cette poésie que
toujours j'écris je te la dédie
et je sais qu'elle est tienne
ainsi je la mande et la convoque.
Cette poésie, née de toi,
comme moi, et pour toi écrite,
elle te veut toi pour première lectrice
et elle t'a, et elle te veut vive, et splendide,
et belle en sa compagnie, toujours offrande,
avec en elle l'expression de tout,
toute la vie et à travers elle la quête
de Dieu,
entre les vers, dans le brouillard,
comme est la poésie et comme la poésie
que j'écris veut être et l'est
aussi parce que je l'écris grâce
à toi
et pour toi. Pour toi, mère.
Cette poésie. Dans cette salle d'attente.
Et, avec ma poésie, toute ma vie,
ma vie tout entière, et l'expression
de tout et la quête de Dieu entre les
vers.
(Barcelone. A l'aéroport, juste avant
d'embarquer pour Amsterdam)
__________________________________________________________
Poesia en Roma (Poésie
à Rome)
El Bardo - 48 - Cuarta etapa
28 octobre 2017
La
matinée commence aussi, légère
et si fragile. Ainsi s'initie la journée
dans la place encore fermée.
Avec peut-être encore quelque relent
du rêve.
C'est en tout cas ainsi que je l'éprouve
en son avènement qui va s'évanouir.
Qui perdra
cette juvénile palpitation qu'au réveil
tiennent les choses, pour que le monde suive
aveugle son chemin, sourd à la légèreté,
à la fraîcheur primitive de l'éveil.
Le monde retrouvera ses habitudes. Le temps
nous moule dans la coutume, et dans la coutume
nous nous perdons, sinon dans le dégoût.
Pauvre matinée qui s'ébauches,
commences,
et débutes si bien, tu dois
t'en aller, tu dois te perdre. Le monde
aveugle doit t'effacer en ta légèreté
comme dans ta fraîcheur. Vivre c'est
perdre,
c'est se souiller, c'est oublier. Les pas
que donne le monde sont ainsi :
effacé, oublié, le premier élan
de la matinée.
_________________________________________________
Nicaragua por dentro
(Le Nicaragua de l'intérieur)
El Bardo - Coleccion de Poesia - 2019
19 février 2018
DE
BONNE HEURE DANS LA MATINEE.
MANAGUA
Un café et un plateau de fruits. Je
me demande
s'il pleut. Non, mais on le dirait. C'est
seulement
que le monde s'éveille plus neuf,
entre la végétation verte et
forte,
resplendissante. Le monde appartient à
la
terre, à la verdure, et au matin
en lequel la terre à son éveil
resplendit. Et c'est comme s'il allait
pleuvoir. Mais il ne pleut pas.
Le monde s'éveille un matin
en Amérique.
(Managua)
CELA
NE VAUT PAS LA PEINE. LA TRISTESSE
ne vaut pas la peine. La tristesse
et les blessures, tant de choses.
Mais elles sont aussi la vie,
et pour cela le poème
les dit. Cela tout à coup
je le pense et je le ressens sur une
route du Nicaragua, et
je l'exprime dans ces vers.
Comme les arbres en
vue et à côté de la
route les poèmes
donnent de l'ombre et s'en vont
en agitant leurs mouchoirs
pour dire adieu.
(Sur la route)
_______________________________________________________
Barcelone en flânant
J'arrive le mercredi, après avoir passé la journée à Sant Jordi et je me retrouve avec un message de Patrick Cintas intitulé "Prix du Chasseur de poésie 2012" qui dit : "Bonjour Santiago,/ nous venons de publier notre anthologie poétique. Une sélection de 20 poètes, toi compris. Tu en recevras bientôt un exemplaire (nous avons besoin d'une adresse)./ Notre Prix Chasseur de poésie 2012 t'a été attribué. Deux de tes buts nous ont séduits : la Barcelone qui ressemble à ta prose poétique par son rythme de marcheur et l'expérience littéraire originale que tu décris en préface de ton dernier livre./ Deux raisons de saluer le poète./ Comme suite à ce prix, nous pourrions projeter ensemble la publication d'un livre de tes poèmes, traduits en français, pour le publier en France et pourquoi pas en Catalogne. Bien sûr, avec ta Barcelone et ta réflexion sur la poésie./ Nous annoncerons la nouvelle du prix la semaine prochaine à la presse et ensuite, si ça t'agrée, nous nous mettrons au travail pour participer à la diffusion de ton oeuvre en France./ Un salut amical,/ Patrick Cintas" C'est une surprise, et je réponds pour exprimer ma gratitude. L'éditeur m'avait demandé de participer à son anthologie annuelle publiée en recueil, et il avait précisé qu'un des participants serait primé, prix dont l'attribution impliquait la publication d'un ouvrage. J'avais accepté, parce qu'il avait toujours bien accueilli ma poésie. Le choix des poèmes retenus, qui portaient sur Barcelone, avait attiré mon attention ou m'avait interpellé, et voilà que maintenant Patrick Cintas soulignait cela dans son message. Ces poèmes lui avaient certainement plu. Et aujourd'hui, vendredi, je reçois un message de félicitations de Jean Dif pour l'attribution du prix et la publication du livre qui va avec. Et je réponds tout de suite, avec la générosité et l'affection que je ressens pour lui, la gratitude pour son appréciation de ma poésie et ses belles traductions, qui ont permis à ces nouveaux poèmes de se faire connaître en livre et à Paris avant tout autre lieu. Ainsi je le dis. Et plus de choses encore. J'écris honnêtement et avec une affection intense. Je pense ensuite que si je me félicite de l'attribution du prix, c'est que celui-ci a déjà été rendu public. Je cherche l'information et lis : "Le jury a été séduit par son évocation de Barcelone, empreinte d'une poésie de flâneur né, et par sa réflexion sur le fil de l'écriture qui donne au poète les clés de la ville". Elle souligne les deux composantes qui ont motivé la décision du jury, et que Patrick Cintas m'avait déjà annoncé dans son message, pour n'en faire plus qu'une.
Les poèmes de Barcelone, Barcelone dans les poèmes, la poésie et Barcelone. L'éditrice d'El Bardo insista pour que cela fût mis. On doit aimer, ou penser que l'on aime, et j'ai remarqué que dans sa collection il y a un livre de José Agustín Goytisolo qui porte ce titre : "Poète à Barcelone". Et il semble que cet éditeur français veut peut-être faire un livre comme celui-là, d'après ce qu'il dit, et j'ai imaginé qu'il le fera peut-être, car il connaît l'espagnol et a déjà traduit quelque poète de ma langue. Mes poèmes, dit-il dans ce bref procès-verbal du jury, sont ceux d'un flâneur né, et je pense que c'est vrai et aussi que c'est très français, et je me souviens tout de go - tandis que, de fait, je marche dans la rue au soleil d'aujourd'hui, par Mayor de Gracia, m'arrête à la librairie des "els jardinets" où vivait Espriu, et continue; je suis un passant, un flâneur - l'ensemble de cartes postales du début du siècle qui viennent de chez ma grand-mère et qui ont ce titre : Paris à flânant. Et aussi, si cet éditeur veut faire lui-même la sélection selon son goût, et qu'en lui se retrouve le livre formé par les promenades à Barcelone, et les poèmes qui en découlent, je peux lui suggérer ce titre : Barcelone à flânant. Comme un vieux guide postal. Peut-être plaira-t-il, ou peut-être pas, mais tout à coup je me souviens de ce titre très français des anciennes cartes postales parisiennes que j'ai chez moi, et je me joins à l'énoncé du jury qui me donne le prix, et qui dit que mes poèmes sont ceux d'un flâneur, mais pour Barcelone et non pour Paris, et que je pourrais donc suggérer ce titre. Lequel rappelle celui du Goytisolo de mon éditeur d'ici, mais pas exactement, parce qu'il est plus français, et que ce livre sera français. Je pense que s'il doit avoir un titre en espagnol, c'est peut-être "Barcelone à pied", quoique le français soit intraduisible. Et de plus, de Barcelone, de mes promenades dans Barcelone, dont sont issus les poèmes, se détache la réflexion sur la poésie, comme dans le message que j'ai trouvé mercredi à l'arrivée de l'Empordan, l'éditeur m'a parlé - nous l'avons vu - de l'expérience originale de création que je raconte dans la préface de mon dernier livre. Et je pense qu'il est possible d'unir, comme cela l'a été, et jumeler et fondre ensemble la poésie et les promenades, simplement parce que c'est vrai, sûr et certain, et que je me souviens d'un poème qui donne à cette union une base. Il dit : "Je suis pourchassé d'une musique et moi je la suis dans la rue./ Elle dessine au dedans de moi ma silhouette./ Cette silhouette et cette musique m'assaillent/ tandis que le néant en elles se défait/ parce que les mots malgré leur force questionnent/ et explorent et devinent. Ils sont/ révélation et abîme. Ainsi mes pas/ et mes vers naissent/ et sont conduits par la musique/ et il y a une lumière dedans/ qui rompt l'obscurité du chemin. Je ne veux pas/ que cette musique se perde, et que dans son souffle/ moi, je sois un renoncement. Je ne veux pas que l'oubli/ m'engloutisse dans cette musique que je suis dans la rue./ La musique est la patrie de celui qui se promène, de celui qui cherche,/ de celui qui marche et respire, de celui qui pur et net/ vers son âme dans l'air se dirige./ La liberté et la mer sont une musique." Je pense à ce poème, et je sais qu'il est vrai, et qu'il l'est maintenant, parce que je me souviens du titre des anciennes cartes postales de Paris, de celui que mon éditrice a donné dans sa collection au livre de Goytisolo, à ce procès-verbal du jury, à la poésie et aux promenades tandis que j'en accomplis une tout en marchant dans la rue. Et je pense que "Le Passeur" est le titre d'un bref poème, d'un distique, de quand je commençais à moins écrire et que s'annonçait l'abandon de l'écriture, un poème court de 90, ou 91, ou à peu près, poème ultime qui portait ce titre et énonçait déjà cette vérité. Je le ressentais déjà ainsi à l'époque, et maintenant je me souviens de ce qu'il disait, - je crois - qu'on rencontre la poésie dans chaque recoin. (Entre parenthèses, je le cherche, pour le ramener à moi et le confronter à mon souvenir : "De mon art maintenant, ne reste plus que de la petite monnaie./ Mais nous ne savons pas de quel coin vient la poésie"). Cela dit, et bien dit, peut-être inexactement, mais mieux que dans mon souvenir, plus vrai. Pas dans chaque coin, mais dans un coin, dans n'importe quel coin, nous ne savons pas où : c'est là que la poésie peut apparaître, nous attendre, naître. Réveillez-vous. C'est ainsi qu'apparaît la poésie et qu'elle s'offre, ainsi elle survient quand on se promène, et cela arrivait aussi naguère. Les poèmes de la jeunesse se nourrissaient aussi de promenades, et Barcelone était dans ces poèmes, telle qu'elle était, et peut-être qu'elle était déjà dans mes souvenirs, cette Barcelone dont je ne sais plus si elle existe ou si elle n'est plus que dans mon for intérieur. Elle était déjà dans les poèmes, des poèmes qui étaient des contes, parce qu'ils racontaient et narraient, et de ceux d'où viennent ces poèmes et promenades, et les longs poèmes narratifs, pleins d'histoires et de souvenirs, avec tant de vie à l'intérieur, et des coins et des détours de cette ville. Ces poèmes d'aujourd'hui se relient à ceux du passé, lesquels avaient déjà utilisé la prose, qui s'annonçait ou était en eux. Ils les prolongent, comme une dérivation naturelle. Et sans le savoir, sans savoir qu'ils ont conduit à écrire des proses qui les suivent et les complètent, Patrick Cintas me parle déjà de prose en parlant d'eux dans son message, de la prose qui y existe déjà, et de celle qui naît d'eux, comme celle-ci, et comme tant d'autres.
Je rentre à la maison, après cette promenade, et je parle à ma mère du titre possible, de la version castillane possible. Et nous aimerions faire une promenade avant de manger, et nous allons la faire, pour profiter du soleil et de l'air. Mais, me dit ma mère, allons aussi faire cette promenade pour montrer à quel point ce titre, ou l'union des poèmes et des promenades, sont authentiques et ne découlent pas seulement d'une coïncidence ou d'un simple artifice. C'est une vérité qu'on a su voir en France, ou qui y a été perçue et soulignée. Et nous sommes allés faire la promenade. Nous avions l'intention de marcher et de boire quelque chose sur la Rambla Cataluña, et nous y allons, mais il n'y a pas de soleil, et nous retournons vers le Paseo de Gracia, parce que là, il y en a. Un moment à l'air, avec une bière et un café au lait. Une promenade.
Depuis la Rambla Cataluña, nous avons pris la rue Mallorca, et nous sommes entrés dans la galerie Súbex. Je me souviens que cette exposition s'achève bientôt, et je vois que oui, elle se termine demain. Je l'ai vue pour la première fois il y a deux semaines, juste quand est arrivée ma participation à cette anthologie française, et que j'ai vu qu'ils avaient choisi ces poèmes de Barcelone, et j'ai rapproché ces poèmes des tableaux d'Albert Sala, également sur Barcelone : j'ai réuni les poèmes et les tableaux dans mon ressenti, j'ai reçu cette rencontre comme une coïncidence, et pendant que nous admirons les tableaux, je me rends compte que ma mère est dans le même état d'esprit, parce qu'elle me dit : "Ce sont aussi des promenades." Parce que nous avons parlé des poèmes et des promenades, du flâneur né du jury, du titre des anciennes cartes postales de Paris et de la possibilité de suggérer - Barcelone en flânant. Et ces tableaux, oui, ce sont des promenades, comme dit ma mère. Elle m'a dit récemment, en parlant de ces poèmes, qu'elle sort sans arrêt en disant quelque chose, comme si elle avait honte, ou qu'elle voyait tant de fois quelque chose exprimé par les poèmes. Pour se consoler ou nuancer cette découverte ou cette honte, elle précise : mais je ne dis pas de mauvaises choses, je dis que le Paseo de Gracia est beau, et des trucs comme ça. Et c'est vrai. Parce que ma mère dit des choses gentilles, et des choses vraies, et c'est comme ça qu'elle parle. Et maintenant, elle dit que ces tableaux sont des promenades, et on voit à nouveau l'entrée de San Pablo, la Plaza Real (je lui dis que les fontaines ne coulent pas, et qu'elles sont de Gaudi, même si on note leur travail de premier ordre), ses porches, les chaises des bars qu'ils abritent, les Ramblas, le Lycée, la pomme de discorde, la maison Batlló en premier lieu. Nous regardons en particulier l'intérieur de la Pedrera, et je parle de la beauté extraordinaire de ce tissu d'araignée qui caractérise sa porte, et de la beauté de cette abord, vue de l'intérieur, et comment lui arrive la lumière qui vient du patio. Comme le verrait et le peindrait, celui qui passerait par là, qui y serait entré en se promenant, et aurait admiré et profité de sa cour intérieure, et de là, s'en irait - et avec lui la lumière - vers la toile d'araignée de la porte. Une promenade. Ainsi dans ce tableau, qui est aussi une promenade, et ainsi tant de fois moi, même en soirée ou dans la nuit, quand je sors là d'un concert dans les salles du bas. Quand je reviens de la musique et de la promenade. A la fin, il y a un tableau de l'exposition, et je vois la fille dans la galerie du fond, et pour une fois je lui dis : "Une exposition formidable, comme toujours." Pour une fois, et c'est très juste, et je fais bien, et je peux le faire, et eux aussi peuvent le penser, parce qu'ils me voient constamment entrer dans leurs expositions, les apprécier et les visiter à plusieurs reprises. Comme celle-ci. A voir si je reviendrai demain matin, pour une autre promenade, ou un tableau, ou un poème.
Hier musique, et aujourd'hui Barcelone, poèmes et promenades. Alors que nous montons le Paseo de Gracia, je lui dis que je vais écrire une prose à ce sujet, et à propos de la musique d'hier, et comment il est curieux que de toute façon, des proses naissent maintenant. Je rappelle une déclaration de Julio Ramón Ribeyro, dans laquelle il dit quelque chose comme si vous êtes un écrivain, vous voyez le monde en contes. Et maintenant je vois cela dans des proses, des jours et des choses qui sortent des proses, comme avant des poèmes, et ce sont des proses qui continuent les poèmes, les proses et les poèmes, et aussi les promenades. En entendant le nom de Ribeyro, ma mère dit qu'il était bon, il est bon, et qu'elle doit continuer à le lire. Elle a dû le quitter, même si elle l'a trouvé très bon, aussi triste soit-il, et ne l'a pas supporté, comme Aldecoa. Et je lui dis qu'elle doit reprendre la lecture des deux, tous les deux unis dans leur tristesse et aussi dans la profondeur et la vérité de leur art.
Une prose sur la musique, comme on le ressent pendant un concert, et une sur Barcelone et les promenades, ou sur "Barcelone en flânant", et qui se ressent précisément dans l'air de la rue, au cours d'une promenade. J'ai dit tout à l'heure qu'en France, on a su voir, apprécier ou distinguer cette vérité. Je me souviens que dans la conversation avec une traductrice, elle m'a demandé si je ne pensais pas qu'en France, on avait su voir dans ma poésie des choses qui n'avaient pas été vues ici. Bien. Je lui réponds que la France est une terre d'accueil, et je lui parle de sa générosité : comment elle a eu dès le début une bonne attitude envers ma poésie, et l'a accueillie. Et maintenant, je pourrais le répéter encore plus, car ce prix imprévu que je n'ai pas cherché m'apporte un nouveau livre chez elle et dans sa langue. Ainsi, c'est encore plus vrai. Et peut-être aussi, comme me le suggère cette traductrice et critique, qu'en plus d'avoir accueillie ma poésie, elle l'a compris. Là se trouve une vérité, une vérité que susurre cette critique et qui, dans ma poésie, voit que la France tient à ma poésie et la soutient. Peut-être n'ai-je pas donné assez de force ou de relief à cette nuance, à cet aspect qu'elle suggère et qui est fondamental, et qui est celui de la compréhension de ma poésie, celle de l'assumer et de savoir lire en elle. C'est une vérité. La vérité de ma poésie et de la France, la vérité que la France sait y voir. Comme c'est devenu le cas désormais, et je suis d'accord avec. Maintenant, bien sûr, on met l'accent dessus. Je pense à cette observation d'une de mes traductrices, surtout parce que je me souviens qu'elle m'a interrogée sur Barcelone, et que j'ai répondu et parlé de la ville comme expérience morale, de la ville métaphysique et anonyme, du paysage de tous qu'elle est aussi. Mais elle a insisté sur sa possible concrétisation, face à cette réponse générale. Et j'ai pensé qu'il y avait là quelque chose de vrai, et qu'il était exact que Barcelone apparaissait dans ces poèmes d'une manière plus concrète, plus réelle et aussi plus intime, plus liée à ma vie, et qu'elle plongeait ses racines dans mon enfance. Et qu'elle fondait ma vie. Et que dans ces poèmes, Barcelone était, comme en vérité elle l'est pour moi, une expérience intime. C'est ainsi. C'est une vérité, dans laquelle je suis entré et j'ai posé mes questions, mais qui est et était déjà dans ces poèmes, où Barcelone - comme le passé ou l'enfance - apparaît d'une manière plus aimable, et plus intime. Et en préparant les conversations pour leur publication, j'ai pensé que je devais compléter cet aspect, et l'approfondir, ou l'expliquer plus simplement parce que c'était vrai, et qu'ainsi était Barcelone par rapport à ma vie, et qu'ainsi elle était dans les poèmes. Et je l'ai fait. Avec plus ou moins de pertinence, j'ai tenté de l'expliquer, de gloser sur ce sentiment et cette réalité. Quoique ce ne soit seulement qu'un commentaire, et qu'en tant que tel, il ne s'imposait pas, puisque c'est une vérité qui est déjà dans les poèmes. Dont je n'avais peut-être pas eu clairement conscience, et que je n'ai certainement pas écrit de manière programmée ou pour que je sorte dans Barcelone, mais que je l'ai fait de manière très naturelle et très réelle, et très intime, comme est cette ville pour moi et dans ma vie. Cette vérité qui se trouve dans les poèmes qu'aujourd'hui en France on apprécie et distingue, qui réunissent promenade et poésie, promenade ou poème à Barcelone, vécue pour ceux qui en font partie. Et c'est une bonne chose que cette appréciation et ce sentiment, et aussi la possibilité que, à partir de ces poèmes et de ces promenades par Barcelone, et de cette poésie qui se rencontre et apparaît en marchant (et celle qui, dans ces randonnées, s'offre et dans laquelle se trouvent les clés de la ville de Barcelone depuis la promenade et sa poésie), forment un livre qu'apporte comme un cadeau la France, un ouvrage constitué par cette vérité qui est dans les poèmes et que vous avez su voir et apprécier, et pour lequel je peux vous proposer un titre français et ancien : Barcelone en flânant.
Barcelone, 2 mars 2012
___________________________________________
Vuelta a Roma (Retour à Rome)
El Bardo - 54 - 2020
Un luthier dans la venelle du cèdre
Cette fois, est avec lui, le luthier,
assis à l'entrée, sur la pierre
du sol,
entre les montants de la porte.
A son côté, plus confortable,
dans une chaise de paille
sur un coussin coloré
prend le soleil un matou.
Que sait un chat,
qui plus est un matou romain.
Le luthier c'est la musique,
qui vient à moi
en cette étroite ruelle du Trastevere,
et les poèmes ce sont ses pas.
Des pas de chat. Moins rapides
que ceux de la vespa
que répare le mécanicien d'à
côté.
Au soleil. Luthier au soleil,
chat au soleil, mécanicien
au soleil, poète au soleil.
C'est la vie, à Rome.
D'autres poèmes de Santiago Montobbio
sont ici
Encres Vives - N° 483
On n'entend rien
sauf la légère palpitation de
l'âme
Les mots germinent encore
des mots usés
comme des signes désenchantés
jetés au puits obscur
de l'univers.
Comme ils brûlent encore sur la langue
les mots
si vainement luttant
pour échapper
au rigide cachot
du langage.
Germain Droogenbroodt est
un poète belge né en Flandre. Cet hommage à José
Angel Valente a été écrit en espagnol, traduction
de Jacques Ancet.
Encres Vives - N° 484
Le désordre des tables témoigne
de l'heure avancée minuit passé
Ils dansent et danseront jusqu'à l'aube
feront semblant de ne pas se haïr
Tant de baisers envolés de voeux désinvoltes
pour que la nuit s'éternise
Personne n'a songé à dépendre
les guirlandes ramasser le sapin qui s'étiole
Sous son maquillage de boules brillantes d'étoiles
en carton doré
Le fracas de la mitraille ne parvient pas
jusqu'ici les cris sont des rires
Dehors l'an neuf étrenne son vison
de neige ses gants de givre
Le ciel est noir calme et profond déserté
par les astres
Même la Lune n'inscrit pas sa pâle
parenthèse sa ponctuation de néon
Dehors le silence relève du mystère
un mystère païen voué à l'hivernage
Si proche des fenêtres vives la forêt
palpite bleue dans l'obscur
Le galop des animaux éveillés
traverse ses songes de dormance
L'étang gelé réfléchira
avec peine le brouillard du matin lui-même grésil
Le ciel deviendra gris strié de pâleurs
telle l'amertume perçue
Sur les visages des noceurs au gui l'an neuf
les lendemains secourables
La mitraille s'imposera dans des lignes d'encre
couleur de sang noir
Un autre poème de cet auteur est ici
Encres Vives - N° 485
Cessation progressive d'activité ou La dernière lette d'Ephèse (extrait)
J'en ai au moins appris une chose : l'écriture poétique est cette gesticulation tragique et ridicule de qui se noie. Une tentative déséspérée et suffocante pour se maintenir à la surface des choses. Une résistance héroïque et stupide : on ne s'en noie que plus longtemps et plus douloureusement.
D'autre extraits de textes de Jacques Lovichi
sont ici
et ici
Ce numéro est un hommage à la créativité poétique féminine
L'Harmonica
Chaque saison était à lui
Chaque saison, je l'espérais.
Un jour, même son chien est mort.
Alors, pleurant au grenier
J'ai rassemblé ses vêtements
Pour les donner à ceux qui passent.
J'ai cherché son harmonica.
Je marche, libre, dans les rues.
Mon souffle a retrouvé le sien.
C'est moi qui joue comme il voulait,
Moi qui jouerai comme il rêvait
- Moi, pour les deux -
Retour des déportés
(1945)
Madeleine Riffaud entra dans
la Résistance avant d'être majeure, sous le pseudonyme de
Rainer, en hommage au poète autrichien. Elle participa à
plusieurs actions très risquées, fut arrêtée
pour avoir abattu un officier allemand, torturée elle ne parla pas,
condamnée à mort, elle échappa à l'exécution,
s'évada en cours de déportation, fut arrêtée
à nouveau, puis libérée, grâce à une
échange de prisonniers, elle reprit immédiatement le combat
pour la Libération de Paris.
Jacques Charpentreau (1926-2016)
L'écho
Le temps n'engloutit pas les sanglots des victimes,
Ils deviennent en nous les battements du coeur,
Ils rythment notre vie, ils inspirent nos
rimes,
Errant au long des rues chuchotant dans le
choeur.
On ne pardonne pas l'ignominie des crimes.
Il n'est plus de repos, il n'est plus de silence.
L'esprit ne plane plus sur les eaux de la
mer,
Il n'est plus dans le vent, le feu, la joie,
la danse,
Mais avec les enfants condamnés à
l'enfer.
Résonne en nous l'écho du dernier
cri qu'ils lancent.
Extrait de Un si profond
silence, La Tournelle, 2015.
L'aveugle à son miroir
L'ange exterminateur a retourné mes
yeux
Vers la terre promise et la face de Dieu.
Je bénis cette main qui m'a donné
le droit
De changer l'eau en vin à la table
du roi.
Aveugle chaque jour, j'entre dans mon miroir
Comme un pas dans la nuit comme un mort dans
la tombe
Comme un vivant sans coeur dans un corps de
colombe.
Mais je vois de mes yeux courir sous le manteau
Quelque chose de Dieu qui passe et qui repasse
La couleur d'un amour qu'un regard d'homme
efface.
Et mon sang dévasté par le tour
des orages
Travaille à dégager sa course
du chaos
A calculer le poids des armes et bagages
Que la vie vous accroche en douce sur le dos.
Le marchand de miracles est passé par
ici
Mes yeux sont au tombeau mon âme au
paradis.
Seigneur tu m'as promis que je lirai ce soir
Le véritable nom de l'arbre dans le
noir.
Les prêtres du soleil ont tout vu ont
tout dit
L'aveugle à son miroir cherche à
violer la nuit.
Ce poème est extrait de A hauteur d'ange : la Maison du Poète (1958), Seghers (1961). J'ai rencontré Angèle Vannier, poète aveugle, au Radar, dans les années 1950. Je me souviens de l'intensité de son regard perdu et de l'émotion vive qui en émanait lorsqu'il se portait en direction d'une personne qui parlait.
Un autre extrait d'Angèle Vannier est
ici
Alain Lacouchie : Une pierre, sans personne
Encres Vives - N° 486
2.
Un jour, la nuit s'enfuira
dans les feuilles,
et l'ennui sera obsédant
J'ai hâte que les jours
se terminent.
3.
Des espaces ont déjà
vécu mon temps.
Ici, je suis un rien d'infini
:
Je ne suis pas en avance
sur mon innocence ;
je suis ébouriffé
de longues violences en chaleur
et de cris à la mort
planté sur mes pleurs
Je voudrais habiter loin de
mes désirs
pour ne pas encore détester
la vie!
D'autres extraits de cet auteur sont ici
Jean-Michel Bongiraud : Le coin du tableau
Encres Vives - N° 487
...
Je suis un manoeuvre
une brique anarchiste
un lopin de terre social
une amphore politique
mais certainement pas
un poète de canapé
D'autres
extraits de cet auteur sont ici
Encres Vives - N° 488
Ô mon pays me voici de retour
pour m'identifier plus que pour te dire
l'écho de mes pas dans ton sentier
plus que la chanson du ru dans ta vallée
plus d'ombrage dans mon ciel que sous ta voûte
Mais avec toi mon chagrin se décante
la clarté de tes sources qu'inlassablement
tu lances aux reflets des nuages
je commence seulement à la voir
Est-ce là la forme d'une clef
pour l'acceptation des murs?
car toi aussi n'est-ce pas des murs te protègent
Lentement un voile se lève où
s'étaient accrochés
tant de mouches mangées par des araignées
tant d'insectes répugnants et tant
d'égoïsme
sous de poussiéreuses horloges
C'est pour un peu de lumière
pour survivre à la colère
pour mieux distinguer tes pentes et tes contours
c'est pour écouter les leçons
que tu donnes
ô mon pays que je suis de retour
Rose des Temps - N° 33 - Janvier-Avril 2019
Un mouvement un jardin
Craie et air Un seul taillis les fougères N'ont pas de preuve est-ce l'espace Et respirer la nuit craque
Etoffe éraflée
|
Nyx
A Louise aussi de Lyon et d'Italie
Ô vous mes nuits, ô noires attendues
Ô pays fier, ô secrets obstinés
Ô longs regards, ô foudroyantes
nues
Ô vol permis outre les cieux fermés.
Ô grand désir, ô surprise
épandue
Ô beau parcours de l'esprit enchanté
Ô pire mal, ô grâce descendue
Ô porte ouverte où nul n'avait
passé
Je ne sais pas pourquoi je meurs et noie
Avant d'entrer à l'éternel séjour.
Je ne sais pas de qui je suis la proie,
Je ne sais pas de qui je suis l'amour.
Extrait de Très haut amour - Gallimard - Poésies - (2002)
Née et décédée
à Paris, Catherine Pozzi, fréquenta les milieux intellectuels
de l'époque (Leconte de Lisle, Heredia, Henri de Régnier...).
Elle eut une liaison décevante avec Paul Valéry en raison
du caractère narcissique de ce poète. Elle mourut de la tuberculose.
Nyx (Nuit) passe pour être son dernier poème.
__________________________________________________________
Mer
La mer écrit un poisson bleu,
efface un poisson
gris.
La mer écrit un poisson qui prend feu,
efface un croiseur
mal écrit.
Poète plus que les poètes,
musicienne
plus que les musiciennes,
elle est mon interprète,
la mer ancienne,
la mer future,
porteuse de
pétales,
porteuse de fourrure.
Elle s'installe
au fond de moi : la mer écrit un soleil
vert,
efface un soleil
mauve.
La mer écrit un soleil entrouvert
sur mille requins
qui se sauvent.
Extrait de Deuxième testament - Gallimard - (1959)
Anatole Bisk naquit à
Odessa alors que la guerre civile faisait rage. Sa famille se réfugia
en Belgique. Lors de l'invasion allemande de 1940, il vint en France et
partit aux États-Unis après la défaite de l'armée
française. Il s'engagea en 1942 dans l'armée américaine
et participa en 1944 au débarquement en Normandie. En 1945, il s'installa
à Paris où il se fit connaître comme romancier, poète,
critique et directeur littéraire sous le pseudonyme d'Alain Bosquet.
_______________________________________________________
Roland
Nadaus
D'autres textes de Roland Nadaus sont ici
Encres Vives - N° 489
Et se mettre à l'écoute des pierres qui nous disent que: "(...) seul surgit dans l'éclat / Ce qui se retire vers le pur noyau / De l'Intériorité".
Silvaine Arabo est poète,
peintre et aussi éditrice.
Encres Vives - N° 490
Il y a des émanations tombant
comme le gel de décembre
sur le revers d'un geste
Il fait froid au fond
de mes moelles tendres
où l'attente creuse
des entailles
Quand ton souvenir me recouvre
je te réjouis de caresses et
au creux de mes hanches
t'accueille
doucement
Encres Vives - N° 491
Chant - ainsi qu'une arche - où
Sont concentés tous les espaces,
Dans l'absolu silence du temps.
Chant - ainsi qu'un bloc - où
Sont les signes.
Chant de la femme et de l'enfant
Que les glaives d'or du Soleil défendent
Jusque dans les mots du poème, nés
Des parfums de la rose et du jasmin bleu,
De leurs chromatismes.
D'autres poèmes de Jean-Michel Tartayre
sont ici
Encres Vives - N° 492
...
Je revois mon enfance posée comme un
couteau :
l'aube y cueillait ses cris,
la tendresse alors pesait comme le corps...
Du temps où les étoiles
mangeaient dans ma main
mes yeux s'ouvraient toujours sur une ville
éteinte.
J'emportais leur éclat sous la peau,
J'enregistrais les secondes, pliées
et dépliées
avec soin.
Depuis, j'ai voyagé parmi les illusions
et la blessure du
monde ;
j'ai voyagé dans l'arbre de mes veines
(les voyages forment la jeunesse)
Ils forment aussi des rigoles de sang sur
les cartes de
géographie !
Je me trouvais à Nice, avec l'impression
d'avoir tra-
versé la France à la vitesse du hanneton...
En vérité, les routes ne mènent
nulle part,
les routes ne sont qu'absence : malgré
la chaleur des
pneus et la compagnie des garçons.
Loin, derrière les cloisons du regard
s'étend ce pays que
l'on n'atteint jamais.
O ma jeunesse, tu me hèles en ces guêpiers
d'aurore,
tu marches sur le fil tendu de la mémoire,
et c'est soudain comme si quelqu'un me sautait
pieds joints, sur la nuque !
...
Encres Vives - N° 493
en parfaite efficacité
Femme, ou disparaître
n'être que faire-valoir d'autrui
et modeste murmure, inaudible,
car non entendue, ou plutôt,
inécoutée.
L'oeuvre d'une vie,
de la sorte, s'ensevelit
dans un oubli qui précède l'attention
et la prévient, en parfaite efficacité.
La course
du chacun pour soi
exclut toute forme de disponibilité
à la voix qui prie.
L'isolement
dresse l'impasse, à vous couper
le souffle.
D'autres textes d'Anne Mounic sont ici
Encres Vives - N° 494
Tu es vêtu d'écorce
Tu es vêtu d'écorce
et tu as le coeur tendre
tes mille mains se tendent
pour boire la lumière
qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?
Tu élèves ta tête
pour défier les dieux
et tes racines plongent
dans l'empire des morts
qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?
Les sources te fascinent
les flammes te tourmentent
et les étoiles dansent
dans l'odeur de tes nuits
qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?
Les pieds ancrés au sol
tu voyages pourtant
par les ailes d'oiseaux
et le souffle des vents
qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?
Un cœur s'incruste en toi
pour s'immortaliser
une hache se lève
que tu n'attendais pas
Homme qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?
D'autres textes de cet auteur sont ici
Quatorze écrivains d'Amérique
centrale
Les belles étrangères
- Centre national du Livre - 1997
Ana Istarú, pseudonyme
de Ana Soto Marín, est une actrice et écrivaine costaricaine
qui cultive la poésie et la dramaturgie. Elle rassembla ses premiers
poèmes dès l'âge de 15 ans et reçut deux ans
plus tard le Prix de la jeune création - Traduction de Jean-Marie
Saint-Lu.
Encres Vives - N° 495
3.
Déchets, fumées et pesticides
|
Encres Vives - N° 496
Il n'y a rien ici
simplement de l'ombre de la couleur
de la lumière posée sur le front
du vent dans la solitude des choses
du silence qui vient renforcer
le tintement de la cloche de l'église
presque rien mais ce presque est tout
ces légers affleurements de la présence
dans un bruit d'outil ou de voix
cette multiplicité des silhouettes
sonores
ce grondement du vent dans le toit
cette rumeur à travers fenêtres
et jardins
d'instruments joués au secret des chambres
ces phrases subtiles des cordes
ces pulsations et rythmes des claviers
ces lumineux instants d'élévation
corps et âme tressés du même
chant
tout ici passe par l'écoute
même la voix pour être voix doit
écouter
les mots pour être mots prendre écho
au silence
il y a tout ici pour qui sait écouter
le vent dans la fenêtre est l'ultime
fleur du silence
souffle léger venu s'épanouir
dans la nuit de midi
D'autres poèmes de cet auteur sont ici
Encres Vives - N° 497
.
Renaissance
Au temps premier, les giboulées criblent
les sommeils,
L'eau vive abreuve l'ardeur naïve du
déjà né
Et le soleil étire la courbe neuve
de l'année
De l'aube au soir, mêlant noir, azur
et vermeil.
L'eau vive abreuve l'ardeur naïve du déjà
né,
La lumière danse au gré du vent
qui s'émerveille;
De l'aube au soir, mêlant noir, azur
et vermeil,
S'élèvent les murmures des récents
éveils égrenés.
La lumière danse au gré du vent
qui s'émerveille,
La rivière hâtive, comme ivre,
passe le gué dénié;
S'élèvent les murmures des récents
éveils égrenés
Avec les oiseaux signant le fatras du ciel.
La rivière hâtive, comme ivre,
passe le gué dénié,
Les fleurs profanes augurent le sacre lointain
du miel;
Avec les oiseaux signant le fatras du ciel,
Vers où vont ces beaux jours à
peine imaginés?
Poésie du monde - Anthologie
2020 - Quinze ans de poésie d'ailleurs
Éditions du Cygne - 2020
Puisque je suis noire puisque tu es victoire
Soulève la terre pour en extraire une
armure
En présence du soleil, enterre toute
compassion
Et avoue que la malédiction est imposture
Puisque je suis le mal puisque tu es mâle
Écoute résonner le cri sauvage
de mon sang
Et dans ma chair brûlée marquée
par les balles
Retrouve les présents dispersés
par les ans
Puisque je suis noire puisque tu es victoire
Moi Erzulie sorcière, je t'invite à
croire
À mes dieux fatigués déportés
estropiés
Enfantant le jour dans un crépuscule
souillé
Puisque je suis noire puisque tu es victoire
Oublie la civilisation et dit au parloir
Que moi Saba, je ne suis pas un assassin
Je n'ai pas tué Abel je ne suis pas
Caïn
Puisque je suis noire puisque tu es victoire
Mâle, Homme bleu blanc accomplis ta
gloire
Puisque tu mords gourmand dans mes entrailles
Sculpte une Noire digne dans le souffle de
l'Histoire.
Elvire Maurouard est une poète
haïtienne.
DÉSERTION
26 février 2020 - 15h50
Au salon des mots à chacun sa table
petit pot de fleurs et café chaud
et collé au coeur le désir
de signer
obstinément une page d'espoir
sur la plage des présentoirs
les temps forts désertent le
présent
et l'impatience gagne du terrain
devant quelques sourires figés
les rendez-vous s'éloignent
comme une brise printanière
que chaque minute a soufflée
dans les allées désertées
on remballe l'ambition
dans une boite en carton
espérant que la prochaine fois
le salon sera plus éclairé
que la veille.
Huguette Bertrand est une
poète québécoise.
LES YEUX
Dans tes yeux livides
Il y a des cathédrales esseulées
Des bateaux à la dérive
Des écorces fripées
Des hordes ambiguës
Des volcans étouffés
Des vrilles en sursauts
Dans tes yeux d'écume
Il y a l'ombre d'un doute
Le froissement d'une étoffe
Le souffle d'un papillon
L'entremêlement d'une racine
Des bouffées de volutes
Sur l'onde matinale
Dans tes yeux délavés
Il y a la commissure du vent
Les arabesques en dérive
L'écho d'une voix
Au sein des gorges escarpées
Dans tes yeux pourprés
Il y a la rougeur d'un coquelicot
Les frissons d'un aigle
La promesse d'une aube
Le feu d'une passion
Dans tes yeux azurés
Il y a la blancheur de l'ébène
La luminescence
D'une comète
Les ailes d'une colombe
Sur une mer agitée
Dans tes yeux arc-en-ciel
Il y a la nudité d'un rêve
La ferveur d'une âme
Une passion démesurée
Dans la musique des sphères.
Poète, peintre, dessinateur et illustrateur autodidacte, S. Gucciardo est né en 1947, à Siculiana (Italie). Il vit en Belgique depuis 1955.
Un autre texte de cet auteur est ici
Version 1
Ne reste pas sur ma tombe à pleurer
Je ne suis pas là. Je n'y dors pas.
Je suis un millier d'ouragans qui soufflent.
Je suis la pelisse adamantine de la neige.
Je suis l'éclat du soleil sur le grain
mûr.
Je suis la douce pluie d'automne
Quand tu t'éveilles dans le silence
du matin.
Je suis l'essor tourbillonnant
Des oiseaux paisibles qui volent en rond.
Je suis la tendre étoile qui
dans la nuit scintille.
Ne reste pas sur ma tombe à te lamenter.
Je ne suis pas là. Je ne suis pas morte.
Version 2
Ne reste pas sur ma tombe à pleurer
Je ne suis pas là, je n'y dors pas.
Je suis un millier d'ouragans qui soufflent.
Je suis la neige qui tombe doucement.
Je suis la tendre douche de la pluie.
Je suis les champs où mûrissent
les grains.
Je suis dans le silence du matin.
Je suis dans le gracieux essor
Des beaux oiseaux volant en cercle.
Je suis la lumière de l'étoile
nocturne.
Je suis les fleurs qui s'épanouissent.
Je suis dans la chambre tranquille.
Je suis les oiseaux qui chantent.
Je suis dans chaque chose aimable.
Ne reste pas sur ma tombe à te lamenter.
Je ne suis pas là. Je ne suis pas morte.
Mary Elisabeth Frye est une
poète américaine. Ce poème est le plus connu. Elle
en a laissé plusieurs versions. J'ai traduit ici deux de ces versions
qui, à mon avis, montrent qu'un poète gagne souvent plus
à retrancher et resserrer son texte qu'à lui ajouter.
Source : Internet : L'arbre
à bien-être.
Encres Vives - N° 498
.
Promenade
autour des phalanges
Phalanges bout à bout
Des doigts
Ma main est posée sur le livre
Sur Nadja qui marche
Dans Paris avec Breton
Je regarde mes doigts
Je regarde ma main
Je regarde le monde
Je bats les cartes
Où sont les as
Entre mes doigts
Dame de pique
qui ne rit pas comme le monde
Elle a caché mes as
et mes atouts
Je bats les cartes
Je fouille j'écarte
Où sont mes as et les atouts
Ma main est posée sur le livre
Sur Nadja qui marche
dans Paris avec Breton
Je regarde mes doigts
Je regarde ma main
Je ne vois que mes doigts
Je ne vois que ma main
que je prends dans mon autre main
Je me serre la main
Et je me dis bonjour
Et je salue cet autre qui est moi
Ma main est posée sur le livre
sur Nadja qui marche
dans Paris avec Breton
D'autres textes de cet auteur sont ici
La langue rouille par manque de mots,
L'oeil rouille par manque de rêves.
Le visage est la lumière du corps.
Quand le visage s'assombrit
Tout le corps s'éteint.
L'homme est un livre
que la vie lit sans cesse.
La mort le lit en un instant,
une seule fois.
La mélodie est pour l'oreille,
La couleur est pour l'oeil,
Le mot est pour tout le corps.
Nègre : évanouissement de la
nature
sur les genoux de l'univers.
La folie est continue de rencontrer les choses
et c'est en même temps continu viré.
Toutes les choses sont couvertes de vêtements
qui les masquent.
Rien n'apparaît plus complètement
nu
que quand il prend la main de la folie.
(Traduction de l'arabe par
Maria Luisa Prieto) - Adonis est un poète syrien.
Message
Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Que j'habite maintenant le cadran solaire
Dressé sur une tige transparente
Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Que mes yeux se sont élargis comme
les prunelles félines
Qu'ils ne se ferment plus
Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Que ma bouche maintenant est une source forte
Mes mots sont devenus lumière
Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Qui vont dans l'ombre des nuages
Qui ont les yeux couverts de misère
Qui n'entendent plus que le cri du froid
Dites-leur
Dites-leur que Georges Alexandre n'est pas
mort
Qu'il ne les a pas oubliés
Dites-leur
Que je suis pur et pareil à ceux
Qui naviguent les larges vents du ciel,
Pâle comme le lendemain d'une symphonie
Et que la Seine
Redit mon ombre comme un long poème
Dites-leur doucement
Dites leur simplement
Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Que Georges Alexandre ne les oublie pas.
Ce poème de Georges
Alexandre a été publié, en mémoire de lui,
par Théophile Briant dans le numéro 106 du Goéland
(dernier trimestre 1952). Le poète était mort à Alger
le 13 janvier et il avait écrit le poème en 1950. Je n'ai
pas retrouvé la date de naissance de Georges Alexandre qui semble
absent d'Internet. C'était pourtant un important poète de
son temps qui méritait mieux que le quasi oubli d'aujourd'hui! Ce
poème en est d'autant plus poignant
Rose des Temps - N° 35 - Septembre-Décembre 2019
L'Arbre
Sur cet arbre ont poussé des chiffons
et des fleurs
Une fleur Un chiffon Une fleur un chiffon
Les plus tristes chiffons
Des bérets noirs des chaussettes un
jupon troué
Des tabliers à fleurs
Les oiseaux et les guêpes ont encerclé
les fleurs
Et les essaims de mouches serrent de près
les chiffons
Un jour on abattra l'arbre
Il y aura un coin du feu
Des souvenirs et du malheur
En parts égales.
Extrait de Peut-être,
Club du poème -Rochessauve, 1975 - Paul Vincensini était
un ami d'Alain Borne qui fit beaucoup pour la diffusion de son oeuvre après
sa mort accidentelle
Sonnet IX
Tout aussitôt que je commence à
prendre
Dans le lit mou le repos désiré,
Mon triste esprit hors de moi retiré
S'en va vers toi incontinent se rendre.
Lors m'est avis que dedans mon sein tendre
Je tiens le bien où j'ai tant aspiré,
Et pour lequel j'ai si haut soupiré
Que de sanglots ai souvent pensé fendre.
Ô doux sommeil, ô nuit à
moi heureuse!
Plaisant repos, plein de tranquillité,
Continuez toutes les nuits mon songe;
Et si jamais ma pauvre âme amoureuse
Ne doit avoir de bien en vérité,
Faites au moins qu'elle en ait en mensonge.
____________________________________________
Alain-Jean
Macé
A saute-mouton
Couturière autrefois
C'était de mère en fille
Et de fil en aiguille
Avec pour se détendre
Une partie de dés
Sans qu'on se pique au jeu.
Citation tiré de la
revue Verso N° 180
D'autres textes de ce auteur sont ici
Encres Vives - N° 499
L'Harmattan - Collection Poésie
.
In
Memoriam
A ma Mère en ce jour anniversaire
de sa mort
à la fin d'une nuit peuplée de météores.
Oh qu'on nous laisse seul, seul sous ce saule
pleureur
Car il est toujours cinq heures à l'horloge
du coeur
Où tu demeures, revêtue d'une
splendide aube d'été
Il est cinq heures à cette horloge
qui s'est arrêtée
A l'heure où tu es partie vêtue
de ta robe d'éternité
Oh qu'on nous laisse seul à pleurer,
encore une fois
Seul à pleurer jusqu'à entendre
à nouveau ta voix
Qu'on me laisse seul avec ton absence pour
demeure
Ce saule pleureur écoutant ta voix
parler à mon coeur!
Que ta mort ne soit pas l'espérance
mise au cercueil
Mais cette joie d'ange s'élevant au
passage du seuil
La renaissance de ta voix chantant dans ce
recueil !
"... je m'occupe de mon âme
et de mon éternité."
Juan Ramón Jiménez
Dans la Vieille Fontaine, Platero*,
le poète écoutait l'élégie
du monde, le Parthénon,
les cathédrales...
l'allégresse et la mort.
Maintenant que les rivières sont arrêtées
et que la lune ne se montre plus
et que frère Luis et Beethoven
songent silencieusement, dit-on,
si tu bois de ses eaux,
Platero, tu boiras l'éternité.
Et par tes lèvres de rose entrera
la splendeur infinie
avec l'obscure rumeur
suavissime et verte.
* Platero est le nom de l'âne du poème Platero y yo de Juan Ramón Jiménez.
Source : Internet - D'autres
textes de cet auteur sont ici
France libris
...
Il serait terrible
pour un écrivain
d'avoir ses contes bloqués.
Les mots filent
à l'anglaise
lorsque mes rimes
raillent, rient
de mes ruses verbales
en mon âme aigrie.
Les vers minent
le pré las
de mes airs rances
dans l'ambre azur
d'un rêve
aux aguets. Ainsi les vers balisent
chez Monsieur Alexandrin.
Pourquoi tant de vers mi-sots
réplique le vers lent?
Nenni
répond le vers luisant
un poème sans mot
ça tend vers où?
Sitôt dit, sitôt fait
le vers dicte
sa sentence
au détour d'un silence.
En conclusion
le vers moulu
s'est tu
car parfois
un
vers
sévère tue!
...
En réalité l'oeil de boeuf
rêve d'une paupière close
pour ne pas entrevoir
la fin du monde.
Stephen Blanchard est le président-fondateur
depuis 1974 de l'association "Les poètes de l'amitié"
qui publie la revue Florilège
Tes fils ne sont pas tes fils
ils sont les fils et les filles de la vie
un don accordé par elle.
Ils ne viennent pas de toi,
mais seulement à travers de toi
et quoiqu'ils soient avec toi
ils ne t'appartiennent pas.
Tu peux leur donner ton amour,
mais pas tes pensées, car
ils
ont leurs propres pensées.
Tu peux abriter leurs corps
mais pas leurs âmes, car elles
vivent dans la maison du lendemain,
que tu ne peux pas visiter
pas même en songes.
Tu peux t'efforcer de leur ressembler,
mais n'essaie pas
de les rendre pareils à toi
parce que la vie ne régresse pas
ni ne s'attarde dans l'hier.
Tu es l'arc duquel, tes enfants
sont lancés comme des flèches
vives.
Fais en sorte que le jet
dans ta main d'archer
soit dirigé sur la félicité.
Kahlil Gibran est un poète
libanais dont l'ouvrage Le Prophète connaît une renommée
mondiale
Pour mieux tenir debout
L'homme inventa la fable
Se vêtit de légendes
Peupla le ciel d'idoles
Multiplia ses panthéons
Cumula ses utopies
Se voulant éternel
Il fixa son oreille
Sur la coquille du monde
A l'écoute
D'une voix souterraine
Qui l'escorte le guide
Et l'agrandit.
Poème extrait de Rythmes,
éditions Gallimard. Andrée Chedid est une femme de lettres
française née en Égypte
_____________________________________________________
Jeanpyers
Poëls (1940-2018)
Orgues rouges
Or gueux et maîtres gueux,
l'organdi d'une enfance entre les doigts,
traînent des pieds trop longs
un traînement imitant le tramway,
vers un chalet sans porte,
une toupie de géant à l'envers,
une ardoise grossière,
un traînement, un matin, au milieu
de la nef lie de vin
sous la travée tel un carrousel
en vie pour l'importun,
la poitrine à demi encailloutée;
ils se déséquilibrent
au bas d'un orgue à buffet ténébreux,
dont les claviers s'effacent,
et se fatiguent à se ruer sur lui
sur lui autant qu'ils peuvent,
à faire voler en éclats ses
cinq lettres,
accordées une nuit
de noctuelles, sans fin noctuelles,
et à les mettre en sang.
Jean-Pierre Jules Poëls
naquit à Cambrai et mourut à Orange