Quelques passages glanés au hasard de mes lectures...
 

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J. Poëls A. Mounic J.-P. Lassalle J. Joubert Bouscarat - Muffat-Joly - Saimot S. Alié-Daram C. Cailleau J.-C. Villain P. Beaucamps M. Bertoncini
T. Laspalles M. Cosem R. Pochtar E. Chassefière V. Aranda C. Danjou M. Dugardin M. Lac A. Chemin-Bocage P. Badin
J.-M. Tartayre C. Le Penven Y. Namur M. Choukri B. Doucey S. Brest J.-J. Dorio Sagesse indienne C. Alegria J.-M. Roth
L. Podkosova J. Gil A. Briet G. Mottet N. Ringaud F. Arvers J. Prévert G. Apollinaire Norge V. Joyaux
S. Dagtekin W. de Melo D. Marbeau F. Whitty R. Ha-Minh-Tu J.-L. Bernard S. Montobbio G. Droogenbroodt G. Le Goff J. Lovichi
M. Riffaud J. Charpentreau A. Vannier A. Lacouchie J.-M. Bongiraud B. Vargaftig C. Pozzi A. Bosquet S. Arabo A. Gral
R. Nadaus C. Légat A. Istarú E. Maurouard H. Bertrand S. Gucciardo M. E. Frye Proverbe amérindien J. Billaud Adonis
P. Vincensini G. Alexandre L. Labé A.-J. Macé M. Cosem G. de Rivas F. Alvarez Velasco S. Blanchard K. Gibran A. L. Sall
A. Chedid Bas de page
 
Anne Mounic: On se demande s'ils sauront

Encres Vives - N° 447
 .
On se demande s'ils sauront

Dans le froid de décembre, qui crispe
et rend pusillanime, le jeune couple qui,
peut-être, se forme à présent, ou vient, - depuis quelques
jours, quelques minutes -, de se déclarer,
a l'air emprunté, chacun à sa façon, l'un et l'autre.

La jeune femme, talons hauts, collants noirs,
trop fins contre le froid, se tient sur la réserve
de la séduction, évitant le faux pas, qui reviendrait
à trop donner ou à cesser de plaire; le jeune homme,
l'air maladroit, tente d'écarter toute violence
de son comportement, se montre tendre, et disposé
à obéir. Se souvient de sa mère.

A les voir si maladroits, on se demande s'ils sauront
tisser entre eux deux le lien invisible qui dans l'ombre
charnelle fonde le lieu fluide de l'amour, une
certitude intérieure émaillée d'exigences, de déceptions,
de naïveté et d'enchantement -
                                                   cette chaleur de la lumière
au coeur de la nuit qui, décembre, envahit le jour.

D'autres textes d'Anne Mounic sont ici



Jean-Pierre Lassalle: Il convient

Encres Vives - N° 448
 .
Hanko Miastik

Tant d'arbres givrés par le grand froid du temps
André Breton Marcel Duchamp René Alleau
Alain Mangin Roger Van Hecke Jean Palou
Sarane Alexandrian Mesens Suquet Rosey
Philippe d'Araucanie et Gérard Legrand
Avec le maître d'Eoux Robert Amadou
Enfin pleuré toi qui nous veilles Gaston Puel
Adrien Dax lisant sans fin les ennéades
            J'ai même accompagné Schuster
            Au cimetière de Pantin
            Lui qui pourtant ne m'aimait guère
Le coeur d'Anne Bédouin ouvert au grand Gurdjieff
            Et Jean-Louis aux athanors
Et vous tous amis de Rimbaud et de Ducasse
            Nous pleurons Jean-Jacques Lefrère
Le compagnon d'errance à Montevideo
            Et Caradec pour l'asado
A Montréal Tokyo Paris Tarbes et Pau
            A Penne aussi Noël Arnaud
Arsène Bonafous-Murat Saint-Antonin
Tant d'arbres givrés par le grand froid du temps
            Papier glacé des amis morts.



Jean Joubert (1928-2015): L'éternité de la rose

Encres Vives - N° 449
 .
Villages

Dans quel beffroi trouverons-nous encore l'orfraie criarde ivre de vin de messe?
Il n'y a plus de prêtre ensoutané pour marmonner matines à l'heure bleue du coq.
Silencieuses sont les arches où ne rôde qu'un chien couleur de pus,
mais sur le mail qu'un franc soleil grillage d'ombres et de rameaux
les filles ont toujours des chevelures d'orge mûre et d'orage
des hanches comme houle sur les blés
et au corsage cette montée de sève dans le fruit.
Elles rient et chuchotent lorsque passent, casqués de sueur, les garçons
et parfois l'une d'elles, soudain rêveuse, séparée,
se détache et se perd dans l'ombre des ruelles.

D'autres poèmes de Jean Joubert sont ici



Fabrice Bouscarat, Martine Muffat-Joly, Andrien Gérard Saimot: Quatorze pour trois - Petit livre à empocher
.



Simone Alié-Daram : Syllabes

Encres Vives - N° 450
 .
A la fois hier et demain
Est-ce que le présent existe
A part dans les conjugaisons?
Il ne faut pas dire aux enfants
Que les étoiles sont mortes depuis longtemps
Mais espérer que l'arbre d'hiver
Oublie son squelette au printemps.



Claude Cailleau : Un parcours littéraire atypique

Encres Vives - N° 451
.

.
D'autres poèmes de C. Cailleau sont ici



Jean-Claude Villain : L'ombre, l'effroi

Encres Vives - N° 452
 .
ici

toute tombe

est vide

ni suaire

ni sang
 

dans les tranchées
des arbres croissent

sans ombre

sans gibet
 

à leurs racines
mille cailloux
en pyramides
 

vestige secret
d'un ossuaire

D'autres poèmes de J.-C. Villain sont ici



Traversées - N° 78 - Décembre 2015

Patrick Beaucamps

Instantané

Vous donnez à boire à votre fils.
Vous le laissez seul cinq minutes,
le temps de passer à la cuisine
rincer le biberon.

Lorsque vous revenez,
il chausse du quarante-trois et discute
au téléphone avec sa petite amie.

Vous soupirez et fermez les yeux
un instant.
Quand vous les rouvrez,
il tient un bébé dans ses bras
et vous appelle papy.



Marilyne Bertoncini : La dernière oeuvre de Phidias

Encres Vives - N° 453
 .
A l'embrunir
l'âme des choses -
comme un halo -
sourd de la matière

Sous le carrare blanc luit l'esquisse
d'un mouvement -
parole ou sourire on ne sait
retenu comme le sinueux
mouvement de la tête penchée

Quelque tremblant fantôme s'accroche encore aux vitres
aux arêtes polies des meubles
qui m'entourent

La candeur du marbre diffuse -
intense et fugitive -
la lumière

remontant de la pierre
du fond des âges d'avant l'homme
d'avant toute chose

toujours en quête d'une forme
soustraite
chaque soir
au néant

Ainsi dans le bloc ébauché
la matière fait signe
au sculpteur
afin qu'il en révèle
la forme qu'elle contient



Thierry Laspalles: Brefs éclats

Encres Vives - N° 454
 .
LA TERRE LASSEE

                                      C'est la terre lassée
                                 des brûlures de l'esprit.

                                                      Saint-John Perse

I

    Mythe d'une perfection qui fut au commencement :
quand l'homme n'était pas encore.

    Songe de poète: la consonance du monde et de
l'homme à l'origine.

    Mais l'homme n'est qu'une saison: le temps d'un jeu
dans la grande cour de l'univers.

    L'homme est une apparition: imprévue, et sans doute
éphémère.
 

II

    L'homme s'est arraché à la nature; c'est depuis lors
qu'il flotte si maladroitement entre terre et ciel.

    Pourquoi précipiter le rendez-vous avant la fin?
L'homme ne serait-il qu'une erreur du hasard?

    Pourquoi éternellement se repaître de violence et de
terreur?

    Il faudra bien, un jour, faire place à l'ordre tendre des
poètes.



Michel Cosem : Le midi des coquelicots

Encres Vives - N° 455
 .
                                           La peau
                                est toute seule
                     et se promène la nuit
                Son regard est immobile
                                     comme fixé
                   sur l'éclat d'une braise
        Sa parole basse est inaudible
Je ne sais le chemin qu'elle prend
       entre les cailloux et les dieux
 Je n'ignore rien de ses offrandes
Le froid laboure la plaine et libère les corbeaux
Sortira-t-il enfin
de ses dents blanches
et de ses étreintes glaciales
qui mordent le temps
arrache l'écorce des arbres et des hommes?
Je reviendrai voir demain

Elle avait le nez piqueté comme un oeuf. Ses seins aussi et elle riait de se savoir convoitée, comme on convoite une colline rouge où poussent des prunes sucrées. Sa main dans ma main ne pesait pas plus lourd qu'un oiseau et elle faisait semblant de tout savoir.
Était-ce un livre? Était-ce hier? Était-ce dans une autre vie et pourquoi pas demain?

J'ai traversé des champs entiers d'orge et de blé tel le vent d'autan, telle la tramontane calligraphiant les nuées et les orages.
Je porterai au loin des nouvelles fraternelles, des crépuscules qui brillent et des déserts qui verdissent.
Je serai au rendez-vous des fleuves et des deltas, de la foudre et de la braise, là où le temps est comme un bijou.
Je donnerai aux mots la beauté et la luisance que nul ne saura oublier dans les temps à venir.

D'autres poèmes de Michel Cosem sont ici



Portail de Poésie (Portal de poesia)

Ricardo Pochtar : Petites perceptions (Pequeñas percepciones)

Amargord, 2016
 .
Livré à lui-même, le présent est une énorme erreur de perspective.

L'ombre, ce que les choses paient du prix de la mort.

Entre cogito et sum, règne le doute.

Le regard de l'autre sait davantage : il sait au moins que l'autre regard bat de la paupière.

Les religions: tant de personnes qui attendent que le monde se meurt.

Dans le sourire de l'instant, l'ironie du temps qui passe.

Si confuse la vérité, si claire l'erreur, si dense le chaos.

La photographie, cette invention prodigieuse qui atrophie la grâce du souvenir.
 

Le site de Portal de Poesia



Eric Chassefière : L'inaccessible ici

Encres Vives - N° 456
 .
Calme des jours qui se succèdent
enfilades des lucarnes
ouvrant sur d'énigmatiques jardins
de lointaines compositions de couleur
s'encadrant dans le noir des salles

tout est loin et proche
nous sommes dans l'entre-nuit
la profondeur qui sépare la lumière
de la réalité des formes éclairées

nous vivons dans l'écoute
de ce feu qui brûle en nous
pleinement conscient de cette mémoire
qu'il érode jour après jour
de cette part qu'il nous ôte
avec la perte nécessaire du rêve

nous voyons bouger dans la fenêtre
les fleurs d'un arbre
rien n'est dit du souffle qui les porte
ce souffle est en nous
le silence du feu est en nous
la flamme qui s'éteint est en nous

D'autres poèmes de cet auteur sont ici




Verónica Aranda  : Tatouage (Tatuaje)

Encres Vives - N° 457

Salon de thé La Española
 .
C'est une ville où le désir
a fait son nid dans les ancres.
Il y a une ancienne faute que nous expions
dans les salons de thé où il est possible
de construire des territoires de silence et de béryl.

Le ferry de l'après-midi est parti,
mais la fumée bleuâtre ouvre à des souvenirs
que cimente le geste de faire des mots croisés.
Mémoire fuyante, fragile
des hommes qui viennent pour oublier.

Ici la peur entoure les marcs de thé.
Latitudes atlantiques
où nous ne renonçons pas à l'abîme.

Verónica Aranda est une poète espagnole, prix international de poésie Miguel Hernandez 2016. Les poèmes de ce recueil ont été traduits par Rémy Durand.



Chantal Danjou  : Inutilité de voir venir

Encres Vives - N° 458

Récits du Feu

D25
 .
Une certitude. On ne jette pas les couleurs. Comme les brindilles dans le feu. Autre certitude: la neige. Accumulation. Pellicule. Objets hétéroclites. Clairs-obscurs.
Terre. Révolue terre. De minuscules architectures. De grotesques jardins. Maçons, bâtisseurs et. Charpentiers, couvreurs, peintres. Pas plus hauts que des soldats de plomb. Ils disent: gagner du terrain. L'été vient. Ni eau. Ni feu. Ni tremblement.

D'autres textes de Chantal Danjou sont ici



Marc Dugardin  : Tenir parole - Gravures et monotypes de Marie Alloy

Ce qui reste - 2017
 
Marc Dugardin est un poète belge.



Michel Lac  : Une autre forme d'amour

Encres Vives - N° 459

Les mots
se mélangent
à l'encre.
Il peut commencer

                             Il écrit l'amour
                             de la nuit,
                             le refus du
                             sens donné
                             amour.

L'oeil s'est posé
sur la main.
Un trait
noir couvre
l'étendue
blanche.

                             Elle va
                             partir
                             la jeune fille.

suivre l'absente

                             Les amants
                             sont séparés.

Un autre texte de cet auteur figure ci-après



Arnaud Chemin-Bocage  : EPOS

Encres Vives - N° 460
 .
Mes chevaux rétifs galopent
le long d'un gouffre de silence
syllabes lancées dans le vide
un pont vers l'incommunicable.
...

Murs couverts de glyphes
tu tatoues mon nom par envoûtement
l'encre capture l'être.
...

L'arbre du monde abattu
ampute mon coeur privé d'espoir
mon cri déchire le vent.
...



Paul Badin  : Poèmes à l'étroit

Encres Vives - N° 461

NUIT ET LAMENTATIONS

Celle,  celui,  ceux  qui  pleurent,  là, entre
une  bougie,  un   bouquet  de  roses  et  la
flaque de  sang, le long du mur maculé, ne
mêlent  pas   leur    peur  à  la  douleur  du
monde.

Ils psalmodient l'effroi, ils veulent laver la
haine,  ils  mêlent   leur  humble  don,  aux
prières  affligées, ils tissent les liens de la
fraternité dans les coeurs déchirés.

Leurs  corps  trop  submergés  par tant de
barbarie, offrent leurs larmes, leur colère,
la  sueur  de  leur  courage,  à  l'espérance
hébétée,  qu'il  faut  à  nouveau   implorer,
recommencer.

Ils  lèvent,  face   à  la  barbarie,  l'éternel
visage  des libertés chèrement  conquises,
jamais acquises.



Jean-Michel Tartayre  : Poudre de jour

Encres Vives - N° 462

Pénombre

L'air  comme  poudreux,     où  filtre  une lumière grise,     sans soleil -
impulse un rythme lent à l'écriture.

Par  les  sens  cherchant  les  mots qui pourraient donner une réalité à
cela.
            Mais c'est là...

... un regard posé dans la pénombre de la chambre, qui semble vouloir
éclairer par bribes une zone incertaine -
                                                                     à midi passé.
 

Les  secondes  s'égrènent  au  passage  de  l'aiguille  sur  le  cadran de
l'horloge,      signes du réel qui se succède sans cesse à lui-même - tels
que conférant au corps et à sa mémoire une fonction de sablier.

La  parole  en  germe  dedans      portée  par  l'enfance  renouvelée de
l'esprit -
             ou mots ouverts sur le jour,
                                                               la liberté.

D'autres poèmes de cet auteur sont ici



Anne Mounic  : Tout l'à-propos de ces merveilles

Encres Vives - N° 463

utopie qui respire

La paix vaste et féconde, synonyme
de plénitude, s'atteint sur l'axe vertical
de l'utopie qui respire, puisant
comme un arbre en nous son souffle,
sa sève, tandis que s'étire
le fleuve, lisse sous le soleil
et apprivoisant le ciel sur le défi
de sa lenteur.
                                       Durant les dernières journées
de l'été, il faut savoir rassembler
les raisons cachées de la joie -
l'infatigable énergie où s'enracine
l'arbre du souffle.
 
D'autres textes d'Anne Mounic sont ici



Cédric Le Penven  : Variations autour d'un geste -2-

Encres Vives - N° 464

Cet espace rouge
à l'intérieur du ventre
nos angoisse
en gestation
la peur de ne savoir
garder la main ouverte
lorsque monte la colère
de laisser éclater
l'injure qui salit
celui qui la profère

...

et puis toi
si attentive
tu le vois lui
dans ce monde clos
de ton ventre
sais qu'il ne sait
pas jusqu'où
étirer ses bras
ses jambes
ni porter son regard
qui jamais n'a vu

...

Main posée
sur l'agitation invisible
de celui qui déjà
n'est plus nous
devient lui
dans nos regards
échangés
l'étonnement
d'offrir la vie
sans la comprendre
 
D'autres textes de Cédric Le Penven sont ici



Yves Namur  : Nous marchons (2001)

Nous marchons,

Nous marchons avec la solitude,
Avec la neige et les branches des arbres.

Nous marchons avec les errants,
Avec la parole perdue, les obscurs
Et les poèmes défaits.

Nous marchons,
Comme si marcher c’était se tenir debout,
Loin de soi et au-devant de soi-même.

Nous marchons,

Nous marchons depuis toujours
Dans une forêt de cristal et dans les arbres,
Dans le bec de l’oiseau et sous l’anneau d’or.

Nous marchons,
Nous marchons dans l’immense.

Yves Namur est un poète belge.



Mohamed Choukri (1935-2003)

Tinjis

On dit de toi, terre de salut,
Que Noé bénéficia de ta paix.
Une colombe ou une huppe,
Un corbeau
Et entre deux vagues,
Tanger s'est reproduite comme l'écume des océans.

Sur ton hymen se sont succédé
Les scalpels de la lubricité et des conquérants,
Les rites de la réincarnation, de la métempsycose,
Et la fête de Bacchus déchaînait la frénésie des reines,
Le délire dans les jérémiades de la mer.
L'on aurait dit Troie, échue en partage au cheval.
L'on aurait dit une mariée écroulée,
Assommée, et ranimée par Zeus.

Mohamed Choukri était un poète marocain. Extrait de "Tinjis", Le Temps des erreurs, traduit de l'arabe par Mohamed El Ghoulabzouri - Seuil, 1994.



Bruno Doucey  : Ceux qui se taisent

Editions Bruno Doucey

Chroniques d'un village en temps de crise

1

Elles sont assises sous le mûrier
et conversent sans bavardage

Le soleil n'est jamais aussi beau
que dans son ombre

La parole n'est jamais aussi forte
que dans le silence

2
 
Une femme vêtue de noir
rit de toutes les dents
qu'elle a perdues

Son visage de pomme tavelée
dit une chose
et en raconte une autre

...

Les poèmes de Douce Ybroun
...

13

Quand il était enfant
les mots roulaient entre nos mains
comme des coquillages

Je disais Chien, il disait Niche
Ange? - Nage
Rose? - Oser
Vélo? - Volé

Et nous partions ensemble d'un  grand éclat de rire

Il nageait dans les nuages avec les anges
jallais en Chine avec le chien
nous rêvions de nous envoler en vélo
la fleur avait osé devenir rose

Mon enfant aimait alors la magie de l'image

Aujourd'hui
les jeux ne le font plus sourire

L'ivresse des mots est interdite
la parole est celle du Prophète
et qui écoute de la musique
court le risque d'être transformé
en singe ou en cochon

Quand il a dit Coran
j'ai répondu Narco

mais son regard m'a toisée

et j'ai vu sur ses lèvres
le poison des trafiquants du jour

...



Michel Lac  : Spécial Michel Lac

Encres Vives - N° 465

Chagrin d'un jour

Je regarde la plaine froissée par ses démons. La blancheur pesante d'un matin apeuré. Elle dit le froid et son chagrin du jour. Devant-elle des hommes appellent les couleurs de la région. Le blanc se dilue dans les ajoncs. Le vent se lève et couche tous nos rêves. J'ai du mal à écrire proprement. Jamais personne n'a su pleurer plus que nous. Des larmes sèches et nos yeux terreux sondent la peur du monde. A perte de vue, la plénitude du temps: la grisaille s'époussette et laisse son dépôt de cendre sur le sol. Les pleurs s'allongent sans lendemain. Le sombre et l'obscur se pressent aux portes de l'ombre. Pas une fille n'ose franchir la grille. Elles regardent de loin le lent ballet du clair obscur. Elles ne veulent pas tenter l'aventure. Tout semble aller trop vite. Les gares ne sont plus sûres. Les rues se diluent dans la boue du temps. Même le soleil est sale. L'éden est fait de détritus; ses jardins sont de véritables décharges. "La madone des ordures" trône face à des pèlerins incrédules.

Extrait de Carnets du destin - à paraître.



Simon Brest  : Des étésiens

Encres Vives - N° 466

Les portes cèdent
à la provende
des mots trempés
ruissellent à l'évier.

Je n'oublie pas
le meubles d'angles
les migrations d'hiver
la grenaille des souvenirs.

Nous allons souffler les quinquets, nous perdre en nous-mêmes. Le froid, la fête, autant d'occasions d'être réunis. L'haleine a réchauffé l'oeuf du coucou qui va naître. Mais viendra sur le tard l'odeur âcre des lampes.

Qui osera le premier mot?

Dans la sueur frétille la différence. A coups d'erreurs. Pour des réponse qui oscillent de la ferveur à la furie.



Jean-Jacques Dorio  : La nostalgie du présent

Encres Vives - N° 467

D'autres textes du même auteur sont ici



Sagesse indienne
 
 


Claribel Alegria (1924-2018)

Rite inaccompli
                         A ma mère

Ils disent que la mort est solitaire
que nous mourons seuls
quoique entourés de ceux qui nous aiment
mais toi tu m'appelas
et moi je ne fus pas là :
je ne t'ai pas fermé les yeux
je ne t'ai pas baisé le front
je ne t'ai pas aidé à paser
de l'autre côté
j'étais loin
loin de toi qui m'as donné la lumière
m'as nourrie
m'as appris à voler de mes propres ailes.
Je n'ai pas accompli le rite
j'étais loin
loin
et cette absence est le sanglot
qui m'emporte en des vagues
en des voûtes
en des grottes
et qui ne peut sortir
qui me poursuit dans mes rêves
et qui me noie.
Pardonne-moi/libère-moi
j'ai besoin de hurler
de battre des tambours
d'un coup dans la nuque
d'une manifestation
pour arracher à la coagulation ce sanglot
et ne plus t'invoquer
en vers
désolés.

Clara Isabel Alegría Vides, dite Claribel Alegría, née le 12 mai 1924 à Estelí (Nicaragua), est une écrivaine nicaraguayenne et salvadorienne décédée le 25 janvier 2018 à Managua (Nicaragua)



Chantal Danjou  : La concomitante

Encres Vives - N° 468
 
Lieux  de  rêve.  
Presque  des temples  de  solitude.  
La  colonne permet au monde de passer. Derrière l'arbre, l'ombre, le mât?  
Et la terrasse arborée  d'ici  revoit  le balcon-Biduyan.  
Plongé dans les  bois  nains  des   racines  crayeuses.  
Si  petit l'Homme  qui regarde.  
Le  paysage  tourne.  
Grosse  moto  cornue.  
Bruit des jours ! la rambarde flotte. Le ciel stratifie. Les ténèbres laissent après eux une odeur de tabac. Leur fumée est claire comme une fenêtre.  Leurs arbres forment  la  chevelure  du visage.  
Et c'est une  tête  énorme.  
Ne  cache  plus.  
Se  brise  sur   les  rochers. 
Toujours la mer à tanguer les objets précieux qui s'en échappent.
D'autres textes de Chantal Danjou sont ici



Jean-Marc Roth  : Cette nuit posée sur la nuit

Encres Vives - N° 469
...
La nuit me confie ce qui la trouble
Elle sait que je saurais lui donner
Vie avec mes mots
La nuit qui enchante les silences
Tourne dans les coeurs
Comme une comptine fidèle
Une ancienne chanson répétée depuis l'enfance
A qui l'on demande comment le jour
Prend racine dans les étoiles
Quelle clarté elle est prête
A tisser sur le monde
Quand je perçois très loin
Dans son corps
La place dune flamme amoureuse du vent
...

D'autres textes de cet auteur sont ici



Ludmilla Podkosova  : Avec du bleu pour commencer

Encres Vives - N° 470

Sur l'aube
tu avais déjà tant écrit
que dire

du baiser de la bouche
ensommeillée
du drap

que l'on plie
sans savoir
où le ranger

du parquet
qu'il ne faut pas faire
craquer

de ce trouble
à chaque fois
renouvelé



Jacky Gil  : Des mots... à même les pas

Encres Vives - N° 471

Nous  ignorons  jusqu'où  nos  pas suivront nos
pensées,   mais  se   mettre   en   marche   vaut
toujours la peine.

Le but  n'est jamais celui que l'on  s'est donné.
On  croit  pénétrer  un paysage,  un lieu connu
ou à découvrir,  et  c'est toujours au coeur des
mots que l'on déambule.

Les  pierres,  les  arbres...   se nomment  ;  un
dialogue  s'amorce : toutes  choses  se  muent
en phrases.

L'espace bientôt s'emplit de pages précieuses,
le monde devient un livre à transcrire.



Jean-Michel Tartayre  : Les sources

Encres Vives - N° 472

Laisser couler la source -
Du fond de soit et        sur ce point.

Y concentrer son énergie...

Jusqu'à la fleur éclose, dans le creux
Des mains.
 

                   Cette parole, ce poème.

D'autres poèmes de Jean-Michel Tartayre sont ici



Annie Briet  : Mieux habiter la terre

Encres Vives - N° 473
...
Brûlures du gel
Les oiseaux battent des ailes en signe de deuil
Les buissons et les hautes herbes
ont rencontré la mort au petit matin

Le mouvement s'est figé
Pourtant nous avançons
comme les nuages dans le ciel
mais les oiseaux ne volent plus
qu'à l'intérieur de nous
Ils nichent tout près du coeur
Petites graines des fleurs du sommeil
lancées à la volée
La vie est en dormance

Un nid vide entre deux branches noires
La vie menue en souvenir
Lumière malgré tout
dans la grisaille du jour
Juste là
pour éclairer la grisaille de l'être.

                                Il neige aujourd'hui à gros flocons
...
D'autres poèmes d'Annie Briet sont ici



Gérard Mottet  : Petite suite pour ombre et lumière

Encres Vives - N° 474

Empreintes et résonnances

Pour voir éclore
dans ton jardin d'hiver
toute la flore
de l'univers

tu n'auras guère
d'autre moyen
avant l'été prochain
que d'y planter des métaphores.

De toi me vient le vent qui m'arrache à moi-même
et déployant mes rêves pour te retrouver
par le détour de toi je me retrouverai.

Par les chemins de vie

Le vent voudra ce soir peut-être
entrer par ta fenêtre
Qui peut savoir? Ne t'enclos pas dans ta maison
ouvre ton âme à la fraîcheur du soir qui tombe
et si ce n'est le vent ce pourrait être
l'une ou l'autre de ces étoiles
du firmament
qui voudrait venir se poser
sur le bord de tes yeux
comme une larme.

Un autre poème de G. Mottet est ici



Nathalie Ringaud  : L'équinoxe des songes

Encres Vives - N° 475

Assaut

Je n'avais rien vu venir.

Je naviguais en eaux troubles,
sans m'inquiéter des esquifs
et des écueils des cieux.

La route semblait pourtant belle
à l'abord des aveux.

Je n'avais pas vu
le monde s'affaiblair
et perdre de ses mille jeux,

la horde déchirer la voile
à la racine de mes cheveux,

le rouge déborder
du bastingage bleu.

Je voyageais
le coeur prisonnier
d'une chevelure d'anges en feux,

croyant, peine perdue,
que celui qui amarrerait l'ivresse
serait mon unique dieu.



Anne Mounic  : Aux courbes du langage

Encres Vives - N° 476

On s'évertue à ne pas céder

Cette pluie fine et glacée
pénètre l'intimité.

                                On se recroqueville,
on s'évertue à ne pas céder
aux tentations du gris
et du laisser aller.

L'ennui est un abandon
à l'oubli. Très froid,
le vent t'invite à animer
la flamme intérieure, celle
qui résiste à la vaine dispersion
de l'énergie.

                                   On ne se réchauffe
qu'avec effort au cours
de ce long cheminement bariolé
entre le pressant camaïeu du terne
et les mûrs éclats de la vive
décision.

D'autres textes d'Anne Mounic sont ici



Félix Arvers (1806-1850)  : Sonnet

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,
Un amour éternel en un moment conçu:
Le mal est sans espoir, aussi j'ai dû le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

Hélas! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire.
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas.

À l'austère devoir, pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle
"Quelle est donc cette femme?" et ne comprendra pas.



Jacques Prévert (1900-1977)  : Etranges étrangers

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
Hommes de pays loin
Cobayes des colonies
Doux petits musiciens
Soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d'Aubervilliers
Brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
Ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
Au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
Embauchés débauchés
Manœuvres désoeuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
Pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
Rescapés de Franco
Et déportés de France et de Navarre
Pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
La liberté des autres.
 
Esclaves noirs de Fréjus
Tiraillés et parqués
Au bord d'une petite mer
Où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
Qui évoquez chaque soir
Dans les locaux disciplinaires
Avec une vieille boîte à cigares
Et quelques bouts de fil de fer
Tous les échos de vos villages
Tous les oiseaux de vos forêts
Et ne venez dans la capitale
Que pour fêter au pas cadencé
La prise de la Bastille le quatorze juillet.

Enfants du Sénégal
Dépatriés expatriés et naturalisés.
Enfants indochinois
Jongleurs aux innocents couteaux
Qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
De jolis dragons d'or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
Qui dormez aujourd'hui de retour au pays
Le visage dans la terre
Et des bombes incendiaires labourant vos rizières.
On vous a renvoyé
La monnaie de vos papiers dorés
On vous a retourné
Vos petits couteaux dans le dos.

Étranges étrangers
 
Vous êtes de la ville
Vous êtes de sa vie
Même si mal en vivez
Même si vous en mourez.

Un autre texte de Jacques Prévert est ici



Rose des Temps - N° 30 - Janvier-Avril 2018

Guillaume Apollinaire (1880-1918)

                                       A Tristan Derème redivivus

Amis je vous écris du fond d'une cantine
Le vent crie et le ciel a sa couleur turquine
Il est bleu mais hostile Il se fait plus d'un an
Que vous n'écrivez plus de lettres Maintenant
Souhaitant m'égaler à vos héros qui meurent
Je conduis conducteur les canons qui demeurent
Quatre-vingt-dix soixante-quinze et cent vingt long
Mes chevaux argentins volent tel l'aquilon

J'ai reçu ce matin votre noble poème
Je l'ai relu vingt fois et tel qu'il est je l'aime
Vos vers les conducteurs les servants les ont lus
Et les larmes mouillaient les faces des poilus
Je voudrais bien vous voir Je vais partir en guerre
Venez un jour ici

                                         19 janvier 1915 - 38ème R.A.C. 70e batt. Nîmes
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Norge (1898-1990)

La porte

Non, n'ouvre pas cette porte
ça donne sur l'océan...
ça donne sur des cloportes...
Pas compris? Sur le néant!

Après ça, c'est difficile
D'aller vivoter, Cécile.
C'est difficile, Zaza
De vivoter après ça.

Disons qu'on a des raisons
De froid, de vent, de tonnerre.
N'ouvre pas, disons, disons
Que c'est pour les courants d'air.

Au bonheur des maisonnées,
Il faut des portes fermées,
- Tralalaire et troundelaire -
D'ailleurs l'usine a sifflé
Il est grand temps d'y aller,
Prends bien la porte ordinaire!
 

Quatrain treize

Lustre incliné sur les plus riches sommeils
Tu perds peu à peu tes joyaux.
Le poète travaille à retirer de l'eau
Ces bijoux faux qui sont vrais au réveil.

D'autres extraits de ce poète belge sont ici
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Véronique Joyaux

Je t'écris de l'ultime point.
Je t'écris depuis la courbe d'une aile l'indicible des mots.
Je t'écris de la frange des algues où l'eau devient l'air, où l'air devient de l'eau.
Je t'écris à la frange des fleuves, à la lueur des lampes quand le soir efface le jour avec de l'ombre.
Je t'écris pour que le silence entre nous soit habité, toi qui es là-bas et moi ici, à l'autre bout de la terre.
Je t'écris pour retenir ce qui est beau ou trop petit pour tenir même entre les doigts, pour le murmure et pour le cri.
Je t'écris debout contre l'arbre, assise à la table ou dans le hamac allongée.
Je t'écris pour la douceur et la rudesse, pour la chaleur et pour le froid.
Je t'écris pour le pelage des loutres et le rouge de l'érable, pour tout ce que l'on élude, pour ce qui émeut et fait sous la peau de petites vagues.
Je t'écris parce que tu existes au-delà des gestes et des mots.
Je t'écris pour l'homme que tu es, la femme que je suis, et ce point de rencontre dans l'immensité du monde.

Extrait du recueil Traces - Éditions Parole et Poésie - Collection de l'Églantier
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Seyhmus Dagtekin

Ceux qui se hissent, verront
Ceux qui se terrent, mourront
De ce qu'auront vu
Ceux qui se hissent.

Seyhmus Dagtekin est un poète kurde d'expression française. La citation est tirée d'une analyse de l'excellente revue Décharge.



Gérard Mottet  : Dans l'ombre des étoiles

Encres Vives - N° 477

A peine le temps

Sous le regard immobile de l'univers
sur cette minuscule orange bleue
qui danse en rond autour d'un feu

les hommes naissent  les hommes meurent
les hommes ont juste le temps
d'aimer et de souffrir

à peine le temps de s'entre-tuer
et d'enterrer leurs morts
à peine l temps d'espérer

juste l'instant d'une pensée
l'éclair d'un rêve
l'étincelle vaine d'un voeu

juste à peine le temps d'ouvrir leurs yeux
clairs ou sombres pour défier
le regard fixe

le regard incolore des étoiles.

Un autre poème de G. Mottet est ici


Poètes du Pernambouc: Wellington de Melo

Encres Vives - N° 478

1- Compréhension

Il y a des géraniums bâillonnés
sur le champ de bataille

ton père, petit
marche sur des pétales minés
en ce jour qui ne prend fin

on mutilera ton père, petit
et il y aura peut-être une note de bas de page
et un timide adieu de la secrétaire

ton sourire est absent de la première page du journal
où est passé le bleu cristallin du ciel de la piscine

il y a dans le printemps éternel
de ta journée
un éclat de rire qui fait taire les tigres

il y a dans mon désir d'être au-delà de moi
l'étonnement
de l'alcoolique qui se réveille
après avoir raté son arrêt de bus

Extrait de Le chasseur de papillons - Première édition française - Éditions Cosette Cartonera - Clermont-Ferrand - 2016



Dominique Marbeau  : Les nuits secrètes

Encres Vives - N° 479

Acte

Pose ta main sur l'épaule de la nuit nouvelle
Et croise ce jour achevé avec des jours anciens

Parle à la nuit sûr de son écoute sûr de ses fantaisies
Comme tu parlais hier de tes projets de tes inventions

Suis-la dans son voyage dans le rythme de sa parole
Suis son mouvement lent de batelier prudent

Laisse aller sa chanson comme une barcarolle
Et repose ton coeur sur cet air indolent

Alors tu entendras monter avec surprise
Une musique d'été comme une sortie d'église

Un autre poème de cet auteur est ici



L'étincelle - Bulletin 2018

Florence Whitty

Le ciel s'étire dans les draps de l'aube. Au front des arbres, s'étalent quelques nuages, égratignés par la nuit. L'attente se fait lourde, comme un galet trop sage.

A grands cris de verdure s'ébroue la lumière des premiers pas du monde. L'oeil égoutte l'ombre encore présente dans ses plis puis accueille ce qui vient.

La terre, embroussaillée d'oiseaux, s'épaule au jour, qui titube sur chaque bout de l'herbe.

Et le vent suspendu au cratère des secondes, scandalise les feuilles, dépourvues de paupières.

Un autre poème du même auteur est ici

L'Etincelle, bulletin annuel des Amis de la Tour du Vent (http://www.latourduvent.org), a succédé à AVEL IX qui a cessé de paraître.



Jean-Marc Roth  : Du haut de la double ville

Aspect

Confins des fondations
...
L'air matinal lèche sous les franges de la nuit.

Un instant hors du temps, sans souffle de désir, je vous respire confins!

Lointains aimés qui me rendent sans attente! Vous êtes plus grands que l'absence.

Les dormeurs enchevêtrés dans le lit, la langue entre les dents, les deux fleuves entre les sables. Entre leurs yeux : l'ombre d'un sourire.

Une seule âme d'une rive à l'autre.

Autoportrait aux livres
...
Comme si dans le réveil d'un profond sommeil, je n'étais plus moi. Comme si je n'étais pas. Comme si j'avais rêvé ce que j'étais jadis. Comme si j'avais rêvé ma vie. Comme si j'avais caché ce que j'ai toujours rêvé. Comme si j'allais être ce que j'ai prétendument rêvé. Comme si j'allais rêver ce que j'étais vraiment. Comme si jadis j'avais été un... Comme si j'avais été un autre. Comme si j'allais à jamais rêver les rêves des autres. Comme si je n'étais que le sosie de moi-même...



Régine Ha-Minh-Tu  : Mon jardin botanique

Encres Vives - N° 481

au détour de moi-même
née dans des sources
qui affleurent dans mes silences

je suis à l'infini
dans l'intuition des choses

dans les petits bonheurs
qui distillent
mon impatience

l'enfance m'accompagne, silencieuse
sur des terres immergées

les images
rayonnent
et m'attachent à la vie

ce que je suis depuis toujours
est ma force
apprendre à la peupler de mon intimité

...

un jour
j'habiterai mes rêves
dans l'ivresse des petits bonheurs
après avoir été en marge de moi-même

je prendrai une main
dans l'attente
et l'ivresse des départs
quand les ombelles fleurissent à nouveau les traverses

dans la nuit apaisée
mon ventre aspire les étoiles filantes

D'autres textes de cette poète sont ici



Jean-Louis Bernard  : Ce lointain de silence

Encres Vives - N° 482

Perclus de mots rouillés
et de brumes ingrates
j'attends l'éclair

silence diluvien
aux ailes de  l'abîme

sur l'eau lente
passe
un collier d'ambre
et de regret

à terre perdue
je compte les collines
dans le lamé de l'aube
l'heure cristallise
sous la braise et le givre

silence à recoudre
sous son écorce de pierre

D'autres texte de ce poète sont ici



Santiago Montobbio : La antigua luz de la poesia (L'antique lumière de la poésie)

El Bardo - 45 - Cuarta etapa

12 novembre 2015

Au loin les nuits, au loin les jours.
La douleur, au loin. Je crois que parfois
j'ai dit ça. Mais je peux le redire
maintenant, dans cette salle d'aéroport.
Hier, ils ont opéré maman, et cela
s'est bien passé. Jours d'hôpital. Et
auparavant mois de fatigue et de médecins,
de doutes, d'angoisses, d'ombres sur l'âme,
d'embrouilles diverses de cette profession,
parmi les plus belles et qui fut celle de son père,
mais une profession aussi difficile et parfois même
accablante à supporter - pour quelques-uns
de ceux qui l'exercent - et dans laquelle
on se perd. Au loin. Adieux, au loin,
comme parfois je l'ai dit et plus encore
je le répète à présent. C'est passé, et tout
a bien allé. Reste le rétablissement,
qui sera lent, mais au moins nous aurons
le calme, ce qui nous manquait. Au loin,
douleur. Adieux, au loin. Je suis à
l'aéroport parce que je vais en Hollande.
J'y vais parce que l'opération s'est bien déroulée
et parce que je n'ai pas annulée cette tournée organisée
par mon traducteur, pour maman, parce que cela la peinait
et la tourmentait de me sacrifier, pensait-elle,
si je la perdais sans y aller. C'est seulement
pour cela que j'ai maintenu ce voyage. A cause de cela que j'y vais.
Hollande. Vers toi je me rends. Avec ma poésie.
Avec ma mère dans l'âme, à qui je dois dédier ma poésie,
afin qu'elle ait un frontispice
superbe et fort, comme celui
d'autres poètes, qui de cette façon ouvrirent
leur poésie, manière d'agir qui s'avère parfois splendide
-Je me souviens de celle de Borges, de celle de Guillen.
En ce moment, moi, j'écris ces lignes,
qui déjà ne sont plus des vers, tandis que j'attends l'embarquement
dans l'avion. Mère: parfois déjà
je l'ai dit, dans ma poésie de jeunesse
et dans la plus récente, mais davantage, et d'une façon
encore plus profonde je le ressens
aujourd'hui. Ma poésie et ma vie tout
est pour toi. De toi cela vient, et à toi je le dédie.
Toi, qui m'a appris la vie et les mots,
et ce don de les métamorphoser en art,
en poésie. La poésie sauve. Dieu te sauve et te garde avec moi,
qu'il me donne la joie de ta longue compagnie, en de fécondes
années. Ainsi voulu ainsi donné,
comme un cadeau. Cette poésie que
toujours j'écris je te la dédie
et je sais qu'elle est tienne
ainsi je la mande et la convoque.
Cette poésie, née de toi,
comme moi, et pour toi écrite,
elle te veut toi pour première lectrice
et elle t'a, et elle te veut vive, et splendide,
et belle en sa compagnie, toujours offrande,
avec en elle l'expression de tout,
toute la vie et à travers elle la quête de Dieu,
entre les vers, dans le brouillard,
comme est la poésie et comme la poésie
que j'écris veut être et l'est
aussi parce que je l'écris grâce à toi
et pour toi. Pour toi, mère.
Cette poésie. Dans cette salle d'attente.
Et, avec ma poésie, toute ma vie,
ma vie tout entière, et l'expression
de tout et la quête de Dieu entre les vers.

(Barcelone. A l'aéroport, juste avant d'embarquer pour Amsterdam)
__________________________________________________________
Poesia en Roma (Poésie à Rome)

El Bardo - 48 - Cuarta etapa

28 octobre 2017

La matinée commence aussi, légère
et si fragile. Ainsi s'initie la journée
dans la place encore fermée.
Avec peut-être encore quelque relent du rêve.
C'est en tout cas ainsi que je l'éprouve
en son avènement qui va s'évanouir. Qui perdra
cette juvénile palpitation qu'au réveil
tiennent les choses, pour que le monde suive
aveugle son chemin, sourd à la légèreté,
à la fraîcheur primitive de l'éveil.
Le monde retrouvera ses habitudes. Le temps
nous moule dans la coutume, et dans la coutume
nous nous perdons, sinon dans le dégoût.
Pauvre matinée qui s'ébauches, commences,
et débutes si bien, tu dois
t'en aller, tu dois te perdre. Le monde
aveugle doit t'effacer en ta légèreté
comme dans ta fraîcheur. Vivre c'est perdre,
c'est se souiller, c'est oublier. Les pas
que donne le monde sont ainsi :
effacé, oublié, le premier élan
de la matinée.
_________________________________________________
Nicaragua por dentro (Le Nicaragua de l'intérieur)

El Bardo - Coleccion de Poesia - 2019

19 février 2018

DE BONNE HEURE DANS LA MATINEE.
                     MANAGUA
Un café et un plateau de fruits. Je me demande
s'il pleut. Non, mais on le dirait. C'est seulement
que le monde s'éveille plus neuf,
entre la végétation verte et forte,
resplendissante. Le monde appartient à la
terre, à la verdure, et au matin
en lequel la terre à son éveil
resplendit. Et c'est comme s'il allait
pleuvoir. Mais il ne pleut pas.
Le monde s'éveille un matin
en Amérique.

(Managua)
 

CELA NE VAUT PAS LA PEINE. LA TRISTESSE
ne vaut pas la peine. La tristesse
et les blessures, tant de choses.
Mais elles sont aussi la vie,
et pour cela le poème
les dit. Cela tout à coup
je le pense et je le ressens sur une
route du Nicaragua, et
je l'exprime dans ces vers.
Comme les arbres en
vue et à côté de la
route les poèmes
donnent de l'ombre et s'en vont
en agitant leurs mouchoirs
pour dire adieu.

(Sur la route)
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Barcelone en flânant

J'arrive le mercredi, après avoir passé la journée à Sant Jordi et je me retrouve avec un message de Patrick Cintas intitulé "Prix du Chasseur de poésie 2012" qui dit : "Bonjour Santiago,/ nous venons de publier notre anthologie poétique. Une sélection de 20 poètes, toi compris. Tu en recevras bientôt un exemplaire (nous avons besoin d'une adresse)./ Notre Prix Chasseur de poésie 2012 t'a été attribué. Deux de tes buts nous ont séduits : la Barcelone qui ressemble à ta prose poétique par son rythme de marcheur et l'expérience littéraire originale que tu décris en préface de ton dernier livre./ Deux raisons de saluer le poète./ Comme suite à ce prix, nous pourrions projeter ensemble la publication d'un livre de tes poèmes, traduits en français, pour le publier en France et pourquoi pas en Catalogne. Bien sûr, avec ta Barcelone et ta réflexion sur la poésie./ Nous annoncerons la nouvelle du prix la semaine prochaine à la presse et ensuite, si ça t'agrée, nous nous mettrons au travail pour participer à la diffusion de ton oeuvre en France./ Un salut amical,/ Patrick Cintas" C'est une surprise, et je réponds pour exprimer ma gratitude. L'éditeur m'avait demandé de participer à son anthologie annuelle publiée en recueil, et il avait précisé qu'un des participants serait primé, prix dont l'attribution impliquait la publication d'un ouvrage. J'avais accepté, parce qu'il avait toujours bien accueilli ma poésie. Le choix des poèmes retenus, qui portaient sur Barcelone, avait attiré mon attention ou m'avait interpellé, et voilà que maintenant Patrick Cintas soulignait cela dans son message. Ces poèmes lui avaient certainement plu. Et aujourd'hui, vendredi, je reçois un message de félicitations de Jean Dif pour l'attribution du prix et la publication du livre qui va avec. Et je réponds tout de suite, avec la générosité et l'affection que je ressens pour lui, la gratitude pour son appréciation de ma poésie et ses belles traductions, qui ont permis à ces nouveaux poèmes de se faire connaître en livre et à Paris avant tout autre lieu. Ainsi je le dis. Et plus de choses encore. J'écris honnêtement et avec une affection intense. Je pense ensuite que si je me félicite de l'attribution du prix, c'est que celui-ci a déjà été rendu public. Je cherche l'information et lis : "Le jury a été séduit par son évocation de Barcelone, empreinte d'une poésie de flâneur né, et par sa réflexion sur le fil de l'écriture qui donne au poète les clés de la ville". Elle souligne les deux composantes qui ont motivé la décision du jury, et que Patrick Cintas m'avait déjà annoncé dans son message, pour n'en faire plus qu'une.

Les poèmes de Barcelone, Barcelone dans les poèmes, la poésie et Barcelone. L'éditrice d'El Bardo insista pour que cela fût mis. On doit aimer, ou penser que l'on aime, et j'ai remarqué que dans sa collection il y a un livre de José Agustín Goytisolo qui porte ce titre : "Poète à Barcelone". Et il semble que cet éditeur français veut peut-être faire un livre comme celui-là, d'après ce qu'il dit, et j'ai imaginé qu'il le fera peut-être, car il connaît l'espagnol et a déjà traduit quelque poète de ma langue. Mes poèmes, dit-il dans ce bref procès-verbal du jury, sont ceux d'un flâneur né, et je pense que c'est vrai et aussi que c'est très français, et je me souviens tout de go - tandis que, de fait, je marche dans la rue au soleil d'aujourd'hui, par Mayor de Gracia, m'arrête à la librairie des "els jardinets" où vivait Espriu, et continue; je suis un passant, un flâneur - l'ensemble de cartes postales du début du siècle qui viennent de chez ma grand-mère et qui ont ce titre : Paris à flânant. Et aussi, si cet éditeur veut faire lui-même la sélection selon son goût, et qu'en lui se retrouve le livre formé par les promenades à Barcelone, et les poèmes qui en découlent, je peux lui suggérer ce titre : Barcelone à flânant. Comme un vieux guide postal. Peut-être plaira-t-il, ou peut-être pas, mais tout à coup je me souviens de ce titre très français des anciennes cartes postales parisiennes que j'ai chez moi, et je me joins à l'énoncé du jury qui me donne le prix, et qui dit que mes poèmes sont ceux d'un flâneur, mais pour Barcelone et non pour Paris, et que je pourrais donc suggérer ce titre. Lequel rappelle celui du Goytisolo de mon éditeur d'ici, mais pas exactement, parce qu'il est plus français, et que ce livre sera français. Je pense que s'il doit avoir un titre en espagnol, c'est peut-être "Barcelone à pied", quoique le français soit intraduisible. Et de plus, de Barcelone, de mes promenades dans Barcelone, dont sont issus les poèmes, se détache la réflexion sur la poésie, comme dans le message que j'ai trouvé mercredi à l'arrivée de l'Empordan, l'éditeur m'a parlé - nous l'avons vu - de l'expérience originale de création que je raconte dans la préface de mon dernier livre. Et je pense qu'il est possible d'unir, comme cela l'a été, et jumeler et fondre ensemble la poésie et les promenades, simplement parce que c'est vrai, sûr et certain, et que je me souviens d'un poème qui donne à cette union une base. Il dit : "Je suis pourchassé d'une musique et moi je la suis dans la rue./ Elle dessine au dedans de moi ma silhouette./ Cette silhouette et cette musique m'assaillent/ tandis que le néant en elles se défait/ parce que les mots malgré leur force questionnent/ et explorent et devinent. Ils sont/ révélation et abîme. Ainsi mes pas/ et mes vers naissent/ et sont conduits par la musique/ et il y a une lumière dedans/ qui rompt l'obscurité du chemin. Je ne veux pas/ que cette musique se perde, et que dans son souffle/ moi, je sois un renoncement. Je ne veux pas que l'oubli/ m'engloutisse dans cette musique que je suis dans la rue./ La musique est la patrie de celui qui se promène, de celui qui cherche,/ de celui qui marche et respire, de celui qui pur et net/ vers son âme dans l'air se dirige./ La liberté et la mer sont une musique." Je pense à ce poème, et je sais qu'il est vrai, et qu'il l'est maintenant, parce que je me souviens du titre des anciennes cartes postales de Paris, de celui que mon éditrice a donné dans sa collection au livre de Goytisolo, à ce procès-verbal du jury, à la poésie et aux promenades tandis que j'en accomplis une tout en marchant dans la rue. Et je pense que "Le Passeur" est le titre d'un bref poème, d'un distique, de quand je commençais à moins écrire et que s'annonçait l'abandon de l'écriture, un poème court de 90, ou 91, ou à peu près, poème ultime qui portait ce titre et énonçait déjà cette vérité. Je le ressentais déjà ainsi à l'époque, et maintenant je me souviens de ce qu'il disait, - je crois - qu'on rencontre la poésie dans chaque recoin. (Entre parenthèses, je le cherche, pour le ramener à moi et le confronter à mon souvenir : "De mon art maintenant, ne reste plus que de la petite monnaie./ Mais nous ne savons pas de quel coin vient la poésie"). Cela dit, et bien dit, peut-être inexactement, mais mieux que dans mon souvenir, plus vrai. Pas dans chaque coin, mais dans un coin, dans n'importe quel coin, nous ne savons pas où : c'est là que la poésie peut apparaître, nous attendre, naître. Réveillez-vous. C'est ainsi qu'apparaît la poésie et qu'elle s'offre, ainsi elle survient quand on se promène, et cela arrivait aussi naguère. Les poèmes de la jeunesse se nourrissaient aussi de promenades, et Barcelone était dans ces poèmes, telle qu'elle était, et peut-être qu'elle était déjà dans mes souvenirs, cette Barcelone dont je ne sais plus si elle existe ou si elle n'est plus que dans mon for intérieur. Elle était déjà dans les poèmes, des poèmes qui étaient des contes, parce qu'ils racontaient et narraient, et de ceux d'où viennent ces poèmes et promenades, et les longs poèmes narratifs, pleins d'histoires et de souvenirs, avec tant de vie à l'intérieur, et des coins et des détours de cette ville. Ces poèmes d'aujourd'hui se relient à ceux du passé, lesquels avaient déjà utilisé la prose, qui s'annonçait ou était en eux. Ils les prolongent, comme une dérivation naturelle. Et sans le savoir, sans savoir qu'ils ont conduit à écrire des proses qui les suivent et les complètent, Patrick Cintas me parle déjà de prose en parlant d'eux dans son message, de la prose qui y existe déjà, et de celle qui naît d'eux, comme celle-ci, et comme tant d'autres.

Je rentre à la maison, après cette promenade, et je parle à ma mère du titre possible, de la version castillane possible. Et nous aimerions faire une promenade avant de manger, et nous allons la faire, pour profiter du soleil et de l'air. Mais, me dit ma mère, allons aussi faire cette promenade pour montrer à quel point ce titre, ou l'union des poèmes et des promenades, sont authentiques et ne découlent pas seulement d'une coïncidence ou d'un simple artifice. C'est une vérité qu'on a su voir en France, ou qui y a été perçue et soulignée. Et nous sommes allés faire la promenade. Nous avions l'intention de marcher et de boire quelque chose sur la Rambla Cataluña, et nous y allons, mais il n'y a pas de soleil, et nous retournons vers le Paseo de Gracia, parce que là, il y en a. Un moment à l'air, avec une bière et un café au lait. Une promenade.

Depuis la Rambla Cataluña, nous avons pris la rue Mallorca, et nous sommes entrés dans la galerie Súbex. Je me souviens que cette exposition s'achève bientôt, et je vois que oui, elle se termine demain. Je l'ai vue pour la première fois il y a deux semaines, juste quand est arrivée ma participation à cette anthologie française, et que j'ai vu qu'ils avaient choisi ces poèmes de Barcelone, et j'ai rapproché ces poèmes des tableaux d'Albert Sala, également sur Barcelone : j'ai réuni les poèmes et les tableaux dans mon ressenti, j'ai reçu cette rencontre comme une coïncidence, et pendant que nous admirons les tableaux, je me rends compte que ma mère est dans le même état d'esprit, parce qu'elle me dit : "Ce sont aussi des promenades." Parce que nous avons parlé des poèmes et des promenades, du flâneur né du jury, du titre des anciennes cartes postales de Paris et de la possibilité de suggérer - Barcelone en flânant. Et ces tableaux, oui, ce sont des promenades, comme dit ma mère. Elle m'a dit récemment, en parlant de ces poèmes, qu'elle sort sans arrêt en disant quelque chose, comme si elle avait honte, ou qu'elle voyait tant de fois quelque chose exprimé par les poèmes. Pour se consoler ou nuancer cette découverte ou cette honte, elle précise : mais je ne dis pas de mauvaises choses, je dis que le Paseo de Gracia est beau, et des trucs comme ça. Et c'est vrai. Parce que ma mère dit des choses gentilles, et des choses vraies, et c'est comme ça qu'elle parle. Et maintenant, elle dit que ces tableaux sont des promenades, et on voit à nouveau l'entrée de San Pablo, la Plaza Real (je lui dis que les fontaines ne coulent pas, et qu'elles sont de Gaudi, même si on note leur travail de premier ordre), ses porches, les chaises des bars qu'ils abritent, les Ramblas, le Lycée, la pomme de discorde, la maison Batlló en premier lieu. Nous regardons en particulier l'intérieur de la Pedrera, et je parle de la beauté extraordinaire de ce tissu d'araignée qui caractérise sa porte, et de la beauté de cette abord, vue de l'intérieur, et comment lui arrive la lumière qui vient du patio. Comme le verrait et le peindrait, celui qui passerait par là, qui y serait entré en se promenant, et aurait admiré et profité de sa cour intérieure, et de là, s'en irait - et avec lui la lumière - vers la toile d'araignée de la porte. Une promenade. Ainsi dans ce tableau, qui est aussi une promenade, et ainsi tant de fois moi, même en soirée ou dans la nuit, quand je sors là d'un concert dans les salles du bas. Quand je reviens de la musique et de la promenade. A la fin, il y a un tableau de l'exposition, et je vois la fille dans la galerie du fond, et pour une fois je lui dis : "Une exposition formidable, comme toujours." Pour une fois, et c'est très juste, et je fais bien, et je peux le faire, et eux aussi peuvent le penser, parce qu'ils me voient constamment entrer dans leurs expositions, les apprécier et les visiter à plusieurs reprises. Comme celle-ci. A voir si je reviendrai demain matin, pour une autre promenade, ou un tableau, ou un poème.

Hier musique, et aujourd'hui Barcelone, poèmes et promenades. Alors que nous montons le Paseo de Gracia, je lui dis que je vais écrire une prose à ce sujet, et à propos de la musique d'hier, et comment il est curieux que de toute façon, des proses naissent maintenant. Je rappelle une déclaration de Julio Ramón Ribeyro, dans laquelle il dit quelque chose comme si vous êtes un écrivain, vous voyez le monde en contes. Et maintenant je vois cela dans des proses, des jours et des choses qui sortent des proses, comme avant des poèmes, et ce sont des proses qui continuent les poèmes, les proses et les poèmes, et aussi les promenades. En entendant le nom de Ribeyro, ma mère dit qu'il était bon, il est bon, et qu'elle doit continuer à le lire. Elle a dû le quitter, même si elle l'a trouvé très bon, aussi triste soit-il, et ne l'a pas supporté, comme Aldecoa. Et je lui dis qu'elle doit reprendre la lecture des deux, tous les deux unis dans leur tristesse et aussi dans la profondeur et la vérité de leur art.

Une prose sur la musique, comme on le ressent pendant un concert, et une sur Barcelone et les promenades, ou sur "Barcelone en flânant", et qui se ressent précisément dans l'air de la rue, au cours d'une promenade. J'ai dit tout à l'heure qu'en France, on a su voir, apprécier ou distinguer cette vérité. Je me souviens que dans la conversation avec une traductrice, elle m'a demandé si je ne pensais pas qu'en France, on avait su voir dans ma poésie des choses qui n'avaient pas été vues ici. Bien. Je lui réponds que la France est une terre d'accueil, et je lui parle de sa générosité : comment elle a eu dès le début une bonne attitude envers ma poésie, et l'a accueillie. Et maintenant, je pourrais le répéter encore plus, car ce prix imprévu que je n'ai pas cherché m'apporte un nouveau livre chez elle et dans sa langue. Ainsi, c'est encore plus vrai. Et peut-être aussi, comme me le suggère cette traductrice et critique, qu'en plus d'avoir accueillie ma poésie, elle l'a compris. Là se trouve une vérité, une vérité que susurre cette critique et qui, dans ma poésie, voit que la France tient à ma poésie et la soutient. Peut-être n'ai-je pas donné assez de force ou de relief à cette nuance, à cet aspect qu'elle suggère et qui est fondamental, et qui est celui de la compréhension de ma poésie, celle de l'assumer et de savoir lire en elle. C'est une vérité. La vérité de ma poésie et de la France, la vérité que la France sait y voir. Comme c'est devenu le cas désormais, et je suis d'accord avec. Maintenant, bien sûr, on met l'accent dessus. Je pense à cette observation d'une de mes traductrices, surtout parce que je me souviens qu'elle m'a interrogée sur Barcelone, et que j'ai répondu et parlé de la ville comme expérience morale, de la ville métaphysique et anonyme, du paysage de tous qu'elle est aussi. Mais elle a insisté sur sa possible concrétisation, face à cette réponse générale. Et j'ai pensé qu'il y avait là quelque chose de vrai, et qu'il était exact que Barcelone apparaissait dans ces poèmes d'une manière plus concrète, plus réelle et aussi plus intime, plus liée à ma vie, et qu'elle plongeait ses racines dans mon enfance. Et qu'elle fondait ma vie. Et que dans ces poèmes, Barcelone était, comme en vérité elle l'est pour moi, une expérience intime. C'est ainsi. C'est une vérité, dans laquelle je suis entré et j'ai posé mes questions, mais qui est et était déjà dans ces poèmes, où Barcelone - comme le passé ou l'enfance - apparaît d'une manière plus aimable, et plus intime. Et en préparant les conversations pour leur publication, j'ai pensé que je devais compléter cet aspect, et l'approfondir, ou l'expliquer plus simplement parce que c'était vrai, et qu'ainsi était Barcelone par rapport à ma vie, et qu'ainsi elle était dans les poèmes. Et je l'ai fait. Avec plus ou moins de pertinence, j'ai tenté de l'expliquer, de gloser sur ce sentiment et cette réalité. Quoique ce ne soit seulement qu'un commentaire, et qu'en tant que tel, il ne s'imposait pas, puisque c'est une vérité qui est déjà dans les poèmes. Dont je n'avais peut-être pas eu clairement conscience, et que je n'ai certainement pas écrit de manière programmée ou pour que je sorte dans Barcelone, mais que je l'ai fait de manière très naturelle et très réelle, et très intime, comme est cette ville pour moi et dans ma vie. Cette vérité qui se trouve dans les poèmes qu'aujourd'hui en France on apprécie et distingue, qui réunissent promenade et poésie, promenade ou poème à Barcelone, vécue pour ceux qui en font partie. Et c'est une bonne chose que cette appréciation et ce sentiment, et aussi la possibilité que, à partir de ces poèmes et de ces promenades par Barcelone, et de cette poésie qui se rencontre et apparaît en marchant (et celle qui, dans ces randonnées, s'offre et dans laquelle se trouvent les clés de la ville de Barcelone depuis la promenade et sa poésie), forment un livre qu'apporte comme un cadeau la France, un ouvrage constitué par cette vérité qui est dans les poèmes et que vous avez su voir et apprécier, et pour lequel je peux vous proposer un titre français et ancien : Barcelone en flânant.

Barcelone, 2 mars 2012
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Vuelta a Roma (Retour à Rome)

El Bardo - 54 - 2020

Un luthier dans la venelle du cèdre

Cette fois, est avec lui, le luthier,
assis à l'entrée, sur la pierre du sol,
entre les montants de la porte.
A son côté, plus confortable,
dans une chaise de paille
sur un coussin coloré
prend le soleil un matou.
Que sait un chat,
qui plus est un matou romain.
Le luthier c'est la musique,
qui vient à moi
en cette étroite ruelle du Trastevere,
et les poèmes ce sont ses pas.
Des pas de chat. Moins rapides
que ceux de la vespa
que répare le mécanicien d'à côté.
Au soleil. Luthier au soleil,
chat au soleil, mécanicien
au soleil, poète au soleil.
C'est la vie, à Rome.

D'autres poèmes de Santiago Montobbio sont ici



Germain Droogenbroodt  : Aube du chanteur

Encres Vives - N° 483

On n'entend rien
sauf la légère palpitation de l'âme
Les mots germinent encore
des mots usés
comme des signes désenchantés
jetés au puits obscur
de l'univers.

Comme ils brûlent encore sur la langue
les mots
si vainement luttant
pour échapper
au rigide cachot
du langage.

Germain Droogenbroodt est un poète belge né en Flandre. Cet hommage à José Angel Valente a été écrit en espagnol, traduction de Jacques Ancet.



Gérard Le Goff : L'arrière pays n'existe pas

Encres Vives - N° 484

Le désordre des tables témoigne de l'heure avancée minuit passé
Ils dansent et danseront jusqu'à l'aube feront semblant de ne pas se haïr
Tant de baisers envolés de voeux désinvoltes pour que la nuit s'éternise
Personne n'a songé à dépendre les guirlandes ramasser le sapin qui s'étiole
Sous son maquillage de boules brillantes d'étoiles en carton doré
Le fracas de la mitraille ne parvient pas jusqu'ici les cris sont des rires
Dehors l'an neuf étrenne son vison de neige ses gants de givre
Le ciel est noir calme et profond déserté par les astres
Même la Lune n'inscrit pas sa pâle parenthèse sa ponctuation de néon
Dehors le silence relève du mystère un mystère païen voué à l'hivernage
Si proche des fenêtres vives la forêt palpite bleue dans l'obscur
Le galop des animaux éveillés traverse ses songes de dormance
L'étang gelé réfléchira avec peine le brouillard du matin lui-même grésil
Le ciel deviendra gris strié de pâleurs telle l'amertume perçue
Sur les visages des noceurs au gui l'an neuf les lendemains secourables
La mitraille s'imposera dans des lignes d'encre couleur de sang noir

Un autre poème de cet auteur est ici



Jacques Lovichi (1937-2018) : Au revoir et merci

Encres Vives - N° 485

Cessation progressive d'activité ou La dernière lette d'Ephèse (extrait)

J'en ai au moins appris une chose : l'écriture poétique est cette gesticulation tragique et ridicule de qui se noie. Une tentative déséspérée et suffocante pour se maintenir à la surface des choses. Une résistance héroïque et stupide : on ne s'en noie que plus longtemps et plus douloureusement.

D'autre extraits de textes de Jacques Lovichi sont ici et ici



Rose des Temps - N° 31 - Mai-Août 2018

Ce numéro est un hommage à la créativité poétique féminine

Madeleine Riffaud

 L'Harmonica

Chaque saison était à lui
Chaque saison, je l'espérais.
Un jour, même son chien est mort.

Alors, pleurant au grenier
J'ai rassemblé ses vêtements
Pour les donner à ceux qui passent.

J'ai cherché son harmonica.
Je marche, libre, dans les rues.
Mon souffle a retrouvé le sien.

C'est moi qui joue comme il voulait,
Moi qui jouerai comme il rêvait
- Moi, pour les deux -
                                                Retour des déportés (1945)

Madeleine Riffaud entra dans la Résistance avant d'être majeure, sous le pseudonyme de Rainer, en hommage au poète autrichien. Elle participa à plusieurs actions très risquées, fut arrêtée pour avoir abattu un officier allemand, torturée elle ne parla pas, condamnée à mort, elle échappa à l'exécution, s'évada en cours de déportation, fut arrêtée à nouveau, puis libérée, grâce à une échange de prisonniers, elle reprit immédiatement le combat pour la Libération de Paris.



Rose des Temps - N° 32 - Septembre-Décembre 2018

Jacques Charpentreau (1926-2016)

 L'écho

Le temps n'engloutit pas les sanglots des victimes,
Ils deviennent en nous les battements du coeur,
Ils rythment notre vie, ils inspirent nos rimes,
Errant au long des rues chuchotant dans le choeur.
On ne pardonne pas l'ignominie des crimes.

Il n'est plus de repos, il n'est plus de silence.
L'esprit ne plane plus sur les eaux de la mer,
Il n'est plus dans le vent, le feu, la joie, la danse,
Mais avec les enfants condamnés à l'enfer.
Résonne en nous l'écho du dernier cri qu'ils lancent.

Extrait de Un si profond silence, La Tournelle, 2015.



L'étincelle - Bulletin 2019

Angèle Vannier (1917-1980)

 L'aveugle à son miroir

L'ange exterminateur a retourné mes yeux
Vers la terre promise et la face de Dieu.
Je bénis cette main qui m'a donné le droit
De changer l'eau en vin à la table du roi.

Aveugle chaque jour, j'entre dans mon miroir
Comme un pas dans la nuit comme un mort dans la tombe
Comme un vivant sans coeur dans un corps de colombe.
Mais je vois de mes yeux courir sous le manteau
Quelque chose de Dieu qui passe et qui repasse
La couleur d'un amour qu'un regard d'homme efface.

Et mon sang dévasté par le tour des orages
Travaille à dégager sa course du chaos
A calculer le poids des armes et bagages
Que la vie vous accroche en douce sur le dos.

Le marchand de miracles est passé par ici
Mes yeux sont au tombeau mon âme au paradis.
Seigneur tu m'as promis que je lirai ce soir
Le véritable nom de l'arbre dans le noir.

Les prêtres du soleil ont tout vu ont tout dit
L'aveugle à son miroir cherche à violer la nuit.

Ce poème est extrait de A hauteur d'ange : la Maison du Poète (1958), Seghers (1961). J'ai rencontré Angèle Vannier, poète aveugle, au Radar, dans les années 1950. Je me souviens de l'intensité de son regard perdu et de l'émotion vive qui en émanait lorsqu'il se portait en direction d'une personne qui parlait.

Un autre extrait d'Angèle Vannier est ici


Alain Lacouchie : Une pierre, sans personne

Encres Vives - N° 486

2.

Un jour, la nuit s'enfuira
dans les feuilles,
et l'ennui sera obsédant
J'ai hâte que les jours se terminent.

3.
Des espaces ont déjà vécu mon temps.
Ici, je suis un rien d'infini :
Je ne suis pas en avance
sur mon innocence ;
je suis ébouriffé
de longues violences en chaleur
et de cris à la mort
planté sur mes pleurs
Je voudrais habiter loin de mes désirs
pour ne pas encore détester la vie!

D'autres extraits de cet auteur sont ici


Jean-Michel Bongiraud : Le coin du tableau

Encres Vives - N° 487

...
Je suis un manoeuvre
une brique anarchiste
un lopin de terre social
une amphore politique
mais certainement pas
un poète de canapé

D'autres extraits de cet auteur sont ici


Dominique Marbeau : Clarté des sources

Encres Vives - N° 488

Ô mon pays me voici de retour
pour m'identifier plus que pour te dire
l'écho de mes pas dans ton sentier
plus que la chanson du ru dans ta vallée
plus d'ombrage dans mon ciel que sous ta voûte

Mais avec toi mon chagrin se décante
la clarté de tes sources qu'inlassablement
tu lances aux reflets des nuages
je commence seulement à la voir
Est-ce là la forme d'une clef
pour l'acceptation des murs?
car toi aussi n'est-ce pas des murs te protègent

Lentement un voile se lève où s'étaient accrochés
tant de mouches mangées par des araignées
tant d'insectes répugnants et tant d'égoïsme
sous de poussiéreuses horloges

C'est pour un peu de lumière
pour survivre à la colère
pour mieux distinguer tes pentes et tes contours
c'est pour écouter les leçons que tu donnes
ô mon pays que je suis de retour


Rose des Temps - N° 33 - Janvier-Avril 2019

Bernard Vargaftig (1934-2012)
 
Un mouvement un jardin 
Craie et air 
Un seul taillis les fougères 
N'ont pas de preuve est-ce l'espace 

Et respirer la nuit craque 
Une histoire 
Un bruant s'est arrêté 
Les calenques n'aveuglent rien 

Etoffe éraflée 
Rosier l'abandon 
Roulait tout-à-coup plus lointain 
Comme sans poussière 
Où dans la descente 
La grève est venue murmurer 

Bernard Vargaftig fut publié par Aragon dans les Lettres Françaises.



Rose des Temps - N° 34 - Mai-Août 2019

Catherine Pozzi (1882-1934)

Nyx

              A Louise aussi de Lyon et d'Italie

Ô vous mes nuits, ô noires attendues
Ô pays fier, ô secrets obstinés
Ô longs regards, ô foudroyantes nues
Ô vol permis outre les cieux fermés.

Ô grand désir, ô surprise épandue
Ô beau parcours de l'esprit enchanté
Ô pire mal, ô grâce descendue
Ô porte ouverte où nul n'avait passé

Je ne sais pas pourquoi je meurs et noie
Avant d'entrer à l'éternel séjour.
Je ne sais pas de qui je suis la proie,
Je ne sais pas de qui je suis l'amour.

Extrait de Très haut amour - Gallimard - Poésies - (2002)

Née et décédée à Paris, Catherine Pozzi, fréquenta les milieux intellectuels de l'époque (Leconte de Lisle, Heredia, Henri de Régnier...). Elle eut une liaison décevante avec Paul Valéry en raison du caractère narcissique de ce poète. Elle mourut de la tuberculose. Nyx (Nuit) passe pour être son dernier poème.
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Alain Bosquet (1919-1998)

Mer

La mer écrit un poisson bleu,
     efface un poisson gris.
La mer écrit un poisson qui prend feu,
      efface un croiseur mal écrit.
Poète plus que les poètes,
      musicienne plus que les musiciennes,
elle est mon interprète,
      la mer ancienne,
la mer future,
      porteuse de pétales,
porteuse de fourrure.
     Elle s'installe
au fond de moi : la mer écrit un soleil vert,
     efface un soleil mauve.
La mer écrit un soleil entrouvert
     sur mille requins qui se sauvent.

Extrait de Deuxième testament - Gallimard - (1959)

Anatole Bisk naquit à Odessa alors que la guerre civile faisait rage. Sa famille se réfugia en Belgique. Lors de l'invasion allemande de 1940, il vint en France et partit aux États-Unis après la défaite de l'armée française. Il s'engagea en 1942 dans l'armée américaine et participa en 1944 au débarquement en Normandie. En 1945, il s'installa à Paris où il se fit connaître comme romancier, poète, critique et directeur littéraire sous le pseudonyme d'Alain Bosquet.
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Roland Nadaus
 
Fac-similé d'une page de Rose des Temps - N° 34 - Mai-Août 2019

D'autres textes de Roland Nadaus sont ici



Spécial Silvaine Arabo

Encres Vives - N° 489

Et se mettre à l'écoute des pierres qui nous disent que: "(...) seul surgit dans l'éclat / Ce qui se retire vers le pur noyau / De l'Intériorité".

Silvaine Arabo est poète, peintre et aussi éditrice.



Annabelle Gral :  Couleur Pierres

Encres Vives - N° 490

Il y a des émanations tombant
comme le gel de décembre
sur le revers d'un geste

Il fait froid au fond
de mes moelles tendres
où l'attente creuse
des entailles

Quand ton souvenir me recouvre
je te réjouis de caresses et
au creux de mes hanches
t'accueille
doucement



Jean-Michel Tartayre :  Chants des Crépuscules

Encres Vives - N° 491

Chant - ainsi qu'une arche - où
Sont concentés tous les espaces,
Dans l'absolu silence du temps.

Chant - ainsi qu'un bloc - où
Sont les signes.

Chant de la femme et de l'enfant
Que les glaives d'or du Soleil défendent
Jusque dans les mots du poème, nés

Des parfums de la rose et du jasmin bleu,
De leurs chromatismes.

D'autres poèmes de Jean-Michel Tartayre sont ici



Claire Légat :  Chants des Nous nous sommes trompés de monde (extraits) - D'outre moi-même (recueil en cors d'écriture)

Encres Vives - N° 492

...
Je revois mon enfance posée comme un couteau :
l'aube y cueillait ses cris,
la tendresse alors pesait comme le corps...
                     Du temps où les étoiles
                     mangeaient dans ma main
mes yeux s'ouvraient toujours sur une ville éteinte.
J'emportais leur éclat sous la peau,
J'enregistrais les secondes, pliées et dépliées
                                                         avec soin.

Depuis, j'ai voyagé parmi les illusions et la blessure du
                                                                             monde ;
                        j'ai voyagé dans l'arbre de mes veines
                        (les voyages forment la jeunesse)
Ils forment aussi des rigoles de sang sur les cartes de
                                                                    géographie !
Je me trouvais à Nice, avec l'impression d'avoir tra-
                 versé la France à la vitesse du hanneton...

En vérité, les routes ne mènent nulle part,
les routes ne sont qu'absence : malgré la chaleur des
                     pneus et la compagnie des garçons.
Loin, derrière les cloisons du regard s'étend ce pays que
                     l'on n'atteint jamais.
O ma jeunesse, tu me hèles en ces guêpiers d'aurore,
tu marches sur le fil tendu de la mémoire,
et c'est soudain comme si quelqu'un me sautait
                     pieds joints, sur la nuque !
...



Anne Mounic :  Une simplicité heureuse

Encres Vives - N° 493

en parfaite efficacité

Femme, ou disparaître
n'être que faire-valoir d'autrui
et modeste murmure, inaudible,
car non entendue, ou plutôt,
inécoutée.
                   L'oeuvre d'une vie,
de la sorte, s'ensevelit
dans un oubli qui précède l'attention
et la prévient, en parfaite efficacité.
                   La course
du chacun pour soi
exclut toute forme de disponibilité
à la voix qui prie.
                    L'isolement
dresse l'impasse, à vous couper
le souffle.

D'autres textes d'Anne Mounic sont ici



Gérard Mottet :  A quoi rêvent les arbres ?

Encres Vives - N° 494

Tu es vêtu d'écorce

Tu es vêtu d'écorce
et tu as le coeur tendre
tes mille mains se tendent
pour boire la lumière
 
                   qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?
 

Tu élèves ta tête
pour défier les dieux
et tes racines plongent
dans l'empire des morts

                   qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?

Les sources te fascinent
les flammes te tourmentent
et les étoiles dansent
dans l'odeur de tes nuits

                   qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?

Les pieds ancrés au sol
tu voyages pourtant
par les ailes d'oiseaux
et le souffle des vents

                   qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?

Un cœur s'incruste en toi
pour s'immortaliser
une hache se lève
que tu n'attendais pas

                 Homme     qu'es-tu d'autre qu'un arbre ?

D'autres textes de cet auteur sont ici



Ana Istarú

Quatorze écrivains d'Amérique centrale
Les belles étrangères - Centre national du Livre - 1997

Ana Istarú, pseudonyme de Ana Soto Marín, est une actrice et écrivaine costaricaine qui cultive la poésie et la dramaturgie. Elle rassembla ses premiers poèmes dès l'âge de 15 ans et reçut deux ans plus tard le Prix de la jeune création - Traduction de Jean-Marie Saint-Lu.



Alain Lacouchie :  Apatride des espaces

Encres Vives - N° 495
 
3. 

Déchets, fumées et pesticides 
fais-moi jouir à l'acide 
A corps perdu d'apocalypse, 
l'inhumain n'est qu'un écho; 
je me souviens d'oiseaux 
appelés moineaux.

D'autres extraits de cet auteur sont ici



Eric Chassefière :  Le partage par la musique - Plage musicale en Bangor

Encres Vives - N° 496

Il n'y a rien ici
simplement de l'ombre  de la couleur
de la lumière posée sur le front
du vent dans la solitude des choses
du silence qui vient renforcer
le tintement de la cloche de l'église
presque rien mais ce presque est tout
ces légers affleurements de la présence
dans un bruit d'outil ou de voix
cette multiplicité des silhouettes sonores
ce grondement du vent dans le toit
cette rumeur à travers fenêtres et jardins
d'instruments joués au secret des chambres
ces phrases subtiles des cordes
ces pulsations et rythmes des claviers
ces lumineux instants d'élévation
corps et âme tressés du même chant
tout ici passe par l'écoute
même la voix pour être voix doit écouter
les mots pour être mots prendre écho au silence
il y a tout ici pour qui sait écouter
le vent dans la fenêtre est l'ultime fleur du silence
souffle léger venu s'épanouir dans la nuit de midi

D'autres poèmes de cet auteur sont ici



Gérard Le Goff : Arsenal des eaux

Encres Vives - N° 497
 .
Renaissance

Au temps premier, les giboulées criblent les sommeils,
L'eau vive abreuve l'ardeur naïve du déjà né
Et le soleil étire la courbe neuve de l'année
De l'aube au soir, mêlant noir, azur et vermeil.

L'eau vive abreuve l'ardeur naïve du déjà né,
La lumière danse au gré du vent qui s'émerveille;
De l'aube au soir, mêlant noir, azur et vermeil,
S'élèvent les murmures des récents éveils égrenés.

La lumière danse au gré du vent qui s'émerveille,
La rivière hâtive, comme ivre, passe le gué dénié;
S'élèvent les murmures des récents éveils égrenés
Avec les oiseaux signant le fatras du ciel.

La rivière hâtive, comme ivre, passe le gué dénié,
Les fleurs profanes augurent le sacre lointain du miel;
Avec les oiseaux signant le fatras du ciel,
Vers où vont ces beaux jours à peine imaginés?



Elvire Maurouard

Poésie du monde - Anthologie 2020 - Quinze ans de poésie d'ailleurs
Éditions du Cygne - 2020

Puisque je suis noire puisque tu es victoire
Soulève la terre pour en extraire une armure
En présence du soleil, enterre toute compassion
Et avoue que la malédiction est imposture
Puisque je suis le mal puisque tu es mâle
Écoute résonner le cri sauvage de mon sang
Et dans ma chair brûlée marquée par les balles
Retrouve les présents dispersés par les ans
Puisque je suis noire puisque tu es victoire
Moi Erzulie sorcière, je t'invite à croire
À mes dieux fatigués déportés estropiés
Enfantant le jour dans un crépuscule souillé
Puisque je suis noire puisque tu es victoire
Oublie la civilisation et dit au parloir
Que moi Saba, je ne suis pas un assassin
Je n'ai pas tué Abel je ne suis pas Caïn
Puisque je suis noire puisque tu es victoire
Mâle, Homme bleu blanc accomplis ta gloire
Puisque tu mords gourmand dans mes entrailles
Sculpte une Noire digne dans le souffle de l'Histoire.

Elvire Maurouard est une poète haïtienne.



Huguette Bertrand

DÉSERTION
                    26 février 2020 - 15h50

Au salon des mots à chacun sa table
 petit pot de fleurs et café chaud
 et collé au coeur le désir de signer
 obstinément une page d'espoir
 sur la plage des présentoirs
 
 les temps forts désertent le présent
 et l'impatience gagne du terrain
 devant quelques sourires figés
 
 les rendez-vous s'éloignent
 comme une brise printanière
 que chaque minute a soufflée
 dans les allées désertées
 
 on remballe l'ambition
 dans une boite en carton
 espérant que la prochaine fois
 le salon sera plus éclairé
 que la veille.

Huguette Bertrand est une poète québécoise.



Salvatore Gucciardo

LES YEUX

Dans tes yeux livides
Il y a des cathédrales esseulées
Des bateaux à la dérive
Des écorces fripées
Des hordes ambiguës
Des volcans étouffés
Des vrilles en sursauts

Dans tes yeux d'écume
Il y a l'ombre d'un doute
Le froissement d'une étoffe
Le souffle d'un papillon
L'entremêlement d'une racine
Des bouffées de volutes
Sur l'onde matinale

Dans tes yeux délavés
Il y a la commissure du vent
Les arabesques en dérive
L'écho d'une voix
Au sein des gorges escarpées

Dans tes yeux pourprés
Il y a la rougeur d'un coquelicot
Les frissons d'un aigle
La promesse d'une aube
Le feu d'une passion

Dans tes yeux azurés
Il y a la blancheur de l'ébène
La luminescence
D'une comète
Les ailes d'une colombe
Sur une mer agitée

Dans tes yeux arc-en-ciel
Il y a la nudité d'un rêve
La ferveur d'une âme
Une passion démesurée
Dans la musique des sphères.

Poète, peintre, dessinateur et illustrateur autodidacte, S. Gucciardo est né en 1947, à Siculiana (Italie). Il vit en Belgique depuis 1955.

Un autre texte de cet auteur est ici



Mary Elisabeth Frye (1905-2004)

Version 1

Ne reste pas sur ma tombe à pleurer
Je ne suis pas là. Je n'y dors pas.
Je suis un millier d'ouragans qui soufflent.
Je suis la pelisse adamantine de la neige.
Je suis l'éclat du soleil sur le grain mûr.
Je suis la douce pluie d'automne
Quand tu t'éveilles dans le silence du matin.
Je suis l'essor tourbillonnant
Des oiseaux paisibles qui volent en rond.
Je suis la tendre étoile qui  dans la nuit scintille.
Ne reste pas sur ma tombe à te lamenter.
Je ne suis pas là. Je ne suis pas morte.

Version 2

Ne reste pas sur ma tombe à pleurer
Je ne suis pas là, je n'y dors pas.
Je suis un millier d'ouragans qui soufflent.
Je suis la neige qui tombe doucement.
Je suis la tendre douche de la pluie.
Je suis les champs où mûrissent les grains.
Je suis dans le silence du matin.
Je suis dans le gracieux essor
Des beaux oiseaux volant en cercle.
Je suis la lumière de l'étoile nocturne.
Je suis les fleurs qui s'épanouissent.
Je suis dans la chambre tranquille.
Je suis les oiseaux qui chantent.
Je suis dans chaque chose aimable.
Ne reste pas sur ma tombe à te lamenter.
Je ne suis pas là. Je ne suis pas morte.

Mary Elisabeth Frye est une poète américaine. Ce poème est le plus connu. Elle en a laissé plusieurs versions. J'ai traduit ici deux de ces versions qui, à mon avis, montrent qu'un poète gagne souvent plus à retrancher et resserrer son texte qu'à lui ajouter.



Proverbe Amérindien

Source : Internet : L'arbre à bien-être.



Jean Billaud : Les Syrtes

Encres Vives - N° 498
 .
Promenade autour des phalanges

Phalanges bout à bout
Des doigts
Ma main est posée sur le livre
Sur Nadja qui marche
Dans Paris avec Breton
Je regarde mes doigts
Je regarde ma main
Je regarde le monde
Je bats les cartes
Où sont les as
Entre mes doigts
Dame de pique
qui ne rit pas comme le monde

Elle a caché mes as
et mes atouts

Je bats les cartes
Je fouille j'écarte
Où sont mes as et les atouts
Ma main est posée sur le livre
Sur Nadja qui marche
dans Paris avec Breton
Je regarde mes doigts
Je regarde ma main
Je ne vois que mes doigts
Je ne vois que ma main
que je prends dans mon autre main
Je me serre la main
Et je me dis bonjour
Et je salue cet autre qui est moi

Ma main est posée sur le livre
sur Nadja qui marche
dans Paris avec Breton

D'autres textes de cet auteur sont ici



Adonis
 .
Mort

La langue rouille par manque de mots,
L'oeil rouille par manque de rêves.
Le visage est la lumière du corps.
Quand le visage s'assombrit
Tout le corps s'éteint.
L'homme est un livre
que la vie lit sans cesse.
La mort le lit en un instant,
une seule fois.
La mélodie est pour l'oreille,
La couleur est pour l'oeil,
Le mot est pour tout le corps.
Nègre : évanouissement de la nature
sur les genoux de l'univers.
La folie est continue de rencontrer les choses
et c'est en même temps continu viré.
Toutes les choses sont couvertes de vêtements qui les masquent.
Rien n'apparaît plus complètement nu
que quand il prend la main de la folie.

(Traduction de l'arabe par Maria Luisa Prieto) - Adonis est un poète syrien.



L'Étincelle - Bulletin 2020 ses Amis de La Tour du Vent

Georges Alexandre

Message

Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Que j'habite maintenant le cadran solaire
Dressé sur une tige transparente

Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Que mes yeux se sont élargis comme les prunelles félines
Qu'ils ne se ferment plus

Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Que ma bouche maintenant est une source forte
Mes mots sont devenus lumière

Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Qui vont dans l'ombre des nuages
Qui ont les yeux couverts de misère
Qui n'entendent plus que le cri du froid

Dites-leur
Dites-leur que Georges Alexandre n'est pas mort
Qu'il ne les a pas oubliés

Dites-leur
Que je suis pur et pareil à ceux
Qui naviguent les larges vents du ciel,
Pâle comme le lendemain d'une symphonie
Et que la Seine
Redit mon ombre comme un long poème

Dites-leur doucement
Dites leur simplement
Dites aux hommes qui sont restés là-bas
Que Georges Alexandre ne les oublie pas.

Ce poème de Georges Alexandre a été publié, en mémoire de lui, par Théophile Briant dans le numéro 106 du Goéland (dernier trimestre 1952). Le poète était mort à Alger le 13 janvier et il avait écrit le poème en 1950. Je n'ai pas retrouvé la date de naissance de Georges Alexandre qui semble absent d'Internet. C'était pourtant un important poète de son temps qui méritait mieux que le quasi oubli d'aujourd'hui! Ce poème en est d'autant plus poignant


Rose des Temps - N° 35 - Septembre-Décembre 2019

Paul Vincensini (1930-1985)

L'Arbre

Sur cet arbre ont poussé des chiffons et des fleurs
Une fleur Un chiffon Une fleur un chiffon
Les plus tristes chiffons
Des bérets noirs des chaussettes un jupon troué
Des tabliers à fleurs
Les oiseaux et les guêpes ont encerclé les fleurs
Et les essaims de mouches serrent de près les chiffons
Un jour on abattra l'arbre
Il y aura un coin du feu
Des souvenirs et du malheur
En parts égales.

Extrait de Peut-être, Club du poème -Rochessauve, 1975 - Paul Vincensini était un ami d'Alain Borne qui fit beaucoup pour la diffusion de son oeuvre après sa mort accidentelle



Rose des Temps - N° 36 - Janvier-Avril 2020

Louise Labé

Sonnet IX

Tout aussitôt que je commence à prendre
Dans le lit mou le repos désiré,
Mon triste esprit hors de moi retiré
S'en va vers toi incontinent se rendre.

Lors m'est avis que dedans mon sein tendre
Je tiens le bien où j'ai tant aspiré,
Et pour lequel j'ai si haut soupiré
Que de sanglots ai souvent pensé fendre.

Ô doux sommeil, ô nuit à moi heureuse!
Plaisant repos, plein de tranquillité,
Continuez toutes les nuits mon songe;

Et si jamais ma pauvre âme amoureuse
Ne doit avoir de bien en vérité,
Faites au moins qu'elle en ait en mensonge.
____________________________________________
Alain-Jean Macé

A saute-mouton

Couturière autrefois
C'était de mère en fille
Et de fil en aiguille
Avec pour se détendre
Une partie de dés
Sans qu'on se pique au jeu.

Citation tiré de la revue Verso N° 180
D'autres textes de ce auteur sont ici



Michel Cosem : Le partage du monde - Illustrations de André Falsen

Encres Vives - N° 499
 
D'autres textes de Michel Cosem sont ici



Georges de Rivas : Ce que la Colombe dit à la Rose

L'Harmattan - Collection Poésie
 .
In Memoriam
                            A ma Mère en ce jour anniversaire de sa mort
                                   à la fin d'une nuit peuplée de météores.

Oh qu'on nous laisse seul, seul sous ce saule pleureur
Car il est toujours cinq heures à l'horloge du coeur
Où tu demeures, revêtue d'une splendide aube d'été
Il est cinq heures à cette horloge qui s'est arrêtée
A l'heure où tu es partie vêtue de ta robe d'éternité
Oh qu'on nous laisse seul à pleurer, encore une fois
Seul à pleurer jusqu'à entendre à nouveau ta voix
Qu'on me laisse seul avec ton absence pour demeure
Ce saule pleureur écoutant ta voix parler à mon coeur!
Que ta mort ne soit pas l'espérance mise au cercueil
Mais cette joie d'ange s'élevant au passage du seuil
La renaissance de ta voix chantant dans ce recueil !



Francisco Alvarez Velasco
 .
Boire l'éternité

                            "... je m'occupe de mon âme et de mon éternité."
                                                                              Juan Ramón Jiménez

Dans la Vieille Fontaine, Platero*,
le poète écoutait l'élégie
du monde, le Parthénon,
les cathédrales...
l'allégresse et la mort.

Maintenant que les rivières sont arrêtées
et que la lune ne se montre plus
et que frère Luis et Beethoven
songent silencieusement, dit-on,
si tu bois de ses eaux,
Platero, tu boiras l'éternité.
Et par tes lèvres de rose entrera
la splendeur infinie
avec l'obscure rumeur
suavissime et verte.

* Platero est le nom de l'âne du poème Platero y yo de Juan Ramón Jiménez.

Source : Internet - D'autres textes de cet auteur sont ici



Stephen Blanchard : Débiles visés

France libris
...
Il serait terrible
pour un écrivain
d'avoir ses contes bloqués.

Les mots filent
à l'anglaise
lorsque mes rimes
raillent, rient
de mes ruses verbales
en mon âme aigrie.
Les vers minent
le pré las
de mes airs rances
dans l'ambre azur
d'un rêve
aux aguets. Ainsi les vers balisent
chez Monsieur Alexandrin.
Pourquoi tant de vers mi-sots
réplique le vers lent?
Nenni
répond le vers luisant
un poème sans mot
ça tend vers où?
Sitôt dit, sitôt fait
le vers dicte
sa sentence
au détour d'un silence.
En conclusion
le vers moulu
s'est tu
car parfois
un
vers
sévère tue!

...
En réalité l'oeil de boeuf
rêve d'une paupière close
pour ne pas entrevoir
la fin du monde.

Stephen Blanchard est le président-fondateur depuis 1974 de l'association "Les poètes de l'amitié" qui publie la revue Florilège



Kahlil Gibran (né le 6 janvier 1883 à Bcharré, au Liban - mort le 10 avril 1931 à New York)
 .
Tes fils ne sont pas tes fils

Tes fils ne sont pas tes fils
ils sont les fils et les filles de la vie
un don accordé par elle.
Ils ne viennent pas de toi,
mais seulement à travers de toi
et quoiqu'ils soient avec toi
ils ne t'appartiennent pas.

Tu peux leur donner ton amour,
mais pas tes pensées, car ils
ont leurs propres pensées.
Tu peux abriter leurs corps
mais pas leurs âmes, car elles
vivent dans la maison du lendemain,
que tu ne peux pas visiter
pas même en songes.

Tu peux t'efforcer de leur ressembler,
mais n'essaie pas
de les rendre pareils à toi
parce que la vie ne régresse pas
ni ne s'attarde dans l'hier.

Tu es l'arc duquel, tes enfants
sont lancés comme des flèches vives.
Fais en sorte que le jet
dans ta main d'archer
soit dirigé sur la félicité.

Kahlil Gibran est un poète libanais dont l'ouvrage Le Prophète connaît une renommée mondiale



Amadou Lamine Sall
.

Amadou Lamine Sall est un poète sénégalais - Extrait  de la lettre du P. E. N. Club français (Nouvelle série - N° 13 - Décembre 2007


Rose des Temps - N° 37 - Mai-Août 2020

Andrée Chedid (1920-2011)

Pour mieux tenir debout
L'homme inventa la fable
Se vêtit de légendes
Peupla le ciel d'idoles
Multiplia ses panthéons
Cumula ses utopies

Se voulant éternel
Il fixa son oreille
Sur la coquille du monde
A l'écoute
D'une voix souterraine
Qui l'escorte   le guide
Et l'agrandit.

Poème extrait de Rythmes, éditions Gallimard. Andrée Chedid est une femme de lettres française née en Égypte
_____________________________________________________
Jeanpyers Poëls (1940-2018)

Orgues rouges

Or gueux et maîtres gueux,
l'organdi d'une enfance entre les doigts,
traînent des pieds trop longs
un traînement imitant le tramway,
vers un chalet sans porte,
une toupie de géant à l'envers,
une ardoise grossière,
un traînement, un matin, au milieu
de la nef lie de vin
sous la travée tel un carrousel
en vie pour l'importun,
la poitrine à demi encailloutée;
ils se déséquilibrent
au bas d'un orgue à buffet ténébreux,
dont les claviers s'effacent,
et se fatiguent à se ruer sur lui
sur lui autant qu'ils peuvent,
à faire voler en éclats ses cinq lettres,
accordées une nuit
de noctuelles, sans fin noctuelles,
et à les mettre en sang.

Jean-Pierre Jules Poëls naquit à Cambrai et mourut à Orange




La revue  Incertain Regard  publie des notes de lectures. On peut les lire en cliquant   ici


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