Robert Desnos (1900-1945) 
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Quelques poèmes et une gouache
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P'OASIS  

Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.  
-Soeur Anne, ma Sainte Anne, ne vois-tu rien venir... vers Sainte-Anne?  
-Je vois les pensées odorer les mots.  
-Nous sommes les mots arborescents qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.  
De nous naissent les pensées.  
-Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.  
Les mots sont nos esclaves.  
-Nous sommes  
-Nous sommes  
-Nous sommes les lettres arborescentes qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.  
Nous n'avons pas d'esclaves.  
-Soeur Anne, ma soeur Anne, que vois-tu venir vers Sainte-Anne?  
-Je vois les Pan C  
-Je vois les crânes KC  
-Je vois les mains DCD  
-Je les M  
-Je vois les pensées BC et les femmes ME et les poumons qui en ont AC de l'RLO poumons noyés des ponts NMI.  
Mais la minute précédente est déjà trop AG.  
-Nous sommes les arborescences qui fleurissent sur les déserts des jardins cérébraux.  

L'AUMONYME (1923)  


COEUR EN BOUCHE 

Son manteau traînait comme un soleil couchant 
et les perles de son collier étaient belles comme des dents. 
Une neige de seins qu'entourait la maison 
et dans l'âtre un feu de baisers. 
Et les diamants de ses bagues étaient plus brillants que des yeux. 
"Nocturne visiteuse Dieu croit en moi! 
- Je vous salue gracieuse de plénitude 
les entrailles de votre fruit sont bénies. 
Dehors se courbent les roseaux fines tailles. 
Les chats grincent mieux que les girouettes. 
Demain à la première heure, respirer des roses aux doigts d'aurore 
et la nue éclatante transformera en astre le duvet." 
  
Dans la nuit ce fut l'injure des rails aux indifférentes locomotives 
près des jardins où les roses oubliées 
sont des amourettes déracinées. 
"Nocturne visiteuse un jour je me coucherai dans un linceul comme dans une mer. 
Tes regards sont des rayons d'étoile 
les rubans de ta robe des routes vers l'infini. 
Viens dans un ballon léger semblable à un coeur 
malgré l'aimant, arc de triomphe quant à la forme. 
Les giroflées du parterre deviennent les mains les plus belles d'Haarlem. 
Les siècles de notre vie durent à peine des secondes. 
A peine les secondes durent-elles quelques amours. 
A chaque tournant il y a un angle droit qui ressemble à un vieillard. 
Le loup à pas de nuit s'introduit dans ma couche. 
Visiteuse! Visiteuse! tes boucliers sont des seins! 
Dans l'atelier se dressent aussi sournoises que des langues les vipères. 
Et les étaux de fer comme les giroflées sont devenus des mains. 
Avec les fronts de qui lapiderez-vous les cailloux? 
Quel lion te suit plus grondant qu'un orage? 
Voici venir les cauchemars des fantômes." 
Et le couvercle du palais se ferma aussi bruyamment que les portes du cercueil. 
On me cloua avec des clous aussi maigres que des morts 
dans une mort de silence. 
Maintenant vous ne prêterez plus d'attention 
aux oiseaux de la chansonnette. 
L'éponge dont je me lave n'est qu'un cerveau ruisselant 
et des poignards me pénètrent avec l'acuité de vos regards. 

LANGAGE CUIT (1923) 


C'ÉTAIT UN BON COPAIN  

Il avait le coeur sur la main  
Et la cervelle dans la lune  
C'était un bon copain  
Il avait l'estomac dans les talons  
Et les yeux dans nos yeux  
C'était un triste copain  
Il avait la tête à l'envers  
Et le feu là où vous pensez  
Mais non quoi il avait le feu au derrière  
C'était un drôle de copain  
Quand il prenait ses jambes à son cou  
Il mettait son nez partout  
C'était un charmant copain  
Il avait une dent contre Étienne  
A la tienne Étienne à la tienne mon vieux  
C'était un amour de copain  
Il n'avait pas sa langue dans la poche  
Ni la main dans la poche du voisin  
Il ne pleurait jamais dans mon gilet  
C'était un copain  
C'était un bon copain.  

LANGAGE CUIT (1923)  


LA ROSE A VOIX DE SOPRANO 

La rose à voix de soprano 
joue la nuit du piano 
Cela charme les monts et les plaines 
le Rhin, la Loire et la Seine 
et les fées et les sirènes 
dans leurs palais de roseaux 

La rose à voix de soprano 
est connue même à Concarno 
à Fosse-Repose et à Locarno 
Et dans les faubourgs de Kovno 
Et sur les plages de Bornéo 
Et dans tous les châteaux à créneaux 

LE PARTERRE d'HYACINTHE (1975)  

Ce poème, inédit du vivant de l'auteur, a été écrit en 1932 pour les enfants de Lise et Paul Deharme.  


LES QUATRE SANS COU 

Ils étaient quatre qui n'avaient plus de tête, 
Quatre à qui l'on avait coupé le cou, 
On les appelait les quatre sans cou. 

Quand ils buvaient un verre, 
Au café de la place ou du boulevard, 
Les garçons n'oubliaient pas d'apporter des entonnoirs. 

Quand ils mangeaient, c'était sanglant, 
Et tous quatre chantant et sanglotant, 
Quand ils aimaient, c'était du sang. 

Quand ils couraient, c'était du vent, 
Quand ils pleuraient, c'était vivant, 
Quand ils dormaient, c'était sans regret. 

Quand ils travaillaient, c'était méchant, 
Quand ils rôdaient, c'était effrayant, 
Quand ils jouaient, c'était différent, 

Quand ils jouaient, c'était comme tout le monde, 
Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres, 
Quand ils jouaient, c'était étonnant. 

Mais quand ils parlaient c'était d'amour. 
Ils auraient pour un baiser 
Donné ce qui leur restait de sang. 

Leurs mains avaient des lignes sans nombre 
Qui se perdaient parmi les ombres 
Comme des rails dans la forêt. 

Quand ils s'asseyaient, c'était plus majestueux que des rois 
Et les idoles se cachaient derrière leurs croix 
Quand devant elles ils passaient droits. 

On leur avait rapporté leur tête 
Plus de vingt fois, plus de cent fois, 
Les ayant retrouvés à la chasse ou dans les fêtes 

Mais jamais ils ne voulurent reprendre 
Ces têtes où brillaient leurs yeux, 
Où les souvenirs dormaient dans leur cervelle. 

Cela ne faisait peut-être pas l'affaire 
Des chapeliers et des dentistes. 
La gaieté des uns rend les autres tristes. 

Les quatre sans cou vivent encore, c'est certain. 
J'en connais au moins un 
Et peut-être aussi les trois autres. 

Le premier, c'est Anatole, 
Le second, c'est Croquignole, 
Le troisième, c'est Barbemolle, 
Le quatrième, c'est encore Anatole. 

Je les vois de moins en moins, 
Car c'est déprimant, à la fin, 
La fréquentation des gens trop malins. 

LES SANS COU (1934) 


Le couple astral - Gouache de Robert Desnos (1935)

LA FOURMI 

Une fourmi de dix-huit mètres 
Avec un chapeau sur la tête, 
Ça n'existe pas, ça n'existe pas. 
Une fourmi traînant un char 
Plein de pingouins et de canards, 
Ça n'existe pas, ça n'existe pas. 
Une fourmi parlant français, 
Parlant latin et javanais, 
Ça n'existe pas, ça n'existe pas. 
Eh! pourquoi pas? 

CHANTEFABLES ET CHANTEFLEURS (1939?) 


LA VOIX 

Une voix, une voix qui vient de si loin 
Qu'elle ne fait plus tinter les oreilles, 
Une voix, comme un tambour, voilée 
Parvient pourtant, distinctement, jusqu'à nous. 

Bien qu'elle semble sortir d'un tombeau 
Elle ne parle que d'été et de printemps. 
Elle emplit le corps de joie, 
Elle allume aux lèvres le sourire. 

Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine 
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles, 
L'écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages. 

Et vous? Ne l'entendez-vous pas? 
Elle dit "La peine sera de courte durée" 
Elle dit "La belle saison est proche." 

Ne l'entendez-vous pas? 

CONTREE (1936-1940) 


CE COEUR QUI HAÏSSAIT LA GUERRE

Ce coeur qui haïssait la guerre voilà qu’il bat pour le combat et la bataille!
Ce coeur qui ne battait qu’au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine.
Et qu’il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent,
Et qu’il n’est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne,
Comme le son d’une cloche appelant à l’émeute et au combat.
Écoutez, je l’entends qui me revient renvoyé par les échos.
Mais non, c’est le bruit d’autres coeurs, de millions d’autres coeurs battant comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces coeurs,
Leur bruit est celui de la mer à l’assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d’ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce coeur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Français se préparent dans l’ombre à la besogne que l’aube proche leur imposera.
Car ces coeurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit.

L'HONNEUR DES POETES (1943)


LE DERNIER POÈME 

J'ai rêvé tellement fort de toi, 
J'ai tellement marché, tellement parlé, 
Tellement aimé ton ombre, 
Qu'il ne me reste plus rien de toi. 
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres 
D'être cent fois plus ombre que l'ombre 
D'être l'ombre qui viendra et reviendra 
dans ta vie ensoleillée. 

(1944 ou 1945?) 


Jean Dif: Desnos toujours parmi nous (2001)
 . 
Et pour en savoir plus sur Robert Desnos ou lire d'autres poèmes de lui, cliquez ici

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