P'OASIS
Nous sommes les pensées arborescentes
qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.
-Soeur Anne, ma Sainte Anne, ne vois-tu rien
venir... vers Sainte-Anne?
-Je vois les pensées odorer les mots.
-Nous sommes les mots arborescents qui fleurissent
sur les chemins des jardins cérébraux.
De nous naissent les pensées.
-Nous sommes les pensées arborescentes
qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.
Les mots sont nos esclaves.
-Nous sommes
-Nous sommes
-Nous sommes les lettres arborescentes qui
fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.
Nous n'avons pas d'esclaves.
-Soeur Anne, ma soeur Anne, que vois-tu venir
vers Sainte-Anne?
-Je vois les Pan C
-Je vois les crânes KC
-Je vois les mains DCD
-Je les M
-Je vois les pensées BC et les femmes
ME et les poumons qui en ont AC de l'RLO poumons noyés des ponts
NMI.
Mais la minute précédente est
déjà trop AG.
-Nous sommes les arborescences qui fleurissent
sur les déserts des jardins cérébraux.
L'AUMONYME (1923)
COEUR EN BOUCHE
Son manteau traînait comme un soleil
couchant
et les perles de son collier étaient
belles comme des dents.
Une neige de seins qu'entourait la maison
et dans l'âtre un feu de baisers.
Et les diamants de ses bagues étaient
plus brillants que des yeux.
"Nocturne visiteuse Dieu croit en moi!
- Je vous salue gracieuse de plénitude
les entrailles de votre fruit sont bénies.
Dehors se courbent les roseaux fines tailles.
Les chats grincent mieux que les girouettes.
Demain à la première heure,
respirer des roses aux doigts d'aurore
et la nue éclatante transformera en
astre le duvet."
Dans la nuit ce fut l'injure des rails aux
indifférentes locomotives
près des jardins où les roses
oubliées
sont des amourettes déracinées.
"Nocturne visiteuse un jour je me coucherai
dans un linceul comme dans une mer.
Tes regards sont des rayons d'étoile
les rubans de ta robe des routes vers l'infini.
Viens dans un ballon léger semblable
à un coeur
malgré l'aimant, arc de triomphe quant
à la forme.
Les giroflées du parterre deviennent
les mains les plus belles d'Haarlem.
Les siècles de notre vie durent à
peine des secondes.
A peine les secondes durent-elles quelques
amours.
A chaque tournant il y a un angle droit qui
ressemble à un vieillard.
Le loup à pas de nuit s'introduit dans
ma couche.
Visiteuse! Visiteuse! tes boucliers sont des
seins!
Dans l'atelier se dressent aussi sournoises
que des langues les vipères.
Et les étaux de fer comme les giroflées
sont devenus des mains.
Avec les fronts de qui lapiderez-vous les
cailloux?
Quel lion te suit plus grondant qu'un orage?
Voici venir les cauchemars des fantômes."
Et le couvercle du palais se ferma aussi bruyamment
que les portes du cercueil.
On me cloua avec des clous aussi maigres que
des morts
dans une mort de silence.
Maintenant vous ne prêterez plus d'attention
aux oiseaux de la chansonnette.
L'éponge dont je me lave n'est qu'un
cerveau ruisselant
et des poignards me pénètrent
avec l'acuité de vos regards.
LANGAGE CUIT (1923)
C'ÉTAIT UN BON COPAIN
Il avait le coeur sur la main
Et la cervelle dans la lune
C'était un bon copain
Il avait l'estomac dans les talons
Et les yeux dans nos yeux
C'était un triste copain
Il avait la tête à l'envers
Et le feu là où vous pensez
Mais non quoi il avait le feu au derrière
C'était un drôle de copain
Quand il prenait ses jambes à son cou
Il mettait son nez partout
C'était un charmant copain
Il avait une dent contre Étienne
A la tienne Étienne à la tienne
mon vieux
C'était un amour de copain
Il n'avait pas sa langue dans la poche
Ni la main dans la poche du voisin
Il ne pleurait jamais dans mon gilet
C'était un copain
C'était un bon copain.
LANGAGE CUIT (1923)
LA ROSE A VOIX DE SOPRANO
La rose à voix de soprano
joue la nuit du piano
Cela charme les monts et les plaines
le Rhin, la Loire et la Seine
et les fées et les sirènes
dans leurs palais de roseaux
La rose à voix de soprano
est connue même à Concarno
à Fosse-Repose et à Locarno
Et dans les faubourgs de Kovno
Et sur les plages de Bornéo
Et dans tous les châteaux à créneaux
LE PARTERRE d'HYACINTHE (1975)
Ce poème, inédit du vivant
de l'auteur, a été écrit en 1932 pour les enfants
de Lise et Paul Deharme.
LES QUATRE SANS COU
Ils étaient quatre qui n'avaient plus
de tête,
Quatre à qui l'on avait coupé
le cou,
On les appelait les quatre sans cou.
Quand ils buvaient un verre,
Au café de la place ou du boulevard,
Les garçons n'oubliaient pas d'apporter
des entonnoirs.
Quand ils mangeaient, c'était sanglant,
Et tous quatre chantant et sanglotant,
Quand ils aimaient, c'était du sang.
Quand ils couraient, c'était du vent,
Quand ils pleuraient, c'était vivant,
Quand ils dormaient, c'était sans regret.
Quand ils travaillaient, c'était méchant,
Quand ils rôdaient, c'était effrayant,
Quand ils jouaient, c'était différent,
Quand ils jouaient, c'était comme tout
le monde,
Comme vous et moi, vous et nous et tous les
autres,
Quand ils jouaient, c'était étonnant.
Mais quand ils parlaient c'était d'amour.
Ils auraient pour un baiser
Donné ce qui leur restait de sang.
Leurs mains avaient des lignes sans nombre
Qui se perdaient parmi les ombres
Comme des rails dans la forêt.
Quand ils s'asseyaient, c'était plus
majestueux que des rois
Et les idoles se cachaient derrière
leurs croix
Quand devant elles ils passaient droits.
On leur avait rapporté leur tête
Plus de vingt fois, plus de cent fois,
Les ayant retrouvés à la chasse
ou dans les fêtes
Mais jamais ils ne voulurent reprendre
Ces têtes où brillaient leurs
yeux,
Où les souvenirs dormaient dans leur
cervelle.
Cela ne faisait peut-être pas l'affaire
Des chapeliers et des dentistes.
La gaieté des uns rend les autres tristes.
Les quatre sans cou vivent encore, c'est certain.
J'en connais au moins un
Et peut-être aussi les trois autres.
Le premier, c'est Anatole,
Le second, c'est Croquignole,
Le troisième, c'est Barbemolle,
Le quatrième, c'est encore Anatole.
Je les vois de moins en moins,
Car c'est déprimant, à la fin,
La fréquentation des gens trop malins.
LES SANS COU (1934)
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Le couple astral - Gouache de Robert Desnos
(1935)
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LA FOURMI
Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n'existe pas, ça n'existe
pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards,
Ça n'existe pas, ça n'existe
pas.
Une fourmi parlant français,
Parlant latin et javanais,
Ça n'existe pas, ça n'existe
pas.
Eh! pourquoi pas?
CHANTEFABLES ET CHANTEFLEURS (1939?)
LA VOIX
Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu'elle ne fait plus tinter les oreilles,
Une voix, comme un tambour, voilée
Parvient pourtant, distinctement, jusqu'à
nous.
Bien qu'elle semble sortir d'un tombeau
Elle ne parle que d'été et de
printemps.
Elle emplit le corps de joie,
Elle allume aux lèvres le sourire.
Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,
L'écroulement du tonnerre et le murmure
des bavardages.
Et vous? Ne l'entendez-vous pas?
Elle dit "La peine sera de courte durée"
Elle dit "La belle saison est proche."
Ne l'entendez-vous pas?
CONTREE (1936-1940)
CE COEUR QUI HAÏSSAIT LA GUERRE
Ce coeur qui haïssait la guerre voilà
qu’il bat pour le combat et la bataille!
Ce coeur qui ne battait qu’au rythme des marées,
à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la
nuit,
Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie
dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine.
Et qu’il mène un tel bruit dans la
cervelle que les oreilles en sifflent,
Et qu’il n’est pas possible que ce bruit ne
se répande pas dans la ville et la campagne,
Comme le son d’une cloche appelant à
l’émeute et au combat.
Écoutez, je l’entends qui me revient
renvoyé par les échos.
Mais non, c’est le bruit d’autres coeurs,
de millions d’autres coeurs battant comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même
besogne tous ces coeurs,
Leur bruit est celui de la mer à l’assaut
des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de
cervelles un même mot d’ordre :
Révolte contre Hitler et mort à
ses partisans !
Pourtant ce coeur haïssait la guerre
et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi
à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Français se préparent
dans l’ombre à la besogne que l’aube proche leur imposera.
Car ces coeurs qui haïssaient la guerre
battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des
marées, du jour et de la nuit.
L'HONNEUR DES POETES (1943)
LE DERNIER POÈME
J'ai rêvé tellement fort de toi,
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d'être l'ombre parmi les
ombres
D'être cent fois plus ombre que l'ombre
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
dans ta vie ensoleillée.
(1944 ou 1945?)
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Jean Dif: Desnos
toujours parmi nous (2001) |
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