Carnet  de  route  d'un  voyage  sur la route de la soie
juin-juillet 2006 (suite 4)
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12 ème jour: Lanzhou - (Les photos sont  ici ) 

Après un vol d'une heure trente environ, nous atterrissons sur l'aéroport de Lanzhou. Je remarque immédiatement la statue d'un cheval au milieu de l'esplanade qui s'étend devant la sortie, sur une pyramide de cubes, deux noirs et deux blancs; cet animal à ceci de particulier que, par un singulier effet du hasard, une hampe se trouve derrière sa tête et lui confère, pour ainsi dire, les titres de noblesse d'une licorne. Notre nouveau guide nous réceptionne et nous prenons le chemin de la ville. 
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Lanzhou: une curieuse licorne
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Chemin faisant, il se présente. D'origine mandchoue, il est né là à la suite d'un concours de circonstances: son père, soldat de l'armée populaire, las de guerroyer en Corée puis au Tibet, s'établit à Lanzhou, au moment de sa démobilisation; marié, il tenta d'y faire venir sa compagne; mais celle-ci se montrait peu empressé de quitter sa Mandchourie natale, en bord de mer, pour aller s'enterrer au fond d'un désert; notre homme eut alors l'idée de lui envoyer une carte postale du Gansu sur laquelle des vaches paissaient une verte prairie; cet ingénieux artifice la convainquit; les époux se retrouvèrent et eurent un enfant; c'est notre guide. Ce dernier a exercé plusieurs métiers; sa connaissance du français est sommaire; il nous prie de l'en excuser; il n'a commencé à l'apprendre que voici quatre mois; en si peu de temps, ce qu'il sait est positivement époustouflant. C'est un homme d'une cinquantaine d'année, d'un caractère jovial, dont l'amabilité nous séduira. 

La route serpente au milieu de collines rouges, ravinées par l'érosion, qu'un programme de reboisement s'efforce de stabiliser; des rangées d'arbres, encore peu élevés, sont plantées le long d'étroites terrasses; elles me font penser à celles des Incas du Pérou et ressemblent à une sorte d'escalier monumental aux marches étroites; elles colorent de taches de verdure les pentes dépouillées. Ici et là, de nombreuses grottes, creusées au flanc des collines, les percent de trous noirs; ce sont les anciennes demeures des paysans; elles sont maintenant désertées; comment s'étonner que l'art troglodytique ait connu un tel essor dans un pays où ces excavations furent, jusqu'à une époque récente, l'habitat traditionnel du monde rural? 

Au fur et à mesure que nous approchons de la cité, des carrières et des établissements industriels apparaissent. Dans la banlieue, des usines pétrochimiques laissent échapper d'épaisses volutes de fumées; on y traite l'or noir de Yumen, amené jusque là par un oléoduc de 880 km; Lanzhou est l'une des villes les plus polluées de Chine, et peut-être du monde; l'industrie n'est d'ailleurs pas la seule responsable de ce triste record: à ses vapeurs bleues s'ajoute la poussière ocre du loess soulevé par le vent; cette atmosphère viciée me rappelle le brouillard orange qui recouvrait, dans les années soixante du siècle dernier, la vallée de la Rhur où j'allais effectuer des essais informatiques; les Allemands ne se doutaient pas encore des dangers qui planaient sur leurs forêts; il fallut que les pluies acides les ravagent pour qu'ils s'éveillent; la prise de conscience écologique n'est pas spontanée; elle est suscitée par l'expérience. Je me demande si la délocalisation de nos industries vers les pays du Tiers monde n'exporte pas aussi leurs nuisances; je n'ai pas la réponse à cette question mais, si elle est positive, avons-nous le droit de montrer du doigt les pays émergents? Au demeurant, il y a belle lurette que la vie a été pratiquement éliminée des grands lacs américains; qui s'en indigne? Dans l'absolu, la contribution de la Chine à la pollution mondiale est certainement loin d'être négligeable, mais, en termes relatifs, c'est-à-dire par habitant, je doute qu'elle soit aussi élevée que celle des États-Unis. Ceci dit, pour remettre les pendules à l'heure, j'avoue que l'état de l'air des faubourgs nous laisse mal augurer de notre séjour dans la ville. 

Comme notre après-midi est libre, notre guide nous propose de nous servir de cicérone pour visiter la cité. Après déjeuner, un  repos à l'hôtel s'impose, pour éviter la chaleur du milieu de journée; j'en profite pour chercher un endroit où goûter à la production locale de spiritueux; hélas, j'en suis pour mes frais; du niveau de la réception, je grimpe à l'étage où je crois percevoir le bruit d'une fête; ce n'est malheureusement qu'un festin de mariage auquel je ne suis pas invité.  

A l'heure dite, notre guide vient nous prendre ponctuellement à l'hôtel. Une agréable surprise nous attend; le ciel est maintenant dégagé; le vent de la matinée a chassé les sombres fumées qui l'obscurcissaient, d'un vigoureux coup de balai au dessus du fleuve; la pollution redoutée n'est qu'un mauvais souvenir et ne nous incommodera pas; l'air est aussi respirable qu'à Paris et bien plus qu'à Santiago du Chili ou à Mexico, croyez en ma vieille expérience; mais ce n'est peut-être pas tous les jours la même chose; en tous cas Washington déconseillerait à ses ressortissants de visiter cette cité industrielle à certaines époques. 
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Une carte du Gansu est ici
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Lanzhou est la capitale de la province du Gansu; elle couvre une superficie de 14000 km2 et compte une population d'environ trois millions d'habitants. Cette agglomération de deux mille ans d'âge fut autrefois un centre stratégique vital sur la Route de la Soie; on l'appelait alors la Ville d'Or; son nom actuel date de 1656. Du 5ème au 9ème siècle, elle fut l'une des capitales du bouddhisme chinois. Lanzhou se trouvait sur la voie d'acheminement des petits chevaux d'Asie centrale, achetés à prix d'or pour la cavalerie impériale. Le célèbre général Huo Qubing, de l'époque des Han, y tint garnison et Xuan Zang, le moine pèlerin, la traversa lors de son voyage aux Indes. Plusieurs sites historiques s'y rencontrent; les parcs des Cinq Printemps et de la Pagode Blanche, sont renommés pour les scènes ravissantes qu'ils offrent aux yeux et leur architecture unique; ils se trouvent au flanc des collines qui surplombent le Fleuve Jaune, dont les eaux coulent dans un couloir resserré au milieu de la ville; ce fleuve est redouté des Chinois pour la violence de ses crues; le coup d'oeil vaut, paraît-il, l'ascension au sommet de la butte qui le domine. La colline Wuqan Shan, sur l'autre rive, tient sa réputation d'une légende: un officier du temps des Han y aurait fait jaillir cinq sources du sol à la pointe de son épée, pour abreuver ses chevaux. Parmi les autres curiosités de la ville, citons une sépulture renfermant une cavalerie miniature dont le cheval de tête au galop pose le pied sur une hirondelle qui vole. Lanzhou produit des variétés de melon dont le parfum, mêlé à celui d'autres fruits, embaume l'air en été. Cité industrielle, Lanzhou est aussi une importante ville universitaire ainsi qu'un noeud ferroviaire et autoroutier. A 70 km, les Grottes des Mille Bouddhas de Binglingsi, commencées en 420, contiennent des statues creusées dans le roc et des fresques peintes, du 5ème siècle au 19ème siècle, qui rappellent celles des grottes de Yungang et Longmen; par suite de la construction d'un barrage, ce site n'est accessible que par bateau. 
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Lanzhou: Grottes des Mille Bouddhas de Binglingsi (doc. chin.)
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Notre promenade nous amène d'abord devant une statue de grès moderne, allongée à demi sur une terrasse, en aplomb d'une berge herbeuse; elle joue avec un bébé; c'est le symbole de la mère patrie; un parterre fleuri ceinture son socle; derrière elle, en arrière plan, de l'autre côté de la rivière, se dressent d'abruptes collines décharnées; c'est sur elles qu'ont été aménagés les parcs des Cinq Printemps et de la Pagode Blanche. Le Fleuve Jaune porte bien son nom; il charrie des tonnes de limon qui lui donnent sa couleur; en aval de sa coulée, s'élèvent de hautes tours d'acier, de verre et de béton, comme dans toutes les cités moderne du monde, sauf qu'ici elles sont parfois colorées de teintes vives; le dôme dorée et les minarets sveltes d'une mosquée voisinent avec un haut immeuble rouge, dans le voisinage d'un pont suspendu; nous ne sommes plus à proprement parler en terre musulmane, mais l'islam compte au Gansu de nombreux partisans; nous aurons l'occasion de le vérifier. 

Notre guide fait remarquer, à ceux qui l'ignoreraient, la présence d'un moine tibétain en robe prune ou, pour être plus précis, quetsche violette; c'est notre premier contact avec la contrée où nous nous rendrons demain.  

Nous passons devant deux gigantesques roues élévatrices dressées à cet endroit pour commémorer l'époque où elles furent introduites dans la région, afin de puiser l'eau des rivières, au moyen de leurs godets, et faciliter l'irrigation des champs; je ne me souviens plus du nom de leur promoteur; celles d'aujourd'hui n'ont pas d'autre fonction que de lui rendre hommage. 

Au bord de l'eau, sous des tonnelles, ombragées de plantes grimpantes, des groupes attablés disputent un tournoi de je ne sais quel jeu chinois. A côté, des radeaux sont appuyés contre les arbres; leurs flotteurs sont des outres en peau de moutons ou de chèvres gonflées à la bouche; c'est probablement sur des embarcations de ce genre que l'armée mongole de Koubilaï khan traversa le Yang Tsé Kiang, au 13ème siècle; j'imagine que Mao Tsé Toung, qui le franchit à son tour au même endroit, pendant la Longue Marche, utilisa un procédé moins rudimentaire. Les amateurs peuvent passer la Fleuve Jaune sur ce traversier de fortune; une démonstration de sa flottabilité se produit sous nos yeux; j'observe que, à la différence des radeaux de balsa d'Amazonie, qui s'enfoncent dans l'eau, ceux-ci sont suffisamment hauts pour que les passagers puissent espérer parvenir secs sur l'autre bord. 

Notre périple nous amène ensuite sous une longue tonnelle qui rappelle les vignes de Turfan, puis dans un magasin où l'on vend de petites calebasses sur lesquelles sont gravés des signes de l'astrologie chinoise. J'y trouve une vieille revue consacrée à la Route de la Soie; elle contient une foule d'informations intéressantes dont je ferai mon miel. Nous passons ensuite devant la statue du moine bouddhiste Xuan Zang en route pour les Indes; nous entendrons souvent parler de ce personnage au cours de notre voyage. 

Nous voici au pont Sun Yat Sen. Sur la droite de l'arche moderne qui enjambe le fleuve, a été conservé un pilier de fer rouillé tiré de la structure de l'ancien pont; il se dresse, comme un trophée, au milieu d'une estrade circulaire, pavée de noir et entourée d'un mur blanc, décoré de granit rouge et noir; il repose sur un léger socle blanc; deux ou trois marches y donnent accès, à travers une ouverture gardée, de part et d'autre, par deux lions chinois blancs. Le docteur Sun Yat Sen, dont le nom figure en lettres dorées au fronton du pont, n'était pas natif de la ville, mais, au lendemain de la révolution démocratique de 1911, dont il fut le dirigeant, il songea un moment à choisir Lanzhou comme capitale, cette ville se trouvant à peu près au centre de la Chine; le projet n'eut pas de suite, mais il lui valut la gratitude de la population. 

Nous empruntons le pont au milieu d'un grand concours de peuple; on y tourne la séquence d'un film ou d'une émission de télévision, mais cela n'a pas l'air de déranger beaucoup les passants. Sur l'autre rive, nous nous installons autour de la table d'un limonadier itinérant, qui a dressé là son étal; nous nous y désaltérons d'une bière locale bien fraîche; ici, il est inutile de réclamer de la bière musulmane; nous ne sommes plus au Sinkiang et, si l'islam est toujours présent, la bière de miel a disparu. Pendant que nous buvons, notre guide nous initie à la langue chinoise; il la trouve plus simple que le français, dont la grammaire lui semble bien compliquée; en chinois, pas de singulier, pas de pluriel, pas de genre, pas de conjugaison; les fautes d'orthographes sont inconnues; il suffit d'apprendre les idéogrammes, et ceux-ci ne sont que des dessins simplifiés; suivent les exemples: une montagne, une bouche ou plutôt un trou, d'abord la représentation picturale, ensuite l'idéogramme qui en découle et, enfin, en composant les deux, le mot sortie que nous avons vu dans les avions! Certes, la quantité d'idéogrammes est impressionnante, mais il suffit d'en connaître trois mille, pour être au niveau du chinois moyen. Cette démonstration du maître n'a pas vraiment convaincu les élèves. 
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Lanzhou: dessins et idéogrammes - Démonstration de notre guide
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Nous dînons dans un restaurant qui ne paie pas de mine; on nous y régale pourtant de plusieurs sortes de raviolis excellents et du célèbre melon de la région; sucré et parfumé, ce fruit mérite sa réputation. La présence des raviolis au menu trouve son explication dans l'agriculture d'une région plus propre à produire du blé et du maïs que du riz, tout comme à Xi'an. Un couple du groupe et moi, nous flânons ensuite autour de l'hôtel. Attention aux carrefours: les automobilistes chinois ne respectent pas à la lettre les feux de signalisation, ou alors ces derniers n'ont pas la même signification que chez nous; heureusement, ils ne roulent pas vite. Nous ne faisons que traverser un grand magasin qui ne présente rien de réellement original; des étudiants entrent et sortent de l'Université, dont les imposants immeubles rectangulaires ont quelque chose de soviétique; au long des rues, des marchands ambulants proposent leurs articles étalés sur le trottoir, comme je l'ai déjà vu dans d'autres villes de Chine, il y a six ans; malgré l'heure tardive, des ouvriers achèvent de préparer le fronton de l'édifice neuf de la Banque Nationale de Hong Kong; il ouvre demain; la Chine n'est pas encore convertie aux trente cinq heures! A l'hôtel, nous tentons vainement d'obtenir un verre de cognac; ici, comme ailleurs, on ne sert que par bouteille.  

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