Carnet  de  route  d'un  voyage  sur la route de la soie
juin-juillet 2006 (suite)
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4 ème jour (suite): Urumqi - (Les photos sont  ici ) 

A l'aéroport, des hôtesses du Service International du Tourisme et des Affaires du Sinkiang nous distribuent d'immenses feuilles pourvues de cartes et de renseignements à peu près inutiles pour nous car presque exclusivement rédigés en chinois; leur consultation me permettra néanmoins de prendre conscience des lacunes de notre voyage: nous passerons à côté de beaucoup de sites sans doute intéressants; mais c'est la loi du genre. Des contrôleurs s'assurent, en vérifiant nos étiquettes, que nous partons bien avec nos bagages et pas avec ceux des autres, précaution non superflue que je n'ai rencontrée qu'en Chine; la cérémonie se répétera dans tous les aéroports et je n'en parlerai plus; je la mentionne parce que c'est la première fois que je la vois mise en oeuvre. 

Nous sommes accueillis par deux jeunes hommes qui n'ont pas le faciès asiatique; ils ressemblent plutôt à des Turcs; ce sont des Ouïgours. Le plus âgé sera notre guide, le plus jeune est un futur guide qui fait ses classes; les Français représentent une proportion importante de l'ensemble des touristes; on nous dit qu'ils sont les plus nombreux et cela justifie la formation de nouveaux guides parlant notre langue; vive la France! 

Notre nouveau guide est natif de Kashgar, Kashi pour les Chinois; il est musulman, mais seulement à cinquante pour cent précise-t-il; je traduis qu'il n'est pas athée, mais qu'il n'est pas non plus un pratiquant assidu, tout comme bon nombre de Turcs. Depuis la révolution, le Sinkiang (Xinjiang pour les Chinois) est autonome et dirigé par des autochtones, mais, en cas de litiges, Pékin a toujours le dernier mot; un symbole: malgré le décalage horaire, l'heure est la même au Sinkiang que dans la capitale chinoise, au moins pour les touristes assujettis aux moyens de transport; pour les autres, il existe plusieurs heures, l'heure locale, celle d'été, celle d'hiver et celle de Pékin, comme en France pendant l'occupation. Selon une légende, les Ouïgours seraient issus des amours d'un homme avec une louve; ils représentent près de la moitié de la population du Sinkiang, ne travaillent que cinq mois par an, juste ce qu'il faut pour gagner leur vie en minimisant leurs impôts, moins d'ailleurs par paresse que par aversion envers le fisc, ce qui en dit long sur le civisme de ces citoyens ou plutôt sur leur intégration à la grande Chine! Voici l'essentiel de ce que j'ai retenu des explications données au long du trajet. 
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Une carte du Sinkiang est ici
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Il me semble à propos d'esquisser ici une présentation sommaire de cette région éloignée de la Chine. Le Sinkiang occupe une superficie de 1,65 millions de km2, soit un sixième du territoire chinois. Il partage la frontière de neuf pays étrangers: la Mongolie, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l'Afghanistan, le Pakistan, le Cachemire, l'Inde. Sa population s'élève à 19 millions d'habitants environ; c'est une des régions les moins peuplées de Chine, avec le Qinghai et le Tibet; on y compte une vingtaine de minorités ethniques: Kazakhs, Tadjiks, Xibes, Mandchous, Ouzbeks, Russes, Daurs, Tartars...; les principaux groupes humains sont: les Ouïgours: 48% de la population, les Han: 41 %, les Kazakhs: 7,5 %. La religion dominante est l'islam (62% de la population); les sunnites sont majoritaires, sauf chez les Tadjiks qui sont chiites. Le Sinkiang est l'une des régions les plus pauvres de Chine; on y trouve cependant des ressources minières (jade, pétrole...); son agriculture est cantonnée dans les endroits épargnés par les déserts: oasis (fruits, vignobles, riziculture, céréales, coton, légumes...) et montagnes (élevage); son industrie est peu développée et garde un caractère artisanale (soiries, tapis...). 

Nous faisons halte dans une fabrique de tapis; nous pouvons y voir les ouvrières s'affairer à leur tâche, un modèle sous les yeux ou de mémoire, pour produire de luxueux tapis de soie ou de laine, dont la magnificence s'étale dans le hall d'exposition qui jouxte l'atelier; on y trouve de fort belles pièces qui, évidemment, ne sont pas données; de plus, elles sont difficilement transportables; mais nous avons l'occasion de vérifier que la réputation des tapis du Sinkiang n'est pas usurpée. Dans une boutique adjacente, j'achète une robe de princesse chinoise pour ma petite fille cadette et un veston de cuir bleu pour l'aînée. 
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Un atelier de fabrication de tapis (documentation chinoise)
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Des boutiques nous en fréquenterons beaucoup au cours du voyage; trop à mon gré; je ne parlerai pas de toutes car il n'y a pas grand chose à dire de la plupart d'entre elles, sinon qu'elles s'efforcent d'exploiter au mieux le tourisme; on nous proposera des soieries à différentes reprises, la première fois à Pékin, visite que j'ai omis de citer; je sais que nous sommes sur la Route de la Soie, mais n'aurait-il pas été préférable de choisir l'endroit le plus représentatif pour effectuer une présentation complète de la sériciculture qui nous a été dispensée en plusieurs fois, avec des lacunes et des répétitions. A Urumqi, nous visiterons pour la seconde fois une fabrique de soieries; ceux qui ne le savaient pas apprendront que la soie de qualité inférieure, celle des cocons contenant deux vers dont les fils s'embrouillent, sert à fabriquer des couettes fort confortables; on nous invitera à participer à la confection de l'une d'entre elle, en étirant la bourre de soie sur une sorte de table et en l'empilant ainsi couche sur couche jusqu'à obtenir l'épaisseur voulue; on nous apprendra aussi, qu'une fois les cocons dévidés, les vers sont utilisés pour fabriquer des cosmétiques et que certains les mangent même. Depuis Pékin, nous savions déjà que la soie fut inventée par une princesse chinoise qui fit par mégarde tomber un cocon dans une tasse de breuvage bouillant et qui s'aperçut ainsi qu'un fil pouvait en être tiré; les cocons sont toujours ébouillantés pour être dévidés, chacun fournit environ 1200 m d'un fil très solide. 

L'élevage du vers à soie est pratiqué en Chine depuis l'époque néolithique; les anciennes méthodes de production sont encore en vigueur. Dans la sériculture traditionnelle, le fil du cocon est déroulé, puis croisé et doublé pour obtenir des épaisseurs variables. La soie est ensuite teintée et tissée. La culture des vers à soie est une opération délicate; après avoir été élevé selon les règles, les bombyx sont sélectionnés pour la reproduction; les oeufs font l'objet d'un nouveau choix, et, après éclosion, les chenilles sont nourries de feuilles de mûrier blanc, jusqu'à la confection du cocon; celui-ci est jeté dans l'eau bouillante pour détendre les fibres et le dévider. La soie était très prisée dans l'Antiquité; des soieries étaient offertes aux rois étrangers. Mais, en Chine, l'exportation des oeufs de vers à soie était punie de mort. Le commerce avec l'Occident s'effectuait à travers l'Asie centrale par les voies qui prirent ensuite le nom de Route de la Soie. 

Notre guide toujours très disert nous entretient de la gastronomie chinoise, qu'il ne faut pas confondre avec celle du Sinkiang, moins éclectique et plus proche de celle du Moyen-Orient. Les Chinois mangent tout ou presque; de jeunes enfants seraient passés à la casserole à Shanghai; les souris sont un met de choix; on les attrape par la queue et on les trempe trois fois dans l'eau bouillante avant de les déguster nature. Affirmations à croire ou à écouter aimablement? Pour dénigrer ainsi ses puissants voisins, notre guide ne doit pas les porter dans son coeur. Une exception toutefois, il nous affirmera plus tard aimer beaucoup Mao Tsé Toung; la raison en est intéressante à connaître; à l'époque du Kuomintang, entre les deux guerres mondiales, une insurrection indépendantiste se produisit au Sinkiang; elle fut réprimée dans le sang par le pouvoir chinois de l'époque; deux cent mille personnes auraient péri; à l'avènement de la République populaire, Mao aurait estimé que les Ouïgours avaient assez souffert et que le moment était venu de les mieux traiter; c'est ainsi que l'autonomie aurait été accordée à la région; voici, exprimée, plus ou moins comme je la rapporte de mémoire, la raison pour laquelle le grand timonier est placé si haut dans l'estime de notre guide. 

Nous nous installons à l'hôtel. Je m'aperçois que j'ai oublié dans l'avion mes lunettes de soleil, accessoire indispensable dans une région désertique, où l'astre du jour brille d'un éclat incomparable et imparable; je redescends dans la rue en quête d'un magasin qui vendrait cet article; je ne cherche pas longtemps; à deux pas de l'hôtel, une sorte de bazar en propose; certes ce ne sont pas des Vuarnet, comme celles que je viens de perdre, mais ce sera mieux que rien; elles ne me coûteront que 18 yuans, c'est-à-dire moins de 2 euros! 
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La Colline Rouge (documentation chinoise)
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Urumqi compte un peu plus de 1,5 millions d'habitants, ce qui en fait la ville la plus peuplée de l'ouest chinois; c'est une cité moderne, industrielle et commerçante, qui a poussé comme un champignon depuis la révolution. Dans le but manifeste de prendre le contrôle de la cité, la population chinoise n'a pas tardé à affluer; aujourd'hui, les Ouïgours sont minoritaires; on y compterait treize ethnies différentes. Les immeubles ne sont pas d'une beauté resplendissante, mais je ne les trouve pas plus laids qu'ailleurs; on dit que ceux qui ont été construits, de manière plus ou moins sauvage dans les années soixante, sont mal conçus, défectueux, et qu'ils ne protègent pas leurs habitants contre les rigueurs du climat; je ne l'ai pas vérifié, mais j'ai constaté que c'est aussi le cas dans d'autres pays du monde; d'après le livre Guinness des records, Urumqi serait la ville du monde la plus éloignée de toutes les mers; elle est située entre deux zones désertiques: la dépression de Dzoungarie au nord et le Taklamakan au sud; elle est séparée de ce dernier désert par les Monts Célestes (Tian Shan); son climat est donc continental, avec des étés très chauds, et des hivers où le thermomètre descend largement en dessous de zéro. Il y a sans doute moins de choses à y voir que dans bien d'autres cités, mais elle n'est toutefois pas complètement dépourvue d'intérêt; nous n'aurons, bien sûr, pas assez de temps pour la visiter en détail; nous passerons à plusieurs reprises devant une colline rouge (910 m d'altitude) sans nous y arrêter; je la retrouverai dans les documents que j'ai rapportés; la pagode qui s'y dresse aurait été élevée pour chasser un dragon qui causait des inondations. Comme je l'ai déjà dit, la ville est située au coeur d'une vaste oasis, fertile et verdoyante; son nom, qui lui a été attribué en 1954, signifie d'ailleurs "Belle Prairie". Le meilleur moment pour la visiter se situe entre mai et septembre. Elle est réputée pour ses melons, ses raisins sans pépins et les saveurs épicées de sa cuisine locale. Des joutes et sports typiques y sont pratiqués et y attirent les visiteurs amateurs de folklore; citons la Chasse de la Fille et la Lutte de la Chèvre, une sorte de rodéo local.  

Après le dîner, notre guide nous remet entre les mains de son assistant qui nous emmène visiter la ville. Nous nous arrêtons à quelques distance de l'hôtel où, sur une petite place, à l'écart d'un carrefour, des commerçants proposent aux chalands leur marchandise exposée sur des tréteaux; on y trouve de tout: des fruits, des victuailles de toutes sortes, des bouquins d'occasion... J'achète une livre de cerises à un marchand ambulant. Installés sur des tables accompagnées de banc, à l'ombre de quelques arbres, des espèces de jeux de dames ou d'échecs chinois attendent les amateurs; un assez grand nombres de joueurs disputent déjà des parties, avec sérieux et concentration. Les Chinois jouent souvent en plein air; il n'est pas rare que l'on rencontre des billards dans la rue; j'en ai vu au Yunnan et au Tibet, il y en a aussi au Sinkiang. 

Nous nous rendons sur une place centrale où l'animation est à son comble; outre les commerces en plein air qui la borde, la place est envahie par la foule; ici ce sont des patineurs qui tournent sur les petites roues de leurs chaussures; là ce sont des danseurs de tous âges qui se trémoussent en cadence, au son des hauts parleurs; plus loin, un artiste local calligraphie sur le sol, avec une sorte de balai, un texte incompréhensible pour les profanes que nous sommes; un slogan politique contestataire? J'en doute. Au cours du voyage, nous en verrons un autre se livrer à la même activité, sur la terrasse à l'entrée d'une banque; je ne sais plus si c'est à Lanzhou ou à Xi'an. Sur l'un des côtés de la place, des stands de tir permettent aux amateurs de tester leur habileté; ailleurs, sur une scène improvisée, une comédienne, vêtue et fardée comme dans l'opéra chinois, se donne en spectacle. Je me débarrasse de mes cerises, que je n'ai pas l'intention de manger et qui me pèsent, en les offrant à une maman accompagnée d'une petite fille; j'aimerais bien les photographier, mais la mère s'y refuse. Au milieu de la place, un obélisque célèbre l'anniversaire de l'entrée des Chinois au Sinkiang, en idiomes chinois et ouïgour; les caractères du second langage ressemblent à de l'arabe, il est d'ailleurs d'origine turque; la politique ne perd jamais ses droits. 

La nuit est maintenant tombée depuis longtemps; nous regagnons notre hôtel, conduit par notre guide stagiaire, qui parle un français encore hésitant, mais qui fait preuve de beaucoup d'attention et d'amabilité. Sur le chemin du retour, nous croisons des personnes coiffées d'un bonnet blanc; ce ne sont ni des cuisiniers, ni des pâtissiers, mais des Hui, les musulmans chinois. 
 

5 ème jour (suite): Urumqi puis les Montagnes Célestes - (Les photos sont  ici ) 

Le matin, je prends mon petit déjeuner en compagnie de notre guide. Il me fait part de quelques autres traits négatifs du caractère des Chinois; ces derniers sont joueurs à l'excès; je le savais déjà; mais il arrive qu'ils perdent une fortune qui ne leur appartient pas; récemment, à Macao, un haut fonctionnaire aurait ainsi risqué l'argent de l'État et perdu trente millions de yuans (trois millions d'euros); inquiet sur la façon dont il serait reçu lors de son retour, il aurait jugé plus prudent de se suicider! Le Sinkiang n'est pas resté à l'écart de la frénésie des affaires qui s'est emparée de la République Populaire de la Splendeur du Milieu; un homme d'affaires local aurait ainsi acheté un quartier ancien de Kashgar pour le livrer à la pioche des démolisseurs et y construire des immeubles plus lucratifs; heureusement, la municipalité s'est opposée à la réalisation de ce projet; cette anecdote montre au moins que les moeurs des hommes d'affaires ne sont pas aussi éloignées que cela, d'un pays à l'autre, à travers le vaste monde! Avant de quitter la table, notre guide avalise la note que lui tend la serveuse en idéogrammes chinois et non en caractères ouïgours, je le remarque en silence. 

Avant de quitter l'hôtel, comme j'ai utilisé le nécessaire de rasage mis à la disposition des clients, je dois acquitter un supplément à la réception; la somme est modique, mais il est bon de savoir que tout n'est pas gratuit; les pantoufles de carton, les brosses à dents, les savons, les shampooings et les sels de bain le sont, mais pas la mousse à raser et il ne faut évidemment pas emporter les serviettes; le personnel d'étage à l'oeil à tout et, en cas de resquille, le groupe est immobilisé jusqu'à la découverte du coupable; cela ne m'est jamais arrivé, mais d'autres en ont fait l'expérience. 

Nous commençons la journée par la visite du Musée de la Région Autonome Ouïgour du Sinkiang. C'est un bâtiment moderne; le musée a été inauguré en 1959; mais le premier édifice s'avérant trop étroit compte tenu de la richesse des nouvelles découvertes, une nouvelle construction, plus spacieuse, a été ouverte en octobre 2000; c'est celle que nous allons visiter; les photographies sont interdites à l'intérieur. 
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Image satellite du Sinkiang et des régions voisines: au centre, la cuvette du Taklamakan; en bas: à droite, le plateau tibétain, à gauche, les monts Kunlun; en haut: à gauche les républiques d'Asie centrale, à droite, la dépression de Dzoungarie; entre le Taklamakan et la Dzoungarie, la chaîne montagneuse des Tian Shan
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Nous nous arrêtons d'abord devant un panorama du Sinkiang. Une immense cuvette en forme d'amande en occupe le milieu: c'est le désert du Taklamakan ( la "Mer de la Mort", une ancienne mer asséchée?), une zone plutôt sablonneuse qui se distingue du rocailleux Gobi; c'est aussi le bassin du Tarim, un fleuve qui vient se perdre dans le Lop Nor, une dépression saline marécageuse (une ancienne mer en voie d'assèchement?), auprès de laquelle la Chine a procédé à ses essais nucléaires.  

C'est dans cette cuvette que transitait la Route de la Soie, ou plutôt les routes, car on en comptait plusieurs: la première contournait le désert par le sud, la seconde le contournait par le nord, la troisième le traversait sur sa longueur en quarante cinq jours à dos de chameau; une autre route, plus au nord, évitait le bassin en passant par le Kazakhstan et l'Ouzbékistan; les trois premières routes partaient de Dunhuang ou de Turfan (Turpan) pour converger à Kashgar, à proximité de l'Afghanistan, du Pakistan et des Indes.  

Sur ces voies de communication circulaient des marchandises, mais aussi une grande diversité de populations avec leurs coutumes, leurs habits, leurs langages, leurs monnaies, leurs religions, leurs cultures; c'est par elles que s'introduisirent en Asie d'abord le bouddhisme, au 2ème siècle, puis plus tard le culte musulman, au 8ème siècle; ces deux religions, qui jouèrent un rôle essentiel dans la région, ne furent pas les seules à les emprunter, des religions perses (mazdaïsme de Zarathoustra ou Zoroastre, manichéisme) suivirent le même chemin ainsi qu'une hérésie chrétienne: le nestorianisme. Notre guide passe sous silence ces influences secondaires; comme je lui demande si le christianisme n'a pas précédé l'islam dans la région, il me répond même qu'il n'y a jamais eu de chrétiens au Sinkiang; je sais que c'est faux mais je ne le contredis pas; peut-être respecte-t-il une consigne de silence sur le sujet; je pense plutôt qu'il n'en sait rien car les documents imprimés en Chine ne dissimulent aucunement cette présence chrétienne, dont de nombreux échos subsistent encore ça et là; cette lacune m'amène à douter de la véracité des informations qu'il nous dispense, mais je n'ai pas d'autre choix que de les rapporter quand je ne suis pas en mesure de les contester.  

Voici, d'après la légende, comment l'islam se serait introduit dans la région: un prince local s'étonne un jour que certains négociants refusent de livrer leurs marchandises le vendredi; il leur en demande la raison; ceux-ci lui répondent que leur religion le leur interdit; le roi veut en savoir plus sur une religion si puissante qu'elle domine l'esprit de lucre des commerçants; il fait venir un imam qui le convertit. La réalité est certainement moins idyllique; le commerce ne fut pas le seul véhicule des religions; la guerre et les invasions jouèrent également un rôle non négligeable et tous les croyants ne se sont peut-être pas convertis spontanément. Je terminerai ce bref exposé sur le Taklamakan et le bassin du Tarim par une information non dépourvue d'intérêt: on pense que le sous-sol de la région renferme d'importantes réserves d'hydrocarbures (gaz et pétrole). 

Après les grandes découvertes du 16ème siècle, la route terrestre de la soie fut supplantée par la route maritime, les navires remplacèrent les chameaux, ces vaisseaux du désert. L'importance géostratégique du Sinkiang, comme lieu de passage, demeure néanmoins important; de plus, c'est un réservoir de ressources minières et un terrain d'expérimentation atomique. La Chine le considère comme sa marche frontière vers l'ouest. Penser qu'il s'agit d'une terre d'aventures, comme le Far West, serait pourtant exagéré; le territoire, majoritairement désertique, est loin d'être accueillant; bien des Han qui y vivent ne sont pas venus là volontairement; c'est un lieu de déportation des éléments indésirables et, pour toute personne civilisée qui se respecte, à l'abri de la Grande Muraille, on y est en terre barbare. L'antique Route de la Soie pourrait cependant renaître aujourd'hui de ses cendres sous les apparences d'une Route du Pétrole; la Chine, grosse consommatrice d'énergie fossile, a en effet intérêt à sécuriser ses approvisionnements maritimes, vulnérables en cas de conflit, en les doublant par des approvisionnements terrestres, qu'elle serait en mesure de mieux protéger, depuis les importants gisements d'Asie centrale; mais, pour cela, il lui faut évidemment conserver la haute main sur le Sinkiang.  

La visite des salles du musée nous apporte une foule de renseignements sur l'évolution du peuplement du Sinkiang et sur les technologies employées par les diverses ethnies qui y vécurent. Dans une des premières salles visitées sont exhibées plusieurs momies. Les momies trouvées au Sinkiang sont de races européenne et mongole (asiatique) ou proviennent d'un métissage de ces deux origines. Les corps se sont momifiés naturellement sous l'influence de quatre facteurs: la sécheresse ambiante, la salinité du sol, le manque d'étanchéité des sépultures, qui a accéléré la dessiccation, et le fait que les cadavres retrouvés ont été ensevelis en hiver, à une époque où l'activité bactérienne se ralentit, comme en témoignent les vêtements chauds dont ils sont habillés. Ces momies apportent de précieuses indications sur l'occupation de la région à une époque reculée. La plus ancienne remonte à plus de 3800 ans. Comme il s'agit d'une femme de type européen, on peut supposer qu'à cette date le peuplement était très différent de celui que l'on connaît aujourd'hui. La momie d'un homme, également de type européen, plus récente d'environ 1000 ans, conforte cette hypothèse. Celle d'une femme au sang mêlé, de la même époque que l'homme, laisse penser que les populations se sont mélangées. La présence d'un officier supérieur chinois atteste d'une présence Han très ancienne. Plusieurs momies d'enfants sont également exposées ainsi qu'une momie d'adulte sans tête. La présence d'un Chinois n'est évidemment pas exempte d'arrières pensées politiques; mais s'il se trouve là, c'est bien parce que des gens de sa race occupèrent le pays à l'époque où il fut enseveli.  

Je m'attarderai davantage sur la momie la plus ancienne. Elle porte le nom de Belle de Loulan; Loulan était une oasis, située à proximité du Lop Nor; à partir d'elle se développa, au début de notre ère, le petit royaume chinois de Shanshan; les vestiges de la ville enfouie dans les sables furent découvert par l'explorateur suédois Sven Hedin, en 1899; il est probable que cette cité, jadis florissante, disparut à la suite de l'assèchement du Lop Nor. La Belle de Loulan fut exhumée dans le delta de la rivière Tieban, au nord de l'ancienne cité, en 1980. Vieille de près de 4000 ans, comme on l'a dit, elle est remarquablement conservée et à toujours fière allure, avec sa plume fichée dans la coiffure, selon la mode des Indiens d'Amérique du Nord; les examens effectués ont prouvé qu'elle était âgée de 40 à 45 ans au moment de son décès, qu'elle mesurait 1,56 m, qu'elle était de groupe sanguin O et qu'elle appartenait à la race européenne; enveloppée dans un linceul, elle portait aux pieds des chaussures de cuir qui avaient été plusieurs fois réparées. Ce sont les Japonais qui lui donnèrent son nom, lorsqu'elle fut exposée dans leur pays, le visage recouvert d'un voile, en 1992. 
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La Belle de Loulan (doc. chinoise)
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Le musée consacre des développements importants à la civilisation de Niya; voici quelques renseignements la concernant . La rivière Niya prend sa source dans les monts Kunlun à plus de 6000 m d'altitude. Elle serpentent à travers les montagnes dans des gorges éloignées avant d'atteindre l'oasis à laquelle elle a donné son nom. Le site archéologique se trouve au coeur du désert, à 100 km environ au nord du comté de Minfeng, à l'endroit le plus bas atteint par la rivière. Cette dernière fut à l'origine de la mystérieuse civilisation qui s'y développa, dans un désert où la disparition de l'eau ne laisse plus apparaître désormais que les troncs desséchés des peupliers qui y poussaient jadis, sur un sol usé par l'érosion. Aujourd'hui, en effet, le cours de la Niya, mère du peuple de ce nom, meurt bien plus haut, vers les villages de Kapakeasikan et Grand Mazar, bu par le sable du désert et la chaleur du ciel, ce qui laisse supposer que la région est depuis longtemps en voie de désertification. L'autoroute de Luntai à Minfeng passe à proximité du site. 

A une quarantaine de km au nord, ont été trouvés des vestiges datant de la fin du néolithique. Voici 3000 ans, on pouvait acquérir là des outils de pierre, des poteries, des bronzes... La tradition des potiers des terres herbeuses du nord y prospérait et l'on y remarque des traits caractéristiques de l'élevage du bétail comme de l'économie et de la culture des oasis. Ces éléments prouvent que l'activité humaine se déploya dans cette zone voici très longtemps. On pense que cette oasis, devint ultérieurement l'État Jingjue. Xiyu Zhuan, biographie des régions de l'ouest, écrit dans Shi Ji (notes historiques): "Le roi de Jingjue établit sa capitale dans la ville de ce nom; 480 familles y vivaient; elle comptait 3360 habitants et 500 soldats". Ce territoire fut un petit État sur la Route de la Soie, sous les Han de l'Ouest puis de l'Est; il devint l'éparchie de Jinjue Zhou, sous la domination de l'État de Shanshan (Loulan), durant le règne de l'empereur Ming (59-76), de la dynastie des Han de l'Est, et fut abandonnée à la fin du 4ème siècle. L'ancien cours de la rivière Niya est encore parfaitement discernable entre les monticules de sable.  
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Niya: reste d'un point d'eau entouré de peupliers (doc. chin.)
 
Le site de Niya est centré sur un énorme stupa; les restes de cette construction massive, quoique fortement érodée, sont encore impressionnants; ils s'élèvent à 5,8 m sur une base carrée de 3,9 m de côté et sont surmontés par une colonne de 1,9 m de diamètre. Un pont rudimentaire traverse le lit asséché de la rivière Niya à 7 km environ du stupa. On découvre aussi  une ancienne mare encerclée de troncs d'arbres secs, probablement des peupliers. Les restes de l'ancienne civilisation qui se développa autour de la rivière sont dispersés sur un territoire de 175 km2, 25 km du nord au sud sur 7 km d'est en ouest. Plus de cent endroits d'intérêts ont été identifiés parmi lesquels on citera des temples bouddhistes, des stupas, des résidences administratives, des maisons, des fours à briques ou pour fondre les métaux, des champs et des vergers, des mares ceinturées de forêts, des granges et des clôtures, des routes et des ponts, une ville ancienne et des tombeaux dont l'emplacement est marqué par des madriers fichés dans le sable. L'ensemble permet d'imaginer comment vivait la population qui s'y était établie. 
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Le stupa de Niya (documentation chinoise)
 
Les premières fouilles furent entreprises  par l'archéologue britannique A. Stein entre 1901 et 1930; il  retira du sol de grandes quantités d'objets, ce qui attira sur le désert du Taklamakan l'attention de la communauté scientifique internationale. En 1906, il tira de l'ombre, plusieurs résidences, dont le bureau gouvernemental de Yefeiawana ainsi que de nombreuses poteries et ustensiles de bois. Par la suite des archéologues chinois poursuivirent ces travaux. L'ancienne cité serait située à 13 km du stupa; les tamarins et les dunes de sable qui s'y trouvent rassemblés, en une ellipse de 185 par 150 m, ainsi que des vestiges d'une enceinte, trouvés en 1996, accréditent cette hypothèse. Au milieu du mur sud de la ville, les fouilles ont mis à jour ce qui pourrait être une porte de la cité comportant plusieurs sas. Dans une vaste résidence, composée d'une dizaine de pièces, on a découvert des poutres reposant encore sur des piliers et une enfilade de portes faisant penser à une suite. Dans un autre endroit, à 3,2 km au sud de stupa ont été déterrées des tablettes relatives à des affaires personnelles, aux impôts et à la terre ainsi qu'une remarquable table de bois sculptée. Il existait manifestement sur le site une zone artisanale comportant une bonne dizaine de fours. A 2,9 km au nord-est du stupa, une importante résidence, comprenant une cour avec sa porte, un temple et plusieurs salles, pourrait avoir été le bureau du gouverneur Kaidudo Zhou (Gadota raya); des tablettes kharosthi (nord de l'Inde) et chinoises y ont été déterrées ainsi que des sculptures de devatas sur bois, un sanctuaire bouddhiste, des fragments de peintures murales représentant Bouddha. De nombreuses statues de bois, du mobilier artistiquement décoré, des tapisseries, des tissus de soie et de coton, des brocards, de la vannerie, des outils et instruments divers, des tablettes d'argile ou de bois et des parchemins portant des inscriptions en chinois et en kharosthi, des monnaies de l'époque Han, des éléments de bijoux ont été également récupérées, notamment dans les tombes où elles reposaient en compagnie des momies naturelles. 
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Niya: table de bois sculptée (documentation chinoise)
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Les sépultures étaient creusées dans le sable et leur emplacement marqué par des piquets de peupliers fichés dans le sol. Des poteries s'y trouvaient soit debout, soit renversées. Parfois, l'érosion a détruit la couche supérieure des tombes mettant à nu leur contenu. Dans une sépulture découverte en 1993, à 300 m de la résidence du site n°3, ont été trouvés des objets dont la facture révèle l'appartenance à l'ancien État Jingjue de la dynastie des Han de l'Ouest. Les fouilles de 1995 ont mis à jour une dizaine de sépultures à 5,2 km au nord du stupa; Trois contenaient des cercueils en forme de caisses et cinq des cercueils en forme de barques; l'attirail de deux des tombes du premier groupe étant particulièrement riche, on pense qu'il s'agit de celles du roi et de la reine; les autres sont attribuées à des membres de la famille royale; dans l'une des tombes supposées royales, deux occupants ont été retrouvés, la tête orientée vers le nord reposant sur un oreiller rectangulaire, les membres étendus, les visages et les corps recouverts de linges; les tissus (cotonnades, soieries, lainages, brocards...), pièces d'habillement (chaussures de cuir ou de tissu, gants de soie ou de brocards, sacs de laine...), objets de toilette (miroir de bronze) utilisés pour les cérémonies funéraires sont remarquablement conservés; leurs dessins et leurs couleurs sont encore vifs et très fins. 
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Niya: emplacements de sépultures marqués par des piquets  Sépultures avec des vases debout et d'autres renversés
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L'examen des objets exposés permet de se faire une idée sommaire de l'évolution des technologies. Les premiers récipients devaient être en vannerie; pour retenir l'eau dans les paniers, on eut l'idée de les enduire d'argile; de là naquirent les premiers vases. En chauffant ces vases pour cuire les aliments, on s'aperçut qu'ils durcissaient; la poterie fut ainsi découverte. Le perfectionnement et la production de la poterie sur une grande échelle, en utilisant des terres qui contenaient des minerais métalliques, laissa subsister, parmi les résidus de la cuisson, des fragments de métal; la métallurgie venait de naître, d'abord celle des métaux faciles à fondre: étain, plomb, cuivre, or, puis celle du bronze, avant celle du fer. L'obtention d'outil en fer permis de passer du semis par trou au labourage. La découverte du feu, sans laquelle ni la poterie, ni la métallurgie n'eussent vu le jour, constitue une étape essentielle de l'évolution de l'humanité; une seconde étape cruciale est la découverte de la métallurgie qui accrut considérablement la productivité du travail humain. 
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Chaussures à semelle de cuir et empeigne de tissu brodé
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D'autres salles sont consacrées aux populations qui vivent actuellement au Sinkiang: Ouïgours, Han, Kazakhs, Kirghizes, Ouzbeks, Mongols, Hui, Tartares, Tadjiks, Russes... Leurs vêtements, leurs habitats... y sont exposés dans un grand luxe de détails; il y a même une yourte, des animaux et de nombreux personnages grandeur nature, en costumes de cérémonie chatoyants, mimant des scènes du folklore de leur nation ou s'adonnant à leurs occupations traditionnelles. Le Sinkiang est une mosaïque de peuples, une Chine en réduction; il en a probablement toujours été ainsi; aux époques les plus reculées, chaque oasis était sans doute un petit royaume indépendant, où vivait une ethnie plus ou moins homogène; les guerres et le commerce ont ensuite produit des déplacements de populations et un brassage des peuples pour aboutir à la situation actuelle; les rivalités entre les États, la Chine et la Russie en particulier, ont finalement tracé des frontières qui ne respectent pas toujours celles qui séparaient les nations. Aujourd'hui tous ces gens se côtoient sans que les sangs ne semblent se mêler vraiment; plusieurs langues y sont parlées, d'abord le chinois, ensuite des idiomes apparentés à la langue turque (ouïgour, kazakh, kirgiz), enfin le tadjik et sans doute encore quelques autres patois; alors, une poudrière comparable à celle des Balkans? Je ne dispose pas des éléments nécessaires pour répondre à cette délicate question. Tant que la férule de Pékin régira la contrée, il est probable que les éventuelles velléités de conflits entre les ethnies resteront contenues. Si elle se relâche, la région sombrera-t-elle dans une sorte d'anarchie féodale? Peut-être, mais le pire n'est pas plus certain que le meilleur; l'avenir se chargera d'éclairer notre lanterne.  

J'ai lu qu'un autre visiteur s'est étonné de l'indifférence avec laquelle les Ouïgours paraissaient accepter la disparition progressive de leur culture; il leur reproche même d'assister passivement à ce qu'il appelle leur génocide culturel. Je suis loin de partager ce point de vue; il m'a semblé, au contraire, qu'ils demeuraient très attachés à leur identité. D'ailleurs, pour mesurer les dégâts causés par la sinisation du Sinkiang, encore conviendrait-il de connaître ce qu'était la civilisation de la région auparavant; je ne le sais pas et je doute que les personnes qui émettent des jugements abrupts sur le sujet le sachent mieux que moi; certes, l'enseignement est dispensé en chinois à l'université d'Urumqi, mais les sciences sociales sont-elles professées en breton à celle de Rennes? Chaque fois qu'une civilisation disparaît, c'est un peu de l'humanité qui s'en va; mais, dans le monde simplificateur et globalisant où nous vivons, toutes les identités sont menacées, y compris la nôtre, sans que cela ne soulève beaucoup d'émotion à Landerneau. 

Avant de quitter le musée, comme les photos y étaient interdites, j'achète un ouvrage luxueux, abondamment illustré, qui reproduit le contenu des salles avec des commentaires en chinois et en anglais. La lecture de cet ouvrage m'apprendra beaucoup; les commentaires idéologiques n'en sont bien sûr pas absents; la présence immémorial de la chine dans la région, le bénéfice que la culture de cette dernière retire de la sollicitude du gouvernement central,  l'entente louable et profitable à tous qui régnait entre les différentes ethnies à l'époque de la Route de la Soie, la nécessité de concilier, dans le cadre de l'économie socialiste de marché, les impératifs de l'efficacité économique avec le souci du service public qui doit s'imposer à la gestion du musée... autant de remarques qui m'ont frappé. 
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Une présentation plus détaillée du musée, inspirée de l'ouvrage acheté, est ici
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Nous nous rendons ensuite au Bazar. Une grande mosquée élève ses minarets de briques et ses dômes dorés, sommés de boules et d'un croissant d'argent, juste à côté; l'architecture et les motifs décoratifs géométriques, n'ont rien de chinois, le style est plutôt moyen-oriental; le plus imposant des minarets se dresse au milieu de la place; une fresque de couleur claire le ceinture comme une bague; des danseurs et des musiciens d'allure turque ou caucasienne y sont sculptés. Devant le minaret, sur une estrade, trois jeunes Chinois, hommes et femmes, se trémoussent, au son d'une musique moderne, pour vanter les mérites d'une marque d'automobile. Un peu plus loin, le long d'un bassin, pourvu de jets d'eau, pour le moment inertes, un chameau de bronze arbore sa double bosse devant un café. Des boutiques hétéroclites cernent la place d'où partent des allées couvertes, décorées de guirlandes qui font penser à des pampres; de nombreux négoces y vendent à peu près tout et n'importe quoi: objets d'art, antiquités, épices... Ailleurs, ce sont des étalages de fruits et de légumes vivement colorés, dont les fameux melons, que les paysans du voisinage proposent aux chalands. Au hasard des allées, je remarque une statue de Mao disposée à côté d'un Bouddha; l'un et l'autre sont blanc, mais Mao, la main tendue vers l'avenir, domine le Bouddha, comme il se doit dans un pays communiste. Une foule bigarrée et composite se presse dans les passages; j'y reconnais des Hui à leur toque blanche et des musulmanes coiffées d'un foulard; aucune n'est voilée. Deux enseignes déparent quelque peu ce lieu pittoresque: notre Carrefour gaulois et KFC, le poulet frit à la Kentucky, avec son inévitable colonel à barbiche; il est difficile de reprocher à la Chine ce coup de canif porté à l'authenticité du Sinkiang ouïgour par la présence d'un magasin français et d'un fast food américain! 

Notre prochaine visite nous emmène dans un magasin de jade. J'ai déjà visité une taillerie de jade à Xi'an, il y a six ans et aussi à Singapour, vingt trois ans plus tôt; je connais donc cette pierre, que je croyais autrefois uniquement verte, couleur porte-bonheur, et dont je sais maintenant qu'elle passe par toutes les nuances de l'arc-en-ciel, ou presque, et surtout qu'elle n'est pas donnée, même en Chine; mais on prétend qu'elle est moin chère à Urumqi.  

Sous l'appellation jade (yü), on regroupe deux types différents de roches, formées à haute pression et basse température. C'est à un minéralogiste français, Damour, que l'on doit cette classification, depuis 1863. Il les nomma néphrite et jadéite, cette dernière étant parfois dénommée: "nouveau jade". La néphrite (zhengyu) est un silicate de chaux et de magnésium de couleur verte, mais aussi jaunâtre, gris, blanc, rougeâtre, voire brun selon sa teneur en fer; c'est une sous-variété de l'actinolite de la famille des trémolites; sa dureté varie de 6 à 6,5 (échelle de Mohs de 1 à 10) et sa densité de 2,9 à 3,02; elle est translucide et peut être tachetée, nuageuse ou unie; son toucher est doux et lisse. La jadéite (Feighui) est un pyroxène, à savoir un silicate de sodium et d'aluminium; l'aluminium peut cependant être remplacé par du chrome ou du fer; elle se décline à l'état naturel en vert, blanc, jaune, brun rouge, brun, voire lavande, suivant la présence de tel ou tel métal dans sa composition; la présence de chrome lui donne une teinte vert émeraude; elle peut être opaque ou translucide; sa structure enchevêtrée et fibreuse lui confère une assez grande dureté (de 6,5 à 7) et sa densité se situe entre 3,3 et 3,36; elle est donc plus dure et plus dense que la néphrite. 

La néphrite fut utilisée en Chine dès l'époque néolithique; dans certains pays on la nomme d'ailleurs "pierre de hache"; on la trouve au Sinkiang, notamment vers l'oasis de Khotan. La jadéite est d'usage plus récent; elle s'est développée sous la dynastie des Qing (1644-1911); elle provient essentiellement du nord de la Birmanie. Une troisième catégorie de pierre, la serpentine, a été utilisée, comme substitut à la néphrite, depuis des époques très reculées; un objet de cette catégorie, remontant au néolithique, a été découvert à Liangzhu; des sceaux du 3ème millénaire avant notre ère ont également été trouvés par les archéologues chinois. D'autres substituts ont aussi été employés (agate, trémolite ordinaire, calcédoine, quartz, stéatite, bowénite). Toutes ces pierres n'ont pas la même valeur et un touriste non averti peut aisément se laisser vendre l'une pour l'autre. 
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Le jade (documentation chinoise)
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J'ai dit plus haut que le Sinkiang était producteur de jade. La biographie de l'empereur Mu, de la dynastie des Zhou, relate un voyage de cet empereur dans les Monts Kunlun pour y quérir du jade; de multiples objets de jade trouvés dans les sépultures des plaines centrales de Chine montrent que le jade des Kunlun y était très apprécié; on pense même que les communications les plus anciennes entre ces plaines et les régions de l'ouest s'effectuèrent grâce à l'apparition précoce d'une Route du Jade; des haches de jade blanc et de jade bleu ont été mises à jour dans les fouilles archéologiques du Sinkiang, notamment à Loulan; sous les Ming, le jade le plus recherché était réputé provenir du Yutian, c'est-à-dire du Sinkiang actuel; sous les Qing, le jade des Kunlun, appelé communément hetian, était particulièrement recherché, bien que l'on trouvât du jade d'excellente qualité dans d'autres régions.  

Aujourd'hui, le jade le plus réputé est celui de couleur blanche. La boutique où notre guide nous conduit en offre une vaste collection. J'y jette un rapide coup d'oeil avant d'aller déguster un verre de thé qui nous est aimablement offert tandis que les autres membres du groupe, souhaitant effectuer des achats, choisissent et surtout discutent le prix, en d'interminables palabres avec les vendeuses. 

Les emplettes effectuées, nous prenons la route pour notre excursion aux Montagnes Célestes. Avant de quitter Urumqi, j'aperçois les tours vues d'avions que j'ai identifiées comme celles d'une centrale nucléaire; c'en est bien une; cette énergie ultramoderne a donc pénétré jusqu'à cette région reculée où le niveau de vie est parmi les plus bas de Chine. Nous nous retrouvons bientôt dans une campagne, sur une route bordée d'arbres et de haies, avec parfois en arrière-plan, quelques falaises au roc nu, premiers indices des montagnes. Nous faisons halte pour déjeuner dans une auberge où une salle séparée nous est réservée. Les toilettes sont ce qu'elles vont être désormais en dehors des hôtels où nous coucherons: irrespirables! Il y règne une odeur composite d'urine chauffée, de bouillon de culture et de désinfectant que nous retrouverons même dans les trains; ceux qui peuvent y pénétrer en apnée ont de la chance; les autres ne périront pas asphyxiés mais c'est tout comme. Le repas, arrosé de bière, est composé comme à l'habitude; il n'y aurait rien à dire s'il n'était servi par une jeune personne qui, à défaut d'être belle, est au moins des plus stylées; elle prévient toutes nos demandes, de nourriture et de boissons; elle pousse même la complaisance jusqu'à me fourrer dans la bouche, que je lui tends ouverte, le morceau de melon tenu au bout d'un cure-dents qu'elle m'apporte; elle terminera son service en nous interprétant une chanson locale et aussi Frère Jacques en chinois. Une de ses collègues, intriguée par notre présence, viendra un moment la rejoindre; mais elle se fera rapidement rappeler à l'ordre: il y a d'autres clients à servir! 

Nous reprenons la route. Steppes bordées par des collines et vallées cultivées se succèdent avant d'entrer dans les montagnes; de longues plantations de peupliers bouchent, de temps à autre, une fraction de l'horizon; parfois, des sommets couverts de neige se montrent dans le lointain. Nous dépassons des troupeaux de brebis conduits par des bergers à cheval. Nous sommes maintenant en terre kazakh; cette minorité vit essentiellement de l'élevage: chèvres, moutons, vaches et chevaux; ici, la richesse ne se mesure pas en argent mais en têtes de bétail. Des villages de yourtes blanches, ornées de motifs géométriques bleus et roses, se dressent au bord de la route; parfois, quelques maisons interrompent leur monotonie. Les Kazakhs ont renoncé au nomadisme, mais pas à son symbole: la maison de toile. Les hommes montent faire paître leurs troupeaux dans la montagne tandis que les femmes veillent sur les enfants et sur le foyer. En va-t-il de même au Kazakhstan voisin? Je ne saurais le dire. Quoi qu'il en soit, la disparition du nomadisme est une fatalité historique; les sociétés de chasse, de pêche et cueillette, puis celles du nomadisme, supposent de grands espaces vides; l'expansion démographique les condamne et contraint les hommes à se sédentariser.  

Au long de la route coule un torrent tumultueux aux eaux limpides. La route s'élève et nous débouchons soudain face à une sorte de pagode qui est en fait un bâtiment administratif; après avoir parcouru plus de cent kilomètres depuis Urumqi, nous sommes parvenus dans la région de Tianchi; notre véhicule s'arrête sur une aire de stationnement; les bus, même de taille modeste, comme le nôtre, ne vont pas plus loin; le reste du chemin s'effectue en voitures individuelles. Nous pourrions continuer à pied, mais le temps nous manque; ou en empruntant un télésiège; nous le prendrons en revenant. Je profite d'un moment d'attente pour jeter un coup d'oeil aux alentours. Nous sommes maintenant au milieu de hautes montagnes, à pentes escarpées, herbues et boisées de conifères, qui n'ont plus rien à voir avec la région semi-désertique, agrémentée d'oasis, d'où nous sommes partis en fin de matinée; c'est un autre monde. Le torrent aux flots blancs d'écume, bondissant sur les rochers, traverse la route sous un pont tout neuf pour aller se perdre au fond de la vallée. Une immense roue immobile s'élève sur un de ses bords. A quoi peut-elle bien servir? Peut-être seulement d'élément décoratif. 

Tandis que nous marchons vers le haut, en attendant qu'une voiture vienne nous prendre, je demande à notre guide s'il existe une histoire du Sinkiang en anglais que je pourrais me procurer. Il me répond qu'un ouvrage rédigé par un Allemand existe bien, mais qu'il est difficile de le trouver; les Ouïgours, qui constituent l'ethnie la plus importante de la région (environ 40% de la population), sont d'origine turque, c'est pourquoi, me dit-il, certains parlent de Turquie de l'Est; ce terme, ou plutôt celui de Turkestan oriental, est effectivement utilisé par les mouvements indépendantistes qui contestent l'appartenance à la Chine; la conversation sur le sujet n'ira pas plus loin. A Paris, quelques mois plus tôt, j'ai rencontré, chez une amie, une Ouïgoure en stage en France qui possédait, sur son ordinateur, le livre d'un historien local interdit de vente en librairie par les autorités, mais que bien des gens possèdent, ce qui ne constitue d'ailleurs pas un délit, à condition d'en faire un usage strictement personnel; cet ouvrage m'aurait vivement intéressé; malheureusement il est en ouïgour. 

Nous arrivons au bord d'un lac ceinturé de montagnes de plus en plus élevées, les plus hautes étant couvertes de neige, ce qui ne manque pas de surprendre, à deux pas du désert de Gobi et des steppes mongoles. L'eau du lac, d'un vert intense, sans doute à cause du reflet des pentes qui l'enchâssent, me rappelle le Lac de Tous les Saints, ou Lac d'Émeraude, sur lequel j'ai navigué par deux fois entre le Chili et l'Argentine. Ce lac des Montagnes Célestes porte le même nom qu'elles, c'est le Lac Céleste; il se trouve à 1980 m d'altitude et les pics aux alentours culminent à plus de 5000 m (Bogda Feng ou Pic de Dieu: 5445 m); plus au sud, cette longue chaîne de montagnes courbe s'élève à près de 7000 m. Des bateaux de plaisance emplis de touristes croisent dans le lac; l'un d'eux est recouvert d'une toiture jaune relevée en forme de pagode: la couleur locale n'est jamais absente. Nous embarquons à notre tour pour une promenade sur les eaux tranquilles du lac; la majeure partie des passagers est nationale; les Chinois, qui bénéficient désormais de congés, en profitent pour visiter leur immense pays où il y a tant à voir. Nous accomplissons notre tour du lac; je remarque un bâtiment blanc, sans doute un hangar à bateaux, qui ressemble à une mosquée; plus loin, un monastère est perché à mi pente; un sentier jalonné de piquets blancs y conduit; il appartient à une religion rare qui ne compte des fidèles qu'en Chine, et encore fort peu, j'en ai oublié le nom; voici maintenant, au bas d'une vallée tranquille, deux ou trois maisons grises, qui sont sans doute celles d'une ferme; plus loin, une pagode au sommet doré est juchée sur un rocher; puis une courte plage tire sa langue, au pied d'un vallon sombre, encagé de pics enneigés; de l'autre côté, les conifères abondent, presque jusqu'au pinacle de rochers aigus, noirs comme des chicots. 

En redescendant, nous rencontrons, sur la route, deux cavaliers kazakhs vacant tranquillement à leurs occupations. Nous dînons dans un des restaurants d'un complexe touristique dont plusieurs édifices, qui semblent presque neufs, sont assez pimpants et dont les couleurs claires, du rose et du blanc, ressortent assez joliment sur la verdure environnante. Pour se faire pardonner je ne sais quel manquement aux promesses de l'agence de voyages, notre guide nous offre une bouteille de vin; ce n'est pas l'affaire du siècle. Quant à la cuisine kazakh, si je n'en ai rien retenu, c'est sans doute qu'elle ne différait que très peu de celle qui nous fut servie en terre ouïgoure. A l'issue du repas, nous assistons à une séance de nourriture des rapaces qui tournoient dans le ciel; un employé du restaurant jette en l'air des morceaux de viande qu'ils saisissent du bec en plein vol; j'ai déjà vu ça ailleurs, en France notamment, sauf qu'ici les volatiles ne sont pas apprivoisés. 

Après une ballade digestive sur les bords du lac, nous regagnons l'endroit où nous devons camper. C'est une sorte d'hôtel de planches et de toiles, bungalows et yourtes. Plusieurs touristes chinois sont déjà là; ils font griller des brochettes de moutons épicées pour leur repas du soir; l'affluence des touristes locaux emporte pour nous une conséquence non prévue au programme: nous dormirons tous dans la même yourte; celle-ci consiste en une armature de bois sur laquelle est tendue une toile de feutre blanche aux soubassements grisâtres ornés de motifs décoratifs roses et bleus; le toit est recouvert d'un plastique protecteur; une porte en bois bleu ferme assez mal l'entrée; à l'intérieur, la toile est de couleur orange, preuve qu'elle est doublée; une estrade de bois recouverte de tapis occupe les deux tiers au moins de l'espace, ne laissant libre qu'un arc de cercle d'un mètre cinquante de flèche environ derrière l'entrée; sur l'estrade, est posée une table basse; des récipients contenant de l'eau pour la toilette sont posés dans un coin; un tas de duvets et de couvertures reposent dans un autre coin; l'estrade sera notre lit collectif; nous nous installons tant bien que mal sur notre couche raide; je garde mon sac à portée de la main; bien m'en prend car, au milieu de la nuit, un froid intense me réveille; à près de 2000 m d'altitude, cela n'a rien d'étonnant, même en été; je ne me lève pas afin d'éviter de piétiner mon voisin; je tends la main vers mon sac à tâtons, et m'habille en entier, chaussettes comprises; ainsi affublé, je ne sens plus le froid et me rendors jusqu'au matin; je m'aperçois alors que j'ai oublié d'utiliser ma couverture qui gît, toujours pliée, à mes côtés; le jour étant venu, je me glisse dehors, en évitant d'éveiller les autres qui dorment encore. 
 

6 ème jour (suite): les Montagnes Célestes puis Urumqi - (Les photos sont  ici ) 

Je me rends aux toilettes, situées à l'écart du campement; je les ai repérées le soir précédent; il s'agit d'une installation métallique rappelant celle des cités d'urgence de ma jeunesse; on n'y trouve aucun rouleau de papier; des morceaux traîne bien, de part et d'autre du siège à la turque, dans des seaux, mais ils sont de seconde main, si j'ose dire; ici, on ne jette pas le papier dans la cuvette, on le garde, sans doute pour ne pas boucher les canalisations; je n'imagine pas que c'est pour un second usage; la leçon me servira et, dès le prochain passage au restaurant, je me pourvoirai d'une provision de papier. Je descends ensuite jusqu'au lac pour mes ablutions matinales; la route que je traverse est constellée de crottes de chèvres ou de brebis: des troupeaux matinaux sont déjà passés, en route pour la montagne; l'eau fraîche me ragaillardit et me fait oublier mon réveil nocturne sous l'emprise du froid.  

A mon retour au campement, mes compagnons de voyage sont debout. Ils se rendent eux aussi au lac pour faire leur toilette. Ensuite, nous prenons notre petit déjeuner façon kazakh; c'est un repas complet, avec des légumes, de la soupe, du thé... et du tofu, trempé sans doute dans du jus de betterave rouge, qui ressemble à du sang de boeuf caillé; il ne manque rien, à part ce que nous sommes habitués à manger; nous réclamons du jus de fruit qui nous est servi sans discussion. Un dîner auteur d'un feu de camp et une ballade à cheval pour les amateurs étaient au programme; ces deux divertissements sont passés à la trappe. L'expérience de la yourte est très décevante; son caractère est artificiel; j'eusse préféré dormir chez l'habitant, dans un village de la vallée; je ne suis pas le seul de cet avis. 

Nous descendons en direction de la station du télésiège; le ballet des aigles a déjà commencé au dessus de nos têtes. Sur la route, nous croisons un groupe de trois balayeurs, vêtus d'une veste de couleur orange, visible de loin, qui débarrassent la voie de ses crottes de biques glissantes; les rues et routes chinoises sont propres parce qu'elles sont nettoyées par une main d'oeuvre abondante, que l'on préfère utiliser à cette tâche médiocre, plutôt que de la laisser croupir, comme chez nous, dans une dangereuse oisiveté; nous en aurons un autre exemple à Shanghai. 

A la station touristique, un boulanger pétrit sa pâte en plein air et vend sa production sur des tréteaux, tandis que deux musiciennes, jeunes et gracieuses, rythment son travail, en tapant sur des tambours plats. Le pain, brioché, à la forme d'une galette; je crois qu'il s'appelle nang, sur la foi d'une enseigne;  j'en achète un pour compléter notre petit déjeuner; il est délicieux et nous nous régalons. 

Nous embarquons, les autres par couples et moi seul, dans les cabines du télésiège et nous voilà partis pour la descente. Nous surplombons la route par laquelle nous sommes arrivés la veille, ainsi que le torrent, qui est probablement le déversoir du lac. Sur une colline, en bas, à gauche, une pagode orange arbore fièrement son toit vernissé. A droite des troupeaux de chèvres et de brebis gravissent la montagne sous la surveillance d'un pâtre à cheval. 

Nous reprenons la route vers la vallée dans notre car, là où il a stationné la veille. Chemin faisant, nous croisons un nouveau troupeau, toujours accompagné de son cavalier armé d'un fouet; j'y remarque un mouton de Jacob, reconnaissable à ses quatre cornes, deux pointées vers le ciel, les deux autres enroulées vers le sol, comme celles des béliers classiques. Nous faisons halte dans un village de yourtes où nous sommes accueillis par une femme encore jeune, son enfant, et la grand-mère; les hommes sont probablement déjà partis pour la montagne avec leurs troupeaux. La maisonnée nous reçoit dans une yourte spacieuse, où une collation nous est servie, sur une table basse recouverte d'une toile blanche décorée de dessins bleus: beignets, fromage, thé nature ou au lait; le tout est bien meilleur que notre petit déjeuner; nous savourons ces nourritures rustiques assis sur des coussins, comme à Byzance ou à Rome; les coussins sont posés sur les nombreux tapis de couleurs vives, où domine le rouge, qui recouvrent le sol. L'atmosphère est chaleureuse et l'hospitalité sympathique, même si nous ne pouvons pas dialoguer avec nos hôtesses autrement que par signes ou par le truchement de notre guide. Nous faisons ensuite le tour du propriétaire; la yourte est l'habitation principale; mais un autre bâtiment plus solide s'élève derrière elle; c'est là que travaillent les femmes; du lait est en train de cailler dans un récipient mis à tiédir sur un feu; des souvenirs me remontent en mémoire: on procédait ainsi, lorsque j'étais enfant, dans mon Auvergne natale. Une personne du groupe offre un jouet à l'enfant; nous observons que l'arrière de sa culotte est fendue; l'enfant peut ainsi faire ses besoins sans souiller ses vêtements; les couches ne sont pas encore parvenues jusqu'ici! De petites vaches et leur progéniture paissent entre le torrent et la route où nous remontons en voiture. Les yourtes du village, faites de feutre blanc, (en poil de chameau?), paraissent comme molletonnées. 

Nous rentrons vers Urumqi; nous y déjeunons, dans un restaurant sans prétention, mais excellent, de brochettes de mouton grillé et de riz pilaf. Notre guide nous fait goûter à une bière sans alcool à base de miel, délicieuse et rafraîchissante; mais nous ne sommes pas privés pour autant de notre bière alcoolisée, au moins ceux qui le souhaitent; j'en suis. Ensuite, nous nous rendons à l'aéroport, pour embarquer dans l'avion qui va nous emmener jusqu'à Kashgar, à 1500 km de là. 

J'espérai voir le Taklamakan par le hublot auprès duquel je suis blotti, durant les 1h30 de la durée du vol; ce désert, connu comme étant l'un des plus dangereux du monde, ne manque pas de m'intriguer; les légendes disent que des caravanes entières s'y sont dissoutes, sans laisser de traces, que des villes y furent englouties dans les sables et que, lors de gros orages, les minces filets d'eau s'y métamorphosent en torrents impétueux qui emportent tout sur leur passage, avant de s'assécher à nouveau, sous l'ardeur d'un soleil brûlant. J'en suis pour mes frais; d'épais nuages cotonneux cachent la terre; ils ne se dégageront qu'à l'arrivée, pour me laisser apercevoir quelques montagnes; je devrai me contenter de ce que l'on m'a dit de ce désert, de ce que l'on m'en dira encore et de ce que je lirai sur lui. 


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