Pierre Andrieux (1855-1926)
 

Le P. Pierre Andrieux profès des voeux perpétuels, de la Province de France, décédé à Cellule, le 28 août 1926, à l'âge de 70 ans, après 55 années passées dans la Congrégation dont 46 comme profès.

Depuis un an, le P. Andrieux vivait à l'École des Missions Coloniales de Cellule: frappé d'apoplexie en 1923, il avait traîné à Chevilly on existence diminuée par le mal implacable; il avait pu prendre à travers les allées quelque délassement; sa mémoire avait même retrouvé de la souplesse ; il avait donc espoir de se remettre davantage et avait pensé qu'un séjour en Auvergne, dans sa famille, serait favorable à sa santé. Au printemps de 1925, il quitta donc Chevilly. A Saint-Sandoux, au milieu des siens, il n'éprouva pas le mieux qu'il escomptait : il garda le lit sans pouvoir se porter sur ses jambes, et bien qu'il eut toujours l'espoir de guérir, on fut bientôt persuadé dans son entourage qu'il était temps de lui assurer la retraite à laquelle il avait droit. La maison de Cellule qui l'avait reçu postulant 55 ans plus tôt, s'ouvrit encore à lui pour offrir un refuge à ses derniers jours.

C'est à Saint-Sandoux qu'était né le P. Andrieux, le 6 décembre 1855 ; le vicaire de la paroisse l'abbé Périer, distingua cet enfant, lui donna les premières leçons de  latin et le dirigea, en septembre 1870, sur le Petit Scolasticat de Cellule pour qu'il devint un jour religieux dans la Congrégation. La santé de Pierre Andrieux était frêle. Au bout de quelques mois, il rentra dans sa famille, malade ou fatigué; après Pâques 1871, nous le retrouvons de nouveau à ses études qu'il poursuit avec succès.

Dans l'ensemble, bon élève, intelligent mais timide, il hésite à revêtir le saint habit religieux avec ses condisciples bien que ses maîtres ne demandent qu'à le lui accorder. Enfin, le 21 juin 1872, il devient scolastique titulaire; puis il achève ses études classiques et passe à Notre-Dame du Langonnet au Grand Scolasticat (1875).

Dans cette communauté, il rendit , pendant un an, le service d'être professeur au collège, sans cesser de suivre les cours de théologie et put, en 1879, venir au Noviciat du Saint-Cœur de Marie. Il fit profession au mois d'août suivant.

Toutes ses inclinations le portaient vers les oeuvres d'enseignement et d'éducation; il y a passé en effet toute sa vie active. En même temps, ses directeurs trouvaient avantage à l'éloigner de la France. Comme le collège de Pondichéry venait de s'ouvrir en 1579 et avait besoin de professeurs, il y fut envoyé aussitôt après avoir émis ses premiers voeux. Il y resta tant que dura le collège sous la direction de la Congrégation, c'est-à-dire jusqu'en 1887. Avec la plupart de ses confrères de Pondichéry, il fut transféré au collège de Castelnaudary, à nous confié en cette même année; après six ans dans le midi, il fut appelé dans ce diocèse de Rouen où il devait rester près de trente ans, d'abord à Mesnières (1893- 1895) , ensuite au  Grand-Quevilly (1897-1921). De 1895 à 1897, il fut Préfet de Discipline au collège d'Épinal.
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L'oeuvre à laquelle il a usé ses forces est celle du Refuge du Grand-Quevilly. Fondé en 1879 pour recevoir les orphelins de Rouen et les petits déshérités, voués fatalement dans le monde à la paresse et au vice, le Refuge avait été confié à la Congrégation en 1882. Les PP. Bertsch et Barthélémy Stoffel l'avaient successivement dirigé, le premier jusqu'en septembre 1889, le second jusqu'en 1897. Ils avaient bâti à peu de frais une vaste maison, une chapelle, des dépendances, de quoi recevoir 100 enfants; des Soeurs de Saint-Joseph de Cluny étaient chargées des services domestiques; vingt hectares de terre avaient été mis en rapport en bonne part sous culture maraîchère; enfin des ateliers se constituaient dont l'un, celui de galvanoplastie, eut son heure de célébrité dans la région.

On vivait des profits réalisés, mais surtout des dons de la charité publique, sans cesse sollicitée, toujours bienveillante, grâce à un comité qui se contentait d'assurer des ressources sans gêner la marche des services.

On faisait du bien. En 1897, l'oeuvre avait déjà hébergé 188 enfants, sans compter la centaine qu'elle élevait; ces 188 enfants avaient quitté la maison pour la plupart à l'âge normal, c'est-à-dire en état de gagner leur vie; le chiffre exact de ces rescapés était 152; la moitié d'entre eux, capables d'être utiles, avaient retrouvé une famille qui s'était autrefois dérobée à ses devoirs envers eux quand ils lui eussent été à charge; l'autre moitié, grâce à la direction du Refuge, avaient trouvé une belle position.

Le P. Andrieux prit donc l'oeuvre en plein rendement et en pleine prospérité. Pendant son long supériorat, il eut le regret te diminuer le nombre des enfants recueillis qui ne s'éleva guère bientôt à plus de 70 ou même de 60. Le rapport du Comité en 1904 note encore qu'ils sont 100 environ. Les dépenses montent à 24.500 francs; les recettes, qui couvrent les dépenses, sont dues pour 10.000 francs environ aux bénéfices de l'exploitation agricole ou industrielle.

En cette année, le Refuge eut dû fermer ses portes si le P. Andrieux n'eut accepté, avec ses confrères, d'être séparé de la Congrégation par cette sécularisation à laquelle tant d'autres durent se soumettre, sacrifice et pour l'Institut et pour ses membres sécularisés, qui sauva de très modestes oeuvres et leur permit de continuer leurs bienfaits.

Dès lors, les rapports entre le Grand-Quevillv et la Maison- Mère ne laissent plus de traces dans nos Archives. La collection des rapports annuels du Comité fait défaut : deux rapports seulement ont été recueillis, celui de 1918 et celui de 1921.

Le premier expose les transformations subies par la région aux environs du Refuge, l'industrie qui envahit les berges de la Seine, la Société des Hauts Fourneaux, les Chantiers de Normandie, les Établissements Maletra, tous trois bienfaiteurs de l'oeuvre, prennent pied aux environs ou développent leur champ d'action ; les lignes de chemins de fer coupent  un coin du jardin, une population nouvelle se construit des abris aux alentours; elle n'est pas d'ordinaire édifiante, mais elle offre une matière au zèle apostolique du directeur et de son confrère. Enfin, à l'intérieur, parmi les alertes et les restrictions de la guerre, la bonne humeur et la bonne santé se maintiennent. La crise est d'ailleurs passée ; l'avenir permet, toutes les espérances.

Trois ans plus tard, le rapport qui affecte de traiter de façon sereine la question des orphelinats catholiques, de leur nécessité et des moyens de les maintenir, sonne déjà comme un glas de mort, C'est un plaidoyer pro domo, On y rentre dans des détails minutieux sur la nourriture donnée aux enfants ; on y compte tous les frais. Au lieu des 240 francs qui suffisaient en 1897 à l'entretien d'un enfant pendant un an, il faut, en 1921, compter 730 francs pour la seule nourriture, et près de 600 francs d'autres frais. Les jardins rendent bien ; les industries voisines prêtent un concours de plus en plus important ; la charité ne fait pas défaut, mais chaque année il faut, pour solder le budget, des dons extraordinaires, pou une valeur de 20 à 25000 francs. Pourtant on fait, toutes les économies possibles; on use les vieux vêtements jusqu'à la corde, et si le régime reste substantiel, comme il convient à de jeunes gens, il est à certaines heures tout végétarien.

En dehors des dépenses ordinaires, il en faut prévoir de nouvelles, extraordinaires, peut-être, par rapport au passé, mais qui s'imposeront régulièrement au budget dans un avenir prochain. Les maîtres en effet vieillissent ; qui assurera à leur vieillesse la retraite à laquelle ils ont droit ?
Poser certains problèmes, c'est, dit-on, les résoudre. Le P. Andrieux avait pensé émouvoir le coeur de ses bienfaiteurs; aucun d'eux n'eut, en effet, résisté à son pressant appel si chacun d'eux, en homme d'affaires, n'eut été d'abord saisi de la nécessité de faire face aux exigences d'une caisse en déficit, On chercha les meilleures combinaisons et l'on décida de supprimer l'oeuvre en prenant soin, d'autre façon, des orphelins qu'elle avait entretenus.

Ainsi finit le Refuge du Grand-Quevilly. La chapelle devint chapelle de secours pour les gens des environs, en quasi indépendance du curé, et le P. Andrieux offrit ses services au T. R. Père. On lui trouva une place à Saint-Michel-en-Priziac ; pendant un an, il dirigea cette maison, exerçant un grand ascendant sur les professeurs, sans atteindre, comme il eut fallu, les élèves en nombre trop considérable. Ses habitudes des vingt-cinq dernières années dans un milieu restreint, ne s'adaptaient pas au mouvement de sa nouvelle résidence.

C'est alors qu'il obtint de rentrer en Communauté. Chevilly avait besoin d'un supérieur pour présider d'un peu haut aux destinées d'oeuvres très importantes, il est vrai, mais ayant chacune son directeur spécial.

Cette fonction convenait à l'activité déjà ralentie, à la sereine philosophie et à la parfaite distinction de l'ancien directeur du Refuge. Il y eût fait merveille, si la maladie ne l'eut saisi trop tôt. Depuis six mois il remplissait sa charge, quand, le jour de la Solennité de Saint Joseph, après avoir chanté la Messe chez les Soeurs de Thiais, il fut frappé d'apoplexie. Nous avons déjà dit qu'on le soigna avec dévouement et qu'il se remit assez bien.

Voici, sur ses derniers moments, ce qu'on nous écrit de Cellule, le mardi 24 août : "Le bon P. Andrieux avait passé la journée du samedi 21, comme toutes les précédentes, en partageant tout son temps entre la prière, la lecture et quelques exercices de marche dans sa chambre, par le corridor de l'infirmerie et jusque dans le bosquet. Ces petits exercices de marche lui étaient très pénibles, mais il les faisait, aidé par son charitable infirmier ou par un confrère, pour obéir au médecin qui les lui avait recommandés avec insistance, et aussi dans l'espoir d'obtenir la guérison de sa paralysie, qu'il appelait de tous ses voeux.

Le dimanche matin, quand l'infirmier se présenta, vers les 6 heures, pour l'aider à s'habiller, le cher malade lui déclara qu'il ne se sentait pas la force de dire la sainte messe, et, aussitôt se manifestèrent les premiers symptômes de la congestion qui devait nous le ravir. M. Le Thiec, qui se trouvait présent à ce moment, lui donna une dernière absolution et, appelé en toute hâte, je lui administrai l'Extrême-Onction et lui appliquai les indulgences apostoliques. Il est mort vers les 4 heures du soir, sans avoir recouvré ses sens, mais aussi sans grandes douleurs apparentes, doucement, tranquillement, comme quelqu'un qui s'endort.

"La veille, en revenant de sa petite promenade, il s'était confessé, et le matin de ce même jour, il avait dit sa dernière messe, en usant du privilège que nous avions demandé pour lui à Rome, de célébrer les saints mystères en restant assis.
Pendant les longs mois de souffrances physiques et morales, qu'il a passés dans notre maison, le cher Père Andrieux nous a beaucoup édifiés par la résignation avec laquelle il a su supporter son épreuve, épreuve très pénible et très douloureuse, physiquement et moralement, pour sa nature si ardente et si active : non seulement jamais une plainte n'est sortie de sa bouche, mais il n'omettait jamais de remercier ceux qui lui rendaient le plus petit service. La Sainte Vierge, la grande petite Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et le Vénérable Père Libermann, envers lesquels il avait un très grande dévotion ont dû lui faire bon accueil au ciel."

Bulletin général du la Congrégation du Saint-Esprit
T. 32 – N° 435 – Novembre 1926
Congrégation du Saint-Esprit – Archives générales

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