Auguste Lacaussade (1817-1897)
 
Auguste Lacaussade naquit à Saint-Denis de l’île Bourbon, le 17 février 1817,  d'un avocat et d'une femme "libre de couleur". Il passa une enfance heureuse sur la propriété de son père, au Champborne. Comme on le destinait au notariat, il partit pour la France, en 1825, où il poursuivit ses études à Nantes. Il fréquenta quelques temps une étude, mais, ne se sentant pas de goût pour le métier de tabellion, il s'inscrivit à la faculté de médecine de Paris. Sa véritable vocation, toutefois, était littéraire. En 1839, alors âgé de 22 ans, il publia "Les Salaziennes", à Paris. Il revint à Bourbon, où il se maria, en 1840, avant de retourner à Paris. En 1844, il devint le secrétaire de Sainte-Beuve et le resta jusqu'en 1852. Tout en poursuivant une oeuvre personnelle imprégnée de Romantisme, il traduisit les oeuvres de poètes étrangers, notamment Mac Pherson et Leopardi, et écrivit des articles pour les revues (Revue des deux Mondes, Revue de Paris...). On lui doit également une publication des oeuvres de Marceline Desborde-Valmore. Après une période militante en faveur de l'abolition de l'esclavage, il fut reconnu officiellement comme poète réunionnais, en 1853, et reçut une pension du Conseil Général de l'île. Le Second Empire le nomma directeur de la Revue de gouvernement et, en 1872, la République renaissante le promut bibliothécaire du Sénat. Il mourut à Paris en le 31 juillet 1897. 

Lacaussade, "monsieur jaune et triste", pour reprendre une expression des Goncourt, sous des airs de fonctionnaire rangé et méticuleux, n'en prenait pas moins beaucoup de liberté avec sa fonction. Dans "Les poètes assis" de Claude-Louis, on peut lire un amusant portrait du personnage. Il avait imaginé et s’était attribué le "Service extérieur" de la bibliothèque. Cette trouvaille géniale lui permettait de s’absenter chaque fois qu’il le désirait. Mais il avait soin d’étaler sur son bureau une feuille de papier ministre, portant cette mention stéréotypée : "M. Auguste Lacaussade est aux Beaux-Arts, pour le service de la bibliothèque. Ne pas l’attendre; il ne reviendra pas". Lorsqu’il éprouvait le besoin de se décerner à lui-même un brevet d’assiduité, il passait à la bibliothèque vers onze heures et demie (heure à laquelle il n’y avait personne) et laissait, à l’adresse du chef, une fiche portant cette autre formule invariable: "Il est onze heures et demie. Je vais déjeuner; il ne s’est rien passé d’insolite à la bibliothèque"!   


Le piton des neiges
Les deux versions d'un même poème
1
.
A mon ami A. Lionnet  . 

Océan, Océan, quand tes vagues fumantes 
Lèvent en mugissant leurs têtes écumantes, 
Un flot majestueux, se dressant dans les airs, 
Semble toucher le ciel de sa crête sublime; 
Comme un vaste cratère on voit fumer sa cime; 
Et de sa masse énorme il domine les mers! . 
. 
Les ondulations que son volume écrase, 
Viennent avec fureur se briser sur sa base; 
L'onde monte et bondit vers son front orgueilleux; 
Mais lui -voyez!- semblable au Dieu de la tempête, 
D'écume et de vapeurs il couronne sa tête 
Et semble maîtriser l'élément furieux.  
. 
Tel, de ces lieux que tu domines, 
Superbe mont salazien, 
Tel, de ces montagnes voisines 
Jaillit ton front aérien! 
Immense, éternel, immobile, 
Du centre élevé de mon île, 
Ton sommet auguste et tranquille 
Impose et commande aux regards; 
Un hiver éternel y siège, 
Et ton front que le vent assiège, 
Se couvre de glace et de neige 
Comme la tête des vieillards. . 

L'oeil qui du sein des mers profondes 
Aperçoit ta mâle beauté, 
Sur la verte fille des ondes 
Aime ta noble vétusté. 
Et tu sembles dans ton silence, 
Du doux zéphyr qui se balance 
Ou de l'aquilon qui s'élance, 
Écouter le bruit dans les cieux; 
Ou comme un géant solitaire, 
Sur les ondes et sur la terre 
Fixant un regard centenaire, 
Rêver grave et silencieux! . 

Lorsque le jour expire et que l'ombre est venue, 
Quand la lune se lève au-dessus de la nue, 
L'océan à tes pieds brille comme un miroir; 
Des cieux, l'astre des nuits blanchit les vastes dômes 
Et tu vois les vaisseaux comme de blancs fantômes, 
Glisser à l'horizon sous les vapeurs du soir 
Et le pauvre pécheur dont la barque rapide 
Bondit légèrement sur la plaine liquide, 
Et l'oiseau que la nuit a surpris sur les mers, 
Dans un vague lointain apercevant ta cime, 
Dirigent leur essor sur ton sommet sublime 
Et s'avancent bercés par le souffle des airs. . 

Et de loin sur la mer immense, 
L'oeil étonné du voyageur 
Te contemple dans le silence, 
Aux rayons de l'astre rêveur. 
Le nuage errant qui s'arrête, 
Paraît s'agiter sur ta crête, 
Comme on voit flotter sur leur tête 
Les blancs panaches des héros; 
Et ta masse antique et profonde 
Qu'une douce lumière inonde, 
Semble le bleu spectre de l'onde 
Debout sur l'abîme des flots! 
Ah ! devant ta face ridée 
Combien de siècles ont passé? 
Mais sur ta cime saccadée 
Le pas du temps s'est effacé. 
Que de jours de calme et d'orage, 
Et de soleil et de nuage, 
Et de tourmente et de naufrage, 
Pour ton oeil séculaire ont lui? 
Tempête, ombre, aquilon lumière, 
Tout rentra dans la nuit première; 
Mais toi, dans ta stature altière, 
Tu fus alors comme aujourd'hui! . 

Alors, comme aujourd'hui, la matinale aurore, 
Et le rayon mourant du jour qui s'évapore, 
Sur ta tête azurée ont répandu leurs feux; 
Et quand l'aube ou la nuit vint sourire à la terre, 
Dans l'empire éthéré tu brillas solitaire, 
Comme un phare aux reflets doux et silencieux. 
Alors, comme aujourd'hui, de tes rochers arides 
Tu versas dans nos champs les flots purs et limpides; 
Et, défiant toujours l'ouragan destructeur, 
Et drapant tes flancs nus du manteau des nuages, 
Comme un génie assis sur le trône des âges, 
Tu levas dans les cieux ton front dominateur. . 

Pyramides de la nature, 
Pitons, sommets, vaste hauteur, 
Dont la gigantesque structure 
Parle à l'homme de son auteur; 
Monts altiers, masse indéfinie, 
Profondeurs et désharmonie, 
Qu'un propice ou fatal génie 
Sema dans ces lieux écartés; 
Éclairs sanglants, sombre nuage, 
Nid aérien d'où l'orage 
S'élance en bondissant de rage 
Au sein des airs épouvantés; 
Gouffres, flots, océan, tempête, 
Emportez-moi dans vos horreurs! 
Car j'aime à sentir sur ma tête 
Passer le vent de vos fureurs! 
J'aime à contempler vos abîmes, 
A mesurer vos hautes cimes, 
A suivre vos ondes sublimes, 
A me remplir de votre effroi; 
Aux vagues, aux vents, à la flamme, 
Je veux toujours mêler mon âme, 
Car mon cœur s'exalte et s'enflamme 
Et tout alors grandit en moi!...

2
.
Océan, Océan, quand ta houle écumante  
Roule, vague sur vague, aux coups de la tourmente,  
Un flot majestueux, d’un seul jet dans les airs,  
Monte submergeant tout de son élan sublime :  
Comme un cratère on voit au vent fumer sa cime,  
Et de sa masse énorme il domine les mers.  
. 
Les ondulations que son volume écrase  
Viennent incessamment se briser à sa base ;  
L’eau bouillonne et bondit vers son front orgueilleux,  
Mais lui, voyez ! debout au fort de la tempête,  
D’écume et de vapeurs il couronne sa tête,  
Maîtrisant à ses pieds les assauts furieux.  
. 
Tel de ces pics que tu domines, 
Superbe mont salazien, 
Tel de ces montagnes voisines 
Jaillit ton front aérien. 
Immense, immuable, immobile, 
Du plateau central de notre île 
Ton sommet auguste et tranquille 
Se dresse, embrassant l’horizon ; 
Un hiver éternel y siège, 
Et tes flancs que la nue assiège, 
Se couvrent de glace et de neige, 
A jamais chauves de gazon. 
. 
L’oeil qui du sein des mers profondes 
Contemple ta mâle beauté, 
Sur la verte fille des ondes 
Aime ta farouche âpreté. 
Tu sembles, dans le vide immense, 
Du vent léger qui se balance, 
Ou de l’ouragan qui s’élance, 
Écouter le bruit dans les cieux, 
Et, comme un aïeul solitaire, 
Sur l’océan et sur la terre 
Fixant un regard centenaire, 
Veiller, penseur silencieux. 
 
Quand le soleil s’éteint et que l’ombre est venue,  
Quand la lune se lève au-dessus de la nue,  
La mer autour de toi roule, mouvant miroir ;  
Des cieux l’astre des nuits blanchit les vastes dômes,  
Et tu vois les vaisseaux, comme de blancs fantômes,  
Glisser à l’horizon dans les vapeurs du soir.  
. 
Et le hardi pêcheur dont la barque rapide  
Bondit légèrement sur la nappe limpide,  
Et l’oiseau que la nuit a surpris sur les mers,  
Voyant bleuir au ciel ta forme aérienne,  
Orientant leur vol sur ta cime lointaine,  
S’avancent au roulis berceur des flots amers.  
. 
Et ton front d’un azur intense, 
Aux clartés de l’astre songeur, 
Apparaît plus sombre à distance 
A l’oeil pensif du voyageur. 
Il voit l’essaim des paille-en-queue, 
Qui font d’un coup d’aile une lieue, 
Tachant de blanc la voûte bleue, 
Regagner l’île aux verts îlots. 
Et ta masse antique et profonde, 
Qu’une clarté d’opale inonde, 
Semble le noir spectre de l’onde 
Debout sur l’abîme des flots. 
. 
Ah ! devant ton profil austère 
Combien de siècles ont passé ! 
Sur ton granit que rien n’altère 
Le pas du temps s’est effacé. 
Que de jours de calme et d’orage, 
Et de trombe et d’ardent mirage, 
Et de tourmente et de naufrage, 
Pour ton oeil séculaire ont lui ! 
Tempête, ombre, aquilon, lumière, 
Tout rentra dans la nuit première ; 
Mais toi, dans ta stature altière, 
Tu fus alors comme aujourd’hui. 
. 
Alors comme aujourd’hui les rougeurs de l’aurore,  
Et la pourpre des soirs que l’ombre décolore,  
Sur ta tête de neige ont répandu leurs feux ;  
Et quand l’aube ou la nuit vint sourire à la terre,  
Dans le vide étoilé tu brillas solitaire,  
Comme un phare aux reflets doux et mystérieux.  
. 
Alors comme aujourd’hui de tes rochers arides  
Tu versas dans nos bois la nappe aux eaux limpides ;  
Et défiant toujours le vent dévastateur,  
Et drapant tes flancs nus du manteau des nuages,  
Adamastor des monts et trônant sur les âges,  
Tu levas dans les cieux ton front dominateur.  
. 
O colosses de la nature, 
Pics d’inaccessible hauteur, 
Dont l’inébranlable structure 
Brave l’ouragan destructeur ! 
Blocs altiers, masse indéfinie, 
Gouffres, chaos, désharmonie, 
Que la main d’un fatal génie 
Sema dans ces lieux écartés ; 
Gerbes d’éclairs, sombres nuages, 
Nids fulgurants d’où les orages 
S’élancent en éclats sauvages 
Au sein des monts épouvantés ; 
. 
Torrent, gouffre, océan, tempête, 
Emportez-moi dans vos terreurs, 
Car j’aime à sentir sur ma tête 
Passer le vent de vos fureurs ! 
J’aime à contempler vos abîmes, 
A mesurer vos hautes cimes,  
A suivre vos houles sublimes, 
A me remplir de votre effroi ! 
Au vent, à l’éclair, à la flamme 
Je veux, je veux mêler mon âme ! 
Mon âme en tes grandeurs t’acclame, 
O nature ! et grandit en moi.
 
 

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