Auzers
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Un peu d’histoire

En ce début du 21ème siècle, la commune d’Auzers ne compte plus que 170 habitants (en 2013) alors qu’elle en comptait près 993 en 1793, lors du premier recensement, et 1035 en 1901. Son église n’a extérieurement rien de remarquable mais on trouve à l’intérieur quelques statues dignes d’intérêt, dont une pietà. On peut également voir dans la commune et ses environs, de vieilles bâtisses en pierres sèches couvertes de lauzes caractéristiques de l’architecture locale.
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Auzers est cité au 9ème siècle dans la Charte de Clovis (481-511) qui recensait les biens de l’abbaye de Saint-Pierre-le-Vif à Sens (Yonne) et dont Théodechilde, petite-fille de Clovis et fondatrice de l’abbaye, possédait des biens en Haute-Auvergne. Le fief appartenait alors à la famille de Marlat. Cette dernière, sans héritier mâle, le vendit à Géraud de Bompar, dont le fils épousa d'ailleurs la fille du vendeur une quarantaine d'années plus tard.

En 1364, Géraud de Bompar y édifia un château. On était en pleine guerre de Cent ans, au début du règne de Charles V le Sage, à un moment crucial qui marqua la fin de la première phase cette guerre, après les défaites de Crécy (1346) et Poitiers (1356), mais avant celle d’Azincourt (1415). Les Anglais occupaient alors le Limousin et la frontière, matérialisée par la Dordogne, n’était qu’à une quinzaine de kilomètres d’Auzers. Le château était donc probablement conçu dans un but défensif. Il se composait d'un corps de logis rectangulaire flanqué d'une tour de défense au Sud-est et d'une tour d'escalier au Nord-est. Il était probablement ceinturé par un chemin de ronde continu et crénelé, supporté par des corbeaux de pierre, à ciel ouvert ou coiffé avec le reste de la construction d'une toiture à faible pente, afin que, d'une tourelle qui dépassait la tour d'escalier d'un niveau, le guet puisse surveiller les environs.

Il faut rappeler que, outre les Anglais, les villageois redoutaient également les routiers, soldats désœuvrés qui, pendant les périodes de paix, se réunissaient en bandes irrégulières et ravageaient les campagnes pour se nourrir. Les uns et les autres étaient particulièrement actifs en Haute-Auvergne où ils tenaient maints châteaux. Il y sévit également un temps une insurrection dite des tue-chiens qui s’en prenait aux nantis. Le duc de Berry dut monter une expédition pour débarrasser le pays de cette jacquerie. C’est dans ce contexte troublé que le château d’Auzers fut pillé et brûlé vers 1450, peu de temps avant la fin de la Guerre de Cents ans, qui se termina après la victoire française de Castillon (1453). L’incendie détruisit presque tout le château. Le corps de logis principal s’effondra sur la voûte du rez-de-chaussée qui résista. En dehors de cette dernière, ne restèrent partiellement debout que les tours.

Blandin de Bompar, petit-fils de Géraud, régisseur du comte de Chabannes, gouverneur de Guyenne, pour ses biens de Madic, près de Bort, puis régisseur général du baron de la Tour, comte d'Auvergne, maria sa fille Alix, en 1470, à Antoine de Douhet, licencié ès loi, lequel s'installa au château et prit le nom de Douhet d'Auzers. Il devint par la suite chancelier des comtes d'Auvergne. Les blasons des deux familles (une tour pour l’une, une licorne pour l’autre) furent alors réunis pour former celui des Douhet d’Auzers : écartelé au premier et au quatrième d'azur à la tour d'argent, crénelée et patinée de sable et cerclée à trois contours; au deuxième et troisième de gueule à la licorne passante d'argent, ayant le pied droit levé; sommé d’une couronne; devise : Vires ex Alto, c’est-à-dire : "A juste guerre, Dieu combat". Après le mariage, la restauration du château fut entreprise ; elle s'acheva vers 1510.

Le nouvel édifice fut construit dans le goût de la Renaissance, pour en faire une demeure de plaisance, sans toutefois renoncer complètement à son caractère défensif. Le corps de bâtiment fut prolongé vers l'Ouest où une nouvelle tour, pendant de celle de l'Est, fut dressée au Sud-ouest. Le chemin de ronde, qui encercle tout le pourtour et confère à l'ensemble son unité, fut englobé, avec le reste des constructions, sous une toiture à pente raide en lauzes disposées en écailles de poisson, à quatre pans pour le bâtiment central, en poivrière pour les trois tours et les deux échauguettes qui, portées sur des culs de lampe à cinq quarts de rond superposés, ornent les angles vifs du chemin de ronde. La porte et les fenêtres de la tour d'escalier, ainsi que quelques autres fenêtres du bâtiment, furent encadrées de moulures.

En 1528, Gabriel de Douhet d'Auzers fut lieutenant du roi dans la prévôté de Mauriac et, en 1555, il devint gouverneur de Clermont. En 1578, les terres des seigneurs d'Auzers furent érigées en baronnie par le roi Henri III, en récompense des services rendus par Pierre III de Douhet d'Auzers.

En 1641, Pierre d’Auzers décida par testament qu’en l’absence d’héritier, le château deviendrait la propriété du collège des Jésuites de Mauriac (Cantal).  Revenant sur sa décision 10 ans plus tard, il voulut récupérer la minute de l’acte de donation laquelle avait été transmise entre temps aux religieux, par son fils Pierre-Marion. A la mort de Pierre d’Auzers en 1661, les Jésuites prirent possession du château. Le fils aîné de Pierre d’Auzers dû ester en justice pour que soit annulé l’acte signé précédemment par  son père. C’est son neveu, Jacques de Douhet de Marlat, héritier de ses biens, qui solda la créance  équivalente à un million d’euros, en 1720, et recouvrit le bien familial.

En 1779, le troisième fils de Jacques-François d'Auzers et de Marie-Charlotte de Saint-Chamans, Joseph, entra au régiment de La Fère, infanterie, dont son oncle, le marquis de Saint-Chamans, était colonel; il émigra en 1790, avec le grade de capitaine; il rentra en France en 1793, pour combattre à Lyon dans les rangs fédéralistes et monarchistes, aux côtés de M. de Précy; après la prise de la ville par les troupes de la Convention, il réussit à s'échapper et se réfugia à Passy, sous un nom d'emprunt, sa tête ayant été mise à prix et, malgré sa situation précaire, il parvint à assurer l'entretien de sa famille pendant la tourmente révolutionnaire, et vécut retiré sous l'Empire; il était cousin germain des MM. de Meulan dont l'un fut préfet sous l'Empire et la Restauration, et l'autre, le général Théodore de Meulan, fut blessé à la cuisse par un coup de fusil, à l'affaire de Roda en Espagne, dans la Grande Armée; la soeur de ces Messieurs, Pauline de Meulan, épousa l'éminent historien et ministre de Louis-Philippe François Guizot en 1812. Un frère de Joseph, Charles, devint curé de Mauriac, puis grand vicaire d'Amiens, et enfin évêque de Nevers, où il mourut en 1834; Jean-Baptiste Serres lui a consacré une biographie: Vie de Monseigneur Charles de Douhet d'Auzers, évêque de Nevers - Toulouse: Privat, 1893. Un autre frère, Jean-Louis, élève de l'Ecole militaire de Paris en 1784, y eut comme condisciple Bonaparte, avec qui il noua une amitié durable.

Le château survécut à la Révolution, alors que les biens de l’église d’Auzers subirent les affres révolutionnaires. Les d’Auzers entretenaient de bonnes relations avec les villageois et ceux-ci les protégèrent. C’est ainsi que purent être conservés intacts les précieux terriers. Les biens de la famille d’Auzers furent tout de même mis sous séquestre. La mainlevée de la confiscation n’intervint définitivement qu’en 1801.

Jean-Louis, chevalier de Malte, revint en France à la dissolution de l'ordre consécutive à l’expédition d’Egypte commandée par Bonaparte. Il entra ensuite dans l'Administration de l'Empire français. En 1808, Napoléon en fit le directeur général de la police des départements au-delà des Alpes. Il y devint un intime de la famille Borghèse, épousa une Italienne et se lia à la famille Cavour qui devait tenir un rôle si important dans la fondation du royaume d’Italie, sous l’égide du roi de Sardaigne Charles-Albert de Savoie Carignan, un prince francophile qui avait été nommé lieutenant de dragons par Napoléon 1er à la fin de l’Empire. Avec son épouse, Jean-Louis d’Auzers acheta, en 1814, le domaine de Belangero, près d'Asti. Tous deux sont enterrés dans le caveau des Cavour, au château de Santena, près de Turin, où Jean-Louis décéda en 1831.

Après la chute de Napoléon, la famille se rallia au pouvoir royal. A la Restauration, Joseph d’Auzers, cité plus haut, devint maire de la commune d’Auzers et commandant de la garde nationale de Mauriac; il mourut en 1840. Dans la seconde moitié du 19ème siècle, Joseph d'Auzers, second du nom (1836-1924), épousa Marie de Vergennes (1839-1904), une descendante de l’illustre ministre des Affaires étrangères de Louis XVI, Charles Gravier, comte de Vergennes (1719-1787), qui mourut à la veille de  la Révolution. Ce mariage apporta au château d’Auzers d’émouvants souvenirs des derniers Bourbons.

En 1844, des rénovations du château furent entreprises : la toiture fut refaite à l'identique, de nouvelles fenêtres furent percées, d'autres élargies, un appentis fut ajouté contre la tour de l'Est afin d'y loger un second escalier.

En 1883, le fils unique de Joseph II, Louis (1868-1938), lieutenant-colonel d'infanterie, officier de la Légion d'Honneur, assista aux obsèques du duc de Chambord, dont la robe de baptême est toujours au château.

Celui-ci est ouvert aux visites depuis 1972. En 1983, il fut inscrit sur la liste des monuments historiques.



La visite
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Le château d’Auzers est situé dans un cadre verdoyant agrémenté de fleurs. Une pièce d’eau, entourée d’arbres plus que centenaires, au milieu de laquelle s'est développé un massif de nénuphars, s'étend à ses pieds. En attendant le guide, on peut faire le tour du propriétaire ou aller jeter un coup d’œil sur les photographies, tirées à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle par l’un des barons d’Auzers, dont les intéressants clichés donnent une idée de la vie dans le Cantal à cette époque et sont donc autant de précieux témoignages historiques. J’ai particulièrement remarqué les faucheurs d’autrefois qui coupaient les foins en rang les uns derrière les autres et les scieurs de long qui confectionnaient les planches, l’un tirant la scie d’en haut et l’autre d’en bas, dont on m’a permis de prélever une image. La scène des scieurs de long m'a ramené en mémoire une chanson que me chantait ma grand-mère.
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Nous pénétrons dans le château par la porte ogivale qui s’ouvre au Nord, en bas de la tour escalier. Cette porte était défendue par une canonnière percée en dessous d'une fenêtre moulurée ainsi que par une bouche à feu en oblique à la droite d'une fenêtre du 2ème étage. L'édifice du 14ème siècle se cantonnait sur la gauche de la porte, la partie droite ayant été rajoutée aux siècles suivants. Le fossé qui s’ouvre au pied des murailles n’est pas un vestige de douves. Il a été ouvert plus récemment pour drainer les eaux et assainir la construction. En bas des murs on observe le renflement sur lequel venaient ricocher au Moyen Âge les liquides bouillants et les divers projectiles jetés par les assiégés sur leurs assaillants. En prenant un peu de recul, on peut voir les trois tours, les échauguettes, le chemin de ronde sur mâchicoulis, percé alternativement de petites fenêtres carrées et de bouches à feu, qui ne se visite pas pour cause de sécurité, et les fenêtres réaménagées au cours des siècles. Au-dessus de la porte d’entrée, sculpté dans la pierre, figure le blason des Douhet d’Auzers sous une ogive.
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Nous allons dans un salon avec une cheminée monumentale au fronton de laquelle nous retrouvons le blason de la porte, cette fois coloré, ainsi que les blasons des deux familles, Bompar et Douhet, qui lui ont donné naissance. Au mur, le portrait d’un officier d’Ancien Régime est celui de Joseph d’Auzers, maire du village à la Restauration. Dans l’embrasure d’une fenêtre, une table, don de la reine Marie-Antoinette aux Vergennes, se trouve là par suite du mariage de Joseph II d’Auzers avec Marie de Vergennes. On note aussi un beau paravent de cuir et dans un petit cabinet cachée derrière un coin de la pièce, des souvenirs de Charles d’Auzers, évêque de Nevers.
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Dans une pièce voisine est exposée sous vitre la robe de baptême du duc de Bordeaux, l’enfant du miracle, qui devint plus tard le comte de Chambord, dernier prétendant légitimiste au trône de France. Dans d’autres vitrines, figurent des médailles de Napoléon. Près d’une fenêtre, se trouve également une belle table de je ne sais plus quel jeu. Le mobilier, rénové par les soins des parents du baron actuel, est dans un état remarquable.
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La silhouette fantomatique qui transparaît sur la robe du duc de Bordeaux est celle du photographe, c'est-à-dire la mienne
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Dans une autre pièce, qui devait servir de bibliothèque, de nombreux dessins et tableaux, œuvres de membres de la famille d’Auzers, révèlent un indéniable talent tout en nous offrant l’occasion de mieux connaître cette famille. Dans une vitrine, des sceaux, dont un de Louis XVI, nous ramène à l’histoire, grandiose mais aussi si souvent tragique, de notre pays. Il y a là aussi une bouteille d'une bonne année d'un grand cru, le Corton-Vergennes, qui y est depuis des années, ne sera jamais bue, et nous rappelle que la famille d'Auzers est aujourd'hui au moins aussi bourguignone qu'auvergante.

Nous gagnons ensuite une chambre meublée avec du mobilier empire offert par Napoléon 1er à Jean-Louis d’Auzers. Un buste de l’Empereur en marbre blanc y trône sur une cheminée. Une statuette du même, en uniforme, se tient au milieu d'une rangée de livres de la bibliothèque qui occupe le pan de mur, de l’autre côté du lit.
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Nous nous rendons ensuite sous la voûte qui a résisté lors de l’incendie du 15ème siècle. Nous nous trouvons dans la plus ancienne partie du château, la seule qui subsiste de la construction initiale de 1364. La salle sert aujourd’hui de réfectoire pour accueillir des groupes. Dans le fond s’ouvre une cheminée monumentale avec, à sa gauche, un petit four pour cuire et maintenir au chaud les plats (il contient actuellement un bousset!?), et, à sa droite, un lourd fauteuil destinée à l’aïeule qui venait s’asseoir au coin de l’âtre pour jouir de la chaleur du foyer. Le percement des fenêtres dans le mur nous permet d’évaluer l’épaisseur de celui-ci ; des banquettes de pierre y courent le long des trois pans de murs en forme de trapèze qui le cernent : c’est sur elles que venaient s’asseoir les dames du Moyen Âge, pour bénéficier de la lumière du jour, converser ou s'adonner à des ouvrages de broderie et de tapisserie. Contre le mur de gauche se dressent des coffres et de lourdes armoires auvergnates. Dans les coffres on entassait le gros linge à laver car les lessives étaient autrefois moins fréquentes que de nos jours. Sur le mur de droite s’étend une longue tapisserie, confectionnée par le père du baron actuel, qui retrace l’arbre généalogique de la famille, laquelle est propriétaire de ces lieux depuis plus de 600 ans ; cette tapisserie aurait d’ailleurs été achevée en 1964, pour le 6ème centenaire de la fondation du château. Un peu plus loin, notre guide nous indique un trou par lequel en jetait naguère les reliefs des repas pour les cochons.
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Nous passons ensuite dans une sorte de salle d’armes qui contient essentiellement des soldats de plomb de la guerre de 1914-1918 collectionnés par l’un des enfants de cette époque. On y remarque également une sorte de table de jeu dont j’avoue ne pas avoir percé le mystère. Une armure s’y tient debout sous une cheminée. Notre guide nous invite à soupeser un casque moyenâgeux découvert enseveli dans la terre et parvenu miraculeusement jusqu’à nous dans un état de conservation étonnant ; aucun d’entre nous ne pourrait supporter aujourd’hui sur sa tête un tel fardeau !
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Un jeu qui ne m'a pas livré ses secrets
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L’ultime visite est pour l’oratoire, un véritable joyau, dédié à Saint Jacques de Compostelle, et dont les murs sont recouverts de peintures polychromes du 16ème siècle, la première d'entre elles, si ma mémoire est bonne, située seule sur la gauche, représentant Saint François d’Assise. Cette fresque, qui court sur quatre pans de murs, est restée longtemps cachée derrière des panneaux, avant qu’on ne la découvre, assez bien conservée, à l’occasion de travaux. Dans cet oratoire, sont installés sur une table, les terriers intacts, qui ont survécu à la tourmente révolutionnaire, dans une pose qui invite à la lecture. Dans une niche, sous une jolie statuette peinte de la Vierge et de l’enfant Jésus, repose, sur une étagère de pierre, un bel ouvrage relié venant de Madame de Maintenon, veuve du poète Scarron et deuxième épouse du roi Louis XIV.
 
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Nous sortons du château par une porte qui s'ouvre en haut d'un escalier sur la façade Sud avec en perspective une prairie en pente et, au loin, le Puy Mary. De ce côté, s'élèvent les deux tours d'angle massives, celle de l'Est la plus ancienne, et celle de l'Ouest la plus récente. J'ai lu que c'est de ce côté que s'ouvraient les latrines, mais on ne nous en a pas parlé.

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