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Cette chronologie relativement détaillée est assez longue à charger. Je l'ai établie d'abord pour moi, en consultant plusieurs sources. Elle peut comporter des imprécisions ou des erreurs involontaires que je m'efforcerai de corriger chaque fois que je les découvrirai. Pour ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale, elle est élargie à un ensemble plus vaste, afin de mieux situer ce que les Russes appellent la Grande Guerre patriotique dans le contexte particulier, diplomatique, idéologique et militaire, de ce vaste conflit. |
Une définition de l'âme
russe:
Sourire avec la larme à l'oeil, prendre les choses avec fatalisme et faire face quoi qu'il arrive, afficher une grande joie de vivre tout en étant pessimiste, être généreux, notamment de son temps, et faire toujours preuve d'hospitalité, se montrer sentimental envers et contre tout... Catherine Alexeïev - Dictionnaire
insolite de la Russie - Cosmopole - 2014
La préhistoire A l'époque néolithique, un établissement humain existe à l'emplacement du Kremlin de Moscou. Au 2ème millénaire avant notre ère, une civilisation du bronze très évoluée, celle d'Andronovo, se développe en Sibérie. Les îles Solovki, dans la mer Blanche, sont habitées. Au 7ème avant notre ère, des peuplades nomades, d'origine indo-européenne, les Scythes, vivent sur les steppes eurasiennes; elles vont progressivement se diriger vers le sud de la Russie actuelle. Du 4ème au début du 2ème
millénaire avant notre ère, le monde des steppes, qui
s'étend aujourd'hui au sud de la Russie, est occupé par des
communautés d'agriculteurs sédentaires (culture de Tripoljé).
Au 2ème millénaire avant notre ère, le développement de l'élevage et la généralisation de l'emploi de la roue entraîne une évolution de l'agriculture vers le pastoralisme. Les progrès dans la domestication du cheval favorisent l'évolution vers le nomadisme équestre et guerrier au Kouban. Au 9ème siècle avant notre ère, les Cimmériens, des guerriers nomades prennent le contrôle de la région au nord de la mer Noire. Ils vont en être chassés par les Scythes qui les poussent vers le sud. Au 5ème siècle
avant notre ère, un peuple d'origine européenne, les Tashtyks,
succèdent, en Sibérie méridionale (sites de Shestaovo
et d'Oglakhti), dans le voisinage de l'actuelle Mongolie, à une
population plus ancienne, celle des Tagars. Les Tashtyks ensevelissent
leurs défunts soit dans des tombes individuelles, soit dans des
tombes collectives. Les dépouilles sont accompagnées de vêtements,
de bijoux, de statuettes d'animaux, de guerriers, de chevaux et même
de chars, pratique qui fait penser à une influence chinoise. Certaines
cadavres sont momifiés et d'autres incinérés; dans
le second cas, les cendres sont recueillies dans de petits sacs en peau
de mouton tannée placés eux-mêmes dans des figurines
humaines de taille réelle faites en cuir bourré de foin qui
tiennent l'office d'urnes. De superbes masques mortuaires artistiquement
décorés, en kaolin et poudre de gypse mêlés
à du sable, probablement directement moulés sur le visages
des défunts, ont été découverts dans leurs
sépultures. Les Tashtyks disparaissent au 4ème siècle
de notre ère, sans doute sous la pression expansionnistes des Xiongnu.
Ils sont absorbés par les peuples nomades proto-mongoles mais pourraient
être à l'origine des Kirghiz ou de divers peuples de Sibérie
méridionale: Shors, Altaïens, Téléoutes.
Aux 5ème et 4ème siècles avant notre ère, les Scythes sont établis en Ukraine et en Crimée; il sont en contact avec la civilisation grecque dont ils s'imprègnent peu à peu sans abandonner toutefois certaines de leur coutumes, notamment l'inhumation des morts, accompagnés de chevaux, de serviteurs, de bijoux et d'objets usuels divers, sous de vastes tumulus, les kourganes (la reconstitution d'une tombe scythe est ici). Les Scythes ne parviendront cependant jamais à constituer un État unifié et leurs différents clans se contenteront de liens souples de type féodal. En 514, Darius 1er entreprend une campagne
contre les nomades du nord pour les empêcher de fournir en blé
les Grecs ennemis des Perses. C'est un échec car les Scythes, refusant
le combat, entraînent les envahisseurs à l'intérieur
de leurs terres et, plus rapides qu'eux grâce à leurs chevaux
et à leur armement léger, les harcèlent et les démoralisent,
d'autant plus qu'ils ont la réputation de guerriers redoutables
et cruels.
Au 3ème siècle avant notre ère, les Scythes subissent la pression des Sarmates installés à l'est de Don. Leur puissance va se concentrer en Crimée. La ville de Néapolis, près de Simféropol, dirigée un temps par Silkour, centre d'échange important entre les contrées du nord et le monde grec, connaît une grande prospérité; les Scythes, de pasteurs nomades sont devenus des commerçants. . Dans l'Antiquité, on peut supposer que les Baltes et les Slaves constituaient une unité linguistique balto-slave. . L'époque historique Au 1er siècle de notre ère, les
Sarmates succèdent aux Scythes, du Danube au Kouban. A la fin du
siècle, Tacite note l'existence d'un peuple intermédiaire
entre les Germains et les Sarmates, les Vénètes, ancêtres
des Slaves. Les Vénètes sont sédentaires et se battent
à pied comme les Germains mais sont pillards comme les Sarmates.
Les Slaves, par leur contact avec le monde
byzantin, entrent dans l'histoire. Ils commencent à être appelés
par ce nom dont l'origine étymologique reste obscure (peuple des
marais, peuple de la parole, par opposition aux muets germaniques? Probablement
pas esclaves, les Slaves ne pratiquant pas l'esclavage). Ces peuples commencent
à se différencier en deux groupes: les Sclavènes à
l'ouest et les Antes en Moldavie, en Ukraine et probablement en Biélorussie
et dans les régions forestières du nord. Leur parenté
culturelle et linguistique est encore très forte. Les Slaves sont
des peuples sédentaires vivant de l'agriculture, dans des habitats
sommaires éparpillés au coeur de la forêt et dans les
marais. Ce sont des hommes libres qui prennent leurs décisions lors
de réunions tribales. Ils n'en sont pas moins soumis à des
chefs militaires pour diriger leurs entreprises contre leurs voisins.
7ème siècle: les Khazars, venus du nord du Caucase, refoulent les Avars vers l'ouest et dispersent les Bulgares qui s'établissent au confluent de la Volga et de la Kama, où ils fondent la Grande Bulgarie, et dans les Balkans d'où ils menacent Byzance. Les Khazars développent une brillante civilisation qui accepte toutes les religions malgré leur hostilité marquée contre les Arabes; ils favorisent les échanges commerciaux avec leurs voisins; ils sont dirigés par une dyarchie, un kagan (pouvoir spirituel) et un bek (pouvoirs administratif et militaire). 626: Constantinople est assiégée sans succès par les Avars et les Slaves. La guerre pousse les peuples slaves à se hiérarchiser tandis qu'ils se différencient. On commence à parler de Serbes, de Severs, de Croates, de Draguvites... 8ème siècle: le territoire russe est habité par diverses peuplades (Varègues, Khazars, Tchoudes, Slaves...), pour la plupart nomades, vivant en tribus. Si la situation est relativement stable à l'ouest de l'Ukraine, à l'est du Dniepr on assiste à d'importantes modifications du peuplement impliquant parfois des peuples non slaves. Des Slaves venus des régions danubiennes s'installent en Russie, parmi les populations balto-slaves, qui les assimilent facilement. Les Slaves se déplacent vers le nord jusqu'au lac Ladoga. Les Varègues prennent progressivement le contrôle des fleuves, voies de communication entre la Scandinavie et le monde méditerranéen, tandis qu'une nouvelle puissance steppique, la Khazarie, s'impose sur les marches sud-est du monde slave. 9ème siècle (date approximative): le kagan (ou le bek) des Khazars, qui a supprimé dyarchie à son profit, Bulan, ainsi que son aristocratie, se convertissent au judaïsme sans l'imposer aux populations qu'ils dominent. Les Khazars, un puissant peuple turc semi-nomade, ont fondé un État parmi les plus importants de la région à cette époque. La langue et la culture iranienne s'installent en Russie méridionale et contribuent à la formation identitaire des premières sociétés slaves. L'invention, en Bulgarie, de l'écriture cyrillique marque la naissance d'une véritable civilisation slave. Un premier noyau russe se développe entre les lacs Ladoga et Ilmen. La poussée des Varègues (commerçants
et mercenaires vikings) venus de Suède en Russie peut être
rapprochée des invasions normandes en France. Mais ces peuples
venus du nord traversaient déjà ce qui sera plus tard
l'empire russe par les routes commerciales fluviales qui menaient en Perse
et à Contantinople. Ils allaient de l'Europe du Nord à la
mer Noire et à la Caspienne en empruntant les fleuves russes, Dniepr
et Volga. La première route ouverte fut celle de la Volga qui menait
en Perse et la seconde celle du Dniepr, la route des Varègues
aux Grecs, qui menait à l'empire byzantin. Pour franchir les
périlleux rapides du Dniepr, il fallait pratiquer le portage des
navires. L'opulente cité de Constantinople, aux produits variés,
aux transactions nombreuses et lucratives, aux imposantes maisons de pierre
ceinturées de remparts, attire et étonne ces commerçants
encore frustes venus d'endroits où les habitations sont en
bois. Au passage, ils enlèvent des autochtones, notamment des enfants,
pour les vendre comme esclaves dans la florissante cité grecque.
Ils apportent à Constantinople des fourrures, de la cire, du miel
et des esclaves et importent en retour des brocarts, des bijoux et les
produits de luxe de l'artisanat byzantin. Ils sont redoutés, mais
peuvent aussi servir de protecteurs contre d'autres menaces. C'est dans
ce contexte que les Slaves font appel aux Varègues pour mettre fin
à leurs dissensions internes, et obtenir leur protection, d'où
le nom de ces guerriers qui signifirait mercenaires, comme on l'a dit plus
haut. Ils se soumettent à eux dans l'espoir de mettre fin au désordre
qui les divise est aux incursions de leurs ennemis. Les Varègues
se fondent progressivement dans l'ensemble slave de sorte qu'il serait
très exagéré de considérer la civilisation
russe comme d'origine exclusivement nordique. L'apport à cette civilisation
des peuples nomades du sud-est ne saurait être négligé.
Les Rurikides Au 9ème siècle, apparaissent des principautés dont la plus importante sera un temps celle de Kiev, la Rus', dont l'origine étymologique est incertaine; on a pensé autrefois que ce nom était celui d'une tribu varègue, appelée aussi parfois Ruthénie, mais ce point de vue est aujourd'hui contesté. On dit aussi que Rus' viendrait de la couleur rousse de la chevelure des Vikings et le mot drakkar (dragon en langue nordique) du fait que leurs bateaux étaient ornés en proue de la représentation d'un dragon, ou encore qu'il découlerait du nom rameur. La principauté est gouvernée par les Rurikides, du nom de Rurik, le premier prince de la dynastie, un homme d'origine varègue ou slave selon les sources, dans le cadre d'un régime de type féodal. Il aurait été appelé comme prince par la ville de Ladoga, sur la rivière Volkhov, au début des routes qui mènent à Byzance et en Perse. Il aurait construit sa résidence à part de Ladoga, sur une éminence. Plus tard, une ville s'élève à proximité, qui supplante rapidement Ladoga la ville nouvelle, Novgorod. C'est là que naîtront, au 10ème siècles, les bylines, sortes de chansons de geste russes, mi légendaires, mi historiques, qui seront compilées et mises par écrit au 17ème siècle, et disparaîtront au début du 20ème siècle. La Russie de Kiev 856 (date controversée): les Slaves Polianes de la région de Kiev se soumettent au chef scandinave Askold (un voïvode, c'est-à-dire un gouverneur militaire de Rurik?) pour qu'il les aide à repousser les Khazars qui leur imposent le paiement d'un tribut, comme aux autres peuplades slaves qui les entourent, à l'exception des Drevlianes. Le 18 juin 860, une flotte de 200 navires venant de la Rus' entrent dans le Bosphore et pillent les faubourgs de Tsarigrad (la ville de César), c'est-à-dire Constantinople pendant l'absence de l'empereur qui guerroie contre les musulmans en Anatolie. Les assaillants incendient les maisons et massacrent les habitants. Le patriarche Photios organise la résistance mais il est dépourvu de moyens militaires et il ne peut guère que prier la Vierge Marie. Heureusement, les portes de la cité sont solides et les remparts dissuasifs. Les envahisseurs reprennent donc la mer et se rendent dans les îles des Princes où est exilé l'ancien patriarche Ignace. Ils s'y livrent au pillage et au meurtre en tuant notamment une vingtaine de serviteurs du patriarche qu'ils emmènent captifs sur leurs bateaux où ils les coupent en morceaux à coups de hache. Puis ils disparaissent sans que la raison de leur retraite soit réellement connue. On parle du retour de l'empereur et d'une providentielle tempête qui les aurait décimés derrière laquelle on voit évidemment se profiler l'intervention divine : il aurait suffi de plonger un bout du voile de la Vierge dans l'eau de la mer pour que celle-ci se courrouce et détruise la flotte barbare! Les historiens modernes penchent plutôt pour une version plus prosaïque : gorgés de butin et de sang, ils auraient tout simplement décidé de rentrer chez eux! A leur retour de l'expédition Askold et Dir, qui la commandaient, s'installent à Kiev.867: Kiev se convertit temporairement au christianisme sous l'influence de Constantinople. Les prêtres grecs, sollicités par les barbares de prouver par des miracles la puissance de leur Dieu auraient jeté au feu un livre sacré et celui-ci, une fois les flammes éteintes, aurait été retrouvé intact.860 (ou 862)-879 (ou 874): Règne
de Rurik, prince de Novgorod
Il existe plusieurs versions de la vie de Rurik (Riourik ou Riurik), personnage historique à demi légendaire, dont les origines sont incertaines. Avant de s'établir sur les bords de la Baltique, on dit qu'il aurait monté des expéditions de piraterie contre la France et l'Angleterre. Installé au pouvoir à Ladoga, puis Novgorod, en 862, à la demande, dit-on des habitants, pour lutter contre les Tchoudes, les Slovènes et les Krivitches qui les menaçaient, Rurik entreprend l'unification des populations russes du nord et de l'est. Mais il doit briser une insurrection de ceux qui l'ont appelé quatre ans après son arrivée. De plus, il sent son pouvoir menacé par l'expédition d'Askold et Dir à Constantinople et soupçonne ceux-ci de vouloir s'émanciper. Mais son âge avancé ne lui permet pas de réagir. Il meurt à Novgorod où son corps est brûlé selon les rites païens. Pendant l'enfance d'Igor, fils présumé de Rurik, âgé de 9 ans lors de son décès, Oleg, que l'on pense cousin de Rurik, lequel l'a désigné pour lui succéder, assure la régence. 879-912: Règne d'Oleg le Sage, grand-prince de Kiev 882-980: période de formation de la puissance de Kiev 882: Oleg, prince de Novgorod, descend le Dniepr
et s'empare de Smolensk; il continue jusqu'à Kiev où, déguisé
en marchand, il attire à l'extérieur les seigneurs de la
cité, Askold et Dir, et les tue sous le prétexte qu'ils
ne sont pas des princes, consommant ainsi les premiers meurtres fondateurs
de l'État russe. Les Slaves de l'ouest conquis, après la
soumission de ceux du nord et de l'est, Kiev devient la capitale de la
nouvelle entité politique formée par les marchands scandinaves
pour contrôler la fameuse route fluviale des Varègues aux
Grecs. Le premier noyau de l'Etat russe vient d'être créé,
et Kiev restera jusqu'à nos jours, dans l'imaginaire russe, la "mère"
de toutes les villes russes.
Oleg est un personnage historique : son nom et ses actions sont relatés dans les archives byzantines. La légende rapporte sa mort d'une étrange façon. Un mage lui aurait prédit qu'il périrait par son cheval. Avant de partir en campagne, il laissa donc son cheval de guerre habituel à l'écurie et en prit un autre. Lorsqu'il revint, le premier cheval était mort. Il se moqua du mage et voulut voir les restes de l'animal dont ne subsistaient plus que les os. Il porta l'un de ses pieds sur le crâne, comme pour l'écraser. C'est alors qu'un serpent sortit de l'une des orbites vides, lui mordit la jambe, et la prédiction du mage s'accomplit. A sa mort, il laisse un État qui est déjà le plus vaste d'Europe, par conquêtes successives des terres slaves, souvent au détriment des Khazars. Deux villes revendiquent la possession de sa colline funéraire : Kiev et Novgorod. Mais est-il vraiment mort? Ne dit-on pas qu'il a tout simplement pris la mer! Les princes de Kiev instaurent des relations fructueuses avec Byzance et élargissent leur empire au détriment de leurs voisins Bulgares, Khazars et Pétchénègues, qui se livrent à des incursions meurtrières contre leurs possessions. Les règles de succession de ces princes ne sont pas bien établies; elles obéissent à la coutume plus qu'à un droit clairement défini. Souvent, le frère cadet succède à son aîné, le neveu à l'oncle ou le cousin au cousin. Il arrive aussi que les fils se partagent les terres du prince défunt. De ces imprécisions résultent de fréquentes querelles dynastiques. 912-945: Règne d'Igor II, grand-prince de Kiev Igor serait le fils de Rurik et le gendre d'Oleg le Sage, mais ces informations ne sont pas certaines. Pendant les campagnes d'Oleg, c'est lui qui le remlace à Kiev. Igor poursuit la politique de son prédécesseur et tente d'agrandir ses possessions en direction de la Caspienne, mais il essuie un échec contre les Khazars. 915: sur la steppe apparaissent des guerriers turcs à cheval qui molestent et pillent leurs voisins; ce sont les Petchénègues, venus d'Asie centrale, qui menacent la route des Varègues aux Grecs. 941: Igor s'en prend à nouveau à
Constantinople; sa flotte est repoussée par les feux grégeois.
945: Igor signe la paix avec les Petchénègues.
Il lève tribut par trois fois sur les Drevlianes (Drevliens), un
peuple slave (Drevliens), belliqueux et pillard, dont on dit
qu'il ne paya jamais tribut aux Khazars; la troisième fois est de
trop : les Drevlianes sortent furieux de leur cité (Iskorosten).
Igor est fait prisonnier, on l'attache à un tronc d'arbre et on
le fend en deux tandis que sa troupe est massacrée.
945-964: Règne d'Olga, régente pour son fils Sviatoslav Olga, veuve d'Igor, devient régente et, selon des textes plus ou moins légendaires, son premier objectif est la vengeance de la mort de son mari. Le chef des Drevlianes (Drevliens) ayant tué le prince, de Kiev, il devient, selon les moeurs de l'époque, le propriétaire de tous ses biens, épouse comprise. Une ambassade est donc envoyée auprès d'Olga pour l'engager à convoler avec l'assassin de son défunt mari. Elle fait dire aux ambassadeurs qu'elle les recevra le lendemain pour les honorer publiquement et qu'ils retournent en attendant dormir dans leur bateau. Ce que ne savent pas les envoyés drevliens, c'est qu'un Varègue ne s'étend jamais dans son bateau avant sa mort! Elle ordonne alors de creuser un grand trou dans sa cour. Puis de solides gaillards en nombre suffisant vont jusqu'au bateau, le soulèvent le plus délicatement possible, et l'amènent jusqu'au trou au fond duquel ils le précipitent sans ménagement. Les Drevliens réveillés y sont enterrés vivants malgré leurs cris et leurs supplications. Puis elle imagine un plan machiavélique; elle accepte le mariage à condition d'être accompagnée dans son voyage par les plus sages et les plus forts des Drevliens. A l'arrivée de ces derniers, Olga les accueille courtoisement et les invite à procéder à leurs ablutions et à se reposer dans les thermes; une fois les Drevliens à l'intérieur de l'édifice, elle ferme les portes et y met le feu; ses plus valeureux ennemis périssent carbonisés! Mais sa soif de vengeance n'est pas encore assouvie. Les cendres des valeureux Drevliens sont encore chaudes qu'elle demande à leur chef l'autorisation de venir honorer son mari défunt là où il a trouvé la mort. Elle obtient l'autorisation et vient avec son armée. D'abondantes libations sont échangées avec les Drevliens. Une fois ces derniers ivres, elle fait massacrer par ses soldats 5 000 Drevliens! Puis elle va assiéger leur cité; les assiégés se défendent bien et leurs murs sont solides; elle comprend qu'elle n'en viendra jamais à bout; elle feint alors la générosité et leur annonce que, pour ne pas les ruiner, elle lèvera le siège si un pigeon et un moineau lui sont livrés par maison; ce tribut payé, une fois la nuit venue, elle ordonne d'attacher des brandons enflammés aux pieds des oiseaux et de les relâcher; ceux-ci regagnent qui leur pigeonnier, qui leur dessous de toit, et la cité devient la proie d'un immense brasier! 947: Olga s'occupe de l'administration de la
principauté et de la collecte des impôts. Elle découpe
la Rus' en circonscriptions fiscales et inaugure un système
de perception qui durera des siècles.
964: la régence d'Olga cesse, mais elle continue d'administrer le pays, son fils étant souvent absent pour guerroyer. Morte en 969, Olga deviendra la première sainte russe et elle sera une sainte catholique aussi bien qu'orthodoxe. 964-972: Règne de Sviatoslav 1er, grand-prince de Kiev 964: Sviatoslav entre en guerre contre les
Khazars dont les activités commerciales concurrencent celles de
Kiev. Les Khazars sont sur la Volga ce que sont les Kievins sur le Dniepr.
Les deux fils légitimes de Sviatoslav se partagent la principauté : Iarolpok l'aîné reçoit Kiev et son cadet Oleg obtient les territoires conquis sur les Drevlianes. Vladimir est à Novgorod. 972-980: Règne de Iaropolk 1er, grand-prince de Kiev 976: les Kiéviens chassant sur les terres
des Drevlianes, la guerre éclate entre Iaropolk et son frère
cadet Oleg. Selon les chroniques, ce dernier, battu, s'enfuit avec son
armée pour se réfugier dans une forteresse. Le tumulte et
la presse sont si grands qu'il est précipité d'un pont dans
les douves où il se noie. Selon la tradition varègue, Vladimir,
frère du prince défunt, doit le venger en tuant son meurtrier,
Iarolpok, son autre frère!
980-1054: période d'apogée de la puissance de Kiev 980-1015:
Règne de Vladimir 1er le Grand ou Soleil Rouge (Beau), prince de
Novgorod puis grand-prince de Kiev
L'arrivée au pouvoir de Vladimir 1er est donc le résultat d'un violent conflit intérieur qui l'oppose à son demi-frère Iarolpok. En l'absence d'un ordre successoral clair, les changements de règne débouchent sur des guerres civiles. Le nouveau prince combat les Viatitches, des Slaves des bassins de l'Oka et de la Moskova, les Polonais, les Lituaniens et les Bulgares de la Volga (musulmans). Vladimir s'adonna d'abord à une vie de plaisir. Aimant les femmes, on prétend qu'il en posséda près de 800 de différents peuples et tribus. Il organisait à Kiev de grands festins. 981: Vladimir assoit son pouvoir sur des conquêtes militaires. Il porte la guerre à l'ouest contre les Polonais et les Prussiens. Il agrandit sa principauté en cercle concentrique autour de sa capitale selon un dessein qui semble pémédité et nomme à la tête de ses conquêtes ses meilleurs voïvodes. Il entreprend d'unifier sous son sceptre les tribus slaves en mettant en avant le culte de Peroun, une divinité commune au monde slave. Il en devient le grand prêtre afin de se doter d'un caractère sacré. Il célèbre la divinité par de nombreuses cérémonies accompagnées des sacrifices humains. C'est un échec, car les autres chefs de tribus peuvent aussi se réclamer de la même divinité. Cependant, autour de la Rus', le paganisme
est en voie de disparition et le prince de Kiev pense à se tourner
vers d'autres religions (catholicisme de Rome, christianisme de Byzance,
islam des Bulgares de la Volga, judaïsme des Khazars. Il fait venir
des sages de toutes ces confessions afin de s'informer sur chacune d'entre
elles. Sur les conseils de ses proches, il envoie des émissaires
dans les pays concernés pour étudier comment elles y sont
pratiquées. En fait, il a déjà éliminé
le catholicisme de Rome, pour n'avoir pas à se soumettre au pape,
l'islam pour continuer à boire de l'alcool et manger du porc, le
judaïsme parce que leur dieu a privé les Juifs de leur patrie.
En réalité, ce ne sont là que des prétextes.
Les desseins politiques de Vladimir l'obligent à tourner sans cesse
ses regards vers Byzance, l'empire le plus ancien et le plus riche du monde
qu'il connat.
990: Vladimir épouse la princesse Anne malgré la répugnance de cette dernière à quitter les jardins parfumés du Bosphore pour les froides steppes du Nord et la couche d'un barbare. La nouvelle religion, que le prince de Kiev impose à son peuple par une sorte de baptême collectif, lui offre l'opportunité de relancer l'unification des tribus slaves, sous la bannière d'un dieu dont ne peuvent pas se réclamer les autres chefs. Peroun et les anciennes divinités chamanistes sont jetées dans le Dniepr. De nombreux habitants de la principauté adoptent la nouvelle religion; il est vrai que Vladimir a clairement dit que ceux qui s'y refuseraient seraient considérés comme ses ennemis. D'autres peuples se convertissent également et entrent dans l'alliance de Kiev. Ce mariage est la plus grande victoire de Vladimir qui entre dans la famille dirigeante d'un empire millénaire ce qui fait de lui l'un des principaux potentats européens. Sa conversion fait l'objet de plusieurs récits différents. Il existe une version apologétique. Selon elle, Vladimir serait tombé aveugle juste avant son mariage et la compassion de sa nouvelle épouse, la princesse Anne, qu'il ne pouvait voir, aurait introduit en son coeur et en sa pensée des sentiments jusqu'alors inconnus de lui; son baptème lui aurait rendu la vue. Désormais, il serait devenu un autre homme, entièrement soumis aux enseignements du Christ. Il aurait renoncé aux plaisirs et à la luxure. Il aurait renvoyé ses concubines après les avoir mariées. Il aurait invité à sa table les pauvres de son empire et envoyé de la nourriture à ceux qui ne pouvaient pas venir participer à ces agapes. Il aurait même aboli la peine de mort, mais les prêtres, l'auraient incité à la rétablir pour assurer le maintien de la paix civile et de la stabilité intérieure. On peut voir dans le recouvrement de la vue du prince le symbole de la lumière divine apportée à la Rus' par sa conversion. Dans les poèmes épiques russes et les bylines, Vladimir 1er, le Beau Soleil, tient le même rôle que le roi Arthur dans les légendes celtes. Il est considéré comme le fondateur de la Sainte Russie et sera canonisé, malgré sa tumultueuse vie passée. Rien ne réjouit mieux le Créateur que le mécréant qui retrouve le droit chemin! Au moment de l'invasion mongole, il deviendra le symbole de l'unité de la Russie. Catherine II instituera en son honneur l'ordre de Saint-Vladimir. 997: Vladimir s'emploie à mettre en place à Kiev une société chrétienne. Il fait construire la cathédrale de la Dîme dédiée à la mère de Dieu. Conscient des dangers que représente la présence des Petchénègues, il fortifie Kiev, ainsi que le cours des rivières et élabore une stratégie de défense de la Rus' contre les peuples des steppes. Mais il n'établit pas de règles de succession précises et se contente de placer ses nombreux fils à la tête des principales villes du pays: Novgorod, Polotsk, Turov, Rostov, Tmutorokan. 1007: Vladimir transfert la dépouille mortelle d'Olga en la cathédrale de la Dîme. Les chroniques disent que le corps de la sainte, miraculeusement conservé, n'était pas corrompu. Son fils Iaroslav de Novgorod, ayant décidé de devenir indépendant, refuse de payer tribut. Vladimir marche contre lui. Il meurt à Berestov, le 15 juillet 1015. Compte tenu des moments politiquement difficiles que traverse alors la Rus', le corps de Vladimir est ramené à Kiev dans la cathédrale de la Dîme où ses obsèques sont célébrés en catimini. 1015-1016 puis 1017-1019: Règne
de Sviatopolk 1er le Maudit, grand-prince de Kiev
Sviatopolk est le fils d'Iaropolk 1er. A la disparition de Vladimir 1er, il tente de récupère l'héritage de son père en faisant mettre à mort ses cousins, Boris et Gleb, les fils de Vladimir, qui seront canonisés, en 1072, et deviendront des symboles du Souffre-passion qui accepte de subir un destin tragique pour son salut et le bien de tous. 1016: vaincu, par Iarolsav le Sage, prince
de Novgorod, autre fils de Vladimir, Sviatopolk se réfugie en Pologne
auprès de son beau-père, Boleslav le Vaillant.
1016-1017 puis 1019-1054: Règne de Iaroslav 1er le Sage, prince de Novgorod puis grand-prince de Kiev 1032: début de la construction de Sainte-Sophie
(voir ci-après).
Sous Vladimir le Grand et Iaroslav le Sage, la principauté de Kiev atteint son apogée. Grand bâtisseur et législateur, Iaroslav le Sage porte la principauté de Kiev à son plus haut degré de prospérité et de puissance. Il protège les lettres et les arts et fait construire Sainte-Sophie, une cathédrale aux multiples coupoles, qui ne devait pas avoir de rivale, où le jour tombait de hautes fenêtres percées dans le tambour des coupoles, innovation technique découlant de l'idée selon laquelle la lumière divine envahissant le sanctuaire transfigure les croyants (théologie orthodoxe de la lumière). Sainte-Sophie de Kiev, inspirée de son homonyme de Constantinople, devint le modèle des églises orthodoxes, la "mère" de toutes les églises russes, comme Kiev est la "mère" de toutes les villes russes. L'édifice est conçu selon un plan carré qui symbolise la terre, surmonté d'une coupole ronde, représentant le ciel, soutenu par quatre piliers pour les quatre coins du monde. Les coupoles à bulbes ou à heaume ont les significations suivantes: une seule symbolise Dieu, trois la Trinité, cinq le Christ et les quatre évangélistes, sept les sacrements de l'Eglise, treize Jésus et les douze apôtres. Les couleurs ont également une signification précise: l'or symbolise la gloire de Dieu; il est réservé aux édifices dédiés au Christ et aux douze grandes fêtes - le bleu étoilé revient aux édifices consacrés à la Vierge, et le vert à ceux du Saint-Esprit.L'intérieur, dépourvu de statues, est décoré de mosaïques et d'icônes. Le décor, conçu comme un livre, se lit de haut en bas. La partie est de l'église (choeur et abside) symbolise le Christ lumière du monde et la Terre sainte. L'ouest symbolise le crépuscule: c'est le lieu du narthex où se tiennent repentants et catéchumènes. La coupole comporte en son centre un Christ Pantocrator (tout-puissant). L'iconostase, porte d'entrée vers le monde divin cloison de pierre ou de bois, sépare les fidèles du clergé célébrant et comprend généralement cinq rangées d'icônes, les deux premières consacrées à l'Ancien Testament, la troisième aux douze fêtes liturgiques, la quatrième à une Déisis dans laquelle le Christ, la Vierge et Saint-Jean Baptiste sont entourés d'anges, d'apôtre, de martyrs, la cinquième est consacrée aux saints auxquels est consacrée l'église. La croix orthodoxe possède huit branches. Son axe vertical est barré de trois branches; la plus longues, celle du milieu, est réservée aux bras étendus du crucifié; celle du haut porte l'inscription du motif de la peine imposée par Ponce Pilate; la branche du bas sert d'appui aux pieds qui ne sont pas cloués, l'une de ses extrémités est surélevée pour indiquer le ciel où est le bon larron. Un crâne se trouve parfois sous la croix; c'est celui d'Adam, supposé avoir été enterré à l'endroit de la crucifixion. Certaines croix ont aussi à leur base une demi-lune qui représent l'ancre de la Foi dans un monde païen. Iaroslav le Sage promeut un code de
lois : "la vérité russe" qui substitue à la loi du
talion une amende pécuniaire dont le montant varie en fonction du
statut social de la victime ou de son maître. Il obtient de Byzance
que Kiev devienne le siège d'un métropolite ruthène.
Il entreprend de mener une politique matrimoniale active en alliant ses
enfants aux principales familles d'Europe; sa fille Anne, épouse
le roi de France Henri 1er, sa seconde fille épouse le roi de Hongrie
et la troisième le roi de Norvège; lui-même a épousé
la fille du roi de Suède, ce qui lui a valu en dot la Carélie,
sans parler des autres membres de la famille qui se sont alliés
à des familles princières européennes. Les monarques
recherchent l'alliance avec la puissante principauté de Kiev. Mais
son chef laisse douze fils qui vont se disputer la succession et morceler
l'héritage.
1054-1068 puis 1069-1073: Règne d'Iziaslav 1er, grand-prince de Kiev 1054: l'Église de Constantinople rompt avec celle de Rome: l'orthodoxie voit le jour. Au cours des années 1060, les Coumans, des Turcs kipchaks venus de Sibérie et du Kazakhstan, participent aux querelles qui divisent les princes de la Rus', menacent Kiev et ravagent la partie méridionale du pays. En 1067, commence la guerre civile qui oppose le petit-fils de Vladimir le Beau Soleil aux fils de Iaroslav le Sage. Iziaslav 1er est le fils de Iaroslav le Sage et D'Ingeborg de Suède. En 1068, il est chassé du pouvoir par les Kiévains mécontents qui portent au pouvoir Vseslas un petit-fils de Iaroslav le Sage et d'une autre de ses épouses. L'année suivante, Iziaslav remonte sur le trône qu'il perd à nouveau en 1073, à l'issue d'une guerre malheureuse contre ses frères Sviatoslav II et Vsevolod 1er. Il se réfugie en Pologne, puis dans le Saint-Empire romain germanique d'où, n'obtenant pas l'appui de l'empereur Henri IV, il se tourne vers le pape qui écrits deux brefs d'admonestation au roi de Pologne et à Sviatoslav de Kiev. C'est l'époque du morcellement féodal. Le pouvoir de Kiev s'effrite pour ne plus devenir que nominal sur des pricipautés qui s'émancipent. 1073-1076: Règne de Sviatoslav II, prince de Tchernigov puis grand-prince de Kiev Sviatoslav II est fils de Iaroslav le Sage et d'Ingeborg de Suède. Il monte sur le trône de Kiev après la seconde déposition de son frère Iziaslav et meurt deux ans plus tard d'un ulcère "qui se déchire". 1076-1078: Nouveau règne d'Iziaslav 1er, grand-prince de Kiev Sviatoslav II étant décédé, Vsevolod 1er aide Iziaslav 1er à remonter sur le trône. Il meurt au combat en 1078. 1078-1093: Règne de Vsevolod 1er, prince de Pereiaslav, Rostov et Souzdal puis grand-prince de Kiev Frère des deux précédents princes de Kiev, Vsevolod, prince de Pereiaslav, rencontre à plusieurs reprises des difficultés avec les Polovtses, un peuple nomade turc et païen. En 1046, il épouse Anna dite Zoé ou Irène, fille de l'empereur Constantin IX Monomaque, avec qui il a un fils: Vladimir Monomaque. En 1073, il se soulève contre son frère Iziaslav 1er en alliance avec son autre frère Sviatoslav II qu'il aide à monter sur le trône de Kiev. En compensation, ce dernier lui cède sa principauté de Tchernigov. A la mort de Sviatoslav II, Vsevolod se réconcilie avec Iziaslav qui retrouve son trône. A la mort de ce dernier, Vsevolod lui succède. Le déclin de Kiev s'amorce en raison des menaces que font peser les nomades de l'est et du sud-est sur l'axe commercial qui relie la Baltique à la mer Noire. De plus, l'immensité du territoire russe favorise l'émergence de centres de pouvoir autonomes. Au cours du 11ème siècle est
introduite, dans le monastère des grottes de Kiev, puis par Saint
Serge de Radonège, la doctrine de l'hésychasme,
venue des ermites du désert, qui prône le silence, la méditation
et la prière pour percevoir la présence sensible de Dieu.
Cette doctrine réapparaîtra au cours des siècles en
Russie et on en retrouve une expression littéraire dans le starets
(sorte de guide spirituel) Zosime des Frères Karamazov de Dostoïevski.
Serge de Radonège est l'un des saints les plus vénérés
de la Russie.
Sviatopolk II est un fils d'Iziaslav 1er et d'une inconnue (Gertrude de Pologne ou une esclave?). Il est baptisé du nom chrétien de Michel. Il étouffe les discordes intestines et repousse les Turcs. 1093: au Congrès de Ljubetch, les princes
adoptent le principe de la succession dynastique de père en fils
qui remplace l'ancien principe de frère aîné à
frère cadet, lequel reste toutefois en vigueur pour le trône
de Kiev, bien commun de tous.
1113-1125: Règne de Vladimir II Monomaque, prince de Tchernigov puis grand-prince de Kiev Vladimir II est le fils de Vsevolod 1er et d'Anna, fille de l'empereur de Byzance Constantin IX. Il reçoit de son grand-père une partie du costume impérial, notamment la fameuse chapka de Monomaque. Organisateur, administrateur, soldat et négociateur remarquable il joue un rôle important, avant de monter sur le trône de Kiev, pour mettre fin aux luttes intestines et pour défendre les principautés russes contre les peuples de la steppe d'origine turque (Petchenègues et Coumans). Il succède à son cousin Sviatopolk. L'empereur byzantin Alexis Comnène recherche son amitié et lui envoie les insignes impériaux de Constantin IX, son grand-père. Son nom de baptême chrétien est Vassili ou Basileios. Vladimir Monomaque laisse à ses successeurs un ouvrage dans lequel il a réuni des conseils politiques et moraux: Les Enseignements de Monomaque et il leur lègue une grande réputation. Mais cela ne suffira pas à enrayer le déclin de Kiev. 1125-1132: Règne de Mstislav 1er Harald, prince de Novgorod puis grand-prince de Kiev Mstislav 1er est le fils de Vladimir II et de Gytha (Edith), fille du roi saxon Harold II d'Angleterre. C'est pourquoi on le surnomma Harald. 1132-1139: Règne de Iaropolk II le Bienfaisant, grand-prince de Kiev Quatrième fils de Vladimir II et de Gytha d'Angleterre, Iaropolk II accède au trône sans contestation. Il tente d'imposer son pouvoir à Novgorod mais, fait prisonnier au cours d'une partie de chasse par un noble polonais, il est emprisonné à Cracovie. Libéré après versement d'une rançon, il doit lutter contre les princes de Tchernigov et est contraint de leur abandonner la principauté de Pereiaslav. En 1135, il résiste à une tentative des Coumans sur Kiev. En 1136, Novgorod profite de l'état d'anarchie dans lequel est plongé la Rus' pour imposer à son prince les conditions fixées par une assemblée populaire, la vetche. 1139, puis 1149-1154: Règne de Viatcheslav 1er, grand-prince de Kiev Cinquième fils de Vladimir II et de Gytha d'Angleterre, Viatcheslav 1er, un homme faible et mou, est chassé de Kiev au bout de quelques semaines par Vsevolod II Olegovitch. En 1149, son neveu Iziaslav II, fils de Mstislav 1er, lui demande de régner conjointement avec lui comme étant le plus ancien de ses oncles issus de Vladimir II. En 1154, il partage encore le trône avec Rostislav 1er, un frère de Iziaslav 1er, prince de Smolensk. Après sa mort, en 1154, les Kiévains offrent le trône à Iziaslav Davidovitch descendant de Sviatoslav II, une dynastie rivale de celle de Vladimir II Monomaque. Une période de troubles internes précipite le déclin de la principauté de Kiev dont la prédominance est contestée par l'émergence de principautés rivales dont les plus importantes seront celles de Vladimir, de Novogorod, de Moscou, de Rostov, de Souzdal, de Iaroslav, de Pereslavl-Zalesski, d'Ouglitch... Sur les fertiles terres noires du nord-est de Moscou, entre la Volga et la Kliazma, vont se développer, du 12ème au 17ème siècle, des cités princières brillantes qui se couvriront de riches édifices religieux. L'essor de ce que l'on appellera l'Anneau d'Or de Russie sera facilité par le fait que les envahisseurs mongols ne séjourneront pas longtemps sur son territoire privé de steppe. 1139-1146: Règne de Vsevolod II Olgovitch, prince de Tchernigov puis grand-prince de Kiev Vsevolod II est le fils du prince Oleg Sviatoslavitch, prince de Novgorod, petit-fils de Iaroslav le Sage. Igor II, troisième fils d'Oleg Sviatoslavitch, succède à son frère Vsevolod et est détrôné six semaines plus tard par Iziaslav II qui règne à Kiev de 1146 à 1154 (conjointement avec son oncle de 1149 à 1154), non sans être chassé par trois fois du trône et s'y faire rétablir par les Polonais et les Hongrois. 1149-1150 puis 1155-1157: Règne de Iouri Dolgorouki, Long Bras (ainsi nommé en raison de sa propension à s'emparer des terres des autres) Iouri Dolgorouki, fils de Vladimir II Monomaque, prince de Rostov-Souzdal, oncle de Iziaslav II, mène une politique active de renforcement de sa principauté en la protégeant contre ses voisins par la construction d'un réseau de forteresses qui préfigure l'Anneau d'Or. En 1147, il tue le boyard Stepan Koutchka, dont les terres, à l'emplacement de Moscou lui plaisent, avant de marier sa fille au fils de la victime; il ordonne en 1156 la construction d'une ville à l'endroit acquis par le meurtre. Il règne par conquête sur Kiev de 1149 à 1151, date à laquelle il en est chassé; en 1154, il occupe à nouveau Kiev, avec l'accord de Rostislav 1er, fils de Mstislav 1er, et de Christine de Suède, qui a succédé à son frère Iziaslav II et a été aussitôt détrôné par son petit neveu, Iziaslav III, fils du prince David de Smolensk. Iouri Dolgorouki règne sur Kiev de 1155 à 1157, époque à laquelle il meurt d'indigestion à la suite d'une gigantesque beuverie; il reste dans l'histoire comme le fondateur de Moscou qui n'est encore, au 12ème siècle, qu'une modeste bourgade où se rencontrent les princes Dolgorouki et Olgovitch (de Novgorod) pour festoyer; Moscou s'élève au confluent des rivières Moskova et Neglinnaïa et ses cinq hectares de superficie sont protégés par une simple enceinte de bois. 1157-1168: Règne de Rostislav 1er, puis 1168-1169: Mstislav II le Brave, puis 1169-1174: André 1er Bogolioubski La principauté de Kiev échoie à Mstislav II le Brave qui, préférant vivre à Vladimir, la donne à son oncle Rostislav 1er, puis la gouverne avec lui, avant de la gouverner seul à la mort de celui-ci, et d'être exilé en Volhynie, après 1169, date à laquelle les troupes d'André Bogolioubski (ou Bogolioubov), prince de Vladimir, Rostov et Souzdal, fils de Iouri Dolgorouki, s'emparent de Kiev et la saccagent. En 1157, André Bogolioubski, qui guignait déjà Kiev, s'était consolé de la préférence accordée à Mstislav en prenant le titre de grand-prince de la Russie Blanche, sans perdre l'espoir de placer un jour sous son sceptre la Russie Rouge, celle de Kiev; c'est désormais chose faite. André 1er Bogolioubski meurt assassiné par le boyard Iakim Koutchkov en 1174. Sa conquête par André Bogolioubski, en 1169, met fin à la suprématie de la principauté de Kiev. Mais Kiev n'en demeure pas moins, dans l'imaginaire collectif, la mère des cités russes et son souvenir sera récupéré au cours du temps aussi bien par les nationalistes ukrainiens que par les nationalistes russes. La Russie de Vladimir Vladimir devient la principale principauté de Russie et gagne en puissance au détriment des autres. André Bogolioubski y entreprend un vaste programme architectural. La construction de la cathédrale de la Dormition y est réalisée de 1158 à 1161; elle est destinée à abriter l'icône de la Mère de Dieu de Vladimir, supposée peinte pendant la vie de la Vierge, sur un morceau de la table où Marie, Joseph et le Christ prenaient leur repas; cette icône légendaire accomplit des miracles et les princes partant guerroyer l'emportent avec eux pour galvaniser leurs troupes. 1175: Iaropolk, puis 1175-1176: Michel 1er, puis 1176-1212: Vsevolod III Grand Nid Vsevolod III, exilé avec sa mère à Constantinople, par son frère, André Bogolioubski, rentre à la mort de ce dernier; il aide son autre frère Michel 1er Iourevitch à triompher de son neveu, l'usurpateur Iaropolk Vladimirski. Michel 1er Iourevitch, règne sur Vladimir en 1175-1176 et laisse le souvenir d'une grande moralité. Vesevolod III Vladimirski, surnommé le Grand Nid, en raison de ses nombreux enfants, succède à son frère Michel avec le titre de grand-prince de Vladimir consacrant ainsi la perte de prédominance de la grande principauté de Kiev; il combat la principauté de Riazan et les Bulgares de la Volga et règne jusqu'en 1212. 1199: l'union des principautés de Galicie et de Volhynie consacre l'émergence d'un nouvel État slave puissant au sud-ouest de la Russie. La disparition de Vsevolod III inaugure une période de troubles de 5 ans en raison des querelles opposant ses enfants. Constantin Vladimirski, fils aîné de Vsevolod III, avec l'appui des boyards, exile à Rostov son frère Iouri II, qui avait été choisi par leur père pour régner. A la mort de Constantin, Iouri II revient; il bat définitivement les Bulgares de la Volga et installe son frère Iaroslav à Novgorod; mais les nuages s'accumulent à l'horizon; il faut lutter contre les Lituaniens, faire face à des guerres civiles et aux famines et, surtout, les Mongols arrivent à l'est. Les dissenssions qui agitent la Russie favorisent la pénétration mongole sur les terres russes. L'invasion mongole 1219: les Mongols pénètrent en
Asie centrale où ils détruisent les cités de Boukhara,
Samarcande, Hérat et Ghazni avant de suivre le pourtour de la Caspienne
en direction du Caucase.
A la mort de Gengis khan, l'empire mongol se divise en principautés (oulous) attribuées à ses héritiers. L'unité de l'ensemble est apparemment maintenu par l'appartenance à une même famille mais, en fait, les principautés évoluent vers des khanats indépendants. 1236: Alexandre Nevsky est prince de Novgorod.
Novgorod est une grande cité commerçante indépendante
régie par une assemblée des habitants (sauf les femmes, les
mineurs et les serfs), le vetché, qui débat des questions
politiques, déclare la guerre, signe la paix, élit le magistrat
de la ville qui exerce les pouvoirs administratif et judiciaire; le magistrat
est aidé par un chef de la milice élu; les affaires extérieures
et la caisse du Trésor sont entre les mains d'un archevêque
également élu par le vetché. Novgorod gagne
en puissance parallèlement à l'affaiblissement de Kiev. Son
artisanat est réputé et sa population cultivée, comme
l'attestent les nombreux manuscrits en écorce de bouleau découverts
sur le site de la ville.
En décembre 1237, les Mongols sont sur la frontière de la principauté de Riazan. Ils réclament au prince sa soeur, ses filles et son épouse, pour peupler le harem de Batu. Le fils du prince, Fédor, envoyé comme émissaire auprès du chef mongol, répond à ce dernier qu'il n'a qu'à prendre la principauté et qu'il aura alors les femmes à sa merci. Irrité, Batu fait mettre à mort Fédor et jette son cadavre en pâture aux bêtes sauvages. En apprenant la mort de son mari, la veuve de Fédor se précipite dans le vide du haut d'une fenêtre du château avec son enfant dans ses bras. Les troupes de Riazan se battent avec acharnement contre les Mongols mais elles n'en sont pas moins défaites. Batu emporte la cité au bout de six jours de siège, grâce aux troupes d'élite chinoises de son armée. Riazan est complètement détruite. Les Mongols se dirigent ensuite sur Kolomna, qui subit le même sort; puis c'est au tour de Moscou, qui est brûlée et dont la population est déportée. Les Mongols passent devant Vladimir, vont détruire Souzdal, et reviennent devant Vladimir qu'ils prennent d'assaut, le 7 février 1238. Après Vladimir, ils détruisent toutes les villes du nord-est de la Rus': Rostov, Ouglitch, Iaroslav, Kachin, Tver, Volokolamsk, Gorodets, Kostroma, Galitch... Le 4 mars 1238, les troupes de Iouri II, grand-prince de Vladimir, rencontrent les Mongols sur les bords de la Sita, à la limite de la principauté de Novgorod; c'est la défaite, le grand-prince et sa famille sont massacrés après le combat. Les Mongols, dédaignant Novgorod, se dirigent alors vers le sud où ils détruisent Smolensk et Tchernigov, avant d'aller refaire leur armée sur les steppes au bord de la mer Noire. Les envahisseurs, qui ne trouvent pas les ressources nécessaires pour leur cavalerie dans les régions forestières, les quittent, après les avoir pillées, et retournent vers les steppes du sud offrant ainsi une chance d'émerger aux cités du nord. Dans l'imaginaire russe, la forêt, espace fermé, est protectrice, alors que la steppe, espace ouvert, facilite les incursions des peuples nomades au détriment des populations sédentaires. Les régions forestières vont attirer vers elles les populations qui fuient les exactions des conquérants. L'invasion mongole va entraîner des déplacements de population qui favoriseront le défrichage, l'assainissement des marais et le développement économique du nord. Désormais, Moscou va monter en puissance et reprendre le flambeau, bien que Vladimir, pendant un temps, continue de jouer un rôle important. La Russie de Vladimir et de Moscou Au 13ème siècle, Moscou possède
une église dédiée à Saint-Jean Baptiste, bâtie
sur un temple païen.
15 juillet 1240: Alexandre Nevsky (Novgorod) triomphe des Suédois à la bataille de la Neva (c'est de cette victoire qu'il tient son nom). On connaît mal les objectifs poursuivis par cette tentative d'invasion suédoise; la présence de deux évêques suggère des motivations religieuses, mais rien n'est sûr. 6 décembre 1240: Batu et Möngke saccagent Kiev qui a osé résister, portant ainsi le coup de grâce à l'ancienne principauté dominante. L'émissaire du pape près des Mongols, Jean du Plan Carpin, qui passe par Kiev, donne une image désolée de la ville. 5 avril 1242: Alexandre Nevsky bat les chevaliers teutoniques et les chevaliers porte-glaive sur les eaux gelées du lac Peïpous (bataille de la Glace), à la frontière de l'Estonie actuelle. Cette victoire, un modèle d'encerclement et de destruction d'une armée plus forte, consacre la supériorité des fantassins russes sur les cavaliers allemands. Alexandre Nevsky devient un héros de la Russie et un saint de l'orthodoxie. 1242: la mort d'Ogödai arrête la progression des Mongols vers l'ouest; Batu doit se rendre à Karakorum pour l'élection du nouveau kaghan. L'expansion mongole vers l'ouest étant provisoirement stoppée, la Russie occupée se trouve coupée de l'Europe occidentale pendant plus de deux siècles. Les Russes deviennent tributaires des conquérants et doivent soumettre l'investiture de leurs princes au khan du Kipchak puis de la Horde d'Or, héritiers de la partie occidentale de l'empire de Gengis khan. Les chefs mongols sont les arbitres des querelles qui opposent les princes russes. L'historiographie russe est partagée sur les conséquences pour la Russie de l'occupation mongole. Celle-ci est d'abord vue comme une catastrophe. Certes une grande partie de la population a péri au cours de la conquête. De plus, conformément à leurs habitudes, les Mongols ont déporté vers leur pays tous les artisans habiles de la Russie. Mais peut-on en conclure qu'ils sont responsables du retard pris ensuite sur l'Europe occidentale? Certains auteurs pensent que la Rus' des principautés avait peu de chance de parvenir à un État unifié sans les Mongols qui favorisèrent la montée en puissance des princes de Moscou. D'autres, au contraire, soutiennent que l'unité s'est réalisée contre les Mongols, plutôt que grâce à eux, et que, malheureusement, les princes russes s'inspirèrent davantage des khans tatars que du modèle impérial byzantin. La question reste ouverte. Notons que les Mongols ont respecté et même protégé l'Église orthodoxe qui a continué à prospérer sous leur joug. 1243: le khanat Kipchak devient la Horde d'Or
sous l'impulsion de Batu. Ce dernier exige des princes russes qu'ils se
rendent auprès de lui et y accomplissent une série de rites
témoignant de leur soumission et de leur fidélité.
Iaroslav Vsevolodovitch est le premier prince russe à avoir reçu
son titre de grand-prince de Vladimir (yarlik) de Batu. Les princes
russes doivent également verser un tribut au khan, le dan';
cet impôt, d'abord prélevé par un système de
fermage, frappe lourdement la population russe qui le conteste assez fréquemment.
1252-1263: Alexandre Nevsky, prince de Novgorod, de Pereisval, grand-prince de Kiev, grand-prince de Vladimir 1255: mort de Batu remplacé par son
fils, Sartag, à la tête de la Horde d'Or mongole. Alexandre
Nevsky est investi par le khan Sartag grand-prince de Vladimir jusqu'à
sa mort. Le pape Innocent IV lui propose une alliance pour monter une croisade
contre les Mongols. Sagement, le grand-prince s'en tient à sa soumission.
L'ancien khanat de Kiptchak, fondé à partir de l'oulous de Djutchi (Jochi), fils de Gengis khan, devenu sous Batu la Horde d'Or, recouvre deux entités: la Horde bleue à l'ouest et la Horde blanche à l'est; la Horde d'Or, dont la capitale est située à Saraï, sur le cours inférieur de la Volga, noyée dans des populations slaves et turques plus nombreuses, perd peu à peu son caractère mongol pour s'assimiler à elles. La puissance mongole se dissout progressivement. 1262: révolte du nord-est de l'ancienne
Rus' contre les impôts prélevés pour la Horde.
La Lituanie devient une puissance majeure susceptible de revendiquer l'héritage de Kiev. Pendant des siècles, l'ouest de la Rus' médiévale va être disputé à la Russie par la Pologne et la Lituanie. 1276–1303: Règne de Daniel Moskovski, prince de Moscou Daniel de Moscou, Saint Daniel, est le fils cadet d'Alexandre Nevsky et de la grande-duchesse Bassa. Il hérite de la petite principauté de Moscou à la mort de son père, alors qu'il n'est encore qu'âgé de deux ans. Prince de Moscou, il déjoue les tensions et évite la guerre à plusieurs reprises. Il fonde le monastère Danilov, aujourd'hui siège du patriarcat de Moscou, qu'il place sous la protection de saint Daniel le Stylite. Il est canonisé par l'Église orthodoxe. 1280: Töde Möngke, frère de
Möngke Timur, devient khan de la Horde d'Or.
Les successions à la tête de
la Horde d'Or sont l'occasion de violents affrontements qui favorisent
l'éclatement de l'ensemble en khanats indépendants. Cette
évolution facilitera les entreprises des princes russes pour libérer
et rassembler la population des territoires russes. Tous les princes russes
souhaitent prendre la tête d'un mouvement pour s'émanciper
du joug mongol et réunir l'ensemble sous leur sceptre. Rivaux entre
eux, ils ne sont pourtant pas sur un pied d'égalité. Quatre
principautés s'affrontent dans la Russie du nord-est: Riazan, Souzdal-Novgorod,
Tver et Moscou. Parallèlement, les Mongols, conscients des difficultés
qu'ils rencontrent pour prélever la dan'
se montrent enclins à sous-traiter sa perception à
un prince russe; l'heureux élu bénéficiera évidemment
d'un énorme avantage par rapport aux autres, ce qui excite les convoitises
et va entraîner un conflit durable entre Moscou et Tver.
Fils de Daniel de Moscou, Iouri III naît à Pereislav dont il devient prince en 1302. En 1303, il annexe Mojaïsk; désormais tout le cours de la Moskova, importante artère fluviale, est sous le contrôle de Moscou. À partir de 1313, après s'être emparé de Riazan, il dispute le trône de Vladimir à Michel III Vladimirski, prince de Tver. Étant allé demander de l'aide à la Horde d'Or, il épouse la princesse mongole Kontchaka, baptisée sous le nom d'Agafia (Agathe), sœur du khan Özbeg, qui lui confère le titre de grand-prince, en 1316. Cependant, il est défait ainsi que son allié mongol par le prince de Tver, Michel Iaroslavitch, qui n'a pas accepté la décision du khan. Emprisonnée à Tver, la princesse de Moscou meurt en captivité. Iouri III s'enfuit à Novgorod dont les habitants sont disposés à l'aider pour enlever le trône à Michel III, dit Michel le Saint, grand-prince de Vladimir de 1304 à 1318. Michel III, prince débonnaire, lui propose un arrangement de paix. Mais, accusé par Iouri d'avoir empoisonné son épouse, Michel est convoqué au camp du chef mongol qui le condamne à mort et l'exécute, en 1319; Iouri est confirmé comme grand-prince. En 1322, Iouri est destitué de son titre de grand-prince que le khan attribue à Dimitri aux yeux de foudre, fils de Michel exécuté trois ans plus tôt. Le 21 novembre 1325, Iouri et Dimitri se rencontrent à la Horde; Iouri III est assassiné par Dimitri II Vladimirski qui lui reproche la mort de son père. 1311: un concile condamne un prêtre de
Novgorod qui conteste le monachisme.
1325–1341: Règne d'Ivan 1er Kalita, prince de Moscou et grand-prince de Vladimir Ivan 1er est le fils cadet de Daniel Moskovski. 1325 (ou 1326): Ivan 1er gagne les faveurs
du clergé; le métropolite déplace son siège
de Vladimir à Moscou qui supplante ainsi manifestement sa rivale.
Ivan 1er persuade les Mongols de lui laisser le soin de percevoir les impôts à leur profit d'où son surnom de kalita (l'escarcelle); il en prélève une partie pour lui et s'en sert également pour payer la rançon et obtenir la libération de Russes prisonniers! 1330: une chapelle est construite à
Moscou, dans l'enceinte du Kremlin, à l'emplacement de la cathédrale
de la Dormition actuelle, pour marquer l'accession de la cité
au statut de siège de l'Église orthodoxe russe.
Au 14ème siècle, la présence d'un Kremlin à Moscou est signalée pour la première fois. C'est un talus de terre palissadé de huit mètres de haut que le prince Ivan Kalita fait entourer d'une enceinte de pieux de chêne. Ivan 1er rassemble les terres russes autour de la principauté de Moscou en s'appuyant sur le clergé et les Mongols. A sa mort, il est enterré dans la chapelle de la Dormition et les 96 villes qu'il a réunies, sont partagées entre ses héritiers. La Grande-Principauté de Moscou ou Moscovie 1341–1353: Règne de Siméon 1er de Russie, le Fier, le Superbe, grand-prince de Moscou et de Vladimir Siméon 1er est le fils aîné d'Ivan Kalita. 1341: Siméon est couronné à
Vladimir. Il poursuit la politique de soumission à la Horde d'Or
de son père et se rend à plusieurs reprises auprès
du khan Djanibeg, fils d'Özbeg, dont il devient un familier.
1353–1359: Règne d'Ivan II, le Débonnaire ou le Beau, grand-prince de Moscou et de Vladimir Ivan II est le troisième fils d'Ivan Kalita. Il se fait reconnaître grand-prince de Moscou et de Vladimir par la Horde d'Or au décès de son frère Siméon et de ses fils. Moins habile que Siméon, il se fait aider par le métropolite de Moscou, Alexis, qui prend en mains les affaires de la principauté. Le règne d'Ivan II est marqué par le début de la lutte de la Lituanie, alliée à la Pologne, contre la Moscovie. C'est à cette époque aussi que Moscou commence à battre monnaie. A sa mort, Ivan II est inhumé aux côtés de son frère Siméon. 1359-1363: Règne de Dimitri III Constantinovitch, l'Usurpateur, grand-prince de Moscou et de Vladimir Fils de Constantin Vassilievitch, prince de Souzdal, Dimitri III, usurpe le pouvoir de l'héritier légitime Dimitri IV, en obtenant le yarlyk de la Horde. Il est chassé du pouvoir quatre ans plus tard et doit céder le trône à son cousin et futur gendre Dimitri IV Donskoï. Le métropolite Alexis, fils d'une famille de boyards de Tchernigov, les Bakontov, est alors le véritable maître de la principauté. 1363–1389: Règne de Dimitri IV Donskoï, grand-prince de Moscou Dimitri IV est le fils d'Ivan II.
1365: l'enceinte de bois du Kremlin de Moscou est incendiée. Plusieurs fois brûlée, elle sera reconstruite en pierres blanches vers la fin du siècle. 1366: les boyards moscovites obtiennent enfin que le yarlyk grand-princier revienne à leur ville. 1367: Dimitri IV épouse Eudoxie, fille de Dimitri III. Il fait la guerre aux princes de Tver et de Riazan et fortifie le Kremlin. 1368: une première campagne de la Lituanie, avec la complicité de Tver, contre Moscou échoue: les murailles tiennent bon! 1369: un nouveau danger apparaît dans le sud où Tamerlan prend le pouvoir à Samarcande. 1360 à 1370 (ou 1390): naissance d'Andreï Roublev, qui portera à son apogée l'art de l'icône. 1370: arrivée à Smolensk de Théophane le Grec qui renouvelle l'art de la fresque. Une seconde campagne de la Lituanie contre Moscou n'a pas plus de succès que la première. 1371: le prince de Tver obtient le yarlyk grand-princier de la Horde. Dimitri IV refuse de le reconnaître et lui ferme le passage sur ses terres; Vladimir et d'autres villes russes manifestent leur fidélité à Moscou. Le prince de Tver réclame l'aide de la Horde mais le khan, devant la levée de boucliers des cités russes, retire le yarlyk au prince de Tver pour l'attribuer à nouveau à celui de Moscou. 1372: une troisième campagne de la Lituanie contre Moscou obtient le même résultat que les deux autres. 1373: les Russes ayant profité de l'anarchie qui règne dans la Horde d'Or, pour négliger de lui verser son tribut, une première tentative de représailles est repoussée. Les Mongols ne paraissent plus en mesure d'imposer leur loi, ce qui accroît la confiance des Russes. 1375: une nouvelle attribution du yarlyk à Tver entraîne une guerre entre les deux cités rivales. Dimitri IV, à la tête d'une armée comprenant 17 princes alliés, oblige le prince de Tver, abandonné par les habitants, à reconnaître sa défaite et à cesser de briguer le yarlyk. 1377: les troupes de l'usurpateur Mamaï (Horde d'Or) prennent Novgorod. 1378: Dimitri IV, qui a placé son fils, futur Vassili 1er, sous la tutelle du boyard Fédor Souiblo, avant de partir en guerre, défait une première fois Mamaï à la Voja. 1380: Dimitri IV récidive et bat à nouveau les Mongols de Mamaï à Koulikovo, près du Don (d'où son surnom de Donskoï). Les Mongols auraient dû recevoir le renfort des troupes de Lituanie et de la principauté de Riazan, mais celles-ci, devant l'importance des forces russes, ont préféré rester à l'écart; Dimitri IV a en effet réussi à fédérer contre les Mongols la majeure partie des princes russes (à l'exception notable de ceux de Tver et de Novgorod). C'est une armée de 100 à 120 000 hommes, bénie et conseillée par Serge de Radonège, qui dispute avec succès le champ de bataille à la Horde mongole. Le prestige de Moscou s'en trouve accru auprès des Russes. Dimitri IV en profite pour réduire le tribut payé aux Mongols, pour renforcer son pouvoir à Moscou et pour augmenter sa principauté de nouvelles possessions (Dmitrov, Starodoub, Ouglitch, Kostroma). Alexandre Nevsky est canonisé. L'invasion mongole de la Russie aurait entraîné la mort de la moitié de la population (Koubilaï khan parlera aussi de 18 millions de morts en Chine sur une population d'une trentaine de millions!). Mais la lutte contre leur domination a favorisé l'unification des anciennes principautés et aussi l'essor de l'orthodoxie qui symbolise cette unité. 1381: l'énergique Tougtamich profite
des dissensions qui agitent la Horde d'Or pour s'emparer de sa partie sud-est
tandis que l'ouest est dominé par Mamaï.
Dimitri Donskoï a tenu tête aux Mongols. Il n'a pas totalement réussi à secouer leur joug, mais il n'en est pas moins canonisé par l'Église orthodoxe. Au 14ème siècle, se constituent d'importants patrimoines fonciers, ceux des princes, des boyards et surtout des monastères. La propriété est conditionnelle, et la jouissance de la terre est liée à certaines conditions, notamment le service militaire. Les serviteurs des princes reçoivent des propriétés cultivées par des paysans qui s'estiment privés de leurs biens et de leur liberté, ce qui suscite des révoltes. Le besoin d'un pouvoir fort, capable de maîtriser les tensions qui se font jour dans la société, milite pour la formation d'un État centralisé qui s'affirmera au cours des deux siècles suivants. Dans la seconde moitié de 14ème siècle, à Novgorod, la secte des Strigolniki refuse de reconnaître la hiérarchie ecclésiastique et prône le retour à l'Église primitive; les membres de la secte sont persécutés par l'Église orthodoxe et par la population. A la même époque, l'expansion turque bouscule les Slaves du sud dont certains se réfugient au nord, sur les terres russes; ces immigrants introduisent en Russie un nouveau style littéraire, plus pompeux et jugé décadent par certains critiques. 1389–1425: Règne de Vassili
1er, grand-prince de Moscou et de Vladimir
1391: Vassili 1er épouse Sophie, fille
de Vytautas le Grand (Vitovt) de Lituanie et normalise les relations de
Moscou avec ce pays. La puissance acquise par Tougtamich inquiète
Tamerlan qui vise à contrôler le commerce de la Route de la
Soie et à unifier l'Asie centrale. Il entre en guerre contre son
ancien allié devenu son rival.
Plusieurs khanats vont voir le jour, au cours du temps, du démembrement de la Horde d'Or: Kazan, Astrakan, Sibérie, Crimée, Nogaï, Grande Horde, Ouzbeks nomades. L'affaiblissement de la Horde d'Or se traduit, dès le 15ème siècle, par la prolifération de bandes se livrant au brigandage et louant leurs services à la Lituanie ou à la Moscovie; ces sociétés guerrières sont dirigés par une assemblée, la Rada, où tout le monde peut s'exprimer; elles valorisent le courage et choisissent leur chef, l'ataman, par élection; elles mettent en commun l'ensemble de leurs biens qui font l'objet de répartitions périodiques; cette organisation de type anarchique se retrouve en Ukraine et dans les régions de steppes, c'est celle des Cosaques (terme d'origine polovtsienne). 1396: Tamerlan détruit Saraï, capitale
de la Horde d'Or, mais il renonce à s'emparer de Moscou. On dit
que la ville a été sauvée grâce à l'intervention
de la Mère de Dieu de Vladimir et les Moscovites construisent le
monastère Sretensky pour abriter son icône.
Vassili 1er poursuit la politique de rassemblement de la terre russe, plutôt par la diplomatie que par la guerre. Il échoue dans sa tentative de limiter l'indépendance de Novgorod, mais accroît néanmoins l'influence de Moscou. A sa mort, cette principauté a rassemblé autour d'elle la majeure partie des autres principautés qui sont devenues des régions administratives gouvernées par des princes serviteurs de celui de Moscou. Ces derniers sont pourvus de pouvoirs importants et ils sont en mesure de se comporter en potentats locaux; ils risquent donc, tôt ou tard, d'entrer en conflit avec le pouvoir central qui devra les remettre au pas. Vassili 1er est enterré aux côtés de son père. La présence à la même époque de Serge de Radonège et d'Andréï Roublev témoigne de l'essor culturel et religieux de la Russie. 1425–1462: Règne de Vassili II l'Aveugle, grand-prince de Moscou Vassili II est le fils de Vassili 1er et de Sophie de Lituanie. Lorsque qu'il accède au trône, sous la régence de sa mère, il n'est âgé que de 10 ans. Cette circonstance amène son oncle, Youri de Zvenigorod, prince de Galitch-Mersky, à revendiquer la couronne; il y est d'autant plus encouragé que les règles de succession de la principauté de Moscou sont mal définies et que Dimitri IV l'a désigné comme successeur de Vassili 1er, il est vrai avant la naissance de Vassili II. La prétention de Youri n'est pas du goût du grand-père de Vassili II, le grand-duc Vitautas (Vitovt) de Lituanie, aussi Youri, qui ne se sent pas de force à lutter contre la Lituanie, reconnaît la légitimité de Vassili II tant que son grand-père est vivant. 1427 à 1430: mort d'Andreï Roublev,
le grand peintre d'icônes.
Des tremblements de terre et un terrible incendie détruisent à nouveau Moscou et son kremlin. 1448-1449: le métropolite de Moscou s'étant rendu au concile de Florence pour réunir l'Église orthodoxe russe à l'Église catholique, Vassili le traite de "fils de Satan" et le dépose, mais l'autorise à s'enfuir en Occident où il est fait cardinal. Il nomme métropolite de Russie à sa place Jonas, évêque de Riazan, qui a joué un rôle important dans l'éviction de Dimitri Chemyaka. Le nouveau métropolite ne sollicite pas la confirmation du patriarche de Constantinople ce qui est une manière d'anticiper l'émancipation de l'Église orthodoxe russe. En représailles, le patriarche de Constantinople crée à Kiev une nouvelle métropole indépendante rattachée à la Lituanie. Vassili II, qui vient de voir son pouvoir renforcé, n'est certainement pas disposé à le placer sous la tutelle du Saint-Siège! L'Église russe se replie sur elle-même et va développer son propre rituel, qui deviendra un marqueur identitaire, parallèlement à la montée en puissance de l'État russe. 1450: Vassili II s'empare de Galitch-Mersky.
La lutte civile prend fin et Vassili en profite pour éliminer la
plupart des petits apanages de Moscovie. Les Républiques de Novgorod,
Pskov et Viatka sont contraintes de le reconnaître comme seigneur.
Le règne de Vassili II est troublé par la guerre civile. La querelle dynastique a réintroduit les Mongols dans le jeu russe. Mais le grand-prince de Moscou n'en parvient pas moins à rassembler encore un peu plus la terre russe tandis que l'Église orthodoxe s'affranchit de la tutelle de Constantinople. Les adversaires de la centralisation ont été vaincus parce que les Moscovites n'ont pas accepté le retour au morcellement féodal. Les règles de succession sortent clarifiées du conflit et le pouvoir moscovite est renforcé. Pendant ce règne troublé, la Horde d'Or s'affaiblit en perdant trois nouveaux importants khanats (Crimée, Kazan, Astrakan). 1462–1505: Règne d'Ivan III le Grand (1440-1505), grand-prince de Moscou A l'époque de l'accession au trône d'Ivan III, fils de Vassili II, La Russie est divisée en deux grandes régions: le sud-ouest, sous domination polono-lituanienne, et le nord-est, qui paie toujours tribut à la Horde d'Or. Ivan III, prince de Moscou, partage le pouvoir avec ses quatre frères qui dirigent les principautés patrimoniales de Riazan, Tver, Rostov et Iaroslav; il va rassembler la Russie, au détriment de ses voisins et en éliminant ses frères, qui sont emprisonnés ou assassinés, avant de s'émanciper des Mongols. 1460-1469: la principauté de Iaroslave
rejoint celle de Moscou.
Au cours du 15ème siècle, le Kremlin souffre des tremblements de terre et des incendies avant d'être reconstruit par des architectes italiens, dont l'influence est favorisée par la princesse Sophie, laquelle a vécu en Italie. C'est à cette époque qu'est construite, par l'architecte Fioravanti, la cathédrale de la Dormition, où seront couronnés les tsars et enterrés les chefs de l'Église orthodoxe, ainsi que la cathédrale de l'Annonciation et le Palais à facettes, tous édifices situés à l'intérieur de l'enceinte castrale. 1474: la principauté de Rostov est incorporée
à celle de Moscou.
1480: Ivan III a, on l'a vu, profité de l'éclatement de la Horde d'Or pour cesser de payer tribut. Le khan Ahmed, allié au roi polono-lituanien Casimir IV, réclame le retour au paiement du tribut. Ivan III déchire le traité de soumission des Russes aux Mongols sur les marches de la cathédrale de la Dormition. Le khan Ahmed décide une expédition punitive contre lui. Ivan III s'allie au khan de Crimée pour lui barrer la route. Ahmed rencontre ses adversaires sur l'Ougra et, après plusieurs jours d'observation mutuelle et l'échec d'une tentative de franchissement de la rivière, il décide de battre en retraite sans combattre, avant l'arrivée des troupes de Casimir IV. Cet événement, qualifié de "Grande Halte" marque l'affranchissement des terres russes du joug mongol. 1484-1499: les boyards de Novgorod sont chassés
de chez eux et installés dans les régions du centre de la
Russie. 72 000 personnes auraient été déportées.
C'en est terminé avec l'autonomie de la principauté.
Les dernières acquisitions font entrer des populations non russes dans l'État moscovite qui devient ainsi multiethnique dès son origine. 1493: Ivan III reconstruit le Kremlin et interdit
l'édification de bâtiments en bois, pour éviter
l'incendie, sur l'espace voisin qui deviendra la Place
Rouge.
Au 15ème siècle est mis en place un système qui fixe la hiérarchie sociale en fonction de l'origine familiale. Au sommet de l'édifice se trouvent les boyards au service des princes de Moscou depuis longtemps qui font partie de la Douma et se partagent les hautes responsabilités de l'État. 1498: Dimitri, fils d'Ivan Ivanovitch le Jeune
(1458-1490) né du premier mariage d'Ivan III, est sacré
grand prince avec remise de la toque et de la cape de Monomaque, insignes
du pouvoir des grands princes, dans la cathédrale de la Dormition
au Kremlin. C'est la première fois que cette cérémonie
de préparation de la succesion est mise en oeuvre.
Ivan III était de haute taille, élancé et maigre; à cause de son dos voûté, il reçut le surnom de "Bossu". Les traits de son visage étaient beaux, mais son regard était terrifiant à un point tel qu'il faisait s'évanouir des femmes lorsqu'il les regardait. Il terminait tout ce qu'il commençait et était insensible à la pitié. A sa mort, en 1505, devenu grand prince de toute la Russie, il laisse une Moscovie cinq fois plus grande qu'au moment de son accession au trône. Il a donné à Vassili 66 villes et réparti le reste entre ses quatre autres fils, mais en leur défendant de battre monnaie et de nouer des relations diplomatiques avec des pays étrangers. La mort d'Ivan III entraîne une succession
de tentatives des Tatars de Crimée contre la puissance moscovite,
en 1517, en 1521 (avec les Tatars de Kazan), en 1537 (avec les Turcs, les
Tatars de Kazan et les Lituaniens), en 1552, en 1555, en 1570-72 (avec
les Polonais et les Lituaniens), en 1589, en 1593, en 1640, en 1666-67
et en 1688; dans le contexte de l'époque, les Tatars sont utilisés
aussi bien par la Russie que par ses ennemis pour affaiblir leurs adversaires.
1505–1533: Règne de Vassili III Ivanovitch ou le Grand, grand-prince de Moscou Fils d'Ivan III le Grand et de Sophie Paléologue, Vassili III épouse Solomonia Iourevnia Sabourova l'année de son arrivée au pouvoir. Dès l'accession au trône du nouveau grand-prince, le khanat de Crimée, jusqu'alors allié à Moscou, prend prétexte de l'intervention des Russes à Kazan, en 1487, pour s'allier à la Lituanie et effectuer des raids contre les territoires russes obligeant Vassili III à renforcer les troupes de sa frontière sud et à construire des forteresses (Zaraïsk, Toula, Kalouga). 1505-1508: construction par l'architecte Alosius
le Jeune de la cathédrale de l'Archange Saint-Michel dans l'enceinte
du Kremlin à l'emplacement de sanctuaires plus anciens.
La Moscovie, que l'on commence à désigner sous le nom de Russie, devient l'État le plus puissant d'Europe orientale. A sa tête se trouve le grand-prince, qui, depuis Ivan III, porte le titre de souverain de toute la Russie. Ses relations avec les couches sociales sont fondées sur la base du service dû. L'aristocratie lui reconnaît ce service; le souverain a pratiquement tous les pouvoirs sur elle. 1522: une trêve de cinq ans est signée
avec la Pologne-Lituanie; elle sera prolongée en 1526 et 1532.
Vassili III poursuit la politique de rassemblement des terres russes et de renforcement des pouvoirs du souverain qui fut celle de son père. Brutal et sévère, il méprise les boyards. Il ne les persécute pas massivement mais les tient à l'écart, ne réunissant plus leur douma que pour la forme, et ne tolérant aucune objection. Ceux qui osent élever des plaintes sont exécutés. Le métropolite Féodor Jareny est déchu de ses titres et envoyé dans un monastère ce qui rend, Daniel, son successeur, plus docile sur la question du divorce. Vassili III respecte cependant la tradition en laissant aux représentants de la caste des boyards les hauts postes de l'armée et de l'administration. Mais il gouverne en autocrate en s'appuyant sur ses secrétaires et quelques personnes de confiance. Il est entouré d'un premier cercle de dignitaires qui le servent et à qui sont concédées des terres libre de l'État qui sont inaliénables, non héréditaires, lesquelles doivent permettre à leurs bénéficiaires d'assumer leurs hautes responsabilités; ces terres ne peuvent être ni vendues, ni données. Ainsi s'élabore une hiérarchie de serviteurs, en fonction de la naissance, de la proximité du souverain et du service à accomplir qui n'est pas de type féodal classique dans la mesure où il n'y a pas d'obligation réciproque entre le donateur et le bénéficiaire. Au début du 16ème siècle, le terme Rossia commence à apparaître, bien que celui de Rus' continue toujours d'être employé. La Russie est encore peu peuplée et sa population est concentrée dans la région de l'Anneau d'Or; elle va, au cours des siècles suivants, augmenter et se déplacer en direction de la périphérie, vers de nouvelles terres à défricher et aussi pour échapper à la main de plus en plus ferme du pouvoir central. 1533–1584: Règne d'Ivan
IV le Terrible (Sévère ou Redoutable en russe), grand-prince
de Moscou puis tsar de Russie
1533: Ivan IV, fils aîné de Vassili III et d'Hélène Glinska, devient grand-prince de Vladimir et de Moscou, sous la régence de sa mère et d'un Conseil de vingt boyards. Hélène élimine le Conseil, gouverne avec son favori Telepnev-Obolenski et continue la politique de son défunt mari vis-à-vis des boyards. Elle augmente les taxes pesant sur l'Église et place sous le contrôle de l'État l'extension de la propriété monastique. Elle interdit aux gens de service l'achat de terres afin qu'ils ne soient pas tentés de s'affranchir de leurs obligations. Elle renforce les défenses du pays par la construction de forteresses. Elle entreprend une réforme du système monétaire et de l'administration locale. 1538: la régente meurt, probablement empoisonnée par les familles princières qui rêvent de monter sur le trône. La régence est alors exercé par la Douma des boyards, une assemblée consultative de nobles, sorte de Conseil privé. Le pouvoir est partagé entre des familles (Chouïski, Glinski, Bielski) qui se déchirent entre elles. Ivan IV, un jeune homme intelligent, mais coléreux, vit dans la hantise permanente de l'assassinat, tandis que la violence désole le pays. Il partage son temps entre la torture des animaux, la chasse et la razzia des villages voisins; autodidacte, il s'intéresse aux Saintes écritures, passe beaucoup de temps dans la bibliothèque du métropolite, et se prosterne si souvent devant les icônes que son front se couvre de callosité. 1542: le métropolite Joseph est assassiné dans le cadre des luttes fratricides qui divisent les boyards, lesquels ne reculent pas devant le meurtre, pas plus que devant le pillage de l'État ou la guerre civile, pour accéder ou conserver un pouvoir qui change par trois fois de mains. 1543: la chute de Constantinople déplace vers la Russie le centre de gravité de l'orthodoxie. 1546: Ivan IV, âgé de 16 ans, rejoint l'armée à Kolomna, où elle vient de vaincre les Tatars. Il fait exécuter cinquante arquebusiers de Novgorod qui se plaignaient des vexations qu'ils avaient subies. 1547: à l'initiative du nouveau métropolite, Macaire, et pour tenter de tirer la Russie des difficultés dans lesquelles elle se débat, Ivan IV est sacré tsar (césar) de toutes les Russies dans la cathédrale de la Dormition au Kremlin de Moscou (où l'on peut voir encore son trône), le 16 janvier. Le titre de césar rattache Ivan à la lignée des empereurs romains et on en attend pour lui un surcroît de prestige. On marie Ivan IV à Anastasia Romanovna Zakharine (une Romanov), la fille d'un boyard des premiers cercles, le 3 février. Des incendies à Moscou provoquent des milliers de morts. La foule cherche des responsables et se déchaîne contre les Glinski dont on brûle les palais et massacre les gens. Le tsar, se croyant abandonné de Dieu, fait amende honorable sur la Place Rouge et décide de convoquer une assemblée des représentants de toutes les régions de la Russie. Les villes de Kolomna, Velikij Oustioug et Moscou se soulèvent, comme conséquence du conflit qui oppose les boyards; Ivan IV est profondément affecté par cette situation. 1547-1550: une série de campagnes contre
le khanat de Kazan se solde par un échec.
La Russie se modernise et la monarchie passe d'une conception patrimoniale à une conception souveraine du pouvoir. La première presse à imprimer est introduite dans le pays. Ivan IV place aux postes clés des petites gens plutôt que des boyards dont il se méfie. Il s'efforce de rétablir l'ordre en Russie. Apparition de la secte religieuse des buveurs de lait (Molokanes) qui ne reconnaissent pas le dogme de la Trinité. 1551: le clergé est réorganisé,
lors d'un concile qui canonise une quarantaine de nouveaux saints et entérine
les réformes. Une base militaire russe est créée,
sur la Volga, à proximité de Kazan.
Maîtres de Kazan et d'Astrakan, les
Russes contrôlent le cours de la Volga. La voie d'invasion des nomades
de l'est est désormais coupée. Pour lutter contre le nouveau
péril, représenté par la Crimée et l'Empire
ottoman, la Russie fortifie sa frontière sud et se lance dans des
alliances avec les peuples du Caucase. Au milieu du 16ème siècle,
un bureau d'enregistrement est créé pour répertorier
sur un livre les services de chacun et déterminer un ordre de préséance;
une hiérarchie administrative et militaire de type oligarchique
se met en place avec son statut et ses privilèges. Dans la seconde
moitié du siècle, les Cosaques du Don sont chargés
de la surveillance des frontières, mission pour laquelle ils reçoivent
de l'argent, des terres et des vivres, sans renoncer à leur autonomie.
1558-1583: Guerre de Livonie Ce conflit oppose d'abord la Russie à la seule Livonie, puis au Danemark, à la Suède, au Grand-duché de Lituanie et à la Pologne. Il a pour objet le contrôle de la Confédération livonienne (Esthonie et Lettonie) et s'inscrit dans le contexte de la fermeture de la Baltique à la Russie par la coalition. Il donne lieu pour la Russie à une succession de succès et de revers qui s'achèvent sur un échec. 1558: les troupes russes s'emparent de Narva
et contrôlent l'Estonie. Un commerçant, Stroganov, obtient
du tsar une charte l'autorisant à coloniser l'Oural, à importer
à Moscou le sel de Perm et à lever une armée privée.
Le khanat de Crimée tente en vain d'envahir celui d'Astrakhan. Outre leurs divisions et leur assimilation progressive au monde slave, l'affaiblissement des Mongols pourrait être la conséquence d'une période de sécheresse qui aurait décimé leur cavalerie privée de nourriture. 1560: les troupes russes s'emparent des forteresses de Marienbourg et de Fellin. Les conquêtes russes en Livonie alarment les pays voisins (Suède, Danemark, Pologne) qui décident de se partager la Livonie. L'armée russe se heurte désormais à une puissante coalition et l'opposition à la guerre monte dans la classe dirigeante russe. Le régime se durcit brusquement, les changements n'intervenant pas assez vite au goût du tsar qui ne supporte pas l'existence du moindre pouvoir autonome, surtout à un moment où les choses se gâtent en Livonie. Ivan IV se lance dans un régime de terreur contre les boyards qu'il craint et déteste depuis sa jeunesse; il soupçonne d'ailleurs certains d'entre eux d'être responsables de la mort de son épouse Anastasia Romanova; mais on le soupçonne également de l'avoir empoisonnée! On dit qu'il assiste, depuis une tour du Kremlin, aux exécutions capitales qui ont lieu sur la Place Rouge. 1561: Ivan IV épouse, en secondes noces, Temrjuka, fille du prince Kabardin, qui prend pour nom Marie. Elle mourra huit ans plus tard, peut-être empoisonnée par son mari. Dissolution de l'Ordre des Porte-Glaive, ou des Frères de l'Epée, un ordre de moines germaniques créé pour christianiser les populations baltes. La Livonie reconnaît la suprématie de la Pologne. La Courlande se constitue en duché vassal de la Pologne. L'Estonie passe sous le contrôle de la Suède. Le patriarche grec de Constantinople, Ioasaphe
II, consacre par un rescrit Ivan IV tsar.
La Pologne et la Lituanie se fédèrent en signant l'Union de Lublin. De fait, c'est l'aristocratie polonaise qui va dominer cet ensemble qui comprend aussi la Biélorussie et ce qui deviendra plus tard l'Ukraine. La tolérance religieuse du Grand Duché de Lituanie est abandonnée progressivement. Les élites se convertissent au catholicisme. Beaucoup d'évêques orthodoxes du nouvel ensemble suivent leur exemple tout en conservant le rite orthodoxe créant ainsi une nouvelle église qualifiée d'uniate (gréco-catholique). Cette vague de conversions religieuses, plus ou moins libres et sincères, constituera bientôt une source de troubles internes. Mais ces troubles auront également des origines économiques et sociales. Le servage frappe plus rigoureusement la paysannerie qui y est soumise; elle ne peut plus changer de seigneur à la Saint-George et les propriétaires terriens ont obtenu le droit d'augmenter l'impôt de leurs serfs. Enfin, les Juifs, tolérés dans le royaume de Pologne se répandent dans l'ensemble fédéré, en y monopolisant les tâche basses, comme l'usure, la vente d'alcool au détail, la collecte de l'impôt, ce qui suscite jalousie et antisémitisme. 1569-1570: les opritchniks détruisent Novgorod qui s'était placée sous la protection de la Lituanie; plus de quinze mille personnes sont tuées; on parle même de 20 000 à 40 000 victimes à Novgorod et Tver, hommes, femmes et enfants; même les animaux sont sacrifiés! De retour à Moscou, la troupe satanique, s'attaque aux notables non titrés; le tsar, croyant que ses assistants, Basmanov et Viazemski, le trahissent, les fait exécuter. Cependant, des détachements polonais, lituaniens et suédois ruinent les territoires septentrionaux et occidentaux de la Russie qui perd ses conquêtes en Livonie. Stroganov recrute à Perm des Cosaques pour protéger les établissements russes de l'Oural contre les incursions des Mongols de Kutchum. 1571: Moscou est brûlée par les
Tatars de Crimée qui capturent 150 000 Russes et les réduisent
en esclavage; les opritchniks, qui n'ont pas défendu la ville,
sont soupçonnés de trahison au profit du khan de Crimée.
En octobre, Ivan IV épouse, en troisièmes noces, Marpha
Vassilievna Sobakina, fille d'un commerçant de Novgorod; elle mourra
le mois suivant sans avoir perdu son hymen; cet épisode tragique
servira de thème à la pièce du poète
L. Mei "La fiancée du tsar", mise en musique par Rimski-Korsakov.
Selon la loi religieuse, le tsar devrait rester veuf, seuls trois mariages
étant permis; il se remariera pourtant encore cinq fois!
1575: Ivan IV autorise Stroganov à lancer des opérations de représailles en Sibérie et l'exonère d'impôts durant vingt ans sur les terres dont il s'emparera. Stroganov incite le chef de ses Cosaques, Yermak, un ancien pirate de la Volga, à conquérir la Sibérie; Yermak conduit ses hommes d'une main de fer: il en aurait noyé une vingtaine par trop indisciplinés! L'expansion russe vers l'Asie va débuter, dans le prolongement du conflit avec les Mongols, grâce au concours d'aventuriers hors-la-loi. Ivan IV épouse, en sixièmes noces, Anna Petrovna Vassiltchikova; elle meurt d'une maladie de poitrine en 1579. Ivan IV épouse ensuite, en septièmes noces, on ne sait trop quand, Vassilissa Melentieva, laquelle aura l'imprudence de prendre un amant, Ivan Kolytchev. Le tsar l'apprendra et fera, selon certains, enterrer vivants les deux tourtereaux dans un même tombeau. Selon d'autres, il obligera l'épouse volage à assister au supplice du pal infligé à son amant avant de la faire enfermer dans un couvent. 1577: toute la Livonie est à nouveau
au pouvoir des Russes.
Obtenir un accès à la Baltique est vraiment compliqué pour la Russie qui tourne ses regards ailleurs, vers la Caspienne, la mer Blanche, l'Oural et la Sibérie. La conquête de la Sibérie semble la plus facile et c'est donc dans cette direction que se développe d'abord l'expansion russe; certes, la région est inhospitalière et n'offre guère de possibilité d'habitation que dans le sud, et c'est là que s'élèveront les premiers établissements. La colonisation d'immenses territoires difficiles à administrer va générer le modèle politico-social russe. Les hommes de guerre chargé de gouverner ces territoires seront récompensés par l'octroi de terres et de paysans asservis. Ils seront eux-mêmes étroitement soumis au tsar qui dispense les grâces mais aussi les châtiments à son gré. L'attribution de terres aux serviteurs de l'État élimine progressivement les derniers paysans libres (noirs ou d'État); elle accrédite l'idée que la possession de la terre est réservée aux serviteurs du tsar. 1584: tombé dans une embuscade, Yermak, qui tentait d'ouvrir la voie à une caravane d'Asie centrale arrêtée par Kutchum, se noie dans l'Irtych, entraîné par le poids de sa cuirasse; les Cosaques, décimés par Kuchum et démoralisés par la mort de leur chef, doivent abandonner la Sibérie. Ivan IV meurt "d'un pourrissement des organes internes" pendant une partie d'échec, après avoir été ordonné moine par le métropolite; plus tard, on trouvera d'importantes traces de mercure dans ses ossements, ce qui suggérerait un empoisonnement si cette substance n'avait pas été aussi employée à l'époque comme médicament pour soigner les maladies vénériennes. Ivan IV, tsar de Russie, consacré par le patriarche de Constantinople, le premier à porter le titre de césar, celui des empereurs byzantins, s'est pris pour l'homme du destin envoyé par la Providence pour relever, dans son pays, l'empire d'Orient tombé sous les coups des Turcs. Dans un premier temps, il a tenté de moderniser la Russie, l'a dotée d'une administration centralisée et lui a ouvert de nouvelles relations commerciales. Il est devenu ensuite de plus en plus tyrannique, de sorte qu'un diplomate anglais a pu comparer son régime à celui de la Turquie. Cependant, pour autant brutal qu'il ait été, son règne ne s'en inscrit pas moins dans la continuité de celui de ses prédécesseurs, et il aura plus tard des imitateurs: Pierre le Grand et Staline, pour ne citer que ces exemples. Tyrannique, sans doute l'a-t-il été, cruel même, mais il était également l'un des hommes les plus instruits de son temps, doté d'une mémoire phénoménale et d'une grande érudition religieuse, auteur d'épîtres, de la musiques et des textes de la messe en l'honneur de la Vierge de Vladimir et du canon de l'Archange Saint Michel, une personne qui favorisa le développement de l'imprimerie et l'architecture. Il se maria de nombreuses fois et s'apprêtait encore à convoler avec la petite-fille du roi d'Angleterre, Marie Hastings, lorsque la maladie l'emporta. Déjà proche du trépas, il se fit transporter vers son trésor, prit dans sa main des turquoises et dit à l'ambassadeur d'Angleterre qui était présent: "Voyez comme ces pierres pâlissent. J'ai été empoisonné. Je vais périr." Le métropolite ordonna moine le tsar gravement atteint. Après la mort d'Ivan IV, la Russie ruinée par la guerre de Livonie, va connaître une période troublée, les boyards se déchirant et des émeutes paysannes de la faim agitant le pays sous ses successeurs. Alors que la pénétration russe
en Sibérie commence, l'Europe occidentale, qui cherche toujours
à atteindre la Chine en passant par l'Amérique, ignore à
peu près tout de cette vaste contrée où elle fait
vivre les mangeurs de poux! La première tentative russe de conquête
de la Sibérie s'effectue dans le contexte particulier d'un pays
épuisé par un quart de siècle de guerre avec ses voisins,
accablé d'impôts, en proie à la tyrannie, où
des populations récemment conquises refusent le joug, c'est-à-dire
dans un environnement où nombreux sont ceux qui souhaitent s'éloigner
des centres du pouvoir.
1584-1598: Règne de Fédor 1er, tsar de Russie Fils d'Ivan le Terrible et d'Anastasia Romanovna, sa première femme, Fédor 1er épouse Irina Godounova, soeur de Boris Godounov. Aimable et bienveillant, peu porté à la guerre, mais physiquement maladroit et peu intelligent, le nouveau tsar est incapable de gouverner. Il est si pieux qu'on le surnomme le "sonneur de cloches". Son père, conscient de ses insuffisances, a institué un conseil de régence dans lequel figurent Ivan Chouïski, que sa sympathie pour la Pologne affaiblit, et Bielski, un des chefs de l'opritchnina, partisan du tsarévitch Dimitri (1582-1591), demi-frère de Fédor et fils de Maria Nagaïa. Boris Godounov, beau-frère du tsar, prend l'ascendant sur le conseil de régence et fait exiler Bielski et Dimitri à Ouglitch (1584) et assigner Vassili Chouïski à résidence à Galitch (en 1587). Les autres régents, Mtislavski et Romanov, dépourvus d'ambition, ne sont pas gênants. Boris Godounov peut ainsi gouverner à sa guise jusqu'à la mort du tsar. 1584 : fondation d'Arkangeslk.
1596: par l'Union de Brest, les uniates, essentiellement des Biélorusses et des Ukrainiens, font allégeance à Rome et se coupent ainsi du patriarcat de Moscou. 1597: en Russie, institution du servage pour
dettes, mesure qui mécontente le peuple. Oukaze sur la recherche
et la sédentarité des paysans en fuite.
Avec la mort de Fédor, s'éteint la dynastie des Rurikides; il reste bien une héritière légitime du trône, Marpha Vladimirova, veuve du roi de Livonie et fille d'un cousin d'Ivan le Terrible, mais elle ne rentre en Russie que pour y être enfermée dans un couvent, en compagnie de sa fille Evdokia qui mourra dans des circonstances mystérieuses. Comme on va le voir, Boris Godounov sera proclamé tsar à Novodievitchi, avec le soutien du patriarche Job, placé à la tête du gouvernement. Mais cet avènement contesté marquera le début du Temps des troubles. Fédor laissa dans la mémoire
du peuple russe le souvenir d'un tsar bienveillant et pieux. Boris Godounov,
qui gouverna au nom du tsar, essaya de renforcer le pouvoir de ce dernier
au détriment des boyards et tenta de se rapprocher de l'Occident
en envoyant de jeunes nobles en Angleterre, en France et en Prusse. Mais
cette seconde tentative échoua, la plupart des jeunes gens refusant
de revenir en Russie. L'extinction de la dynastie des Rurikides débouchera
sur la guerre civile et l'invasion de la Russie par les Polonais et les
Suédois. Il y aura plusieurs faux tsars, même si deux seuls
sont réellement connus, et la croyance en la survivance des tsars
disparus tragiquement ou mystérieusement restera vivace, jusqu'au
20ème siècle avec Anastasia.
1598-1605: Règne de Boris Fedorovitch Godounov, tsar de Russie .
Le nouveau tsar, beau-frère du précédent, descend du mirza tatar Tchet qui quitta la Horde d'Or au cours du règne d'Ivan Kalita. Il est marié à Maria Malyouta-Skouratova, fille d'un favori d'Ivan le Terrible, qui lui donne deux enfants, Fédor II et Xénia. Tchet, converti au christianisme, fit construire le monastère Ipatiev, sur les bords de la Kostroma, au 14ème siècle. Boris Godounov a fait partie de l'Opritchnika; il a été chambellan d'Ivan le Terrible et a commandé la garde du palais de ce tsar. On le peint comme un homme de peu d'instruction, mais intelligent, rusé et impulsif, porté sur la magie noire, guidé uniquement par son intérêt personnel, prêt à tout pour arriver, le bien comme le mal, et sachant se montrer fastueux. La noblesse russe, affaiblie lors des deux derniers règnes, ne présente pas de candidat à la succession des Rurikides. Boris Godounov hésite d'abord à se mettre en avant, mais il est le candidat du patriarche Job et les mesures qu'il a prises pendant le règne de Fédor 1er sont appréciées par ses contemporains; il finit donc par accepter. Un zemski sobor, comprenant des boyards, le clergé et des représentants des communes, est réuni. Boris Godounov est élu tsar par cette assemblée, au troisième tour, malgré une résistance au sein de la Douma des boyards. Il est proclamé tsar au couvent de Novodievitchi. Fort de l'appui du peuple et de la noblesse, Boris exige qu'on lui prête serment dans la cathédrale de la Dormition, où il est couronné, et non au palais comme il est d'usage. A l'occasion de son couronnement, il libère des prisonniers, supprime les arriérés d'impôts et allège les taxes. Tsar élu, mais sans légitimité dynastique, Boris cherche à marier sa fille dans une famille régnante; il échoue, le prince Gustave de Suède se récusant, pour des motifs religieux, et le duc Jean de Danemark, qui était consentant, mourant subitement. 1598: Boris Godounov, qui marche contre les
Tatars du khan Kazy-Guirei, donne à Vassili Chouiski le commandement
de l'aile droite de l'armée. Les incursions tatares vont être
stoppées.
La guerre russo polonaise 1605-1618: la Pologne et le Grand-duché de Lituanie profitent de ce que la Russie traverse une période troublée pour tenter d'envahir ce pays à plusieurs reprises. La Suède s'alliera, suivant les cas, avec l'un ou l'autre des camps, les objectifs poursuivis variant au cours du temps. La Pologne visera un moment à rien de moins que l'unification de l'ensemble des Slaves sous son sceptre. 1605: le 21 janvier, Boris Godounov remporte, près de Dobrynitchi (Smolensk), une victoire qui contraint son adversaire à prendre la fuite. Mais les paysans mécontents rejoignent le camp du faux Dimitri; des aristocrates polonais, soutenus par des boyards russes, en font autant. Une violente répression s'abat sur tous les partisans du faux Dimitri de plus en plus nombreux. Le 13 avril, le tsar meurt, on ne sait trop comment: suicidé ou empoisonné? Officiellement, de la goutte. Une sorcière avait prédit qu'il ne règnerait pas plus de sept ans: la prédiction s'est accomplie! La mort du tsar fait avorter la tentative de mariage de Xénia. Boris Godounov fut un homme d'État énergique, orgueilleux et talentueux qui continua la politique d'Ivan le Terrible. Sous son règne, la conquête de la Sibérie fut poursuivie; les territoires méridionaux furent mis en valeur; les positions russes du Caucase furent raffermies. Grand bâtisseur, il intensifia la fortification de Moscou et des villes frontières; de nouvelles églises furent construites. Boris Godounov ouvrit la Russie sur l'étranger en y invitant des spécialistes; il envisagea même de créer à Moscou une école supérieure où viendraient enseigner les professeurs illustres de l'Europe mais l'opposition du clergé fit obstacle à ce projet. Il aimait organiser de fastueux banquets réunissant de nombreux convives et envoya même au shah de Perse, sur la demande de ce dernier, une distillerie complète qui n'arriva malheureusement pas à destination, le navire qui la portait ayant sombré corps et bien. En matière de servage, l'héritage de Boris Godounov est ambigu: il libéra des paysans, mais en asservit d'autres, tandis qu'il organisait les institutions qui légalisaient le servage (interdiction de quitter les domaines, recherche et punition des fugitifs...). Mais ces institutions ne faisaient que sanctionner une situation de fait: le renforcement de l'État centralisé et la formation d'une classe dirigeante puissante réduisait déjà la liberté des plus faibles. La légalisation du servage contribua à dresser le monde paysan contre le tsar. Avant de mourir, ce dernier avait pris la précaution de nommer son fils Fédor co-régent, afin de faciliter sa succession. 1605: Règne Fédor II, tsar de Russie Fédor accède au trône à l'âge de 16 ans. Mais les boyards lui refusent leur allégeance. Le jeune tsar s'appuie alors sur l'un des aristocrates russes les plus populaires, Piotr Basmanov. Celui-ci persuade ses troupes de prêter serment à Fédor mais laisse ourdir un complot contre lui avant de se rallier au faux Dimitri. Début juin 1605, un soulèvement populaire détruit le palais des Godounov à Moscou, un groupe de boyards s'empare de la ville et étrangle Fédor II et sa mère. Le règne aura duré moins de deux mois. Le patriarche Job, qui avait pris Fédor sous sa protection, est arrêté et conduit au monastère de Staritsy, tandis que sa maison est mise à sac. L'archevêque de Riazan, Ignati, est nommé patriarche à sa place. Xénia deviendra l'esclave de Gregori Otrepiev et, quand il en sera rassasié, elle sera enfermée dans un couvent, où elle mourra sous le nom d'Olga. Ainsi s'acheva la dynastie des Godounov qui n'avait durée que sept ans. 1605-1606: Règne de Dimitri II, tsar de Russie, le premier faux Dimitri Le 20 juin 1605, le faux Dimitri entre à Moscou où il est proclamé tsar. Sa mère, la dernière épouse d'Ivan IV, Maria Nagaïa, le reconnaît le 18 juillet. Il est couronné dans la cathédrale de la Dormition, vers la fin du mois de juillet (le 21 ou le 30). Gregori Otrepiev, fils d'un Strelets (militaire), avait servi comme valet chez les Romanov, puis chez le prince Boris Tcherkassov, avant de prendre l'habit de moine au monastère de Tchoudov; sachant lire et écrire, il avait été remarqué par le patriarche Job qui l'avait fait diacre; mais, à la suite de propos obscènes qu'il avait tenus, il avait été condamné à l'exil dans un monastères des îles Solovetsky, au nord de la Russie; il s'en était échappé pour s'enfuir en Pologne où il avait commencé une carrière lucrative de faux tsarévitch. Il s'appuie sur les Romanov et les Nagoï et poursuit la politique d'Ivan IV. Fédor Nikitovitch Romanov, devenu le moine Philarète, est promu métropolite de Rostov. Dimitri II entreprend la rédaction d'un nouveau code général des lois (soudiebnik) incluant une disposition permettant aux paysans de quitter leur propriétaire le jour de la Saint-Youri. Il réorganise la Douma des boyards qui porte désormais le nom de Sénat. Il stimule le commerce et souhaite instaurer sa liberté, mais il se heurte à des réticences. Il envisage la création d'une université à Moscou. Mais ses réformes, ses pratiques catholiques et l'influence polonaise qu'il est censé favoriser, soulèvent contre lui l'hostilité de la noblesse, du clergé et d'une partie de la population. En outre, il s'attire l'animosité du roi de Pologne, Sigismond III, car il tarde à tenir ses promesses de cession de terres et de conversion de la Russie au catholicisme. L'opposition se regroupe autour de Vassili Chouiski, apparenté aux Rurikides, qui trame un complot. Au printemps 1606, Marina Mniszek, une aventurière polonaise, qui rêve d'être tsarine, rejoint en grande pompe le faux Dimitri, sans que l'on sache si elle s'est convertie à l'orthodoxie, le 2 mai. Le 8 mai, le faux Dimitri et Marina se marient et sont couronnés. Ils passent une semaine à festoyer. Le 16 (ou 17) mai 1606, ils sont réveillés par le bruit des cloches et des coups de feu; la foule envahi leur chambre; Dimitri II est assassiné et Marina violée. Selon une première version, le corps du tsar est dépecé et les morceaux tirés au canon en direction de la Pologne en manière de défi; selon une seconde version, son cadavre est exposé en place publique, le visage couvert d'un masque pour cacher une horrible blessure; bref, il n'est pas identifiable, ce qui contribue à accréditer la thèse de sa survie! Maria Nagaïa revient sur sa reconnaissance: ce Dimitri là n'était pas son fils. La mort du premier faux Dimitri met provisoirement un terme aux hostilités avec la Pologne. Job, qui retrouve son patriarcat, est ramené à Moscou, tandis qu'Ignati est emprisonné au monastère de Tchoudov. On dit aussi que Job, au lieu d'être exilé, aurait été assassiné et que, pendant un temps, la Russie aurait été privée de patriarche. Dimitri II voulait nouer une alliance contre la Turquie avec l'empereur germanique, les rois de France et de Pologne, Venise et la papauté. Il promettait beaucoup, aux plans religieux comme territorial à ses futurs alliés, mais se gardait bien de tenir ses promesses dans la crainte de s'attirer l'animosité de ses sujets, ce qui ne suffit pas à le sauver. 1606-1610: Règne de Vassili IV Chouiski, la Crapule, tsar de Russie Vassili Ivanovitch Chouiski descend de Rurik par la lignée de Iaroslav II de Vladimir; il descend également du troisième fils d'Aklexandre Nevski. Il fut l'un des représentants de sa famille à la cour d'Ivan IV et fut exilé par Boris Godounov, avant que celui-ci ne lui redonne sa confiance, comme on l'a dit plus haut. Il combattit le faux Dimitri 1er avant de passer dans son camp après la mort de Boris Godounov. Il complota par deux fois contre Dimitri devenu tsar; la première fois, il fut condamné à mort, puis gracié; la seconde fois le complot réussit. Vassili IV est conduit du Kremlin à la Place Rouge où il est proclamé tsar "à la criée". Sous son règne le Temps de troubles atteint son point culminant. Les provinces se soulèvent contre ce tsar qui leur semble imposé par Moscou tandis que de nouveaux faux Dimitri apparaissent. 1606: première rébellion conduite
par Ivan Bolotnikov et Istoma Pachkov. Le nord de l'Ukraine, devient un
lieu de résistance. Bolotnikov rassemble une armée et vient
assiéger Moscou. Il est battu en décembre 1606.
Les forces suédoises font lever le blocus de Moscou et le nouveau faux Dimitri se réfugie à Kalouga. Skopine revient dans la ville, où il meurt bientôt, probablement empoisonné sur ordre de Vassili. Le roi de Pologne, Sigismond III, abandonne la cause de Dimitri, mais c'est pour revendiquer à son tour la Moscovie. Des Russes, dont Fédor Romanov - Philarète, laissent également tomber Dimitri qui tente de rallier des Cosaques et même des Tatars à sa cause. Cependant, les boyards restés à Moscou renversent Vassili qui est tonsuré et relégué au monastère du Miracle. Vassili IV Chouiski était petit et myope et il avait le dos rond. Il était avare, rusé, croyait à la sorcellerie et aimait les dénonciateurs. Il n'a pas laissé un bon souvenir en Russie. 1610: Ladislas de Suède et Sigismond III, puis 1611: Ivan, fils du second faux Dimitri, et troisième faux Dimitri Au milieu de ces troubles, l'Église
orthodoxe, dirigée par le patriarche Hermogène et l'higoumène
du monastère de la Trinité-Saint-Serge, reste la seule structure
capable de sauver le pays. La résistance s'organise. Un zemski
sobor donne une forme légale à la volonté de restaurer
l'autocratie. Une première armée de libération se
rassemble près de Riazan sous le commandement du prince Troubetskoï.
1611: une ambassade, conduite par Philarète, offre la couronne de Russie à Ladislas de Suède, fils de Sigismond III, que le zemski sobor élit tsar. Les Polonais entrent dans Moscou. où ils pillent la chasse et les soiries de Saint Basile. Philarète est arrêté en Pologne et y restera interné huit ans. Vassili et ses frères sont déportés en Pologne. Sigismond décide de placer la couronne de Russie sur sa tête mais s'aliène les boyards favorables à son fils; ces derniers lui reprochent d'être catholique et le soupçonnent de vouloir persécuter l'orthodoxie. Dimitri se prend de querelle avec un chef tatar, Uraz-Mohammed (Ourouss-Mourza); le fils de ce dernier accuse son père de vouloir tuer Dimitri, lequel ordonne l'exécution d'Uraz et, au cours d'une chasse, le fils d'Uraz tranche la tête de Dimitri et dépèce en morceaux son corps, pour venger son père. Marina, au dernier mois d'une grossesse, n'a plus que la ressource de ramasser les restes de son mari. L'hataman de Ternople, Ivan Zarucki, ordonne à ses cosaques l'exécution du fils d'Uraz. Marina Mniszek accouche d'un fils du second faux Dimitri. Les Polonais s'emparent de Smolensk. Les Suédois
entrent à Novgorod. Les Cosaques tentent d'abord d'imposer Ivan,
fils du second faux Dimitri comme tsar et, comme il est trop jeune, ils
trouvent un troisième faux Dimitri. Un nouveau mouvement de libération
se forme sous le
boucher Minine et le noble Pojarski.
Les Romanov Les Romanov de la lignée masculine 1613-1645: Règne du tsar Michel 1er Michel Fédorovitch Romanov est élu tsar par un zemski sobor (assemblée). On a vu que, dès l'âge de cinq ans, il avait été enfermé au monastère de Belozerski avec une de ses tantes par Boris Godounov, tandis que sa mère était contrainte de prendre le voile sous le nom de Marthe. Treize ans s'étaient écoulés depuis cette époque et bien des événements tragiques étaient survenus. Personne ne savait où se trouvait le jeune tsar et il fallait donc se mettre à sa recherche. En fait, il séjournait, en compagnie de sa mère, dans le petit village de Domnino, à une soixantaine de kilomètres de Kostroma. Mais les Russes n'étaient pas seuls sur la piste du tsar Michel; les Polonais échappés de Moscou voulaient également le dénicher pour l'empêcher de monter sur le trône en l'assassinant. Il était vital pour la Russie qu'ils n'arrivent pas auprès de lui avant les Russes. Les Polonais, qui connaissaient l'endroit de la retraite de Michel et de sa mère, s'était emparé d'un paysan du village de Derevnitche, Ivan Soussanine, qu'il sommèrent de les amener jusqu'à Domnino; Soussanine leur proposa d'emprunter un raccourci qui traversait une épaisse forêt où il les égara à travers les fourrés d'épines et les marécages; il paya de sa vie cette courageuse initiative qui sauva le premier des Romanov d'une mort certaine et devint par ce geste un des héros légendaire de la Russie. Michel et sa mère s'installèrent alors au monastère Saint-Hypatuis, près de Kostroma, où la délégation du zemski sobor les rencontra le 14 mars 1613. La mère de Michel se montra d'abord très réticente à l'idée de voir son fils monter sur le trône. Elle reprocha amèrement aux délégués la pusillanimité et la versatilité de la noblesse russe au cours de la dernière décennies. Cependant, après les prières et les argumentations des envoyés de Moscou, vinrent les menaces, et elle finit par céder en bénissant son fils. Ce dernier fut solennellement couronné par le métropolite de Kazan, Ephrème, le 11 juillet 1613. Le nouveau tsar succède à la période des troubles. Fils de Philarète (Fédor), prisonnier des Polonais, il descend d'un prince prussien converti à l'orthodoxie qui transmit à ses enfants des noms de chevaux (jument, étalon), d'un autre animal (chat) ou d'un arbre (sapin); il descend également d'un boyard d'Ivan Kalita et de la famille de la première femme d'Ivan le Terrible; sa famille est la plus proche de l'ancienne dynastie des Rurikides. Il octroie à Pojarski, qui a facilité son accession au trône, le titre de "sauveur de la mère Patrie" et ennoblit Minine. Les débuts du règne sont difficiles: des brigands sillonnent la Russie; les Cosaques du Don soutiennent les prétentions du fils du second faux Dimitri et de l'ex-tsarine Marina Mniszeck; la Russie est en guerre contre la Suède et la Pologne qui ne le reconnaît pas. Le nouveau tsar, qui recherche le soutien populaire, réunit fréquemment le zemski sobor. 1613: les habitants d'Astrakhan, qui redoutent
le mécontentement du nouveau tsar, chassent Zarucki, Marina Mniszek
et son fils de leur ville. Création de gouverneurs militaires (voïvodes)
pour limiter les pouvoirs des assemblées locales.
Fédor établit un cadastre pour favoriser la collecte des impôts. Il crée des industries, notamment une fabrique d'armes à Toula. Il lutte contre la corruption et commence à ouvrir réellement la Russie sur l'Occident en nouant des relations commerciales avec l'Angleterre, la Hollande et le Danemark. Il réorganise l'armée en faisant appel à des étrangers, entre 1630-1632 apparaissent les premiers régiments qui seront l'amorce d'une armée russe régulière. Il étend la Russie en direction de la Sibérie. Il ne réunit plus qu'occasionnellement le zemski sobor. 1620: rétablissement des imprimeries gouvernementales. Entre 1620 et 1630, plusieurs révoltes paysannes éclatent dans l'ensemble polono-lituanien, comprenant des territoires qui seront plus tard biélorusses et ukrainiens. Pour se soustraire à la répression, des paysans vaincus se réfugient auprès des Cosaques zaporogues, des guerriers à demi nomades, jaloux de leur indépendance, éternels rebelles qui vivent de raids sur leurs ennemis, et dont l'influence dans l'histoire de l'Ukraine va s'accroître. 1624: en Russie, le tsar épouse Maria
Vladimirovna Dolgoroukova (une Dolgorouki); ce mariage est arrangé
par sa mère, mais la jeune femme ne lui plaît pas et il ne
s'en accomode que par obéissance. La jeune femme tombe malade lors
des cérémonie et meurt quatre mois plus tard.
1640: début du soulèvement des Cosaques zaporogues contre les Polonais qui occupent la future Ukraine. 1642: la Turquie menaçant d'entrer en
guerre, Azov lui est restituée, après la destruction de ses
fortifications.
Michel 1er réussit à maintenir l'indépendance de la Russie menacée par la Pologne et à surmonter les troubles intérieurs. Sous son règne le pays, qui sort exsangue de la période des troubles, connaît un début de modernisation administrative et économique ainsi qu'une ouverture sur l'Occident européen. L'expansion russe vers la Sibérie reprend et celle vers la mer Noire commence; elle est essentiellement le fait d'aventuriers cosaques, à la recherche de la fortune matérialisée par les fourrures et les dents de morse au nord, et qui repoussent la menace tatare au sud. Mais le trait dominant du règne est le triomphe de l'État autoritaire centralisé. Après la période agitée qu'elle vient de traverser, la Russie aspire à l'ordre plus qu'à la liberté et elle est pour longtemps disposée à confier tous les pouvoirs au tsar à condition qu'il maintienne la tranquillité. Comme on le verra, cela n'exclut pas des mouvements de révolte contre ceux qui sont jugés responsables des malheurs du peuple, mais le tsar, considéré comme un père, n'est pas remis en question. Moscou, la troisième Rome, se considère comme l'héritière de Byzance, et l'orthodoxie, avec ses rites et sa liturgie spécifiques, est l'un des facteurs essentiels de l'identité et de la cohésion russes. Voici quelques observations concernant la religion formulées par un témoin oculaire (Margeret). Le baptême s'administre par trois immersions; le prêtre pend une croix au cou du baptisé qui la portera toute sa vie. Les Russes ont quatre carêmes pendants lesquels ils ne mangent pas de chair mais des racines et du miel. A Pâques, ils se rendent les uns chez les autres, se congratulent, se réjouissent de la résurrection du Christ, et s'échangent des oeufs peints en rouge. Les gens du peuple sont complètement incultes et "Enfin, on peut dire que l'ignorance est la mère de leur dévotion". 1645-1676: Règne du tsar Alexis 1er, le Paisible (ou le Très Faible ou le Doux) Il a été élevé au Kremlin par son grand-père le métropolite Philarète qui lui a choisi son précepteur, un boyard ambitieux marqué par la culture occidentale, Boris Morozov, assisté par Vassili Ivanovitch Strechnev. Il reçoit une éducation convenable qui en fait un souverain cultivé, qui écrit des poèmes, aime la lecture et le théâtre, et montre des goûts artistiques raffinés comme en témoignent les ensembles architecturaux qu'il fait construire. Il se passionne pour les jeux d'échecs et la chasse aux faucons et possède plus de 3 000 de ces rapaces ainsi que plus de dix mille nids de pigeons pour les nourrir. Très pieux, il suit toutes les prescriptions religieuses et prie souvent. Monté sur le trône à l'âge de 16 ans, Alexis 1er, est un adolescent corpulent, débonnaire, bon et sans rancune, aux grosses joues rouges et au front bas, au doux visage et aux yeux rieurs. S'il lui arrive de se mettre en colère, cela ne dure jamais longtemps et il finit souvent par s'excuser auprès de celui qui a été l'objet de son ressentiment. Sa sévérité est rarement inéquitable. Ne manquant ni d'allure ni de courage, il représente avec dignité le pouvoir impérial. Mais trop jeune et manquant d'expérience, il laisse Morozov, avec lequel il s'est lié d'amitié, exercer le pouvoir à sa place. 1645: la colonisation de la Sibérie se poursuit; les rives du Pacifique sont atteintes. Apparition de la secte religieuse des flagellants (khlysty) qui se fustigent en considèrent la débauche comme un moyen d'atteindre à la pureté. Les flagellants se livrent à des sortes de danses tournantes génératrices de frénésie collective. Ils pensent que le Christ se réincarne périodiquement. Raspoutine aurait pu être un des derniers adeptes de cette secte. 1646: recensement et enregistrement
de la population masculine des serfs domestiques.
Dejnev franchit le détroit de Béring et arrive en Alaska; avec la Sibérie, la Russie était à cheval sur deux continents, la voici qui empiète sur un troisième! En future Ukraine, Bogdan Khmelnitski, après que son domaine ait été saccagé par un noble polonais, rejoint les Zaporogues. Il en devient bientôt le chef et lance une insurrection générale contre les Polonais qu'il accuse de brimer les orthodoxes. A l'été 1648, avec l'aide des paysans, il a libéré la rive gauche du Dniepr qu'il s'apprête à franchir. Il se rend à Moscou pour suggérer au tsar d'intervenir afin de libérer la population ukrainienne du joug polonais; en fait, il craint surtout une intervention moscovite aux côtés des Polonais pour écraser une révolte ukrainienne paysanne. Prudent et dubitatif, le tsar, qui est resté jusqu'alors neutre, évite de s'engager trop avant. 1648-1649: en Russie, le zemski sobor supprime les privilèges administratifs et judiciaires du clergé et le soumet aux tribunaux laïcs pour les affaires non ecclésiastiques. Il accorde une grande attention à la protection du tsar et renforce la noblesse. Un nouveau code, l'Oulojénié, remplace le Soudiebnik; favorable à la bourgeoisie des villes et aux propriétaires terriens, il consacre le servage en rattachant le serf à la terre et à son maître, l'habitant des faubourgs à la ville dans laquelle il vit, prévoit déportation des paysans qui fuient le servage, sans limitation de délais, et rend le servage héréditaire; ce code, qui aggrave les antagonismes entre les villes et les campagnes, restera en vigueur jusqu'en 1838. 1649: les Zaporogues insurgés, vainqueurs à Zbaraza obtiennent la reconnaissance de leur hetman et un certain degré d'autonomie par la paix de Zborowski. Tchiguirine devient la capitale de l'Ukraine autonome tandis que tous les Cosaques zaporogues sont amnistiés et les Juifs chassés du territoire. 1649-1653: en Sibérie, Khabarov reconnaît
le cours de l'Amour.
Un nouveau soulèvement se produit en Ukraine à l'initiative des paysans qui refusent le retour de leurs maîtres polonais. 1651: les Ukrainiens, trahis par le khan de
Crimée, sont battus à Berestetchek. La paix de Belaja Tserkovbaja
leur retire les avantages de la précédente pacification.
Alexis 1er nomme Nikita Nikon patriarche de Moscou; le nouveau patriarche révise les textes sacrés, dont la rédaction date de l'époque d'Ivan le Terrible, dans le but de rapprocher l'orthodoxie russe de l'orthodoxie grecque et de renforcer l'Église. cette réforme, qui froisse la tradition russe, n'est pas du goût de tous; l'archiprêtre Awakoum prend la tête des contestataires et forme le schisme des vieux-croyants (Raskol) qui est suivi par beaucoup de petites gens, au point de prendre un caractère social: être vieux-croyants, c'est aussi souvent rejeter l'extension du servage! Un comptoir de traite des fourrures, établi par Yakov Pokhabov, existe à l'emplacement d'Irkoutsk (Sibérie); Pokhabov y commerce avec les Bouriates, un peuple autochtone d'origine mongole. 1653: un Code du commerce, qui frappe d'une taxe de 5% les marchandises entrant dans le pays, témoigne de l'importance prise par cette activité. Bogdan Khmelnitski, prie à nouveau la Russie de prendre l'Ukraine sous sa protection. Un zemski sobor accepte l'entrée de l'Ukraine dans l'Empire russe. 1653: Awakoum va passer plusieurs années
exilé en Sibérie où beaucoup de vieux-croyants sont
envoyés après avoir été excommuniés.
La Suède entre en guerre à son tour et ses troupes pénètrent en Pologne. En Russie, création du Bureau du
Grand souverain qui traitera désormais les affaires d'État
qui relevaient jusque là de la Douma des boyards.
1657: les aristocrates polonais reçoivent le droit de vie et de mort sur leurs serfs ukrainiens. 1658: en Russie, un oukaze punit d'un
châtiment pouvant aller jusqu'à la peine capitale le fait,
pour un faubourien, de s'installer ou de se marier de son libre choix dans
un autre faubourg.
1659: la guerre reprend avec la Pologne mais les Cosaques ne sont plus unanimes: l'Ukraine occidentale (ouest du Dniepr) est pro-polonaise alors que l'Ukraine orientale penche vers Moscou. La paix de Kardis, met fin au conflit avec
la Suède; la Russie, affaiblie par sa lutte contre la Pologne, perd
ses conquêtes de Livonie et d'Ingrie.
1667: le traité d'Androusovo met fin à la guerre contre la Pologne. L'Ukraine est partagée en deux: la Pologne reçoit la partie occidentale de l'Ukraine et la Biélorussie; la Russie obtient Smolensk, la Sévérie, l'Ukraine orientale et Kiev, bien que cette dernière ville soit à l'ouest du Dniepr. Les Cosaques Zaporogues demeurent sous l'administration commune de la Pologne et de la Russie. En Russie, la liquidation du Bureau des
monastères limite la propriété foncière
ecclésiastique; l'Église est soumise au contrôle du
tsar.
L'affaire des vieux croyants montre qu'une partie importante des Russes tient aux traditions et qu'il ne sera pas facile de réformer le pays. C'est pourtant ce que vont tenter les successeurs d'Alexis. En Ukraine, la Russie tsariste se présente en libératrice et en rassembleuse des populations issues de l'ancienne Rus' médiévale; cette politique sera poursuivie jusqu'à la Révolution et reprise ensuite par le pouvoir soviétique. Si l'autocratie n'est pas contestée, les émeutes populaires manifestent pourtant d'un mécontentement profond envers l'organisation de la société et les privilèges qui en découlent. En politique étrangère, la Russie s'efforce de récupérer les territoires perdus puis d'absorber l'Ukraine, acquise récemment, tout en contenant au sud le khanat de Crimée, vassal de l'Empire ottoman, et au nord la Suède avec une armée nationale encore très déficiente. Signalons une curieuse mesure prise par le tsar Alexis 1er pour éliminer les jurons et les mots obscènes du vocabulaire des gens du commun. Des groupes spéciaux de streltsy circulaient dans les lieux populeux et, s'ils entendaient quelqu'un prononcer des mots déplacés, ils l'empoignaient et le rouaient de coups de bâton, parfois en jurant eux-mêmes! Vers la fin du 17ème siècle, la Russie ne compte encore qu'à peine plus de 10 millions d'habitants. L'agriculture reste l'activité économique principale du pays; le servage défavorise sa productivité; il démotive le paysan qui privilégie ses devoirs religieux plutôt que le travail. L'artisanat se développe dans les villes et quelque manufactures apparaissent; elles produisent surtout pour l'État. Le commerce se développe sur l'axe de la Volga mais, en tant que monopole d'État, il ne participe que très peu au développement du pays. Les difficultés extérieures et intérieures militent pour un renforcement de l'absolutisme et du servage tandis que la faiblesse de la bourgeoisie urbaine conduit le pouvoir à s'appuyer sur l'aristocratie de service en lui concédant de nouvelles terres, avec leurs serfs, de nouveaux droits et de nouveaux privilèges. La Douma des boyards et le zemski sobor perdent de leur importance. 1676-1682: Règne du tsar Fédor III, le Doux Instruit, ce qui est rare à l'époque en Russie, plein de bonne volonté, mais malade, probablement scrofuleux, obligé de s'appuyer sur une canne pour marcher et incapable d'enlever lui même son chapeau, à cause d'une chute de cheval survenue alors qu'il n'avait que douze ans, ce tsar tient beaucoup du caractère de son père. Il préfère l'ordre à la pompe. Il aime les animaux, élève des chevaux et fait installer des ménageries dans ses résidences. Tsar à quinze ans, il inaugure son règne en exilant les Narychkine, famille de la seconde épouse de son père, illustration d'un conflit entre les familles des épouses du tsar précédent. Fédor III gouverne avec l'amant de sa soeur Sophie Alexeievna, Vassili Golitsyne. Les deux hommes mènent une politique d'ouverture en direction de l'Occident. Les habitudes vestimentaires de la cour sont réformées: l'ancien caftan est remplacé par des vêtements européens. Ils fondent une Académie russe. Pour la première fois, la table de multiplication est publiée en Russie. Des guerres ont lieu contre la Pologne et la Turquie. 1676: le monastère des îles Solovki,
dans la mer Blanche, qui est entré en dissidence, à la suite
de l'affaire du Raskol, est assiégé. Il sera pris
et ses moines seront brûlés vifs. Le lieu servira ensuite
de prison, tsariste puis soviétique.
Parmi les mesures pénales prises
pendant le court règne de Fédor III, citons deux améliorations
notables: l'interdiction d'enterrer vivantes jusqu'au cou les femmes condamnées
pour avoir tué leur mari, peine barbare qu'il remplaça par
l'enfermement dans un couvent, et l'interdiction de la mutilation des voleurs.
1682-1696: Règne du tsar Ivan V - Régence de Sophie 1682: le jour de la mort de Fédor III,
le patriarche Joachim, après avoir pris conseil des boyards, déclare
Pierre, fils de Natalia Narychkina, héritier du trône. Cette
annonce est généralement bien accueillie, sauf par
la famille Miloslavski qui fait courir le bruit que les Narychkine ont
étouffé Ivan, le fils de Maria Miloslavskaï. Le 23 mai,
des désordres éclatent à Moscou. Une révolte
des régiments de stretlsy (mousquetaires) entraîne
la mort de plusieurs membres de la famille de Pierre qui sont précipités
sur les lances des streltsy du haut de l'escalier rouge du Palais
à facettes dans l'enceinte du Kremlin. L'émeute ne peut pas
être calmée, même après avoir montré Ivan
bien vivant aux émeutiers. Ceux-ci exigent désormais qu'il
monte sur le trône. Un conseil composé du haut clergé
et de personnes de la cour décide que Ivan et Pierre gouverneront
ensemble. Le 26 mai, la Douma entérine ce choix. Ivan V,
l'aîné et le premier tsar, partage le trône avec son
demi-frère, Pierre, le cadet et le second tsar. La tsarine Natalia
Narychkina est écartée de la régence au profit de
Sophie, fille de Maria Miloslavskaïa. Les deux princes sont encore
enfants (Ivan à 16 ans et Pierre 10 ans) et Pierre va être
contraint de se réfugier, pour sa sécurité,
avec sa mère Natalia, dans le domaine de Preobrajenskoe, sur la
route qui mènera à Saint-Pétersbourg, où
il organise prudemment une petite armée exercée, non sans
accidents, par des officiers étrangers; cette petite armée
comprendra le bataillon Preobrajenski et le bataillon Semionovski, dans
un village voisin. La dyarchie instaurée suite à la révolte
des streltsy reste donc une fiction et c'est Sophie qui détient
seule la réalité du pouvoir. Le meneur des streltsy,
le prince Ivan Khovanski, qui espèrait sans doute exercer la régence,
se retourne contre elle et, soutenu par les vieux-croyants, il s'oppose
à la réforme de l'église orthodoxe; battu, il est
exécuté et remplacé par Chaklovity à la tête
de l'armée moscovite. Le 5 juillet 1682, se tient au Palais des
Facettes un débat sur le schisme auquel participent l'archevêque
Afanassi Kholmogorski et le chef des vieux croyants, Nikita Poustosviat;
ce débat vise probablement moins à une réconciliation
qu'à l'élimination des vieux croyants. Sophie gouverne avec
son favori, le prince Golitsyne, tandis que Pierre se livre à l'étude
avec des maîtres étrangers.
Pierre, dont les goûts sexuels sont, selon certains, éclectiques, a trouvé un ami, et dit-on un amant, en la personne d'un aventurier suisse, capitaine de l'armée russe, François Lefort, qui l'a aidé lors de ses affrontements avec la régente Sophie. Il épouse Eudoxie Loupikine mais cela ne change rien à ses habitudes; il arrive même que Pierre et François Lefort partagent ensemble la couche de la tsarine, si l'on en croit les mauvaises langues. 1690: naissance du tsarévitch Alexis.
1682-1725: Règne du tsar
Pierre 1er, le Grand, tsar puis empereur de Russie
Ce tsar modernise son pays, cherche à l'occidentaliser et poursuit une politique expansionniste, en direction de la Sibérie, des mers libres et de la Route de la Soie. En Sibérie, les interventions de l'État commencent à prendre le pas sur les initiatives individuelles et cette vaste région cesse d'être une terre de liberté pour devenir une terre d'exil et de déportation. Pierre 1er se montre animé de la volonté de faire de son pays une grande puissance tournée vers l'Europe en l'arrachant à la barbarie asiatique. Il réorganise l'armée et se dote d'une marine de guerre. Cet homme, qui est un colosse (il mesure 2 mètres), se conduit brutalement avec ses proches, notamment avec ses femmes et son fils. 1696: Pierre annonce à la Douma des
boyards la création d'une "Grande Ambassade" destinée
à nouer des alliances européennes contre l'Empire ottoman.
La flotte maritime russe est nominalement fondée par un oukase.
Instauration du système des ordres russes. Premier oukaze sur l'envoi
de jeunes Russes à l'étranger pour y étudier. Le tsar
va lui-même voyager à travers l'Europe, à partir de
mai 1697, sauf en France alliée à la Turquie pour prendre
l'Autriche à revers; ce voyage lui apprendra beaucoup de choses,
en matière de construction navale, architecture, fortification,
mécanique, astronomie, médecine, anatomie... et même
à arracher des dents, et qu'il a les mains libres du côté
de la Baltique, mais aussi qu'il ne faut pas compter sur l'Espagne; au
cours de ce voyage, il rencontrera des savants, comme Leibniz et Newton.
Le trésor est à sec et le tsar comprend que, pour faire la guerre, il lui faut d'abord se procurer des ressources et que cela ne sera possible qu'en réformant. Une taxe spéciale frappe les riches, sauf les prêtres, pour financer la modernisation du pays. Pierre le Grand fonde la forteresse et le port de Taganrog. Cette cité sera la première base de la marine de guerre russe; elle sera commandée par l'amiral Golovine (1698-1702) et le vice-amiral Cornelius Cruysen (1711). 1699: Pierre entreprend de recruter une armée
régulière selon le système des levées d'office
établi au 17ème siècle.
Vers la fin du 17ème siècle une route transsibérienne est tracée. 1700-1721: Grande Guerre du Nord.
Une triple alliance (Danemark-Norvège, Saxe-Pologne-Lituanie et
Russie) entre en guerre contre la Suède dirigée alors par
un roi jeune, isolé, et que ses adversaires estiment inexpérimenté,
Charles XII. Le tsar espère récupérer les rives de
la Baltique, mais ses troupes sont écrasées à Narva.
1704: Pierre crée un impôt frappant les barbus afin de dissuader les Russes de porter la barbe considérée comme comme un signe de barbarie; cette mesure soulève une forte réprobation bien que les religieux en soient exemptés. D'autres dispositions seront prises en matière vestimentaire pour introduire en Russie les modes européennes. 1705: le service militaire obligatoire est instauré. 1706: la révolte de Boulavine et des Cosaques du Don, soutenue par les vieux-croyants, est brutalement réprimée. 1707: la révolte des Bachkirs de la Volga est matée. Une école de médecine et une école d'ingénieurs sont fondées. 1708: Charles XII bat les troupes russes à Holowczyn (Golovtchine). Le roi de Suède s'avance en Russie pour s'emparer de Moscou. Mais son aile gauche est écrasée par les Russes à Lesnaya (Lesnianka) et, ce renfort ne pouvant plus rejoindre le gros des forces suédoises, il est contraint d'abandonner son projet sur la capitale russe. 1708-1710: une réforme administrative divise le pays en huit gouvernements dirigés par des gouverneurs qui exercent les pouvoirs civil et militaire. La scolarisation des garçons de 10 à 15 ans est généralisée (sauf pour les nobles qui en sont exemptés en 1716). L'alphabet civil russe est créé. 1709: les Suédois, épuisés par l'hiver, et par la politique de la terre brûlée de leur ennemi, sont sévèrement battus à Poltava. Charles XII en fuite se réfugie dans l'empire ottoman où il restera 5 ans. La Suède sort très affaiblie de cette guerre. La victoire de Poltava marque l'entrée de la Russie dans le concert des grandes puissances européennes. 1710: le 20 novembre, poussée par Charles XII, des Polonais et des Ukrainiens, la Turquie, qui réclame la restitution d'Azov, déclare la guerre à la Russie. 1711: Pierre le Grand marie son fils Alexis à Charlotte de Brunswick-Wolfenbütel, belle-soeur de l'empereur Charles IV, pour se rapprocher des Habsbourg. La défaite de Stanilesti
Un Sénat dirigeant (organe consultatif
de neuf nobles substitué à la Douma des boyards) est
créé. Il remplace le tsar pendant ses absences et devient
l'organe exécutif permanent du pouvoir.
Le 22 septembre 1721, Pierre 1er est nommé par le Sénat Pierre le Grand, père de la Patrie, empereur de toutes les Russies par le Sénat. C'est une nouvelle manifestation du souhait du tsar de s'intégrer au concert européen (en s'écartant de Byzance). Son nouveau titre est reconnu rapidement par la Pologne, la Prusse et la Suède. Un règlement ecclésiastique inféode l'Église à l'État. Le patriarche est remplacé par un Saint-Synode de dix prêtres dirigés par un laïc nommée par le tsar. L'Église n'est plus que l'un des rouages de l'État et le restera jusqu'en 1917. 1722: adoption de la loi sur la succession
au trône. Création de la Table des rangs, visant à
renforcer le rôle de la noblesse au service de l'État, qui
précise l'ordre des années de service et établit la
hiérarchie des fonctionnaires civils, militaires et ecclésiastiques;
ce tableau de la hiérarchie russe restera en vigueur jusqu'en 1917.
D'humeur instable, Pierre le Grand était sujet à la colère et alors son visage se déformait, agité par les tics, sans doute souvenirs de la terreur infligée dans sa jeunesse par les streltsy. Il a profondément transformé la Russie. Mais seules les élites proches du pouvoir ont été touchées par cette volonté d'européanisation. La paysannerie, qui représente l'immense majorité de la population, au fond de ses isbas de bois, reste fidèle aux traditions de l'ancienne Moscovie. Les élites sont ainsi en train de se couper du peuple russe. Monarque absolu, le tsar n'est pas, sur ce plan, si différent que cela de Louis XIV. Il apparaît comme un facteur d'équilibre entre les différentes forces sociales du pays. Cependant, les réformes, brutalement imposées, pour mieux marquer son penchant pour l'Occident et son rejet de la tradition byzantine, donnent un second souffle au schisme des vieux-croyants. Le tsar réformateur est si bien considéré comme le continuateur de Nikon que certains vont jusqu'à penser qu'il en est le fils adultérin. Ils condamnent donc les réformes politiques et la modernisation de la société au nom de la religion et de l'identité nationale, ce qui donne d'autant plus de poids à leur contestation auprès du peuple. La chute de Nikon avait été perçue par les vieux-croyants comme un signe précurseur de la fin du monde et il s'en faut de peu que les mécontents ne reconnaissent en Pierre le Grand l'Antéchrist annoncé. Il faut ajouter que Pierre le Grand créa un Concile de la bouffonnerie et de l'ivrognerie qui singeait le Concile sacré de l'Eglise orthodoxe, à renfort de mariages et d'ordinations burlesques, copieusement arrosés, afin de ridiculiser le clergé et d'affaiblir son pouvoir; c'était également un moyen de montrer la toute puissance du tsar que rien ne pouvait arrêter, pas même le sacrilège. L'appréciation porté sur ce grand tsar par ses contemporains est donc très contradictoire. Au siècle suivant, les deux courants occidentaliste et slavophile naîtront de cette opposition entre le modernisme et la tradition. Le drapeau de la Russie aurait été choisi par Pierre le Grand. C'est celui des Pays-Bas qui l'aurait inspiré. La signification des couleurs, le blanc, le bleu et le rouge, assemblées en bandes horizontales, de haut en bas, varie selon les commentateurs. Pour certains, le blanc correspondrait à la liberté, le bleu à la Vierge protectrice du pays et le rouge (la belle couleur) à la dignité impériale. Pour d'autres le blanc représenterait la Russie blanche, le bleu la petite Russie et le rouge la grande Russie. Pour d'autres encore, il rappellerait les couleurs de Saint-Georges, protecteur de la Russie, représenté souvent sur les icônes chevauchant un cheval blanc et vêtu d'un manteau rouge sous un ciel bleu. Après la révolution communiste, le drapeau de l'URSS fut uniformément rouge (le sang des révolutionnaires), frappé de la faucille et du marteau dorés (symbole de l'alliance du prolétariat urbain et de la paysannerie) et de l'étoile rouge frangée d'or (symbole de l'Armée rouge). Le drapeau russe a retrouvé depuis la chute de l'URSS ses couleurs d'autrefois. 1725-1727: Règne de Catherine 1ère, impératrice de Russie Marthe Hélène Skavronskaïa, qui deviendra plus tard la tsarine Catherine, naît le 5 avril 1684 en Livonie. Elle est baptisé selon les rites catholiques. Ses parents sont emportés par la peste alors qu'elle n'est âgée que de douze ans. Un pasteur la prend en charge et la convertit au luthérianisme. Elle passe ensuite au service d'un personnage de Marienbourg, Glück, où elle apprend tout ce qui est nécessaire à la tenue d'une maison. Avant 17 ans, elle est violée par la soldatesque. A 18 ans, elle tombe amoureuse d'un dragon suédois qu'elle épouse afin d'éviter le bordel; la nuit de noces à peine achevée, le dragon la quitte pour rejoindre son unité. Le 25 août 1702, une semaine après son mariage, les Russes s'emparent de Marienbourg et elle tombe au pouvoir du commandant d'armes Boris Cheremetiev; elle lave alors le linge de ce dernier. On dit aussi qu'elle a, tour à tour, exercé les métiers de cantinière, prostituée, et a été offerte à un vieux maréchal. Un compagnon d'armes du tsar, Menchikov, la rencontre chez Cheremetiev; il propose à ce dernier de la lui céder. Venant d'un personnage aussi influent, un désir est un ordre. La jeune femme devient donc la servante de Menchikov qui la tient un temps soigneusement cachée. Mais, prit de boisson, il se vante de son acquisition. Le tsar Pierre, qui vient de rompre avec Anna Mons, demande à la voir. Il est séduit par sa robustesse, son énergie et sa bonne santé. Menchikov la perd mais il se fait une raison en apprenant à la nouvelle maîtresse du tsar comment satisfaire les désirs de son nouveau seigneur et maître. Lors d'un séjour à Preobrajenskoe, en compagnie d'une soeur du tsar qu'elle conquiert, elle apprend le russe et s'initie aux règles de l'étiquette. Fine psychologue, elle étudie le caractère de Pierre le Grand qui s'attache de plus en plus à sa favorite. En 1705, elle se convertit à l'orthodoxie. Docile et calme, elle partage les soucis et les difficultés du tsar. Plus d'une fois, elle apaise ses colères et sauve de la disgrâce, voire même de la mort, ceux qui les ont suscitées. A partir de 1710, elle est nommée dame d'honneur et accompagne le tsar dans tous ses déplacements, en lui donnant régulièrement des enfants, dont la plupart meurent très jeunes. En 1711, pendant la guerre russo-turque, elle est auprès du potentat russe et achète, selon la rumeur, la retraite du grand vizir aux prix de ses bijoux, comme on l'a déjà dit. Pierre le Grand souhaitait marier Anna et Élisabeth, deux filles qu'il avait eu de Catherine, à des princes européens, aussi leur fit-il donner une excellente éducation. Devenue impératrice, Catherine laisse Menchikov gouverner à sa guise et passe son temps à se divertir. Elle prend pour amant un homme très beau mais futile, Levenwold. Elle meurt d'une pneumonie, le 6 mai 1727. Après le règne de Catherine 1ère va commencer un chassé-croisé de tsars et tsarines issus des différentes branches de la famille impériale sur fond de querelles familiales, d'ambitions personnelles et de divergences politiques, jusqu'à l'avènement de Catherine II. Cette instabilité aura évidemment des répercussions négatives pour la Russie. 1727-1730: Règne de Pierre II Fils du tsarévitch Alexis et de la princesse Charlotte-Christine-Sophie de Braunsweig-Wolfenbüttel, petit-fils de Pierre le Grand, orphelin de bonne heure, l'éducation de Pierre II a été négligée. Il est désigné comme héritier du trône par Catherine 1ère. Devenu empereur à 12 ans, il écoute d'abord les conseils prudents de sa soeur Natalia, puis finit par s'en lasser et laisse le pouvoir à la famille Dolgorouki, qui prend le contre-pied de la politique de Pierre le Grand et de Catherine 1ère. Des mesures sont décidées pour contrôler la magistrature, réglementer l'usage des billets de change, interdire au clergé le port de vêtements laïcs et renforcer le rôle du Sénat. Il meurt de la variole à 16 ans et clôt la lignée masculine des premiers Romanov. 1727: le 23 mai, Menchikov organise les
fiançailles du nouveau tsar avec sa fille Maria de quatre ans son
aînée, avant de tomber inopportunément malade. Le jeune
tsar en profite pour se débarrasser de la tutelle encombrante de
Menchikov avec l'aide de sa soeur Natalia, d'Ostermann, son précepteur,
des Dolgorouki et de sa tante Élisabeth, la future impératrice,
dont, malgré son jeune âge, il est amoureux, passion qui se
métamorphosera en froideur lorsque la sémillante princesse
tombera dans les bras du général Boutourline. Le 8 septembre,
Menchikov reçoit l'ordre de ne pas quitter son domicile; le lendemain,
le général Saltykov lui remet l'ordre de son arrestation;
il est exilé, avec toute sa famille, en Sibérie, au village
de Berezov, avec confiscation de tous ses biens et insignes de ses ordres.
D'après le duc de Liria: "Pierre II était de haute taille, un bel homme, bien bâti; son visage était pensif; son allure était solennelle et sa force exceptionnelle. Avec ses proches, il parlait d'un ton calme, mais sans jamais oublier son rang." Au cours de son règne, les nobles reçurent le droit de prêter serment de fidélité à l'empereur pour leurs serfs et de les punir personnellement en cas de fuite. 1730-1740: Règne de Anne 1ère Anne 1ère est la fille d'Ivan V et de Prascovia Soltykova, nièce de Pierre le Grand. Elle était grosse, laide, peu soignée et sa mère, qui ne l'aimait pas trop, la désigna à Pierre le Grand lorsque celui-ci lui demanda une de ses filles pour le duc de Courlande. Elle est mariée à 17 ans avec ce dernier, dans le cadre de la politique extérieure d'alliances du tsar; la noce, qui a lieu dans le palais Menchikov, encore inachevé, est fastueuse, il est impossible de ne pas s'y enivrer; le lendemain, une autre noce a lieu: celle du nain de Pierre le Grand, Ekim Volkov avec une naine; le maître de la Russie a eu l'idée saugrenue de créer une race de nains et il a ordonné de ramener dans la capitale tous les nains de l'empire; près de soixante-dix sont au rendez-vous; cette seconde noce est aussi arrosée que la première. Au début de 1711, le couple ducale part pour la capitale de la Courlande, Mitau; au premier relais, le duc s'empiffre et s'enivre; il en meurt et la jeune mariée se retrouve veuve, deux mois seulement après son mariage. Elle revient à Saint-Pétersbourg, mais Pierre le Grand la renvoie à Mitau, et, comme il la juge trop niaise pour servir convenablement les intérêts de la Russie, il lui adjoint Pierre Bestoujov avec la triple mission d'administrer la Courlande, d'y être le résident de la Russie, et de devenir le favori de la duchesse; la dernière fonction n'est pas du goût de la mère d'Anne, mais le tsar lui rappelle sa jeunesse folle où elle fut engrossée par l'administrateur de son domaine, et cela la ramène à la raison. Anne devient donc la maîtresse de Pierre Bestoujev, qui dirige le duché. Puis, Après son rappel en Russie, en 1726, elle s'éprend du fils d'un palefrenier des écuries ducales, un certain Büren, qui n'a pas terminé ses études à Koenigsberg, pour avoir tué un soldat dans une bagarre, ce qui lui à valu de goûter le confort d'une prison, d'où, n'appréciant sans doute pas celui-ci, il s'est évadé. Toujours à court d'argent, malgré les quarante mille roubles de pensions annuelles que Pierre le Grand lui a octroyés, Anne sollicite constamment Saint-Pétersbourg. Elle semble peu faite pour régner un jour sur la Russie. Cependant, après la mort de Pierre II, elle est appelée au trône par la volonté d'un Conseil suprême de la noblesse, dirigée par Dmitri Golitsyne, en vue de limiter les pouvoirs de l'empereur. Des conditions lui sont soumises; elle ne pourra ni déclarer la guerre, ni signer la paix, commander la Garde et les armées, instaurer des impôts, dépenser l'argent du Trésor, donner des terres ou conférer des grades au-dessus de celui de colonel sans autorisation du Conseil suprême; elle ne pourra ni condamner à mort ni confisquer des terres sans le jugement d'un tribunal. Elle feint de se plier dans un premier temps à ces voeux et d'introduire en Russie un régime constitutionnel. Mais, une fois à Moscou, la noblesse moscovite lui ayant demandé de ne pas accepter ces conditions et de gouverner en autocrate, elle déchire purement et simplement le traité que l'on soumet à sa signature. Les membres du Conseil suprême sont inculpés de trahison; certains sont exécutés et les autres sont exilés. Anne transmet la gestion des affaires de l'État à son favori, le fils du palefrenier, qui francise son nom de Büren à Biron. Ce dernier s'entoure d'Allemands dont l'unique but est de s'enrichir; ils instaurent un régime de délation et font régner la terreur; c'est l'époque de la bironovchtchina (gâchis à la Biron). Biron, grossier et avide, se rendra célèbre par ses forfaitures et ses abus de pouvoir. Quant à l'impératrice, hautaine, aimant le faste quoique négligée, paresseuse et germanophile, elle se divertit en regardant des pièces jouées par des comédiens italiens ou allemands, joue aux cartes de grosses sommes qui enrichissent les tricheurs, dont un violoniste italien nommé Pedrillo qui retournera à Naples immensément riche. Elle chasse aussi beaucoup, de pauvres bêtes qui viennent tout juste d'être lâchées dans le parc, et de nombreux fusils sont toujours à sa disposition pour tirer de ses fenêtres sur les oiseaux. Anne 1ère trouve son plaisir à s'entourer de nains, d'estropiés et de monstres difformes; elle marie son bouffon, Galitzine, d'origine noble, à une vieille kalmouke repoussante qui effraie les prêtres et elle ordonne que la nuit de noce des époux se passe dans un palais construit en blocs de glace sur la Néva gelée. Elle meurt de calculs rénaux peu de temps après. 1730: apparition de la secte religieuse des combattants de l'esprit (Doukhobors) au sud de la Crimée. Les membres de cette secte pensent que la source de la foi est l'esprit divin et que chacun en possède une parcelle en lui. Ce n'est donc pas dans la Bible qu'il faut chercher la vérité mais au fond de chaque homme. Pour les combattants de l'esprit, tous les êtres humains sont égaux, ce qui les amène à rejeter toute forme d'autorité, de liturgie, de représentation ou de sacrements. Ils sont pacifistes, sobres et souvent végétariens, raisons suffisantes pour leur attirer les persécutions du pouvoir. Deux nouveaux régiments de la Garde sont crées: Izmaïlovski et Garde montée. 1731: début de l'intégration
des terres kazakh dans l'empire russe. Fondation à Saint-Pétersbourg
du corps des Cadets de la noblesse.
1734: l'Ukraine est annexée à la Russie et le servage va y être introduit. Un gouvernement dirigé par un Conseil comprenant trois Russes et trois Ukrainiens, sous le contrôle d'un Sénat, y est installé. Une question se pose: Bogdan Khmelnitsky voulait-il simplement se servir de la Russie pour éliminer le danger le plus présent, à savoir, le joug polonais ou a-t-il délibérément livré la fture Ukraine, ex-principauté de Kiev, à la Moscovie devenue Russie? Les avis son partagés. Quoi qu'il en soit, pour les Russes, le rattachement de l'Ukraine, comme plus tard lui de la Biélorussie, sont perçus comme une réunification, alors que, pour les indépendantistes ukrainiens, il s'agit d'une nouvele occupation. 1736: le service militaire est limité
à 25 ans.
Pendant ce règne baroque, alors que l'impératrice et ses courtisans menaient joyeuse vie, le peuple était pressuré par la fiscalité, le servage était de plus en plus rigoureux, les paysans étaient vendus sans la terre, comme du bétail, le peuple gémissait, la Chancellerie secrète envoyait les rebelles à l'estrapade ou à l'échafaud. Le 5 octobre 1740, Anne perdit connaissance au cours d'un dîner; elle resta douze jours alitée, avant de périr d'une lithiase rénale. 1740-1741: Règne de Ivan VI Ce tout jeune enfant fut désigné comme héritier du trône par sa grand-tante Anne 1ère, avec Biron comme régent. Mais ce dernier est écarté de la régence au bout d'un mois au profit de la mère du souverain, Anne Leopoldovna, fille de Catherine, la soeur aînée d'Anne 1ère. Biron est exilé en Sibérie. La régente, peu intéressée par les affaires de l'Etat, en confie la charge à André Ostermann. Elle préfère jouer aux carte ou se vautrer dans son lit. L'entente ne règne pas au sein du gouvernement. De plus, on reproche au pouvoir sa germanophilie; un sentiment anti-allemand perce au sein de la noblesse qui préférerait voir régner la fille de Pierre le Grand, Élisabeth Petrovna. On met en garde la régence, mais celle-ci ne s'inquiète pas; elle a tort. Dans la nuit du 25 novembre 1741, Élisabeth Petrovna avec des soldats de la Garde pénètre dans sa chambre en criant: "Ma soeur, il est temps de vous lever". Ivan VI est écarté du trône; la régente et les membres de sa famille sont exilés. Au cours de ce bref intermède, un Règlement des fabriques fixe les relations entre les patrons et leurs ouvriers. 1741-1762: Règne d'Élisabeth 1ère Petrovna, la Clémente Cette fille de Pierre le Grand et de Catherine
1ère parle couramment français, italien et allemand; elle
danse avec grâce et monte en selle parfaitement. A la fin de l'année
1721, elle a été reconnue césarevna, c'est-à-dire
héritière du trône. Sous le règne de sa mère
et de son neveu Pierre II, elle a mené une vie joyeuse et dissipée.
Sous Anne 1ère, qui la détestait, elle s'est tenue dans l'ombre.
On a envisagé un moment de la marier au duc de Chartres et même
à Louis XV, mais le cardinal Fleury s'est montré hostile
à un rapprochement avec la Russie et le projet d'union a été
abandonné. Élisabeth Petrovna, n'a pas manqué de prétendants,
attirés par sa beauté: le prince George d'Angleterre, l'infant
Manuel du Portugal, l'infant don Carlos d'Espagne, le duc Ernst-Ludwig
de Brunswick, le comte Maurice de Saxe, et même le Shah de Perse
Nadir; mais elle aimait le fils cadet du duc Karl-Friedrich de Holstein,
Karl-August qui meurt malheureusement de la variole en 1727. La future
impératrice reste fidèle à cet amour de jeunesse:
elle protégera les Holstein, mais elle compensera son absence de
mari par de nombreuses liaisons, notamment avec le général
Alexandre Boutourline, le grand maître de la cour Semion Narychkine,
le page Alexis Choubine, le chanteur Razoumovski et enfin Ivan Chouvalov.
Élisabeth est très populaire parmi les soldats du régiment de la Garde créé par son père; elle leur rend visite régulièrement, célèbre avec eux les anniversaires, et est la marraine de leurs enfants. Dans la nuit du 25 novembre 1741, encouragée par son médecin français et par l'ambassadeur de France, accompagnée de quelques proches et d'un groupe de grenadiers, elle se dirige vers l'état-major du régiment Preobrajenski; sur sa robe elle a revêtu une cuirasse et tient une croix d'argent dans sa main; elle lève la croix et harangue les trois cents soldats présent: "Qui voulez-vous servir? Moi, la souveraine naturelle ou les autres, qui m'ont volé mon héritage?". Les soldats embrassent sa croix et ses mains, lui prêtent serment et se mettent en marche vers le Palais d'hiver non sans appréhension; Élisabeth, âgée de trente deux ans, n'est pas tranquille: elle promet, si elle monte sur le trône, de ne jamais signer de condamnation à mort et tiendra parole. Les comploteurs arrêtent les membres de la famille impériale, Ivan IV, sa mère la régente Anne et son père le généralissime, ainsi que leur entourage germanique. Le coup d'État s'est déroulé sans résistance. La Russie apprend le changement de règne le lendemain par la publication d'un manifeste. Élisabeth déclare que le règne auquel elle vient de mettre fin ruinait le pays, opprimait le peuple, malmenait la foi orthodoxe et qu'elle va délivrer la Russie de l'humiliant joug étranger, ce faisant elle donne satisfaction à la société russe fatiguée de la présence allemande. Sa promesse est immédiatement tenue: d'importants dirigeants, Ostermann, Münnich, Lewenvold, Menglen, Golovkine, sont exilés. Le 25 avril 1742, elle place elle-même la couronne sur sa tête dans la cathédrale de la Dormition. Élisabeth est intelligente, bonne mais désordonnée et capricieuse; elle cherche un compromis entre les nouveautés européennes et les traditions pieuses de l'ancienne Russie; elle adore la danse, les beaux costumes, les déguisements, les mascarades et ne se couche qu'au matin, chaque fois dans une chambre différente; elle prend des oukazes pour déterminer la manière de s'habiller et de porter des bijoux en veillant à ce que personne d'autre ne soit coiffé comme elle; la garde-robe de l'impératrice se compose de quinze mille robes, de plusieurs milliers de chaussures et d'innombrables bas de soie; elle traite les affaires de l'État sans véritable intérêt et avec lenteur: on raconte que, étant en train de signer un traité avec l'Autriche, une abeille se pose sur la plume, effrayée elle jette tout et ne reprend la signature que six mois plus tard ! Elle n'entre en guerre contre la Prusse que parce qu'elle déteste personnellement Frédéric II. Sous son règne est construit le palais de l'Ermitage qui coûta, dit-on, la vie à quarante mille ouvriers, victimes des fièvres des marais. 1741-1743: guerre contre la Suède.
Vers la fin des années 1750, la santé de l'impératrice se dégrade; elle s'évanouit fréquemment; elle se renferme sur elle-même; tout l'irrite et elle refuse les médicaments; il est interdit de prononcer le mot "mort" en sa présence. Elle décède le 25 décembre 1761. Élisabeth 1ère laisse après elle de nombreuses réformes qui sont à mettre au crédit de son cousin, Pierre Chouvalov, qui dirigea les affaires intérieures pendant la majeure partie de son règne. Le Sénat réorganisé détient la totalité du pouvoir législatif et administratif. La noblesse se voit octroyer le privilège exclusif de posséder des terres habitées par des serfs; elle gagne du pouvoir au niveau local tandis que ses obligations envers l'État sont réduites. Un moratoire sur la peine de mort met un terme aux exécutions capitales pendant la durée du règne. Pour redresser une situation financière difficile, par suite des dépenses excessives des règnes précédents, les impôts sont augmentés mais les arriérés ne sont pas réclamés; les exportations par la mer Blanche et les mines de l'Oural sont affermées. Bien que peu cultivée, Élisabeth s'efforce d'introduire en Russie la culture européenne, comme le fit son père. Elle invite des étrangers renommés, dont plusieurs peintres français. C'est de son règne que date l'usage par la noblesse russe de la langue française qui durera jusqu'à la révolution de 1917. Avec Élisabeth 1ère disparaît la dynastie des Romanov proprement dite; les empereurs suivants porteront ce nom mais ne seront plus d'origine russe. Les Romanov de la branche des Holstein-Gottorp 1761-1762: Règne éphémère de Pierre III, duc de Holstein-Gottorp, empereur de Russie Pressenti pour devenir roi de Finlande lors de la tentative de création du royaume de Finlande, en 1742, Pierre III est le premier souverain russe de la branche des Holstein-Gottorp, qui reprit le nom des Romanov, et régna en Russie jusqu'en 1917. Orphelin de sa mère, la grande-duchesse Anna Petrovna, fille de Pierre le Grand, trois mois après sa naissance, puis de son père à 11 ans, il reçoit une éducation militaire particulièrement sévère, dès son plus jeune âge. Chétif, il est puni plus que de raison par ses maîtres pour la moindre faute. Il en gagne une profonde aversion pour les sciences. En revanche, il prend goût aux parades, aux aventures amoureuses, à la boisson et aussi à la musique, en particulier au violon. Sa tante, Élisabeth 1ère, le mande à Saint-Pétersbourg en 1742, pour en faire son héritier, et assurer ainsi la succession de la couronne dans la descendance de son père. L'adolescent de 14 ans s'ennuie dans sa nouvelle patrie où il se distrait en torturant cruellement les animaux, chiens et chats, sous les yeux horrifiés des courtisans et de sa femme, Sophie d'Anhalt-Zerbst, la future Catherine II, une Allemande, qui l'a épousé en 1745, dans l'espoir de devenir un jour impératrice de Russie. En 1756, pendant la Guerre de Sept Ans, le jeune homme, qui participe aux conseils de guerre, communique au roi de Prusse Frédéric II, qu'il admire, les plans de l'armée russe. Les militaires russes, qui l'appellent l'Allemand et suspectent sa trahison, le prennent en grippe. Il devient l'amant d'Élisabeth Romanovna Vorontsova, que sa famille verrait bien remplacer Sophie d'Anhalt-Zerbst. Après le décès d'Élisabeth 1ère, il sauve Frédéric II, qui envisageait de se suicider, en lui accordant une paix avantageuse. Il s'aliène encore un peu plus l'armée en l'obligeant à porter l'uniforme prussien et dégage la noblesse de ses obligations envers l'État, sauf en cas de guerre. Il amnistie Münnich, Biron et les autres Allemands exilés, ce qui le rend de plus en plus impopulaire. Au printemps 1762, il s'apprête à déclarer la guerre au Danemark, pour s'emparer du Schleswig qu'il compte annexer à son duché de Holstein. Il assigne son épouse à résidence à Peterhof, après l'avoir publiquement traitée d'imbécile, et rejoint ses troupes à Kronstadt. La tsarine, amie des philosophes et proche de l'opposition, qui craint pour sa vie, décide de tenter un coup d'État, avec l'aide de Nikita Panine et des frères Orlov (dont l'un, Gregori, est son amant) lesquels bénéficient de complicités dans les régiments Préobrajenski et Ismaïlovski. Le 28 juin 1762, le coup d'État, appuyé par des officiers et soldats de la Garde, réussit au delà de toutes les espérances. Catherine se proclame impératrice autocrate et les hauts dignitaires, les personnalités de la cour, les fonctionnaires gouvernementaux lui prêtent serment. Lâché par tout le monde, Pierre III est arrêté et emprisonné dans la propriété de Rocha, près de Saint-Pétersbourg. Le 6 juillet, il est assassiné par Alexis Orlof et ses gardiens dans des circonstances non élucidées; officiellement, on annonce que sa mort est due à des coliques hémorroïdales. Il est inhumé, avant d'avoir été couronné, dans le cimetière du monastère Saint-Alexandre-Nevski. Paul 1er fera exhumer sa dépouille et transférer son cercueil dans la cathédrale Saints-Pierre-et-Paul, avec la couronne impériale placée sur sont tombeau. Catherine II déploya les plus grands efforts pour déconsidérer Pierre III auprès des générations futures. Pourtant, au cours des 186 jours de son règne, plusieurs mesures positives furent prises: la renaissance de la flotte russe commença; la Chancellerie des Affaires secrètes, qui terrorisait la population fut supprimée; un oukaze sur la libération de la noblesse du service militaire obligatoire fut promulgué. 1762-1796: Règne de Catherine
II, la Grande, née Sophie Augusta Fredericka d'Anhalt-Zerbst
Dotée d'un appétit sexuel hors du commun, la nouvelle tsarine aura de nombreux amants. Cavalière émérite, elle chevauche aussi bien à califourchon qu'en amazone. Nikita Panine, ministre des Affaires étrangères, crée l'Accord du Nord entre la Russie, La Pologne, la Suède, et peut-être l'Angleterre, contre la ligue des Bourbons-Habsbourg (France, Espagne, Autriche). Dès son accession au trône, Catherine II s'aperçoit que le trésor est vide, que les fonctionnaires se livrent à la concussion et que le monde paysan s'agite; elle décide de reprendre la politique de réformes de Pierre le Grand, en s'appuyant sur l'expérience des étrangers compétents qu'elle attire en Russie. Elle attirera aussi des Allemands de basse extraction sur la terre russe pour peupler les steppes le long de la Volga. Princesse allemande, Catherine a peut-être du sang russe dans les veines car le bruit court qu'elle pourrait être la fille du diplomate Ivan Ivanovitch Betskoï, bruit accrédité par les attentions qu'elle lui porte: elle lui baise les mains et lui permet de s'asseoir en sa présence quand les autres doivent rester debout; lors d'une saignée, il lui arrive de souhaiter que tout son sang allemand s'en aille et qu'il ne lui reste que son sang russe. Elle parle couramment le russe, se débrouille en italien, comprend l'anglais et considère le français comme sa langue maternelle; elle correspond avec Diderot et Voltaire en français. Passionnée de collections, elle accumulera les tableaux et fournira ainsi une grande partie des fonds de l'Ermitage. Comme il n'y a pas d'ambassadeur de France en Russie, Louis XV y envoie incognito le chevalier d'Eon déguisé en femme! 1762: un oukase garantit aux étrangers
qui s'installent en Russie la liberté religieuse, des subventions
pour édifier des lieux du culte, une dispense de service militaire
et une exemption fiscale de cinq ans. Les
nobles obtiennent le monopole d'utilisation du travail des serfs (mais
cela ne concerne ni l'industrie, ni le commerce, ce qui incite les paysans
qui le peuvent à se livrer à ces activités). Le pouvoir
des propriétaires fonciers sur les serfs va être renforcés
à plusieurs reprises. En août, Catherine II rend visite à
Ivan VI, dans sa cellule de Schüsselbourg; elle pense le faire entrer
dans les ordres et l'envoyer dans un lointain monastère; mais cette
idée n'aura pas de suite.
Le Danemark rejoint l'Accord du Nord. Les îles Aléoutiennes, au sud-ouest de l'Alaska, sont rattachées à la Russie. Les propriétaires fonciers reçoivent le pouvoir de condamner leurs serfs aux travaux forcés. 1766: dans son Instruction pour la commission législative (Nakaz) Catherine II donne sa définition du monarque éclairé, qui doit être absolu, et poursuivre comme objectif la "Gloire des citoyens, de l'État et du Souverain". 1767: Catherine II interdit aux paysans de porter plainte contre leurs propriétaires. 1768: Pallas est désigné par l'Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg pour faire partie, en qualité de naturaliste, de l'expédition scientifique chargée d'observer en Sibérie le passage de la planète Vénus sur le disque du soleil. Pendant six ans, il explore successivement le cours du Laïk, les bords de la mer Caspienne, les monts Oural et Altaï, les alentours du lac Baïkal jusqu'à la frontière chinoise, le Caucase et différentes parties de la Russie méridionale. Il en ramène une "Description du Tibet", publiée pour la première fois en 1776, qui n'est en fait qu'une transcription des récits de lamas tibétains vivant en Mongolie, suivie d'une narration des fêtes et cérémonies qui eurent lieu entre le 22 juin et le 12 juillet 1729, dans le petit village d'Ourga, pour célébrer la réincarnation du Kutuktu (Bogdo-Gegheen). 1768-1774: une nouvelle guerre oppose la Turquie
à la Russie qui souhaite obtenir le passage de la flotte marchande
russe à travers la mer Noire jusqu'à la Méditerranée.
1771: apparition de la secte des castrats
dans la région
de l'Oural.
En se privant de leurs attributs sexuels,
les membres de la secte pensent obéir à une injonction divine
et atteindre la pureté absolue. L'un des principaux membres de cette
secte, Kondratii Selivanov, condamné au knout et à
la déportation en Sibérie, s'échappera, et se proclamera
le fils de Dieu incarné en Pierre III.
1772: premier partage de la Pologne: la Russie
reçoit d'anciennes terres de la Rus': Polotsk, Vitebsk, Gomel
et Mogilev, en Biélorussie.
1774: le traité de Kutchuk-Kaïnardji, avec l'Empire ottoman, ouvre l'accès de la Russie à la mer Noire et lui accorde la protection des chrétiens de Constantinople, de Moldavie et de Valachie. La Crimée et le Kouban se séparent de la Turquie et accèdent à l'indépendance. L'impératrice de Russie rêve de démembrer l'Empire ottoman, comme elle a démembré la Pologne. Catherine II épouse secrètement son amant Gregori Potemkine. Elle confie à Alexis Orlof le soin d'enlever en Italie la Tarakanova qui continue d'intriguer. Orlof, commandant de la flotte russe en Méditerranée, fait courir le bruit de sa disgrâce. La Tarakanova lui écrit. Une rencontre a lieu. C'est le coup de foudre! Orlof s'engage à aider la Tarakanova à accéder au pouvoir et lui propose de l'épouser. Le mariage doit être célébré sur le bateau du futur époux. A peine la jeune femme a-t-elle mis les pieds sur le navire qu'elle est arrêtée. Elle est transférée à Saint-Pétersbourg où on l'interroge sans ménagement. Comme elle s'obstine à se prétendre la fille d'Élisabeth 1ère, elle est jetée dans une forteresse où elle meurt en crachant du sang, le 4 décembre 1775, probablement de tuberculose. Rien ne permet d'affirmer avec certitude qu'elle n'était pas l'héritière légitime du trône de Russie: les faux tsars et fausses tsarines, mais aussi le meurtre politique, font partie des traditions russes! 1775: les serfs sont autorisés à
pratiquer un petit négoce, en particulier à Moscou et à
Saint-Pétersbourg.
1780: la Russie s'efforce de protéger la liberté des mers pendant la guerre d'indépendance des États-Unis (Déclaration de la neutralité armée pour assurer la liberté de commercer et de naviguer). 1781: Panine est limogé.
Signature d'un pacte austro-russe.
Sous Catherine II, la Russie poursuit son expansion et accroît son influence en Europe. L'impératrice encourage la colonisation de l'Alaska et l'établissement des Allemands sur la Volga. Elle achève les réformes de Pierre le Grand, dont elle est la véritable continuatrice, et rêve de faire de la Russie la première puissance du nord en l'ancrant fermement parmi les premières nations du continent européen. En réunissant la Baltique à la Caspienne et à la mer Noire, elle compte rendre incontournable le passage du commerce avec l'Asie à travers son pays. Au cours du 18ème siècle, la croissance démographique est remarquable. La population reste à 90% paysanne et se concentre sur les terres noires les plus riches; mais de nombreux paysans s'enfuient vers la périphérie ou dans les bandes cosaques, dont la liberté est respectée, car elles fournissent la cavalerie légère de l'armée, pour échapper à un servage de plus en plus pesant. La culture, par assolement triennal, avec des variantes tenant compte des spécificités régionales, est encore archaïque mais l'usage du fer se développe ainsi que l'emploi de la charrue. Le poids de la fiscalité, en argent et en nature (corvée), qui pèse sur la paysannerie, est de plus en plus lourd. L'industrie russe connaît un certain développement; la Russie est même le premier producteur mondial de fer, de fonte et de cuivre. Catherine II renforce, au cours de son règne, le caractère protectionniste des tarifs douaniers, en 1766, 1782 et 1796, ce qui ne semble que très peu freiner les échanges commerciaux. La croissance de ces derniers contribue à faire naître une classe de marchands qui s'organisent en guildes jouissant de privilèges. Mais la volonté réformatrice de la souveraine est freiné par le sous-développement économique, culturel et surtout politique du pays toujours régi par un pouvoir de type féodal basé sur l'asservissement de la majeure partie de la population. L'impératrice ferme les yeux sur la situation réelle de la vaste contrée qu'elle dirige; lorsqu'elle voyage, Potemkine jalonne son chemin de villages fictifs peuplés de comédiens qui s'efforcent de lui montrer combien ses peuples sont heureux. Elle augmente les pouvoirs de la noblesse, garante du maintien de l'ordre social, mais celle-ci ne représente qu'à peine 1% de la population. Le clergé orthodoxe est soumis à l'État; Catherine II admet le bouddhisme comme religion officielle, manifestant ainsi son intérêt pour l'Asie; dès lors, les bouddhistes russes considèrent les empereurs comme des réincarnations. La Russie est en train de se transformer en un État dominé par trois ordres privilégiés: la noblesse, le clergé et la bourgeoisie urbaine, en laissant sur le bord du chemin l'immense majorité paysanne qui se reconnaît dans les révoltes armées entreprises au nom de quelque faux tsar. D'abord amie des philosophes, Catherine II s'en éloigne après 1789. A partir de la Révolution française, les souverains russes sont confrontés à ce problème: comment ouvrir le pays aux influences occidentales tout en le protégeant des idées pernicieuses venues de l'étranger? Se replier sur les valeurs traditionnelles de la Russie ou s'occidentaliser, tel sera le dilemne qui se posera aux élites russes jusqu'en 1917. Durant les dernières années de sa vie Catherine II souffre de diverses maladie; elle meurt le 6 novembre 1796 d'une hémorragie cérébrale. Le bilan de son règne est contrasté. Comme elle le souhaitait, elle laisse le souvenir d'une souveraine illustre, mais un trésor à sec et le désordre dans son pays. L'armée est dans un piteux état; les cavaliers savent à peine monter à cheval. Dans les bureaux, les affaires en souffrance s'entassent. La corruption règne partout; sans pots de vin on ne peut pas espérer résoudre une affaire. l'imprévoyance se répand dans la population: on déboise pour se faire de l'argent sans se soucier de replanter. L'impératrice a su s'entourer de gens propres à satisfaire ses plaisirs et à régler les affaires en puisant dans la petite noblesse plutôt que la grande par crainte de cette dernière; le favoritisme coûte cher (95,5 millions de roubles d'après des calculs), les guerres aussi et les recettes de l'Etat sont inférieures à ses dépenses; le prix des produits de première nécessité, pain et sel, augmente, le nombre des serfs aussi, Catherine distribuant les paysans à ses favoris et aux dignitaires. Bref, la grande impératrice n'a pas facilité la tâche des ses successeurs. 1796-1801: Règne de Paul 1er. Duc de Holstein-Gottorp, empereur de Russie, grand maître de l'Ordre de Malte Compte tenu des moeurs de sa mère Catherine II, l'ascendance du nouvel empereur est douteuse. Élevé par Panine, un des plus grands érudits de Russie, il a reçu une brillante éducation, il parle français et d'autres langues slaves et allemandes, connaît la littérature française, l'histoire, la géographie et les mathématiques; il apprécie ce qui est beau et possède les bonnes manières, toujours poli avec les femmes, il n'est pas dépourvu d'humour; il est aussi très religieux et déteste la débauche. Mais il est surtout obsédé par la mort de celui qu'il pense être son père et craint de subir le même sort de la part de sa mère, à l'écart de laquelle il a été élevé sous la surveillance d'Elisabeth 1ère. Il participe à diverses intrigues sous le règne de Catherine II. Veuf de bonne heure d'un premier mariage, sa mère le marie une seconde fois à Sophie-Dorothée de Wurtemberg (Maria Feodorovna en russe), une Allemande. Les jeunes mariés, qui auront dix enfants, voyagent en Europe, notamment en France sous les noms d'emprunt de comte et comtesse du Nord. L'impératrice lui donne le domaine de Pavlovsk, puis celui de Gatchina; ce dernier domaine a appartenu à Grigori Orlof, un des amants de sa mère et des tombeurs de son père (humour noir de la grande tsarine?); il se plaît à y faire manoeuvrer des soldats selon le modèle prussien. Catherine II souhaitait transmettre la couronne à son petit-fils Alexandre mais Paul fait brûler tous les documents relatifs à la succession. Une de ses premières décisions consiste à réaménager Pavlovsk en l'agrandissant pour en faire sa résidence. Il va poursuivre la politique anti-révolutionnaire de Catherine II. 1796: Création de nouvelles divisions de la Garde : Hussards de la Garde, régiments de Cosaques, bataillon d'artillerie, régiment des Chevaliers-gardes; des réformes visent à remettre sur pied une armée bien mal en point, certains s'en moqueront, mais elles contribueront à forger l'armée russe du futur. La dépouille mortelle de l'empereur Pierre III est transférée dans la cathédrale Pierre et Paul; le nouveau tsar n'a jamais pardonné à sa mère l'assassinat de son père; de plus, celle-ci l'a tenu soigneusement à l'écart du pouvoir pendant tout son règne; elle a même fait courir le bruit, manifestement faux, afin de légitimer ses droits au trône, qu'il n'était pas le véritable tsarévitch, lequel, mort-né, aurait été remplacé par un petit finnois sur ordre de l'impératrice Elisabeth. Paul 1er s'efforce de remettre de l'ordre dans le pays et dans l'Etat. Il oblige les fonctionnaires à travailler, lutte contre la corruption, fait fondre l'argenterie du palais pour battre monnaie et combler les déficits, prend des mesures pour faire baisser le prix du pain et celui du sel, pour préserver les forêts et protéger les édifices des incendies. Il fonde la Haute Ecole de Médecine de Saint-Pétersbourg. 1797: L'activité de Paul 1er est intense: cette année, il ne prépare pas moins de 595 documents législatifs. Il veut tirer la Russie de la stagnation. Mais il éprouve des difficultés à trouver de bons conseillers. Paul 1er modifie la loi de succession au trône: la primogéniture mâle remplace le libre choix du monarque régnant imposé par Pierre le Grand. Selivanov, animateur de la secte des castrats, est arrêté à Saint-Pétersbourg et mis dans un asile d'aliénés. Paul 1er renforce l'autocratie et réduit les libertés de la noblesse; il rétablit l'obligation du service actif dans l'armée et les châtiments corporels des nobles. Cette volonté de renforcer l'autorité impériale prend parfois des formes bizarres; c'est ainsi qu'il interdit la valse parce qu'elle amène les danseurs à tourner le dos à l'empereur! Il bannit aussi le port des chapeaux ronds, des bottes à revers, des pantalons courts, la coiffure à la française et chasse du vocabulaire les mots citoyen, patrie, club, société et révolution, même lorsqu'il s'agit de celle des astres, par haine de la Révolution. Mais ces mesures autoritaires sont contrebalancées par d'autres qui peuvent être considérées comme d'inspiration libérale. Il réduit les corvées imposées aux serfs et les interdit les dimanches et jours de fête; les paysans ne peuvent plus être vendus aux enchères sans la cession des terres; ce sont les premiers pas en direction de la suppression du servage. Des écrivains et intellectuels exilés par sa mère (Radichtchev, Novikov) ainsi que des insurgés polonais (Kosciuszko) se voient autorisés à revenir en Russie, où ils sont cependant placés en résidence surveillée. Les Vieux Croyants obtiennent le droit de construire des églises et de pratiquer leur culte. Les francs-maçons sont tolérés. 1798: pris d'une frénésie de travail, Paul 1er prépare cette année là 509 documents législatifs. L'oukaze interdisant la vente des paysans serfs sans celle des terres est promulgué. L'empereur de Russie fait la paix avec la Turquie pour mieux s'en prendre à la République française. Un émigré français, Freund, après bien des péripéties, se trouve en Crimée. Il observe que les Juifs de la région tiennent Bonaparte, qui conquiert l'Égypte, pour un messie chargé de délivrer les lieux saints! 1798-1800: Paul 1er participe à la seconde
coalition contre la France républicaine. Il est vrai que, lors de
la conquête de Malte, sur le chemin de l'Egypte, les Français
ont expulsé l'ambassadeur de Russie et menacé de couler tout
navire russe qui approcherait des côtes maltaises. D'abord victorieuse
en Italie, l'armée russe, dirigée par Souvorov, est battue
par Masséna en Suisse, tandis qu'un corps expéditionnaire
austro-russe est tenu en échec en Hollande par Brune. La flotte
russe d'Outchakov s'empare néanmoins des îles Ioniennes en
Méditerranée, ce qui amène les chevaliers de l'Ordre
de Malte, dont l'île, conquise par Bonaparte, est sous domination
française, à élire l'empereur de Russie grand-maître,
élection qui ne sera pas ratifiée par le pape. Mécontent
du faible secours apporté par ses alliés anglais et autrichiens,
auxquels il impute les déboires de l'armée russe en Suisse,
et reconnaissant à Bonaparte de lui avoir renvoyé ses soldats
prisonniers vêtus de neuf, Paul 1er change de camp et adhère
à la Ligue des Neutres, qui vise à interdire la Baltique
aux navires anglais. Cette nouvelle politique risque d'entraîner
des conséquences négatives pour l'économie russe dont
le commerce avec l'Angleterre est important; elle est donc mal accueillie
par la classe des propriétaires.
1799: l'activité de Paul 1er faiblit à peine, il prépare cette année là 330 documents législatifs. L'empereur décide de participer au financement de la Compagnie russe d'Amérique montrant ainsi sa volonté de développer des rapport commerciaux avec l'Amérique. 1800: Paul 1er prépare encore cette année là 469 documents législatifs. 1801: publication d'un Manifeste sur le rattachement de la Géorgie à la Russie. Un corps expéditionnaire est préparé en vue d'une opération militaire en Inde. Une conspiration, peut-être soudoyée par l'Angleterre, s'organise autour des comtes Pahlen et Panine, alliés à l'amiral José de Ribas, un aventurier napolitano-espagnol. La mort de Ribas retarde l'exécution du complot qui est repris par un groupe d'officiers dirigés par le général Bennigsen, avec la consentement d'Alexandre, fils de l'empereur. Paul 1er est tiré du sommeil, dans sa chambre, après un dîner bien arrosé, pour signer son abdication; comme il résiste, les conjurés le frappent à coups d'épée, l'étranglent, puis le jettent au sol où ils le piétinent à mort. Le général Zoubov annonce alors à Alexandre 1er son accession au trône. Le nouveau tsar, qui ne souhaitait certainement pas la mort de son père, portera désormais toute sa vie le poids de cette tragédie dont il s'estimera responsable. Pendant son règne trop court pour que l'on puisse tirer un bilan objectif, Paul 1er s'est efforcé de faire à peu près le contraire de sa mère. Grand travailleur, il a oeuvré pour faire avancer son pays et il mérite sans doute mieux que la réputation du personnage fantasque, hautain, coléreux et versatile que ses détracteurs ont popularisée. 1801-1825: Règne d'Alexandre 1er, empereur de Russie, roi de Pologne à partir de 1815 Alexandre, que sa grand-mère aimait beaucoup et destinait au trône, a été élevé à la française, notamment par le colonel suisse Frédéric-César de La Harpe. C'était un homme au caractère réservé, soupçonneux, pétri d'amour-propre, mais cultivé, intelligent et diplomate. Profondément marqué par le triste sort de son père, il commence par se montrer réformateur aidé par un Comité secret composé de ses jeunes amis (Adam Czartoryski, Pavel Stroganov, Nikolaï Novossiltsev). Au cours de quatre années de travail, le Comité publie des manifestes qui rétablissent les édits de Catherine II sur les privilèges de la noblesse et des villes, abrogent les interdictions auxquelles étaient soumises les industries, réhabilitent les personnes disgraciées, autorisent l'achat de terre sans distinction de rang ou de titre etc. Pendant cette période, un grand nombre d'établissements d'enseignement sont créés, dont les Universités de Kharkov, Kazan, Dorpat (Tartu), Vilno (Vilnius), tandis que des établissements existants sont rénovés. Ces "beaux jours", d'après Pouchkine, exercent une influence positive sur la démographie. Alexandre 1er envisage de doter la Russie d'une constitution, et octroie au Sénat un droit de remontrance; il encourage l'émancipation des serfs. Secrètement jaloux de Napoléon, il se montre un adversaire résolu de la France impériale. Mais, malgré cela, il reste fidèle à la culture française et fait venir en Russie des musiciens et des troupes de théâtre; Boieldieu y reste de 1804 à 1810 et Mademoiselle George de 1808 à 1812. 1801: rattachement de la Géorgie à
la Russie;
Le traité de Tilsitt, qui concrétise le renversement des alliances en Europe, transforme la Russie et l'Angleterre en rivales en Afghanistan amorçant ce que l'on appellera Le Grand Jeu, expression qui symbolise l'opposition des deux puissances en Asie. Cette année là est créée,
par le colonel Pestel, l'Union du Salut, une société
de la noblesse visant à libéraliser la société
russe. Dissoute, elle prendra plus tard le nom de l'Union du bien public
dédiée à la propagation de l'éducation dans
toutes les classes de la société et à la lute contre
les abus et la prévarication. D'abord politiquement modérée,
cette Union pense appuyer son action sur le "libéralisme"
verbal de l'empereur Alexandre. Dans un second temps, déçue
par l'absence d'actes concrets du pouvoir, elle verse vers le régicide.
Mais des dissensions surgissent entre ses membres sur le régime
à mettre en place après l'assassinat de l'empereur; une partie
préconise une république ouverte à toutes les classes
de la société, et une autre partie souhaite l'avènement
dun régime aristocratique laissant à l'écart la majorité
de la population. Cette incapacité à se mettre d'accord sur
un projet commun entraîne la dissolution de l'Union. Mais
certains de ses membres se retrouveront parmi les décabristes.
Une armée cosaque de Sibérie (communauté territoriale militarisée) est créée autour d'Omsk. Alexandre 1er demande à Speranski, fils d'un prêtre de l'épiscopat de Vladimir, qui étudié successivement dans les séminaires de Vladimir et de Saint-Pétersbourg, de préparer un plan de réformes libérales inspirées de l'Europe occidentale, lequel sera ensuite soumis à la Douma et au Conseil d'Etat pour approbation. 1809: la Russie, alliée de la France, se contente de faire de la figuration pendant le conflit qui oppose Napoléon à l'Autriche. Le traité de Frederikshaven met fin à la guerre russo-suédoise au bénéfice de la Russie. 1810: un Conseil d'Etat est institué. le 13 décembre 1810, le duché d'Oldenbourg est annexé à l'empire français et son territoire est partagé entre les nouveaux départements français des Bouches-du-Weser, de l'Ems-Supérieur, de l'Ems-Oriental et des Bouches-de-l'Elbe, composés également d'autres territoires allemands. Cette annexion est motivée par le renforcement du contrôle de la façade maritime européenne, pour une application stricte du blocus continental. Le duc proteste contre cette annexion, il refuse de recevoir la principauté d'Erfurt en compensation, et se réfugie chez son neveu par alliance, le tsar Alexandre 1er, courroucé par cette spoliation des biens d'un membre de sa famille. 1811: Le lycée de Tsarskoïe-Selo est fondé. La Russie, lasse du Blocus continental, dont les effets sont désastreux pour son économie, s'éloigne de la France. Alexandre 1er, qui redoute de subir le même sort que son père, prend ses distances avec Napoléon et commence à préparer son pays à l'éventualité d'une guerre contre lui. Il fait espionner le ministère de la Guerre français. Effrayé par l'opposition de la noblesse, il sacrifie Speranski qui est exilé à Perm, dans l'Oural; les réformes sont mises sous le boisseau! Le 15 août, jour de la saint Napoléon alors fête nationale française, l'empereur des Français admoneste publiquement et de manière très violente l'ambassadeur de Russie Kourakine; cette algarade, malgré les raccommodements de façade qui suivront, annonce les événements de 1812. Comme on l'a vu plus haut, l'alliance franco-russe n'a jamais vraiment bien fonctionné. Le vétérinaire anglais Moorcroft,
qui explore le Tibet, se rend compte que les Russes s'intéressent
eux aussi à ce pays, et peut-être également aux Indes.
Mais ses avertissements aux autorités britanniques restent pour
le moment sans suite.
1812: en mai, le traité de Bucarest met fin à la guerre russo-turque qui dure depuis 1806; la Bessarabie est rattachée à la Russie. En juin, l'armée française, renforcée par des contingents prussiens et autrichiens, franchit le Niemen et entre en Russie; en septembre, la bataille de la Moskova (Borodino pour les Russes) tourne à l'avantage des Français qui occupent Moscou abandonnée par ses habitants, mais l'armée russe n'est pas détruite; Napoléon s'installe au Kremlin d'où il est temporairement chassé par l'incendie de la ville brûlée par les soins de son gouverneur, Rostopchine*; Alexandre 1er refuse toute négociation et considère l'incendie de Moscou comme une punition du ciel pour l'assassinat de son père (ce n'était pourtant pas la première fois que Moscou était la proie des flammes); Napoléon, contraint de battre en retraite, donne l'ordre au maréchal Mortier de faire sauter le Kremlin; la retraite désorganise et décime l'armée française; en décembre, les débris de cette armée, vaincue à la fois par la politique de la terre brûlée et par l'hiver, comme celle de Charles XII, repassent le Niemen (une page sur la campagne de Russie est ici). * Rostopchine a nié être
l'auteur de l'incendie. Mais de nombreux témoignages occulaires
affirment qu'il a bien était allumé par les Russes.
La Grande Guerre Patriotique de 1812 est considérée en Russie comme un événement fondateur du patriotisme russe. Plus que les réformes de Pierre le Grand, elle élève la Russie au rang de puissance majeure européenne. . C'est en 1812 que naît Herzen, le père du socialisme russe, qui aurait inspiré le climat politique favorable à l'abolition du servage en 1861. 1813: les Russes participent à la campagne
d'Allemagne contre Napoléon; battus à Lutzen, Bautzen, Dresde,
les coalisés l'emportent à Leipzig et l'armée française
décimée est obligée de retraiter en direction du Rhin.
Alexandre 1er se trouve souvent au coeur des combat sur le champ de bataille.
En septembre s'ouvre le Congrès de Vienne chargé de remodeler la carte de l'Europe. Il attribuera la majeure partie du Grand-Duché de Varsovie, créé par Napoléon et régi jusqu'alors par le roi de Saxe, à la Russie sous le nom de Royaume du Congrès. En 1815, Alexandre 1er dotera ce royaume d'une constitutioon libérale. 1814 voit naître Bakounine, un philosophe russe théoricien de l'anarchisme et du socialisme libertaire, qui vivra en exil, notamment en France où il rencontrera Proudhon, participera aux révolutions de 1848, sera arrêté, condamné à mort, peine convertie en travaux forcés, en Saxe puis en Autriche, livré à la Russie et déporté en Sibérie, d'où il s'évadera pour regagner l'Europe occidentale via le Japon et les États-Unis. Il y retrouvera Herzen et Ogorov, deux autres exilés russes, qui publie le Kolokol (la Cloche), un journal socialiste libertaire. 1815: les Russes font partie de la cinquième
coalition contre Napoléon de retour de l'île d'Elbe. Mais
Waterloo se produit avant leur entrée en scène. Ils n'en
occupent pas moins la France, où ils se montrent soucieux de préserver
l'équilibre européen en la ménageant et en s'opposant
aux Prussiens qui auraient voulu la démembrer. L'empereur de Russie
devient le roi d'une Pologne limitée à sa partie "russe"
qui est dotée d'un statut assez libéral. Après la
chute définitive de Napoléon, l'Europe est submergée
par une vague de conservatisme dans laquelle la Russie tient une place
éminente; dans ce pays, qui entre dans une nouvelle période
de stagnation, les organisations pseudo-religieuses et mystiques se mettent
à pulluler et les paysans sont contraints de se rassembler dans
des villages militaires. Cette vague de conservatisme se concrétise
à l'échelle européenne par une tentative d'entente
des gouvernements pour maintenir ou restaurer ce que l'on appelle la légitimité;
c'est le temps de la Sainte Alliance.
L'idéologie libérale pénètre l'élite russe confrontée par les événements à l'Europe occidentale. L'empereur envisage de doter la Russie d'une constitution inspirée des principes de Montesquieu et charge Speranski d'en rédiger le projet. 1819: l'Université de Saint-Petersbourg
est fondée.
1825-1855: Règne de Nicolas 1er, empereur de Russie, roi de Pologne, Grand-duc de Finlande Ce frère cadet d'Alexandre 1er a la
stature d'un colosse; on dit qu'il est de type plutôt germanique
que slave, ce qui n'est pas surprenant compte tenu de l'origine des nouveaux
Romanov. Imitant les célèbres commandants d'armes, il vit
de manière fruste, dort sur un lit de camp, se revêt d'une
capote et se contente d'une nourriture fort simple; c'est un militaire
dans l'âme et les traits de son caractère, rigueur, ponctualité,
discipline, ordre, le confirment; mais Nicolas 1er est loin d'être
un militaire borné: il dessine bien, joue de la flute comme Frédéric
II et apprécie la danse classique et l'opéra. Avec ses subordonnés,
Nicolas 1er est rude, mais objectif dans ses jugements; on le respecte
sans l'aimer; sa capacité de travail est admirée (jusqu'à
18 heures par jour!) ainsi que sa sobriété (il ne boit presque
jamais d'alcool), mais il danse avec plaisir, aime l'humour et les belles
femmes (il aura plusieurs enfants illégitimes). Au plan politique,
il prend le contre-pied de son prédécesseur. Son enfance
ayant été marquée par les guerres contre la Révolution
et l'Empire français, il est animé d'une haine farouche du
libéralisme. Il va jusqu'à ordonner la destruction de la
statue de Voltaire, que Catherine II a fait exécuter par Houdon;
on la cache dans des endroits où le tsar n'est pas supposé
aller, mais il tombe quand même toujours sur la figure ironique du
vieux singe, comme il l'appelle, qu'elle soit à la cave ou
au grenier! Il mène une politique autoritaire réactionnaire:
autocratie et génie national sont les deux principes de son régime.
La population doit faire preuve d'une loyauté entière à
l'autorité sans limite du tsar, aux traditions de l'église
orthodoxe et à celles de la nation russe.
1825: à la mort d'Alexandre 1er, le caractère très confidentiel du manifeste traitant de sa succession est la cause d'un imbroglio; Nicolas, qui ignore être le nouveau tsar, prête serment à Constantin, et Constantin, qui se trouve à Varsovie, et qui sait que la couronne appartient à Nicolas, prête serment à ce dernier en entraînant le royaume de Pologne dans cette allégeance. Cet imbroglio est vite dénoué et la cérémonie officielle de prestation de serment est programmée pour le 14 décembre. Au matin de ce jour, Nicolas, qui sait qu'un complot se trame contre lui dans l'armée, réunit les généraux et les commandants de régiments au Palais d'Hiver pour leur expliquer la situation et il obtient leur serment. Au même moment, sur la place du Sénat, une partie des soldats, entraînés par des officiers libéraux et partisans de la suppression du servage, mais aussi nationalistes (ils reprochent à l'empereur d'être un Allemand russe portant l'uniforme prussien), les décabristes, refusent le serment. Les récalcitrants sont encerclés par des troupes fidèles auxquelles on ordonne d'ouvrir le feu. La prise d'armes révolutionnaire, mal conduite par des gens qui ne savent pas trop ce qu'ils doivent faire et qui parfois renoncent au dernier moment à remplir la fonction qui leur a été assignée, échoue lamentablement. Quelques coups de canons tirés à mitraille suffisent pour disperser la mutinerie; ils causent la mort de plus de 1200 personnes, dont plus de 900 civils, des badauds venus là voir ce qu'il se passait! Cette pitoyable équipée est impitoyablement réprimée; Speranski fait partie du Tribunal suprême chargé de juger les rebelles; les principaux chefs de la rébellion sont exécutés; d'autres conjurés sont déportés en Sibérie, notamment à Krasnoïarsk et à Irkoutsk (Volkonski et Troubetskoï), où ils sont contraints de travailler dans les mines pendant plusieures années avant d'être relégués sur place. Les soldats et matelots sont envoyés se battre dans les point chauds du Caucase. Les exilés ont la surprise de découvrir en Sibérie de jolis villages où vivent, dans un confort relatif et dans une liberté inconnue en Russie d'Europe, les vieux-croyants qui les ont bâtis. A leur tour, ils reconstitueront, lorsqu'ils seront relégués, un brillante société intellectuelle et éduqueront les enfants des paysans, de sorte que les petits Sibériens seront, au 19ème siècle, plus instruits que la plupart des enfants de paysans russes non déportés. Paradoxalement, la Sibérie, terre de souffrance est aussi une terre de liberté et le restera. L'empereur, qui veut connaître toute l'étendue du complot découvre, non sans inquiétude, qu'il ne se bornait pas à quelques officiers idéalistes mais qu'il s'étendait à une grande partie de la société et ceci jusqu'à de hauts dignitaires et même à des membres de la famille impériale. L'ampleur de la conjuration paraît d'autant plus importante que nombre de suspects n'hésitent pas à dénoncer des complices à tort et à travers espérant ainsi gagner le pardon du tsar. Aussi, après des investigations assez conséquentes, ce dernier préfère-t-il clore définitivemenle dossier. Il en gardera une grande méfiance tout en reconnaissant que de profondes réformes, devant déboucher à terme sur l'abolition du servage, seront un jour nécessaires. Il souhaitera clarifier et ordonner les lois russes devenues, avec le temps, de plus en plus complexes. Speranski finira sa vie en rédigeant un Recueil complet des lois de l'empire russe qui lui vaudra le titre de comte et la médaille de chevalier de l'Ordre de Saint-André. En attendant les réformes, le mouvement décabriste fournit un prétexte à Nicolas 1er pour imposer un régime militaire répressif. Le pouvoir est exercé par des comités spéciaux composés des proches de l'empereur et par une chancellerie privée chargée de la législation, de la police politique, de la propagande, de l'enseignement, des oeuvres sociales et de la gestion du domaine public. Le souverain ne peut en effet compter sur les fonctionnaires dont il n'exige qu'une obéissance passive, ce qui pousse ces derniers à l'obséquiosité, à la dissimulation et à l'hypocrisie. La société russe est étroitement surveillée par la 3ème section du Secrétariat particulier de l'empereur. Les énormes dépenses de l'armée et du système administratif absorbent presque toutes les recettes de l'État. La devise du pouvoir est "Autocratie, orthodoxie, honneur national"; c'est l'apogée de la monarchie absolue. Une censure stricte est établie. Les voyages à l'étranger des sujets russes sont strictement limités. La russification et la christianisation des populations non russes s'intensifient tandis que les Vieux Croyants sont à nouveau persécutés. La noblesse soumise est favorisée. 1826: guerre avec la Perse. Nicolas 1er lance
un ultimatum à la Sublime Porte qui est sommée d'appliquer
à la Serbie, à la Moldavie et à la Valachie les clauses
du traité de Bucarest (1812). Par l'Accord d'Akerman, ces pays obtiennent
une certaine autonomie. Le 3ème département de la Chancellerie
personnelle de l'empereur, c'est-à-dire la police secrète,
est instauré.
1833: le baron Schilling procède devant l'empereur à des essais d'un télégraphe électromagnétique; la mort de l'inventeur ne permettra pas à cet appareil de connaître le développement qu'il méritait peut-être. L'hymne national "Seigneur, protège le tsar" est adopté. 1834: les tentatives d'incorporation de la Géorgie à la Russie entraînent dans le Caucase la rébellion de l'imam Chamil qui prêche la guerre sainte en Tchétchénie et au Daghestan. L'Université de Saint-Vladimir est ouverte à Kiev. Les frères E. et M. Tcherepanov construisent un chemin de fer minier à l'usine de Nijni-Taguil (Oural). 1835: élaboration d'un code civil et d'un code pénal. 1837: en octobre 1837, un train de voyageurs circule entre Saint-Pétersbourg et Tsarskoïé-Selo. Le 17 décembre, le palais d'Hiver est détruit par un incendie qui n'en laisse que les murs; sa reconstruction est exigée en une année par le tsar. Elle durera deux ans et aurait coûté la vie à plus de 3 000 ouvriers. Le marquis de Custine décrit les efforts inouïs qui furent nécessaires pour réaliser cet exploit : "Pendant les grandes gelées, on employa continuellement 6 000 ouvriers, dont un nombre considérable mourut chaque jour, mais les victimes furent immédiatement remplacées par d'autres champions amenés à périr." Pouchkine est tué dans un duel pour défendre l'honneur de sa femme. Mais on murmure aussi qu'il a été attiré dans un guet-apens pour avoir courtisé la femme de Nicolas 1er. 1837-1847: soulèvement du Kazakhstan sous la direction de Kenesary Kasymov. 1838: B. Yakobi découvre la galvanoplastie. L'observatoire astronomique Nikolaïevski (Poulkovo) ouvre ses portes. L'Église catholique grecque des régions occidentales de l'empire est supprimée; les Uniates sont reconnus orthodoxes. 1839: la construction d'une nouvelle cathédrale du Saint-Sauveur, au bord de la Moskova, sur la colline Alexeevski, est commencée. L'anniversaire de Borodino est célébré sur les lieux par une reconstitution de la bataille accréditant la thèse d'une victoire russe humiliante non seulement pour la France, dont Nicolas 1er n'aime pas le nouveau roi, mais aussi pour les alliés de Napoléon en 1812, dont la Prusse. 1841: par la Convention des Détroits de Londres, l'Angleterre et la France, qui redoutent de voir l'Empire ottoman passer sous le protectorat russe, déclarent que le gouvernement ottoman est seul habilité à contrôler les détroits et qu'il doit interdire de les emprunter à quelque navire de guerre étranger que ce soit, y compris russe. Le tsarévitch Alexandre épouse Marie de Hesse-Darmstadt, dont il est éperdument amoureux, toujours une Allemande; la nouvelle grande-duchesse, plus tard impératrice, sera souvent malade et finira tuberculeuse; elle sera toujours respectée et s'occupera d'oeuvre de bienveillance; mais son mari aura une liaison avec une dame d'honneur, Ekaterina Mikhaïlovna Dolgoroukova. 1842: naissance à Dmitrov, près de Moscou, de Kropotkine, géographe, explorateur, zoologiste, anthropologue, géologue, mais surtout théoricien du communisme libertaire. .
1846: la Russie intervient pour réprimer le soulèvement de Cracovie et Nicolas 1er invite l'Autriche à rattacher à son empire ce dernier lambeau de Pologne libre. 1847: Nikolaï Mouraviev-Amourski profite des difficultés de la Chine, en guerre contre la France et la Grande-Bretagne, pour reprendre l'expansion russe en Extrême-Orient. 1848: les universités russes tombent sous un contrôle strict; les jeunes savants ne sont plus autorisés à se rendre à l'étranger. Le tsar se porte au secours du sultan ottoman confronté à la révolte des principautés roumaines de Moldavie et de Valachie; mais cette aide à la Turquie est ambigüe car le tsar, qui pense que l'empire ottoman va se désagréger, espère en tirer profit dans les Balkans que guigne aussi l'Autriche; il s'en ouvre lors d'un voyage à Londres, mais les Anglais, inquiets de la concurrence que fait peser sur leurs produits le début d'industrialisation russe, essaient plutôt de convaincre leur interlocuteur que la vocation de son pays est agricole plutôt qu'industrielle, ils ne prennent aucun engagement écrit sur l'avenir de la Turquie et des Balkans. Très hostile à la révolution française qui aboutit à la proclamation de la république, Nicolas 1er envisage une guerre contre la France et lance un manifeste : "Pour la justice de dieu et pour les principes sacrés de l'ordre établi sur les trônes héréditaires." 1849: la Russie envoie un corps de 200 000 hommes commandé par Paskievitch, prince de Varsovie, pour écraser la révolte hongroise contre l'Autriche des Habsbourg; cette intervention s'attire l'hostilité de la France et de la Grande-Bretagne. Elle sauve l'unité de l'empire autrichien qui garde néanmoins ses distances avec Moscou, comme on le verra plus loin. 1850: le général Mouraviev organise la colonisation de la Sibérie orientale. Les Cosaques constituent le noyau des nouvelles armées qui se créent pour défendre les territoires conquis. .
1850-1854: Dostoïevski, est déporté en Sibérie, expérience qui lui inspirera les Souvenirs de la maison des morts. 1850-1875: plusieurs campagnes permettent de conquérir les khanats de Boukhara, Khiva et Kokand, peuplés d'Ouzbeks, et de constituer le Turkestan russe. 1851: la ligne de chemin de fer Saint-Pétersbourg-Moscou entre en service. 1852: la Russie se pose en défenseur des chrétiens orthodoxes de Terre Sainte qu'elle estime mal traités; l'empire ottoman reconnaît les droits de ces chrétiens mais refuse à la Russie celui d'intervenir dans ses affaires intérieures sous prétexte de les protéger. Le Nouvel Ermitage, une dépendance du musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, est ouvert. 1852-1860: les Russes reprennent la colonisation de l'Amour. 1853: la Russie occupe la Moldavie et la Valachie et, le 30 novembre, l'amiral Nakhimov détruit une flotte turque à Sinope (mer Noire). Le gouvernement ottoman déclare la guerre à la Russie. Une expédition conduit le général V. Perovski en Asie centrale; la forteresse du khanat de Kokand, Ak-Metchet (Kzyl-Orda) est prise. 1854: l'Angleterre et la France, qui redoutent une désagrégation de l'Empire ottoman, laquelle ouvrirait les détroits (ces clés de la maison selon Nicolas 1er) à la flotte russe de la mer Noire, volent au secours de la Turquie, tandis que la Prusse reste neutre et que l'Autriche offre aux Ottomans un support diplomatique. La Russie se trouve isolée. L'essentiel de la guerre se déroule en Crimée, selon les Occidentaux; défaite à la bataille de l'Alma, l'armée russe s'enferme dans Sébastopol qui est assiégée pendant près d'un an avant de succomber, l'arrivée des renforts étant retardée par les insuffisances des moyens de communication. Cette expérience ne sera par perdue : elle est à l'origine du développement des chemins de fer russes que les successeurs du tsar entreprendront. En réalité, cette guerre se déroule sur plusieurs fronts, dans la Baltique, dans la mer Blanche et dans le Pacifique où les ambitions anglaises sur la Sibérie commencent à inquiéter sérieusement les États-Unis, et dans le Caucase; sur ces fronts, les Russes font mieux que se défendre : ils y remportent des victoires. C'est pourquoi des historiens russes estiment que cette guerre annonce les deux guerres mondiales du 20ème siècle. Quoi qu'il en soit, la chute de Sébastopol, dont la ville et le port ne sont plus qu'amas de décombres, entraîne la fin des hostilités. Napoléon III se montre plus favorable à la Russie qu'attendu et cette dernière s'en tire mieux que prévu, ce qui ne fait les affaires ni de la Turquie, ni de l'Autriche qui ne reçoit rien dans les Balkans. .
On dit que l'issue malheureuse de la Guerre de Crimée aurait conduit Nicolas 1er à se suicider ou qu'il aurait été empoisonné. Mais il est plus probable qu'il est mort de la grippe ou d'une pneumonie, le 2 mars 1855. Son règne est marqué, au plan intellectuel, par la querelle entre les slavophiles et les occidentalistes. Les premiers font l'apologie de la tradition russe, qui constituerait une civilisation originale, et rejettent les innovations de Pierre le Grand. Les seconds estiment que la Russie fait partie de l'Occident et se montrent partisans des réformes en faisant l'hypothèse que les spécificités de la Russie ne sont dues qu'à son retard; le plus marquant d'entre eux est Alexandre Herzen, qui donne à sa revue le nom de "Kolokol" (la cloche, symbole en Russie de la liberté); le débat entre slavophiles et occidentalistes durera jusqu'en 1917. Les slavophiles trouveront des adeptes dans l'écrivain Sergueï Aksakov (1791-1859), puis dans l'industriel mécène Mamontov, qui rachètera en 1870 le domaine Abramtsevo d'Aksakov. L'un et l'autre feront de ce domaine un haut lieu de la slavophilie en y réunissant écrivains et artistes. Cette époque est également caractérisée par la production d'oeuvres littéraires importantes mondialement reconnues; on retiendra celles de Pouchkine, de Lermontov (un martiniste, qui fut exilé et péri en duel, comme Pouchkine), de Gogol, de Tourgueniev, de Gontcharov, de Dostoïevski (condamné à mort avant d'être déporté), du dramaturge Ostrovski, fondateur du théâtre russe (dont la première pièce est censurée et son auteur inscrit sur la liste noire)... Ces créateurs se heurtent à la censure et plusieurs d'entre eux sont assignés à résidence, emprisonnés ou déportés en Sibérie. A la même époque, Glinka crée l'école musicale russe moderne. Nicolas 1er n'est pas favorable au maintien du servage; mais, soucieux de ne pas mécontenter la noblesse, il n'envisage pas son abolition; tout au plus prend-il des mesures à portée limitée pour adoucir le sort des serfs: il lutte contre les abus dont souffrent ceux de la couronne, rend possible pour les serfs seigneuriaux l'acquisition de la liberté, avec l'accord de leurs maîtres et moyennant le paiement d'une redevance, ou lorsque le domaine est vendu pour dettes; ces velléités d'amélioration du sort de la paysannerie cessent à partir de 1848. Cependant, sous son règne, l'économie russe commence à se développer donnant naissance à une nouvelle bourgeoisie. 1855-1881: Règne d'Alexandre
II, le Libérateur, empereur de Russie, roi de Pologne, Grand-duc
de Finlande
Le nouvel empereur de Russie reçoit
un lourd héritage hypothéqué par le résultat
de la guerre de Crimée. Mais son père l'a habitué
très tôt aux affaires de l'Etat; en 1842, il lui a même
confié la charge de le remplacer pendant une absence d'un mois;
plus tard, ces remplacements sont devenus de plus en plus longs. Il n'est
donc pas pris au dépourvu.
1856: le traité de Paris consacre la défaite russe. L'indépendance et l'intégrité de l'Empire ottoman sont confirmées. La mer Noire est neutralisée et le Danube internationalisé. La Moldavie et la Valachie sont déclarées autonomes sous la garantie des puissances. La Russie renonce à sa prétention de protéger les orthodoxes de l'Empire ottoman. La galerie Tretiakov est créée par un riche commerçant moscovite. 1856-1857: Les Russes Semionov et Fedchenko explorent le nord de l'Himalaya, le premier le Tianshan et le second le Pamir. 1857: le 3 janvier, un Comité secret
est créé pour étudier les mesures à prendre
pour établir des paysans possédant des terres. Le 11 avril,
les armoiries de la Russie sont adoptées. Un nouveau Règlement
douanier entre en vigueur; un système unique des services douaniers
est mis en place. Des émeutes paysannes éclatent en Géorgie
occidentale. L'armée russe, pourvue de matériel moderne,
lance une offensive dans le Caucase.
1859: le 4 mars, débutent les travaux de la Commission de rédaction du statut des paysans. Dans le Caucase, l'imam Chamil est capturé. La Russie installe des colonies russes et des garnisons cosaques dans les territoires conquis. Mais ceux-ci ne sont pas complètement pacifiés et se soulèveront chaque fois que la Russie rencontrera ailleurs des difficultés. Le Caucase, avec son pétrole et sa proximité du débouché sur les mers chaudes, va devenir un point chaud du globe et une région vitale pour la Russie. 1860: le 31 mai, la Banque d'Etat est créée. Le 18 octobre, le traité ou Convention de Pékin entérine les concessions d'Aigun et de Tien-Tsin et accorde à la Russie la Mandchourie extérieure et le kraï de l'Oussouri. Vladivostok est fondée. 1861: le 19 février, un Manifeste sur l'abolition du servage est publié. Un oukase accorde la liberté à tous les serfs de Russie qui ne peuvent plus être vendus, achetés ou échangés et peuvent choisir un métier, posséder un bien et se marier comme ils l'entendent. Mais, pendant deux ans, ils sont assujettis aux corvées et obligations économiques antérieures au profit de leur seigneur et ne peuvent pas se déplacer hors de leur mir (commune) sans son accord. Les terres ne sont pas attribuées directement aux paysans mais au mir qui les répartit entre eux. La "part du pauvre", accordée gratuitement au serf libéré, est insuffisante pour faire vivre sa famille. Les paysans peuvent certes acquérir des terres à l'État mais il leur faut pour cela obtenir des prêts bancaires onéreux remboursables en 49 ans. La paysannerie a obtenu la liberté civile mais demeure économiquement dépendante; cela va libérer des ouvriers pour l'industrie qui se développe. Les propriétaires, privés de bras pour travailler leurs terres, sont portés à les vendre à la bourgeoisie urbaine et à mener joyeuse vie avec le produit de la vente. Bref, cette réforme positive comporte aussi ses effets pervers; elle entraîne une crise agraire qui pousse de nombreux paysans à aller tenter leur chance en Sibérie où les possiblités sont plus ouvertes. Le sultan turc reconnaît l'union de la Moldavie et de la Valachie. C'est un premier pas vers la création de la Roumanie, souhaité par Napoléon III; la Russie, qui n'a pas oublié que l'Autriche l'a lâchée lors de la crise de Crimée, se rapproche de la France sur ce dossier. 1862: Le 12 mai, des Règles provisoires sur les publications sont adoptées. Le Conservatoire de Saint-Pétersbourg entre en fonction. Les Polonais ayant demandé le retour à la Constitution de 1815, Alexandre II refuse mais leur envoie son frère Constantin qui passe pour être un libéral; cette réputation n'empêche pas qu'un attentat soit perpétré contre lui et, en représailles, la jeunesse étudiante polonaise est incorporée dans l'amée russe, ce qui l'indispose fortement. Une révolte antichinoise éclate au Sinkiang. Elle reçoit le soutien de la Russie et de la Grande-Bretagne. 1863-1864: une partie des Polonais est satisfaite
du nouveau cours mais les opposants créent un comité révolutionnaire
qui débouche sur une insurrection générale indépendantiste
qui gagne la Lituanie et la Biélorussie (révolte de Kastous
Kalinovski). Le général russe Mouraviev rétablit l'ordre
brutalement : la Pologne est annexée à l'Empire russe;
l'empereur de Russie cesse d'être roi de ce pays; pour réduire
l'influence de la noblesse, ses terres sont données aux paysans,
les corvées et redevances sont abolies; des dizaines de milliers
de propriétaires (on parle de 60 000), dépouillés
de leurs biens sont envoyés en Sibérie. L'Église
catholique est réprimée, certains évêques sont
déportés en Sibérie; l'Église uniate est interdite
et ses fidèles contraints de se convertir à l'orthodoxie.
La langue russe est imposée dans les écoles et l'Université
de Varsovie sera fermée en 1869.
Des étudiants de l'Académie impériale
des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg s'insurgent contre l'académisme
de leur école et les sujets qu'on leur impose. Soutenus par les
frères Tretiakov, deux riches mécènes, ils créent
le groupe des Ambulants et vont organiser des expositions itinérantes
pour rapprocher les arts d'un public moins élitiste et plus large
en lui présentant des sujets à caractère social, historique
ou inspirés par la nature. Ce mouvement exercera une grande influence
jusque vers 1890. Parmi les artistes les plus connus, citons Repine, Savrassov,
Polenov, Sourikov.
Ces réformes, menées à
moitié, dans un pays où la corruption est de tradition, entraîne
bien souvent de la confusion et la dilapidation des deniers publics. Elles
ne satisfont pas la paysannerie et s'attirent l'animosité
des nobles; l'empereur s'est fait des ennemis sur sa droite comme sur sa
gauche tandis que son relatif libéralisme intérieur favorise
le développement du radicalisme révolutionnaire. Les années
1860 voient en effet se développer le nihilisme, une variante du
socialisme libertaire, qui vise à l'émancipation des masses
par la disparition de l'État et se montre souvent partisan de la
"propagande par le fait", notion générique qui englobe
toutes sortes d'actions illégales (terrorisme, reprise individuelle,
sabotage, guérilla, assassinat politique...) ; les jeunes révolutionnaires
s'inspirent d'un héros du roman de Tourgueniev "Pères
et fils" publié en 1862; le principal écrivain de cette
tendance, Nikolaï Tchernychevski (1828-1889) publie "Que faire"
en 1863; le plus connu des nihilistes est Serge Netchaïev (1847-1882),
un fils de paysan, disciple de Bakounine et de Proudhon, qui rédige,
en 1869, son "Catéchisme révolutionnaire" dans
lequel il prône la disparition de l'Etat. Nombre de jeunes bourgeois
décident d'aller à la rencontre des moujiks dans les campagnes
pour les soulever contre le régime. La chasse au tsar est ouverte!
Il échappera à sept attentats, mais pas au huitième.
Parallèlement se développe un courant populiste qui fonde
son action sur la paysannerie, largement majoritaire dans le pays; "Les
Lettres historiques" de Pierre Lavrov, écrites à Paris
en 1868-1869, exposent les idées du populisme qui récuse
le terrorisme et privilégie la propagande auprès des couches
défavorisées.
La main-mise russe sur le Caucase s'achève. La Russie envahit le pays kirghize. Le khanat ouzbek de Kokand est placé sous protectorat russe. La conquête de l'Asie centrale est en marche et l'empire russe va bientôt se heurter à l'empire britannique. La Russie aura l'intelligence politique d'intégrer rapidement la noblesse des pays conquis dans celle de l'empire pour en assurer la solidité. Léon Tolstoï écrit Guerre et Paix, vaste fresque historique inspirée par 1812, un chef-d'oeuvre mondialement reconnu. 1865: une nouvelle loi abolit la censure préalable
dans les deux capitales et la remplace par un système d'avertissement;
les affaires de presse sont confiées aux tribunaux réguliers;
les tribunaux militaires son réformés. Tachkent (Ouzbékistan)
est prise par l'armée russe.
1867: la Russie cède l'Alaska aux États-Unis pour 7 200 000 dollars (une somme trop faible selon certains); cette région américaine était considérée comme hors de l'espace naturel de la Russie (une partie de la Californie et d'Hawaï furent pourtant un moment sous contrôle russe). Le 1er juin, un exilé polonais tire deux coups de feu sur Napoléon III et Alexandre II, en visite à Paris à l'occasion de l'exposition universelle; il n'est condamné qu'à une peine de prison, ce qui refroidit les relations franco-russes et met en sommeil les velléités réformatrices du tsar qui va s'orienter désormais davantage vers des interventions extérieures. 1868: un nouveau soulèvement du Kazakhstan est réprimé. Samarcande (Ouzbékistan) est prise et le khanat de Boukhara (Ouzbékistan) est placé sous protectorat russe. 1869: le chimiste Mendeleïev découvre la classification périodique des éléments (Tableau de Mendeleïev): les éléments chimiques peuvent être arrangés selon un modèle qui permet de prévoir les propriétés des éléments encore non découverts. Les soldats russes construisent une forteresse sur une falaise, près du village d'Achkhabad (Turkménistan). En 1869, naît à Kowno, l'anarchiste et féministe russe Emma Goldman. 1870: la gestion des villes est confiée à des doumas conçues sous le modèle des zemstvos. L'armée est réorganisée sur le modèle prussien; tous les Russes sont astreints au service militaire, les conscrits étant tirés au sort; la durée du service est réduite de 25 à 6 ans; les châtiments corporels sont interdits; des écoles militaires sont créées pour former les officiers. La Russie intrigue dans les Balkans. Elle s'engage à soutenir un éventuel soulèvement des Serbes et des Bulgares contre la domination ottomane. En même temps, elle monnaie sa neutralité dans le conflit franco-allemand contre son retour en mer Noire. 1870-1882: Expéditions de Mikloukho-Maclay
dans les îles de l'Océanie.
1871: après la défaite française contre la Prusse, la Russie remet en cause le traité de Paris de 1856. Son ministre des Affaires étrangères, Gortchakov, soutenu par Bismarck, obtient l'annulation de la neutralisation de la mer Noire. La Russie et la Turquie peuvent y entretenir à nouveau une flotte de guerre, mais le passage des détroits continue de dépendre de la volonté du sultan. Kropotkine voyage en Suisse et dans le Jura,
où il rencontre Bakounine.
1873: la Russie signe avec l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie l'Entente des trois empereurs qui ne durera pas longtemps leurs intérêts étant contradictoires. Le khanat de Khiva (Ouzbékistan) est placé sous protectorat russe. Les encouragements russes aux peuples des Balkans entraînent des tentatives de soulèvement en Bosnie-Herzégovine et en Bulgarie, durement réprimées par les Bachi-Bouzouks turcs. De passage à Bakou, où l'a envoyé son frère Ludwig, un homme d'affaires avisé, pour y acheter du bois destiné à la fabrication de crosses de fusils, Robert Nobel prend l'initiative d'acquérir l'une des innombrables raffineries de pétrole surgies dans la région depuis les années 1830. Les frères Nobel, d'origine suédoise, vont dominer le pétrole de la Caspienne jusqu'à sa nationalisation, après la révolution d'octobre 1917. 1874: Milioutine institue le service militaire obligatoire pour tous et non plus seulement pour les paysans (six ans d'actif et neuf ans de réserve, réduits à trois ans d'actif pour les titulaires de diplômes d'enseignement supérieur). Les châtiments corporels sont abolis et des collèges militaires sont créés pour former les officiers. Kropotkine participe en Russie à la deuxième vague de l'"aller au peuple", un mouvement qui incite les jeunes intellectuels russes à se rapprocher du peuple laborieux pour l'amener à contester le régime et à lutter pour une révolution sociale d'inspiration libertaire. Il est arrêté et doit prendre le chemin de l'exil. Des populistes créent Zemlia i Volia (Terre et Liberté) dont le but est le renversement de l'autocratie. L'Église uniate (gréco-catholique rattachée à Rome) est dissoute par les autorités. A la fin du 19ème siècle,
la Russie, maîtresse de l'Asie centrale, constitue une menace pour
l'empire britannique des Indes. Londres va s'efforcer de bloquer l'expansion
russe aux frontières de l'Afghanistan. C'est l'époque du
Grand Jeu. Cette
politique d'endiguement de l'expansion russe par la Grande-Bretagne s'est
d'ailleurs déjà manifestée à l'époque
de la guerre de Crimée. Elle s'exprimera de nouveau au Tibet en
1904. Le cabinet de Londres s'efforce de contenir la Russie qui pourrait
devenir un adversaire redoutable, non seulement sur les terres, mais aussi
sur les mers. La Russie n'aura pratiquement pas de colonies en dehors de
l'espace eurasiatique, si l'on fait exception de l'Alaska ainsi que d'une
partie de la Californie et d'Hawaï. Le moteur principal de la colonisation
russe n'est d'ailleurs pas le souci d'évangéliser ou de civiliser
des populations éloignées mais celui soit d'aller chercher
ailleurs la liberté hors de portée d'un pouvoir autoritaire
à l'excès, lorsqu'elle est le fait d'individus entreprenants,
soit pour repousser les frontières et mettre les terres russes à
l'abri des menaces extérieures, lorsqu'elle est le fait de l'Etat.
La Russie, dépourvues de frontières naturelles défensives,
a subi de nombreuses invasions: mongoles, lituano-polonaises, germaniques,
suédoises et même française. Pour se protéger
contre les incursions de ses voisins, la Chine a construit une gigantesque
muraille; la Russie s'efforce d'élargir sa zone d'influence et de
s'entourer d'un glacis défensif; c'est une constante de sa politique
extérieure.
La crise balkanique
Le khanat de Kokand, en Asie centrale, est rattaché à la Russie. De 1876 à 1880, un Russe, Prjevalsky, tente de pénétrer au Tibet à partir de la Chine septentrionale. Il parviendra jusqu'aux sources du Huang-Ho (Fleuve jaune). 1877: la Russie, alliée à la Grèce et à la Roumanie, entre en guerre contre l'Empire ottoman; elle prend l'offensive dans les Balkans et dans le Caucase, en direction de l'Arménie. 1878: le 9 janvier 1878, une jeune fille, Vera Zassoulitch, tire sur le général Trepov, chef de la police. Son procès tourne à celui de la victime, célèbre pour sa brutalité. Quant à la jeune fille, elle est acquittée. Il s'ensuit une émulation chez les révolutionnaires. D'autres attentats surviennent contre les représentants de la justice et de la police. Le traité de San Stefano (19 février) consacre la victoire russe. La Russie reçoit dans le Caucase les régions de Kars, Ardahan et Batoumi; elle annexe la Bessarabie qui lui est cédée par la Roumanie, laquelle reçoit en échange la Dobroudja bulgare. L'Autriche-Hongrie reçoit la Bosnie-Herzegovine. Un effondrement de l'Empire ottoman est redouté par les puissances européennes qui imposent à la Russie leur arbitrage. Au Congrès de Berlin, réunit par Bismarck, la Serbie, le Monténégro et la Roumanie voient leur indépendance reconnue mais doivent renoncer à une partie de leurs conquêtes; la Russie conserve les acquisitions territoriales du traité de San Stefano. L'Autriche-Hongrie se voit confirmer l'administration de la Bosnie-Herzégovine à laquelle est ajouté le sandjak de Novi Pazar (entre la Serbie et le Monténégro); la Bulgarie, réduite à un petit territoire, est divisée en deux entités: la Bulgarie et la Roumélie orientale. Après avoir vaincu sur les champs de bataille, la Russie est contenue sur le terrain diplomatique, sous l'impulsion de l'anglais Disraéli qui poursuit la politique d'endiguement de son pays. Bismarck, dont la Russie espérait le soutien, en contrepartie de celui qu'elle lui apporta lors de la création de l'Empire allemand, se garde bien d'appuyer les revendications de son voisin de l'est. En bref, la Russie ne retire pas grand-chose de sa victoire et l'orientation pro-allemande de sa politique ne lui vaut que des déceptions. 1879: les éléments les plus radicaux de Zemlia i Volia se regroupent dans Narodnaïa Volia (Volonté du Peuple) une organisation terroriste qui pense débarrasser la Russie de l'autocratie en la frappant à la tête; c'est-à-dire en assassinant l'empereur. Le 2 avril 1879, Alexandre Soloviev tire plusieurs fois sur Alexandre II sans l'atteindre; il est condamné à mort et pendu. Narodnaïa Volia tente encore en vain par deux fois de tuer le tsar au moyen de charges explosives contre le train impérial. Un gigantesque incendie réduit en cendres une partie d'Irkoutsk dont les maisons étaient en bois; la plupart sont ensuite reconstruites en pierre, conformément aux ordres du gouverneur. Au 19ème siècle, la découverte de gisements aurifères, a entraîné un afflux de pionniers et d'aventuriers, ainsi que l'ouverture de tripots qui ont transformé la ville en une sorte de cité sans loi comme il en existe dans l'ouest américain. Les empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie) s'allient pour contrer les ambitions russes dans les Balkans (Duplice). 1879-1881: soumission du Turkménistan (Asie centrale). 1880: par un décret du 12 février 1880, Alexandre II confie des pouvoirs dictatoriaux au comte Loris-Mélikov, héros de la guerre contre la Turquie, avec mission d'éradiquer le nihilisme et d'achever la réforme des institutions. Lui-même échappe de peu le 20 février à des coups de pistolet. Quelques semaines plus tard, la Russie essuie une rebuffade du gouvernement français auquel elle réclame l'extradition de l'auteur de l'attentat contre le train impérial. L'éloquence de Victor Hugo a raison de la raison d'État. Narodnaïa Volia place une charge explosive dans les sous-sol du palais; un retard sauve Alexandre II, mais l'attentat ravage la salle à manger et tue ou blesse onze soldats de la Garde impériale. En mars, l'impératrice décède de la tuberculose. En juillet, l'empereur épouse Ekaterina Mikhaïlovna Dolgoroukova; il répare dit-il une faute qu'il a commise ainsi que la réputation d'une jeune fille. 1881: les membres d'un groupuscule Pervomartovtsi
(Ceux du 1er mars), Andreï Jelabov, Sofia Perovskaïa, Nicolaï
Ryssakov, Ignati Grinevitski, Timofeï Mikhaïlov et Nicolaï
Kibaltchich, préparent un attentat à la bombe. Sofia Perovskaïa
et la fille d'un ancien gouverneur militaire de Saint-Pétersbourg.
Andreï Jelabov est son amant. Les deux jeunes gens et leurs amis sont
animés d'une haine profonde à l'encontre du tsarisme. Jelabov
est arrêté mais cela ne change rien à la détermination
du groupe. Le tsar est informé de l'imminence d'un attentat contre
sa personne mais il décide tout de même d'assister à
la relève dominicale de la Garde. Les comploteurs en liberté
lancent plusieurs bombes sur lui lors de la parade militaire; Alexandre
II est grièvement blessé; il meurt, le 1er mars (calendrier
julien), alors qu'il s'apprêtait à officialiser son mariage
avec sa jeune maîtresse et à octroyer un constitution à
son pays; il venait, en effet, de signer un oukase créant
des commissions consultatives qui auraient pu se transformer en assemblées
de notables, juste avant de se rendre à cette manifestation. Les
auteurs de l'attentat sont pendus et l'autocratie, au lieu d'être
renversée, en sort renforcée: la réforme projetée
ne sera pas appliquée! Sur le lieu de l'attentat, on construira
une cathédrale placée sous le signe de la Résurrection
du Christ que le peuple appellera "Sauveur sur le sang versé"; ce
ne sera pas la dernière de ce nom.
Alexandre II, tout en poursuivant l'expansion russe et en réprimant les tentatives de soulèvement des peuples soumis, a réalisé des réformes non négligeables, surtout au niveau local. La guerre de Crimée a mis en lumière le retard économique et politique de la Russie. Si celle-ci veut jouer le rôle qu'elle estime devoir être le sien sur l'arêne internationale, des réformes profondes s'imposent. L'empereur l'a compris. Seulement, plein de bonne volonté et intelligent, il n'a pas la poigne de fer nécessaire pour les mener jusqu'au bout. Dans ces conditions toute liberté accordée ne peut que faire apparaître plus pesants les vestiges du passé qui subsistent et favoriser l'émergence d'une contestation radicale qui débouche sur le terrorisme, lequel entraîne, par réaction, un raidissement du régime. Au plan économique, 25 000 km de voies ferrées ont été construites, ce qui a favorisé la développement des échanges et la croissance; la production de blé a doublé et 40% sont exportés; l'industrialisation a progressé. Pendant le règne, un immense écrivain, Tolstoï, illustre la littérature russe, tandis qu'une pléiade de compositeurs: Balakirev, Rimski-Korsakov, Borodine, Moussorgski (un descendant de Rurik), Tchaïkovski..., imposent la musique russe. Mais globalement, Alexandre II laisse un bilan en demi-teinte. 1881-1894: Règne d'Alexandre III, le Pacifique, empereur de Russie, roi de Pologne, grand-duc de Finlande Alexandre III ne ressemble pas à son
prédecesseur, Alexandre II, dont il est le deuxième fils.
Hercule de la famille, il est d'un caractère bourru et rien moins
que libéral. On dit qu'il incarne l'homme russe, malgré ses
origines germaniques; c'est un homme d'une stature puissante et d'une grande
force physique qui déteste le mensonge et l'hypocrisie, les réceptions
et les longs discours, et qui apprécie la franchise, la fidélité
et le professionnalisme. Comme il n'était pas destiné à
régner, il n'a pas reçu une éducation appropriée.
Il parle toutefois anglais, allemand et français, aime la littérature,
surtout Lermontov, et joue même un peu du cor d'harmonie. Il semble
s'être montré peu intéressé par les études.
Le décès prématuré de son frère aîné
Nicolas, en 1865, en a fait l'héritier du trône et, sur le
conseil que son frère lui donna sur son lit de mort, il a épousé
la fiancée de ce dernier, Marie-Sophie-Frédérica-Dagmar
de Danemark. Le mariage est d'ailleurs heureux; la jeune femme est petite,
vive, charmante et élégante, elle aime le bal que boude son
mari, c'est une excellente cavalière alors que son mari a peur des
chevaux, mais l'attrait pour la peinture les réunit (elle peint
d'ailleurs très bien), Alexandre III est un homme de famille presque
parfait qui aime tendrement son épouse laquelle lui donnera six
enfants. Avant son accession au trône, il n'a joué aucun rôle
important dans les affaires publiques mais il s'est montré à
différentes reprises en désaccord avec la politique de son
père. Il a notamment condamné une influence étrangère,
surtout allemande, qu'il jugeait excessive; il estimait que les principes
nationaux devaient prévaloir dans la sphère publique. En
1870, il s'est montré partisan de la France alors que son père
penchait pour la Prusse; placé à la tête de la gauche
de l'armée, dans les Balkans, il a éprouvé peu de
sympathie pour les Bulgares, présentés comme des martyrs
et des saints à l'opinion russe, cela ne l'empêcha d'ailleurs
pas de remplir consciencieusement son devoir militaire, ce qui lui a valu
l'Ordre de Saint-George de 2ème classe; il était bien placé
pour observer les conséquences de la corruption dans l'armée
et en a alerté son père qui n'en a tenu aucun compte. Les
déconvenues du Congrès de Berlin, enfin, l'ont amené
à penser que la Russie n'avait rien de mieux à faire que
de moderniser son armée et sa marine en vue des conflits futurs.
Le nouvel empereur ne fêtera jamais l'anniversaire de son sacre qui est d'ailleurs différé jusqu'au printemps 1883; cette journée, pour lui, n'est pas heureuse; il a conscience des difficultés qui l'attendent: le mécontentement est général, soit parce qu'on trouve les réformes trop timides, soit parce qu'on les trouve trop hardies, l'économie du pays a été malmenée par la guerre contre la Turquie, le terrorisme est devenu tellement menaçant que les monarchistes ont créé une organisation contre-terroriste, la Sainte-milice, et que l'empereur juge plus prudent de résider à Gatchina, qui possède un passage secret souterrain permettant de fuir par le lac, afin de travailler tranquillement à la restauration de l'ordre. Sa capacité de travail est grande et il va l'employer rapidement . 1881: publication du Manifeste du 29 avril puis du Règlement sur les mesures de maintien de la sécurité gouvernementale et publique du 14 août, dans lesquels Alexandre III proclame que l'abandon de l'autocratie porte en elle sa propre punition; les réformateurs sont écartés du pouvoir au profit des partisans du retour à l'ordre ancien; les fonctionnaires reçoivent des pouvoirs étendus en matière de police et de presse; les libertés peuvent être suspendues par simple décret et les causes civiles sont traduites devant des tribunaux militaires; ce règlement, initialement prévu pour durer 3 ans, restera en vigueur jusqu'à la fin du tsarisme. Des pogroms contre les Juifs éclatent à Odessa, Kiev et Varsovie; ils servent d'exutoire au mécontentement populaire. Le 6 juin, l'Entente des trois empereurs (Russie, Autriche, Allemagne) est réactivée. Le 28 décembre, des oukazes sur la réduction du prix de rachat des terres et l'achat obligatoire par les paysans affranchis des terres qui leur sont concédées, sont publiés. Achkhabad est pris. La Russie obtient le droit de libre circulation pour ses négociants en Mongolie chinoise. 1881-1882: une crise économique secoue
la Russie.
Le 24 juin, l'ingénieur Alexandre Mojaïski effectue son premier vol en aéroplane, un monoplan à vapeur. Une Banque foncière est créée. L'impôt de capitation est aboli. Des premiers Règlements sont pris concernant le travail des ouvriers: une Inspection des fabriques est créée pour régulariser les rapports entre patrons et ouvriers et le travail des femmes et des enfants est règlementé. Les Règles provisoires sur les publications entrent en application. 1883: la cathédrale du Saint-Sauveur est inaugurée, lors du sacre d'Alexandre III, le 15 mai; l'Ouverture solennelle 1812 de Tchaïkovski est joué à cette occasion en hommage aux survivants de la guerre contre Napoléon. Le musée d'histoire de Moscou est achevé sur la pace Rouge, sous le nom de musée Alexandre III. G. Plekhanov crée à Genève le groupe marxiste "Emancipation du Travail". Kropotkine est condamné à une peine de prison en France, à Lyon, pour appartenance à une organisation interdite, l'Association Internationale des Travailleurs. Des sommités internationales: le philosophe Herbert Spencer, l'astronome Camille Flammarion, le poète Algernon Swinburne et l'écrivain Victor Hugo... interviennent pour obtenir sa libération qui est accordée en 1886. 1884: les écoles primaires sont placées sous le contrôle de L'Église. Les universités cessent d'être autonomes et les frais d'inscription sont triplés pour écarter les couches populaires. Ces mesures sont vivement critiquées dans les milieux intellectuels. Merv est conquise sur la Perse, ce qui est de nature à inquiéter les Anglais. 1885: l'indépendance et l'inamovibilité des magistrats sont abolies. Une grève éclate dans les usines Morozov. La Banque foncière de la noblesse est créée. L'annexion par la Russie de la région des Turkmènes de Merv (1884) et du Pamir (1885) entraîne des négociations afin de délimiter les zones d'influence avec la Grande-Bretagne soucieuse de protéger son empire des Indes. En 1885, Emma Goldman émigre aux États-Unis. Elle vit à New-York, où elle adhère au mouvement anarchiste, en 1889, après les événements de Hay-Market Square où la violence policière contre les ouvriers américains débouchera sur la fête internationale ouvrière du 1er mai. Elle obtient rapidement une grande notoriété en développant sa philosophie anarchiste et en soutenant les droits des femmes et les luttes sociales. 1886: le 2 juillet, la Charte de la famille impériale réduit le cercle des grands-ducs pourvus d'une confortable rente viagère; cette initiative est favorablement accueillie par l'opinion publique russe. Alexandre III tenait sa famille d'une main de fer. Ses enfants ne jouissaient d'aucune indépendance. Sa parole était un ordre. Lorsqu'il commençait à parler, on avait l'impression qu'il allait frapper. 1887: arrestation par l'Okhrana de 200 militants populistes et étudiants terroristes qui préparaient un attentat contre Alexandre III. La publicité des débats judiciaires est étroitement limitée. Alexandre Ilitch Oulianov, le frère aîné de Lénine, est pendu. Le ministre de l'Éducation Délianov diffuse la circulaire dite par dérision des "enfants de cuisiniers" qui écarte des gymnases les enfants de cochers, laquais, cuisinières... qui, dans l'esprit des autorités, ne peuvent qu'être des révolutionnaires en puissance. Dans le cadre de la politique de russification des populations allogènes, le russe devient obligatoire et l'orthodoxie est favorisée au détriment des autres cultes ce qui exacerbe les nationalismes. Le 6 juin, un accord germano-russe est signé à Berlin. Un coup d'État fomenté par la Russie renverse Alexandre de Battenberg au pouvoir en Bulgarie, ce prince ayant été contraint, sous la pression de l'opinion, de congédier les généraux russes qui le conseillaient. Il est remplacé par Ferdinand de Saxe-Cobourg qui se tourne vers les empires centraux: Allemagne et Autriche; c'est une nouvelle déconvenue pour la Russie dans les Balkans. 1888: la construction du premier tronçon du Transsibérien, de Samara à Oufa, est achevée. Le transcontinental canadien a inspiré la construction du Transsibérien dans laquelle la France tiendra une part importante, par ses capitaux et ses usines (Eiffel fournira les éléments métalliques de la construction des ponts); cette collaboration renforcera les liens entre les deux pays. Le 12 juin, la première Université de Sibérie est ouverte à Tomsk. Dans une Circulaire du ministre de l'Education publique, I . Delianov, s'élève contre la présence dans les écoles d'enseignement secondaire de femmes de ménage, de blanchisseuses ou de cuisinières. Le train impérial déraille près de la gare de Borki, dans le gouvernement de Kharkov; Alexandre III retient le toit d'un wagon pour permettre à sa famille et à ses compagnons de se dégager des décombres; il y contracte la maladie rénale qui l'emportera quelques années plus tard. Un moine bouriate nommé Dordjieff entre dans l'intimité du Dalaï lama. Il intrigue pour la Russie. Ce curieux personnage réussit à persuader les Tibétains que l'empire russe est en fait le Shambala. Il invite le Dalaï lama à se rendre à Moscou en visite officielle; pour différentes raisons, le voyage n'aura jamais lieu. D'après certains auteurs, Dordjieff signifierait "coup de tonnerre" en tibétain. 1889: le Règlement sur la nomination des chefs de cantons est adopté; les juges de paix ruraux élus sont remplacés par les chefs de cantons, représentants de la noblesse terrienne nommés par le ministère de l'Intérieur; ces représentants cumulent les emplois de juges et d'administrateurs locaux; la fonction de juge de paix rural est supprimée. Serge Witte est nommé directeur des chemins de fer. L'arrivée massive de colons russes déstabilise
l'économie pastorale du Kazakhstan. Anton Tchekhov passe par Krasnoïarsk,
en se rendant à l'île de Sakhaline transformée en bagne;
il s'intéresse au sort des prisonniers, politiques et de droit commun,
qui s'y trouvent; les écrits qu'il en ramène émeuvent
l'opinion publique russe; l'écrivain admire la Sibérie et
l'esprit indépendant de ses habitants, mais il déplore la
pauvreté de ces derniers et leur arriération.
En 1889 naît en Ukraine Nestor Makhno, cinquième fils d'une famille d'anciens serfs d'une région de l'est du pays qui fut le berceau des cosaques zaporogues. Orphelin de son père pendant sa première année, l'enfant va connaître la misère. Très jeune, il sera confronté à la violence qui pèse sur les pauvres et se révoltera contre la société. 1890: le 12 juin 1890, de nouveaux Règlements des organisations rurales des cantons et gouvernements réduisent les pouvoirs des zemstvos; ils sont privés de leurs prérogatives essentielles et, en même temps, le cens électoral est augmenté, ce qui accroît l'influence de l'aristocratie terrienne au détriment de celle de la paysannerie; les décisions qui restent aux zemstvos peuvent être annulées par l'Administration, si elle les juge inopportunes. La construction d'un pont sur l'Oural permet au Transsibérien de pénétrer en Asie depuis l'Europe. Guillaume II refusant de prolonger le traité qui liait la Prusse à la Russie, cette dernière se tourne vers la France, en dépit du peu de sympathie que le tsar éprouve pour la République. De toute manière, Alexandre III ne croit guère en la sincérité des alliances; il pense que les seuls véritables amis de la Russie sont sa flotte et son armée et que les autres puissances de l'Europe n'ont qu'un objectif: empêcher la Russie ne devienne une grande puissance. Aussi, défend-t-il fermement et avec dignité l'indépendance de son pays en gardant pour principe: "La Russie aux Russes" . L'expansion russe se heurte aux appétits britanniques à la frontière de l'Afghanistan. L'établissement de la ligne Durand (1893-1895) règle temporairement ce problème, en définissant les limites respectives des zones d'influence des deux puissances européennes dans la région. Les poupées gigognes (Matriochka) apparaissent en Russie en provenance du Japon dont elles sont originaires. Elles vont connaître un grand succès dans leur pays d'adoption. 1891: la totalité du Kazakhstan est intégrée à la Russie. Le tsarévitch Nicolas inaugure le segment extrême-oriental du Transsibérien. Un accord politique est signé entre la France et la Russie pour se consulter en cas de menaces sur la paix. 1891-1892: la Russie connaît l'une des famines les plus importantes du 19ème siècle (2 millions de morts); cette famine, qui sévit en particulier dans le bassin de la Volga, est causée en partie par l'industrialisation trop rapide d'un pays sortant à peine du féodalisme. 1891: le tsarévitch, futur Nicolas II, visite Oulan Oude (Bouriatie). 1892: nouveau Règlement urbain: les doumas urbaines subissent le même sort que les zemstvos; l'autonomie rurale et urbaine est placée sous contrôle administratif. Un nouveau Règlement douanier est adopté. Une convention militaire secrète complète l'accord politique signé entre la France et la Russie l'année précédente. Le ministre Serge Witte lance une vigoureuse politique protectionniste de développement économique en recourant à des émissions obligataires à l'étranger (les fameux emprunts russes). Les industries extractives et manufacturières en profitent. Mais c'est surtout les transports ferroviaires qui en bénéficient; la construction du Transsibérien est en cours. Maxime Gorki débute en littérature par la publication d'une nouvelle. La galerie Tretiakov est donnée par son propriétaire à la ville de Moscou. 1893: signature de l'Alliance franco-russe. Les deux pays s'engagent à se venir en aide s'ils venaient à être attaqués par l'un des pays de la Triple Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie). La Loi sur le double tarif douanier est adoptée, d'inspiration protectionniste, une loi Méline portant le même titre a été votée en France l'année précédente, elle pénalise les produits allemands; il en résulte une guerre des tarifs douaniers germano-russe. Fondation de Novonikolaïevsk (Novossibirsk). Deux moines kalmouks, qui sont en fait des
émissaires de la Russie, parviennent dans la capitale du Tibet.
Le tsar qui disparaît a contribué
au maintien de la paix en Europe en quittant l'alliance allemande pour
se rapprocher de la France; il n'a pas entrepris de guerre, ce qui lui
vaut le surnom de Pacifique. Il laisse le souvenir d'un souverain
modeste, peu exigeant, économe, d'une haute moralité et très
dévot, dans sa vie courante. Grand amateur de peinture et fin connaisseur,
il a favorisé le développement de cet art en Russie et il
lègue à sa mort les tableaux qu'il possède au Musée
russe qu'il a fondé. Il n'est pas revenu sur l'abolition du servage.
Mais il a annulé pratiquement toutes les autres réformes
de son père. Cette politique de contre-réforme, en porte-à-faux
par rapport au spectaculaire essor industriel que connaissait alors la
Russie, ne pouvait qu'approfondir le malaise qui régnait dans la
société russe et préparer une grave crise politique.
De 1860 à 1895, la production de fonte est multipliée par
4,5, l'extraction du charbon par 30, celle du pétrole par 700; de
grands centres industriels apparaissent; le réseau ferré
atteint 60 000 km en 1904; pour parvenir à ces résultats,
les nombreux prisonniers, notamment politiques, ont été mis
à contribution, dans des conditions qui ont causé beaucoup
de pertes de vies humaines. La population des villes passe de 6 à
17 millions d'habitants en 1897, avec l'apparition d'un important prolétariat
urbain aux conditions de vie extrêmement précaires; mais la
paysannerie reste toutefois largement majoritaire (71%). La population
russe est très fragmentée: la noblesse, qui occupe les hautes
fonctions de l'État, ne représente pas plus de 1% de la population;
la population urbaine se décompose en une riche bourgeoisie industrielle
issue du monde paysan et en propriétaires fonciers (10%); suivent
les petits entrepreneurs et les commerçants aisés (13%);
puis les petits artisans et boutiquiers (24%) et enfin les travailleurs
salariés (plus de la moitié). La russification forcée
des minorités baltes et polonaises, les difficultés d'accès
au savoir pour les classes populaires tenues à l'écart des
écoles, la rigidité idéologique suscitent des réflexes
de rejet du régime qui se traduisent par la constitution à
l'étranger de véritables colonies d'exilés, lesquelles
accréditent dans l'esprit du tsar le mythe d'un complot européen
anti-russe et l'amènent à durcir encore plus sa politique.
En politique extérieure, on assiste cependant à un renversement
des alliances: la Russie que les empires centraux ont déçue,
s'est rapprochée paradoxalement d'une France républicaine
dont le pouvoir tsariste déteste l'idéologie. L'épouse
du tsar défunt lui survivra assez lontemps pour assister à
la révolution de 1917; elle quittera la Russie pour retourner au
Danemark, sa patrie natale, où elle mourra en 1928.
Au 19ème siècle, la Russie bénéficie d'une mauvaise image en Occident. Un partisan de l'absolutisme, le marquis de Custine, qui s'y est rendu pour y chercher un modèle, en revient totalement désenchanté: la Russie est une immense nation d'esclaves dominée par un despotisme effréné qui combine la science de l'Europe et le génie de l'Asie (on méditera son idée selon laquelle c'est la rencontre du pouvoir absolu avec la servilité des sujets, ou leur manque de civilisation, qui rend l'exemple russe si détestable). D'autres parlent d'une prison des peuples. Karl Marx estime qu'il n'y a rien de bon à attendre de ce pays. Les caricaturistes s'en donnent à coeur joie: les Russes sont des barbares chez qui les changements de règne sont annoncés par les vomissements du tsar! Tout n'y est que mensonge et esbroufe! Bref, on trouve dans les critiques de l'époque à peu près tout ce qui sera plus tard reproché à l'Union soviétique, mais on n'en admire pas moins ses écrivains (Tchekhov) et ses musiciens. A la fin du 19ème siècle, la pomme de terre commence à apparaître sur les tables russes. Sa diffusion a d'abord été assez lente avant de devenir un des deux principaux légumes de la cuisine russe, avec le choux. 1894-1917: Règne de Nicolas II, empereur de Russie, roi de Pologne, grand-duc de Finlande Nicolas II sera tour à tour qualifié de Pacifique, au début de son règne, de Sanguinaire après la révolution d'octobre 1917, pour finir par être canonisé par l'Église orthodoxe, depuis la chute de l'Union soviétique. Sous son règne, la Russie connaît
un développement sans précédent. Sa population triple
(ce qui permet de peupler la Sibérie) et elle devient la deuxième
ou la troisième puissance économique mondiale. Son réseau
ferroviaire n'est dépassé que par celui des États-Unis.
Le rouble est convertible. L'industrie, le commerce et la finance se développent;
avant la fin du siècle, la balance commerciale est équilibrée.
La musique (Glazounov, Scriabine, Stravinsky, les ballets russes, Diaghilev,
Chaliapine), les arts (peintures de Repine, de Levitan, de Sourikov, marine
d'Ajvazovski, compositions de Nesterov et de Vrubel...) et les lettres
ne restent pas à la traîne; la Russie compte de nombreux écrivains
célèbres et elle occupe la deuxième place au monde
dans le domaine de l'édition de livres. Mais le tsar ne paraît
pas souhaiter transformer réellement son pays au plan politique
et, surtout, il s'avère incapable de gagner les conflits dans lesquelles
la Russie se trouve engagée. Un autre point noir est l'agriculture
qui reste arriérée; beaucoup de terres sont incultes; les
paysans sont endettés et ils s'adonnent à la vodka de manière
excessive; l'alcool étant devenu un monopole d'État, le Trésor
y trouve son compte, mais pas l'économie; sous l'impulsion de Stolypine,
une classe de paysans riches, les koulaks, voit cependant le jour.
Nicolas II reste marqué par l'agonie de son grand-père, privé des deux jambes et défiguré par l'attentat qui lui a coûté la vie. Élevé à la dure, son éducation, confiée aux proches d'Alexandre III, ne le prédispose pas à des réformes d'inspiration libérale. A 16 ans, il tombe amoureux d'une de ses cousines, la princesse Alix de Hesse Darmsdadt; mais son père s'oppose à une union avec une Allemande, pour des raisons diplomatiques; d'ailleurs, les princesses de Hesse n'ont-elles pas la réputation de porter malheur à la Russie? Il fréquente la faculté des sciences économiques de l'Université de Saint-Pétersbourg. De 1885 à 1890, il suit une formation spéciale visant à le préparer à ses fonctions futures avec de bons professeurs, mais on ne sait pas ce qu'il en retient car les professeurs n'ont pas le droit de l'interroger et lui ne leur pose jamais de questions; d'après S. Witte, il possède l'instruction d'un colonel de la Garde issu d'une bonne famille. En 1890, il effectue sur un croiseur russe une tournée officielle soigneusement préparée: les lieux à voir et ceux à ne pas voir sont précisés et les discours à prononcer transmis par voie diplomatique. Il accomplit ce voyage en compagnie de quelques princes russes (V. Bariatinski, N. Obolenski, V. Kotchoubeï...) et de son frère Georgui, malade de la poitrine, dont on espère que l'air du large le ragaillardira; hélas, ce dernier sera victime d'un accident au cours d'une excursion, son mal empirera et il devra être rapatrié en Russie où il mourra quelques années plus tard. Le périple diplomatico-touristique mène le grand-duc Nicolas en Grèce, en Égypte, aux Indes, dans le sud-est asiatique, en Chine et au Japon. Dans ce dernier pays, il se montre trop entreprenant auprès de l'épouse d'un samouraï et ce dernier le gratifie d'un coup de sabre; il s'apprête à lui en porter un second lorsque l'héritier du trône de Grèce, qui s'est joint à la caravane russe lors de son passage en Grèce, déséquilibre l'irascible guerrier à coups de canne et le tient en respect jusqu'à l'arrivée de la police. Nicolas revient à travers la Sibérie, pénétré de mépris pour les "singes" japonais. De retour à Saint-Pétersbourg, il reprend une liaison, interrompue par le voyage, peut-être à dessein, avec une ballerine, courte sur jambes, mais ayant des yeux merveilleux, Mathilde Kchessinskaïa, qui sera ensuite la favorite d'autres grands-ducs sans jamais déroger . Au printemps 1894, alors que son père
est déjà malade depuis des années, il obtient enfin
l'autorisation de se fiancer avec Alix de Hesse-Darmsdadt, malgré
la préférence de ses parents pour Hélène d'Orléans.
Guillaume II, mais aussi la reine Victoria, grand-mère des deux
promis, assistent à la cérémonie; le futur roi d'Angleterre,
Edouard VII, et Nicolas II se ressemblent d'ailleurs beaucoup.
A l'automne 1894, sur son lit de mort, Alexandre III conseille à son fils de maintenir l'autocratie. Au moment où il monte sur le trône, le jeune tsar fait part de sa perplexité et de son inquiétude: il est mal préparé à son métier d'empereur. Il épouse Alix, qui se convertit à l'orthodoxie, sous le nom d'Alexandra Féodorovna, avec beaucoup de réticence. Peu énergique et heureux en ménage, Nicolas II suivra, pour gouverner, les conseils de son épouse. Le couple aura cinq enfants, un fils, le tsarévitch qui naîtra tardivement en 1904, et qui sera hémophile, une maladie héréditaire dans la famille de Hesse-Darmstadt, et quatre filles. Le couple vit comme des particuliers, le tsar préférant scier ou couper du bois, déblayer la neige, rouler en automobile, naviguer sur son yacht, voyager en train, se promener à pied, tirer sur les corbeaux que s'occuper des affaires de l'Etat. Mais la tsarine s'en mêle et pas toujours à bon escient. Comme la naissance d'un fils se fait attendre, elle se berce un temps d'illusion, jusqu'à prendre l'embonpoint d'une femme enceinte avant de s'apercevoir de son erreur. Mal aimée par la cour, l'impératrice se trouve une amie en la personne d'une jeune et jolie dame d'honneur ingénue, Anna Taneieva; elle lui cherche aussitôt un mari; hélas, elle n'a pas la main heureuse: celui-ci se drogue et est un pervers sexuel! Le tsarévitch heureusement jouit d'une certaine sympathie dans l'armée auprès de laquelle son père l'emmène souvent. Le nouveau maître de la Russie pense que l'autocratie est un principe sacré qui ne peut pas être mis en question. Il reprend à son service nombre de collaborateurs de son père. A la demande de sa femme, et aussi probablement par goût personnel, il s'éloigne de la vie mondaine de l'aristocratie russe, en résidant à Tsarskoïe Selo; il se coupe ainsi d'une partie de la noblesse. Il limite les pouvoirs des zemstvos en les soumettant à des fonctionnaires d'État, mène une politique de russification de la Pologne, de la Finlande et du Caucase, et aggrave la politique antisémite de son père. Serge Witte, reste ministre en raison de sa compétence, malgré la méfiance à son égard du tsar, qui le soupçonne d'être franc-maçon; il poursuit sa politique de développement économique et d'assainissement financier. Les entreprises étrangères sont invitées à investir en Russie. Witte est conscient que le développement économique devrait s'accompagner de réformes politiques. Mais il se heurte à l'opposition des slavophiles, ennemis de l'Occident et du progrès, qui ne voient de salut pour la Russie que dans le maintien des traditions. Et le tsar ne permettrait pas, de toute manière, de toucher à l'orthodoxie. Après la guerre sino-japonaise de 1894-1895, perdue par la Chine, l'empire du Soleil levant commence à prendre pied en Mandchourie, ce qui inquiète la Russie. Les ambitions colonialistes du Japon vont s'affirmer de plus en plus et se heurter à celle de la Russie au nord du continent asiatique. 1895: Alexandre Popov transmet le premier message
par télégraphie sans fil.
Nicolas II pose à Paris la première pierre du pont Alexandre III, symbole de l'Alliance franco-russe qui est renouvelée. La montée en puissance de l'empire d'Allemagne, après la défaite française à Sedan, inquiète la Russie autocratique et la pousse à approfondir son alliance avec la France républicaine, malgré l'admiration qu'elle portait autrefois la Prusse. Le danger est d'autant plus grand que l'Allemagne est alliée à l'Autriche et à l'Italie, dans le cadre de la Triplice, et que le risque d'un conflit est élevé dans les Balkans en ébullition. La Russie signe avec la Chine un traité visant à contrer les ambitions japonaises; il permet la construction du chemin de fer de l'est chinois, relié au Transsibérien. La Russie renoue des relations amicales avec la Bulgarie. 1896-1899: construction de la cathédrale
Saint-Alexandre-Nevsky à Nikolaïevsk.
L'Université de Dorpat (Estonie) est fermée pour avoir continué à utiliser l'allemand. Galitzine, envoyé par le tsar, s'efforce de russifier les provinces du Caucase. Création du Bund, un mouvement ouvrier juif marxiste qui lutte pour l'égalité des droits pour les Juifs. Le président français Félix Faure visite la Russie. Le tronçon Valdivostock-Khabarovsk du Transsibérien est achevé. 1898: construction d'un pont sur l'Ob à Novonikolaevsk (Novossibirsk) pour le Transsibérien. Le première pierre du musée des Beaux-Arts-Alexandre III est posée. Un accord est signé avec la Chine pour
l'obtention d'une concession à bail de la presqu'île de Liaodong
avec la forteresse de Port-Arthur pour une durée de vingt-cinq ans.
Deux ans avant les troupes japonaises débarquées y avaient
massacré de nombreus Chinois.
Bobrikov est nommé gouverneur de Finlande avec la mission de russifier le grand-duché. Nicolas II, conseillé par Witte, lance un appel au désarmement et à la paix mondiale (d'où son surnom de Pacifique). Il propose aux puissances européennes d'organiser une conférence pour la préservation de la paix mondiale. 1899: le tsar choisit La Haye comme siège de la première Conférence internationale pour discuter de la paix. L'Allemagne et la Grande-Bretagne sont réticentes. La proposition de désarmement est repoussée mais une convention sur les règles de guerre et le droit international humanitaire voit le jour et, surtout, la Cour d'arbitrage international de la Haye est créée. 1900: une crise monétaire mondiale entraîne la fermeture d'usines et de banques. Witte est accusé, par les propriétaires fonciers, d'être social-démocrate. La Russie profite de la révolte des Boxers en Chine pour occuper la Mandchourie. Le pont Alexandre III est inauguré à l'occasion de l'Exposition universelle de Paris. Près de 300 entreprises françaises ou belges sont implantées en Russie; elles contrôlent 60% de la production de houille et 80% de celle de coke. 1901-1903: Une crise économique fait sentir ses effets. Le début du 20ème siècle est marqué par un commencement de pénétration des Russes en Chine. Le général russe Kozlov explore le Kham (Tibet). Il a pour guide Dja-lama (Tchegoun lama), un ancien moine bouddhiste d'origine russe, qui a séjourné à Drepung, où il aurait tué le moine qui partageait sa cellule au cours d'une dispute. Ce personnage violent et cruel prendra ultérieurement la tête d'une croisade mongole antichinoise; il consacrera ses bannières avec le sang des prisonniers dont il ouvrira les poitrines pour en arracher le coeur. L'idée de la reconstitution d'un empire mongol, aux limites imprécises, mais qui comprendrait la Mongolie intérieure et extérieure, le Tibet et une partie de l'Asie centrale, dont le Sinkiang, commence à germer dans certains esprits russes (Semenov, Dja-lama, Ungern). Les Anglais soupçonnent les Russes d'armer les Tibétains pour menacer l'empire des Indes; ces soupçons seront à l'origine de l'invasion du Tibet par les troupes britanniques en 1904. Un Bouriate bouddhiste converti au christianisme, qui exerce la médecine tibétaine en Russie, sans diplôme mais avec un grand succès, y compris dans l'entourage du Tsar, Piotr Badmaev, publie "La Russie et la Chine", ouvrage dans lequel il défend l'idée d'un rapprochement entre la Russie, la Chine, la Mongolie et le Tibet. Mettant en pratique ses idées, il crée d'ailleurs une entreprise commerciale en vue de faciliter la pénétration russe en Extrême-Orient. Si ce projet grandiose réussissait, la Russie deviendrait, d'après lui, le pays le plus puissant du monde. 1901: le 22 janvier 1901, meurt la reine d'Angleterre Victoria, mère du nouveau roi, Edouard VII, et grand-mère du Kaiser et du Tsar. Le Kaiser aimait sa grand-mère, admirait la Grande-Bretagne qu'il détestait encore plus. Parmi les nombreux descendants de la reine défunte, il faisait l'unanimité contre son caractère vulgaire, hautain et prétentieux. Les autres membres de la famille se moquaient de ce cousin maladroit, au bras gauche défectueux, qui tentait en vain d'en imposer, ce qui humiliait l'empereur d'Allemagne. Naissance du parti socialiste révolutionnaire (SR), à base essentiellement paysanne, qui se réclame des terroristes de la Narodnaïa Volia. Dordjieff, accompagné de Narzounof, est à nouveau à Lhassa, où parvient aussi l'agent russe Tsybikov. Les Anglais s'inquiètent mais il leur est impossible d'intervenir militairement tant que la question de l'Afrique du Sud (guerre des Boers) n'est pas définitivement réglée. 1902: le président français Émile Loubet se rend à Saint-Pétersbourg. Des émeutes paysannes, visant à terroriser la noblesse, afin qu'elle cède ses terres à bas prix, commencent à agiter les campagnes; il y en aura 670 jusqu'en 1904. L'étudiant socialiste révolutionnaire Stepan Balmachov assassine le ministre de l'Intérieur Dmitri Sipiaguine. Plehve devient ministre de l'Intérieur de Russie; il éprouve de la sympathie pour les idées constitutionnelles, ce qui ne l'empêche pas de mener une politique conservatrice. Création de la Hramada révolutionnaire biélorusse, sous l'impulsion du Parti socialiste polonais, qui revendique la création d'une diète biélorussienne autonome à Vilna (Vilnius). La Russie discute avec le Japon un partage de la Corée. L'Angleterre passe un accord avec le Japon, puissance montante en Asie, pour contenir l'expansion russe; elle s'engage même à attaquer la France si la Russie s'en prend au Japon. Guillaume II encourage son cousin Nicolas II à s'occuper de la Sibérie, où il va se heurter aux intérêts japonais, afin qu'il se détourne de l'Europe occidentale, où l'humeur altière du Kaiser contribue à isoler l'Allemagne et à l'entourer d'ennemis, et que le Tsar s'éloigne de leur cousin commun, le roi d'Angleterre Edouard VII. La Russie se rapproche de la Chine. Un projet de condominium sino-russe sur le Tibet est envisagé. Des troupes russes et chinoises pourraient s'installer sur le Toit du monde, aux portes de l'empire des Indes. Le bruit en court à Londres. Mais il a été propagé en Inde par le moine japonais, Kawaguchi, de retour du Tibet, où il est allé étudier des textes sacrés. Le gouvernement japonais, qui se prépare à un conflit avec l'empire des tsars, n'est peut-être pas totalement étranger à cette rumeur (un résumé du récit de Kawaguchi est ici). 1902-1904: construction du tronçon circumbaïkalien
du Transsibérien.
Le parti social-démocrate de Russie (POSDR) se scinde en bolcheviks (majoritaires, dont Lénine), qui veulent accélérer le processus révolutionnaire par l'action et la propagande, et mencheviks (minoritaires, Plekhanov et... Trotsky), qui pensent que la révolution se fera naturellement. 1904: Les troupes anglaises envahissent le Tibet. Le Dalaï lama s'enfuit en Mongolie. Le consul russe à Ourga, Shishmarev, intrigue pour qu'il se réfugie en Russie. Le traité imposé par le cabinet de Londres au Tibet soulève de vives protestations de la Russie. 1904-1905: Guerre russo-japonaise Le Japon attaque par surprise la flotte russe à Port Arthur et assiège la ville qui se rendra après huit mois de siège. La brigade terroriste du parti socialiste révolutionnaire organise un attentat contre le ministre Plehve. Le Transsibérien est achevé. Sa construction a coûté près de 1,5 milliards de roubles, dépense qui ne sera dépassée que par celles de la Première Guerre mondiale. 1905: l'infanterie russe est battue à Moukden par les forces japonaises (20 février - 10 mars). La flotte de la Baltique, arrivée trop tardivement à la rescousse en Extrême-Orient, est détruite à Tsushima. En août, la paix de Portsmouth reconnaît au Japon la possession de Port Arthur, de la Corée, de la Mandchourie et du sud de l'île de Sakhaline. La fin calamiteuse de cette guerre pour Saint-Pétersbourg, refroidit les relations entre l'Angleterre, alliée du Japon, et la Russie qui va se rapprocher de l'Allemagne pendant quelques temps avant de revenir à l'alliance anglaise. Décidément, Guillaume II n'est pas fréquentable! La défaite des Russes devant des gens de couleur retentit profondément parmi les peuples colonisés qui rêvent d'émancipation, et en premier lieu au sein de l'empire russe. La France n'est pas intervenue dans le conflit pour éviter une riposte anglaise. La révolution de 1905 Le 22 janvier 1905 (9 janvier en Russie), a
lieu une manifestation ouvrière, conduite par le pope Gapone, qui
est en fait un agent de la police tsariste infiltré dans le mouvement.
Alors que cette manifestation vient pacifiquement présenter ses
requêtes au tsar, en portant des bannières et des icônes,
elle est brutalement réprimée par la police qui ouvre le
feu tuant un millier de personnes (officiellement, il y aurait eu 96 morts
et 330 blessés, mais d'autres sources portent le nombre de victimes
à 4900 voire plus, où est la vérité?) Ce tragique
événement, qualifié de Dimanche Rouge, survenu
en l'absence du tsar, n'en va pas moins être lourd de conséquence
pour lui car il brise l'image paternelle qui était jusqu'alors celle
du souverain dans l'imaginaire populaire; il accrédite le qualificatif
de Sanguinaire qui sera plus tard attribué à Nicolas
II. Des jacqueries éclatent un peu partout à travers l'empire.
L'équipage du cuirassé Potemkine se mutine à
Odessa. La grève générale s'étend. Comme il
n'existe pas de syndicat, une organisation représentative se crée
spontanément: les soviets.
Les bolcheviks, d'abord hésitants, envoient des représentants,
mais ce sont les mencheviks, alors plus nombreux, qui jouent le rôle
le plus important. La population réclame une constitution, une Douma
et les libertés. Les socialistes révolutionnaires, les bolcheviks
et les mencheviks de Saint-Pétersbourg s'unissent au sein du soviet
ouvrier et publient les Izvestia (Les Nouvelles). Nicolas II est
contraint de proclamer, le 17 octobre (calendrier russe) le Manifeste
sur le perfectionnement de l'ordre de l'État dans lequel il
s'engage à accorder les libertés civiques, à créer
une Douma dotée des pouvoirs législatifs et de contrôle,
à amnistier les crimes et délits commis avant la publication
du manifeste, à nommer un Premier ministre aux pouvoirs étendus,
à respecter les droits des minorités et, en particulier,
celui de parler leur propre langue. Mais l'empereur garde un droit de veto
et peut dissoudre la Douma, ce dont il ne se privera pas. De plus,
Nicolas II promulgue un Acte spécial qui permet au gouvernement
de prendre des mesures législatives entre les sessions de la Douma.
En fait, il n'envisage pas que son pouvoir puisse être réellement
limité. L'accueil est mitigé: les libéraux estiment
avoir obtenu satisfaction, mais se divisent, certains sont prêts
à collaborer avec le gouvernement, d'autres, comme le parti constitutionnel
démocratique (KD), voudraient aller plus loin et instaurer un régime
parlementaire; les socialistes révolutionnaires et les sociaux-démocrates
refusent de participer à une Douma sans pouvoir et appellent
à poursuivre le mouvement. Un soulèvement armé a lieu
à Moscou; il est écrasé par l'artillerie.
Le 17 février 1905, le socialiste révolutionnaire Ivan Kalyayev assassine le grand-duc Serge, oncle du tsar. Le parti constitutionnel démocratique (KD) voit le jour pendant la crise révolutionnaire. D'abord révolutionnaire et républicain, il évoluera vers la monarchie constitutionnelle, après l'échec de la révolution. On notera que la révolution de 1905 a commencé avant la défaite de l'armée russe devant les forces japonaises. Ce n'est donc pas cette défaite qui l'a motivée. Une crise profonde travaillait déjà la Russie comme en témoignent les assassinats commis et l'ampleur de la sédition. Les réformes insuffisantes et mal conduites, l'abolition du servage, sans véritable distribution des terres aux paysans, pour ne prendre que cet exemple, ont fait plus de mécontents que d'heureux. Mais si la défaite, n'est pas l'élément déclencheur de la crise il n'en demeure pas moins que les troubles ont pu jouer un rôle dans l'issue du conflit, comme l'état de guerre a sans doute rendu la répression plus difficile. La première tentative révolutionnaire a échoué. Mais elle a consacré l'alliance des couches populaires russes et des minorités nationales. C'est, en quelque sorte, la répétition de la révolution de 1917. De plus, la défaite russe a révélé à l'Allemagne la faiblesse de l'armée de Nicolas II. Le bilan de cette défaite est lourd de conséquences pour le pouvoir russe: la vie sociale a commencé à se démocratiser, des territoires ont été perdu en Extrême-Orient et la flotte militaire russe a été anéantie. Maxime Gorki, qui a connu la célébrité avec Les Bas-Fonds, est exilé et séjourne à New-York puis à Capri; il ne rentrera en Russie qu'après la Révolution d'octobre. En novembre 1905, le staretz (moine errant) Raspoutine, natif de Prokoskoe (district de Tioumen, gouvernement de Tobolsk, en Sibérie), un guérisseur qui, sous des dehors de religiosité mystique, se livre à l'ivrognerie et à la débauche, est introduit dans l'entourage du tsar où ses talents séduisent la tsarine; elle espère que ce saint homme améliorera la santé du tsarévitch atteint d'hémophilie. Raspoutine pourrait avoir appartenu à la secte des flagellants. Makhno, à peine âgé de 16 ans, participe en Ukraine aux troubles consécutifs à la révolution russe de 1905. Il adhère à l'"Union des laboureurs pauvres", un groupe de jeunes révolutionnaires qui se réclame du communisme libertaire et s'oppose par l'action directe à la terreur gouvernementale, notamment en pratiquant des expropriations et la redistribution aux pauvres des biens confisqués aux riches. En réaction aux succès de ce groupe, les propriétaires créent leur propre mouvement l'"Union des russes véritables". Ils ont un bouc émissaire tout trouvé, en la personne des Juifs, et guidés par leur slogan "tue le youpin, sauve la Russie" organisent des pogroms. l'"Union des laboureurs pauvres" combat ce mouvement et le détruit; "ce fut notre première victoire" notera Makhno dans ses mémoires. Parallèlement, le mouvement fasciste avant la lettre des Cent-Noirs voit le jour en réaction à la poussée révolutionnaire. Il participera désormais à la lutte contre-révolutionnaire. 1906: le tsar dote la Russie de Lois fondamentales de l'État (désignation retenue pour éviter le mot honni de constitution). Ces lois n'instaurent pas un régime parlementaire: les ministres ne dépendent que du tsar, la Douma est dépourvue de pouvoir budgétaire, n'a pas l'initiative des lois et le gouvernement peut légiférer par oukazes. Les premières élections à la Douma sont favorables au parti constitutionnel démocrate (KD) ainsi qu'au centre-gauche et elles amènent à l'assemblée de nombreux représentants des minorités. La Douma entrant en désaccord avec lui, Nicolas II modifie la loi électorale au profit des classes aisées, de sorte que la majorité de la population n'est plus représentée. Le 19 août 1906, Nicolas II signe la Loi sur les tribunaux militaires de campagnes. Serge Witte, jugé trop progressiste, est évincé du pouvoir. Son successeur, Ivan Goremykine, est très conservateur. Mais il sera bientôt remplacé lui-même par Piotr Stolypine. Des députés libéraux et socialistes modérés lancent l'appel de Vyborg qui appelle les Russes à la résistance passive et au refus de l'impôt et de la conscription. Ils sont condamnés à la prison et frappés d'inéligibilité à la Douma et aux zemstvos. Le colonel Mannerheim, futur héros de
l'indépendance finlandaise, est chargé par l'armée
russe d'une mission d'exploration en Asie centrale. Il bénéficie
de la couverture d'organisations scientifiques suédoises et finlandaises
pour ne pas éveiller les soupçons. Il parcourra 7000 km à
l'ouest de l'empire du milieu, notamment au Sinkiang et au Shanxi, dressant
des cartes, prenant des photos et notant l'attitude des populations. Après
un séjour à Pékin, son périple s'achèvera
par une visite au Dalaï lama. Moscou n'a certainement pas abandonné
tout espoir d'expansion à l'est.
1906-1911: Piotr Stolypine est Premier ministre; il va procéder à d'importantes réformes agraires qui laisseront un bon souvenir. Kokovtsov négocie avec Cambon et Poincarré des emprunts ferroviaires. Les socialistes-révolutionnaires organisent un attentat contre le Premier ministre. Celui-ci y échappe mais il fait plus de 30 victimes, dont deux enfants de Stolypine. En représailles, des cours martiales militaires ambulantes sont créées. Elles jugent sans avocat et sans possibilité d'appel. Les accusés sont condamnés à mort (la cravate à Stolypine) ou aux travaux forcés (le wagon de Stolypine). La Sibérie y gagne trois millions d'habitants. La politique du nouveau Premier ministre se veut à la fois conservatrice et moderniste. Il lutte contre les groupes révolutionnaires pour rétablir l'ordre et met en place une réforme agraire qui dissout les mirs (forme de propriété collective traditionnelle) et vise à créer une classe de petits propriétaires favorables à l'économie de marché; il espère gagner ainsi le monde rural, très largement majoritaire en Russie, à la cause tsariste; une classe de paysans riches se forme: les koulaks. Pour le prolétariat urbain, il crée un système d'assurance; mais celui-ci est mal accueilli car il exige la participation des ouvriers aux cotisations. Enfin, il s'efforce de russifier le monde des affaires en favorisant la formation de capitaux russes. 1907: une seconde Douma s'avère pire pour le tsar que la précédente: les socialistes révolutionnaires et les sociaux-démocrates y arrivent en force, à la place des libéraux devenus inéligibles. Stolypine tire prétexte d'un prétendu complot social-démocrate pour la dissoudre, le 2 juin. Une nouvelle loi électorale remplace immédiatement la précédente dans le but de restreindre la représentation des couches populaires. Une troisième Douma est élu avec la loi électorale modifiée. La représentation paysanne est réduite de moitié, celle des ouvriers à peu près inexistante, celle de la noblesse outrageusement augmentée. La droite nationaliste et les Octobristes (libéraux disposés à collaborer) sont majoritaires; mais il y a quelques bolcheviks. Cette Douma restera en place jusqu'en 1912. La Russie ayant perdu la Mandchourie au profit du Japon, la construction d'une nouvelle ligne du Transsibérien, plus éloignée de la nouvelle frontière, est décidée. Une seconde Conférence de La Haye se tient du 15 juin au 18 octobre 1907 sous l'égide de la Cour permanente d'arbitrage. Elle retouche un peu les textes de la première Conférence (1899). Le 31 août 1907, l'Angleterre, inquiète à son tour des velléités du kaiser allemand, signe avec la Russie, à Saint-Pétersbourg, une convention par laquelle les deux puissances délimitent leurs zones d'influence en Perse (futur Iran), en Afghanistan et au Tibet. La Perse est divisée en trois parties : deux sphères d'influence, celle du nord allant à la Russie impériale et celle du sud à l'Empire britannique, tandis que la partie centrale obtient le statut de zone tampon neutre. Pour ce qui concerne l'Afghanistan, la Russie reconnaît un semi-protectorat de la Grande-Bretagne et abandonne tout idée d'établissement de liens directs avec l'émir. Pour le Tibet, après l'invasion britannique de 1903-1904 et le traité de Lhassa qui a suivi, les deux puissances conviennent de maintenir son intégrité territoriale et de ne traiter avec Lhassa que par l'intermédiaire de la Chine, la puissance suzeraine. Une alliance entre l'Angleterre, la France et la Russie, la Triple Entente, peut ainsi voir le jour. La Cathédrale du Sauveur sur le Sang versé est édifiée à Saint-Pétersbourg à l'endroit de l'attentat contre Alexandre III. Elle a coûté plus cher que prévu et le coupable, secrétaire de conférence de l'Académie, sera jugé et puni d'une peine de prison et de la confiscation de ses biens. 1907-1914: les saisons russes font florès à Paris et à Londres. 1908: le 3 mai, une Loi sur la réforme scolaire instaure un enseignement primaire obligatoire et gratuit. En 1908, à la suite de la dénonciation d'un informateur infiltré dans son groupe révolutionnaire par la police, Makhno est arrêté et incarcéré. La Russie, sous l'amicale pression de la France, accepte l'annexion de la Bosnie-Herzegovine par l'Autriche-Hongrie. 1909: La Russie soutient la création d'une alliance des États balkaniques contre la Turquie, espérant tirer profit d'un démembrement de l'Empire ottoman. Raspoutine et la tsarine sont du parti de la paix, contrairement aux autres membres de la famille impériale. Le président français Fallières
rencontre le tsar à Cherbourg.
1910: création par Goumilev de l'Akméisme, un courant littéraire qui s'inscrit contre le symbolisme, et qui sera illustré par Anna Akhmatova et Ossip Mandelstam. Au même moment apparaît le futurisme (Khlebnikov, Maïakoski, Asseïev, Pasternak); la vie culturelle bouillonne car elle est l'un des seuls espaces de liberté qui existent en Russie. L'expression théâtrale connaît un dévelopement prodigieux à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème. Makhno et treize de ses camarades sont jugés par un tribunal militaire. Il est condamné à la peine de mort par pendaison. En raison de son jeune âge et des efforts de sa mère, la peine est commuée en réclusion à perpétuité assortie de travaux forcés. Il est incarcéré à la prison de Boutyrka, qui est, à cette époque, une sorte d'université révolutionnaire. Assoiffé de savoir, Il y étudie notamment Bakounine, Kropotkine et son concept d'entraide. Il rencontre Piotr Archinov, un communiste libertaire, avec qui il parle beaucoup. En raison de son caractère peu conciliant, Makhno est régulièrement enchaîné et mis au cachot. Cette expérience explique sa haine des prisons et, plus tard, pendant la guerre civile, en entrant dans une ville nouvellement conquise, son premier geste sera de libérer tous les prisonniers et de détruire les lieux d'incarcération. 1911: Stolypine essuie un coup de feu tiré par Bogrov que l'on présente comme un Juif d'extrême-gauche. En fait, il s'agirait d'un agent de l'Okhrana qui aurait reçu l'ordre d'abattre le Premier ministre responsable de la réforme agraire. Stolypine meurt quatre jours plus tard. Cette mort marque le retour des troubles révolutionnaires et des grèves. Kokovtsov devient le nouveau Premier ministre. Consciencieux et compétent, c'est un haut fonctionnaire qui ne possède pas les qualités requises pour faire face à une situation devenue très difficile. 1912: une grève éclate dans les mines aurifères de la Léna; elle est sévèrement réprimée. L'organe officiel du parti bolchevik, la Pravda (Vérité) est créé à Saint-Pétersbourg. Parmi ses fondateurs, figure Skriabine qui s'appellera plus tard Molotov et deviendra le plus fidèle disciple de Staline. Un certain Koba est le rédacteur en chef du nouveau journal. Il se nomme en réalité Joseph Djougachvili. On l'appellera plus tard Joseph Staline, l'homme de fer. Il fut dans son enfance maltraité par un père ivrogne, mais protégé par une mère aimante. C'est un ancien séminariste d'origine géorgienne devenu révolutionnaire. Petit, boiteux à la suite d'un accident, avec un bras atrophié et le visage marqué par la variole, il ne paie pas de mine. Il s'est livré, pour financer l'activité révolutionnaire, à des attaques de convois de fonds. Il a choisi le nom de Koba qui est celui d'un légendaire Robin des bois caucasien. Marié jeune, il s'est trouvé veuf de sa première épouse, morte de la tuberculose, un an après son mariage. Il a déjà fait son chemin dans la vie puisqu'il est membre du Comité central du parti bolchevik. Son activité révolutionnaire l'amènera à goûté le confort des prisons tsaristes et le charme de la Sibérie, au delà du cercle polaire. Pour le moment, Lénine, en exil à Cracovie, trouve la ligne éditoriale du journal trop molle. Le tsarévitch, lors d'un déplacement en Pologne, est victime d'une hémorragie interne devant laquelle les médecins paraissent impuissants. L'intervention de Raspoutine l'aurait miraculeusement guéri; une chose est sûre, le staretz possède le don d'atténuer les souffrances du jeune héritier de la couronne lors de ses crises d'hémophilie. La réussite de Raspoutine par imposition des mains sur le tsarévitch s'expliquerait par le fait qu'il lui interdisait la prise de tout médicament, donc de l'aspirine que prenait l'enfant, laquelle possède la propriété de liquéfier le sang, ce que l'on ignorait à l'époque! La Russie instaure un système d'assurance sociale pour les ouvriers loué par le président américain Taft. Le président du conseil des ministres français, Raymond Poincarré, se rend en visite officielle en Russie, après le différend qui vient d'opposer la France et l'Allemagne à propos du Maroc (Affaire de la canonnière d'Agadir). Les Anglais obtiennent l'éloignement
de Dordjieff qui est envoyé en Mongolie. Mandaté par le Dalaï
lama, Dordjieff se rend en Russie pour obtenir la reconnaissance de l'indépendance
du Tibet; il n'obtient aucun résultat. Un accord sino-russe reconnaît
la souveraineté de la Chine sur la Mongolie extérieure; mais
cette dernière obtient l'autonomie et la Russie exercera sur elle
une sorte de protectorat.
1913: Kokovtsov négocie de nouveaux emprunts. La célébration du 300ème anniversaire des Romanov, malgré le faste déployé, ressemble déjà à une fin de règne, avec un tsarévitch au visage déformé par la douleur et une tsarine paraissant absente. La Mongolie extérieure, devenue indépendante de la Chine, signe avec la Russie un traité d'entente et de reconnaissance mutuelle. Mais elle ne parvient pas à obtenir une reconnaissance internationale plus large. La Première guerre mondiale donnera cependant l'occasion de concrétiser les termes de ce traité. A la veille de la guerre, la moitié
des importations russes proviennent d'Allemagne et le tiers des exportations
s'y rendent.
1914: Kokovtsov, qui s'est permis de critiquer ouvertement Raspoutine, est évincé du pouvoir au profit de Goremykine qui est rappelé. Le 4 avril, la région de Touva, au sud de la Sibérie, devient un protectorat russe. Avant l'effondrement de l'empire mandchou, cette région appartenait à la Chine. La Guerre de 1914-1918 L'attentat de Sarajevo (28 juin 1914) met le feu aux poudres dans les Balkans. Poincarré se rend à nouveau en Russie et promet l'aide de la France à ce pays. Humiliée au Congrès de Berlin par les empires centraux, défaite par le Japon en 1905, restée à l'écart des guerres balkaniques de 1912-1913, contrée par l'Angleterre en Asie, la Russie ne peut pas se désintéresser de la nouvelle crise sous peine de perdre toute crédibilité dans les Balkans. Nicolas II se doit de venir en aide à la petite Serbie, slave et orthodoxe, menacée par l'empire d'Autriche-Hongrie. La Russie espère aussi, en cas de victoire, récupérer la Posnanie et la Galicie, sans se rendre compte que cela ne fera qu'aggraver les tensions dans une Pologne qui sera alors reconstituée. L'Allemagne déclare la guerre à la Russie le 1er août, l'Autriche-Hongrie, le 5 août. L'entrée en guerre soulève un élan patriotique du peuple russe dont profite le régime tsariste. Le jeu des alliances entraîne dans la guerre la France et l'Angleterre du côté de la Russie, l'Allemagne et l'Empire ottoman du côté de l'Autriche-Hongrie. Cette nouvelle situation désorganise le camp révolutionnaire avec d'une part les pacifistes et de l'autre les partisans de l'union sacrée patriotique. Kropotkine sera l'un des rédacteurs du "Manifeste des Seize" qui prendra clairement parti, en 1916, contre les empires centraux et pour les alliés Français, Anglais et Russes. Le 18 août 1914, Saint-Pétersbourg est rebaptisée Petrograd, une russification qui n'est certainement pas étrangère aux événements. Dans la capitale russe, des violences sont exercées contre les Allemands et les Juifs qui parlent yiddish, une langue germanique. Les soldats russes vont se livrer à des actes antisémites sur les Juifs des territoires qu'ils traverseront. Les Juifs espèrent trouver une protection auprès des Allemands et des Austro-Hongrois; mais, si les empires centraux ne les persécutent pas pour le moment, leurs soldats les méprisent. L'armée allemande, pour ne pas avoir à combattre sur deux fronts, décide de se ruer à l'Ouest sur la France en violant la neutralité de la Belgique. Elle espère vaincre la France et l'Angleterre avant que la Russie n'ait pu réunir son immense armée. Elle compte aussi sur son allié autrichien pour faire face à l'Est. Mais l'Autriche-Hongrie envoie le gros de ses forces vers les Balkans pour écraser la petite Serbie. En attendant, pressés par le temps, Allemands et Austro-Hongrois font preuve d'une extrême brutalité et se livrent à des destructions et à des massacres dans les territoires qu'ils envahissent, en Belgique et en Serbie. Les forces austro-hongroises envoyées contre les Russes remportent d'abord quelques succès avant que les Russes ne les repoussent, tandis qu'à l'Ouest, la résistance opposée par les Belges, les Français et les Anglais prive l'Allemagne de la victoire rapide qu'elle espérait. Il lui faut donc déplacer des troupes du front Ouest vers le front Est pour pallier aux insuffisances de son allié autrichien. Au cours du conflit, les faiblesses de l'armée austro-hongroise ne feront que s'affirmer de plus en plus. L'armée russe prend l'offensive en Prusse-orientale et en Galicie. Mais elle est loin d'être préparée à affronter une armée allemande qui la surclasse en artillerie et qui est bien mieux commandée. Le conflit ne va pas tarder à faire apparaître de graves carences et surtout l'incapacité de Nicolas II à y faire face. Si le rouleau compresseur russe est loin d'obtenir les résultats escomptés par ses alliés, il n'en atténue pas moins la pression que subissent Français et Anglais; l'offensive russe contribue ainsi à la victoire française de la Marne. Mais les Russes essuient bientôt, face aux Allemands, une série de défaites qui culmine à Tannenberg. Les victoires remportées face à l'Autriche-Hongrie et à l'Empire ottoman parviennent difficilement à donner le change. L'Allemagne, qui veut à tout prix se débarrasser maintenant du front de l'Est, travaille en sous-main la cour et l'armée russe pour amener Nicolas II à la paix. Le 8 septembre, le premier avion abattu par un autre avion est un appareil austro-hongrois abordé par le pilote russe Piotr Nesterov lors de la bataille de Lemberg. Les deux appareils s'écrasent et il n'y a pas de survivant. L'ingénieur Sikorsky obtient l'autorisation de convertir en avions militaires ses quadrimoteurs Ilia Muromets initialement conçus pour le transport de passagers. Ces avions en bois sont beaucoup plus gros que ceux qui s'affrontent alors dans les airs et peuvent transporter des charges de bombes nettement plus importantes. Pour les protéger contre les chasseurs, ils sont puissamment armés de mitrailleuses. Un ressortissant des colonies françaises, Marcel Pliat, né probablement en 1890, à Tahiti, qui serait venu en Russie à l'âge de 17 ans, engagé volontaire dans l'armée de l'air russe, s'illustre comme mitrailleur en abattant trois avions ennemis; nommé sous-officier, il conseillera à Sikorsky quelques améliorations sur ses appareils. La Russie bénéficie alors d'une importante avance sur tous les belligérants en matière d'aviation de bombardement, mais ses capacités industrielles sont insuffisantes pour que cet avantage soit décisif; trop peu d'avions peuvent être construits. Après la révolution d'octobre, Sikorsky émigrera, d'abord en France, ensuite aux Etats-Unis, privant la Russie de ses inventions futures. Mais l'Union soviétique continuera tout de même à construire de nouveaux avions en donnant parfois dans le gigantisme. 1915: la Douma est hostile, les zemstvos méfiants, les Allemands avancent en Pologne et dans les Pays baltes. Nicolas II prend la décision d'assumer lui-même le commandement de l'armée. Goremykine demande à être remplacé. La réalité du pouvoir se trouve entre les mains de la tsarine influencée par Raspoutine. En mai 1915, de nouvelles violences contre les Allemands et les Juifs ont lieu, cette fois à Moscou. Au nom de la lutte contre la domination allemande de l'économie, ils vont être spoliés de leurs biens et des milliers d'entre eux, suspectés d'être des espions allemands, seront déportés. Le préfet de police Adrianov reçoit un télégramme urgent lui ordonnant de veiller à la sécurité du prince de Hesse, frère de l'impératrice Alexandra, un Allemand qui vit incognito dans la banlieue de Moscou; ce télégramme va devenir dans deux ans une pièce à charge contre la famille impériale. Le 25 mai 1915, le traité de Kyakhta entre la Russie, la Chine et la Mongolie reconnaît l'autonomie de la Mongolie extérieure sous suzeraineté chinoise. Les trois parties en présence poursuivent des buts différents : les Chinois espérent le retour des Mongols dans le nouvel État chinois récemment créé, alors sous la coupe d'un militaire, Yuan Shikaï, les Russes pensent pouvoir étendre leur zone d'influence en Asie et les Mongols se refusent à renoncer à leur indépendance; le compromis ne peut qu'être boiteux! Les Russes commencent à s'installer en Mongolie (banque, exploitation des ressources minières). En août, l'armée russe entame
la "Grande retraite" après l'entrée à Varsovie des
troupes ennemies. L'armée russe qui a perdu près de 4 millions
de soldats (1,5 millions en 1914), en à peine plus d'un an, est
dans un état déplorable. Les conditions de vie au front sont
aussi difficiles que dans les tranchées françaises, sinon
plus; des soldats russes en sont réduits au rasage à la flamme
: plutôt que de couper la barbe, on la brûle en éteignant
le feu avec une serviette humide, dès qu'il s'approche de la peau!
Assez souvent, les soldats qui se rendent sont fusillés, chez les
Russes comme chez leurs adversaires. Mais il y a tout de même beaucoup
de prisonniers russes, plus mal traités dans les stalags allemands,
que leurs compagnons français ou anglais; on aurait même envisagé,
dans le camp austro-allemand, de laisser mourir de faim 80 000 prisonniers
sur les bords de la Baltique; le pouvoir tsariste se désintéresse
de ces malheureux captifs et les familles russes, sans nouvelles de leurs
proches, s'inquiètent. L'économie du pays est incapable de
fournir aux besoins d'un conflit que l'on croyait devoir être court
et qui s'installe dans la durée; les fusils manquent, les obus doivent
être rationnés; pour essayer de pallier ces défauts,
en août 1915, des Conseils pour la production industrielle, préfiguration
de la future planification soviétique, sont créés.
Le Kaiser profite de cette situation pour proposer un accommodement qui
est refusé par Nicolas II. L'Allemagne va maintenant jouer la carte
de la révolution; l'opinion populaire russe se montre en effet de
plus en plus hostile à une guerre qui ne lui apporte que des déboires,
au plan militaire, et la cherté de la vie et des pénuries,
au plan économique, sans parler de la stratégie de la terre
brûlée qui détruit les villages et déplace les
paysans, maintenant que l'ennemi pénètre en territoire russe;
les conditions d'un soulèvement populaire sont en train de se mettre
en place. Ces difficultés ne touchent d'ailleurs pas seulement la
Russie mais également peu ou prou tous les États belligérants,
ce qui incitent ces derniers à favoriser des soulèvements
à l'arrière du front chez leurs adversaires, comme le font
déjà les Anglais dans l'Empire turc en attisant les
convoitises du Chérif de La Mecque. L'Allemagne, quant à
elle, aide la rébellion irlandaise et va bientôt, comme on
vient de le dire, s'efforcer de profiter de la révolution russe.
1916: le 2 février, un conservateur, Boris Stürmer, qui est soupçonné d'être pro-allemand, succède à Goremykine. Début 1916, un corps expéditionnaire russe de 40 000 hommes est envoyé en France, en échange d'équipement; la France en avait demandé beaucoup plus, mais le gouvernement russe ne se montre pas disposé à fournir sans compter de la chair à canons à ses alliés occidentaux. Les soldats traversent toute la Russie pour s'embarquer sur le Pacifique et venir en France par mer jusqu'à Marseille. Ils s'illustreront en Champagne où 7000 d'entre eux laisseront leur vie et lutteront jusqu'à la fin aux côtés de leurs camarades français. Une nouvelle offensive russe est lancée en Galicie pour détourner une partie des forces allemandes de Verdun où la bataille fait rage depuis le 21 février. Elle permettra aux défenseurs français trop peu nombreux de cette citadelle célèbre d'attendre les renforts qui arrivent par la voie sacrée et de triompher finalement des assauts allemands. Le général Broussilov qui la dirige met en oeuvre une nouvelle statégie consistant à attaquer en plusieurs endroits sur un vaste front pour déconcerter l'ennemi et l'empêcher de deviner où sera porté le coup décisif. Son succès entraîne l'entrée en guerre de la Roumanie et oblige une fois de plus les empires centraux à affaiblir leurs forces qui luttent à l'Ouest sur les fronts français et italien. Mais elle est très coûteuse en hommes. D'importants succès sont également remportés dans le Caucase contre les Turcs (Trébizonde et Erzeroum). Mais ces succès russes jettent une ombre sur l'Entente : les Anglais s'inquiètent des exigences territoriales russes qui portent sur Constantinople et la Turquie d'Asie. Cependant, si l'armée russe est encore loin de s'effondrer, il n'en va pas de même de l'arrière. Le passage à l'économie de guerre a perturbé la production des biens de consommation au moment où le principal fournisseur de la Russie, l'Allemagne, faisait défaut. La société russe dans son ensemble est désorganisée et, le pouvoir se montrant incapable de relever le défi, les populations apprennent à se débrouiller par elles-mêmes, faisant ainsi l'apprentissage du pouvoir révolutionnaire. Par ailleurs, les fournisseurs de l'armée, comme d'ailleur dans les autres pays belligérents, amassent d'immenses fortunes, sur la sueur des ouvriers et le sang des soldats, en ne livrant pas toujours tout le matériel payé par l'État. Des officiers supérieurs s'en indignent et l'un d'entre eux intervient auprès du tsar pour que ce dernier punisse sévèrement les profiteurs; le souverain ne fait rien! En catimini, le 16 mai 1916, les accords Sykes-Picot sont signés entre Britanniques et Français, dépeçant l'Empire ottoman. Ces accords secrets ne seront révélés qu'après la révolution d'octobre 1917 quand les Bolchevicks (ou Bolchéviks, ou Bolcheviques, ou Bolchéviques) eurent découvert une copie du texte dans les archives du ministère des Affaires étrangères. La nouvelle ligne du Transsibérien est achevée avec la construction d'un pont sur l'Amour à Khabarovsk. Elle est mise en service le 5 octobre et va permettre l'arrivée en Russie de matériel militaire fourni par les alliés, dont l'envoi était très difficile jusqu'à présent, en raison de la fermeture des détroits par la Turquie. En octobre, Milioukov, un leader constitutionnel démocrate (KD), partisan de la guerre jusqu'à la victoire, dénonce le gouvernement et la cour qu'il accuse de trahison, dans un discours retentissant. La Douma, soutenue par une partie du monde des affaires, a rompu l'union sacrée et passe du côté des adversaires du régime tsariste. La tsarine est qualifiée par l'opinion publique d'espionne allemande. Des personnalités tsaristes conservent néanmoins l'espoir de trouver un compromis avec les KD, dont ils pensent que l'esprit révolutionnaire est plus que tiède; c'est le cas du ministre des Affaires étrangères Sazonov qui dit: "Si l'on conduit l'affaire convenablement et si l'on ouvre une échappée, les KD seront les premiers à chercher un accord. Milioukov est un bourgeois fieffé et il redoute plus que tout la révolution sociale. Au surplus, la plupart des KD tremblent pour leurs capitaux." Il a probablement raison, mais l'intransigence de la monarchie rendra tout rapprochement impossible. Le 5 novembre, les Empires centraux accordent l'autonomie à la Pologne sous la forme d'un royaume à la tête duquel est nommé un prince d'origine bavaroise. L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie disposent ainsi unilatéralement de la Pologne russe qu'elles occupent. Ce n'est certainement pas le meilleur moyen de lancer des ouvertures de paix en direction de l'empire des tsars, que les empires centraux méditent de séparer de l'Entente. Cela n'empêche pourtant pas le chancelier allemand Bethmann-Hollweg de proposer la paix à ses ennemis, dans un discours prononcé le 12 décembre devant le Reichstag, mais sans aborder le sort des territoires occupés, comme si ces derniers appartenaient définitivement à leurs conquérants provisoires. Cette singulière initiative, considérée par les membres de l'Entente comme une manoeuvre de propagande à l'adresse de l'opinion allemande et de celle des pays neutres, est au surplus assortie de menaces d'intensification du conflit, notamment sur les mers grâce aux sous-marins, en mettant les conséquences à la charge des adversaires de l'Allemagne, si ceux-ci n'acceptent pas la pseudo ouverture du chancelier allemand. Les pays de l'Entente la repoussent unanimement, comme il fallait s'y attendre, refusant de se fier à la parole d'un pays qui, entre autres violations des traités, n'a pas respecté la neutralité de la Belgique. Aux États-Unis, une grande partie de la population est hostile à toute participation à la guerre européenne, même si d'assez nombreux jeunes gens se sont engagés aux côtés de la France et de l'Angleterre; on compte dans la population américaine beaucoup d'Allemands et d'Irlandais et la mouvement pacifiste féminin est important. La guerre a opportunément relancé l'économie américaine qui ralentissait et la majeure partie des Américains n'a pas de raison de se risquer dans une aventure. Jusqu'à ce moment, malgré le torpillage du Lusitania qui causa la mort de plusieurs Américains, les États-Unis sont restés neutres dans le conflit qui ensanglante l'Europe et se sont contentés de protester contre les conséquences tragiques de la guerre sous-marine, tout en continuant de commercer avec les empires centraux. Le président Wilson est profondément pacifiste; fils d'un pasteur, il rêve d'un monde modelé selon les valeurs chrétiennes. Mais une extension probable de la guerre sous-marine l'inquiète. D'autre part, il pressent qu'une participation de son pays au règlement du conflit le placerait au rang des plus grandes nations. Il saisit donc cette occasion pour proposer l'arbitrage des États-Unis et demander aux belligérants de préciser leurs buts de guerre. Le 23 novembre Trepov succède à Stürmer. Il tente de neutraliser l'influence de Raspoutine et conseille à Nicolas II d'augmenter les pouvoirs de la Douma. Dans l'entourage même du tsar, on attribue les difficultés que traverse le pays à l'influence de Raspoutine que l'on soupçonne d'être au service de l'Allemagne. Dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916, le staretz est assassiné, empoisonné puis achevé à coups de revolver, le poison se révélant impuissant; on pense qu'un agent britannique est l'instigateur de ce meurtre, réalisé dans le cadre d'un complot monté par des ultra-monarchistes dirigés par le prince Yousoupoff, parent par alliance de Nicolas II, pour empêcher Raspoutine d'inciter le tsar à se retirer de la guerre. L'assassinat soulève une vague de joie dans certains milieux qui ne se doutent pas qu'elle n'est que le prélude à une longue suite de massacres dont ils seront bientôt eux aussi les victimes. L'entrée en guerre des États-Unis 1917: le 9 janvier,
l'ambassadeur allemand au Mexique reçoit l'ordre de négocier
une alliance entre l'Allemagne et le Mexique dans le cas où les
États-Unis entreraient en guerre contre l'Allemagne.
En Russie, le 9 janvier, Trepov démissionne; il est remplacé par le prince Galitzine. Les protestations au sein de la Douma et les mouvements sociaux se multiplient à Petrograd (Saint-Pétersbourg). Une partie de la famille impériale envisage de déposer l'empereur, de faire monter sur le trône le tsarévitch, sous la tutelle du grand-duc Dimitri, et d'enfermer l'impératrice dans un couvent. Le président de la Douma, Rodzianko suggère à Nicolas II d'envoyer l'impératrice jusqu'à la fin de la guerre en Crimée; il refuse. Le patriarcat, aboli par Pierre le Grand, est rétabli. Depuis la fin du 17ème siècle, on assistait à un regain d'influence de l'église orthodoxe. Mais cette embellie ne durera pas. La Révolution est proche. La déchristianisation va mettre les peintres d'icônes au chômage : ils se reconvertiront dans la peinture d'objets laqués et cet art atteindra son apogée sous le régime soviétique. En mars, est créé à Minsk le Comité national biélorussien. Les opérations militaires en Galicie et en Bélorussie se terminent par des défaites; l'armée russe est démoralisée. Les partis révolutionnaires coopèrent entre eux. Des émeutes de la faim, stimulées par les ouvriers révolutionnaires qui n'ont pas été mobilisés, secouent la capitale privée de pain. On dit que l'argent allemand finance secrètement les désordres. Des attentats ont lieu, notamment contre la société qui fabrique les avions Ilia Muromets. Le 18 février, la plus importante usine de Petrograd, Poutilov, est en grève. Devant l'aggravation de la situation, Nicolas II ordonne de faire cesser les désordres par la force. Le 23 février, à l'occasion de la journée internationale des femmes, la foule défile en réclamant du pain, la paix et la fin de l'autocratie, tandis que la grève générale est décidée. La police tue plus de 150 personnes mais, le 27 février, l'armée refuse d'obéir et passe du côté des insurgés. Rodzianko propose la formation d'un nouveau gouvernement présidé par un homme bénéficiant de la confiance du peuple. Le tsar répond en dissolvant la Douma; c'est un coup d'épée dans l'eau, car personne ne lui obéit plus! Cependant, Petrograd est tombée aux mains d'un soviet d'ouvriers et de soldats tandis qu'un Comité provisoire de la Douma s'est constitué, opposant ainsi deux pouvoirs dans la capitale. L'empereur est arrêté, le 28 février, alors qu'il se rendait de la Stavka (Grand Quartier-général) à Tsarskoïe Selo. Il est emmené à Pskov où les chefs militaires, après s'être consultés, font pression sur lui pour obtenir son abdication. Nicolas II finit par accepter et renonce au trône, le 2 mars (15 mars du calendrier français), au profit de son frère le grand-duc Michel. Mais le peuple ne veut manifestement plus de la monarchie et Michel renonce rapidement à son tour, le 3 mars. La révolution russe ne restera pas sans répercussion à l'étranger. La presse française prend ses distances avec le tsarisme et on fonde des espoirs sur un nouveau régime démocratique en phase avec les alliés; en souvenir des soldats de l'an II, on espère en France des miracles d'une armée russe régénérée en oubliant que ceux qui viennent de renverser le tsarisme ne manifestaient pas seulement contre lui mais aussi pour la paix. Des grèves éclateront en France, en Allemagne, en Angleterre et en Italie. En France, les midinettes des ateliers de couture déclenchent le mouvement; elles sont bientôt suivies par les travailleurs d'autres secteurs. On dénonce la cherté de la vie et aussi les bénéfices démesurés que les industriels de l'armement retirent du conflit. Les conditions sociales se sont dégradées depuis 1914, les nécessités du moment ayant contraint à accroître le temps de travail, à promouvoir le taylorisme et à profiter de la main d'oeuvre féminine pour réduire les rémunérations; on réclame de meilleurs salaires et la semaine anglaise (deux jours de repos hebdomadaire). D'abord apolitique, le mouvement se radicalisera en faveur du socialisme et de la paix. Tout cela aboutira, à la fin du conflit, à l'instauration de la loi de 8 heures par jour (un an après la Russie révolutionnaire), une revendication du monde ouvrier récurrente au 19ème siècle. L'armée française n'est pas à l'abri de cette agitation; suite au fiasco de l'offensive française du Chemin des Dames, des mutineries éclatent en mai-juin 1917; le nouveau général en chef, Pétain, les réprime vigoureusement. Sur le front italien, on assiste à des désertions massives. Au plan politique, le gouvernement français autorise une délégation socialiste à se rendre à Moscou pour préparer un congrès international en faveur de la paix à Stockholm. La délégation revient avec un questionnaire dans lequel les Russes formulent plusieurs propositions: 1°)- La création d'un nouvel ordre international, avec des tribunaux d'arbitrage et un délai obligatoire d'enquête avant tout conflit avec un système de sanctions et de mesures coercitives pour maintenir la paix. 2°)- Le désarmement et la liberté des mers. 3°)- La mise en oeuvre de moyens de satisfaire les besoins justifiés d'expansion économique sans extension territoriale (notamment en agissant sur les moyens de communications et d'échanges). 4°)- La suppression de la diplomatie secrète. Cette initiative n'ira pas plus loin; le gouvernement français refusera d'accorder des passeports à la délégation devant se rendre à Stockholm, où d'ailleurs le congrès ne se tiendra jamais. Compatibles avec les idées du président Wilson, les points listés ci-dessus auraient pu recevoir l'appui des États-Unis; mais ils venaient trop tard, l'Amérique étant désormais en guerre. Ne demeurait plus comme alternative que la victoire ou la révolution; l'Occident allait choisir la victoire et la Russie la révolution! Le Tsar souhaiterait s'exiler avec sa famille
au Royaume Uni. Le gouvernement envisage de donner son accord, mais le
roi Edouard VIII, qui redoute une expansion de la révolution, fait
passer les intérêts de son pays avant ceux de sa famille,
et dissuade les politiques. Son cousin, Nicolas II, se débrouillera
comme il pourra!
Le gouvernement provisoire En Russie, un gouvernement provisoire est formé avec pour mission de diriger le pays jusqu'à la réunion d'une assemblée constituante chargé de déterminer la forme du nouveau régime. Le soviet de Petrograd refuse de participer à un gouvernement qu'il juge trop bourgeois; le changement de régime ne met donc nullement fin à la division du pouvoir dans la capitale. Le gouvernement provisoire est dirigé d'abord par le prince Lvov, président des zemstvos, puis par le socialiste modéré Alexandre Kerenski, d'abord ministre de la guerre, bon orateur mais piètre homme d'Etat. Une des premières décisions prises par le nouveau régime vise à atténuer le pouvoir autoritaire dont jouissent les officiers sur les soldats; c'est favoriser l'indiscipline et à terme la dissolution de l'armée. Kerenski organise des élections qui confèrent une certaine légitimité au gouvernement provisoire. Mais il maintient la Russie dans la guerre, ce qui affaiblit rapidement sa popularité. Il lance même une offensive contre les armées allemandes et austro-hongroise qui échoue. Le gouvernement provisoire demande à l'Angleterre d'accueillir chez elle le tsar déchu qui réside sous surveillance depuis son abdication dans le palais Alexandre de Tsarskoïe Selo; l'Angleterre refuse; l'ex-tsar et sa famille sont alors arrêtés et envoyés dans un premier temps à Tobolsk, en Sibérie, où ils sont soumis à une étroite surveillance, jusque dans leur intimité, et isolés du reste du monde; ils seront ensuite transférés à Ekaterinbourg, dans l'Oural, par les bolcheviks, où ils se trouveront en butte aux sarcasmes de leurs gardiens, pour les éloigner de leurs partisans qui rêvent de les enlever. Une Commission extraordinaire d'enquête est créée pour mettre en lumière les crimes du régime tsariste et, en particulier, le rôle joué par Raspoutine; les travaux de cette commission ne seront jamais achevés mais elle laissera une documentation accablante qui montrera l'influence politique importante de Raspoutine et son ingérence dans les affaires de l'État et de l'Église; sur sa recommandations on nommait les fonctionnaires aux postes clé du gouvernement, on effectuait des opérations commerciales douteuses et cela choquait beaucoup de monde, notamment parmi les membres de la famille impériale; un jour, comme le staretz lui demandait l'autorisation de rendre visite à l'état-major, le grand-duc Nicolas Nicolaïevitch lui répondit: "Viens au plus vite, pour que je te pende!" La majorité des paysans réclament une réforme agraire qui redistribuera les terres aux profits des plus pauvres, tandis que ceux qui ont profité des réformes antérieures, les koulaks, qui sont aussi les plus dynamiques et les plus entreprenants, se montrent plutôt dubitatifs. Les ouvriers souhaitent obtenir une augmentation des salaires, une réduction du temps de travail à 8 heures par jour et une garantie de l'emploi. Pour faire face à ces impatiences, la classe dirigeante, noble ou bourgeoise, trop peu nombreuse, ne peut s'appuyer sur personne, l'armée étant du côté des révolutionnaires. La situation politique est donc extrêmement difficile. Le parti socialiste révolutionnaire se scinde en deux: sa gauche se rallie aux soviets et sa droite les rejette. La révolution ramène nombre d'exilés dans leur pays. C'est le cas de Kropotkine et de Makhno lequel, libéré de prison, regagne son Ukraine natale où il se met à organiser la paysannerie en vue d'une révolution libertaire. C'est aussi celui de Lénine, exilé en Suisse, qui rentre le 16 avril à Petrograd où il est acclamé par la foule, au lieu d'être arrêté par le gouvernement pour trahison, comme il le craignait; l'Allemagne a facilité son voyage en espérant que la présence dans son pays du leader révolutionnaire favorisera une paix séparée Pour le moment, Maxime Gorki, plus esthète que politique, n'adhère pas au mouvement révoutionnaire qui l'inquiète; il se méfie des idées extravangantes de ces expatriés revenus de l'étranger qui semblent si mal connaître les réalités de la Russie. Dès le printemps, Lénine expose son programme : paix immédiate, pouvoir aux soviets, usines aux ouvriers, terre aux paysans. Ces revendications, que le gouvernement provisoire n'a pas l'air de vouloir satisfaire sont de plus en plus populaires, d'autant que, sur le front, où Riga tombe en septembre, la situation se détériore et que les soldats, démoralisés, fraternisent avec l'ennemi. Au printemps 1917, sous l'impulsion d'une Jeanne d'Arc sibérienne, Maria Botchkariova, le gouvernement provisoire crée des bataillons de la mort féminins. Maria Botchkariova a connu une enfance misérable, comme la plupart des petits paysans sibériens d'alors, suivie d'une adolescence encore pire, mariée de bonne heure avec un drôle qui boit et qui la bat, qu'elle finit par quitter pour devenir la maîtresse d'un boucher juif qui l'emploie; ce boucher a plusieurs fois mail à partir avec la police et finit par être envoyé dans une colonie pénitentière; elle revient alors auprès de son époux. Après le début de la guerre contre l'Allemagne, son mari mobilisé, elle brûle de rejoindre le front pour se battre aux côtés des soldats. Animée d'une énergie farouche, elle rejoint par ses propres moyens, en suivant des soldats sibériens se rendant au front, un lieu de recrutement. On lui propose de devenir infirmière, mais ce n'est pas ce qu'elle veut. Comme elle insiste pour devenir militaire, l'officier qui s'occuppe d'elle lui affirme, pour s'en débarrasser, qu'il lui faut un ordre écrit du tsar pour lui donner satisfaction. Elle écrit au tsar et, à la grande stupéfaction de l'officier, le tsar accède à sa demande. Elle est donc incorporée comme soldat et envoyée sur le front. Elle subit d'abord les quolibets de ses camarades masculins. Mais elle ne se laisse pas impressionner et, pour se doter d'un statut plus viril, elle choisit de se faire appeler du nom de son mari, Yashka. Au cours des combats, elle se montre courageuse et compatissante envers ses camarades et gagne leur amitié et leur admiration. Plusieurs fois blessée, elle est décorée à diverses reprises et est promue sergent. Elle n'est pas d'abord hostile à la révolution, mais admiratrice de l'ordre et de la discipline, elle est choquée par la désorganisation de l'armée consécutive à l'apparition des Comités de soldats. Avec la création des bataillons féminins de la mort, Kerenski espère faire honte aux soldats qui désertent et tirer l'armée du chaos où elle est en train de sombrer. Cette initiative obtient un certain succès parmi les femmes russes dans toutes les classes de la société. Sous l'égide de Yashka, épaulée par la fille d'un amiral russe, plusieurs bataillons de la mort féminins seront créés. Mais la désillusion ne tarde pas à gagner les rangs des engagées, Yashka imposant une stricte discipline dont le non respect conduit parfois à la peine de mort. Une seule unité sera envoyée sur le front où elle sera décimée, victime de son inexpérience. Après la révolution d'octobre, on dit que Yashka rencontre Lénine et Trotsky, mais elle refuse de s'enrôler sous le drapeau bolchevik. Elle tente alors de rejoindre l'armée blanche de Kornilov. Ce dernier lui confie une mission de propagande à l'étranger. Elle s'embarque à Vladivostok pour les États-Unis où elle obtient un grand succès auprès des féministes américains; elle est reçue par le président Wilson. Elle gagne ensuite l'Europe où elle est également bien accueillie en Angleterre; Churchill et le roi la rencontrent. Elle revient en Sibérie dans le corps d'intervention britannique contre la jeune républiqe des soviets. L'amiral Koltchak la charge d'organiser une unité d'infirmières affiliées à la Croix Rouge. Obligée de combattre d'autres Russes, elle ne sent pas dans sa guerre au sein d'une armée blanche où elle a perdu son statut d'icône. Après la chute de l'amiral, complètement déconcertée, elle se rend à l'Armée rouge auprès de laquelle elle plaide naïvement la bonne foi en expliquant qu'elle a toujours pensé se battre pour le bien public. Elle aurait été exécutée par la police politique (tchéka) le 16 mai 1920, des archives laissant planer un doute sur cette exécution. On ne peut s'empêcher de penser que son caractère impétueux et son destin hors du commun se prêtaient merveilleusement à ce qu'elle soit manipulée à des fins de propagande. L'Ukraine accède à l'indépendance, avec le concours de l'Allemagne, le 23 juin 1917, ce qui prive la Russie de son grenier à blé. La désorganisation de l'armée russe a permis à la Turquie, alliée de l'Allemagne, de progresser dans le Caucase. Elle espère en tirer profit et mettre la main sur le pétrole de la région. Mais les prétentions turques se heurtent aux réticences allemandes. En effet, l'objectif immédiat de Berlin est la paix avec la Russie, afin de pouvoir porter tout l'effort de son armée sur le front français avant l'arrivée des Américains. A plus long terme, les Allemands espèrent également disposer du pétrole du Caucase. Ils passent même un accord avec les nouvelles autorités de Géorgie qui prennent leurs distance avec le pouvoir révolutionnaire de Petrograd. Ces divergences d'intérêt entre la Turquie et l'Allemagne portent évidemment atteinte à leur alliance et font, dans une certaine mesure, le jeu des Britanniques qui avancent depuis le sud vers les puits de pétrole du Caucase, tant convoités. Ces derniers passeront de mains en mains pendant quelques années avant de revenir à la Russie. Un trimestre de préparation à une seconde révolution Début juillet, une offensive de Kerenski contre les troupes austro-allemandes a échoué. Une atmosphère insurrectionnelle s'installe à Saint-Pétersbourg. Le 3 juillet (16 juillet selon le calendrier grégorien), une manifestation, réclamant que le pouvoir soit confié aux soviets, est violemment réprimée sur la perspective Nevski; on compte de nombreuses victimes. La droite et les constitutionnels-démocrates (KD) accusent les bolcheviks d'être responsables des désordres. Mais ces derniers ne contrôlent plus réellement leur base et Staline répond que c'est accorder trop d'honneur à un parti dont la manifestation n'avait pas rassemblé plus de 14 000 personnes! Kerensky fait arrêter les dirigeants socialistes révolutionnaires de gauche et bolcheviks, sauf Lénine qui fuit en Finlande. Leurs journaux, dont la Pravda, sont interdits sous le prétexte d'une collusion de l'opposition avec l'Allemagne, Lénine étant présenté comme un agent du Kaiser. Des mesures sévères sont prises pour réprimer le désordre et le défaitisme (rétablissement de la peine de mort, par exemple). L'influence des soviets est réduite; le double pouvoir semble avoir vécu. Lénine, qui estime que les conditions ne sont pas encore réunies pour qu'une insurrection armée ait des chances de réussir, a préféré attendre que le temps et les événements travaillent pour les révolutionnaires. A la mi-août, Kerenski convoque une Conférence d'État réunissant les syndicats, les représentants des municipalités, du commerce et des quatre doumas qui se sont succédées depuis 1906, afin de consolider son pouvoir. Il destitue le libéral Broussilov de la tête de l'armée et le remplace par Kornilov. Ce dernier, qui a essayé de rétablir la discipline militaire, en exécutant les déserteurs, s'affirme républicain, contrairement à la droite et à l'état-major. Mais il réclame le commandement des forces de la capital qui dépendent directement du premier ministre. Kerenski ne peut que répondre négativement à un tel défi. Kornilov, "coeur de lion mais tête de mouton", tente alors, fin août, un coup de force, contre le gouvernement provisoire, avec l'appui armé des Britanniques du colonel Alfred Knox, les alliés souhaitant vivement en finir avec le désordre. Le peuple révolutionnaire soupçonne le général félon de vouloir imposer une dictature militaire; à l'appel de Kerenski, toutes les communications de l'armée rebelle de Kornilov sont coupées; les bolcheviks participent au mouvement de résistance sous le mot d'ordre : "Lutte contre Kornilov, pas de soutien à Kerenski". La tentative de putsch échoue, et Kornilov est arrêté, mais le pouvoir est sérieusement ébranlé, d'autant que, pour résister au coup d'État, il a sollicité le concours de ses adversaires les plus déterminés. C'est un tournant majeur dans la révolution russe : le processus de bolchevisation de l'opinion et des soviets s'accentue. Au soviet de Petrograd, le menchevik Tchéidzé et le bureau sont mis en minorité; Trotzki (ou Trotski ou Trotsky ou Trotzky) est élu président; cette évolution se répand à travers la Russie où les bolcheviks ne cessent de progresser en promettant la paix. Après la tentative avortée de Kornilov, le gouvernement provisoire se trouve donc discrédité et les bolcheviks deviennent majoritaires dans les soviets. Kerenski réplique en proclamant la République, le 1er septembre, et en changeant deux fois de gouvernement en moins d'un mois. En septembre, la prise de Riga et des îles qui commandent le Golfe de Finlande constitue une menace sérieuse pour Petrograd. Ce nouvel échec de l'armée russe ébranle un peu plus le pouvoir de Kerenski. Les Allemands ont imaginé, pour réaliser ces conquêtes, de nouvelles techniques offensives fondées sur la surprise, la violence, la rapidité d'exécution; cette tactique permet d'obtenir une rupture, sur un front étroit mais en profondeur, afin de désorganiser le dispositif de l'adversaire; la mission est confiée à des unités d'infanterie, appelées Sturmtruppen, mobiles, suréquipées, avec le concours de l'artillerie et de l'aviation. L'évolution de cette méthode de guerre, avec le développement des chars et de l'aviation conduira à la guerre éclair lors du conflit suivant. En attendant, elle sera utilisée à nouveau sur le front français au printemps 1918. Dans Riga, sous l'oeil de l'occupant, se constitue un Bloc démocratique qui sert de socle au Conseil national provisoire letton. En août-septembre, Lénine précise sa pensée dans L'État et la Révolution. Il préconise une nouvelle forme de gouvernement plus démocratique basée sur les conseils ouvriers (soviets). Le 12 septembre, depuis sa retraite, il exhorte les bolcheviks à chasser du pouvoir un gouvernement désormais incapable de défendre Petrograd. D'après son analyse, Kerenski, privé du concours de l'armée, n'est plus en mesure de s'opposer à une insurrection comme en juillet. Mais, les cadres du parti jugent cette position irresponsable et rien ne bouge. Lénine décide alors de rentrer clandestinement dans la capitale, début octobre. Une fois sur place, avec l'appui de Sverdlov, il retourne le comité Central du parti bolchevik, et le principe d'une insurrection armée est adopté, par 10 voix contre 2. Trois positions se sont manifestées au sein du Comité central. Kamenev souhaite l'avènement d'une démocratie socialiste où s'exprimeront différentes sensibilités; selon lui une insurrection est inutile puisque les bolcheviks seront de toute manière majoritaires au 2ème congrès des soviets; il exprime même publiquement l'opinion que le projet d'insurrection est ruineux à la veille du congrès dans le journal Novaïa Jizn auquel collabore Maxime Gorki; cette indépendance à l'égard du parti est assimilée à une véritable trahison par Lénine. Trotsky voudrait que la puissance du parti devienne si imposante qu'une insurrection soit inutile, mais il reconnaît qu'il faut se tenir prêt dans l'éventualité où elle s'avérerait nécessaire; il estime superfétatoire d'en fixer la date puisqu'elle aura certainement lieu avant la réunion du congrès. Pour Lénine, il ne faut pas attendre que les soviets, guidés par le parti bolchevik, prennent le pouvoir, il faut que le parti bolchevik s'empare du pouvoir au nom des soviets. Ces divergences sont importantes car elles annoncent les oppositions à venir. Trotsky, depuis son élection à la tête du soviet de Petrograd, a créé une organisation militaire autonome, le Comité militaire révolutionnaire de Petrograd (PVRK). Il en a confié la direction à un jeune socialiste révolutionnaire de gauche, Lazimir. C'est ce Comité militaire révolutionnaire qui va mener à bien l'insurrection, en écartant le soviet de Petrograd avec Trotsky à sa tête. La thèse de Lénine triomphera ce qui lui vaudra l'entière paternité de la nouvelle révolution. Celle-ci éclate le 24 octobre (6 novembre). Au moment de la relève des ponts, la Garde rouge, une milice d'ouvriers armés, se substitue aux militaires qui ne réagissent pas. La ville est contrôlée par les insurgés comprenant 1600 Gardes rouges, 706 marins de Kronstadt, 47 unités militaires, 12 comités d'usines, 5 comités de quartiers, une vingtaine de comités divers, des groupes anarchistes, une minorité de syndicats; il s'agit bien d'une véritable révolution et pas seulement d'un coup d'État, bien que ce point de vue soit contesté par certains historiens! Certes, tous les points vitaux de la capitale sont tombés aux mains des forces du nouveau pouvoir sans résistance, sans effusion de sang, ni manifestation populaire, grâce à une opération militaire bien préparée. Mais il n'en demeure pas moins que le pouvoir ancien a succombé parce qu'il n'avait plus d'assises et aussi peut-être à cause à la fois de la pusillanimité et des illusions des adversaires des bolcheviks dont quelques-uns pensent que la situation était trop dangereuse pour se risquer à exercer le pouvoir et espéraient que les nouveaux maîtres ne le conserveraient de toute façon pas longtemps. Il ne reste qu'un seul îlot de résistance, le Palais d'Hiver où siège encore le gouvernement provisoire, défendu notamment par des bataillons féminins de la mort créés, comme on l'a dit plus haut, pour restaurer la discipline dans l'armée. Après la prise de la ville, un temps mort s'écoule, Lénine s'impatiente. Mais le 25 octobre (7 novembre), le croiseur Aurore pointe ses batteries sur ce dernier bastion du gouvernement provisoire et tire un coup de canon. C'est le signal de l'assaut. Là encore, il n'y aura pratiquement pas de lutte. Le gouvernement provisoire est renversé et cède la place à un nouveau pouvoir révolutionnaire. Lénine est nommé président du Conseil des commissaires du peuple par le Congrès des soviets où les bolcheviks, majoritaires avec 390 députés sur 673, lui réservent une vibrante ovation. Martov dénonce un coup d'État militaire. Il s'attire cette cinglante réplique de Trotsky: "A ceux qui protestent contre ces événements, allez où vous devez vous trouver, dans les poubelles de l'histoire". Lénine, Trotsky, Sverdlov, apparaissent comme les nouveaux chefs de la révolution. Staline s'est montré prudent et ne s'est rallié que tardivement à un coup de force auquel il n'a pas pris part. Mais, une fois celui-ci réussi, il va s'attacher à se montrer le plus fidèle disciple de Lénine. Dès le 26 octobre, pendant la dernière séance du congrès, Lénine proclame venue l'heure de la révolution socialiste. Il lit son décret sur la paix, celui sur l'abolition sans indemnité de la grande propriété terrienne qui est remise aux comités agraires qui ont d'ailleurs déjà mis la main dessus. Un décret sur les droits des nationalités est également annoncé, mais il s'agit d'une question délicate qui soulève beaucoup d'espoir parmi les populations autochtones de l'empire et une forte opposition en Russie même comme parmi les colons installés dans l'empire; d'ailleurs, l'autodétermination qui s'imposait du temps du tsarisme, geôlier des peuples, est-elle encore d'actualité sous un régime socialiste émancipateur? La solution du problème est remise à plus tard, mais les antagonismes nationaux vont alimenter en partie la guerre civile. Le décret sur l'abolition sans indemnité de la grande propriété terrienne contribue à accroître la désorganisation de l'armée. De nombreux paysans désertent et rentrent chez eux pour profiter de la distribution des terres. Les événements se précipitent à Moscou, dans l'indifférence de la population et l'ignorance de ce qui est en train se passer. Mais la prise de pouvoir par le parti bolchevik y est cependant plus difficile qu'à Petrograd. Le 7 novembre, le Comité exécutif de la ville de Minsk (Biélorussie) annonce le transfert des pouvoirs municipaux aux Soviets. Grâce à un membre du parti bolchevik ami de Lénine dont le frère est un général occupant un poste important, une proportion non négligeable des officiers supérieurs russes (30% ?) adhèrent au nouveau régime par patriotisme ou opportunisme. Ils pensent que le parti bolchevik va ramener l'ordre dans le pays et mettre un terme à la décomposition de l'armée. Le 8 novembre le nouveau gouvernement russe publie son Décret pour la paix qui invite tous les belligérants à entamer des négociations en vue de conclure une paix blanche, sans annexions ni réparations. Le 15 décembre un armistice est signé à Brest-Litovsk, au quartier général allemand du front est, entre les empires centraux et la Russie. A la demande des Russes, les empires centraux s'engagent à ne pas en profiter pour déplacer leurs troupes vers l'ouest; mais, d'après les pays de l'Entente, ils l'avaient déjà fait! De laborieuses négociations, en vue d'un traité de paix, commencent. Les nationalistes allemands font pression sur leur gouvernement pour obtenir des gains territoriaux à l'est; on ne parle pas encore d'espace vital, mais l'idée est déjà dans l'air! Le nouveau pouvoir russe a invité, comme on l'a dit, les puissances de l'Entente à participer à ces négociations, mais ces dernières ont refusé. L'Allemagne prend des mesures sévères contre la propaganque bolchevique. En France, le changement de régime est mal accueilli, y compris par certains socialistes. Mais, avec l'expérience de la Commune, on se dit que les Maximalistes, comme on appelle les nouveaux dirigeants russes, seront bientôt chassés du pouvoir. Ces espoirs ne sont pas complètement infondés. Kalédine, sur le Don, a déclaré la guerre aux soviets et empêche le pain d'arriver sur le front; il a été rejoint par Kornilov qui est parvenu à s'échapper de prison; dans l'Oural, Doutov a fait arrêter les membres du Comité révolutionnaire et intercepte le blé de Sibérie, Karaoulov dans le Caucase refuse allégeance au gouvernement révolutionnaire, la rumeur se répand de l'évasion du tsar... Le pouvoir des soviets, qui semble aux abois, proclame la révolution en danger et prend des mesures drastiques pour écraser les contre-révolutionnaires. Toutes ces informations réjouissent la presse française. Aucune puissance étrangère ne
reconnaît le nouveau pouvoir qui, au surplus, n'est pas soutenu par
les partis socialistes étrangers. Sa position est donc très
précaire mais il jouit d'un large soutien des soldats, ce qui lui
permet de se consolider rapidement dans les régions où l'armée
est présente. Dans les régions périphériques,
notamment celles qui sont non russes, une résistance s'organise
néanmoins et les éléments d'une guerre civile se mettent
en place. Dans un premier temps, les socialistes libertaires s'allient
aux bolcheviks pour faire avancer la révolution, malgré leurs
divergences politiques qui sont minimisées. Les uns comme les autres
sont favorables d'ailleurs à la disparition de l'État, mais
les socialistes libertaires la veulent immédiate et les bolcheviks
estiment nécessaire le passage par une phase transitoire de dictature
du prolétariat pendant laquelle sera démantelé l'État
de la dictature bourgeoise. Le règlement de cette épineuse
question est renvoyée après le triomphe incontestable de
la révolution.
La tchéka (la Commission extraordinaire pour lutter contre la contre-révolution et les sabotages, en fait une police politique) est créée sous la direction de Dzerjinski; elle sera l'instrument de la terreur révolutionnaire. La Finlande se sépare de la Russie, le 6 décembre. Une éphémère révolution communiste s'y déroulera. Elle sera écrasée avec la participation de l'armée allemande. On commence à parler dans la presse française des emprunts russes que le nouveau pouvoir de Petrograd envisagerait de ne plus reconnaître. Le 25 décembre, La Lituanie, qui affirme
son indépendance vis-à-vis de l'Allemagne comme de la Russie,
demande d'être représentée aux pourparlers de paix
de Brest-Litovsk.
Le 26 décembre, alors que des affrontements opposent en Ukraine l'armée à des troupes bolcheviques, les empires centraux répondent aux propositions de résolution du conflit qui leur ont été remises par les autorités russes, d'après une information en provenance de Vienne; ils se déclarent favorables à une paix immédiate générale sans acquisitions territoriales ni indemnités de guerre, à condition que l'Entente adhère à ce schéma de paix; sauf quelques réserves de détail, cette réponse est jugée satisfaisante par la délégation russe. Les pays de l'Entente, au contraire, estiment que cette réponse est un monument de duplicité; on soupçonne l'Autriche de vouloir s'approprier la Pologne et la Galicie et l'Allemagne de vouloir s'emparer de la Lituanie. Mais, de l'autre côté, un accord secret passé entre ses alliés occidentaux et la Russie tsariste prévoit l'occupation par cette dernière de Constantinople, du Bosphore et des Dardanelles, sans parler du sort réservé à la Perse! Et, s'ils le pouvaient, les bolcheviks n'hésiteraient à révolutionner les empires centraux. Comme c'est souvent le cas, toutes les parties en présence pourraient donc être accusées de duplicité. L'Allemagne et l'Autriche repoussent une demande présentée par le Conseil de régence de Pologne visant à participer aux négociations de paix et continuent à part de négocier pour parvenir à la constitution d'un bloc comprenant l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Pologne et l'Ukraine. .
Lénine reprend le système des réquisitions instauré par Kerensky pour ravitailler les villes; il se heurte à la résistance des paysans. Pour faire face à la crise du logement, le gouvernement réquisitionne les hôtels particuliers et les grands appartements afin d'y loger les familles ouvrières; les propriétaires y sont confinés dans un espace réduit et les nouveaux habitants s'entassent dans les autres pièces ce qui pose des problèmes de promiscuité, d'hygiène et de disponibilité des sanitaires. . 1918-1924 : Lénine au pouvoir Les chefs révolutionnaires sont partagés sur la question de la guerre. Lénine est favorable à la paix pour consolider la révolution, mais la majorité, avec Boukharine, soutient la poursuite de la guerre pour exporter la révolution. Trotsky défend une position intermédiaire: il est favorable à la paix à condition qu'elle ne soit pas injuste. En France, où des soldats russes se battent aux côtés des alliés, la zizanie s'installe. Certains Russes restent fidèles au tsarisme et veulent continuer la guerre; d'autres prennent partie pour la révolution et pour la paix, ils incitent leurs camarades français à fraterniser avec les soldats allemands. Les autorités militaires sévissent et internent les rebelles au camp de la Courtine dans la Creuse. Nombre d'entre eux sont même déportés au bagne en Algérie, ce qui n'arrange pas les relations entre la France et la Russie. 1918: le 1er janvier, Lénine est victime d'une tentative d'assassinat de la part d'un officier sur le canal de la Fontanka. Une Assemblée constituante a été
élue dans laquelle les socialistes révolutionnaires sont
majoritaires; ce parti, issu des mouvements révolutionnaires terroristes
(Narodnaïa Volia), s'appuie sur la paysannerie plutôt
que sur le prolétariat urbain, base du bolchevisme; il compte une
aile droite et une aile gauche. L'Assemblée constituante rejette
l'instauration de la dictature du prolétariat. Mais le gouvernement
garde le soutien de la majorité du Congrès des soviets grâce
à l'alliances des bolcheviks avec les socialistes révolutionnaires
de gauche. On assiste à une renaissance du double pouvoir. Le 5
janvier, une manifestation de soutien de l'Assemblée constituante,
qui ne recueille pas le succès populaire escompté, est réprimé
par les troupes fidèles aux soviets; on compte une dizaine de morts.
L'Assemblée constituante a perdu et va être dissoute, ce qui
contribuera à éloigner des bolcheviks une partie des classes
populaires. Ceux-ci jettent du lest
en libérant des prisonniers politiques.
Le 8 janvier, le Conseil national provisoire letton déclare le droit à l'auto-détermination du peuple letton. Le 22 février, les Allemands envahissent toute la Lettonie en proie à une guerre civile qui oppose Russes blancs et rouges ainsi que des corps-francs. Le 9 janvier, jour anniversaire du dimanche rouge de 1905, un cortège d'une dizaine de milliers de personnes défile lors de l'enterrement des victimes du 5 janvier. Le même jour, le Comité central du Parti bolchevik consacre sa réunion à l'éventualité d'un transfert du pouvoir à Moscou; Saint-Pétersbourg n'est plus une ville sûre: les Allemands sont proches et la situation intérieure de la cité est préoccupante; elle a connu de graves difficultés d'approvisionnement et l'agitation révolutionnaire y est chaotique. Mais Saint-Pétersbourg offre aussi des avantages de proximité dans le cadre des négociations de paix. Le 10 janvier s'ouvre le troisième Congrès des soviets qui jette les bases d'une nouvelle constitution fédérative, socialiste et soviétique qui inclut les droits des travailleurs et exploités et établit la primauté des ouvriers (une voix ouvrière vaut cinq voix paysannes); c'est un retour à une forme de suffrage censitaire diamétralement opposé à celui que Nicolas II avait imposé à la Douma. Le respect des libertés politiques est affirmé sans que les conditions de mise en application du principe soient réunies. Le 15 janvier (28 janvier), un décret du Conseil des commissaires du peuple transforme la Garde rouge en Armée rouge des ouvriers et paysans. le recrutement s'effectue sur la base du volontariat. Mais cette initiative ne rencontre pas le succès escompté. Le 25 janvier, le métropolite de Saint-Pétersbourg, Moscou, puis Kiev, Vladimir, est fusillé au monastère des Grottes de Kiev; il passe pour être le premier martyr de la Révolution russe. Le nouveau pouvoir russe adopte le calendrier grégorien à la place du calendrier julien et prend toute une série de mesures plus ou moins bien reçues par la population (séparation de l'Église et de l'État, suppression des titres et des décorations, gratuité des soins médicaux, création du mariage civil, instauration de l'égalité entre les sexes, interdiction du travail des enfants, limitation à 8 heures de la journée de travail, indemnisation du chômage et couverture sociale des maladies...) En février, une loi sur la socialisation de la terre est édictée; les mesures prises pour éviter les accaparements de céréales et assurer le ravitaillement des villes suscitent des troubles dans les campagnes. Le 9 février, Trotsky, chef de la délégation russe, se retire des négociations de Brest-Litovsk. La dureté des conditions de paix exigées par l'Allemagne, en dépit de la réponse acceptable aux propositions russes évoquée plus haut, sème le doute au sein du gouvernement soviétique. Les pays de l'Entente sont approchés pour apporter une aide à la Russie. Mais sont-ils en mesure de lui permettre de résister à l'armée allemande? Probablement pas! Au surplus, ils ne rêvent que d'un effondrement rapide du nouveau régime. Le 12 février, alors que l'Autriche-Hongrie fait preuve de réticences pour reprendre la lutte, l'Allemagne rompt l'armistice et lance une offensive au cours de laquelle la Russie perd beaucoup de terrain. Petrograd est menacée. Le 23 février, ont lieu les premières levées de masse à Petrograd et Moscou et le premier combat contre l'armée impériale allemande sur le front de l'Est. Le 23 février devient un jour férié en Union soviétique, celui des défenseurs de la patrie. Le 26 février, la décision de transfert du gouvernement à Moscou prise. Cette situation nouvelle valide la thèse
de Lénine : la Russie révolutionnaire est incapable de lutter
à la fois contre le péril extérieur et le péril
intérieur; elle n'attend rien du prolétariat allemand, et
elle suspecte les pays de l'Entente d'envisager de céder de larges
parts de l'ancien empire russe aux empires centraux dans le cadre d'une
paix négociée; elle
est contrainte de céder provisoirement du terrain pour sauver
la révolution; une paix défavorable est signée à
Brest-Litovsk (3 mars 1918). Les socialistes révolutionnaires de
gauche prennent leurs distances avec la coalition. Ils se joignent à
d'autres partis pour renverser le gouvernement. Certains bolcheviks, comme
Boukharine, ne sont pas loin de partager les mêmes idées.
Le quatrième congrès des soviets ratifie pourtant la paix
de Brest-Litovsk, ce qui entraîne le départ des socialistes-révolutionnaires
de gauche du gouvernement. Lénine fait interdire le parti socialiste
révolutionnaire; le parti bolchevik se transforme en parti unique.
Les alliés de la Russie (France et Angleterre), qui vont devoir faire face seuls à l'Allemagne, avant l'entrée en guerre des États-Unis, sont furieux contre le pouvoir soviétique et accusent Lénine de trahison. En fait, depuis le début du conflit, la France et l'Angleterre n'ont jamais compris la situation réelle de la Russie! Cependant, les conditions humiliantes imposées aux Russes par les empires centraux favorisent leur propagande guerrière : si l'on veut éviter les calamités dont souffre le peuple russe, il n'y a qu'une voie, celle de la victoire... et d'une paix assortie de compensations territoriales et financières! .
Le 9 mars, une éphémère République populaire de Biélorussie est proclamée alors que son territoire est encore sous occupation austro-allemande. Le 6 avril, le tsar et la famille impériale sont transférés, en deux convois, jusqu'à Ekaterinbourg, pour les éloigner d'une zone où progressent les armées contre-révolutionnaires. Mais pourquoi les avoir installés dans cette ville de l'Oural, si éloignée du pouvoir et si proche des troupes blanches? Entre le 10 et le 15 mars 1918, les organes du pouvoir soviétique s'installent à Moscou. On notera que le péril allemand n'existe théoriquement plus puisque la paix a été signée! Mais cette paix est-elle fiable? Peut-être pas tant que cela : en Allemagne, les avis sont semble-t-il partagés; l'état-major souhaiterait s'emparer de la capitale russe ce qui constituerait une victoire hautement symbolique, mais l'entourage du kaiser, certes conscient du péril que représente la révolution bolchevique, pense que ce péril n'est pas pour le moment le plus menaçant. Le transfert à Moscou s'avérera profitable au nouveau pouvoir qui tourne ainsi le dos à l'ouverture à l'ouest initiée par Pierre le Grand pour s'ancrer fermement au coeur de l'ancienne Russie, montrant ainsi sa volonté de créer un monde nouveau à cheval sur l'Europe et l'Asie. Ce changement de capitale peut aussi être interprété comme un intérêt plus marqué de la Russie pour l'Asie. La position centrale de la nouvelle capitale renforcera sa sécurité et sa capacité de résistance face aux défis militaires que les bolcheviks vont devoir affronter avec la guerre civile et l'intervention étrangère. La Guerre civile et l'intervention étrangère Au printemps 1918, tandis que les Allemands
occupent l'Ukraine, en espérant la maintenir à terme sous
leur domination, qu'ils envahissent la Crimée (début mai)
et une partie du Caucase-Nord, les pays de l'Entente se répartissent
des zones d'influence en Russie (on vend la peau de l'URSS avant même
qu'elle ne soit née!); les Anglais débarquent à Mourmansk,
les Français sur la mer Noire. En août, 70 000 Japonais, accompagnés
d'un corps d'environ 7 000 Américains*, se ruent sur la Sibérie;
ils iront jusqu'au lac Baïkal; Tokyo pourrait rêver d'une Sibérie
japonaise, mais les États-Unis commencent à se méfier
de cet allié un peu trop entreprenant. Ce que l'on appellera le
cordon sanitaire se met en place afin d'isoler le pays des soviets
du reste du monde et éviter la contagion révolutionnaire
en attendant que, la guerre finie, on détruise par les armes ce
cancer. Le corps de la légion tchécoslovaque luttant contre
l'Allemagne, que les Russes ont expédié en Asie par le Transsibérien,
d'où il doit regagner la France, stimule sur son passage les forces
contre-révolutionnaires qu'il rejoint. Toutes ces interventions
visent à aider les adversaires du communisme mais aussi à
prendre la plus grande part possible du gâteau; il en résulte
un manque d'ensemble des différents pays qui favorise la résistance
des révolutionnaires russes. Ces interventions alimenteront une
guerre civile meurtrière accompagnée d'une terreur implacable
assortie de pogroms antisémites de la part de certains contre-révolutionnaires
fournis en armes et matériels par les pays de l'Entente.
Les soviets nationalisent la grande propriété foncière, puis les industries, et proclament la dictature du prolétariat. La politique du communisme de guerre est inaugurée pour faire face à la guerre civile. L'Armée rouge est réorganisée et le service militaire obligatoire est instauré, le volontariat n'ayant pas permis de recruter suffisamment de soldats. Cette armée garde cependant un caractère particulier par rapport aux armées classiques : les rapports hiérarchiques n'y sont pas aussi formalisés; les effectifs fluctuent en raison des recrutements et des désertions causées par l'instabilité de la situation et la lassitude des combattants. Les conditions de la guerre civile l'oriente vers une guerre de guérilla plus que vers une stratégie classique. Les raids en profondeur où la cavalerie joue un rôle crucial tendent à supplanter les autres formes de combats. Ces traits de la formation initiale de l'Armée rouge vont la marquer durablement. En Ukraine, le 29 avril, les Allemands soutiennent le coup d'État de l'hetman Skoropadski contre le gouvernement de la Rada centrale (parlement). A la même époque, le congrès anarchiste de Taganrog décide d'organiser la guérilla par petites unités de cinq à dix combattants, de collecter des armes et de préparer un soulèvement paysan généralisé. Il envoie également une délégation à Moscou, dont Makhno fait partie. Makhno rencontre brièvement Lénine au Kremlin; ce dernier, qui connaît mal la situation de l'Ukraine et ignore que Makhno est libertaire, observe à son interlocuteur que la région semble infestée d'anarchistes; Makhno lui répond sèchement qu'il n'y a effectivement pas de bolcheviks en Ukraine; bref, la rencontre est décevante et n'aboutit à rien. Cependant, à Moscou, la Tchéka vient d'infliger une sévère défaite au mouvement libertaire en l'expulsant de ses locaux, en interdisant ses publications et en emprisonnant ses militants. Pour Makhno, venant d'une zone où les libertés de parole et d'organisation sont toujours vivantes, la faiblesse des anarchistes moscovites est un choc. Moscou lui apparaît comme "la capitale de la révolution de papier", ne produisant que des résolutions et des slogans creux tandis que le parti bolchevik installe une dictature par la force et la fraude. Makhno profite aussi de son séjour dans la capitale russe pour consulter quelques vieux militants anarchistes sur les méthodes et les tendances à suivre dans le travail libertaire révolutionnaire parmi les paysans de l'Ukraine; il rencontre Archinov et Kropotkine dont il dit avoir beaucoup apprécié certains conseils. De retour en Ukraine, à la tête de l'Armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne (Makhnovchtchina), qu'il a créée, Makhno va combattre avec succès les forces ukrainiennes réactionnaires de Petlioura ainsi que les armées blanches. L'armée insurrectionnelle paysanne pratiquera la tactique de la guérilla et se montrera remarquablement mobile. Elle est organisée sur les bases, spécifiquement libertaires, du volontariat: tous les gradés sont élus par les soldats et la discipline est librement consentie. Elle instaurera immédiatement le socialisme libertaire dans tous les territoires conquis. Le 26 mai, la Géorgie se proclame indépendante, sous un gouvernement menchevik. Le 4 juin, sous la pression des Empires centraux, elle est contrainte de céder des territoires importants à la Turquie. En juin, Staline, commissaire du peuple à
l'Approvisionnement, est envoyé à Tsaritsyne (future Stalingrad
puis Volgograd), pour faciliter l'approvisionnement de Moscou en débloquant
cette ville assiégée par les forces contre-révolutionnaires.
Il destitue le général Snessarev, un officier tsariste rallié
à la révolution, qui commande la défense de Tsaritsyne,
fait fusiller plusieurs officiers, et s'y montre un piètre stratège.
En septembre, la ville tombe aux mains des cosaques de l'Armée blanche.
Staline est rappelé à Moscou.
Le cinquième congrès des soviets approuve la constitution de la République fédérative de Russie. Un décret sur la propagande monumentale prévoit la destruction des statues des tsars. La galerie Tretiakov devient le musée d'Art national russe. En juillet, les socialistes-révolutionnaires de gauche tentent un coup de force à Moscou. Ils échouent, sont chassés des soviets et leurs chefs sont arrêtés. La guerre civile fait rage, avec le concours
de l'intervention étrangère. Dans la nuit du 16 au 17 juillet
1918, Nicolas II, sa famille et leurs domestiques, sont assassinés,
à Ekaterinbourg, afin d'empêcher qu'ils ne soient libérés
par l'amiral Koltchak,
chef de l'armée blanche de Sibérie qui se rapproche. L'amiral,
qui n'est pas partisan d'une restauration du tsarisme, s'est imposé
après bien des tribulations, à la suite d'un coup d'État
militaire régional. Il dirige un gouvernement dictatorial, avec
l'appui de la légion tchécoslovaque et l'aide de l'Angleterre.
Si, d'après la version officielle, toute la famille impériale
russe a été massacrée à Ekaterinbourg, plusieurs
personnes, principalement parmi les forces contre-révolutionnaires,
ont soutenu qu'en réalité seuls le tsar et son fils avaient
péri et que la tsarine et ses filles avaient été épargnées
et avaient même été vues plusieurs mois après
le drame. La grande-duchesse Anastasia aurait même survécu
jusqu'après le milieu du 20ème siècle! Mais rien ne
permet de valider ces suppositions, sauf, peut-être un document qui
figurerait dans les archives du NKVD lequel évoquerait le destin
de la famille impériale... après son exécution,
si tant est que ce document soit authentique. Le frère du tsar,
Michel, et dix-huit membres de la famille impériale sont fusillés
à la même époque.
On l'a vu, l'empire tsariste s'est progressivement désagrégé, avec l'aide des envahisseurs, mais aussi sous la pression des peuples qui aspirent à l'indépendance. Le droit à l'autodétermination leur a été reconnu par le nouveau régime, mais, pour éviter la disparition complète de l'empire, la création de partis communistes proches du parti bolchevik est encouragée dans les pays nouvellement indépendants. Une socialiste-révolutionnaire, Fanny Kaplan, blesse Lénine de deux balles de revolver, le 30 août 1918. Il refuse de se laisser conduire à l'hôpital par crainte d'un nouvel attentat; les balles ne peuvent pas être extraites; il les gardera deux ans et, après leur extraction, il souffrira d'un problème de l'aorte; la santé de Lénine restera désormais précaire. Le Conseil des commissaires du peuple décrète la terreur rouge, selon un processus qui n'est pas sans analogie avec celui de la Révolution française. Fanny Kaplan est exécutée sans jugement après avoir été interrogée par la tchéka. La terreur révolutionnaire, qui vise à éradiquer les ennemis du peuple, s'avérera encore plus terrible que la répression tsariste. On notera que l'assassinat de la famille impériale a précédé de peu l'attentat contre le leader de la révolution. Le doyen de la cathédrale de l'Intercession est fusillé et ses biens confisqués, les cloches de la cathédrale sont fondues et ses portes closes. La cathédrale de Kazan est fermée. En septembre 1918, l'Armée rouge reprend l'offensive et rétablit le pouvoir soviétique dans l'Oural et sur la Volga. La Turquie ne respectant pas les clauses du traité de Brest-Litovsk en occupant des territoires russes, Moscou déclare, le 20 septembre, que les agissements turcs ont frappé ce traité de caducité. Le 29 septembre, la Bulgarie signe l'armistice de Salonique; l'Allemagne va perdre un à un tous ses alliés. En octobre 1918, Clémenceau, qui dirige le gouvernement français, donne consigne à l'Armée française d'Orient de se préparer à chasser d'Ukraine les révolutionnaires alliés au gouvernement bolchevik russe; l'adversaire réellement dangereux, pour reprendre une expression de l'époque, "ce n'est plus le Boche, c'est le bolchevisme." Le 9 novembre 1918, le kaiser Guillaume II abdique. La contagion révolutionnaire, partie de Russie, a gagné les empires centraux. Ceux-ci se désagrègent, les monarchies cèdent la place à des républiques d'inspiration plus ou moins socialiste. Le 11 novembre 1918, les combats de la Première Guerre mondiale s'achèvent par la défaite allemande. La Russie n'est pas oubliée dans la Convention d'armistice qui, dans son article 15 - chapitre B - Dispositions relatives aux frontières orientales de l'Allemagne, stipule la "renonciation aux traités de Bucarest et de Brest-Litovsk et traités complémentaires", ainsi qu'en son article 19 - chapitre Dbis - Clauses financières, la "restitution de l'or russe ou roumain pris par les Allemands" en précisant toutefois que "Cet or sera pris en charge par les Alliés jusqu'à la signature de la paix". De son côté, la Russie dénonce le traité de Brest-Litovsk, le 13 novembre. Les Occidentaux, libérés de la Première guerre mondiale, renforcent leur aide aux armées blanches. Odessa, Sébastopol et d'autres localités côtières sont occupées par le corps d'intervention français; les Anglais sont à Bakou et à Novorossiïsk (Caucase). En Sibérie, Koltchak est prêt à marcher sur Moscou; au Kouban et dans le Caucase, le général Denikine réunifie les forces du sud de la Russie; dans le nord, le général Miller rassemble une armée; dans les Pays baltes, Youdenitch menace Petrograd. L'avenir du pouvoir soviétique paraît plus sombre que jamais. En novembre, l'Autriche, élaguée des nations de son empire qui n'étaient pas allemandes, opte pour son rattachement à l'Allemagne. Le moment est propice puisque les deux pays sont alors dirigés par des sociaux-démocrates. Mais cette union va être interdite, à Versailles, par les vainqueurs de la guerre, soucieux de ne pas renforcer la puissance allemande. Le 14 décembre, ses protecteurs allemands ayant perdu la guerre, Skoropadski, dépourvu de tout appui populaire, est renversé par les nationalistes au profit d'une République ukrainienne, à la tête de laquelle s'impose Petlioura, journaliste et homme politique, au début de février 1919. 1919: des soldats allemands qui refusent le désarmement, organisés en corps francs, s'engagent en Lettonie pour lutter contre le bolchevisme; ils rejoindront plus tard les cohortes nazies. La Division de fer de Rüdiger von der Goltz s'y déchaîne entre janvier et juillet 1919. Ni la Russie, ni les pays vaincus ne sont conviés à la Conférence de la Paix qui s'ouvre à Paris et qui aboutira au traité de Versailles. Du 5 au 10 janvier, une révolution spartakiste, s'inspirant du modèle russe, ensanglante Berlin. Elle est réprimée par la force. Le 15 janvier, Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, les leaders du mouvement, sont assassinés par des corps-francs sur ordre du ministre social-démocrate de l'Intérieur, Noske. Désormais, pour les communistes, les sociaux-démocrates sont des ennemis de classe avec lesquels aucune entente n'est possible. Le 18 janvier s'ouvre à Versailles la Conférence de la paix qui va mettre fin à la Grande Guerre. Elle débouche sur le traité de Versailles (28 juin) qui impose à l'Allemagne de lourdes réparations et l'occupation d'une partie de son territoire. L'Allemagne, rendue seule responsable du conflit, en proie à de graves difficultés économiques, est humiliée par une sévérité qu'elle estime injuste, bien qu'elle ne soit pas très différente de celle qui fut imposée par le passé aux vaincus, notamment à la France en 1870. De nouveaux États sont créés à partir du démantèlement de l'Autriche-Hongrie; il en résulte des appétits qui ne peuvent pas être tous satisfaits et des tracés de frontières parfois contestables; tout cela alimente un mécontentement qui débouche sur la montée du nationalisme, non seulement chez les vaincus, mais également parmi les vainqueurs, par exemple en Italie qui, privée de la côte dalmate, s'estime mal servie. Le démantèlement de l'empire ottoman, en application des accords Sykes-Picot, n'est pas plus satisfaisant; il ne tient pas compte des promesses faites aux Arabes par les Britanniques, trace des frontières souvent arbitraires, fait la part belle à l'Angleterre qui doit cependant laisser, comme à regret, le Liban et la Syrie à la France, et mécontente à peu près tout le monde. La création d'une Société des Nations (SDN) est décidée pour mettre définitivement impossible toute nouvelle guerre. Le président américain Wilson a joué un rôle éminent; il reste de longs mois à Paris qui est, pour un temps, la capitale du monde, et marque le traité de son empreinte. Mais, de retour dans son pays, il ne parviendra pas à rallier le Congrès à une adhésion à la SDN, tant par maladresse en rebutant les Républicains, que faute d'énergie pour gagner ce combat; épuisé au cours de la tournée qu'il accomplit à travers les États-Unis, pour rallier les Américains à ses idées, il est en effet contraint d'interrompre inopportunément ses meetings pour prendre du repos. Les États-Unis sont les vrais vainqueurs de la Première Guerre mondiale, mais on ne le sait pas encore. Leur absence contribuera à frapper la SDN d'impuissance et cette dernière s'avèrera rapidement incapable de remplir sa mission. La Russie révolutionnaire, laissée de côté, pas plus que l'Allemagne, n'accepteront ce traité qui porte en germe la Seconde Guerre mondiale. Au printemps 1919, des navires marchands armés, accompagnés par de l'aviation, permettent aux Britanniques de neutraliser la flotte russe de la Caspienne et de s'installer à Batoum (Géorgie). Le pétrole du Caucase va-t-il devenir anglais? Non, car les bolcheviks s'emparent de Bakou et l'Angleterre va devoir porter ses appétits pétroliers vers le Moyen Orient, en s'efforçant de réduire la part française des dépouilles de l'empire ottoman. Le 2 mars, l'internationale socialiste se scinde en deux à Moscou. L'internationale communiste (Komintern) voit le jour. Cet événement entraînera des scissions dans les partis socialistes occidentaux et explique les tentatives de prises du pouvoir par les communistes en Allemagne et en Hongrie. Le nouveau régime joue la carte de l'internationalisme prolétarien; l'Internationale devient son hymne. L'assassinat des dirigeants communistes allemands par les sociaux-démocrates servira de justification à la politique du Komintern, "classe contre classe". De ce moment, l'histoire de la Russie prend un caracère quasi universel et ne peut plus être dissociée totalement de l'histoire du mouvement communiste mondial. Même si la thèse de la révolution mondiale va céder la place à celle de l'élaboration du socialisme dans un seul pays, l'ambition messianique révolutionnaire n'est pas totalement abandonnée; la réalisation en est seulement différée. La création du Komintern en apporte la preuve. Dès lors, il est compréhensible que les pays dits capitalistes redoutent l'exemple russe et cherchent à se protéger contre ce péril. Et il est tout à fait naturel que la Russie se perçoive comme une citadelle assiégée. On ne peut donc pas comprendre l'histoire contemporaine de ce pays en faisant abstraction de ce qui s'est passé autour de lui, particulièrement en Europe et en Asie. En devenant communiste, la Russie est entrée de plein pied dans l'histoire du monde, avec tout ce que cela suscite nécessairement de méfiance réciproque vis à vis des autres grands pays. Le 21 mars, une République des Conseils, basée sur le modèle communiste russe, dirigée par Bela Kun, voit le jour en Hongrie. Elle ne vivra que 133 jours. En juillet, la Roumanie, soutenue par les pays de l'Entente, et forte du concours de l'armée française d'Orient, envahit la Hongrie. Bela Kun s'enfuit en Russie. Quelques mois plus tard, le 1er mars 1920, l'amiral Horthy, qui s'alliera plus tard à l'Allemagne nazie, accède au pouvoi en Hongrie. Bela Kun sera plus tard victime des purges staliniennes. A la Conférence de la Paix, des droits spécifiques sont accordés aux minorités de toutes les nations européennes. Le Conseil des Quatre reconnaît l'indépendance des trois républiques caucasiennes, mais le sort de l'Ukraine ne peut être réglé faute d'accord entre les vainqueurs de la guerre de 14-18 dont les intérêts et les points de vue divergent. Le 23 avril, la journée de huit heures est votée en France. Elle était déjà appliquée en Allemagne, en Italie et en Suisse. La principale raison de cet avantage accordé aux salariés français est la crainte de la propagation du communisme. Le monastère de la Trinité-Saint-Serge, haut lieu de l'Église orthodoxe russe, est fermé. Les troupes de l'amiral Koltchak prennent Kazan et s'emparent des réserves d'or de la Banque de Russie qu'elles emmènent en Sibérie. Une série de victoires rapprochent également Dénikine de Moscou. Le pouvoir bolchevik paraît près de s'effondrer et ses cadres envisagent le passage dans la clandestinité. A l'automne 1919, les bolcheviks ont obtenu un armistice avec la Pologne et l'Ukraine de Petlioura; l'Armée rouge, réorganisée par Trotsky, reprend l'offensive, tandis qu'en Ukraine les anarchistes de Makhno harcèlent les armées blanches. Les forces de Dénikine battent en retraite, tandis que Koltchak, en Sibérie, doit faire face à une insurrection paysanne; une lutte sanglante se déroule autour d'Irkoutsk; l'armée de Youdénitch est désarmée par l'Estonie qui ne veut pas encourir les foudres de Moscou. La situation des armées blanches devient d'autant plus délicate que des mouvements révolutionnaires agitent les troupes étrangères d'intervention (mutinerie de la marine française dans la mer Noire). Pékin abroge l'accord sino-russe de 1912 relatif à la Mongolie extérieure. Les troupes chinoises entrent dans ce pays. La Chine profite de la révolution russe pour tenter d'y reprendre pied tandis que se crée une formation pro-japonaise visant à rétablir une "Grande Mongolie". Avec l'accord du Bogdo-Gegheen (le "Dalaï lama" mongol), un aventurier d'origine germanique, le baron Ungern von Sternberg, envahit la Mongolie à la tête de militaires russes qui fuient la révolution bolchevique. Doté d'un indéniable charisme, ce personnage énigmatique est autoritaire et cruel. On l'appellera le loup des steppes. Il exige de ses soldats une soumission sans réserve et exécute lui-même les officiers récalcitrants en leur fracassant le crâne à coups de canne! Se prenant pour une réincarnation de Gengis khan, il rêve de reconstituer l'empire mongol; le nouvel État, placé sous le gouvernement nominal du Bogdo-Gegheen, serait protégé par un ordre de chevalerie bouddhiste inspiré des Chevaliers Teutoniques. L'intrusion d'un Russe blanc dans le jeu change la donne. Alors que la délégation mongole, à Irkoutsk, rentre en Mongolie, le gouvernement bolchevik reconnaît l'indépendance de ce pays et lui envoie l'Armée rouge en renfort. Le 6 novembre 1919, le Français Jacques
Sadoul est condamné à mort par le conseil de guerre pour
insubordination, excitation de militaires à la désobéissance,
désertion et intelligence avec l'ennemi. Le seul tort de Sadoul,
arrivé en Russie quelques semaines avant la révolution d'octobre,
était de croire en la victoire du bolchevisme face à des
adversaires bavards, timides, sans énergie et ne sachant pas ce
qu'ils voulaient, et d'en informer la France alors que tous les autres
correspondants sur place affirmaient le contraire! A l'approche des élections
en France, une affiche présentant le communiste comme l'homme au
couteau entre les dents est placardée sur les murs.
En Russie, à la fin de l'année 1919, un décret est publié visant la liquidation de l'analphabétisme. Lors de la chute du tsarisme plus de la moitié de la population (on parle même de 80%) ne savait ni lire ni écrire. L'alphabétisation de la population sera l'une des plus grandes réussites du régime. 1920: Le 10 janvier, la Société des Nations, créée lors de la Conférence de la Paix, entre en activité à Genève. Elle a pour but de protéger les pays, surtout les plus petits, contre d'éventuelles agressions et d'assurer le maintien de la paix grâce à une coalition générale. Malheureusement, tous les pays n'en font pas partie, en particulier les États-Unis, la Russie et l'Allemagne. L'amiral Koltchak transmet son pouvoir au général Dénikine, qui refuse et s'embarque pour l'Angleterre, laissant ce qui reste de son armée au lieutenant-général baron Wrangel. Koltchak, vaincu et prisonnier, est fusillé en février, à Irkoutsk, où résident quelques temps les révolutionnaires mongols Sukhbaatar et Tchoïbalsan, avant de fonder la République populaire de Mongolie. La capitale de l'éphémère République d'Extrême-Orient, un État tampon soutenu par les bolcheviks pour contenir à la fois les Japonais, les Chinois et l'Armée blanche de Sibérie, est transférée de Verkhneoudinsk (Oulan Oude en Bouriatie) plus à l'est, à Tchita. Le rêve d'une Sibérie japonaise s'est effondré devant le rétablissement spectaculaire de l'Armée rouge. Les mesures prises au cours de la guerre
civile ne sont pas sorties tout armés du cerveau des dirigeants
soviétiques, ni de leur doctrine. Elles sont en grande partie le
fait des circonstances et du pragmatisme. L'économie de guerre fut
une nécessité pour obtenir les approvisionnements nécessaires
et, dans bien des cas, des nationalisations s'imposèrent pour remettre
en marche des entreprises défaillantes. L'influence de l'anarchisme
dans le monde ouvrier contraignit le pouvoir à restaurer ce que
Poutine appellera plus tard la verticale du pouvoir, ne serait-ce que pour
que les directives centrales soient appliquées partout selon un
schéma proche de l'ordre militaire. La victoire était sans
doute à ce prix à partir du moment où la révolution
ne faisait pas tache d'huile dans le reste du monde, notamment en Allemagne.
Le 20 avril 1920, Petlioura, qui s'est rapproché du général polonais Pilsudski, signe le traité de Varsovie. Pilsudski, un ancien révolutionnaire devenu nationaliste depuis qu'il est maître d'une Pologne indépendante, lui a promis de maintenir l'indépendance de l'Ukraine en échange de la Volhynie et de la Galicie. En fait, les Polonais souhaitent créer une fédération sous domination de leur pays incluant la Lituanie, la Biélorussie et l'Ukraine qu'elle envahit. Le traité de Varsovie affaiblit la position de Petlioura dans l'opinion publique ukrainienne. Mais la guerre russo-polonaise rendra rapidement ce traité caduc. La Pologne de Pilsudski essaie de profiter des difficultés rencontrées par la Russie pour tenter de récupérer les terres perdues lors des partages. Les troupes polonaises progressent d'abord et prennent Kiev avant d'être balayées par l'Armée rouge dirigée par un aristocrate converti à la révolution, Toukhatchevski. Le rêve de la révolution mondiale est-il sur le point de s'accomplir? Non! La Pologne est sauvée grâce à l'intervention d'un corps expéditionnaire français dans lequel figure un jeune officier, Charles de Gaulle, qui y découvre, par l'exemple, l'importance de l'arme blindée comme force de rupture*. L'origine de cette guerre est controversée par les historiens. Est-ce la Pologne qui a commencé ou bien la Russie? Cela dépend du moment où on la fait débuter. Après son indépendance, la Pologne a bien essayé de s'emparer de l'Ukraine, comme on l'a dit. Mais ensuite, la Russie est passée à son tour à l'offensive. En fait, il faut replacer ce conflit dans le contexte de l'intervention étrangère antibolchevique et dans celui de l'espoir russe d'exporter la révolution en Europe, en commençant par une Allemagne où se développe un fort mouvement d'ouvriers et de soldats en armes. Il convient aussi de tenir compte de la remise en cause des frontières des empires qui se sont effondrés : empire russe, empire allemand et empire autrichien, comme de la volonté de la Pologne de s'emparer de l'Ukraine et de la Lituanie qui lui ont autrefois appartenu. * Certains auteurs minimisent le rôle joué par le corps expéditionnaire français commandé par le général Weygand et attribuent la défaite des Soviétiques au génie militaire de Pilsudski qui élabora un plan visant à enfermer ses adversaires dans une nasse où ils pourraient être détruits. Ce plan fut effectivement couronné de succès mais il paraissait très risqué aux yeux de certains spécialistes militaires. Staline, envoyé comme commissaire politique à l'armée du front sud-ouest, commandée par Iegorov et Froundzé, s'est opposé à l'envoi de renforts à Toukhatchevski. Certains commentateurs, dont Toukhatchevski, y voient la cause de l'échec de ce dernier devant Varsovie. En mai 1920, Moscou signe un traité de paix avec le gouvernement social-démocrate géorgien de Tbilissi. En juillet 1920, Lénine et Trotsky énoncent les 21 conditions pour l'adhésion des partis communistes à la nouvelle Internationale (Komintern) qui tient son second congrès à Moscou. En août 1920, la Russie soviétique se rapproche de la Turquie et finance la guerre que mène Mustapha Kemal, le futur Atatürk, pour sauver ce qui reste de son pays. Par le traité de Riga, le 11 août, la Lettonie accède à l'indépendance. L'Armée rouge reconquiert l'Ukraine et pourchasse les anarchistes de Makhno. Le dernier khan de Khiva (Asie centrale) est détrôné par les bolcheviks. Au mépris des promesses faites, le gouvernement soviétique remet la main sur les peuples d'Asie centrale où sont créées des républiques soviétiques. La même chose se produit dans le Caucase (Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie). Le huitième congrès du Parti lance un plan de reconstruction de l'économie populaire et d'électrification du pays. En novembre 1920, Wangrel et ce qui reste des armées blanches sont rejetés à la mer au sud de la Russie. La révolution bolchevique est victorieuse, grâce à Lénine et Trotsky, mais aussi avec le concours d'anciens officiers tsaristes, comme Broussilov et surtout Toukhatchevski, ralliés au nouveau régime. Encore en novembre, le journal français l'Humanité publie, sur plusieurs numéros, un long article de l'écrivain russe Maxime Gorki lequel annonce la création de La Littérature universelle, un organisme qui se propose de publier des ouvrages littéraires de tous les pays européens dans un premier temps, et ensuite du monde entier, pour l'éducation du peuple russe; il est prévu d'abord d'éditer 1500 livres d'environ 320 pages chacun, et 3 à 5000 brochures de 32 à 64 pages. Une Association russe des écrivains prolétariens et une Association russe des musiciens prolétariens sont créées pour amener les lecteurs et les auditeurs à partager l'idéal communiste. Une floraison d'unions pour l'éducation des masses voit le jour. A la fin de l'année, les socialistes français se réunissent à Tours en congrès. En janvier suivant, la majorité d'entre eux décide d'adhérer à l'internationale communiste. Les minoritaires choisissent de rester à l'internationale socialiste. Le mouvement socialiste français se divise en deux branches dont les relations vont devenir assez souvent tumultueuses. De cette scission date la naissance du PCF : la Russie soviétique devient un modèle pour une partie de l'opinion publique occidentale et un repoussoir pour une autre partie. 1921: le 8 février, Kropotkine décède. Ses obsèques vont être l'occasion d'une rupture consommée des socialistes libertaires d'avec les bolcheviks. Le mouvement libertaire refuse d'abord des obsèques nationales. Il obtient gain de cause de la part du pouvoir bolchevik. Le cercueil est exposé durant deux jours dans la salle des colonnes de la Maison des syndicats, au fronton de laquelle est accroché un énorme calicot portant une inscription dénonçant le gouvernement et sa répression. Le 13 février, plusieurs milliers de personnes accompagnent le cortège funèbre dans les rues de Moscou. Il s'arrêtent devant la prison de la Boutyrka où croupissent nombre de détenus politiques qui manifestent en frappant leurs barreaux. Plusieurs discours sont prononcés sur la tombe ouverte dont l'un par l'anarchiste et féministe d'origine russe Emma Goldman, l'une des grandes figures du mouvement libertaire international. On renonce délibérément à chanter l'Internationale qui est l'hymne du nouveau régime. Ce sera la dernière manifestation libertaire en Russie. En janvier 1921, les alliés de l'Entente reconnaissent de jure la République démocratique de Géorgie. Cette reconnaissance n'empêche pas l'Armée rouge de pénétrer dans ce pays, patrie de Staline, en février 1921. La République démocratique de Géorgie cesse d'exister, en mars 1921. Du 28 février au 18 mars, les marins de Kronstadt se soulèvent pour des élections libres, la liberté de la presse et contre les bolcheviks. La rébellion est brutalement réprimée par l'Armée rouge dirigée par Trotsky. Une répression impitoyable la suit, à la mesure des pertes subies par l'assaillant (10 000 morts dans l'Armée rouge) : 2168 exécutions, 1955 condamnations au travail obligatoire, contre 1272 libérations. Cet événement tragique sonne le glas du mouvement libertaire qui fut naguère si puissant en Russie. Du 8 au 16 mars 1921 se tient le 10ème Congrès du parti bolchevik dans une atmosphère dramatique sur fond de grèves et de désillusions. Plusieurs courants s'opposent violemment dans le parti. Les dirigeants ressentent le besoin de resserrer les rangs face au risque que font courir de nouvelles adhésions issues des milieux "bourgeois ou réactionnaires". Les fractions sont interdites et le quart des membres sont limogés. Le 16 mars 1921, un traité d'amitié et de coopération est signé à Moscou entre la Russie et la Turquie kémaliste. Atatürk, fondateur de la République turque, un nationaliste progressiste et laïc, restera fidèle à cette alliance. Le 18 mars, la paix de Riga met fin officiellement
à la guerre russo-polonaise. La Pologne obtient de substantielles
indemnités et des territoires à l'Est empiétant sur
la Biélorussie occidentale et l'Ukraine.
Le 1er juillet 1921, à Shanghai, est créé le Parti communiste chinois. Le GOSPLAN est créé. Cet organisme sera à l'origine des futurs plans quinquennaux. La Russie est sortie exsangue de la guerre civile. On estime à 8 millions le nombre des morts et à 2 millions celui des personnes qui émigrèrent, dont beaucoup constituaient l'élite de la sociéte. Les bolcheviks ont triomphé parce que leurs adversaires furent incapables de s'unir et qu'ils dressèrent contre eux la paysannerie, en rendant les terres aux anciens propriétaires, et les minorités, en se prononçant pour l'unité de l'empire russe. Un profond mécontentement se manifeste néanmoins, à travers un pays ruiné, par des grèves et le refus des paysans de livrer les récoltes. Des institutions caritatives américaines, sous l'impulsion du futur président Hoover, apportent une aide alimentaire à la population russe dans le dénuement. A l'issue du premier congrès du Parti du Peuple Mongol, tenu en Russie, un gouvernement révolutionnaire est formé; il reçoit l'appui du gouvernement soviétique. Sukhbaatar, le futur héros rouge mongol, est nommé général en chef et ministre de la guerre; il communique avec Lénine en lui envoyant des plis cachés dans des cannes de pasteurs. Les Russes blancs sont chassés de Mongolie par les révolutionnaires mongols aidés par les bolcheviks. Ungern von Sternberg, battu et pris par les troupes rouges, est fusillé. Un gouvernement populaire s'installe en Mongolie: le pouvoir du Bogdo-Gegheen est limité mais sa personne n'est pas mise en cause. Le nouveau pouvoir réaffirme l'indépendance du pays reconnue par les Soviétiques. La Mongolie va durablement tomber sous l'influence soviétique. La République de Touva est indépendante sous protectorat russe. La Crimée fait partie de la République socialiste fédérative soviétique russe avec un statut d'autonomie. Conscient des difficultés économiques, et de l'obligation de remettre à plus tard l'extension de la révolution socialiste au reste du monde, Lénine accepte un retour temporaire et limité au capitalisme. C'est le temps de la Nouvelle politique économique (NEP), entérinée par le neuvième congrès du Parti, en décembre 1921. Cette politique est destinée, dans l'esprit de Lénine, à durer plusieurs décennies, la Russie n'étant pas mûre pour le socialisme. La NEP revient en effet à reconnaître que le passage au socialisme dans un pays où la classe ouvrière est encore embryonnaire n'est pas possible. Il faut donc accepter une période de transition, plus ou moins capitaliste, pendant laquelle cette classe se constituera et imposera le passage au socialisme selon l'orthodoxie marxiste. La NEP se caractérise donc, au plan politique, par la nécessité de maintenir le pouvoir fermement aux mains de la classe ouvrière (c'est-à-dire du parti bolchevik); au plan économique, elle combine le capitalisme d'État, pour l'industrie, et le capitalisme privé, pour la petite production paysanne et le commerce. Elle vise à développer les forces productives du pays (le socialisme, c'est l'électricité plus les soviets) quitte à permettre pour cela l'apport de capitaux étrangers (les capitalistes étant prêts à vendre même la corde pour les pendre). Cette politique réussira dans le domaine agricole. Mais, celui-ci croissant plus vite que l'industrie lourde, cette réussite générera un déséquilibre, la valeur des biens industriels augmentant quand celle des produits agricoles diminue (crise des ciseaux). Des mesures doivent être prises pour corriger les conséquences négatives de cette situation qui conduit les paysans à stocker leur production pour maintenir les prix. La NEP, appuyée par Boukharine qui, par réalisme, est passé de la gauche à la droite, froisse une partie des bolcheviks qui ne se reconnaissent pas dans cette nouvelle orientation économique. En août 1921, après des mois de combats acharnés contre les bolcheviks, Makhno quitte l'Ukraine et franchit la frontière roumaine. Il mourra en exil à Paris, en 1934. L'expérience libertaire d'Ukraine a vécu. Après la mort de Kropotkine, au début de l'année, et l'impitoyable répression par Trotsky de la révolte des marins de Kronstadt, l'influence anarchiste, si puissante en Russie depuis le 19ème siècle, est durablement affaiblie. Une réforme monétaire restaure la confiance et fait reculer l'inflation (création de la pièce de 10 roubles). L'impôt en nature est remplacé par un impôt en argent. Le palais d'Hiver et l'Ermitage sont transformés en musées. Le régime de la terreur a vu le jour
pendant la crise révolutionnaire. Cependant cela n'a pas empêché
le développement culturel de la Russie qui se poursuit pendant les
premières années de la révolution comme pendant les
dernières années du tsarisme, même si Lounatcharski
et Kamenev dénoncent l'art moderne, qualifié de bourgeois,
dès 1919. Les mouvements artistiques foisonnent : symbolisme et
futurisme en peinture et littérature, abstraction en peinture, constructivisme
en architecture... L'activité artistique est même stimulée
par la volonté de créer une culture populaire accessible
aux masses. Parmi les écrivains de cette époque, citons les
poètes Essenine, Maïakovski, Blok et Biély, le romancier
Gorki; parmi les peintres : Chagall, Soutine, Malevitch, Kandinski; parmi
les musiciens : Stravinsky (qui est déjà à l'étranger),
Prokofiev, Chostakovitch, Katchatourian. Mais l'art par excellence de l'époque
est le cinématographe avec Vertov, Dovjenko, Eisenstein et Poudovkine,
entre autres. Certains de ces artistes adhéreront au nouveau cours
des choses et mettront leur talent au service de la révolution,
parfois temporairement, avant de prendre leurs distances avec elle, d'autres
fuiront les troubles en se réfugiant à l'étranger.
D'autres, enfin, se dévoueront totalement à la création
d'un art prolétarien en rupture avec les canons classiques; une
organisation nouvelle, qui rassemble en 1920 plus de 400 000 personnes,
le Proletkult, voit le jour. La propagande bat son plein et le sport
lui-même y sera enrôlé, mais ce n'est pas une spécificité
du régime soviétique. A bien des égards, au moins
au plan international, le pouvoir soviétique s'engagera dans la
continuité politique du tsarisme, comme la Révolution française
s'est inscrite dans le prolongement de l'Ancien régime.
1922-1953 : Staline au pouvoir Joseph Staline, l'homme de fer, ex-Koba, le Robin des bois géorgien, s'est doté d'une certaine notoriété en s'attribuant la défaite des armées blanches à Tsaritsyne, qui sera d'ailleurs baptisée ultérieurement Stalingrad (aujourd'hui Volgograd) alors que le principal mérite en revient à Trotsky. Il préfère écouter que parler et sait à l'occasion se montrer fin manoeuvrier. Dissimulé, méfiant et habile, travailleur infatigable, lecteur de littérature classique russe et française, poète à ses heures (il fut pulié), et connaissant bien ses dossiers (selon le général de Gaulle, à qui j'accorde foi, alors que, pour d'autres, que j'ai entendus dans mon enfance, Staline n'était qu'un rustre complètement inculte!), il se hisse, par des alliances successives avec les différents courants du parti, jusqu'au sommet de l'appareil. Il tirera profit de la police politique et de la bureaucratisation du parti, laquelle inquiète Lénine, pour instaurer un pouvoir de type totalitaire basé sur le culte rendu à sa personne. Après la fin de la guerre civile en Union soviétique et jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale, on assiste en Europe à une grande instabilité diplomatique. Les États-Unis, déçus par un traité de Versailles qu'ils estiment trop dur pour l'Allemagne, se sont retirés des débats européens en se cantonnant dans une politique isolationniste. Dans un premier temps, les deux pays mis à l'écart des autres nations, l'Allemagne et l'URSS, se rapprochent. Des fissures apparaissent dans le camps des vainqueurs; l'Italie qui n'a pas obtenu tout ce qu'elle espérait à Versailles se sent frustrée; en Grande-Bretagne, l'opinion publique qui estime que le fardeau imposé à l'Allemagne est excessif, ressent de plus en plus de pitié pour l'ennemie de la veille. Après l'arrivée de Mussolini au pouvoir à Rome, puis celle d'Hitler à Berlin, l'Italie hésite entre l'alliance avec la France et l'Angleterre pour contrer l'Allemagne qui menace d'envahir l'Autriche et l'alliance allemande dont le Führer admire le Duce, alliance qui favoriserait l'expansion coloniale italienne en Afrique. La France et l'Angleterre ne parviennent pas à choisir entre les deux périls, le communisme et le nazisme. La situation évolue rapidement entraînant des changements d'alliance inattendus. La diplomatie de l'URSS, pays leader du communisme mondial, serait difficilement compréhensible si on l'analysait en dehors de ce contexte, et abstraction faite de ce qui se passait ailleurs dans un monde en ébullition. 1922: le 3 avril, Joseph Staline est nommé Secrétaire général du PCUS (Parti communiste de l'Union soviétique). Le 16 avril, le traité de Rapallo est signé entre les deux pays parias de l'Europe, l'Allemagne et l'URSS, exclues de la Société des Nations créée à l'issue de la guerre pour promouvoir la paix dans le monde, alors que la guerre se poursuit au Moyen Orient, avec son cortège de massacres et d'épuration éthnique dont sont principalement victimes Grecs et Arméniens. Allemagne et URSS renouent des relations diplomatiques et commerciales. L'Allemagne républicaine reconnaît la caducité du traité de Brest-Litovsk et des clauses secrètes l'autorisent à entraîner en URSS son armée à l'emploi d'armes interdites par le traité de Versailles. Des entreprises allemandes s'installent en URSS pour y fabriquer des armes et des munitions destinées à être exportées en Allemagne. La Russie soviétique, désormais rappochée de l'Allemagne et de la Turquie, n'est plus aussi isolée. La stratégie occidentale du cordon sanitaire a échouée. En conséquence, les pays de l'ancienne Entente (France, Angleterre et Grèce) essuient une série de revers militaires au Moyen Orient dans la guerre qui les oppose à la Turquie kémaliste. En avril-mai 1922, l'URSS participe à la Conférence financière internationale de Gênes. Le problème du remboursement de la dette russe, contractée au temps des tsars, est posé. Les Russes réclament, en compensation, le versement de réparations pour les dommages causés par l'intervention étrangère pendant la guerre civile. Il est impossible de s'entendre sur les termes d'un accord. Les porteurs d'emprunts russes attendront! Le 21 mai, Dziga Vertov crée le journal
Kino-Pravda (cinéma-vérité) du nom d'un
mouvement cinématographique soviétique dont il est la figure
de proue. Les idées de Vertov inspireront des cinéastes Américains
puis Français au début de la seconde moitié du 20ème
siècle.
Une opposition de gauche, qui critique la NEP, s'organise au sein du Parti. La Tchéka, renforcée, devient le Guépéou. En juin-août 1922, un premier grand procès politique condamne à mort 12 socialistes révolutionnaires arrêtés suite à la tentative d'assassinat de Lénine par Fanny Kaplan tandis que d'autres sont condamnés à de lourdes peines de prison. Cent soixante intellectuels contestataires sont expulsés de Russie. Les biens de l'Église sont confisqués et le patriarche Tikhon est assigné à résidence. On compte plus de 200 maisons d'édition non gouvernementales et près de 20% des salles de spectacles et écoles d'art ont été rendues à des particuliers, dans le cadre de la NEP. La galerie Tretiakov voit son fonds doubler du fait des confiscations. Mais les difficultés financières du pays ont amené le gouvernement à vendre sur le marché international des oeuvres majeures du musée de l'Ermitage. Au cours du temps, certains tableaux de ce musée seront transférés à Moscou, nouveau siège du pouvoir, et d'autres dans des musées de province, dans le but louable de rapprocher les arts de la population. Cette politique, qui privera l'Ermitage d'une partie de ses chefs-d'oeuvre, prendra fin en 1934 et laissera au prestigieux musée de Petrograd, devenue Leningrad, un fonds qui en fait encore l'un des plus beaux musées du monde. Le 30 décembre 1922, sur proposition de Staline, l'ancien Empire russe, préservé pour l'essentiel, se transforme en Union des républiques socialistes soviétiques (URSS); cette union est basée sur le principe des nationalités auxquelles on reconnaît le droit de se diriger et de parler leur propre langue. Le nouvel État regroupe les pays issus de l'empire russe où le communisme a triomphé. Lénine, dont la santé se dégrade, réduit progressivement son activité. Il cède la place, contre son gré, à Staline, qu'il juge trop brutal. Le parti bolchevik est rebaptisé Parti communiste russe (bolchevik). En 1922, des grèves éclatent à Hong Kong, colonie britannique en territoire chinois. La Chine, à laquelle les pays de l'Entente ont préféré le Japon à l'issue de la Grande Guerre, a ressenti vivement cet abandon humiliant. Le Japon évacue les derniers territoires qu'il occupait en Sibérie. 1923: création de la République socialiste soviétique autonome de Bouriatie et de Mongolie avec Verkhneoudinsk comme capitale. La constitution de l'URSS est adoptée après discussion du projet par les soviets des différentes républiques. La Russie adopte le calendrier grégorien. Mais les fêtes religieuses continuent à dépendre du calendrier julien et les événements passés sont commémorés également selon ce calendrier. La révolution d'octobre est ainsi toujours célébrée en novembre. En 1923, des émeutes ont lieu à Shanghai ou les produits anglais et japonais sont boycottés tandis que des conseillers soviétiques arrivent en Chine. 1924: le 21 janvier, Lénine meurt. Il était à demi paralysé et ses derniers jours furent certainement très douloureux. Le culte de sa personnalité va être développé autour de sa dépouille, pour des raisons de stratégie politique, par son successeur. Pour perpétuer la mémoire du défunt, un mausolée est édifié où sa dépouille mortuaire soigneusement protégée sera déposée. Des foules recueillies et respectueuses s'y presseront. Staline y trouvera brièvement une place quand son heure sera venue. C'est une orientation que le premier dirigeant de la Révolution n'aurait certainement pas approuvée. La lutte pour la succession oppose Trotsky, Zinoviev, Kamenev et Staline. Trotsky, qui accepterait l'existence de tendances au sein du Parti, dénonce la bureaucratisation du régime; partisan de l'industrialisation, de la lutte contre les koulaks et de la propagation de la révolution hors des frontières de l'URSS, alors que Staline refuse les aventures extérieures et souhaite maintenir la NEP, Trotsky prend la tête de l'opposition de gauche. Certain que personne n'osera réclamer sa tête, il menace publiquement ses adversaires de les faire fusiller au cours d'un discours. Staline s'allie à Zinoviev et Kamenev pour évincer Trotsky du gouvernement. Il distribue à des ouvriers de nombreuses cartes du parti ce qui modifie profondément la composition de celui-ci. D'un parti d'intellectuels et de révolutionnaires professionnels le parti communiste bolchevik se transforme en parti de masse au sein duquel Trotsky et ses partisans se trouvent bientôt isolés. Le 19 août, Staline propose habilement de démissionner de son poste de secrétaire général du PC, proposition qui est rejetée par les instances du parti. On pense au départ volontaire d'Ivan le Terrible rappelé bientôt par son peuple! L'opposition entre Staline et Trotsky sur l'instauration du socialisme dans un seul pays ou la propagation de la révolution au niveau mondial va favoriser d'importants changements au sein de l'URSS et à l'extérieur. Les partisans de la première option, défendue par Staline, pensent que l'expérience des échecs révolutionnaires essuyés en Allemagne et en Hongrie montrent que l'espérance d'un soulèvement du prolétariat mondial est chimérique et ne peut que conduire à la défaite du socialisme dans une URSS militairement incapable de faire face à l'hostilité généralisée des pays capitalistes. Ils estiment, au contraire, que la paix, et une politique appropriée, peuvent permettre à l'URSS, compte tenu de son immensité et de ses énormes ressources, un développement spectaculaire qui alimentera la propagande en faveur d'une évolution progressiste de l'humanité. Les pays capitalistes, que la fin de la guerre n'a pas réconciliés, n'auront plus à redouter l'expansion d'un communisme devenu moins agressif, et les conflits qui ne manqueront pas de réapparaître entre eux, permettront d'envisager de nouvelles alliances. Au plan intérieur, sans abandonner l'internationalisme prolétarien, celui-ci devra cependant s'édulcorer quelque peu au profit d'un renouveau "nationaliste", le patriotisme soviétique, s'appliquant à l'espace eurasiatique contrôlé par Moscou. Cette renaissance russe, au cours des années qui suivent, va rencontrer des échos dans l'immigration russe et la diviser. Une partie de ceux qui ont fui les Bolcheviks vont se rapprocher de la Russie de Staline, certains reviendront dans leur pays, d'autres resteront à l'étranger pour servir ses intérêts, parfois même en participant à des activités d'espionnage, même si la plupart des immigrés resteront anticommunistes. Le 2 février 1924, le gouvernement travailliste de Grande-Bretagne reconnaît l'Union soviétique. Le 28 octobre, grâce à l'influence d'Anatole de Monzie, artisan du rapprochement, le gouvernement d'Edouard Herriot reconnaît l'URSS mais le développement de relations normales est freiné par la question du remboursement des emprunts russes détenus par de nombreux épargnants français. La reconnaissance n'est donc pas accompagnée d'un accord commercial qui, dans le cadre de la NEP, aurait permis le développement des échanges entre les deux pays. En 1924, la première représentation commerciale de l'Union soviétique aux États-Unis, établie à New York, voit le jour. C'est l'Amtorg Trading Corporation, plus connue sous le nom d'Amtorg (abréviation du nom russe Amerikanskaya Torgovlya). En décembre 1924, une tentative révolutionnaire d'inspiration communiste échoue en Estonie. La Société des Matérialistes militants est créée pour combattre l'idéologie bourgeoise. Léningrad est victime d'une troisième inondation, après celles de Saint-Pétersbourg, en 1724 et 1824. La prochaine aura-t-elle lieu en 2024? En 1924, le Kuomintang, dirigé par Sun Yat Sen, est réorganisé selon le modèle bolchevik sous l'influence du Russe Borodine et des représentants du PC chinois participent à son congrès. 1925-1930: reconstruction sous son aspect initial de la cathédrale de Kazan, à Moscou. 1925: le patriarche Tikhon, mort le 7 avril, n'est pas remplacé; le métropolite Pierre est arrêté; son successeur, le métropolite Serge, et huit archevêques seront contraints de déclarer leur loyauté au pouvoir soviétique. Le 13 mai 1925, le Turkménistan (Asie centrale) entre dans l'URSS. Novonikolaïsk est rebaptisée Novossibirsk. L'Académie des sciences de Russie devient l'Académie des sciences de l'URSS. La recherche est stimulée. En 1925, des émeutes anti-anglaises secouent les grandes villes du sud de la Chine: la police britannique tire sur des grévistes à Shanghai. Sun Yat Sen, auréolé du prestige que lui doivent les avantages obtenus lors des négociations avec les Soviétiques pour liquider l'héritage tsariste, est reconnu comme leader par Pékin, juste avant sa mort. Tchang Kai-chek (ou Tchang Kaï Chek) lui succède à la tête du Kuomintang. Des incidents se produisent entre nationalistes et communistes. Du 5 au 16 octobre, est négocié le Pacte de Locarno, signé par l'Allemagne, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne et l'Italie, lequel garantit l'inviolabilité des frontières germano-belge et germano-française. L'Allemagne, la France et la Belgique acceptent de régler pacifiquement leurs différends. En conséquence, les vainqueurs de la Première Guerre mondiale évacuent la Rhénanie. 1926: Staline, considéré comme un centriste favorable à la NEP, est soutenu par Boukharine pour écarter du Bureau politique et du Komintern Trotsky, Zinoviev et Kamenev qui se sont réconciliés. Le 24 avril 1926, l'URSS et l'Allemagne concluent un traité selon lequel chaque partie s'engage à rester neutre dans le cas où l'autre partie serait attaquée. Archinov, réfugié en France, est l'auteur d'une "Plate-forme organisationnelle de l'union générale des anarchistes" laquelle provoque un débat dans le mouvement libertaire russe en exil et l'oppose vivement à Voline, un autre anarchiste russe, l'un des fondateurs du soviet de Saint-Pétersbourg en 1905 qui combattit les bolcheviks aux côtés de Makhno en Ukraine en 1919. Le 20 juillet décède Dzerjinski, le fondateur de la tchéka, chef de l'OGPU, futur NKVD. Il sera remplacé par Menjenski. Le 8 septembre 1926, l'Allemagne est admise
à la Société des Nations avec le soutien de la France.
Le 30 septembre est créée l'Entente internationale de l'acier
comprenant des sidérurgistes français, allemands, belges
et luxembourgeois, presque une anticipation de la CECA! Le rapprochement
franco-allemand, impulsé par Aristide Briand et Gustav Stresmann,
est perçu en France comme un gage de paix et, par beaucoup d'Allemands,
comme une trahison de plus. Ce rapprochement n'est pas exempt d'arrière-pensées
: on espère en Occident qu'il affaiblira les liens entre l'Allemagne
et l'URSS.
En 1927, la répression anti-communiste par le gouvernement nationaliste de Tchang Kai-chek s'étend à toute la Chine, avec la complicité des autorités coloniales. Des soulèvements communistes se produisent; c'est le début de la guerre civile qui se terminera en 1949 par le triomphe des communistes. Les activités du Komintern, en Occident, mais aussi en Chine, amènent le gouvernement conservateur anglais à rompre ses relations économiques avec l'Union soviétique. La France déclare persona non grata l'ambassadeur soviétique Rakovsky, un révolutionnaire roumain d'origine bulgare réfugié en Russie après la Révolution, qui se rallia au parti bolchevik vers la fin de 1917, et figure parmi l'aile gauche de ce parti; le 23 avril, à Constantine, le ministre français de l'Intérieur, Albert Sarraut, s'en prend violemment au PCF qu'il accuse de trahison, notamment en raison de sa propagande anticolonialiste. La stratégie "classe contre classe", qui conduit les PC à refuser toute alliance avec la gauche réformiste, isole le mouvement communiste du reste de la société. Le 7 juin, l'ambassadeur soviétique à Varsovie, Voïkov, un des responsables de l'assassinat de la famille impériale, est blessé à mort par un monarchiste russe. En Occident, où la sortie de la guerre a créé des difficultés économiques et financières, la peur d'une contagion communiste est plus présente que jamais, tandis que la tension monte dans les Balkans entre l'Italie fasciste et le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Le jour de l'assassinat de Voïkov à Varsovie, une bombe explose au sièce du parti communiste de Leningrad. Tous ces événements sont perçus en Union soviétique comme une menace de guerre et ils sont de nature à pousser les dirigeants soviétiques vers une accélération de la politique d'industrialisation du pays et à sévir contre les partisans du tsarisme. Staline appelle le parti à des représailles contre les privilégiés du tsarisme : chaque agression contre des représentants du pouvoir soviétique sera suivie d'exécutions de monarchistes. 1928 (ou 1926): grâce à la NEP,
la production agricole et industrielle a retrouvé en Russie son
niveau d'avant-guerre; la production des biens de consommation progresse
et les cartes d'alimentation peuvent être supprimées.
La planification étatique de l'économie voit le jour : elle vise à industrialiser l'URSS à marches forcées; c'est presque la politique de Trotsky, sans lui. Ses concurrents éliminés, Staline reprend leur politique à son compte, peut-être sous la pression des événements internationaux, comme on l'a dit plus haut! Treize plans quinquennaux vont se succéder, avec des succès divers, jusqu'en 1991. La planification restera une des constantes fondamentales du régime à travers les changements de personnel politique. 1928-1933: premier plan quinquennal : l'accent est mis sur l'industrie lourde. Le potentiel militaire moderne de l'Armée rouge est renforcé (chars, artillerie, avions). Staline pense inévitable une confrontation avec les pays capitalistes. Les plans quinquennaux vont favoriser la mise en valeur des régions défavorisées comme la Sibérie. En Occident, on insistera sur le manque des sincérité des statistiques qui rapporteront leurs résultats. Ceux-ci ont sans doute été quelque peu gonflés pour satisfaire le pouvoir. Mais il n'en demeure pas moins qu'ils contribuèrent fortement à accélérer l'industrialisation de cet immense pays. 1928: la politique de collectivisation des campagnes, abandonnée sous la NEP, est reprise. Cette politique réorganise la production agricole en kolkhozes (coopératives) et sovkhozes (fermes d'État). Elle implique la disparition des koulaks. En théorie, elle devrait être volontaire et se réaliser sans contrainte par la libre adhésion des cultivateurs. En réalité, elle devient vite forcée, et se heurte à une vive opposition du monde paysan. Une mission communiste bouriate est envoyée au Tibet. La diplomatie soviétique continue celle du tsar. 1929: le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes prend le nom de Yougoslavie. Le roi Alexandre 1er suspend la constitution et en devient le dictateur. Les mesures qu'il va prendre viseront à créer une identité nationale commune par delà les différences ethniques. Cette politique ne réduira nullement les tensions internes, au contraire. Le 7 janvier, un avocat de Zagreb, Ante Pavelic, crée le mouvement oustacha qui vise à obtenir l'indépendance de la Croatie. Pavelic est un admirateur de Mussolini. Il obtient le soutien de ce dernier moyennant promesse d'octroi de la Dalmatie à l'Italie. Il est également soutenu par le régent Horthy de Hongrie. Partisans de la violence, les Oustachis vont se livrer à des attentats en Yougoslavie et ailleurs. Des camps d'entraînement leurs sont ouverts en Italie et Hongrie. Au cours de la décennie 1930, l'idéologie oustacha se radicalise en un mélange de fascisme, de nazisme (anti-juif et anti-christianisme orthodoxe), d'ultra-nationalisme croate, et de fondamentalisme catholique romain. En URSS, les logements sont nationalisés. L'État devient propriétaire du parc immobilier. Trotsky est banni d'URSS; il se réfugiera au Mexique. Le PC russe commence à être épuré de ses éléments indésirables (arrivistes, déviationnistes...). Staline se débarrasse des communistes qui lui déplaisent en utilisant habilement les rivalités de la droite et de la gauche du Parti. La décision a été prise de transformer la Russie en une grande puissance industrielle, et l'accent est mis, on l'a dit, sur l'industrie lourde, socle indispensable d'une ambition industrielle. Des Occidentaux seront sollicités et les résultats de leur intervention seront loin d'être négligeables. Le progrès sera d'abord spectaculaire mais la croissance s'essoufflera par manque de capitaux. On se procurera ceux qui manquent par une surexploitation des campagnes, que la collectivisation rend possible, en permettant à l'État, intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs, de capter les profits d'un échange biaisé par des tarifs favorables à la formation du capital public. La paysannerie est victime de lourds prélèvements sur ses récoltes pour financer l'industrialisation, notamment par les exportations de céréales, qui paieront l'achat de machines étrangères, en attendant d'en fabriquer en URSS. Elle se voit ainsi privée, non seulement de moyens de subsistance suffisants, mais également des aliments pour son bétail, et même de la semence nécessaire pour assurer les récoltes à venir. Les effets négatifs de cette politique sont aggravés par la crainte des responsables locaux qui, pour masquer l'échec de la collectivisation, gonflent artificiellement les statistiques, et c'est donc à partir de bases d'imposition majorées que sont établis des prélèvements dont le taux est déjà excessif. Enfin, la mécanisation de l'agriculture, qui devait aller de pair avec la collectivisation, et sur laquelle comptait le pouvoir pour améliorer la productivité, est retardée par le manque de tracteurs fabriqués en URSS, et il faut en faire venir à grands frais des USA. Le coût en devises est élevé et le pouvoir soviétique, selon Krivitsky, un espion soviétique qui se réfugiera plus tard aux États-Unis, aurait tenté de financer cette entreprise en fabriquant de faux billets de cent dollars parfaitement imités. De juillet à décembre 1929, un conflit armé oppose l'URSS à la Chine, représentée par un seigneur de la guerre dans un pays divisé, à propos du chemin de fer chinois de l'Est (CER) géré conjointement par les deux pays depuis un accord du 31 mai 1924. Outre des incidents de frontière, tout commence par des émeutes antisoviétiques à Harbin, capitale de la Mandchourie, où le consulat soviétique est pris d'assaut en juillet. Les Chinois arrêtent le directeur général du CER ainsi que des ressortissants soviétiques. Les Soviétiques usent de représailles en arrêtant à leur tour des Chinois en URSS; ils adressent une protestation à la Chine, le 13 juillet; celle-ci reste sans réponse. Le 19 juillet, l'URSS suspend ses relations diplomatiques avec la Chine, expulse les diplomates chinois et ferme la ligne ferroviaire. Les fonds de la compagnie sont transférés à New-York. Des démonstrations militaires d'intimidation ont lieu contre les Chinois. Le 6 août, l'URSS se prépare à une action militaire. Celle-ci débute le 17 août et dure jusqu'à fin novembre. Le 17 novembre une puissante armée soviétique envahit la Mandchourie. Les forces chinoises sont sévèrement battues. Le gouvernement nationaliste de Nankin (Tchang Kai-chek) décide d'ouvrir des négociations de paix le 26 novembre. Le 13 décembre est signé le protocole Khabarovsk qui restaure le statu quo ante de 1924. Cette victoire soviétique crée la surprise en Occident où l'on pensait que l'Armée rouge, décimée par la guerre civile et la guerre russo-polonaise, ne disposait plus que de capacités militaires limitées. Le jeudi 24 octobre, la bourse de New-York commence sa descente aux enfers! C'est la conséquence d'une spéculation effrénée et d'un endettement excessif de la société américaine induites par l'idéologie libérale au plan économique qui domine alors la plupart des grands pays du monde, à l'exception de l'URSS. Partie d'Amérique, la vague de régression économique et de chômage de masse va gagner les pays européens qui seront affectés à des degrés divers, le plus touché étant l'Allemagne. Une remise en cause de l'idéologie libérale va voir le jour en Grande-Bretagne: le keynésianisme; il préconise un interventionnisme étatique contra cyclique. La crise donne un second souffle aux partis communistes, mais aussi aux mouvements d'extrême-droite. Elle portera Hitler au pouvoir en Allemagne. La sortie de cette crise s'effectuera par le réarmement (Autoroutes en Allemagne, Ligne Maginot en France...), puis par la guerre. On l'a vu, des germes de conflit existaient dans le traité de Versailles, mais la situation politique internationale s'était améliorée depuis. La crise relance les nationalismes et c'est elle qui sera l'événement déclencheur de la Seconde Guerre mondiale. Le 27 décembre 1929, Staline officialise la politique "dékoulakisation" qui vise à éliminer tous les gros propriétaires fonciers. 1930: le Transsibérien étant jugé trop proche de la frontière chinoise, la construction d'une nouvelle ligne plus au nord est décidée. Le musée régional d'ethnographie de Krasnoïarsk, de style néo-égyptien, ouvre ses portes. Le rythme de la collectivisation des campagnes doit être ralenti compte tenu de son insuccès. Molotov, un ami de longue date de Staline, est nommé Président du Conseil des commissaires du peuple, ce qui en fait le N° 2 du régime. Staline fait des Scythes les ancêtres des Russes, thèse contestable sur le plan scientifique, mais qui présente l'avantage de justifier politiquement l'existence de l'Union soviétique, à cheval sur l'Europe et l'Asie, immense pays où cohabitent plus de 150 ethnies différentes. Le 14 avril, le poète futuriste Vladimir
Maïakovski, qui a activement participé à l'agitation
révolutionnaire, se suicide. Sa lettre d'adieu laisse supposer que
son geste à des origines sentimentales. Pourtant sa mort volontaire
sera également interprétée comme une critique du tournant
pris par la révolution. Il a droit à des obsèques
nationales, et Trotsky, dans un article publié en mai 1930, impute
ce suicide au carcan bureaucratique qui est imposé aux écrivains
et artistes soviétiques pour en faire une machine de guerre contre
Staline sans le nommer. Staline, cependant, fera de Maïakovski le
poète le plus talentueux de l'époque soviétique. Voici
un extrait critique de ce poète :
En avril 1930, l'Union soviétique, par le biais de l'Amtorg, où travaillent des agent du Guépéou, et sous le couvert d'achat de matériel agricole, acquiert, sans l'aval des autorités américaines, deux chars à la société Christie créée par un inventeur américain, John Walter Christie, esprit brillant mais caractère difficile, qui ne fera jamais affaire avec l'armée de son pays! A partir de ces modèles, les Soviétiques conçoivent la série des chars BT (Bistry tank : char rapide) qui, à la suite de déclinaisons, aboutira pendant la Seconde Guerre mondiale au célèbre T34. Au cours de la décennie, les ouvriers,
qui ont largement profité de la politique d'éradication de
l'analphabétisme, vont participer à l'encadrement du prolétariat
issu du monde agricole qui vient renforcer l'industrie stimulée
par les plans quinquennaux. La formation scientifique se développe
et le nombre des spécialistes de haut niveau et de niveau moyen
est multiplié par 4 et 5. De grands savants s'illustrent par leurs
découvertes, Kapnine en microphysique, Tsiolkovsky, dans le domaine
des fusées, Lebedev pour le caoutchouc synthétique, Mitchourine
en arboriculture... Mais, en même temps, la culture et les arts sont
repris en mains pour combattre les ennemis de classe; des artistes et écrivains
sont arrêtés et l'activité culturelle se fige dans
ce que l'on a appelé le réalisme socialiste et qui,
par bien des côtés, fait penser à l'art pompier
de la bourgeoisie occidentale, ce qui ne signifie pas que toutes les oeuvres
sont dépourvues d'intérêt artistique. Toutes les activités
humaines, le sport en tête, sont orientées vers la glorification
du pays du socialisme. Au fur et à mesure que l'on se rapproche
de la guerre, Staline retrouve le chemin de la tradition. Il revient sur
des réformes sociétales du début de la révolution.
La famille est réhabilité; l'avortement est interdit; l'homosexualité
est réprimée. Le nationalisme russe est réhabilité
au détriment de la politique des nationalités et de l'internationalisme
prolétarien. La propagande magnifie l'héritage national (Alexandre
Nevsky, Dimitri Donskoï, Souvorov, Koutouzov, Ivan le Terrible, Pierre
le Grand... sont à nouveau à l'honneur); le cosmopolitisme
occidental est fustigé. Les grades sont rétablis dans l'armée,
dont celui de maréchal.
1931: la cathédrale du Saint-Sauveur de Moscou est dynamitée pour construire à sa place un Palais des Soviets qui ne verra jamais le jour; après la Seconde Guerre mondiale on ouvrira une piscine à son emplacement. La cathédrale Saint-Basile échappe de peu à la destruction pour dégager la Place Rouge. La cathédrale Saint-Isaac de Léningrad est transformée en musée antireligieux. La ligne de chemin de fer Turksib, qui relie la Sibérie au Turkestan, afin de favoriser l'intégration à l'U.R.S.S. des républiques d'Asie centrale, entre en service. La décision est prise de doter Moscou d'un métro. La population de Moscou a doublé depuis 1914. La nécessité d'un métro devient évidente. Mais ce sera aussi un élément de prestige de la jeune république des soviets. Construit en grande partie par les komsomols (jeunesses communistes), il sera conçu comme un palais du peuple. Staline, conscient des privations que l'industrialisation à marche forcée impose à la population, estime devoir en compensation lui donner de la fierté. Le métro, ce moyen de transport collectif, sera donc le plus beau du monde, en plus d'être utile. Environ 18 000 Américains, dont plusieurs centaines de Noirs, touchés par la crise qui sévit dans leur pays, émigrent vers l'Union soviétique, parfois pour des raisons idéologiques, mais la plupart du temps pour des motifs économiques. Ces nouveaux venus, souvent hautement qualifiés, sont bien accueillis. Sous le régime de Staline, ils jouiront d'une situation beaucoup plus favorable, surtout les Noirs, que leurs descendants après la chute de l'URSS, lorsque la Russie connaîtra un regain de racisme. D'autres étrangers imigrent en Union soviétique pour fuir la crise, dont des Allemands, qui ne se doutent pas que certains d'entre eux vont être plus tard soupçonnés d'espionnage au profit des nazis. Le 18 septembre, les forces japonaises attaquent la Mandchourie. La Société des Nations (SDN) proteste, ce qui entraînera le départ du Japon de cet organisme. Ce pays asiatique reproche surtout à la SDN de faire la part trop belle aux pays européens. L'URSS tente d'entrer en négociation avec le Japon pour sécuriser sa frontière avec lui. Mais Tokyo, dont la politique est foncièrement anticommuniste et qui a toujours des vues sur la Sibérie, fait la sourde oreille. 1932: Le 21 janvier, l'URSS signe avec la Finlande un pacte de non agression qui sera renouvelé en 1934. Depuis l'indépendance de la Finlande et la tentative de révolution communiste écrasée par les armes avec une intervention allemande, ces deux États voisins ne sont pas en bons termes. Ce pacte de non agression vient compléter ceux signés avec les Pays baltes un peu plus tôt. Le 6 mai, le président de la République française, Paul Doumer, est assassiné par un exilé russe, Gorgulov. Suivant l'opinion politique de chacun, les Français y voient un complot communiste ou un complot fasciste. En fait Gorgulov, un exalté, voulait faire pression sur la France pour l'amener à déclarer la guerre à l'URSS. Le 3 avril, Le Journal publie en France un article sur 331 mennonites russes, de descendance allemande et dont les ancêtres vinrent en Russie sous Catherine II, arrivés à Paris, après avoir fui l'URSS pour se rendre au Paraguay, par suite de la confiscation de leurs terres et des lourdes taxes qui leur étaient imposées dans le cadre de la collectivisation et de la lutte contre les koulaks. En URSS, les écrivains et les poètes se réunissent dans une association unique qui compte 2 500 membres; ils seront ainsi plus facilement contrôlables par le Parti. Le musée des Beaux-Arts Alexandre III devient le musée d'État des Beaux-Arts. Le 25 juillet 1932, un pacte de non agression est signé entre la Pologne et l'URSS, pour une durée de trois ans. Le 16 septembre, l'Allemagne se retire une première fois de la Conférence sur le désarmement. La volonté de paix de la décennie précédente est en train de céder la place à la préparation d'une nouvelle guerre. La crise est passée par là et, en réalité, les pays européens, pour des raisons diverses, ne sont pas enclins à baisser la garde: l'Angleterre tient à sa marine, indispensable au maintien d'un empire dont Gandhi agite l'Inde, l'Allemagne rêve de revanche, l'Italie souhaite conquérir des colonies, la France veut garder les siennes secouées par des troubles (Maroc et Indochine) et être prête à affronter à nouveau l'Allemagne le cas échéant, l'URSS craint toujours une nouvelle attaque des pays impérialistes... tandis qu'en Orient le Japon envahit la Chine. Le 9 novembre, la seconde épouse de Staline, Nadejda Sergueïevna Allilouïeva, décède officiellement d'une crise d'appendicite, en réalité d'un coup de revolver en plein coeur! Plus jeune que son mari de 23 ans, elle souffrait de troubles psychiatriques et aurait eu avec celui-ci une violente querelle de jalousie avant ce fatal événement. Elle a droit à de grandioses obsèques. C'était probablement la seule personne qui osait reprocher au maître de l'URSS de se conduire davantage en bourreau qu'en chef d'État. S'il faut en croire Molotov, Staline, très affecté, pleure sur la dépouille de son épouse et murmure: "Je n'ai même pas eu le temps de l'emmener au cinéma!" 1932-1933: la politique de collectivisation des campagnes cause des troubles, accompagnés parfois d'assassinats des partisans du régime, et une importante baisse de la production. Elle entraîne l'abattage des animaux, une rétention des récoltes, des moissons clandestines effectuées de nuit par des enfants qualifiés de coiffeurs, qui coupent les épis, et de brutales mesures de la part des autorités, des réquisitions qui ne font qu'aggraver le problème. La révolte est parfois attisée par le gouvernement polonais. Les campagnes sont désertées par des foules de paysans qui viennent encombrer les villes. Des passeports intérieurs sont délivrés afin de limiter le droit de déplacement des paysans. Des actes de cannibalisme sont dénoncés tandis que la violence et la criminalité s'installent dans les villages. Comme en 1891-1892, la Russie, et surtout l'Ukraine, connaîssent une nouvelle famine d'autant plus grave qu'elle se conjugue avec la récession mondiale; on lui donnera plus tard le nom d'Holodomor. De nombreuses personnes accusées de sabotage ou d'accaparement sont arrêtées. Les koulaks, par familles entières, sont déportés en Sibérie. On estime que 3 à 8 millions de personnes ont péri victimes de ces événements. Il est certainement exagéré d'affirmer, comme certains n'hésitent pas à le faire, que Staline a voulu et planifié la famine, même s'il n'est pas impossible que l'arme de la faim ait été utilisée pour lutter contre les velléités d'indépendance de l'Ukraine. La famine, pour l'essentiel, a été la suite inévitable de la collectivisation, elle-même conséquence de l'industrialisation accélérée dans un contexte international lourd de menaces guerrières. Staline n'ignorait certainement pas ce qui se passait. Il est resté délibérément sourd à toutes les plaintes montant jusqu'à lui des campagnes, via notamment son épouse, et a persisté impitoyablement à privilégier la réalisation du plan, quitte à laisser mourir de faim une importante partie de la population soviétique. Plus tard, il dira à Churchill que cette période fut pour lui plus difficile encore que celle de la Seconde Guerre mondiale. Le résultat fut catastrophique : une production en chute libre, un cheptel détruit... l'agriculture soviétique ne s'en remit pratiquement jamais. Mais sans l'industrialisation à marches forcées, l'URSS aurait-elle été capable de résister pied à pied à l'armée allemande entre 1941 et 1942? Une révolte, conduite par l'émir de Khotan, Mehmet Emin Bughra, éclate dans les oasis du bassin du Tarim (Sinkiang). Les rebelles, conservateurs et modernistes (jidad), s'entendent pour créer une République islamique du Turkestan oriental, à Kashgar; cette république est fondée sur l'application de la sharia. Elle est écrasée par Ma Zhongying, avec l'aide des Soviétiques. Sheng Shicai remplace, à la tête de la région, Jin Shuren qui a pris la fuite; proche de Tchang Kai-shek, il s'allie aux soviétiques. La répression du nationalisme musulman est d'autant plus vive que Staline redoute ses conséquences dans les républiques d'Asie centrale et qu'il craint les menées du Japon qui flatte les musulmans pour les dresser contre la Chine. La renaissance ouïgoure est encouragée par les Soviétiques, comme celle des autres minorités, en application du principe des nationalités; des nationalistes perçoivent le danger de cet encouragement des particularismes qui menace l'unité nationale naissante; conservateurs et réformistes se séparent. L'U.R.S.S. prend pied dans la région, en exploite les ressources et forme de jeunes Ouïgours dans ses universités; ces derniers, de retour dans leur patrie, y propagent l'idéologie communiste. 1933-1938: deuxième plan quinquennal en URSS: de grands centres industriels seront créés (Magnitogorsk, Novo-Toula, Tchéliabinsk...) dont le rôle sera décisif entre 1941 et 1945. L'accent est mis sur la productivité (stakhanovisme) et les infrastructures (canaux de la mer Blanche et de la Moskva à la Volga). L'émulation socialiste, une adaptation communiste du taylorisme, fait son apparition, incarnée par le mineur Stakhanov. 1933: le 30 janvier Hitler devient chancelier du Reich. Le parti nazi a pourtant perdu des voix aux élections précédentes. Mais l'Allemagne est ingouvernable et le président Hindenburg, jusque là hostile à l'arrivée au pouvoir de celui qu'il qualifie de "caporal de Bohême", subit une forte pression de la part des milieux d'affaires qui redoutent par dessus tout l'essor d'un parti communiste qui gagne du terrain dans une population en proie aux très graves difficultés causées par la crise économique. Hindenburg espère qu'il pourra modérer Hitler placé à la tête d'un gouvernement de coalition. En France, l'avènement du nazisme au pouvoir est perçu, dans certains milieux d'affaires d'extrême-droite (François Coty, par exemple), comme une chance donnée à l'Allemagne de sauver l'Europe du bolchevisme. On y voit déjà une machine de guerre future contre l'URSS. Ce point de vue est partagé dans quelques cercles de l'opinion publique britannique; Lloyd George, ancien Premier ministre, comparera Hitler à Washington; aux USA, des personnages importants, comme Ford, seront des admirateurs du Führer. Le 27 février, un incendie criminel détruit le Reichstag. Un jeune maçon hollandais, Marinus van der Lubbe, est arrêté et sera condamné à mort. Hitler dénonce un complot communiste. En fait, on saura plus tard que le sinistre a probablement été volontairement causé par son propre camp pour fournir le prétexte à une sorte de coup d'État légal. Le 23 mars, après de nouvelles élections législatives, Hitler obtient les pleins pouvoirs. Des milliers de communistes sont arrêtés et envoyés dans des camps de concentration qui viennent tout juste d'être créés. L'Allemagne sombre dans la dictature. En mai, de nouvelles tensions surviennent au sujet du Chemin de fer chinois de l'Est (CER). Mais cette fois, c'est le Japon, qui fait face à l'URSS; il contrôle désormais la Mandchourie. Cela va obliger Moscou à maintenir des forces importantes en Extrême-Orient alors qu'à l'Ouest une autre menace a surgi avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne. En octobre 1933, le Bulletin de l'opposition publie un appel signé du parti ouvrier socialiste allemand, du parti socialiste indépendant de Hollande, du parti socialiste révolutionnaire de Hollande, de l'opposition bolchevique russe, en faveur de la prochaine constitution d'une 4ème Internationale, appel que Trotsky commente ainsi: "Il n'y a plus de parti bolchevik. La réforme du parti communiste russe est devenue une impossibilité... L'État ouvrier ne peut être sauvé que par le mouvement révolutionnaire mondial... L'Internationale communiste est morte pour la révolution." Il rendra un peu plus tard la politique soviétique responsable de l'accession de Hitler au pouvoir. Le 14 octobre 1933, l'Allemagne hitlérienne, se heurtant au refus des puissances européennes d'accepter ses demandes de parité militaire, quitte définitivement la table des négociations sur le désarmement de Genève. LA SDN perd un autre de ses membres. Le 17 novembre 1933, les États-Unis, dont Franklin Roosevelt est président depuis le 4 mars, reconnaissent l'Union soviétique qui a déjà été reconnue par la France, l'Italie, la Grande-Bretagne et le Japon quelques années plus tôt. 1934: Le 26 janvier, un pacte de non agression est signé entre la Pologne et l'Allemagne hitlérienne. C'est le pendant du pacte signé avec l'URSS en 1932. La Pologne mène une politique d'équilibre entre ses deux puissants voisins. Et Hitler, malgré les voeux d'une partie de la population allemande, qui souhaite le retour à l'Allemagne des territoires cédés à la Pologne par le traité deVersailles, feint de renoncer à cette revendication dans l'espoir que le pacte facilitera la remilitarisation allemande en dissociant la Pologne de la France. Le 17ème Congrès du PC de l'URSS (26 janvier-10 février) voit le triomphe absolu de Staline sur ses adversaires internes. L'assassinat de Kirov, le dirigeant communiste le plus populaire à cette époque, tout en supprimant un concurrent potentiel, lui fournit le prétexte pour prendre des mesures visant à accélérer la procédure d'enquête et de condamnation des suspects d'activités terroristes contre le régime. Kamenev et Zinoviev sont arrêtés. Leurs partisans sont pourchassés. Le 6 février 1934, dans une ambiance délétère causée par des scandales politico-financier, les ligues françaises d'extrême-droite manifestent à Paris et menacent de prendre d'assaut le Palais Bourbon où siège l'Assemblée nationale. Des heurts violents ont lieu; on déplore des dizaines de morts et des milliers de blessées. Cette manifestation insurrectionnelle contre le limogeage du préfet de police Jean Chiappe à propos de l'affaire Stavisky, est suivie le 12 février par des manifestations communistes et socialistes séparées qui se réunissent spontanément, ce qui marque symboliquement en France la fin de la politique "classe contre classe" et l'amorce d'un Front populaire. Le 5 mai 1934, le pacte de non agression soviéto-polonais est prolongé jusqu'au 31 décembre 1945. Dans la nuit du 16 au 17 mai 1934, le poète
Ossip Mandelstam est arrêté chez lui. Il périra dans
un camp deux ans plus tard. Voici une épigramme qu'il avait écrite
contre Staline:
En juillet 1934, un coup de force fomenté depuis Berlin échoue à renverser le gouvernement autrichien et à annexer l'Autriche au Reich allemand; le chancelier autrichien Dollfus est assassiné. Cette initiative mécontente Mussolini, modèle d'Hitler mais aussi ami de Dollfus, qui s'oppose à une annexion de l'Autriche. Le dictateur italien masse des troupes au col du Brenner. Hitler, qui redoute à ce moment un conflit auquel il n'est pas préparé, fait profil bas. Le 10 juillet 1934, Iagoda est nommé à la tête du NKVD à la place de Menjinski décédé le 10 mai. Menjinski, révolutionnaire d'origine polonaise, est probablement mort empoisonné. Quant à Iagoda, il sera fusillé le 15 mars 1938. Le 2 août 1934, le président Hindenburg décède. Hitler s'octroie les fonctions de président qu'il cumule avec celles de chancelier. Il est désormais le maître absolu de l'Allemagne. En août, au premier congrès de l'Union des écrivains soviétiques, Maxime Gorki lit une communication consacrée à la finalité de la littérature. Les écrivains sont promus au rang d'ingénieurs des âmes, pour reprendre une expression de Staline. Cholokhov et Fadeiev seront les principaux représentants de cette littérature fidèle aux canons du réalisme socialiste inspiré par Gorki, Jdanov et Radek. Elle donnera des oeuvres qui sont loin d'être toutes médiocres; on se bornera à citer Et l'acier fut trempé d'Ostrovski et Le Don paisible de Cholokhov. Le réalisme socialiste doit représenter fidèlement la réalité, tout en se montrant enthousiaste en ce qui concerne la construction du socialisme, l'objectif à atteindre n'étant rien de moins que la création d'un homme nouveau. Le 1er octobre, Hitler porte l'effectif de son armée à 300 000 hommes, crée une aviation illégale au terme des traités, et renforce sa marine. Le 9 octobre, Alexandre 1er de Yougoslavie est assassiné à Marseille par des activistes oustachis alliés à des indépendantistes macédoniens. Le ministre français Louis Barthou est également tué lors de cet attentat. Mussolini conseille à Ante Pavelic de se montrer plus discret! Verkhneoudinsk est rebaptisée Oulan Oude (Oude la Rouge). La Russie soviétique commence à pénétrer le Sinkiang, comme base de départ pour approvisionner en armement les troupes chinoises en prévision d'un conflit avec le Japon, avec l'accord du seigneur de la guerre Yuan Shikai. Ce conflit très confus renforce l'influence russe dans la région et, par le jeu des alliances, les troupes soviétiques y combattent dans le même camp que des forces blanches monarchistes réfugiées là. Au cours de l'année, Radek est chargé de rédiger des articles pour la presse soviétique destinés à montrer au monde que l'URSS est disposée à se détourner de l'Allemagne. En fait, selon Krivitsky, Staline souhaite ainsi faire pression sur une Allemagne de plus en plus réticente, pour que les liens économiques et militaires fructueux qui existaient entre l'Union soviétique et l'Allemagne de Weimar soient préservés. Staline, conscient de la force de l'Allemagne hitlérienne, redoute de s'en faire une ennemie et d'avoir à l'affronter. Il s'efforce de repousser aussi longtemps que possible ce moment. En 1934 a lieu le premier vol de l'appareil russe le plus grand du monde à l'époque, le Tupolev Ant-20 Maxime Gorki. Doté d'une envergure de 63 mètres, cet avion est équipé de 8 moteurs et peut transporter 70 passagers. L'année suivante, par suite d'une collision avec un autre appareil qui l'escorte, il est détruit, mais un avion de même type, pourvu seulement de 4 moteurs, l'Ant-20bis, le remplace. L'armée de l'air soviétique possède également, depuis le début des années trente, de gros quadrimoteurs capables de porter et de lancer des avions de bombardements plus petits, les Tupolev TB-3. A la fin de l'année, l'Union soviétique entre à la Société des Nations. L'accession d'Hitler au pouvoir en Allemagne et la mise en oeuvre de son programme expliquent ce changement d'attitude des grands pays fondateurs de la Société. L'URSS, jadis méprisée et honnie, pourrait maintenant servir de contre-poids à l'Allemagne nazie. Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères de la France, fut un important artisan de ce rapprochement; malheureusement, il meurt des suites de l'attentat qui tue le roi Alexandre 1er de Yougoslavie, en octobre 1934, à Marseille. L'ambassadeur de France, Charles Alphand, ainsi que l'attaché militaire français, continueront à soutenir l'idée d'une alliance franco-russe auprès du gouvernement français qui fera la sourde oreille. A la tribune de la SDN, le ministre des Affaires étrangères de l'URSS, Litvinov, intervient à plusieurs reprises pour inviter les Occidentaux, Anglais et Français, à signer avec son pays une alliance de sécurité collective pour s'opposer à l'Allemagne hitlérienne, jusqu'en 1939. En même temps, l'ambassadeur soviétique à Londres, Maïski, ancien menchevik, oeuvre dans le même sens, et s'introduit dans la bonne société britannique en fréquentant notamment Antony Eden et Winston Churchill. Selon Krivitsky, Staline mène une politique louvoyante, son but étant de conserver de bons rapports avec l'Allemagne nazie, comme il en a eu avec la République de Weimar, et comme il en a avec l'Italie fasciste. Toute amorce de rapprochement avec les pays occidentaux n'est qu'un moyen de pression sur Berlin. 1935: Le 7 janvier, un accord est conclu entre l'Italie fasciste, la France et la Grande-Bretagne. La France consent une série de concessions en ce qui concerne les colonies d'Afrique dans l'espoir d'avoir l'Italie de son côté en cas de guerre contre l'Allemagne. Les journaux français, à l'exception de la presse de gauche, sont d'ailleurs fascinés par le personnage du Duce. Cet accord est complété en juin par des clauses militaires. Dans le courant de janvier 1935, se déroulent des entretiens entre Laval et Mussolini. Ils ont pour objet essentiel d'obtenir la coopération italienne en vue de maintenir le statu quo dans l'Europe danubienne et d'empêcher l'Allemagne de mettre la main sur l'Autriche. Le 16 mars 1935, Hitler viole ouvertement le traité de Versailles en rétablissant le service militaire en Allemagne. Du 11 au 15 avril 1935, la conférence de Stresa réunit Mussolini représentant l'Italie, MacDonald et sir John Simon, représentant la Grande-Bretagne, Flandin et Laval, représentant la France, pour riposter à la violation par l'Allemagne des clauses militaires du traité de Versailles. Le 2 mai, à l'initiative d'Edouard Herriot, l'URSS et la France (Pierre Laval) signent un pacte d'assistance mutuelle en cas d'agression de leur territoire. A la même époque un pacte semblable est signé avec la Tchécoslovaquie. En Occident, on commence à craindre l'Allemagne, mais on hésite encore sur le danger principal : nazisme ou communisme? Le 15 mai 1935, la première ligne du métro de Moscou entre en service. Ce métro, particulièrement luxueux et bien décoré, a été conçu, on l'a déjà dit, comme un palais du peuple; c'est une indéniable réussite. Un projet de reconstruction de Moscou est arrêté : de larges avenues rectilignes, réunies par des boulevards circulaires, convergeront vers le Kremlin. Le 16 mai 1935, est signé le traité d'Assistance mutuelle soviéto-tchécoslovaque (à rapprocher du traité Franco-soviétique du 2 mai). Dans la nuit du 30 au 31 août 1935, Stakhanov, prototype de l'homme soviétique nouveau, dépasse de 14 fois la norme de production fixée par le plan! Il abat 102 tonnes de charbon, ce qui lui vaut l'admiration et les ovations de ses camarades. Le 31 août 1935, aux États-Unis, le Neutrality Act (loi de neutralité) met l'embargo sur toute fourniture de matériel de guerre à un belligérant, pour éviter que le pays ne soit de nouveau entraîné dans un conflit pas les fabricants d'armes qui se sont enrichis au cours de la dernière guerre. Le 3 octobre 1935, Mussolini envahit l'Éthiopie sans déclaration de guerre; l'armée italienne bombarde le camp ennemi et fait contre lui usage de gaz. Le dictateur de Rome compte sur l'indulgence de ses nouveaux alliés français et britanniques. Mais, le 18 novembre, la Société des Nations condamne cette agression et frappe l'Italie d'un embargo économique, sans sanctions militaires. Français et Anglais approuvent la décision de la SDN, mais ils ne bougent pas comptant ainsi ne pas trop courroucer le Duce; il est vrai qu'ils sont mal placés pour lui donner des leçons en matière de colonisation! L'Allemagne nazie soutient l'Italie fasciste et Mussolini va changer à nouveau de camp. Une fois l'Ethiopie conquise, l'embargo contre l'Italie est levé! L'impuissance de la SDN laisse le champ libre aux agresseurs potentiels. En URSS, l'âge limite pour la condamnation à mort est ramené à 12 ans. Il s'agit par là de lutter contre la déliquance juvénile en supprimant le sentiment d'impunité que ressentent les enfants, nombreux après la révolution, la guerre civile et la famine consécutive à la collectivisation de l'agriculture, qui errent, privés de parents, à travers le pays à la recherche de moyens d'existence. Dans les premiers temps de la révolution, le principe adopté avait été celui de l'irresponsabilité pénale des mineurs. Mais cette position de principe s'avéra rapidement inopérante. On fixa donc la limite d'âge d'application de la responsabilité pénale à 18 ans, puis à 16 ans, à 14 ans et enfin à 12 ans. L'URSS vend sa part du Chemin de fer chinois de l'Est à l'État du Mandchoukouo, État fantoche créé par le Japon, avec à sa tête l'ancien empereur mandchou Puyi. 1936: Jusqu'à l'accession d'Hitler au pouvoir en Allemagne, le Komintern a défendu, on l'a vu, la politique internationale "classe contre classe" qui excluait l'alliance des partis communistes occidentaux avec les partis sociaux-démocrates et affaiblissait la gauche. C'est maintenant la politique du front populaire qui est préconisée et, le 16 février, le Frente Popular triomphe en Espagne. Les perdants, battus de peu, se mettent à comploter le reversement du pouvoir nouvellement élu. Le 29 février, aux États-Unis, le Neutrality Act est renforcé par l'interdiction d'accorder des prêts aux belligérants. Le Neutrality Act ne faisant aucune différence entre agresseurs et agressés, elle fait la part belle aux premiers, notamment aux Italiens en Éthiopie. Roosevelt en a conscience mais, pour des raisons électorales, il ne soulève pas la question. Le 7 mars Hitler viole une seconde fois le traité de Versailles en réarmant la Rhénanie et en occupant la rive gauche du Rhin, sans réaction réelle des anciens pays de l'Entente dont les armées seraient pourtant à ce moment en mesure de vaincre l'armée allemande. Le gouvernement français aurait bien voulu intervenir mais le chef de son armée, le général Gamelin, l'en a dissuadé, faute d'un engagement britannique à ses côtés. Désormais, en politique étrangère, les autorités françaises seront presque uniquement mues par le souci de n'agir que si l'Angleterre s'engage fermement à leurs côtés. Or, à ce moment, la population britannique, qui estime que les réparations imposées par le traité de Versailles à l'Allemagne sont excessives, se montre plutôt germanophile. La pusillanimité française incite la Pologne à se rapprocher de l'Allemagne nazie. La Belgique s'interroge sur la crédibilité qu'elle peut accorder aux engagements pris à Locarno. En mars 1936, l'Union soviétique conclut un pacte d'assistance mutuelle avec la République populaire de Mongolie. Le 3 mai, le second tour des élections en France consacre le triomphe du Front Populaire. Le Parti communiste et le Parti socialiste progressent fortement, parfois au détriment de leur allié radical; le PC soutiendra le gouvernement mais n'y participera pas. Le 24 mai 1936, les élections en Belgique révèlent une forte poussée de l'extrême droite (Rex et Ligue nationale flamande - VNV) et un effondrement des partis traditionnels; le parti communiste progresse en triplant le nombre de ses élus, par ailleurs peu nombreux. Dans les deux pays les élections sont suivies de grèves qui débouchent sur l'obtention de conséquents avantages sociaux (sécurité sociale en Belgique, congés payés, quarante heures hebdomadaires, conventions collectives en France...) En URSS, une campagne d'athéisme entraîne la fermeture et même la destruction de plusieurs édifices religieux (destruction de la cathédrale de Kazan à Moscou soi-disant pour faciliter les parades sur la place Rouge, fermeture des églises polonaises de la Transfiguration à Krasnoïarsk et de Notre-Dame de l'Assomption à Irkoutsk...; des fidèles polonais, descendants des déportés du régime tsariste, sont envoyés dans des camps soviétiques). Le 18 juillet 1936, le coup d'État du général Franco marque le début de la guerre civile en Espagne. L'URSS soutient le camp républicain dans la lutte qui l'oppose aux franquistes, mais elle participe aussi aux conflits internes qui divisent ce camp, en contribuant à éliminer les éléments anarchistes et communistes non soumis à l'orthodoxie de Moscou, selon le même schéma que celui employé en Russie et en Ukraine. Mais la France et la Grande-Bretagne restent neutres; la Grande-Bretagne joue d'ailleurs un rôle modérateur auprès de la France depuis des années, prônant une politique de compromis à l'égard de l'Allemagne et de l'Italie, ce qui encourage les deux dictateurs qui dirigent ces pays à réaliser leurs programmes expansionnistes. De tous les endroits du monde affluent des volontaires (ils auraient été 35 000), issus principalement des rangs communistes et anarchistes, y compris des Italiens et des Allemands, pour défendre la République espagnole et lutter contre les nazis et les fascistes. A bien des égards, la guerre civile espagnole est une répétition de la Seconde Guerre mondiale. En France, une partie du Front populaire serait encline à intervenir en Espagne pour sauver la république, mais le gouvernement de Léon Blum y renonce devant la crainte d'une réaction anglaise très négative et le risque de démission des ministres radicaux. L'affaire d'Espagne illustre parfaitement la dépendance de la diplomatie française. Léon Blum est tenté d'intervenir, mais l'Angleterre ne le veut pas, même si une importante fraction de l'opinion publique britannique commence à s'alarmer sérieusement; Churchill, farouchement anticommuniste et qui a pensé un moment que le fascisme italien pourrait être un rempart contre le bolchevisme, reste hostile à une intervention; Londres menace Paris de se retirer de l'alliance scellée entre les deux pays, surtout après l'entrée de Chamberlin au 10 Downing Street. Le Président du Conseil français s'incline et propose une politique de non intervention à laquelle adhèrent la plupart des pays sans la respecter. Cette politique sert le franquisme, fascistes italiens et nazis allemands la violant massivement. L'URSS dénonce ce manquement à la parole donnée et, de son côté, envoie des hommes et du matériel au secours des républicains. Selon Krivitsky, Staline espère amener l'Espagne dans la sphère d'influence soviétique, en calmant l'ardeur révolutionnaires des gauchistes; il n'est pas question de communiser le pays. Il pense ainsi amadouer l'Angleterre. Les livraisons de matériel sont payées avec l'or de la Banque d'Espagne mis par le gouvernement républicain à l'abri à Moscou, en octobre 1936, afin d'éviter qu'il ne tombe aux mains des nationalistes insurgés. La politique de non intervention tourne au fiasco complet lorsque des antifascistes de nombreux pays du monde, dont la France, l'Angleterre, les États-Unis..., avec aussi des Allemands et des Italiens, souvent communistes, mais pas toujours, s'engagent en Espagne au côté des forces républicaines, sous la bannière des brigades internationales dans lesquelles quelques éléments fascistes se glissent pour espionner et semer la confusion. Ces brigades, fortement influencées par le communisme, soumises à une discipline sévère, qui entraînera des excès, se montrent efficaces. Combinées à une aide soviétique conséquente, elles jouent un rôle cruciale lors de la défense de Madrid. Mais Staline reste prudent. S'il intervient en Espagne, c'est qu'il peut difficilement faire autrement. Les partis communistes occidentaux, membres du Komintern, Maurice Thorez en tête, le pressent d'agir. Conscient des dangers qui l'entourent, le dirigeant soviétique préfèrerait, pour le moment, la prolongation d'un statu quo paisible qui lui premettrait de mettre son pays au niveau des grandes puissances. Après l'éviction de Trotski, la révolution prolétarienne mondiale a été renvoyée aux calendes grecques et c'est désormais le patriotisme soviétique qui est mis en exergue. Enfin, Staline, homme d'ordre, se méfie de l'influence des anarchistes espagnols. Il veut se donner une image d'homme d'État sérieux à l'étranger. Il aide donc la République espagnole, en matériel et par l'envoi de quelques hommes qui devront rester à l'écart des combats afin d'éviter de donner prise à une accusation d'intervention, mais cette assistance est subordonnée à la condition qu'elle sera destinée exclusivement à des unités disciplinées. En même temps, il incite les autorités républicaines à renvoyer les réformes sociales aux lendemains de la victoire. Cette modération soviétique explique l'essor du PC espagnol, mais aussi, au moins en partie, les tensions meurtrières qui troubleront le camp républicain, notamment entre communistes et anarchistes, même si ces forces, dont les buts sont voisins, mais les stratégies incompatibles, sont amenées à collaborer étroitement contre le franquisme. Si Staline est prudent, Franco ne l'est pas moins : il refusera d'adhérer au Pacte anti-Komintern et ne s'y résoudra qu'une fois son triomphe assuré. En août 1936, une mission parlementaire française comprenant des aviateurs est reçue chaleureusement en URSS. On lui présente un nouvel avion d'attaque des troupes terrestres, le Stormovik. Un pilote français est même convié à l'essayer. La délégation assiste ensuite à la simulation de l'attaque d'une colonne blindée par cet appareil dans les environs de Kiev. Le résultat impressionne vivement les participants. Mais le rapport qu'ils font à leur retour en France est enterré. Le 4 août, un nouveau coup d'État, celui du général Metaxas en Grèce accroît le nombre des pays à tendances fascistes en Europe. Les procès de Moscou condamnent à mort ou aux camps de concentration de nombreux bolcheviks dont Kamenev et Zinoviev. Le 26 septembre, Iejov remplace Iagoda à la tête du NKVD, qui a succédé à la tchéka et au guépéou, avec pour mission de durcir la répression. Iejov sera fusillé le 4 février 1940. Le 1er novembre, après un ballet diplomatique entre Berlin et Rome pendant l'été et l'automne, Mussolini salue dans un discours la naissance de l'Axe Rome-Berlin. Le 25 novembre 1936, l'Allemagne nazie et le Japon signent un Pacte anti-Komintern. D'autres pays fascistes les rejoindront plus tard, l'Italie le 6 novembre 1937, la Hongrie le 25 février 1939, l'Espagne franquiste, à l'issue de la guerre civile, le 27 mars 1939. Le Pacte anti-Komintern unit en fait le Japon et l'Allemagne hitlérienne sur les affaires d'Europe et d'Asie. L'URSS, qui possède l'intégralité de ce pacte secret grâce à ses espions, sait qu'elle est désormais placée entre les mâchoires d'un étau, ce qui renforce la prudence de Staline. Une nouvelle constitution, tenant compte des changements intervenus en URSS, entre en vigueur à la fin de l'année. Les droits qu'elle reconnaît aux citoyens en fait l'une des plus démocratiques du monde. Mais ces droits ne seront jamais appliqués! Deux courants diamétralement opposés s'affrontent désormais en Europe, le courant communiste, prônant la lutte des classes et l'internationalisme prolétarien, dont le modèle est l'URSS, et le courant fasciste, prônant la réconciliation des classes par le corporatisme et l'union nationale, dont les modèles sont les régimes de Mussolini et d'Hitler, modèles nationalistes qui ne peuvent que déboucher sur une guerre future. Les forces politiques traditionnelles, partisanes de la démocratie parlementaire, sont prises en tenailles et ne savent plus très bien distinguer où se trouve le danger principal, d'où leurs hésitations et, pour tout dire, leur faiblesse. Tôt ou tard, une guerre entre l'Allemagne et l'URSS est d'autant plus probable que Hitler, qui revendique un espace vital pour le peuple allemand, n'a jamais caché que cet espace était à l'Est. 1937: du 23 au 30 janvier, a lieu en URSS un second procès visant les trotskistes. Le Comité central du Parti est divisé, certains de ses membres prônant une ligne modérée. Staline et les partisans de la fermeté l'emportent. Boukharine et Rykov sont arrêtés; Tomski se suicide. L'aile droite du Parti est à son tour décimée. Il ne reste pratiquement plus personne de la vieille garde bolchevique et Staline n'est plus entouré que de nouveaux militants qui lui doivent tout. Le 24 avril 1937, sous l'influence de Spaak et la pression flamande, avec l'accord de la France et de la Grande-Bretagne, la Belgique revient à la politique de neutralité censée la protéger d'une invasion. Cela n'a pas été le cas en 1914 et ne le sera pas davantage en 1940! Mais, le gouvernement belge, conscient de la vétusté de son armée, souhaiterait la moderniser, et il se heurte à l'opposition des pacifistes socialistes et à celles des Flamands qui redoutent qu'une trop grande proximité avec la France ne renforce la Wallonie. Pour obtenir les crédits de guerre nécessaires, il n'a guère d'autre choix que d'opter pour une neutralité qui met à mal les accords de Locarno. Enfin, depuis le réarmement de la Rhénanie et l'occupation de la rive gauche du Rhin, sans réaction de la France ni de la Grande-Bretagne, Bruxelles est en droit de se demander ce que vaut la garantie de ces deux pays. Le 26 avril, la ville de Guernica, en Espagne, est rasée par l'aviation allemande de la Légion Condor. La Grande-Bretagne et la France restent une fois de plus les bras croisés. Le 1er mai 1937, la loi américaine de neutralité est à nouveau amendée. La livraison d'armes à l'Espagne est interdite. Mais, par l'amendement Cash and Carry, les belligérants sont autorisés à acquérir du matériel et des biens aux États-Unis à condition de les payer comptant et de les transporter par leurs propres moyens. Cet amendement constitue un compromis permettant de ne pas léser les intérêts du commerce international américain. Il est assorti d'une exigence généreuse mais quelque peu naïve, celle de ne pas utiliser les armes contre les populations civiles. Après le pilonnage d'Alméria par la flotte allemande (31 mai 1937), Staline, toujours prudent, s'oppose au bombardement de cette flotte par l'aviation républicaine espagnole, dans le souci d'éviter une guerre mondiale. Le 26 juillet, le Japon entreprend la conquête de la Chine. En août, un pacte de non-agression a été signé entre l'Union soviétique et la République de Chine. A la fin de l'année, l'URSS envoie des aviateurs avec leurs avions en Chine pour lutter contre les Japonais aux côtés de l'armée nationaliste de Tchang Kai-chek. L'URSS est le premier pays à s'engager dans ce conflit contre l'agresseur nippon. Les États-Unis à leur tour vont
bientôt entrer de plus en plus activement dans le conflit sino-japonais
en livrant du matériel militaire à la Chine, ainsi que par
leurs activités diplomatiques, non sans opposition des isolationnistes.
Comme les Chinois ne possèdent pas la capacité de transporter
les livraisons, Roosevelt autorise des navires britanniques à le
faire à leur place, ce qui constitue une dérogation à
l'amendement Cash and Carry. Le 5 octobre, dans un discours à
Chicago, Roosevelt prépare le terrain en proposant la mise en quarantaine
des États agresseurs. Cette suggestion est vivement rejetée
par les isolationnistes.
Le 1er décembre 1937, une canonnière américaine, la Panay, est bombardée par des avions japonais. Cet incident renforce le camp des neutralistes, mais l'Amérique a des intérêts à défendre en Chine et ne peut pas rester indifférente à ce qui se passe en Asie. Le gouvernement chinois propose à un aviateur américain à la retraite quelque peu non conformiste, le capitaine Chennault, un poste de conseiller aéronautique. Celui-ci accepte. Il met sur pied un immense réseau de guet utilisant les paysans patriotes qui le préviennent immédiatement lorsque qu'ils ont connaissance du passage d'avions japonais ce qui lui permet de les localiser et de les contrer plus facilement. Archinov, qui s'est éloigné du mouvement libertaire et s'est rapproché du communisme bolchevik, ce qui lui a permis de revenir en Russie au début des années 1930, est fusillé. En matière militaire, l'accélération de l'industrialisation, si coûteuse en vies humaines, a porté ses fruits. L'URSS compte 1,5 millions d'hommes sous les armes. Ils sont répartis en 96 divisions régulières. L'aviation est performante, l'artillerie redoutable et les blindés sont plus nombreux que l'ensemble de ceux de tous les autres pays qui en possèdent. Sous l'impulsion notamment de Toukhatchevski, une doctrine militaire moderne, qui sera plus tard employée par l'Allemagne nazie, a été élaborée. Et le pays commence à s'intéresser à l'énergie nucléaire. Des chefs militaires de tout premier plan dirigent ces forces impressionnantes. L'URSS est en mesure de se défendre et de porter des coups sévères à qui oserait l'attaquer. Mais cela ne va pas durer longtemps. Bientôt, le Bureau politique du PC décide l'élimination d'officiers supérieurs, dont Toukhatchevski, soupçonné de fomenter un coup d'État militaire. Ces soupçons se fondent sur un faux fabriqué par les nazis qui l'ont astucieusement fait parvenir à Staline via la Tchécoslovaquie. Ce faux est d'autant plus crédible que des relations très étroites ont existé entre l'Armée rouge et l'Armée allemande, après le rétablissement des relations entre la Russie soviétique et l'Allemagne comme on l'a vu plus haut. Krivitsky donne une autre version de cette affaire; le faux aurait été transmis par les nazis via une organisation de Russes anticommunistes réfugiés en France avec le concours d'agents soviétiques. Une version n'empêche d'ailleurs pas l'autre! A l'issue du troisième procès de Moscou, l'Armée rouge est décapitée; les condamnés qui ne sont pas exécutés sont envoyés dans les camps de Sibérie. Les conséquences militaires de cette hécatombe vont faire sentir leurs effets négatifs en 1941, mais peut-être moins que ne l'espéraient les nazis; les survivants seront rappelés à la tête de l'armée en temps voulu et les morts seront remplacés par des cadres plus jeunes. Mais l'Armée rouge, étroitement contrôlée par des commissaires politiques, est plus que jamais entre les mains du Parti et de Staline, et la suspicion et la crainte qui y règnent ne sont évidemment guère propice à son fonctionnement optimal. Selon Krivitsky, le rancunier dictateur du Kremlin tenait Toukhatchevski dans son collimateur depuis la campagne de Pologne à l'issue de laquelle le maréchal l'avait rendu responsable de son échec devant Varsovie. Krivistky donne une vision hallucinante de l'atmosphère qui régnait alors dans les hautes sphères du pouvoir soviétique. Tout le monde se savait épié. Les gens se méfiaient les uns des autres. Chacun préparait sa défense en accusant autrui. Il n'y avait plus aucune confiance. Staline lui-même se sentait probablement menacé car un mécontentement profond montait du pays. Cependant, ce mécontentement ne pouvait déboucher sur rien car les opposants au maître du Kremlin étaient trop dispersés pour fournir une alternative politique. Les victimes de la répression, en bons révolutionnaires, offraient donc leur vie pour le triomphe de la cause, car ils comprenaient que la chute de Staline entraînerait la fin de l'expérience soviétique. C'est en grande partie ce qui explique les aveux de la plupart d'entre eux. Le Bureau politique ordonne au NKVD d'interner les épouses des traîtres et de placer leurs enfants de moins de 15 ans sous la protection de l'État. Les condamnés sont effacés des photos comme s'ils n'avaient jamais existé. Dans la crainte d'une guerre, les suspects de sympathie avec l'étranger sont pourchassés; des minorités sont déplacées et des peuples nomades contraints de se sédentariser; pourtant, des populations résistent, notamment en Sibérie, où des éleveurs de rennes continueront de nomadiser jusqu'aux années 1950. Dans les 50 camps, les 420 colonies de rééducation et le 50 colonies pour mineurs du Goulag, on compte en 1937 un peu moins d'un million de personnes (un peu plus de 1,25 millions selon Wikipédia - voir ci-dessous). Les camps soviétiques étaient
conçus comme des lieux de rééducation par le travail
et de participation à l'essor économique du pays, mais des
femmes et des enfants y étaient détenus; certains y sont
même nés. Il n'existait aucune volonté affichée
d'exterminer telle ou telle ethnie et on ne peut parler à leur propos
de camps de la mort, même si des prisonniers y ont été
exécutés. Cette expression, selon moi, devrait être
réservée aux camps où les déportés étaient
systématiquement tués peu de temps après leur arrivée.
Certes on mourait beaucoup dans les camps soviétiques, à
cause de malnutrition, d'épuisement, d'épidémies ou
de mauvais traitements de la part des gardiens. Mais la mortalité
a varié au cours du temps; c'est ainsi que, de la veille des procès
de Moscou en 1936 au pire moment de la guerre en 1942, elle serait passée
de 2,5 % à 17,6 %.
Les procés que l'on a qualifiés de staliniens possèdent des caractéristiques originales. Ce n'est pas la preuve qui entraîne la culpabilité, ce sont les aveux, obtenus souvent sous la contrainte, pour ne pas dire plus; en outre, la peine peut être non seulement individuelle mais aussi collective, et frapper les proches d'un condamné, en vertu du principe de la responsabilité collective, principe qui semble inspiré de la théorie de la lutte des classes. C'est sur ce principe que se fonde la déportation de populations entières; comme ce fut notamment le cas des Tatars de Crimée dont les dirigeants collaborèrent avec les Allemands. A ce propos, on a accusé Staline de paranoïa en oubliant un peu vite que, dans les pays en guerre, il était de tradition d'incarcérer les civils ennemis et que cette tradition fut respectée en France aussi bien pendant la Première Guerre mondiale que pendant la Seconde. Une dernière remarque, qui prendra toute son importance un peu plus tard, doit compléter les quelques lignes consacrées à cette période terrible : tous les condamnés n'étaient pas fusillés ou déportés; les plus utiles, comme les ingénieurs concevant les avions, jouissaient d'un traitement de faveur, s'il est permis de s'exprimer ainsi; ils étaient incarcérés à Moscou, dans les locaux de la police politique, où ils poursuivaient leurs travaux. Cette situation particulière ne se limitait d'ailleurs pas aux seuls ingénieurs, comme le montre la destinée mouvementée du footballeur Nicolaï Starostin; ce célèbre sportif du club Spartak de Moscou, un club sponsorisé par une entreprise, s'était attiré l'animosité de Béria, probablement parce que le Spartak était bien meilleur que l'équipe du NKVD; il fut arrêté sous des prétextes fallacieux et condamné à la déportation dans un camp de travail; le commandant de ce camp y avait créé une équipe de football, composée de détenus, ce qui ne constituait aucunement une exception dans l'univers concentrationnaire soviétique; le football était très populaire en URSS et les commandants de camps qui disposaient d'une équipe avaient à coeur qu'elle soit la meilleure! Après la Seconde guerre mondiale, le général d'aviation Vassili Djougachvili, second fils de Staline, qui commandait la région de Moscou, fit libérer Starostin du Goulag pour l'intégrer dans l'équipe de l'aviation soviétique qu'il était en train de constituer; mais Starostin, en tant que condamné, n'avait pas le droit de séjourner à Moscou; on dit que le fils de Staline le cacha alors dans sa propre maison; mais Béria veillait et Starostin finit par être arrêté à nouveau et reconduit au camp; il n'en revint qu'après l'exécution de Béria. Malenkov devient l'un des proches collaborateurs de Staline. Le 125ème anniversaire de la bataille de Borodino et le 100ème anniversaire de la mort de Pouchkine sont célébrés. Le musée d'État des Beaux-Arts devient le musée Pouchkine. En 1937, les Soviétiques installent sur un iceberg la première base flottante arctique avec l'expédition Pôle Nord-1. Par avion sont transportés les équipements nécessaires pour faire surgir sur la banquise un petit village de maisons de bois, facilement démontables et transportables en cas d'incident. Leur extérieur est peint de noir, pour absorber la chaleur solaire, et l'intérieur est recouvert de sacs d'air pour isoler et protéger du froid. Trois hommes vont rester dans cet environnement pendant 274 jours avant d'être récupérés par un brise-glace, sur leur glaçon flottant, au large du Groenland. Ces trois hommes étaient Ivan Papanine, un biologiste, un physicien et un radiotélégraphiste. Grâce à ce dernier, le contact ne fut jamais complètement coupé avec Moscou et les trois hommes furent ravitaillés par avion entre les tempêtes. Une foule de renseignements scientifiques fut collecté et, plus tard, l'expérience acquise ne fut pas perdue. Papanine sera nommé responsable de la route maritime boréale par laquelle les États-Unis enverront à leurs alliés européens une partie du matériel militaire pour lutter contre l'envahisseur nazi. Depuis l'accession d'Hitler au pouvoir, en plus des opposions socialistes et communistes clandestines, pourchassées par les nazis, et qui ne peuvent que rester diffuses et discrètes, une opposition chrétienne a commencé à se constituer, même au sein du régime. Elle restera néanmoins toujours très minoritaire et il faut se garder d'exagérer son influense. En septembre 1937, les nazis ferment le séminaire du pasteur protestant Bonhoeffer. Entre 1937 et 1938, Goerdeler, un politicien conservateur, ex-maire de Liepzig, puis commissaire au contrôle des prix, poste dont il a démissionné en 1935, voyage en France, en Grande-Bretagne, aux États-Unis et au Canada pour dénoncer la politique agressive des nazis. En 1938, deux aristocrates, Helmuth James von Moltke et Peter Graf Yorck von Wartenburg, fondent le Cercle de Kreisau. Von Moltke est l'arrière petit neveu du feld-maréchal prussien vainqueur des guerres contre l'Autriche (1866) et contre la France (1870); Kreisau est le nom de son chateau, en Silésie. Le Cercle est un groupe de réflexion et de discussion non-violent dont les membres préparent les institutions de l'après nazisme. Citons aussi Ulrich von Hassel, ambassadeur à Rome, qui sera limogé en 1943, lors de la purge diplomatique. Hitler annonce la mise en chantier de deux cuirassés géants, de 50 000 tonnes, le Bismarck et le Tirpitz, alors que les traités en vigueur limitent le tonnage à 35 000 tonnes! 1938: le 4 février, Hitler réorganise le Haut commandement de la Wehrmacht et consolide sa main-mise sur une armée où sa politique aventureuse ne fait pas encore l'unanimité. En URSS, du 2 au 13 mars, se déroule le quatrième procès de Moscou. Boukharine, Rykov et Iagoda, condamnés à mort, sont exécutés. Le 13 mars 1938, la Wehrmacht pénètre en Autriche, bien accueillie par la population. Hitler proclame l'Anschluss, c'est-à-dire le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne. C'est une nouvelle violation du traité de Versailles réalisée sans aucune opposition. Il est vrai que cette réunion est conforme au principe des nationalités reconnu par le traité. Ce nouvel acte unilatéral, accompli sans coup férir, renforce l'audace du Führer allemand et l'adhésion de son peuple à sa politique. Il lui apporte le renfort non négligeable de l'industrie autrichienne pour renforcer le réarmement allemand. En mars 1938, le roi Carol II, dans un contexte de crise économique, politique et institutionnelle, supprime la démocratie parlementaire et s'arroge les pleins pouvoirs en Roumanie. Les partis vont être interdits et les mouvements fascistes sévèrement réprimés. En avril, l'URSS entreprend des négociations
avec la Finlande pour protéger ses régions arctiques et surtout
dégager Leningrad (ex Saint-Pétersbourg) dans l'hypothèse
d'une guerre contre l'Allemagne. Ces
négociations achoppent sur la question de la neutralité finlandaise
et dureront des mois. Staline propose des échanges de territoires
en vue de reculer la frontière dans l'isthme de Carélie.
Les Finlandais sont partagés; le maréchal Mannerheim serait
favorable à un accord, mais le gouvernement s'y montre hostile.
Staline ne veut probablement pas s'emparer de la Finlande, mais il
souhaite mettre son pays à l'abri en cas d'une guerre probable contre
l'Allemagne qui pourrait déboucher sur une alliance germano-finlandaise,
ce qui se produira d'ailleurs après juin 1941.
Au printemps 1938, alors que l'Espagne républicaine est menacée d'être coupée en deux, Léon Blum, revenu au pouvoir le 13 mars, facilite brièvement l'acheminement du matériel militaire russe en Espagne. Mais Chamberlain, Premier ministre de Grande-Bretagne, qui se rapproche de Mussolini afin de contrôler la Méditerranée, exerce une fois de plus une forte pression sur la France. Daladier, qui succède à Léon Blum, le 12 avril, ferme à nouveau la frontière pyrénéenne. En Angleterre, Churchill commence alors à prendre ses distances avec la politique du gouvernement britannique. Cependant, une nouvelle guerre mondiale semble de plus en plus probable et la plupart des pays ne pensent bientôt plus qu'à leur propre défense. En mai 1938, Hitler rencontre Mussolini à Rome. Il ne réussit pas à obtenir du Duce une alliance militaire sans équivoque. Au cours du mois, il reçoit un avertissement anglais au sujet de la Tchécoslovaquie qui cherche à le dissuader d'employer la force. Il décide alors que la Grande-Bretagne est, plutôt que la France, son véritable ennemi à l'Ouest. Le 24 mai, il ordonne à sa marine de tout mettre en oeuvre pour surclasser la Royal Navy sur mer au début de 1939. Le 13 juin, le chef du NKVD en Extrême-Orient Henrick Liouchkov, qui craint pour sa vie, déserte et rejoint les rangs de l'armée japonaise, lui livre les détails du dispositif de défense soviétique dans la région, et évoque les sentiments anti-staliniens au sein d'une partie de l'Armée rouge. Le Japon est incité à profiter de la situation. Du 29 juillet au 11 août, la bataille du lac Khassan (ou Khanka) oppose les forces soviétiques aux forces japonaises à la suite d'une tentative d'incursion militaire du Mandchoukouo (sous contrôle japonais) sur le territoire revendiqué par l'Union soviétique en violation d'un accord datant de 1860. L'affrontement se soldera par une victoire soviétique. L'empire du Soleil levant, qui garde l'espoir de conquérir la Sibérie, compte sur une guerre germano-russe qu'il estime inévitable. Mais il s'aperçoit que l'URSS ne se laissera pas dominer facilement. Vers la fin de l'année, il est mis fin à l'épisode de la Grande Terreur. Le NKVD est sévèrement critiqué pour son non respect du code de procédure pénal. Iejov reconnaît sa responsabilité et demande à être déchargé de ses fonctions; il sera remplacé par Béria, un Géorgien, comme Staline. La fin de la terreur ne met toutefois pas un terme au climat de crainte, de délation et de méfiance qui règne dans le pays. La population demeure étroitement surveillée; un livret de travail (il en existait un aussi en France au début du 19ème siècle) limite la liberté des ouvriers qui n'ont pas le droit de faire grève et doivent s'affilier à un syndicat unique, courroie de transmission du parti. Les déplacements à l'étranger des citoyens soviétiques sont très difficiles et ils rendent d'ailleurs suspects ceux qui y vont. Plus encore que du temps des tsars, la population est confinée dans l'espace national; Staline lui-même ne se rendra jamais à l'étranger avant la guerre. La Grande Terreur a causé de très nombreuses victimes dont on ne connaît pas le nombre avec certitude. Elle n'a épargné aucune sphère de la société, pas même la famille de Staline. Au cours des procès, lorsqu'il y en a eu, les accusés ont été souvent amenés à reconnaître des crimes imaginaires*. Les bagnes sibériens se sont peuplés mais la Sibérie, loin de Moscou, est restée cependant, comme au temps des tsars, pour certains une terre de liberté. A l'issue des procès, tous les membres du Politburo du temps de Lénine ont été jugés, à l'exception de Staline, Mikhaïl Kalinine et Viatcheslav Molotov. Visiblement, Staline s'est protégé contre le risque d'être renversé (et exécuté) par des adversaires politiques aussi peu portés que lui à une clémence qui ne sied guère à une période révolutionnaire. Mais on peut également noter que plusieurs purges coïncident avec des difficultés internes du régime, comme si le pouvoir cherchait ainsi à accréditer auprès de la population l'idée que ces difficultés provenaient de la trahison de quelques-uns. On remarquera aussi que les chefs de la répression ont payé un lourd tribut lors des procès successifs, comme si les dirigeants survivants voulaient montrer au peuple qu'ils n'étaient pas responsables des excès commis et que justice était rendue. Les intellectuels progressistes occidentaux, qui reviennent d'un voyage en URSS, sont souvent désenchantés (Gide, Panaït Istrati...), comme l'étaient au 19ème siècle les partisans de la monarchie absolue qui allaient chercher un modèle dans la Russie tsariste. Il reste, qu'à la veille de la guerre, la situation économique de l'URSS s'est améliorée et que la population en bénéficie, ce qui ne peut que renforcer le pouvoir en place. Au plan international, la politique de complaisance de l'Occident à l'égard du Japon en Asie, concomitante avec la politique de renoncement face aux ambitions de l'Allemagne hitlérienne en Europe, ne peut qu'inquiéter une Union soviétique à la fois européenne et asiatique. * Il existe (en 2017) un courant qui, s'appuyant sur les archives du KGB, prétend démontrer que, dans la plupart des cas, les crimes étaient bien réels. Eté -Autommne 1938 : Crise des Sudètes Après avoir ramené l'Autriche dans le giron allemand, Hitler regarde maintenant du côté des Sudètes tchécoslovaques où Konrad Henlein entretient une agitation permanente parmi la population majoritairement allemande. En plus des Sudètes, Hitler, généreux pour ceux qu'il s'apprête à dévorer, demande des rectifications de frontières au profit de la Pologne, sa future victime, et de la Hongrie, son alliée, au détriment de la Tchécoslovaquie! Le 23 septembre, le dictateur allemand demande aux Tchèques d'évacuer les Sudètes. Mais la Tchécoslovaquie se trouve sous la protection de la France et de l'URSS. Staline est prêt à tenir ses engagements. Faute de frontière commune entre son pays et la Tchécoslovaquie, il sollicite l'accord de Varsovie et de Bucarest pour traverser leur territoire. La Roumanie est réticente, mais la Pologne refuse. Quant à la France, fidèle à sa politique d'alignement sur la Grande-Bretagne, dirigée alors par le pacifiste Chamberlain, elle abandonne purement et simplement la Tchécoslovaquie à son sort au mépris de ses engagements. Il est vrai qu'elle n'a pas les moyens d'entrer en guerre à ce moment, selon ses chefs militaires, en raison de son retard en matière d'aviation et d'artillerie, pas plus d'ailleurs que l'Angleterre, voire même l'URSS; ces pays ont besoin de gagner du temps pour mettre leurs armées au niveau : c'est en partie ce qui poussera Staline, un an plus tard, à signer le Pacte de non agression! Au cours d'une première rencontre avec Hitler, pour apaiser les tensions, Chamberlain a reconnu la légitimité des prétentions hitlériennes sur les Sudètes. Le doigt a été mis dans l'engrenage. Le 30 septembre 1938, par les accords de Munich, la France, la Grande-Bretagne, avec la médiation et l'accord de l'Italie, donnent satisfation aux exigences germaniques. Elles laissent le champ libre à Hitler contre une Tchécoslovaquie affaiblie et à la frontière désormais ouverte à l'Ouest. Si les démocraties occidentales s'étaient montrées plus fermes à Munich, que se serait-il passé? Elles auraient très certainement trouvé l'URSS à leurs côtés. En effet, Staline, on l'a dit, était disposé à aider la Tchécoslovaquie à se défendre, mais il n'envisageait d'impliquer directement l'Armée rouge dans une guerre éventuelle qu'à condition d'une participation des puissances occidentales et d'un passage à travers la Pologne ou la Roumanie. Dans cette hypothèse, on sait aujourd'hui que des officiers supérieurs de la Wehrmacht (Beck, alors chef d'état-major de l'armée allemande de terre, Halder et Witzleben), qui pensaient que l'Allemagne n'avait aucune chance de gagner une guerre sur deux fronts, étaient disposés à renverser Hitler par un coup d'État militaire. Et, Chamberlain ne l'ignorait probablement pas car le général Beck, restait en relation étroite avec des membres de la haute société britannique; ce général, d'abord favorable au nazisme, en était devenu l'adversaire et souhaitait une attitude plus ferme des pays occidentaux à l'encontre d'Hitler; il démissiona le 18 août 1938 et fut remplacé par Franz Halder, un autre opposant, le 27 août. Goebbels tint sa démission secrète jusqu'au 31 octobre, après l'invasion du territoire des Sudètes, à l'issue de la signature des accords de Munich, afin de ne pas inquiéter l'opinion publique allemande. Beck fut alors mis à la retraite d'office; il continua à participer à l'opposition contre Hitler et, compromis dans le complot des officiers, on l'assista à se suicider en 1944. Churchill désapprouve les accords de
Munich.
Les accords de Munich constituent un événement majeur qui confirme une fois de plus la pusillanimité occidentale et amène Staline, laissé de côté, à penser que les démocraties occidentales, France et Grande-Bretagne, ne sont pas disposées à lutter contre le nazisme et qu'elles verraient avec plaisir les Allemands se jeter sur la Russie soviétique. Le 23 septembre 1938, une note du gouvernement soviétique a déjà été adressée au gouvernement polonais afin de l'aviser, qu'au cas où la Pologne participerait au partage de la Tchécoslovaquie, le pacte de non agression signé en 1932 serait considéré comme rompu; en octobre 1938, la Pologne, soumise alors à un régime autoritaire dirigé par des colonels fascisants, envahit et annexe la partie tchèque du territoire de Teschen. Les dirigeants polonais négligent l'avertissement du Kremlin. Le pacte de non agression n'est pourtant dénoncé, dans un premier temps. Il est même reconfirmé, mais Staline possède désormais un prétexte pour rompre avec la Pologne si cela s'avère nécessaire. Comme il a compris que Franco va irrémédiablement triompher, il s'éloigne du conflit espagnol d'où se retirent les brigades internationales, et la diplomatie soviétique dénonce les accords de Munich comme une "capitulation qui aura des conséquences incalculables". Suite aux procès des cadres de l'armée, la doctrine militaire a été remise en cause sous l'influence des officiers de cavalerie qui entourent Staline et aussi à cause de l'expérience acquise pendant la guerre civile espagnole; on assiste à un retour partiel à celle qui prévalait au lendemain de la guerre civile russe. Le 9-10 novembre, l'assassinat de Ernst von Rath, un secrétaire de l'Ambassade d'Allemagne à Paris, par un jeune juif d'origine polonaise, Herschel Grynzspan, qui se venge ainsi des persécutions exercées contre sa famille par les nazis, sert de prétexte au déclenchement d'un terrible pogrom à travers toute l'Allemagne qui restera dans l'histoire sous le nom de Nuit de Cristal. Plus de 1200 synagogues sont brûlées, des milliers de magasins saccagés, des centaines de personnes tués et 30 000 Juifs sont arrêtés et jetés en camps de concentration (soi-disant pour les protéger de la vindicte publique!), camps d'où ils sortiront quelques mois plus tard... enfin ceux qui sont encore en vie. Au cours d'un discours, Hitler évoque la question des anciennes colonies allemandes que les vainqueurs de la Première Guerre mondiale se sont partagées et qu'il souhaite récupérer : un nouveau sujet de conflit est donc soulevé, au cas où les autres ne suffiraient pas. Le Fuhrer veut manifestement la guerre. Cela n'empêche nullement Ribbentrop et Bonnet de signer, le 6 décembre, des accords de non agression entre l'Allemagne nazie et la France. Ce témoignage de la volonté française d'éviter la guerre n'a pratiquement aucune portée militaire, diplomatique ou économique et n'offre qu'une garantie illusoire à la France. Mais il est de nature à inquiéter l'URSS. Dans le prolongement des réflexion trotskystes de 1933, la 4ème Internationale est officiellement fondée en France au cours de l'anné 1938 dans une grange près de Paris, à Périgny-sur-Yerres. Trotsky espère toujours, qu'après la guerre qui se profile à l'horizon, une grave crise sociale mondiale éclatera et que des millions de travailleurs à travers le monde adhèreront à ses thèses, hypothèse très loin de ce qui se produira en 1945. En revanche, après le camouflet que Staline vient d'essuyer de la part des la France et de l'Angleterre à Munich, il estime que l'Union soviétique n'a plus d'autre choix que de se rapprocher de l'Allemagne nazie pour tenter d'éviter l'orage qui la menace. Pavlovsk, résidence de Paul 1er, transformée en musée en 1917 par le gouvernement provisoire, puis fermé pendant les années vingt par les bolcheviks, est rouvert au public, Staline comprenant la nécessité d'exploiter l'héritage national pour rassembler le peuple russe face aux dangers qui s'annoncent. Le 10 décembre 1938, l'Allemagne et la Roumanie signent un accord économique. Hitler, qui prépare la guerre a besoin des pétroles romains dont les capitaux sont en majorité aux mains de la France et de l'Angleterre. La Roumanie, alliée de ces deux pays pendant la Guerre de 1914-1918, commence à douter d'eux après l'Anschluss et Munich, tandis que le Führer fait pression sur elle en soutenant les revendications hongroises et bulgares sur son territoire. Le Führer va pouvoir acquérir avantageusement le pétrole roumain sur la base du troc. 1938-1941: troisième plan quinquennal écourté par le second conflit mondial, il mettra en place une économie de guerre (fabrication de chars et d'avions de combat). La Seconde Guerre mondiale 1939: le 10 mars, au cours du 18ème
Congrès du PC soviétique, Staline, très mécontent
de ce qui s'est passé à Munich, déclare, dans un discours,
qu'il n'est pas disposé à tirer les marrons du feu pour les
puissances capitalistes occidentales. Cet avertissement s'adresse évidemment
à la France et à l'Angleterre. Mais Ribbentrop, ministre
des Affaires étrangères d'Allemagne, y perçoit une
opportunité de détacher peut-être définitivement
l'URSS des puissances occidentales. Il va s'employer à convaincre
Hitler et manoeuvrer pour un rapprochement entre l'URSS communiste et l'Allemagne
nazie.
Le 15 mars 1939, Adolf Hitler bafoue les accords de Munich et envahit la Bohême et la Moravie. La Tchécoslovaquie cesse d'exister, un prêtre politique pro-nazi, Monseigneur Jozef Tiso, proclamant l'indépendance de la Slovaquie. L'occupation de la Tchécoslovaquie s'effectue dans un calme relatif, sauf dans la partie ukrainienne où les envahisseurs hongrois se heurtent à une certaine résistance. Les autorités tchécoslovaques ont invité les populations à se résigner. A Prague cependant, la foule salue l'entrée des troupes allemandes en chantant l'hymne national de sa patrie défunte. L'armée allemande s'empare du matériel militaire de sa nouvelle conquête, un matériel de qualité dont de nombreux chars, supérieurs aux chars allemands, qui se retrouveront bientôt sur les routes polonaises, puis les routes françaises. Mussolini, le médiateur de Munich, est ulcéré, d'autant plus que Hitler ne l'a pas prévenu. Le 22 mars, les troupes nazies occupent Memel et Hitler oblige la Lituanie à signer un traité rattachant cette ancienne ville allemande au Reich. Le 19 mars, la Roumanie rejette des propositions soviétiques d'un accord d'assistance mutuelle. Le 23 mars, un nouvel accord germano-roumain complète celui du 10 décembre précédant et affaiblit un peu plus l'influence de la France et de l'Angleterre en Roumanie. Le 26 mars 1939, la capitulation des troupes républicaines à Madrid met fin à la guerre civile espagnole. La France et la Grande-Bretagne ont déjà reconnu le fait accompli le 27 février. La République française a laissé se reconstituer la Maison d'Autriche contre laquelle la Monarchie a si souvent lutté! Le 28 mars, le gouvernement polonais, qui craint pour Dantzig le sort de Memel, déclare que toute tentative de modifier le statut de cette ville libre conduira à la guerre. Le 31 mars 1939, la Grande-Bretagne et la France garantissent les frontières de la Pologne. Cette décision une fois de plus unilatérale est reçue avec mauvaise humeur à Moscou. Le 7 avril, Mussolini, pour riposter à l'invasion de la Tchécoslovaquie à sa manière, envahit l'Albanie, déjà sous influence italienne, sans prévenir Hitler. Le 13 avril, les garanties de la Grande-Bretagne sont étendues à la Roumanie. La Grèce et la Turquie acceptent de s'y associer et la Turquie oeuvre pour inciter la Bulgarie à s'y rallier. Ces initiatives, qui visent à créer dans les Balkans un bloc allié aux pays occidentaux, sans tenir compte de l'avis de l'URSS, sont regardées avec suspiscion à Moscou. En même temps, des concertations secrètes ouvertes en janvier se poursuivent avec les États-Unis pour l'élaboration d'une politique commune en Extrême-Orient. Les Soviétiques, qui pensent que la défense de la Pologne est impossible sans leur intervention, et qui savent que l'Allemagne prépare quelque chose avec le Japon, s'interrogent sur les véritables buts des Occidentaux, tandis que Chamberlain se demande si une alliance avec l'URSS ne serait pas contreproductive en entraînant dans l'alliance allemande des pays anticommunistes comme l'Espagne. La confiance est loin de régner entre les adversaires potentiels de l'Allemagne. Le 17 avril commencent des approches diplomatiques entre l'Allemagne et l'Union soviétique afin d'améliorer des relations qui restent tendues. Les divergences idéologiques subsistent mais le ton devient moins acerbe entre les deux pays. Les conversations diplomatiques se poursuivent en sourdine pendant les mois qui suivent au cours desquels les Allemands vont s'efforcer d'empêcher la création d'un front défensif anglo-franco-russe. Le 18 avril, Moscou propose une alliance de dix ans entre la Grande-Bretagne, la France et l'Union soviétique pour défendre la paix et barrer la route à toute nouvelle agression. C'est une manière de tester la bonne foi des puissances occidentales, Staline étant d'autant plus méfiant que les Anglais, au lieu de lui envoyer à Moscou pour négocier, un envoyé spécial important, Eden qui connaît le maître du Kremlin s'étant proposé, se contentent d'expédier un fonctionnaire du Foreign Office, maladresse traitée d'offense par Winston Churchill. L'opinion publique britannique, qui comprend désormais que les accords de Munich n'étaient qu'un marché de dupes, devient de plus en plus favorable à un accord avec la Russie soviétique. Mais les Polonais et les Roumains y sont hostiles et l'initiative échoue. Cependant, les contacts ne sont pas rompus. Le 28 avril 1939, après le refus polonais d'accepter un aménagement de statut pour le corridor de Dantzig, Hitler dénonce unilatéralement le pacte de non-agression germano-polonais, du 26 janvier 1934. Les colonels polonais ne sont pas intimidés : ils pensent venir à bout facilement de l'armée allemande avec leur cavalerie! Il convient de reconnaître que le territoire de Dantzig, qui coupait l'Allemagne en deux, fournit un excellent prétexte pour dénoncer le traité de Versailles et pour donner à un Hitler, qui se sent vieillir, l'occasion d'atteindre ses buts par la guerre qu'il souhaite, en annulant les conséquences de ce traité et en dotant son pays d'un vaste espace à l'Est au détriment de la Pologne, en attendant mieux. Le 3 mai, Molotov succède à Litvinov comme ministre des Affaires étrangères de l'URSS, en plus de sa fonction de Président du Conseil des commissaires du peuple; le limogeage de Litvinov est interprété comme un signal favorable par Ribbentrop. Cependant, l'épouse de Molotov, à laquelle celui-ci est très attaché, est accusée d'avoir favorisé des activités d'espionnage, ce qui lui vaut d'être exclue du Comité central du PC de l'URSS. Molotov se montre beaucoup plus dur que Litvinov dans les négociations avec les Occidentaux et exige des contreparties tangibles à tout engagement de son pays. Iejov est rétrogradé au rang de commissaire du peuple au transport fluvial. Du 11 mai au 16 septembre, des incidents frontaliers dégénèrent en guerre ouverte en Asie. Les forces soviéto-mongoles battent finalement l'armée japonaise à Khalkhyn Gol (ou Khalkhin Gol, est de la Mongolie); ce conflit cause la mort de 70 000 personnes et... il sert de leçon aux Japonais. Mais il renforce aussi la prudence de Staline soucieux d'éviter un second conflit à l'Ouest alors qu'il doit déjà faire face à celui-ci à l'Est. C'est la première victoire d'un général soviétique qui deviendra célèbre : Gueorgui Konstantinovitch Joukov, envoyé sur place par le maréchal Vorochilov, commissaire du peuple à la Défense. Le 13 mai 1939, le roi Carol qui, dans un contexte difficile, comme on l'a vu, assume seul la direction de son pays obtient de la France et de l'Angleterre un accord garantissant les frontières et l'indépendance de la Roumanie. Le 22 mai, l'Allemagne et l'Italie renforcent leur complicité en signant un accord militaro-politique: le Pacte d'acier. Mussolini insiste pour que, par un article de ce pacte, Hitler s'engage à ne pas entrer en guerre avant 1942. Le 23 mai Ribbentrop charge un intermédiaire de faire savoir aux Russes que le Führer souhaiterait améliorer ses relations avec eux. Le 3 juin, Dantzig se plaint du nombre croissant des douaniers polonais qui contrôlent la cité libre. La Pologne répond sans ménagement. Le 23 juin, pour éviter que la Turquie ne s'allie à l'Allemagne hitlérienne, la France lui cède le sandjak d'Alexandrette, qui comporte une importante population turque, privant ainsi la Syrie d'un débouché maritime et de la ville d'Antioche pourtant tournée historiquement vers la Syrie. Cette cession n'est pas reconnue par Damas. Le 29 juin, dans la Pravda, Jdanov, idéologue du Parti et ami de Staline, procède à une piqûre de rappel à l'intention des puissances occidentales en reprenant les termes mêmes du discours du maître du Kremlin : "Un accord où l'URSS aurait le rôle de valet de ferme qui porterait tout le poids des engagements sur ses épaules. Mais pas un seul pays qui se respecte ne consentirait à un tel accord s'il ne veut pas être le jouet entre les mains de gens qui aiment faire tirer les marrons du feu par les autres. Il me semble que les Anglais et les Français ne veulent pas d'un accord réel, acceptable pour l'URSS, mais seulement de conversations au sujet d'un accord afin de spéculer sur la soi-disant intransigeance de l'URSS vis à vis de l'opinion publique de leur pays et de préparer le chemin d'une entente avec l'agresseur. Les prochains jours doivent montrer si c'est ainsi ou non". De juin à juillet des négociations diplomatiques ont lieu entre l'URSS, la France et l'Angleterre. Les exigences soviétiques soulèvent des obstacles du côté britannique (notamment sur les Pays baltes, la Suisse et les Pays-Bas, qui ne reconnaissent pas le régime communiste, et l'interprétation des termes agression indirecte) mais la France, qui pense que l'alliance militaire avec la Russie soviétique est indispensable, parvient à convaincre le cabinet de Londres. Le 23 juillet, la Grande-Bretagne, la France et la Russie approuvent un projet d'assistance mutuelle dans le cas où l'un des trois pays serait attaqué. Reste à établir les protocoles militaires de l'alliance. Le 27 juillet, au cours d'un dîner entre un expert commercial allemand, Schnurre, et le chef d'une délégation commerciale soviétique, Astakhov, à Prague, l'Allemand s'efforce de convaincre le Russe que son pays ne retirerait aucun avantage d'une alliance avec l'Occident, au contraire, alors qu'une attitude de neutralité lui serait très profitable. Il ajoute que les autorités de Berlin sont disposées à entrer en négociations sur ce point. Le 1er août, Molotov inaugure à
Moscou l'Exposition agricole de toute la Russie, un vaste ensemble de pavillons
à la gloire des réalisations du peuple soviétique.
Il s'agit de prouver, selon le discours de Molotov, "aux États
capitalistes et pays coloniaux qu'il n'y a qu'un moyen de se libérer
de la pauvreté et de la destruction, la voie que la paysannerie
soviétique a choisie". Ce monumental instrument de propagande
survivra à la disparition de l'URSS. Entre la crise qui a secoué
le monde capitaliste et la guerre qui s'annonce, le moment de cette inauguration
est d'autant mieux choisi que le pays du "socialisme réel", après
les crises qu'il a subies, semble être entré dans une phase
de calme et de relative prospérité.
Les délégués militaires occidentaux choisis pour mettre la dernière main à un traité avec l'Union soviétique font route vers Moscou; mais ce sont des personnages de second plan; le représentant de la Grande-Bretagne n'a même pas de pouvoirs écrits; et ils traînent des pieds pour se rendre à leur destination en empruntant un bateau lent au lieu de prendre l'avion! De plus, Chamberlain, malgré une opinion publique anglaise devenue fortement favorable à une alliance avec l'URSS, espère encore amadouer Hitler en lui proposant une aide économique généreuse. Enfin, les négocations achoppent sur le refus de la Pologne de livrer passage à l'Armée rouge; on peut comprendre les réticences polonaises, mais l'URSS n'ayant pas de frontière commune avec l'Allemagne, par où son armée aurait-elle pu passer pour lutter contre elle? Les démocraties occidentales tergiversent; pour reprendre un mot de Wladimir d'Ormesson dans le Figaro, "elles ne savent ni ce qu'elles veulent, ni ce qu'elles ne veulent pas". Le 11 août, Hitler affirme à Carl J. Burckhardt, un responsable suisse de la Société des Nations, qu'il reçoit à Berchtesgaden, que ses regards sont tournés vers l'Est: "Je ne veux rien de l'Ouest; rien aujourd'hui et rien demain... Cependant, je dois avoir les mains libres à l'Est. C'est une question de grains et de bois, que je ne peux trouver qu'à l'Est". C'est la politique de l'espace vitale qui dirige son action (Rapport d'une conversation à Berchtesgaden). Le Führer tentait-il de tromper son interlocuteur pour endormir la France et l'Angleterre? La suite montrera qu'il exprimait sans doute ses vrais desseins et que, si les alliés occidentaux avait laissé tomber la Pologne, comme ils l'avaient fait de la Tchécoslovaquie, peut-être se serait-il rué sur l'URSS bien avant 1941. Le 22 août, la politique du Reich en Pologne est longuement abordée par Hitler, dans un exposé au Berghof (Berchtesgaden) : le pays devra être traité avec la plus grande brutalité, ses populations soumises ou tuées, les cadres polonais (officiers, enseignants, techniciens, titulaires du baccalauréat) exterminés. Cette politique suscite des réserves de la part des militaires de la Wehrmacht qui craignent les réactions de la population. 23 août 1939 : Le Pacte de non agression germano-soviétique ) Quoi qu'il en soit, les atermoiements occidentaux, après l'humiliation de Munich, confirment la suspicion de Staline. Aussi saisit-il la perche que lui tend quelques jours plus tard l'Allemagne et signe-t-il, probablement sans illusion et pour gagner du temps, un pacte de non agression avec son pire ennemi, le 23 août 1939. Ce pacte ne constitue nullement une nouveauté puisque un autre a déjà été signé entre l'Allemagne de Weimar et la Russie soviétique en 1926. Il fait néanmoins l'effet d'une bombe, dans un contexte politique très différent. Une question doit être ici posée
: la politique de sécurité collective était-elle celle
de tous les dirigeants soviétiques? Certains pensent que Molotov
n'était pas d'accord avec Litvinov et qu'il penchait plutôt
pour que l'Union soviétique s'efforce de rester aussi longtemps
que possible en dehors du conflit qui s'annonçait en laissant les
démocraties occidentales et l'Allemagne nazie s'épuiser dans
une guerre qu'il supposait longue, meurtrière et dévastatrice.
Derrière cette querelle, on voit se profiler à nouveau le
débat interne du Komintern entre front populaire et lutte classe
contre classe d'avant 1936. Staline n'aurait choisi entre la ligne de Litvinov
et celle de Molotov qu'en 1939, après les accords de Munich, qui
paraissaient avoir invalidé celle de Litvinov, qui fut d'ailleurs,
comme on l'a vu plus haut, déchargé de son poste de ministre
des Affaires étrangères, au profit de Molotov. Cet échec
de Litvinov, largement imputable aux illusions et aux indécisions
occidentales aurait pu lui coûter sa tête; Molotov affirma
d'ailleurs plus tard que son prédécesseur était resté
en vie par pur hasard.
Le Pacte germano-soviétique est assorti de protocoles secrets qui prévoient le partage de la Pologne ainsi que la main-mise de l'URSS sur les Pays baltes, et qui placent la Finlande dans la sphère d'influence russe. Il est de ce fait plus avantageux pour l'URSS que ne l'aurait été un accord avec les Occidentaux, au moins à court terme! Il met tacitement fin aux pactes de non agression signés en 1932 et 1934 avec la Pologne sans que ce pays n'en soit informé, mais celui-ci avait déjà été prévenu par l'URSS en 1938 des conséquences d'une participation de sa part au partage de la Tchécoslovaquie. Le Pacte permet à Hitler de s'emparer sans grand risque de la Pologne, avant d'attaquer la France. La Seconde Guerre mondiale est devenue inévitable quoi qu'en pensent les commentateurs. Les partis communistes, qui ont dénoncé l'esprit de Munich et se montrent toujours partisans de la fermeté en ce qui concerne la Pologne, n'en mettent pas moint l'accent sur le pacifisme de l'Union soviétique, qui selon leur analyse, sauve la paix; sauve la paix, certes, mais provisoirement et uniquement pour l'URSS! Pour sauver complètement la paix, il faudrait, comme d'ailleurs le souhaite le PC français, que Staline signe maintenant un pacte d'alliance avec la France et la Grande Bretagne, ce que ne lui interdit nullement le Pacte de non agression; mais il y a les protocoles secrets dont on ignore encore tout en Occident. La France et la Grande-Bretagne sont abasourdies. On remarquera pourtant qu'elles sont bien mal placées pour blâmer Staline de jouer cavalier seul moins d'un an après Munich et les accords de non agression "Ribbentrop-Bonnet"! Le Japon, qui espérait un conflit germano-soviétique, est furieux; il estime que le pacte anti-Komintern de 1936 a été foulé aux pieds; il craint de voir désormais des obstacles se lever sur le chemin de la conquête de la Chine. Le Pacte de non agression est également mal accueilli à Madrid par les franquistes. Dans les jours qui suivent la signature du
traité, la tension ne s'apaise pas sur la question du corridor de
Dantzig. La ville passe sous le contrôle du gauleiter nazi Forster
qui en est proclamé chef-d'État. Les gardes frontières
dantzigois usurpent les fonctions de la police polonaise des chemins de
fer. Les incidents se multiplient. En Angleterre, Chamberlain qui signa
les accords de Munich, avec le Français Daladier, déclare
à la Chambre des Communes que le péril de guerre est imminent.
Les résidents anglais sont invités à quitter l'Allemagne.
En France, plusieurs classes de réservistes sont mobilisées.
Le 31 août 1939, Molotov prononce à
la 4ème session extraordinaire du Soviet suprême un discours
consacré à la politique extérieure de l'URSS. Dans
la première partie de son intervention, il accuse les gouvernements
français et anglais d'être responsables de l'échec
des négociations qui se sont déroulées d'avril à
août 1939 en vue de conclure un pacte d'assistance mutuelle anglo-franco-soviétique.
Dans la seconde partie, le chef du gouvernement soviétique justifie
la signature d'un Pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne :
ce pacte s'inscrit dans la politique traditionnelle de l'Union soviétique;
il est conforme aux décisions du 18ème Congrès du
Parti; il ne constitue pas une exception, plusieurs autres traités
similaires ayant déjà été signés par
plusieurs États (dont la Pologne et la France!); il ne constitue
nullement un traité d'alliance... pas un mot bien sûr des
protocoles secrets dont l'existence sera longtemps niée.
31 août - 6 octobre 1939 : La Bataille de Pologne Pendant la nuit du 31 août, un poste émetteur radio allemand, celui de Gleiwitz, situé en Silésie, à la frontière avec la Pologne, est attaqué par des hommes revêtus d'uniformes polonais. C'est une supercherie. En fait les assaillants sont allemands; Hitler veut faire porter la responsabilité de l'ouverture des hostilités à la Pologne! L'armée allemande, aidée par l'armée slovaque, déferle sur la Pologne par l'Ouest, dès le lendemain. Les villes, dont la capitale Varsovie, sont sauvagement bombardées. La Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l'Allemagne. Début septembre, Winston Churchill, dont les prévisions ont été validées par les événements, redevient lord de l'Amirauté, fonction de premier plan au sein du gouvernement britannique qu'il avait déjà exercée pendant la Première Guerre mondiale, non sans déboires d'ailleurs, dans les Dardanelles. A partir du 17 septembre, l'Armée rouge pénètre à son tour dans la partie qui lui a été réservée par les protocoles secrets. Les soldats soviétiques se présentent en libérateurs du prolétariat polonais. Ils sont invités à éviter la confrontation avec les militaires polonais et, si les militaires allemands s'opposent à leur avance, à les balayer. Dans un premier temps, les Polonais se demandent donc si ces soldats que nul n'attendait, ni le gouvernement polonais, ni les autorités allemandes, viennent les aider ou les achever. Les soldats polonais étant désarmés et fait prisonniers, l'ambiguïté est rapidement levée. Il y a pourtant peu de résistance. La population accueille les troupes soviétiques sans animosité ni bienveillance. Il a été défendu aux soldats d'entrer dans les magasins, mais cet ordre n'est pas respecté; nombre de troupiers s'y ruent pour y acheter des produits qu'ils trouvent difficilement en URSS. Il y a quelques accrochages, très peu nombreux, avec les troupes allemandes au cours desquels les Russes obéissent aux ordres qui leur ont été donnés, avec pour conséquences quelques morts. L'Armée rouge fait de nombreux prisonniers; elle n'était pas préparée à un tel afflux, ce qui facilite l'évasion de beaucoup d'entre eux. Des milliers de soldats polonais, réussissent à se soutraire à leurs occupants, via la Roumanie, et à gagner la France où se reforme une armée polonaise sous les ordres du général Sikorski. Les autres connaissent les stalags allemands et les camps soviétiques improvisés; en URSS les conditions sont particulièrement dures et les officiers ainsi que les membres de l'intelligencia font l'objet d'une surveillance particulière. De nombreux officiers polonais, suspects d'anticommunisme, sont massacrés à Katyn, et aussi sans doute ailleurs, notamment noyés dans la mer Blanche. On parle de plus de 15 000 morts mais en fait seuls 2 730 corps auraient été identifiés avec certitude, parmi les 4 143 que contenait la fosse de Katyn. Ces cadavres correspondraient aux prisonniers du camp de Kozielsk. La plupart auraient été tués avec des armes allemandes. A contrario, l'occupation de l'est polonais par l'Armée rouge sauve les Juifs déplacés vers l'orient de l'Union soviétique. La zone soviétique est convertie au communisme, ce qui entraîne rapidement des difficultés économiques. Des chercheurs du contre-espionnage polonais étaient parvenus à percer le code de chiffrage d'Enigma, la machine dont se servaient les militaires allemands pour communiquer entre eux. Malheureusement, l'envahisseur modifia son système juste avant l'entrée en guerre et l'armée polonaise ne fut plus en mesure de décrypter correctement et rapidement les messages de leurs adversaires. Les chercheurs fuirent d'abord en France, puis en Angleterre, où ils poursuivirent leurs travaux au bénéfice des alliés occidentaux. La guerre est donc là, mais, aussi bien en Grande-Bretagne qu'en France, des hommes politiques, membres éminents de leur gouvernement, croient encore qu'un accomodement est possible avec l'Allemagne nazie. Ce qu'ils ignorent sans doute, c'est que, dès l'automne 1939, Hitler veut déclencher rapidement la guerre à l'Ouest; s'il ne le fait pas, c'est que ses généraux l'en dissuadent en lui affirmant que l'armée allemande n'est pas encore prête; d'après le général Warlimont, qui travaillait à l'état-major du Führer auprès du général Jodl, Hitler aurait repoussé treize fois l'ordre de lancer l'offensive (Historia - Deuxième Guerre Mondiale - 1967). La France, qui a reçu des assurances de neutralité de Franco et de Mussolini, se pense protégée au Sud. L'Italie continue d'ailleurs à lui livrer du matériel de guerre, notamment des avions. Le 4 novembre, les lois sur la neutralité américaines (Neutrality Act) de 1935 et 1937 sont abrogées et une nouvelle loi est adoptée qui permet le commerce des armes avec les nations belligérantes sur la base du Cash and Carry. A l'automne 1939, les Pays baltes passent dans l'orbite soviétique. Octobre 1939 - 10 mai 1940 : La drôle de guerre et la guerre russo-finlandaise Le 1er octobre 1939, Churchill approuve le pacte de non agression germano-soviétique dans un discours; il reconnaît que Staline n'avait pas d'autre choix pour protéger son pays; il se félicite même de l'invasion de l'est de la Pologne par l'Armée rouge, car cela porte un coup d'arrêt à l'expansion germanique de ce côté. Chamberlain lui-même, plus discrètement, dans une lettre à sa soeur, admet le bien fondé de la politique soviétique. Churchill est viscéralement anticommuniste, mais il est est aussi persuadé que le nazisme ne peut conduire qu'à une catastrophe; de plus, il est profondément attaché aux racines judaïques de la civilisation occidentale et se montre favorable à la création d'un État juif en Palestine; l'antisémitisme nazi le révulse. Au cours de l'année, Churchill est mis au courant des activités des civils allemands antinazis par Goerdeler et des militaires par Schlabrendorff qui l'a même rencontré. Il les encourage mais cela n'ira pas plus loin. Les négociations entre les résistants allemands et les Occidentaux ne résisteront pas à l'attaque allemande sur la France. Le 5 octobre, les Finlandais sont invités à se rendre à Moscou pour reprendre les entretiens relatifs aux rectifications de frontières. Le 6 novembre, Hitler, fidèle à son habitude de se montrer cordial, après chacun de ses coups tordus, assure la Hollande et la Belgique de son amitié. Cette déclaration suffit pour maintenir ces deux pays dans leur politique de neutralité. Ils y resteront jusqu'à ce qu'il soit trop tard, malgré les informations menaçantes qui vont se multiplier, et seront les deux prochaines victimes. Le 12 octobre, Staline précise ses revendications à la Finlande. Le 30 novembre, les discussions n'aboutissant pas, l'Union soviétique entre en guerre contre la Finlande, en prenant pour prétexte un bombardement dont on pense qu'elle l'a elle-même effectué. L'Union soviétique est exclue de la Société des Nations en violation des règlements de cet organisme, la sanction n'ayant pas obtenu la majorité; la SDN n'aura désormais plus aucune utilité et sera dissoute en 1946. Se souvenant de la révolution communiste finlandaise de 1917, Staline crée un gouvernement communiste finlandais en exil sans doute avec l'espoir de l'imposer à tout le pays. Mais, la résistance finlandaise se montre plus coriace que prévu. Les deux pays éprouvent des pertes sensibles et certains observateurs, dont Hitler, se mettent à douter des capacités militaires de l'Armée rouge. 1940: au début de l'année, l'avantage revient à l'Armée rouge sur le front finlandais. Les promesses d'aide franco-britanniques, d'ailleurs insuffisantes, sont illusoires car la Norvège et de la Suède, deux pays neutres, s'y opposent malgré la sympathie que leur inspire leur voisine du Nord. La Finlande reprend alors des négociations avec l'URSS, par le truchement de la Suède, Staline rejetant toute médiation allemande. Le 29 janvier, le dirigeant soviétique abandonne le pseudo gouvernement finlandais communiste créé quelques mois plus tôt. Les négociations sont ardues mais finissent par aboutir. La frontière est éloignée de Leningrad, où sont fabriqués notamment les chars alors les plus puissants du monde, les KV, des mastodondes qui se sont avérés particulièremnt efficaces pour percer les défenses finlandaises de la ligne Mannherheim. L'Union soviétique a gagné par la force Viborg et l'isthme de Carélie, qu'elle n'avait pas pu obtenir par la négociation. D'autres dispositions visent également à protéger Mourmansk. En URSS, les lopins de terre cultivés librement ne représentent que 3% des terres mais produisent 25% des récoltes, plus de 50% des fruits et légumes et 72% de la viande et du lait! Le 4 février, Iejov, artisan de la grande terreur, est exécuté et un certain nombre de victimes des purges sont réhabilitées; des chefs militaires condamnés sont rappelés des camps pour reprendre du service (Rokossovski, par exemple). Staline sait qu'une guerre avec l'Allemagne interviendra tôt ou tard, mais il espère que le pacte de non agression retardera suffisamment l'échéance pour que son pays soit prêt à y faire face avec succès. En attendant, il évite soigneusement de donner le moindre prétexte à Hitler et fournit à ce dernier une aide matérielle appréciable (minerai de fer, carburant, céréales). Le 10 janvier 1940, un avion allemand, avec des officiers à son bord, s'égare au-dessus de la Belgique et se voit contraint d'atterrir à Malines. Ses occupants sont porteurs de documents sur le plan d'attaque de la Belgique par l'Allemagne. Sans hésiter, le chef d'état-major général belge, le général Vandenbergen, prend des mesures pour faciliter l'entrée des forces anglo-françaises en Belgique. Les armées des alliés ne bougent pas et le général est limogé par son gouvernement! Examinons maintenant la politique diplomatique et militaire de la France et de l'Angleterre qui ont abouti à cette situation. Ces deux pays viennent d'entrer en guerre contre l'Allemagne pour aider un pays non démocratique situé à l'autre bout de l'Europe et qui a participé au dépeçage de la Tchécoslovaquie, même si ce n'est que modestement. Les traités les y obligeaint, mais d'autres traités, et surtout leur intérêt, les obligeaient également à protéger la Tchécoslovaquie démocratique. Cette dernière possédait en effet avant Munich une capacité défensive non négligeable et nombre de chars qui déferleront en 1940 à travers la France seront d'origine tchècoslovaque! Quelle stratégie militaire les alliés ont-ils adoptée pour sauver la Pologne d'une invasion allemande? Ils pouvaient tenter d'envahir la rive gauche du Rhin et la Rhénanie, pour détruire une partie du potentiel militaire de l'Allemagne, alors qu'ils disposaient d'une supériorité numérique écrasante, tant que le gros de l'armée allemande se battait en Pologne, mais ce n'était pas dans leurs intentions! L'armée française s'est enterrée dans la Ligne Maginot et la Grande-Bretagne compte sur un blocus sévère et long pour contraindre l'Allemagne à résipiscence; cette seconde puissance, n'a d'ailleurs pas d'autre choix : sa marine est certes la meilleure du monde, mais elle ne peut rien pour empêcher l'invasion de la Pologne, son armée de terre est insuffisante, comme son aviation, qui ne sera renforcée que sous l'impulsion de Churchill, et le rayon d'action des appareils de l'époque exclut leur emploi à une distance aussi grande. En attendant, la Pologne aura cessé d'exister! En réalité, Français et Anglais se sont engagés dans une guerre qu'ils ne voulaient pas et l'incohérence entre leur diplomatie et leur stratégie militaire n'a jamais été aussi patente. Il y a plus grave, les alliés ne poursuivent pas les mêmes buts. En France, le pacte germano-soviétique a été mal accueilli; la propagande anticommuniste bat son plein et les communistes sont traités en ennemis; la presse communiste est interdite et le PC dissout entre dans la clandestinité. Le gouvernement envisage une action contre l'Union soviétique considérée comme l'alliée de l'Allemagne nazie (ce que dément explicitement le pacte de non-agression). On envisage d'attaquer l'URSS par le sud, à partir du Moyen Orient, et par le nord, pour aller aider la Finlande. Mais, pour atteindre l'URSS, il faut passer à travers la Turquie au sud, et à travers la Norvège et la Suède, jalouses de conserver leur neutralité, au nord! Des plans militaires sont arrêtés. Mais les Anglais ne sont pas d'accord et, sans les rejeter explicitement, ils font tout ce qu'ils peuvent pour en retarder l'application. Londres ne veut pas de guerre avec l'Union soviétique pour de multiples raisons. D'abord parce que son opinion publique n'est pas aussi montée contre l'URSS que l'opinion française; l'action de Maïski n'a probablement pas été complètement vaine. Ensuite parce que les Anglais, qui ont sans doute lu Mein Kampf, pensent avec raison que, tôt ou tard, l'Allemagne nazie va se jeter sur l'URSS pour accomplir le programme d'Hitler (Charles de Gaulle pense à peu près la même chose); alors l'URSS pourra jouer un rôle très utile en Europe centrale aux côtés des Slaves du Sud pour priver l'Allemagne des ressources de cette région, notamment le pétrole roumain. Aussi parce qu'une guerre avec l'URSS menacerait l'empire des Indes travaillé par le nationalisme. Les Anglais, très au fait de ce qui se passe à Moscou, savent que l'URSS ne veut pas nécessairement conquérir la Finlande, mais surtout dégager Leningrad; ils considèrent que, les troupes soviétiques s'étant arrêtées à peu près sur la Ligne Curzon en Pologne, on peut considérer qu'elles n'ont pas envahi réellement ce pays, mais qu'elles ont simplement effacé les conséquences du traité de Riga, et que l'on peut même supposer qu'elles ont agi ainsi dans le souci de protéger des minorités persécutées par les nazis (on pense évidemment aux Juifs); on ne connaîtra que beaucoup plus tard, et d'abord par la propagande allemande, le sort des officiers polonais massacrés à Katyn. Les pourparlers entre alliés traînent assez longtemps pour que la guerre russo-finlandaise prenne fin (le 13 mars 1940) et que l'équipée nordique se réduise à un débarquement en Norvège pour couper la route du fer suédois à l'Allemagne, mais cette dernière aura pris les devants en envahissant la Norvège, le 9 avril 1940. Quant à une attaque de l'URSS par le sud, via la Turquie, l'invasion de la Hollande, de la Belgique, et de la France, à partir du 10 mai 1940, et la rapide défaite des alliés en juin, montreront à quel point elle était réaliste. Dernier point, que ce serait-il passé si la Russie n'avait pas signé le pacte de non agression? Hitler aurait-il renoncé à envahir la Pologne? Pourquoi aurait-il abandonné ses projets après avoir violé tant de fois les traités, dénoncé unilatéralement les pactes et mis la main sur la Tchécoslovaquie sans riposte des démocraties? Il voulait la guerre, et certes il pouvait craindre que ses adversaires occidentaux n'acceptent une fois de plus le fait accompli, mais il lui restait alors toujours la possibilité de s'attaquer lui-même, ce qu'il fit d'ailleurs en Pologne, pour masquer devant le monde son agression en la faisant passer pour une riposte. Quant à Staline, il était fondé à penser que les Anglais et les Français s'inclineraient une fois de plus et qu'il risquait alors de se retrouver seul face à son pire ennemi; le pacte lui offrait un répit, il en a saisi l'occasion; ceux qui se sont montrés si accommodants avec Hitler peuvent-ils décemment le lui reprocher? On peut supposer que le maître du Kremlin espérait que la guerre à l'Ouest durerait plus longtemps et que le vainqueur, quel qu'il soit, sortirait trop affaibli du conflit pour oser affronter une Armée rouge intacte et dotée d'un imposant matériel militaire tout juste sorti des usines. On continue en Occident de reprocher à l'URSS le Pacte germano-soviétique en oubliant que ce pays ne fut pas le seul à tenter de composer avec l'Allemagne nazie, ainsi que le souligna Molotov. La France elle-même ne signa-t-elle pas un pacte de non agression avec l'Allemagne nazie à la fin de l'année 1938, juste avant l'invasion de ce qui restait de la Tchécoslovaquie? Certains neutres, la Suède et la Suisse, par exemple, n'entretinrent-ils pas des relations normales avec Berlin pendant toute la durée de la guerre? Quant à Roosevelt, s'il voulut faire des États-Unis l'arsenal des démocraties dès 1940, il se heurtait à une opinion américaine neutraliste qui refusait de se laisser entraîner dans un nouveau conflit européen; les investissements américains en Allemagne avaient largement contribué au réarmement allemand et ils restaient encore importants en 1941; après les victoires allemandes de 1940, les investissements privés américains, dans une Allemagne qui semblait alors présenter un bon risque, augmentèrent même significativement; du pétrole américain continuait à parvenir en Allemagne par des voies détournées; certes, la majorité de la population américaine penchait plutôt pour l'alliance franco-britannique, mais d'influentes personnalités se montraient ouvertement pro nazies (l'aviateur Lindbergh, l'industriel antisémite Ford...), et les Juifs américains étaient peu conscients des menaces qui pesaient sur leurs correligionnaires européens. Imaginons que les USA aient rejoint dès 1939 le camp des alliés, on peut penser que cela aurait amené Hitler à réfléchir! Staline dira un jour à un émissaire américain qu'il suffirait que les États-Unis s'engagent dans la guerre contre Hitler pour qu'elle soit gagnée sans tirer un coup de fusil; cela était sans doute exagéré, mais pas complètement infondé. On peut déplorer l'attitude américaine, mais on serait mal venu de s'en étonner. L'isolationnisme était une tradition de la politique américaine depuis les pères fondateurs; dans son message d'adieu, Washington n'a-t-il pas écrit : "La grande règle vis-à-vis des nations étrangères est, en étendant nos relations commerciales, de n'avoir avec elles qu'aussi peu de liens politiques qu'il est possible.... L'Europe a toute une série d'intérêts de premier plan qui ne nous concernent pas ou qui ne nous touchent que de très loin.... Notre véritable politique doit être d'éviter des alliances permanentes avec quelque partie que ce soit du monde étranger" et Monroe n'a-t-il pas fermé le continent américain à toute tentative de colonisation et d'ingérence européenne, avec en contrepartie, l'assurance de la non intrusion des Américains en Europe. Après la guerre de 1914-1918, et la déception qu'entraîna le traité de Versailles dans le camp américain, il était difficile d'attendre de la part des États-Unis une position plus affirmée. Bien sûr, l'acte déclencheur de l'invasion de la Pologne est bien le Pacte de non agression, mais celui-ci s'inscrit dans la suite logique des encouragements successifs reçus par la politique nazie de la part des pays occidentaux qui auraient pu et dû tenir tête, alors qu'il en était encore temps, au lieu de toujours tergiverser ou céder. Dans la partie de poker menteur diplomatique qui se déroule de 1933 à 1939, même un pays comme la Pologne, qui sera la première des futures victimes, n'a pas toujours tenu, on l'a vu, une conduite irréprochable! Le 17 mars 1940, Hitler nomme ministre des Armements et des Munitions Fritz Todt, constructeur des autoroutes et de la ligne Siegfried, pendant allemand de la ligne Maginot. Le 21 mars, Paul Reynaud succède à Daladier, comme Président du Conseil des ministres français. Plus énergique que son prédécesseur, il semble plus apte à faire face à une guerre active. 10 mai - 22 juin 1940 : La Bataille de France Le 10 mai 1940, alors que l'armée allemande prend l'offensive à l'Ouest et ose affronter la première armée du monde, celle de la France, selon les experts, Winston Churchill, opposé aux accords de Munich, succède comme Premier ministre de Grande-Bretagne à Chamberlain, le pusillanime et naïf homme de ces accords. Un gouvernement d'union nationale, comprenant des libéraux et des travaillistes, en plus des conservateurs, majoritaires à la chambres des Communes, est formé à Londres. Un Comité de guerre restreint est constitué. Le 13 mai, devant la Chambre des communes le nouveau Premier ministre prend ouvertement position pour une guerre jusqu'à la victoire finale en ne promettant au peuple anglais que du sang, de la sueur et des larmes. Mais, au fur et à mesure que les affaires tournent mal pour les alliés sur le continent, il subit de fortes pressions de la part de lord Halifax, chef du parti conservateur et membre du Comité de guerre, un aristocrate qui éprouve de la sympathie pour le régime nazi, afin d'approcher Hitler, par le biais de Mussolini, pour négocier une paix de compromis. Chamberlain soutient cette approche, rejetée par Churchill, tout en tentant de concilier les points de vue des deux antagonistes. Au sein du Comité de guerre, le Premier ministre ne peut guère compter que sur ses adversaires politiques du parti travailliste. Les jours passent, de déboires en catastrophes, et les troupes britanniques en sont bientôt réduites à se réfugier à Dunkerque pour tenter de regagner l'Angleterre. Combien y parviendront? Beaucoup d'entre eux, avec aussi des Français et 20 000 Polonais de l'armée de Sikorski, sans leur matériel. Mais nul ne le sait encore et Halifax accentue la pression sur Churchill en menaçant de démissionner. Le Premier ministre est saisi par le doute; avec les militaires, il recense les forces réduites sur lesquelles le Royaume uni peut encore compter; à court terme, il n'attend pas grand chose des États-Unis dont il dit qu'ils prennent toujours le bon chemin mais après avoir essayé tous les autres! Il prévoit qu'une fois la France vaincue, Hitler se jettera sur l'URSS et que, si celle-ci succombe, il trouvera ensuite un prétexte pour détruire la Grande-Bretagne. Malgré son anticommunisme, Churchill comprend qu'il n'a pas d'autre choix que de poursuivre le combat en espérant que l'Union soviétique entrera bientôt à son tour dans l'arène. Il se ressaisit donc et décide de passer au-dessus du cabinet de guerre en s'adressant, le 28 mai, à l'ensemble du gouvernement en un discours mémorable où il ne voit pour son pays qu'une alternative : la victoire ou la mort dans l'honneur. Cet éloquent plaidoyer pour une guerre jusqu'au bout est longuement applaudi par les membres du gouvernement debout. La politique de Churchill a triomphé et l'Angleterre poursuivra la guerre jusqu'à la destruction du régime nazi. En France, le 18 mai, le maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, entre au gouvernement. Le 20 mai, devant la gravité de la situation, le général Gamelin cède la place au général Weygand à la tête de l'armée française. Weygand obtient des succès grâce à sa stratégie de défense en "hérissons", des nids de résistance fortement armés et chargés de résister jusqu'au bout. De nombreux chars allemands sont détruits. Mais les armées alliés, après le rembarquement miraculeux des Anglais et d'une partie des Français à Dunkerque, n'ont plus les capacités de songer à l'offensive. La partie paraît donc désespérée. En début juin, Sir Stafford Cripps, partisan d'une alliance avec l'URSS, est nommé ambassadeur de Grande-Bretagne à Moscou. Une perche est tendue. Le 6 juin, Reynaud fait entrer Charles de Gaulle, qu'il connaît depuis les années 1930, au gouvernement, après l'avoir promu général de brigade à titre provisoire le 25 mai. Ce général de fraîche date est connu comme partisan de la guerre des chars; il vient de s'illustrer lors d'une contre offensive, qui a sérieusement menacé les blindés allemands de Guderian, à la tête d'une division cuirassée. Le 10 juin, Mussolini déclare la guerre à la France : le Duce, prudent jusqu'à présent, parce que conscient des faiblesses de son armée, est maintenant jaloux du Führer et se rue à la curée! Mal lui en prend, il va offrir dans les Alpes à l'armée française sa seule victoire au cours de la Bataille de France! Compte tenu de la situation militaire, la modération du roi n'a plus aucun poids politique; ce serait même une sorte de trahison : en regagnant le camp des vainqueurs à temps, l'Italie peut espérer d'importants gains territoriaux (Savoie, Nice, Tunisie). Mais les alliances ne sont que des expédients transitoires et Louis XIV avait déjà remarqué que la maison de Savoie terminait rarement une guerre dans le camp où elle l'avait commencée! Elle en donnera une fois de plus la preuve trois ans plus tard. Le même jour, le gouvernement quitte Paris pour Tours, sur le chemin de Bordeaux. Il apparaît que la situation militaire n'est plus tenable. Deux solutions sont débattues : partir de l'autre côté de la Méditerranée et poursuivre la lutte avec la flotte qui est presque intacte, ou entrer en contact avec l'ennemi pour traiter de la cessation des hostilités. Le gouvernement est divisé. Reynaud, suivi par de Gaulle, est favorable à la poursuite de la lutte. Il sollicite l'aide de Washington. Le maréchal Pétain et Weygand optent pour la résignation. Une atmosphère de complot et d'intrigues, sur fond de rumeurs, se développe, auquel Pierre Laval n'est pas étranger. Le bruit court le 13 juin que le PC a pris le pouvoir à Paris et que Thorez est à l'Élysée, ce qui est faux (en fait, Thorez est à Moscou!), mais rappelle le souvenir de la commune de Paris aux gens de droite. Le 14 juin le gouvernement est à Bordeaux. Les discussions sont âpres entre les partisans de la poursuite de la guerre et leurs opposants où commencent à se profiler les futurs collaborateurs, pacifistes, défaitistes, voire opportunistes, ces derniers voyant dans la défaite une occasion de "régénérer" le pays à leur façon, proche de celle de Franco ou de Mussolini. De Gaulle est envoyé à Londres pour obtenir de la marine britannique les moyens de transport nécessaires pour transporter en Afrique du Nord le plus de troupes et de matériel possible. Le 15 juin, Paul Reynaud propose à Weygand de capituler avec l'armée de terre métropolitaine, tandis que le gouvernement irait en Afrique pour poursuivre la lutte avec la flotte, l'aviation et ce que l'on pourrait retirer de la métropole. Weygand refuse avec indignation; il ne veut pas que tout l'opprobre de la défaite tombe sur l'armée et que le gouvernement s'en sorte intact! Camille Chautemps suggère de demander à Hitler ses conditions de cessation des hostilités afin de prouver que l'on ne peut rien attendre de lui. Georges Mandel met en garde contre cette idée qui risque de faire perdre du temps et d'éliminer toute possibilité de résister. Le 16 juin, Pétain lit une lettre de démission et ajoute qu'il faut en finir. Reynaud reçoit la réponse de Roosevelt; le Président des USA est disposé à fournir toute l'aide en armes et en matériel que la France demandera, mais il ne peut pas entrer en guerre sans l'accord du Congrès. C'est alors qu'arrive de Londres une nouvelle qui surprend tout le monde : Churchill propose que les deux pays n'en fassent qu'un pendant toute la durée de la guerre. Un fois remis de leur surprise, les défaitistes s'opposent avec fougue à cette proposition en arguant du fait que la France ne serait plus qu'une colonie britannique et que la perfide Albion ne cherche par ce biais qu'à mettre la main sur l'Empire français. A la fin de la journée, une majorité se dessine en faveur de la proposition Chautemps. Paul Reynaud démissionne et suggère au Président de la République, Albert Lebrun, de choisir Pétain, qui a déjà dans sa poche un cabinet de rechange, pour le remplacer; le général Weygand y est ministre de la Défense nationale. En fin de journée, un message est envoyé, via Madrid, à Hitler et un autre à Mussolini, via le Vatican, pour connaître leurs conditions de paix. Hitler ne répond pas par des conditions de paix, qui auraient été inacceptables, mais par des conditions d'armistice qu'il formule aussi conciliantes que possible. Quand sera venu le temps de la paix, il envisage de démembrer la France (rattachement du Nord aux Flandres, autonomie de la Bretagne, création d'un État bourguignon, agrandissement de l'Alsace-Lorraine redevenue allemande). Pour le moment, il veut à tout prix terminer les hostilités avec une France dont le gouvernement restera en métropole avec sa marine de guerre. Il rêve même de s'entendre avec le maréchal Pétain pour l'amener à entrer en guerre contre l'Angleterre si celle-ci s'obstine, puis contre l'Union soviétique, par affinité idéologique. Mais, après la soumission de la France, Hitler, qui admire l'Empire britannique et qui espère amener les Anglo-Saxons dans son camp, compte tenu de leurs origines germaniques, pense que Londres ne tardera pas à son tour à baisser les bras. Les termes de l'armistice étant acceptables, il sont acceptés le 22 juin et signés le 25. La France est coupée en quatre, deux zones au Nord et au Nord-Est sous administration directe de l'Allemagne, une zone occupée au nord de la Loire et sur le littoral atlantique, et enfin une zone libre ailleurs; une ligne de démarcation sépare zone occupée et zone libre, mais ces deux zones restent en droit, sinon en fait, sous l'autorité du gouvernement français qui s'installe à Vichy, en zone libre; la France conserve sa flotte et ses colonies. Va-t-elle sortir de la guerre? Pas tout à fait. De Gaulle est revenu en France. Devant la tournure prise par les événements, il retourne à Londres, d'où, le 18 juin, il lance son célèbre appel à poursuivre la lutte dans lequel il déclare qu'une bataille a été perdue mais que la guerre peut-être gagnée par l'intervention d'autres forces qui n'ont pas encore donné (il pense évidemment aux États-Unis et à l'URSS). La France restera donc dans la guerre, mais, dans un premier temps, avec des moyens très limités. Sa participation ne deviendra conséquente qu'avec le ralliement de l'Empire à la cause gaulliste, mais cela n'ira pas tout seul, ni parfois sans friction avec les alliés. En attendant, la force principale qui reste aux côtés de la Grande-Bretagne est constituée par l'armée polonaise en exil. L'armistice avec Mussolini est signée le 24 juin; le 18 juin, le Duce a rencontré Hitler à Munich et il a été contraint de se plier à la politique conciliante du Führer envers la France en abandonnant des revendications territoriales disproportionnées par rapport au rôle de son pays dans la victoire; il devra se contenter d'une petite zone d'occupation en métropole; la frustration qu'il en éprouve explique probablement en grande partie son comportement futur. La cessation des hostilités par la France entraîne des conséquences importantes pour l'Angleterre; la Méditerranée occidentale, dont la défense était confiée à la marine française tombe sous le pouvoir de l'Axe germano-italien ce qui oblige la marine britannique à se redéployer; le littoral européen est occupé par l'Allemagne de la Norvège à l'Espagne, ce qui met les îles britanniques à la portée des avions allemands et les convois qui les ravitaillent à la merci des sous-marins et des cuirassiers de poche germaniques, plus rapides et mieux armés, que les lourds navires britanniques; les tonnages coulés sont impressionnants avant que les Anglais ne trouvent une parade efficace. Grâce à la clause Cash and Carry, les États-Unis vendent à la Grande-Bretagne tout ce dont elle a besoin, mais encore faut-il pouvoir l'acheminer jusqu'en Europe et la flotte anglaise ne dispose pas des moyens d'escorte capables de protéger les convois d'un bout à l'autre du trajet. Churchill a déjà demandé aux États-Unis le prêt de 40 à 50 destroyers pour protéger son pays de l'invasion qui le menace. Mais le Congrès s'y est opposé. Le gouvernement américain trouve une astuce pour tourner la difficulté en proposant d'échanger les navires contre des bases américaines en territoires sous juridiction anglaise pour renforcer la défense des États-Unis. L'hostilité du Congrès est ainsi surmontée. D'autre part, depuis le coup de poignard dans le dos italien et la défaite de la France, l'opinion publique américaine est en train d'évoluer et Roosevelt, qui est en passe d'être réélu pour la troisième fois, un record, pense déjà à un débarquement en Afrique du Nord. La rapide défaite des alliés en France, peut laisser penser que l'armée allemande disposait d'un matériel moderne plus important et plus efficace que celui des alliés. L'importance des chars et des avions a souvent été mise en exergue. Mais cette opinion doit être plus que nuancée. L'armée allemande était loin d'être aussi mécanisée qu'on pourrait le supposer. Pendant toute la durée du conflit, elle continuera à employer largement la traction animale, voir la traction humaine, pour transporter jusqu'au front, sur d'importantes distances, les énormes approvisionnements indispensables, surtout en Russie. Les chars et les avions alliés, en qualité, comme en quantité, auraient pu rivaliser avec ceux du 3ème Reich, s'ils avaient été mieux utilisés. Mais deux conceptions de leur emploi s'opposaient; les Allemands disposaient d'unités mécanisés (chars accompagnés d'infanterie motorisée), étroitement coordonnées avec l'aviation, pour enfoncer le front de l'adversaire et progresser rapidement sur ses arrières et le désorganiser; les alliés, axés sur la défensive, dont la ligne maginot était le symbole, utilisaient les chars en grande partie de manière dispersée, en appoint de l'infanterie, et sans coordination suffisante entre les blindés et l'aviation. C'est cette différence d'approche, héritée du côté allié de l'expérience de la guerre de 1914-1918, qui explique la rapidité de l'effondrement anglo-français plus qu'un sous-armement largement mythique qui alimentera la polémique politique sous le régime de Vichy. Le général de Gaulle, en France, avait prôné la création d'unités mécanisées, mais il n'avait pas été écouté! En Asie, la défaite de la France coupe le ravitaillement de la Chine via l'Indochine. En juin, le Japon, profitant de la défaite française en Europe, menace l'Indochine française. Le 16 juin, le général Catroux riposte en interrompant les livraisons de pétrole à la Chine sous contrôle japonais. Les Chinois ne disposent plus, comme liaison terrestre, que de la route de Birmanie. Le 18 juillet 1940, l'Angleterre, qui doit faire face seule à l'Allemagne nazie, ferme, à la demande de Tokyo, cette voie d'accès de la Chine pour s'approvisionner de l'extérieur. Roosevelt intervient pour qu'elle soit rouverte. Ce sera le cas le 18 octobre 1940, après la victoire de l'aviation britannique sur l'aviation allemande pendant la bataille d'Angleterre. Mais l'invasion de la Birmanie par les Japonais la fermera à nouveau. Juin - juillet 1940 : Position du PCF face à l'armistice Le 17 juin 1940, Charles Tillon, chargé de réorganiser le parti communiste dans le Sud-Ouest, lance un appel à la résistance contre "le fascisme hitlérien" à Bordeaux. Le 22 juin 1940, le Komintern (Dimitrov et Thorez) adresse un télégramme à Fried. Ce dernier, qui est à Bruxelles, est supposé être en contact avec ce qui reste des dirigeants communistes français. Depuis la signature du Pacte de non agression germano-soviétique, le PCF, dissout, se trouve dans la clandestinité, abandonné par nombre de ses militants hostiles au pacte, privé de sa presse, affaibli par des arrestations, et complètement désorganisé. Avant même l'envoi des directives du Komintern, quelques dirigeants du Parti ont pris contact avec les autorités d'occupation pour obtenir l'autorisation de faire reparaître l'Humanité. Ils l'obtiendront dans un premier temps pour la reperdre aussitôt. Ils reviendront à la charge en compromettant maladroitement le PCF qui sera ensuite suspecté de collaboration avec les nazis et d'antisémitisme. Lu comme un texte écrit dans le cadre de la doctrine communiste prônant l'internationalisme prolétarien, et dans le contexte d'un retour à la stratégie "classe contre classe", le télégramme du Komintern ne comporte rien d'extraordinaire, si ce n'est une certaine naïveté. Mais lu sous un autre jour, il peut donner prise à des interprétations bien différentes. Les mots changent de sens en passant d'un filtre idéologique à un autre; la fraternisation des soldats belligérants en 1917 est une trahison pour un nationaliste et un acte d'héroïsme révolutionnaire pour un marxiste! Il faut se reporter dans le contexte de l'époque. Il était sans doute trop tôt pour que le PCF renonce à l'internationalisme prolétarien, une des bases du marxisme, alors que les dirigeants du prolétariat allemand, communistes et socialistes, croupissaient dans des camps de concentration dans leur pays et, qu'en France, ceux qui s'y étaient réfugiés avaient été arrêtés et étaient sur le point d'être livrés à Hitler! La tentative du PCF de rentrer dans la légalité n'est pas en soi condamnable; mais les auteurs de cette initiative auraient pu se dispenser de flatter les nazis dans le sens du poil en utilisant des arguments tels que les origines juives d'un ministre républicain, Mandel, qui tombera plus tard sous les balles de la Gestapo. Le 10 juillet, le jour même où Pétain obtient les pleins pouvoirs à Vichy, de nouvelles consignes de MauriceThorez et Jacques Duclos désavouent les contacts pris avec les autorités d'occupation qui sont de nature à discréditer le Parti et lancent un appel au peuple de France : "Jamais un grand peuple comme le nôtre ne sera un peuple d'esclaves... La France ne deviendra pas une sorte de pays colonisé; la France au passé si glorieux ne s'agenouillera pas devant une équipe de valets prêts à toutes les besognes..." Cette mise au point désamorce la crise au sein du PCF clandestin, mais elle ne convainc pas les anticommunistes. Cependant, les arrestations de communistes se poursuivent en zone libre comme en zone occupée, après comme avant la tentative avortée de ramener le PCF dans la légalité, et cette répression ne semble guère compatible avec l'existence d'une collusion entre le PCF et l'occupant nazi, mais elle ne dédouane pas totalement les auteurs de la tentative de légalisation dans la mesure où il est évidemment impossible de savoir ce qui se serait passé si elle avait réussi. Il s'agit donc d'une affaire complexe sur laquelle toute la lumière n'a pas été faite et ne le sera sans doute jamais. Quoi qu'il en soit, à cette époque, la mouvance communiste en France est divisée en deux tendances, une tendance légaliste qui espère pouvoir militer dans l'État français vichyste comme sous la Troisième République, ce qui relève de l'illusion, et une tendance antifasciste qui n'accepte aucune compromission, ni avec l'occupant ni avec le régime de Vichy. Grosso modo, la première tendance comporte surtout des dirigeants et la seconde beaucoup de militants. Le 25 juin, deux émissaires anglais, Lord Gort et M. Duff Cooper, atterrissent au Maroc. Ils viennent inciter le général Noguès à poursuivre le combat dans l'empire sous les ordres d'un gouvernement français qui pourrait être formé avec les politiciens hostiles à l'armistice qui sont partis de France sur le paquebot Massilia. Malheureusement, ils n'ont pas grand chose de concret à proposer. Le général Noguès hésite; les militaires français d'Afrique, qui n'ont pas connu la défaite, souhaiteraient reprendre la lutte. Mais, compte tenu des rapports militaires, Noguès, qui redoute la perte de l'Afrique du Nord, suite à une invasion italo-allemande, renonce. Cependant tout est mis en oeuvre pour dissimuler autant de produits stratégiques et de matériel militaire que possible, jusque dans les grottes des montagnes; les effectifs des unités sont minorés par rapport à la réalité, on déguise des militaires en civils, et des documents sont même établis pour effectuer une mobilisation rapide dès la reprise des hostilités. Cet énorme travail est réalisé avant l'arrivée de la commission d'armistice qui s'y laissera prendre; il s'avèrera très utile deux ans plus tard. En mai et juin 1940, selon des historiens français
et allemands, plusieurs milliers de soldats africains incorporés
dans les troupes françaises ont été massacrés
par la Wehrmacht, en Picardie, en Bourgogne et en région lyonnaise,
entre 1 500 et 3 000 selon le chercheur allemand Raffael Scheck (Une
saison noire. Les massacres de tirailleurs sénégalais. Mai-juin
1940). Au bois d'Eraine, dans l'Oise, un officier leur aurait reproché
l'usage du coupe-coupe; à Châtillon-sur-Seine (Bourgogne),
le motif des exécutions aurait été la morsure d'un
officier SS par un soldat noir; à Chasselay sur Saône
(Rhône), où les combats furent rudes, le 18 juin, après
une chasse à l'homme, 188 Africains, 6 Nord-Africains, un Russe
et un Albanais sont tués, les corps sont aspergés d'essence
et brûlés; d'autres prisonniers sont exhibés comme
des trophées, attachés à l'avant des chars! Ces actes
sont évidemment inspirés par l'idéologie raciste d'Hitler;
Guderian invite ses troupes à se montrer sans pitié envers
les soldats coloniaux qui ont bestialement mutilé des blessés
allemands; les souvenirs du nettoyage des tranchés en 14-18 sont
encore présents, ainsi que l'occupation, mal vécue par la
population, de la Rhénanie à laquelle des Africains participèrent.
Une active propagande raciste dénonce la Honte noire, c'est-à-dire
la présence d'occupants africains sur le sol allemand considérée
comme une souillure. Une carte postale allemande des années 1920,
qui représente un soldat africain aux allures de bolchevik à
côté d'un soldat tchèque non moins caricaturé
placés au-dessus d'une banderole tricolore frappée de la
devise Brutalité, Bestialité, Égalité,
est particulièrement illustrative de cet état d'esprit (source
: Wikipédia)!
Le racisme n'explique pourtant pas totalement les massacres perpétrés contre des prisonniers sans défense. Plusieurs soldats britanniques et français métropolitains en furent aussi les victimes. C'est ainsi, pour ne citer que cet exemple, que, le 27 mai 1940, au hameau du Paradis, dans la commune française de Lestrem (Pas-de-Calais), des soldats de la 14ème compagnie de la division SS Totenkopf, sous le commandement du Hauptsturmführer Fritz Knöchlein, tuèrent 97 prisonniers anglais capturés au moment ils retraitaient vers Dunkerque. Il ne faut pas croire que la SS eut l'apanage de ces crimes de guerre; comme on l'a déjà dit, la Wehrmacht en prit aussi sa part. Ils préfigurent ceux qui seront commis à partir de l'année suivante en URSS sur une plus grande échelle. Après la défaite de la France, Molotov félicite Hitler pour ses succès à l'Ouest; mais il ne s'agit là que de pur langage diplomatique car, en même temps, chargé de cette tâche par Staline, il accélère vigoureusement la production de chars d'assaut afin d'opposer à toute tentative d'invasion allemande un mur d'acier. Parallèlement, une loi relative au service militaire obligatoire a porté l'Armée rouge à un effectif de 5 millions de combattants. Mais il faudra du temps pour remplir les effectifs et les familiariser avec le nouveau matériel! Les Soviétiques, qui espéraient une guerre plus longue à l'Ouest, comprennent que le pacte de non agression a perdu beaucoup de son utilité pour Hitler avec l'effondrement de la France. Il faut agir vite. Dès le 14 juin, l'URSS prend définitivement possession des Pays baltes, non sans quelques incidents, notamment en Lituanie. Une loi porte en Russie la semaine de travail
à 56 heures (7 jours et 8 heures par jour). Cette mesure, sans doute
peu appréciée par les travailleurs, vise évidemment
à accélérer la production du matériel de guerre.
Le 1er juillet 1940, est créé le service de renseignement et d'actions clandestines de la France libre qui portera plusieurs noms au cours de son existence, mais reste plus connu sous celui de BCRA (Bureau central de renseignements et d'action). Il manifeste l'intention du général de Gaulle de se comporter d'emblée comme le véritable représentant de la France avec tous les pouvoirs que cela représente, ce qui sera source de conflit avec Churchill d'abord, puis surtout Roosevelt. Le général admettra difficilement que des Français obéissent aux ordres de puissances étrangères, fussent-elles alliées et surtout que les Alliés traitent des affaires de la France dans son dos. En 1943, le BCRA sera fusionné avec les services de l'Armée française libre en Algérie au sein de la direction générale des services spéciaux (DGSS). Le 3 juillet, les bateaux français se trouvant dans des ports anglais sont pris par les marins anglais et les marins français sont traités en prisonniers de guerre. Du 3 au 6 juillet se déroule de graves événements à Mers el-Kébir, en Algérie, où stationne une partie de la flotte française. Les Anglais ont subordonné leur accord aux négociations de l'armistice entre la France et l'Allemagne à la condition que la flotte française soit dirigée sur les ports britanniques en attendant l'ouverture des pouparlers. Cette exigence a été transmise à Paul Reynaud, encore Président du Conseil qui a jugé prudent de n'en pas faire état, aux cours des discussions qui se déroulaient encore au sujet de la poursuite de la lutte dans l'Empire. Les négociateurs de l'armistice ont donc ignoré la volonté de Londres. L'article 8 du traité d'armistice laisse la flotte à ce qui reste de la France. Mais Churchill n'a aucune confiance dans le respect de cet article par Hitler, un homme qui ne tient jamais ses promesses. La présence de la majeure partie de la flotte française dans les ports de la Méditerranée, à portée de main d'une armée allemande triomphante, l'inquiète. Dans l'hypothèse où l'Allemagne réussirait à s'emparer de la flotte française, avec le concours de la flotte italienne, la Méditerranée se fermerait aux navires britanniques, isolant le Moyen Orient et l'Égypte de Londres, ce qui rendrait possible une tentative d'invasion de la Grande-Bretagne. Pour éviter cette périlleuse situation, Londres donne l'ordre à la flotte de Gibraltar de tenter une action sur Mers el-Kébir. L'amiral anglais offre plusieurs options à l'amiral français : quitter la Méditerranée pour se réfugier hors de portée des forces allemandes ou saborder ses navires, faute de quoi la flotte anglaise coulera les bateaux français. L'amiral français refuse. Une bataille navale s'engage. La flotte française est gravement endommagée et perd 1295 marins. Ce tragique affrontement, entre deux nations encore alliées la veille, va faire le jeu de la propagande anti-britannique en France; la marine française gardera rancune à l'encontre de son éternelle rivale, la marine britannique; voilà qui ne facilitera pas la tâche de rassemblement des forces de l'Empire français derrière le général de Gaulle. De nombreux aviateurs français, disposés à rejoindre la France libre à un moment où l'Angleterre avait le plus besoin de pilotes, auraient été dissuadés de le faire. L'amiral Darlan, chef de la marine française, qui, dans un premier temps, a refusé l'armistice et a mis à l'abri des bateaux en Afrique, devient farouchement anti-anglais. L'Angleterre ne s'en tiendra pas là, elle placera aussi un temps sous étroite surveillance la flotte française des Antilles, mais ne l'attaquera pas. Du 19 au 22 juillet, Winston Churchill crée le Special Operations Executive (SOE), chargé d'aider et de coordonner les mouvements de résistance dans les pays sous domination allemande, lesquels mouvements vont fournir, au risque de leur vie, des informations très utiles aux forces armées britanniques. Peu étoffé au départ, le SOE prendra de plus en plus d'importance au cours de la guerre avec l'essor des mouvements de résistance à travers l'Europe qui seront placés par Londres dans sa sphère d'intervention. Son action n'ira pas sans soulever parfois des conflits avec le général de Gaulle. Une répartition des attributions sera bien réalisée mais elle s'avérera peu satisfaisante, le général restant jaloux des prérogatives qu'il estime être les siennes et les Anglais n'ayant qu'une confiance relative dans la discrétion des services français. On l'a vu, Hitler escomptait une reddition rapide de la Grande-Bretagne. Le 19 juillet, il présente ses propositions de paix que les Anglais rejettent le 22. Il ne reste plus que l'invasion, d'ailleurs déjà en cours de préparation (opération See-löwe). Des plans ont été établis par la marine et l'armée de terre allemande. Mais ces plans sont inachevés et contradictoires. Il s'avère rapidement que, sans élimination totale par la Luftwaffe de la Royal Air Force, un débarquement armé en Angleterre est impossible. La marine allemande, qui a subi des pertes élevées en Norvège, n'est pas en mesure d'assurer à la fois l'approvisionnement de l'Allemagne, la protection des convois pour envahir l'Angleterre et le transport des troupes. C'est à ce moment que la flotte française lui serait très utile, mais comment s'en emparer? Après Mers el-Kébir, on imagine mal qu'elle puisse tomber intacte entre des mains étrangères, sauf accord de Vichy. De plus, si l'aviation britannique est totalement détruite, Londres n'aura plus d'autre choix que de renoncer à la lutte. L'invasion deviendra alors inutile. C'est donc à Goering (ou Göring), et à son armée de l'air, que Hitler confie le soin d'amener l'Angleterre à la paix allemande. Dans un premier temps, la Luftwaffe détruit les aéroports, la chasse britannique, les usines de production d'avions et les stations de surveillance. Mais cette stratégie paraît rapidement insuffisante et très coûteuse. Les Britanniques, inférieurs en nombre, bénéficient en effet d'un avantage important, par rapport à l'armée de l'air allemande : le radar, qui les prévient à l'avance des incursions ennemies dans leur ciel. De plus, le réseau de surveillanve et d'information de la RAF est remarquablement bien organisé et efficace. Lors de chaque raid, les Allemands perdent plus d'appareils que les Britanniques. L'aviation britannique se renforce de jour en jour, sous l'impulsion de Churchill, et se montre même capable de bombarder Berlin (le 25 août), malgré les insuffisances en nombre et en rayon d'action des bombardiers britanniques au début du conflit; Hitler est furieux. Pour toutes ces raisons, Goering adopte une autre stratégie, dans un second temps. Elle consiste à frapper les villes anglaises pour terroriser la population et l'amener à imposer la paix à ses dirigeants. Londres est particulièrement visée. Mais le résultat obtenu est diamétralement opposé à celui qui était attendu; les civils britanniques, au lieu de fléchir, se raidissent et deviennent de plus en plus hostiles à l'Allemagne hitlérienne. Le 15 septembre, la RAF remporte une victoire, en engageant toutes ses réserves contre les avions allemands qui tentent de bombarder Londres; la RAF annonce avoir abattu ce jour là 183 avions ennemis, mais on apprendra plus tard que ce nombre a été généreusement triplé pour les besoins de la propagande. Quoi qu'il en soit, la perspective d'un anéantissement de la flotte aérienne britannique, et par voie de conséquence d'une invasion des îles, ne peut plus être d'actualité et Hitler envisage d'attaquer l'Angleterre ailleurs, en lui fermant la Méditerranée. Le 12 octobre, il remet donc le projet d'invasion au printemps 1941. En Indochine française, à partir de la mi juin, le général Catroux, sous la pression japonaise, met fin aux approvisionnement des nationalistes chinois en carburant puis ferme la frontière le 7 juillet. Le 22 juillet, l'amiral Decoux, un proche de l'amiral Darlan, remplace le général Catroux, destitué par Vichy. A Singapour, Catroux rejoint la France libre. 30 juillet 1940 : Création des Chantiers de Jeunesse Le 30 juillet sont créés les Chantiers de la Jeunesse destinés à remplacer le service militaire, incompatible avec les dispositions de l'armistice, par un un service de six mois, mi scout mi militaire, dont la direction est confiée au général de la Porte du Theil, ancien supérieur du général de Gaulle à Metz. Le but de ces Chantiers est de rassembler les jeunes gens en âge de servir pour leur donner, bien sûr sans arme, une discipline militaire sommaire, au grand air et dans des conditions sanitaires aussi bonnes que possible, s'adonnant à des exercices physiques et à la gymnastique, afin d'obtenir de solides gaillards, sains de corps et d'esprit, capables de devenir ultérieurement la base d'une armée nouvelle. Ils doivent aussi contribuer à la solution des problèmes économiques du pays, notamment en fabriquant dans les forêts du charbon de bois qui se substitue alors dans les véhicules à gazogène à l'essence contingentée et réquisitionnée par l'occupant. L'uniforme de ces soldats pacifiques est vert forestier et ils sont coiffés d'un béret. Le général de la Porte du Theil est dès le début convaincu que l'Allemagne finira par perdre la guerre mais que cela peut prendre beaucoup de temps. 3 - 10 août 1940 : Invasion de la Somalie britannique par les Italiens Du 3 au 10 août, l'Italie envahit la Somalie britannique. Les Britanniques, qui ne pouvaient espérer repousser l'agresseur avec les faibles moyens dont ils disposaient lui font payer cher son triomphe. Ils sont d'ailleurs bien décidés à revenir car cette invasion menace le Kenya ainsi que la navigation sur la Mer rouge. Objectif atteint quelques mois plus tard avec, au passage, la conquête de la Somalie italienne. Les Italiens sont déconcertés par la rapidité des mouvements de leurs adversaires. Cette bataille sur le continent africain en annonce d'autres qui, avec les opérations menées au Moyen Orient, ne seront pas sans conséquences lorsque l'Allemagne attaquera la Russie, dans la mesure où leurs résultats protègent le flanc sud de ce vaste pays. Le 7 août, un accord est passé entre Churchill et le général de Gaulle. Ce dernier est reconnu officiellement comme le chef des Français qui continuent le combat. Les bateaux sont rendus, les marins libérés, et une flotte française libre voit le jour sous les ordre du vice-amiral Muselier. L'Angleterre s'engage à restaurer intégralement l'indépendance et la grandeur de la France une fois la victoire remportée. Trotsky est assassiné à Mexico par Ramón Mercader, un agent soviétique (20 août 1940). Du 26 au 30 août, l'Afrique équatoriale française abandonne Vichy pour rejoindre le camp gaulliste, sauf le Gabon qui ne se ralliera que du 27 octobre au 12 novembre, conquis par les armes. Désormais des troupes françaises vont reprendre le combat, un combat où s'illustrera notamment le futur maréchal Leclerc. En Guyane et aux Antilles, la population est favorable à la poursuite de la lutte dans l'empire, mais les autorités en place restent fidèles à Vichy. Le 30 août, le régime de Vichy signe à Tokyo un accord de principe avec les Japonais, reconnaissant la position privilégiée et les intérêts du Japon en Extrême-Orient. En contrepartie, le Japon reconnaît la souveraineté française sur toute l'Indochine et il s'engage à en respecter l'intégrité. La France accepte de céder des bases au Japon au nord de l'Indochine. En août 1940, à Lyon, Henri Frenay et Berty Albrecht créent le Mouvement de Libération Nationale d'inspiration gaulliste, ce qui le coupe des résistants vichystes. Ce mouvement prendra plus tard le nom de Combat et regroupera des personnalités démocrates chrétiennes (Bidault, de Menthon, Teitgen...) qui seront, après guerre, à l'origine du parti MRP (Mouvement républicain poulaire). Septembre 1940 : Weygand en Afrique du Nord Le 5 septembre, le maréchal Pétain supprime le ministère de la Défense nationale, ce qui lui permet d'évincer le général Weygand du gouvernement. Partisan de l'armistice, le général n'avait considéré ce pis-aller que comme une trêve. Il ne s'entend pas avec les membres du gouvernement qui y voient un aboutissement, voire même une divine surprise, et le leur fait savoir vertement. Le maréchal propose à Weygand un poste très important à créer en Afrique. Le général répond sèchement qu'il n'a pas besoin de compensation. Finalement, après réflexion, il accepte avec le secret dessein d'en tirer parti pour ramener l'armée d'Afrique dans le combat aux côtés des Anglais. Nommé délégué général et commandant en chef en Afrique française, il est doté des pouvoirs d'une sorte de proconsul qui s'étendent sur l'ensemble de l'Afrique française. De son chef, et secrètement par rapport à Vichy, il s'attache à contrecarrer les entreprises de l'Axe autant qu'il le peut en camouflant du matériel et des matières premières stratégiques, en gonflant les effectifs, quitte à ce qu'ils soient clandestins, en parcourant sans se lasser en avion l'immense territoire placé sous ses ordres pour gagner les populations, en préparant les ordres de mobilisation pour le cas où les clauses de l'armistice seraient violées, et en communiquant fréquemment avec Murphy, le consul des États-Unis à Alger. Il peut compter sur l'adhésion à ses vues d'une grande partie des officiers de l'Armée d'Afrique qui, on l'a vu, ont déjà agi dans le même sens. Mais ils sont trop peu nombreux pour encadrer l'armée qu'il rêve de constituer et il s'attache alors à en faire venir d'autres de métropole par navires, déguisés en gradés de la marine, avec la complicité du capitaine et de l'équipage gonflé par ces surnuméraires. Il fait exécuter ceux qui se livrent à des activités d'espionnage au profit des Italo-Allemands, qui pullulent en Afrique du Nord, comme membres de la Commission d'armistice, ou sous d'autres prétextes. Ce faisant, il devient l'une des bêtes noires du Führer lequel envisage un moment de le faire assassiner. Le 12 septembre, Mussolini lance ses troupes stationnées en Lybie contre l'Égypte. Ce pays, sur la voie de l'indépendance depuis 1936, est toujours sous influence britannique, ce qui l'a entraîné dans la guerre en 1939, contre la volonté d'une partie de sa population (Anouar el-Sadate, futur président, sera emprisonné pour ses contacts avec des Allemands). Le 22 septembre, à la demande des Japonais, l'amiral Decoux rencontre un émissaire pour signer avec lui quelques accords; mais cette rencontre ne vise qu'à faire bénéficier l'armée impériale du Soleil levant de l'effet de surprise; dès le lendemain, l'amiral doit faire face à une invasion qu'il ne peut repousser, dans la région de Lang Son, au Tonkin. Les Japonais prennent pied dans une Indochine qui reste cependant nominalement sous souveraineté française. Le 26 septembre, des unités nippones, méfiantes après les pertes qu'elles viennent de subir dans ce pays, débarquent dans les environs de Haiphong, avec l'accord du gouverneur général français. La propagande japonaise s'efforce de discréditer la France auprès des autochtones qui sont pour la plupart hostiles à ces envahisseurs brutaux. Elle trouve pourtant un écho favorable auprès de quelques minorités et chez les tenants du caodaïsme. Du 23 au 25 septembre, une tentative anglo-gaulliste sur Dakar, pour rallier l'Afrique occidentale française à la France libre du général de Gaulle, échoue. Les marins français d'AOF, flattés d'avoir vaincu la prestigieuse marine britannique, n'en tiendront pas rigueur aux marins anglais. Après le débarquement allié en Afrique du Nord française, en 1942, et l'occupation de toute la France par l'armée allemande, l'AOF se ralliera à Darlan, puis, après l'assassinat de Darlan, au général Giraud, l'homme de Roosevelt contre de Gaulle. En septembre 1940, le premier réseau de résistance universitaire est fondé par les communistes Jacques Decour, Georges Politzer et Jacques Solomon. En décembre 1940, un long tract signé des régions parisiennes du PCF et des Jeunesses communistes incite les étudiants à ne pas s'égarer dans le combat frontal avec l'occupant : "Assurer l'indépendance de la France, c'est permettre à ce pays d'être libéré de l'impérialisme britannique [...]. Ce n'est pas par la guerre que la France redeviendra libre et indépendante, c'est par la révolution socialiste". Valse hésitation, difficultés de synchronisation des militants d'un parti clandestin, ou plutôt expression des tendances qui le divisent? Le 12 octobre, à Douala (Cameroun) le colonel Leclerc est chargé par de Gaulle d'établir un théâtre d'opération saharien aux confins de la Libye et du Tchad, avec pour objectifs la conquête du Fezzan, un territoire grand comme la France. Le 18 octobre,
l'Angleterre qui avait fermé la route de Birmanie le 29 août,
la rouvre à nouveau. La Chine peut continuer de recevoir l'aide
des États-Unis pour résister au Japon.
Octobre
1940 : Le projet méditerranéen d'Hitler
Selon des
sources plutôt favorables au régime de Vichy, en octobre 1940,
devant la ténacité britannique, l'Allemagne échafaude
un plan d'envergure pour chasser les navires anglais de la Méditerranée.
Ce plan implique évidemment l'Italie, mais aussi la France et l'Espagne.
Lors d'un périple l'amenant à rencontrer Franco, à
Hendaye (23 octobre), Pétain, à Montoire (24 octobre), et
Mussolini, à Florence (28 octobre), Hitler s'efforce d'amener la
France et l'Espagne à rejoindre le camp italo-germanique et d'inciter
l'Italie à adopter son plan. Mais ni l'Espagne, qui sort exsangue
de la guerre civile et survit grâce aux importations venues des États-Unis
et de l'Angleterre, ni la France de Vichy qui garde des contacts avec Londres,
bien que les relations diplomatiques aient été rompues après
Mers el-Kébir, et dont nombre de chefs militaires de terre et de
l'air rêvent de reprendre la lutte auprès de leurs alliés
de 1939, n'ont intérêt à une telle alliance. Franco
est porté à se montrer d'autant moins enclin à cette
aventure que les confidences de son ami l'amiral Canaris, patron du contre
espionnage de l'armée allemande (Abwehr), l'amènent
à penser que l'Allemagne sera probablement vaincue. Pétain
est disposé à collaborer en espérant obtenir en échange
un assouplissement de l'application des clauses de l'armistice et le retour
des prisonniers, mais il est opposé à une alliance militaire;
l'armée d'armistice, réduite à 100 000 hommes, s'efforce
de soustraire à l'armée allemande autant de matériel
que possible et de le cacher. Quant à Mussolini, après avoir
conquis l'Albanie, il regarde maintenant vers la Grèce, sans en
parler à son comparse de Berlin. Le Führer pense convaincre
ses interlocuteurs en les alléchant par des promesses contradictoires
qu'il sait ne pas pouvoir tenir, notamment sur Gibraltar et les colonies
d'Afrique qui seraient repartagées après la victoire garantissant
aux uns les possessions qu'il distribue aux autres. Ce qu'il ne sait pas,
c'est que Franco et Pétain, qui se connaissent très bien
depuis que le maréchal français a été ambassadeur
à Madrid, se sont déjà concertés et sont fermement
décidés à ne pas se laisser berner. Les discussions
avec Hitler sont donc difficiles (celle de Franco durera 9 heures) et décevantes
pour la diplomatie allemande qui n'obtient pas grand chose. Le plan allemand
dans toute son ampleur s'avère impraticable et se réduira
à la glorieuse mais vaine équipée de Rommel dans le
désert libyen et à l'occupation de la Crète. Encore
convient-il d'observer que ces deux événements n'interviendront
qu'après l'échec des tentatives mussoliniennes sur la Grèce
ainsi que sur l'Égypte et le canal de Suez à partir de la
Libye, alors colonie italienne. Les défaites successives de l'Italie
obligent l'Allemagne à intervenir pour sauver Mussolini. Le Führer
ne peut pas laisser découvrir son flanc sud alors qu'il prépare
l'invasion de l'URSS. Il envoie donc un corps expéditionnaire allemand
à l'aide des Italiens. Le rêve de Rommel, qui dirige ce corps,
de franchir le canal de Suez, de couper la route des Indes, de se saisir
du pétrole du Moyen Orient, puis d'attaquer l'URSS par le Sud, sera
brutalement interrompu par les Britanniques à Tobrouk. Hitler ne
fournira d'ailleurs jamais à son lieutenant les moyens de réaliser
son rêve. L'échec du plan de fermeture de la Méditerranée
va bénéficier à l'Angleterre, au détriment
de l'URSS dont l'invasion aurait peut-être été différée
d'un an, s'il avait été exécuté. Franco, qui
s'est félicité de l'arrivée au pouvoir de Chamberlain,
l'homme de Munich, champion de la non intervention, restera en relation
d'affaires avec la Grande-Bretagne. Les Anglais lui en seront reconnaissants
en 1945!
On a fait allusion ci-dessus aux réticences de l'amiral Canaris envers la politique internationale d'Hitler. De fait, Oster, l'adjoint de Canaris, un conspirateur antinazi qui ira jusqu'à prévenir les Occidentaux des prochaines cibles du Führer, est en train de faire de l'Abwher une pépinière d'antinazis en y faisant entrer Bonhoeffer, Müller et Helmuth von Moltke. Müller s'efforce, depuis le début de la guerre d'obtenir la paix par l'entremise du Vatican afin de régénérer l'Allemagne avec l'aide des Alliés occidentaux. Mais les victoires allemandes démobilisent les généraux antinazis. En octobre 1940, le gauleiter Simon
organise au grand duché du Luxembourg un référendum
de rattachement à l'Allemagne qui n'obtient pas le succès
escompté par le Führer : 97% des électeurs ne se rendent
pas aux urnes!
Le 28 octobre
1940, Mussolini attaque la Grèce; on l'a dit, il n'a pratiquement
rien eu des dépouilles de la France et son amour-propre en a été
blessé; il se dédommage sur une autre proie qu'il espère
facile. Les affinités idéologiques ne garantissent pas la
sécurité dans le camp fasciste! De plus, par cette action
unilatérale, le dictateur italien veut montrer à celui de
Berlin que la Méditerranée est sa chasse gardée et
le restera même en cas d'alliance germano-espagnole. Il accueille
le Führer à Florence, à sa descente du train, en lui
annonçant la nouvelle, une nouvelle que le maître de l'Allemagne
apprécie fort peu.
Le 11 novembre 1940, une manifestation d'étudiants
est brutalement réprimée à Paris. Elle comprenait
des non communistes et des communistes; l'un de ces derniers sera fusillé
plus tard : il figurera sur la sinistre Affiche rouge. Un de mes
amis, aujourd'hui décédé, participa à cette
manifestation; il connaissait bien le futur fusillé de l'Affiche
rouge; celui-ci lui conseilla de se cacher, ce que mon ami ne fit pas;
il fut arrêté et ne dut son salut qu'à la bienveillance
d'un commissaire de police qui réussit à le faire libérer,
mais qui lui ordonna de quitter Paris le plus vite possible; mon ami s'en
fut à Marseille où il entra dans un réseau de résistance
de la police; il avait alors 18 ans.
En octobre 1940, la direction du PCF met en
place une Organisation Spéciale (OS), constitués au
départ d'éléments aguerris pour effectuer un certain
nombre de tâches relevant du service d'ordre et des coups de main
: récupération d'armes, d'explosifs, intimidation des traîtres,
protection des militants qui prennent la parole sur les marchés,
distribuent des tracts, collent des affiches, des papillons, participent
à des manifestations patriotiques contre le régime de Vichy.
Toujours le 11 novembre 1940, en commémoration de l'anniversaire de 1918, l'aéronavale britannique détruit une partie de la flotte italienne dans le port de Tarente, notamment la moitié des cuirassés de la Regia Marina. Cette brillante action suscite l'intérêt des Japonais qui vont l'étudier avec soin pour préparer Pearl Harbour et adapter leurs torpilles aériennes aux attaques en eaux peu profondes. En Méditerranée, les Anglais, obligés de scinder en deux leurs forces navales pour défendre à la fois Gibraltar, Suez et le Moyen Orient, et pour venir en aide à la Grèce, sont handicapés par rapport à la marine italienne. Mais ils bénéficient d'un atout majeur : les porte-avions, dont Mussolini n'a jamais voulu entendre parler. De ce fait, l'avantage revient à la marine britannique. Cela va attiser la mésentente entre le Führer, qui souhaiterait une implication plus importante de la flotte italienne dans le conflit, et le Duce, qui renâcle à sacrifier les fleurons de sa marine de guerre. En novembre 1940, est fondé par Pierre Lévy et Jean-Jacques Soudeille un mouvement de résistance d'abord nommé France-Liberté, qui deviendra Franc-Tireur en décembre 1941. Le 2 décembre, Leclerc s'établit à Fort-Lamy (Tchad) et prépare son embryon d'armée. Le 7 décembre, il se déplace à Faya (Largeau) pour se rapprocher de la frontière libyenne. Le 10 décembre, mécontent du résultat de ses rencontres avec Franco et Pétain, le Führer ordonne la préparation de l'invasion de la zone libre de France (opération Anton), sans doute en vue de représailles, une mesure soigneusement cachée à Mussolini. Le 13 décembre, Pétain renvoie Pierre Laval qui a perdu sa confiance et le remplace par Pierre-Etienne Flandin, un homme politique hostile à une collaboration trop poussée avec l'Allemagne qui risqerait de déboucher sur une guerre avec l'Angleterre. Hitler, très mécontent, prend des mesures de rétorsion contre la France de Vichy. Eté - automne 1940 : Le remodelage allemand de la carte de l'Europe centrale Dès juillet 1940, Hitler commence à penser à l'invasion de l'URSS. Mais ses militaires lui font savoir que celle-ci n'est pas envisageable avant le printemps 1941. Trois plans sont élaborés. Tous consistent à attaquer l'URSS dans trois directions en privilégiant l'axe central qui est dirigé sur Moscou. Hitler en choisit un qu'il modifie en décidant de s'emparer en premier de Leningrad, ce qui constitue une erreur stratégique à laquelle les militaires n'osent pas s'opposer. L'objectif n'est pas la conquête totale de l'URSS mais la destruction de son armée par des attaques concentriques suivies d'encerclements, puis l'occupation de la Russie d'Europe jusqu'à une ligne Arkhangelsk-Volga. Ensuite, une série d'États vassaux de l'Allemagne seraient créés, États baltes, Russie blanche, Ukraine... à l'Ouest pour protéger le coeur du Reich. Hitler insiste sur le caractère idéologique de la lutte : il s'agit d'éradiquer le communisme de la surface de la terre. Dès lors, le respect des règles et la pitié ne sont plus de mise : il faut tuer dès leur capture tous les commissaires politiques et les fonctionnaires importants de l'URSS. L'Allemagne cependant ne connaît que très mal la situation intérieure de l'URSS et l'état de ses forces armées. Un service de contre espionnage efficace rend très difficile les investigations au pays des soviets. L'armée de l'air allemande viole donc discrètement l'espace aérien soviétique à plusieurs reprises pour repérer et photographier les sites stratégiques tandis que le lourd dispositif allemand de l'invasion se met en place. Cela ne peut évidemment pas complètement échapper à l'oeil de Moscou. Mais la stratégie russe est pour le moment purement défensive. Staline sait que son armée n'est pas complètement prête à affronter celle d'Hitler et, plus prudent que jamais, il est disposé à ne rien faire pour s'attirer les foudres de ce dernier. Il a même ordonné a son armée de ne pas riposter à d'éventuelles provocations. L'Armée rouge a tiré les leçons du conflit avec la Finlande et de la défaite de la France. Sa doctrine militaire a été une fois de plus adaptée pour se rapprocher de celle de Toukhatchevski. Mais ces rectifications entraînent des réorganisations qui sont loin d'être achevées, et le matériel militaire moderne n'est pas encore complètement parvenu aux troupes frontalières, éléments qui constituent autant de facteurs d'affaiblissement de la défense russe. Hitler ne peut pas envisager d'attaquer l'URSS avant d'avoir sécurisé son flanc droit, c'est-à-dire résolu les problèmes compliqués des Balkans. Mais il aurait voulu y parvenir par la voie diplomatique, ce que contrarient des initiatives italiennes inopportunes. Les frontières de l'Europe centrale sont néanmoins réaménagées sous l'égide du Führer. En Roumanie, un parti fasciste puissant et assez populaire, la Garde de Fer, existe, mais le roi Carol II s'efforce de le contenir en faisant notamment exécuter sommairement son chef, Codreanu, de plus ce pays, qui a été favorisé par les traités après le Première Guerre mondiale, au détriment de la Hongrie, de la Russie et de la Bulgarie, aurait intérêt à rester proche de l'Angleterre et de la France. Mais la déroute française de 1940 et la probabilité d'une défaite britannique ont changé la donne et la Roumanie en tient compte : la Grande-Bretagne n'a plus les moyens de lui assurer la protection promise un an plus tôt, et la France encore moins! Le 22 mai 1940, Hitler lui a déjà imposé un nouvel accord qui réserve au Reich en guerre la totalité des exportations roumaines de pétrole. Le 4 juillet, pour éviter le sort de la Pologne, la Roumanie adhère donc à la politique du troisième Reich. Quant à la Turquie elle retourne prudemment à la neutralité. Le 31 août, par l'arbitrage de Vienne, les frontières de la Hongrie, de la Roumanie et de la Bulgarie sont rectifiées sous la dictée des Allemands au détriment de la Roumanie. Le peuple roumain est traversé par une vague de germanophobie. L'URSS n'est pas consultée et Molotov y voit une violation du pacte de non agression. Les rapports entre l'Allemagne et l'URSS recommencent à se tendre. La Roumanie est également contrainte de céder la Bessarabie et la Bucovine septentrionale à l'Union soviétique. Cette dernière rattache la Bessarabie roumanophone à une Moldavie soviétique qui comprend la Transnistrie russophone. Cet ensemble hétéroclite prend le nom de République soviétique socialiste moldave. Hitler se demande si cette avancée de l'URSS vers l'Ouest, qui n'est d'ailleurs qu'une restitution de territoires autrefois russes, ne favorise pas un noir dessein de Staline pour encercler l'Allemagne; mais cet arrangement figurait dans les protocoles secrets du pacte de non agression et il s'effectue sous la pression d'une Allemagne qui n'a aucun ménagement à respecter pour cette nouvelle alliée laquelle a profité en son temps du traité de Versailles; n'empêche, cela rapproche par trop l'URSS des champs pétrolifères roumains! Le 4 septembre, un coup d'État porte au pouvoir Antonescu qui s'arroge le titre de Conducator. Le 6 septembre, le roi Carol II, déchu, est remplacé par son fils Michel 1er. Antonescu et la Garde de fer instaurent un régime fasciste en Roumanie. Le 11 octobre 1940, les Allemands y envoient des troupes soi-disant pour protéger les puits de pétrole de Ploesti. Ces effectifs représenteront la valeur de douze divisions au printemps de 1941. Cette occupation conduit le gouvernement américain à bloquer les avoirs roumains aux USA. Au fil du temps, Antonescu finira par n'être plus qu'un simple lieutenant du Führer. Le 21 août 1941, le dictateur roumain se décerne le grade de maréchal. La Bulgarie est une monarchie parlementaire où se succèdent jusqu'en 1941 des gouvernements civils et militaires plus ou moins dictatoriaux. Le roi Boris III est contraint de composer avec eux. le pays cherche à maintenir un difficile équilibre entre l'Occident, l'Union soviétique et le régime nazi. L'essentiel des échange commerciaux s'effectue avec l'Allemagne, ce qui influence évidemment les choix du royaume slave. De plus, l'opinion du pays est divisée, ce qui incite les autorités à la prudence. En 1940, Boris III ne déclare-t-il pas: "Mes généraux sont germanophiles, mes diplomates anglophiles ; la reine (une fille du roi d'Italie) est italophile et mon peuple russophile. Je suis seul neutre en Bulgarie." Au début de 1940, les succès de Hitler, amènent le roi à remplacer son premier ministre pro-occidental par un germanophile notoire. En juillet, Hitler laisse entendre à ce dernier que la Roumanie pourrait rendre la Dobroudja du Sud à son pays, ce qui est fait en septembre. Boris III remercie Hitler et Mussolini, mais également l'Union soviétique et l'Angleterre. En octobre 1940, Mussolini propose à Boris III de se joindre à lui pour envahir la Grèce, moyennant quoi la Bulgarie obtiendrait un débouché sur la Mer Égée. Le monarque bulgare décline amicalement la proposition du Duce. En novembre, il refuse à Hitler l'entrée dans le Pacte tripartite (Rome-Berlin-Tokyo) du 27 septembre 1940, ce qui lui vaut d'être traité de "renard rusé" par le Führer. Il rejette également un pacte bilatéral que Moscou lui propose. Après Pearl Harbour, la Bulgarie déclare une guerre de pure forme aux États-Unis et à l'Angleterre. Mais elle reste neutre dans le conflit qui oppose l'Allemagne nazie à l'URSS communiste; le roi interdit même la création d'une légion anti-bolchevique bulgare. Le 24 décembre 1940, la "Loi sur la Sauvegarde de la nation" édicte de premières mesures antisémites. Mais son début d'application soulève une telle vague d'indignation parmi la population bulgare qu'elle restera pratiquement lettre morte tant que le gouvernement royal conservera la maîtrise des affaires intérieures du pays. Le 20 novembre,
la Hongrie s'allie à l'Allemagne nazie; le 12 décembre, ce
pays signe un pacte de paix perpétuelle et d'amitié éternelle
avec la Yougoslavie; on verra que l'éternité ne dure que
quelques mois en matière diplomatique! Le 23 novembre, la Roumanie
adhère à l'Axe, mais tout le monde n'est pas d'accord : des
maquis commencent à apparaître et deux divisions roumaines,
les divisions Vladimirescu et Horia-Closca-Crisan combattront en URSS contre
les nazis.
La Finlande conclut, le 1er octobre 1940, un accord de coopération économique et militaire avec l'Allemagne, qui permet aux troupes du Reich de stationner sur le territoire finlandais. En décembre 1940, après l'échec de son plan de fermeture de la Méditerranée, Hitler jette les yeux vers de nouveaux théâtres d'opérations : les Balkans, où l'invasion italienne entreprise contre la Grèce à son insu tourne mal. Le 18 décembre, Hitler, qui méprise l'Armée rouge depuis la guerre soviéto-finlandaise, ordonne la préparation de l'opération Barbarossa (Barberousse) qui vise à soumettre l'Union soviétique en quelques mois à partir de la mi-mai 1941, une fois l'affaire des Balkans réglée. Pendant le second semestre de 1940, environ 200 prisonniers français, détenus en Pologne et en Prusse orientale, s'évadent et tentent de se réfugier en Union soviétique. Beaucoup parviennent à franchir la frontière malgré les nombreuses difficultés à surmonter pour y parvenir. Mais, arrivés de l'autre côté, ils sont accueillis avec méfiance. Leur entrée en URSS, sans titre approprié délivré par les autorités, constitue un délit et ils sont de plus soupçonnés d'être des espions. Sauf exceptions, ils sont donc arrêtés et transférés dans des camps où ils retrouvent notamment des prisonniers polonais, par exemple au camp de Kozielsk. Certains sont emmnenés à Moscou, à la Loubianka, siège du NKVD, pour y être interrogés. 1940-1943 : Bataille de l'Atlantique Courant 1940, le Danemark étant occupé
par l'Allemagne, la Grande-Bretagne, pour protéger l'Atlantique
nord, s'empare de l'Islande, malgré sa neutralité, et y installe
une base militaire. En 1941, l'Islande est transmise aux États-Unis,
qui protègent déjà le Groenland. La marine américaine
est chargée de détruire tout navire militaire rencontré
dans les eaux islandaise. Hitler, qui se garde pour le moment d'irriter
les USA, ordonne à sa marine d'éviter les incidents avec
des bâtiments américains, mais il s'en produit tout de même.
Cette mainmise des alliés sur
l'Islande s'inscrit dans le contexte de la guerre sous-marine qui sévit
sur l'Atlantique. En 1940, les pertes britanniques, dont les cargos se
déplaçaient individuellement, furent très élevées,
ce qui incita à regrouper les bateaux de transport en convois escortés
par des navires de guerre. Mais, les navires de guerre de cette époque
n'avaient pas une autonomie suffisante pour accompagner les convois d'un
bout à l'autre du trajet. Par ailleurs, faute de terrains d'atterrissage,
les avions ne pouvait pas assurer une couverture aérienne très
au-delà des zones côtières. Les porte-avions n'étaient
pas assez nombreux pour qu'il soit possible d'en distraire des zones de
combat qui allaient rapidement s'étendre jusqu'à l'Asie.
Il existait donc, au milieu de l'Atlantique, une faille importante où
les sous-marins allemands pouvaient attaquer en meute les convois sans
courir de grands risques. Les Anglais d'abord, puis les Américains
s'efforcèrent donc d'établir autant de relais que possible
sur l'océan pour que leur aviation soit capable de protéger
au mieux les convois. On remarquera que, malgré l'expérience
britannique, les Américains commirent en fin 1941 et 1942, les mêmes
fautes que les Anglais en laissant leurs cargos naviguer seuls. Beaucoup
furent coulés, y compris à faible distance des côtes
américaines. Les Allemands estimaient que, s'ils parvenaient à
détruire 800 000 tonnes de navires alliés par mois, ils gagneraient
la guerre, ce qui est plausible car il eût alors été
impossible de préparer les débarquements alliés en
Europe! Ils n'y parvinrent que deux mois en 1942. Au printemps 1943,
l'avantantage tournera définitivement au profit des alliés.
Le 17 janvier 1941, l'ambassadeur du Reich à Moscou est avisé que le gouvernement soviétique est étonné de ne pas avoir obtenu de réponse au sujet de sa demande concernant les intérêts soviétiques en Finlande, en Turquie et dans les Balkans. Au cours d'une conférence avec ses amiraux, Hitler, traite Staline de maître chanteur éhonté! 1941: Le 5 janvier arrive à Vichy l'amiral Leahy, ambassadeur et représentant permanent du président Roosevelt, un personnage important qui a pour mission de gagner la confiance du maréchal et de contrebalancer l'influence allemande. Roosevelt mise alors tout sur le vainqueur de Verdun, mais les Américains connaissent si mal les problèmes européens qu'ils vont s'indigner, lors des rafles antisémites, que l'on sépare les enfants juifs de leurs parents que l'on déporte! Laval exigera que les enfants partent avec leurs parents et cela lui sera reproché plus tard. L'Humanité n'a pas été autorisée à reparaître officiellement, mais elle se diffuse clandestinement. Voici ce que l'on peut lire dans son numéro 97 du 13 janvier: "Le peuple français ne marche pas pour une politique de collaboration qui signifie la domestication de la France. Il n'envisage qu'une collaboration, celle qui l'unira au peuple allemand, aux soldats allemands, qui ont comme nous à conquérir le droit à une vie nouvelle en abattant à jamais le régime capitaliste." On voit qu'il y a loin de la collaboration de Vichy à celle du PCF qui ne l'entrevoit qu'après la révolution socialiste dans les deux pays. Georges Guingouin, un militant communiste, publie en janvier 1941 le premier numéro du Travailleur limousin, un journal clandestin dans lequel il s'abstient soigneusement de toute attaque contre de Gaulle et le Royaume-Uni. 21 janvier - 28 novembre 1941 : La fin de l'empire fasciste d'Afrique Le 21 janvier, le général Platt, venu du Soudan, oblige les forces italiennes à évacuer Kassala, la porte de l'Érytrée. En février 1941, les Anglais attaquent l'Éthiopie et l'Érytrée, à partir de la Somalie, du Kenya et du Soudan. La conquête de ces deux dernières possessions italiennes en Afrique orientale commence le 3 février par la rude bataille de Keren (Érytrée) qui dure jusqu'à fin mars. La conquête complète s'achève le 28 novembre par la capitulation des rescapés italiens à Gondar au nord-ouest de l'Éthiopie. Les combats se déroulent dans un milieu particulièrement difficile et face à une armée relativement pugnace. Ils sont marqués par des contacts singuliers entre l'armée britannique et l'armée italienne. Cette dernière, incapable de protéger des soulèvements éthiopiens les civils italiens, nombreux dans les villes, demande à ses adversaires d'intervenir rapidement après son retrait pour rétablir l'ordre. Des résistants éthiopiens se joignent aux Anglais et exercent des sévices sur les soldats italiens qu'ils capturent. Mais d'autres Éthiopiens se battent du côté italien, par suite d'hostilités tribales ou par refus du retour de l'empereur Hailé Sélassié qui accompagne les Britanniques à la tête d'une petite troupe locale. Des unités françaises libres prennent part à ces opérations dont la Brigade française d'Orient, du général Monclar, qui a un oeil sur Djibouti. Mais l'enclave française de la Mer rouge refusera obstinément de rallier la France libre et endurera, jusqu'au 1er janvier 1943, un embargo alimentaire qui entraînera le départ des deux tiers de la population indigène. Du 21 au 23 janvier 1941 se déroule à Bucarest un coup d'État de la Garde de Fer contre le régime d'Antonescu qu'elle a porté pourtant au pouvoir. Elle trouve désormais ce pouvoir totalement soumis à l'Allemagne nazie trop modéré et pas assez antisémite. Le coup d'État est d'ailleurs accompagné d'un pogrom où périssent 125 Juifs. Un nouveau pogrom aura lieu à Jasy, le 27 juin 1941. La rébellion échoue, la Garde de Fer est dissoute et 9 000 de ses membres sont jetés en prison, avec la bénédiction d'Hitler. En janvier 1941, après l'humiliante équipée italienne en Grèce, qui oblige les Allemands à intervenir dans les Balkans, la Bulgarie est contrainte d'adhérer au système d'alliances nazi. Mais, dans un premier, elle se contente de laisser passer librement sur son territoire les troupes hitlériennes sans participer aux combats. Hitler remerciera la Bulgarie en lui confiant l'Administration d'une importante partie des Balkans. Le 1er mars 1941, Leclerc, venu du Tchad, s'empare de l'oasis de Koufra au sud de la Libye, avec l'appoint de l'unité saharienne britannique du major Clayton. Le 2, il fait devant ses troupes le serment de ne pas cesser le combat avant que le drapeau tricolore flotte sur Metz et Strasbourg. Mais Koufra est trop à l'est pour fournir une base de départ pour la conquête du Fezzan. Leclerc remet donc la place à la garde des Anglais qui continuent d'y faire flotter le drapeau tricolore à côté du leur, et se replie sur Faya. En février 1941, en URSS, une cinquantaine des premiers évadés français des camps de prisonniers sont transférés à la prison de Boutyrka où leur sort s'améliore. Mais la prison leur pèse et ils protestent contre leur incarcération en se livrant à une grève de la faim. Le 10 février, l'Amiral Darlan remplace Flandin à la tête du gouvernement de Vichy, sous l'égide du maréchal Pétain. Depuis les débuts de la guerre, les États-Unis vendent du matériel à l'Angleterre (Cash and Carry) tout en restant neutre dans le conflit, selon les voeux de leur opinion publique. Mais, au printemps 1941, Londres voit ses réserves d'or s'épuiser. Churchill presse Roosevelt de continuer à l'approvisionner à crédit. Un nouveau système de Prêt-bail est adopté par les États-Unis, le 11 mars 1941; ce dispositif de location du matériel de guerre constitue un premier pas vers la fin de la neutralité américaine. Pour justifier ce dispositif, Roosevelt observe que, lorsque le feu dévore la maison de son voisin, on lui prête un tuyau d'arrosage sans lui demander de payer d'avance! La population américaine commence à voir d'un très mauvais oeil les appétits italo-germaniques dans les Balkans et l'invasion de la Grèce l'indigne. En 1941, Chennault propose à Tchang Kaï Chek de constituer un groupe aérien spécial pour défendre la route de Birmanie. Le projet approuvé, il retourne aux États-Unis pour y recruter des aviateurs. Dans le cadre de la loi Prêt-bail, une centaine d'appareils de chasse sont livrés à l'armée chinoise. Avec ces avions, et ses recrues, Chennault, forme le groupe qui se rendra célèbre sous le nom de Tigres volants, les aviateurs ayant eu l'idée de décorer l'avant de leurs avions en y peignant des yeux et des dents de requins. Février 1941 - avril 1941 : L'affaire yougoslave La Yougoslavie, qui se voit progressivement encerclée, s'efforce de protéger sa neutralité. Dès le 14 février 1941, Hitler exige qu'elle entre dans son alliance. La Yougoslavie, travaillée par des dissensions internes inter ethniques, temporise. Elle consulte l'Angleterre à plusieurs reprises, mais celle-ci, déjà bien occupée ailleurs, ne paraît pas en mesure de la secourir. Londres, qui va envoyer des troupes au secours de la Grèce contre l'Italie, n'en essaie pas moins d'entraîner Belgrade dans son camp. Le leader du parti paysan serbe, Gavrilovic, a déjà été missionné en juin 1940 à Moscou pour sonder le Kremlin; il s'est efforcé de convaincre Staline que l'armée yougoslave est farouchement anti-allemande et que, dans les casernes de Belgrade, les soldats chantent des hymnes à sa gloire; mais Staline, toujours soucieux de ne pas fournir de prétexte belliqueux à Hitler, tergiverse; toutefois, il active secrètement ses réseaux en Yougoslavie où le PC dans la clandestinité est très affaibli. Le 1er mars 1941, la Bulgarie, non sans hésitation, s'allie à l'Allemagne nazie, elle ne participera pas à la guerre contre l'URSS, mais facilitera les entreprises de l'Axe contre la Grèce et la Yougoslavie; des troupes allemandes affluent dans ce pays. Finalement, le 25 mars, la Yougoslavie, qui n'attend pas grand chose des Anglais, rejoint l'alliance allemande. Le dispositif d'attaque de l'URSS se met en place. Cependant, tandis que Mussolini et ses soldats sont sévèrement étrillés par les Grecs, des événements imprévus surviennent brusquement : en Yougoslavie, un coup d'État militaire anti-allemand (le 27 mars 1941), incité par le cabinet de Londres, alors que la Yougoslavie faisait depuis peu partie de l'Axe aux côtés de l'Allemagne, rend impossible toute accommodation avec Belgrade où la foule manifeste avec joie son soutien au coup d'État. Les troupes allemandes ne peuvent pas se ruer à l'assaut de l'URSS tant que leur flanc sud est menacé par de nouveaux ennemis. D'autre part, les pluies printanières rendent les terrains d'aviation polonais inutilisables avant juin. L'offensive allemande contre l'URSS est donc reportée d'un bon mois pendant lequel Hitler, furieux, décide de rayer la Yougoslavie de la carte. Il va y être aidé par ses alliés italiens, hongrois, roumains et bulgares. Le 3 avril, le comte Teleki, Premier ministre de Hongrie, se suicide pour protester contre la participation de son pays à cette agression en violation du pacte de paix perpétuelle et d'amitié éternelle signé le 12 décembre 1940 avec la Yougoslavie; mais le régent Horthy, dictateur de Hongrie, n'éprouve pas ce genre de scrupules. Le 6 avril la Yougoslavie et l'URSS signent un pacte de non-agression. Le même jour, la capitale yougoslave est violemment bombardée par les stukas allemands. L'armée yougoslave, assaillie de toutes parts, ne peut résister longtemps, d'autant que des unités croates font défection. Le 17 avril, après la prise de Dubrovnik par les Italiens, la Yougoslavie baisse les bras. Mais il n'y a que des redditions partielles, sans armistice, et des soldats encore en armes vont passer bientôt à la résistance dans les rangs des Tchetniks de Mihaïlovitch. Les prisonniers yougoslaves seront particulièrement maltraités dans les camps allemands. Le gouvernement s'exile à Londres tandis que la guérilla intérieure s'organise. La Yougoslavie, dépouillée d'une partie de son territoire par ses vainqueurs, qui récupèrent des conquêtes de la Serbie post 1918, est démantelée, à peu près comme elle le sera plus tard à la fin du vingtième siècle et au début du vingt-et-unième siècle, à l'exception de la Bosnie-Herzégovine rattachée en 1941 à la Croatie. Cette dernière accède au statut de royaume avec un monarque italien, le duc de Spolète, et un Premier ministre, chef du parti fasciste des Oustachis, Ante Pavelic, qui ouvre des camps de concentration où vont périr de 500 000 à 800 000 personnes (opposants, orthodoxes, ou membres des "races inférieures" selon la terminologie nazie, comme les Juifs et les Tziganes). Les Serbes sont chassés en Serbie, convertis de force au catholicisme ou envoyés en camps de concentration. Ces camps ne sont pas pourvus, comme les camps allemands, de moyens modernes d'assassinats de masse. On y expédie les victimes à l'arme blanche, au couteau ou à la serpe. Une sorte de comptabilité morbide est tenue en coupant le nez, une oreille ou en arrachant les yeux. L'écrivain italien Malaparte affirme avoir vu un panier d'yeux, qu'il avait d'abord pris pour des huîtres, offerts par ses partisans à Ante Pavelic en guise de trophée. Les atrocités commises sont si terribles que les officiers allemands qui occupent le territoire interviennent pour les modérer dans la crainte que la population excédée ne se révolte et ne s'en prenne aux soldats allemands. Il n'est pas inutile de préciser que le régime de Pavelic jouit de la bénédiction des autorités religieuses catholiques de Croatie et musulmanes de Bosnie-Herzégovine. Le 22 mars 1941, après une sortie dans l'Atlantique Nord au cours de laquelle ils coulent vingt-deux navires marchands (115 600 tonnes), les croiseurs de bataille allemand Scharnhorst et Gneisenau rentrent à Brest pour se faire radouber. Ils y seront rejoints par le croiseur lourd Prinz Eugen, dont il sera question plus loin, le 1er juin. Renseignée par la Résistance française, l'aviation britannique lance contre eux plusieurs attaques, parfois quotidiennes, qui ne leur laissent pas de répit et les endommagent. En juin, on envisage leur rapatriement en Allemagne; l'amiral Raeder, commandant en chef de la flotte allemande y est opposé en raison des risques représentés par une telle opération qui doit se dérouler à portée de la marine et de l'aviation ennemies, dans la Manche, l'étroit passage du Pas-de-Calais et la mer du Nord, mais Hitler, qui souhaite les utiliser pour protéger la Norvège, en prévison de l'attaque de l'URSS, finira par forcer la main à l'amiral six mois plus tard. Le 28 mars, la bataille navale du Cap Marapan, qui se déroule au large de la Grèce, tourne une fois de plus à l'avantage des Britanniques et à la confusion des Italiens. Avril 1941 : L'invasion allemande de la Grèce Dès le 13 décembre 1940, une directive d'Hitler prévoit une invasion de la Grèce. Metaxas dont les troupes ont repoussé les Italiens et pénétré en Albanie, ne l'ignore pas. Mais, idéologiquement proche du Führer, il pense pouvoir parvenir avec lui à un arrangement. C'est pourquoi il ne traite pas franchement avec l'Angleterre, ce qui rendrait une hypothétique réconciliation avec Hitler impossible. Le dictateur grec meurt le 29 janvier 1941 laissant la place à Alexandre Korizis. Ce dernier maintient la dictature en place tout en se rapprochant des Britanniques. Le Führer ne peut évidemment pas laisser sans réagir une tête de pont ennemie s'installer à proximité des pétroles de Roumanie qui alimentent ses chars et ses avions. De son côté, Churchill estime qu'un abandon de la Grèce constituerait une faute politique susceptible de décourager d'autres pays. On pense à nouveau à un bloc balkanique comportant la Grèce, la Yougoslavie et la Turquie; mais, ni la Yougoslavie, ni la Turquie ne sont disposées en entrer en guerre contre l'Allemagne. Le 17 février 1941, la Turquie a même ratifié un traité d'amitié avec la Bulgarie et l'Allemagne. De plus une mésentente stratégique oppose le général gec Papagos aux militaires anglais. La frontière grecque est protégée face à la Bulgarie par les fortifications de la ligne Metaxas mais elle est ouverte face à la Yougoslavie. Les Anglais proposent donc un regroupement des forces alliées face au col de Monastir pour couvrir la frontière yougoslave, mais Papagos refuse de dégarnir la frontière bulgare et surtout il refuse de retirer ses troupes de l'Albanie où il espère s'emparer bientôt de Valone sur l'Adriatique. Le 23 février Korizis accepte finalement une aide britannique de 100 000 hommes, 240 canons de campagne, 202 canons antichars, 32 canons de moyennes portée, 192 batteries antiaériennes et 142 chars d'assaut. Le 6 avril, les hostilités sont déclenchées par la Wehrmacht via Skoplje puis la région de Monastir, pour tourner la ligne Metaxas ainsi que sur cette ligne. Les Grecs se battent avec acharnement, repoussent à plusieurs reprises les agresseurs, et leur causent de lourdes pertes, mais la vétusté de leur matériel et son insuffisance ne peut pas leur permettre de contenir longtemps l'ennemi. Un bombardement allemand incendie le port du Pirée et le rend inutilisable. Le 7 avril en soirée, une division blindée allemande, qui a débordé la ligne Metaxas à l'ouest, débouche dans la vallée de l'Axios en direction de Salonique. Le 8 avril, le fort d'Ekhinos, à l'est de la ligne Metaxas, se rend; en soirée, des blindés allemands sont dans les faubourgs de Salonique. Le 9 avril, des troupes britanniques poussent une pointe en Yougoslavie dans la régions de Monastir; elles rencontrent des unités yougoslaves en retraite vers la Grèce. Pendant ce temps, l'armée allemande prend possession de Salonique. La Macédoine est perdue. Le 10 avril, l'armée allemande franchit la trouée de Monastir. Le 12 juin le dispositif défensif de l'armée grecque de Macédoine occidentale est établi plus au sud sur une ligne Sarandé-Vénétikos, non sans que Papagos ne traîne des pieds. Ce jour même, le général Wavell prévient les Grecs que l'acheminement de nouveaux renforts est devenu impossible. La Grèce n'aura donc pas les 100 000 combattants que son alliée lui avait promis. Désormais la défaite grecque est inévitable. La retraite continue de s'effectuer trop tardivement, ce qui risque d'entraîner un encerclement de l'armée grecque. Le 18 avril, des arrière-gardes retardent l'envahisseur pour permettre au gros de ce qui reste des forces alliés de retraiter vers des positions de repli qui se raréfient. Le 20 avril, un groupe d'officiers se mutine et traite avec les Allemands. Un dernier traité unissant les trois belligérants est adopté le 23 avril, à Thessalonique. Papagos démissionne, le Premier ministre Korizis se suicide alors que les Allemands entrent dans Athènes, et le roi de Grèce, Georges II, prend le chemin de l'exil. Mais la guerre n'est pas finie pour tout le
monde : le corps expéditionnaire britannique, composé en
grande partie d'Australiens et de Néo-Zélandais, continue
de se battre furieusement pour se rembarquer comme à Dunkerque.
C'est chose faite le 29 avril. Pour la seconde fois, les forces de l'empire
britannique ont été chassées du continent européen
par la Wehrmacht. Le drapeau hitlérien flotte sur l'Acropole. Mais,
si la population grecque semble faire contre mauvaise fortune bon coeur,
la résistance ne va pas tarder à poindre. Dans la nuit du
30 au 31 mai 1941, un communiste, Manolis Glezos, accompagné d'Apostolos
Santas, décrochent le drapeau nazi de l'Acropole et le mettent en
pièces avant de le jeter dans un puits.
La résistance en Grèce débuta dès l'occupation. A la fin de 1941, elle était dominée par l'EAM (Front de Libération national d'obédience communiste) et sa branche militaire l'ELAS, ainsi que par l'EDES (Armée nationale et démocratique grecque) du général Napoléon Zervas qui regroupait républicains et monarchistes constitutionnels. Elle comptait également plusieurs autres groupes moins importants. Ces différentes forces ne s'entendaient que sur un seul point : refuser le retour du roi! Elles ne réussirent jamais à s'unifier, malgré des réconciliations temporaires, et, sauf exceptions, agirent chacune de leur côté et parfois conflictuellement. Une des exceptions est le sabotage, à la demande de Londres, le 25 novembre 1942, d'un pont sur la ligne ferroviaire Salonique-Athènes par où passaient les train d'approvisionnements de l'Afrika Korps. Après la sortie de la guerre des Italiens, l'ELAS, qui réussit à s'emparer de leur matériel, devint la force principale de la Résistance grecque. La guerre civile qui déchirera le pays ultérieurement était en train de germer. Avril 1941: Début de la résistance armée yougoslave Le 10 avril, le bureau politique du Parti communiste de Yougoslavie se réunit à Zagreb et décide de commencer la résistance, et nomme chef du Comité militaire le secrétaire général du Parti, Josef Broz-Tito. Tito se révélera comme un redoutable meneur politique et militaire. Croate, il militera pour une Yougoslavie fédérale où toutes les nationalités bénéficieront d'un statut égalitaire, et pour un combat armé de la résistance contre les forces d'occupation. Il se distinguera ainsi nettement de Mihaïlovitch, chef du mouvement nationaliste serbe tchetnik (ou chetnik), qui prône le maintien de la suprématie serbe et s'oppose au combat armé, par crainte des représailles, lequel souhaiterait créer un mouvement de résistance pacifique dans l'attente d'un hypothétique débarquement anglais. Le 22 juin, alors que les troupes allemandes pénètrent en Union soviétique, un train allemand est attaqué par un groupe de 49 résistants, près de Sisak. Le 4 juillet, Tito, en tant que commandant suprême des Partisans, fait imprimer et diffuser publiquement un plaidoyer pour la résistance armée contre l'occupation nazie. Vers la fin de l'été, une révolte armée organisée se développe en Serbie où elle rencontre un soutien enthousiaste. Partisans de Tito et Tchetniks, sourds aux conseils de prudence de Mihaïlovitch, rivalisent d'entrain. Plusieurs chefs tchetniks passent à l'action : Micheta s'empare de Loznica (31 août), puis de Zajatcha (1er septembre), le capitaine Ratchich s'avance jusqu'à Sabac à 70 kilomètres de Belgrade, le prêtre Vlado Zetchevitch, assisté du lieutenant Martinovitch, libèrent la vallée de la Drina, tandis que, le 24 septembre, les Partisans libérent la ville d'Uzice, baptisant leur place forte, qui englobe l'ouest de la Serbie centrale, du nom de République d'Uzice. Le 26 octobre, se tient, dans le village de Brajici en territoire tchetnik, la seconde rencontre entre Tito et Mihaïlovitch. Tito y défend le principe, non pas d'un commandement unique, ce qu'il sait impossible, mais celui d'une collaboration opérationnelle et d'un partage des approvisionnements, des armes et des munitions. Il se heurte à un refus. Mihaïlovitch, toujours partisan de la non violence, est mécontent de la tournure prise par les événements. Il en redoute les conséquences pour la population. De plus, il considère Tito, naguère pourchassé par le régime monarchiste, comme un chef de bande doublé d'un dangereux révolutionnaire. L'attentisme du chef de la résistance serbe monarchiste va entraîner la défection de certains de ses subordonnés les plus actifs qui rejoindront les Partisans, comme Zetchevitch et Martinovitch. Les Allemands massent cinq divisions et reprennent Uzice le 25 novembre. Le 1er décembre, les Partisans sont en grande partie chassés de Serbie, mais ils s'installent ailleurs. Malgré une dernière tentative de réconciliation entre les deux leaders de la résistance yougoslave, le 3 décembre, Mihaïlovitch ordonne à ses Tchetniks d'attaquer partout les Partisans. Le 21 décembre, la première Brigade d'assaut prolétaire est officiellement formée. Le 13 avril 1941, un traité de non-agression soviéto-japonais est signé sur le modèle du traité germano-soviétique. Les Japonais acceptent enfin ce que Staline leur propose depuis dix ans, mais avec la ferme intention de n'en pas tenir compte dès que le moment sera venu de tenter une nouvelle offensive en Sibérie. A peu près à la même époque, prévenus par Hitler et Ribbentrop que l'Allemagne s'apprête à attaquer la Russie, ils assurent le Führer que le Japon sera à ses côtés dans ce conflit! Un plan d'attaque en Extrême-Orient, à partir de la Mandchourie, est élaboré par les Allemands et les Japonais, le plan Kanto-Ku-en. Les premières mesures de ce plan sont mises en oeuvre afin qu'il puisse être appliqué dès que les forces soviétiques de Sibérie se seront retirées pour rejoindre le front européen, comme l'espère Tokyo. Mais cela ne se produira pas. Les Soviétiques laisseront face aux Japonais des forces suffisantes pour les dissuader d'agir. Le Japon est fermement décidé à défendre ses intérêts particuliers avant ceux de ses alliés de l'Axe! Les États-Unis évaluent les risques que comporte pour eux la nouvelle situation dans le Pacifique depuis que l'armée japonaise de Sibérie opposée aux Russes et aux Mongols est devenue disponible. Le Japon, enlisé en Chine, sait qu'il ne peut pas y remporter une victoire rapide compte tenu de l'aide qu'apportent les USA à ses adversaires et aussi à cause de ses insuffisances en matière d'approvisionnements. Sans pétrole américain, son armée sera paralysée, et ses zéros, les meilleurs avions du monde à l'époque, deviendront inutiles. Les dirigeants politiques, l'empereur en tête, sont réservés sur l'hypothèse d'une brouille avec les voisins d'outre Pacifique. Mais les partisans de la guerre l'emportent parmi les officiers. Ils pensent que la seule solution consiste à aller chercher le pétrole dans le sud-est asiatique en frappant d'abord un grand coup sur les Américains pour leur imposer un arrangement. En avril, l'Afrika Korps de Rommel chasse de Cyrénaïque les Britanniques affaiblis notamment par le retrait des forces envoyées en Grèce. Le 25 avril, les blindés allemands atteignent la passe d'Halfaya à la frontière égyptienne. Le 28 avril, ils prennent le col de Solloum. Ils possèdent désormais les clés de l'Égypte. Mais, à gauche, le général allemand est bloqué devant Tobrouk. Le 1er mai 1941, une grandiose parade militaire a lieu sur la Place Rouge de Moscou en présence de militaires allemands que Staline espère impressionner. Ceux-ci le sont sans doute, mais ils ne sont plus en mesure d'influencer Hitler. Le 4 mai 1941, Roosevelt déclare que "les U S A sont prêts à combattre dans le monde entier pour le maintien de la démocratie". Le 5 mai 1941, Staline prononce un discours plutôt ferme qui laisse supposer qu'il s'attend à la guerre à brève échéance. Le 15 mai, Timochenko, commissaire du peuple à la Défense, et son adjoint Joukov, proposent un plan d'attaque préventive de l'Allemagne violemment rejeté par Staline qui souhaite préserver la paix le plus longtemps possible. Le 12 mai, l'amiral Darlan, Vice-Président du Conseil français (chef du gouvernement), rencontre Hitler à Berchtesgaden. Le 15 mai, en Égypte, les troupes britanniques reprennent la passe d'Halfaya mais échouent devant le col de Solloum. Le 18 mai 1941, le cuirassé Bismarck et le croiseur lourd Prinz Eugen, deux navires allemands les plus modernes, quittent le port de Gdynia pour l'Atlantique. Les sous-marins allemands, qui ont coulé de nombreux navires alliés au début de la guerre, sont moins efficaces et leurs actions sont plus risqués depuis que les bâtiments voguant depuis ou vers l'Angleterre naviguent en convois escortés par des navires de guerre. L'amiral Raeder, chef de la flotte allemande, fort de l'expérience acquise avec les cuirassés de poche, construits sous les contraintes du traité de Versailles, en trichant un peu sur le tonnage, légers, mais rapides et puissament armés, pense accroître les pertes adverses gâce à des navires plus lourds et à la pointe du progrès comme le Bismarck. Les Anglais, qui ont connaissance de la présence des bâtiments allemands dès leur arrivée sur les côtes de Norvège, les prennent en chasse, ce qui n'est pas une mince affaire, même avec les radars. Le 24 mai, le Croiseur de bataille Hood, fleuron de la marine britannique, et le Prince of Wales, sont à 12 miles des deux bateaux allemands. Le combat s'engage. Au bout de huit minutes, le Hood saute et coule immédiatement, touché par un obus du Bismarck qui perfore son pont et va exploser dans la soute aux munitions. Le Prince of Wales, surclassé en artillerie, s'éloigne. Mais le Bismarck n'est pas indemne. Si les trois coups au but qui l'ont touché ne sont pas mortels, ils l'ont privé d'une partie de son carburant. Il lui est donc devenu impossible de poursuivre sa mission. Son commandant décide de se diriger vers un port français pour y réparer ses avaries. Il ordonne au commandant du Prinz Eugen de se séparer de lui pour continuer la chasse aux convois. Le commandant du Prinz Eugen, en désaccord avec son supérieur, préfére s'esquiver et rentrer à Brest. La marine britannique renforce la flotte aéronavale chargée de détruire le Bismarck. Les 24 et 25 mai, des avions Swordfish du porte-avions Victorious lancent en vain des torpilles contre le cuirassé allemand. Le 25 mai les poursuivants britanniques perdent le contact, mais un avion Catalina de la RAF le retrouve le lendemain et la torpille d'un Swordfish détruit le servomoteur du Bismarck. Le 27 mai, la meute anglaise cerne le cuirassé allemand et le réduit à l'état d'épave avant que le croiseur Dorsetshire ne lui donne le coup de grâce et ne l'envoie par le fond en le torpillant. Le Hood est vengé! Mai 1941 : Le "complot" contre Churchill et l'équipée de Rudolf Hess En mai 1941, une partie du monde politique et de l'aristocratie britannique, à laquelle appartiennent des membres de la famille royale, s'organise plus ou moins secrètement contre la politique de guerre jusqu'au bout de Winston Churchill qu'ils souhaitent renverser et remplacer par lord Halifax, afin de pouvoir négocier la paix avec l'Allemagne nazie. Mais la population, qui a énormément souffert des bombardements, soutient fermement le Premier ministre dans sa politique d'élimination définitive du régime d'Hitler. C'est dans ce contexte que se produit l'équipée d'un haut dignitaire nazi, Rudolf Hess, lequel saute en Écosse en parachute de son avion qui s'écrase, faute d'atterrir dans la propriété d'un aristocrate de ses connaissances, le duc d'Hamilton, comme il l'espérait. L'équipée a été minutieusement préparée; l'appareil a été modifié en fonction de ce genre de raid, et la date choisie était la plus favorable selon les astrologues de Rudolf Hess, ce qui prouve que l'événement était prémédité. Rudolf Hess, disciple de l'idéologue de la géopolitique allemande, Karl Haushofer, féru d'ésotérisme, est un personnage important. Chef du parti nazi, il occupe l'un des premiers rangs parmi les dirigeants allemands, mais il n'en est pas moins relégué depuis la guerre dans des tâches subalternes; on en déduira, peut-être un peu hâtivement, que son geste est guidé par le dépit et la volonté de refaire surface par un acte de haute portée politique. Pour ce qui le concerne, cet étonnant émissaire prétend qu'il est en mission officielle pour négocier la paix et demande à rencontrer des gens avec lesquels il aurait déjà eu des contacts. En Allemagne comme en Angleterre, on préfère démentir ses propos et le faire passer pour fou, mais peut-on agir autrement, après une aventure aussi rocambolesque? Celle-ci rend évidemment service à Churchill; il n'ignore pas qu'une cabale est montée contre lui et les circonstances baroques de cette curieuse mission discréditent ses adversaires. On dit qu'il laisse supposer l'idée qu'une paix de compromis pourrait voir le jour s'il perdait le pouvoir, ceci dans l'espoir d'entraîner l'URSS dans le conflit avant que l'Angleterre n'en sorte; espoir vain car Staline fait tout ce qu'il peut pour ne donner à Hitler aucun prétexte de rupture afin d'obtenir un répit suffisant pour doter son pays d'un arsenal qui devrait lui assurer la supériorité militaire. Quoi qu'il en soit, certains pensent que la mort mystérieuse du duc de Kent, dans un accident d'avion en Écosse, en 1942, n'est peut-être pas étrangère au complot contre le Premier ministre, le duc de Kent, enfant terrible de la famille royale britannique, ayant pu participer à la conspiration. Hitler est furieux et les astrologues subissent le sort réservé aux ennemis du régime et aux maladroits! Quant à Rudolf Hess, désormais prisonnier, il échappe à la peine de mort au procès de Nuremberg pour être incarcéré à perpétuité à Spandau après la guerre; là, tout ce qu'il écrit est systématiquement détruit par le feu et il meurt étranglé en 1987, dans des conditions mystérieuses qui laissent planer un doute : s'est-il suicidé ou l'a-t-on assassiné pour lui fermer définitivement la bouche? D'autres tentatives de paix séparée verront le jour au fil de le guerre, surtout quand les affaires deviendront moins brillantes pour le 3ème Reich. Bornons-nous à citer celle qui fut entreprise en 1943 par Coco Chanel, fondatrice de la fameuse maison de couture française qui porte son nom; on sait maintenant que Coco Chanel était un agent de l'Abwehr, le service d'espionnage de la Wehrmacht; elle se rendit à Madrid pour entrer en contact avec Churchill, une de ses connaissances mondaines d'avant-guerre, par le truchement de l'ambassade britannique. Mais la porte resta fermée! Le Komintern revient à la politique de front populaire en invitant les peuples des pays occupés à s'unir pour recouvrer leur liberté. Le 15 mai 1941, le PCF fonde le Front national de lutte pour l'Indépendance de la France, celui-ci, ouvert à tous les Français, qu'elle que soit leur opinion, ne prendra réellement son essor que pendant l'année 1942. Composé majoritairement de communistes, il comptera aussi beaucoup de Français qui ne le sont pas, y compris des nationalistes de droite. La conquête de la Grèce se prolonge par celle de la Crète réalisée par une grande opération des forces aéroportées allemandes du 20 mai au 1er juin. Les combats sont plus durs que prévu et les pertes des assaillants dissuadent Hitler de renouveler l'expérience. En Russie, les parachutiste combattront comme fantassins dans l'armée de terre. Un de mes amis, aujourd'hui décédé, participa à ces combats dans l'armée britannique; d'après ses dires, ses camarades et lui avaient reçu l'ordre de ne pas faire de prisonniers, leurs adversaires SS étant de dangereux fanatiques qui, même blessés, pourraient leur tirer dans le dos! La conquête de la Grèce et de la Crète mettent le Moyen Orient à portée des troupes du 3ème Reich. La flotte anglaise n'a pas été chassée de la Méditérannée, mais elle est désormais plus menacée que jamais par les sous-marins et surtout les avions allemands. Ses taches multiples (protection de ses propres convois et attaque des convois ennemis, défense de Malte, de Suez, de la route des Indes et du Moyen Orient) deviennent plus difficiles. Au cours de l'année, plusieurs de ses navires sont coulés. Il est temps de réagir! Le 27 mai, alors que le Bismarck vient d'être détruit, le Président des États-Unis proclame l'état d'urgence illimité, rappelle tous les réservistes de la marine et bloque les avoirs allemands et italiens déposés aux USA. L'Amérique se dit soucieuse d'assurer la liberté des mers. C'est un nouveau pas vers l'abandon de la neutralité. Le 27 mai, en Égypte, Rommel reprend la passe d'Halfaya. Du 27 mai au 10 juin, en France, les cent mille mineurs du Nord-Pas-de-Calais déclenchent une grève contre les compagnies et contre l'occupant qui ont considérablement dégradé leurs conditions de travail. C'est le premier mouvement de masse déclenché par des militants communistes avant la rupture du pacte germano-soviétique. Il porte avant tout sur des revendications sociales mais n'est pas sans arrières pensées anti-allemandes. Auguste Lecoeur en est l'organisateur mais il n'a pas l'approbation complète de tous les dirigeants du PCF clandestin. Ce mouvement de rébellion contre l'autorité de l'occupant est particulièrement courageux compte tenu de la spécificité du statut de la région, complètement coupée, comme l'Alsace, du reste de la France. Les charbonnages du Nord représentant une ressource essentielle pour leur effort de guerre, les Allemands sont contraints de jeter du lest et d'améliorer le sort des mineurs. Mais ils se vengent en accentuant la répression. Les premiers convois de déportés vers les camps de concentration en France partiront de Lille. Le 28 mai, l'amiral Darlan, comme suite de la rencontre du 12 mai, signe les Protocoles de Paris qui autorisent les Allemands à utiliser les aérodromes français de la Syrie et du Liban et aussi, sous certaines conditions, mettent Bizerte et Dakar à la disposition de l'Axe. Du 3 au 6 juin, Weygand, aidé par le gouverneur général de l'Afrique noire, Boisson, essaie de convaincre Pétain et Darlan de l'énorme faute que constituent la mise à disposition de l'Axe des ports de Bizerte et de Dakar. Pétain se laisse convaincre, mais Darlan repousse les raisons qui lui sont opposées. Alors Weygand s'exclame : "Si quelqu'un s'avise de venir à Bizerte, je le fous à l'eau à coups de canon! "Vous n'en avez pas le droit" rétorque l'amiral. Mais le général a le dernier mot : "Il aura alors violé l'armistice, j'en aurai donc non seulement le droit mais aussi le devoir." Finalement des manoeuvre dilatoires de Vichy rendront inopérantes les dispositions concernant Bizerte, qui ne pourra pas être utilisé pour ravitailler Rommel, et Dakar, qui ne sera pas utilisé pour mener la guerre de l'Atlantique. Le 18 novembre 1941, cédant à la pression allemande, Vichy supprime le poste de délégué du gouvernement en Afrique. Le général Juin succède à Weygand avec des attributions réduites, mais avec la même volonté de reprendre le combat. 8 juin - 11 juillet 1941: La campagne de Syrie Entre le 8 juin et le 11 juillet 1941, les Anglais et les Forces françaises libres s'emparent de la Syrie et du Liban encore sous l'autorité de Vichy. Cette action alliée vise à empêcher l'Allemagne de s'implanter au Moyen Orient, après une révolte nationaliste suivie d'un coup d'État pro nazi en Irak, en avril, suivie de l'utilisation par les Allemands de la Syrie pour aider les rebelles irakiens contre la riposte anglaise. La résistance des forces vichystes, appuyées par les Allemands, causera de lourdes pertes aux troupes alliées, et bien peu de soldats vichystes rejoindront les Forces françaises libres. Voici un résumé des combats. Le 8 juin 1941, le général Catroux de la France libre proclame l'indépendance de la Syrie au nom du général de Gaulle, sans doute pour s'attirer la sympathie des populations locales, qui observeront néanmoins une prudente réserve. Le même jour, les troupes anglaises et françaises libres pénètrent en Syrie depuis la Palestine et la Jordanie et marchent sur Damas. Les forces vichystes résistent vigoureusement. Le 15 juin, une contre attaque de ces forces refoulent Anglais et Français libres. Entre le 20 juin et le 3 juillet, la bataille de Palmyre oppose les forces de Vichy aux forces britanniques venues d'Irak. Les Français résistent mais sont finalement contraints de se rendre après avoir subi de lourdes pertes. Les troupes britanniques et françaises libres chassent de Syrie le général Dentz, représentant de Vichy. Le général Catroux le remplace et occupe le pays à la tête des forces françaises libres malgré la proclamation d'indépendance. Derrière la simplicité de ce bref récit se cache une réalité infiniment plus complexe qui remonte aux partage discutable de l'empire ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale et aux dissensions qui agitèrent cette région entre les deux guerres. Sur ce terrain, Français libres et Anglais sont alliés, certes, mais ils sont égalemant rivaux. Le général de Gaulle craint l'éviction de la France des possessions qui étaient les siennes avant la guerre. Ses adversaires vichystes ne veulent pas traiter avec lui et ne parlent qu'aux Anglais. Heureusement Churchill, remet la Syrie et la Liban aux mains de la France libre. Le général de Gaulle se rend sur place pour calmer les rivalités. Les Allemands ne priveront pas les alliés du pétrole du Moyen-Orient et ne pourront pas prendre l'URSS en tenaille par le sud; la neutralité turque est affermie! Le régime deVichy s'adresse aux États-Unis pour dénoncer l'agression dont il est victime; la réponse n'est pas encourageante : le gouvernement américain lui fait savoir que toute accentuation de la politique de collaboration germano-française sera considérée comme un acte d'hostilité. Les 13 et 14 juin 1941, Timochenko et Joukov demandent à Staline l'autorisation de mettre en état d'alerte les troupes de la frontière. Staline refuse pour ne pas provoquer les Allemands. L'état d'urgence sera finalement autorisée dans la nuit du 21 au 22 juin, mais avec consigne de ne pas répondre aux provocations. Du 14 au 18 juin, en Égypte, les Anglais, au cours de l'opération Battleaxe s'efforcent en vain de débloquer Solloum et Halfaya. Wavell est remplacé par Auchinleck le 21 juin, à la veille de l'attaque de l'Union soviétique. Désormais, l'effort essentiel de l'armée allemande se déplace vers la Russie, mais, dans un premier temps, Hitler continuera à envoyer des renforts à son armée d'Afrique. 22 juin 1941 : L'Allemagne attaque l'Union soviétique Le 22 juin, l'Allemagne attaque brusquement l'Union soviétique sans déclaration de guerre. Staline savait la guerre inévitable mais il ne s'attendait pas à ce que Hitler ose s'en prendre à lui avant d'en avoir fini avec l'Angleterre, malgré les informations, sans doute intéressées, qu'il avait reçues de Churchill, après l'équipée de Rudolf Hess, et surtout celles de l'espion Richard Sorge opérant au Japon. Par précaution, il avait néanmoins accru les effectifs de l'Armée rouge de 800 000 hommes, massé ses forces le long des frontières et accepté in extremis de déclarer l'état d'urgence. Mais, comme il l'affirmera plus tard à Churchill, il espérait gagner encore six mois, c'est-à-dire un an compte tenu du climat, et alors il aurait pu aligner l'armée la plus puissante du monde à l'époque, une armée pourvue de milliers de chars robustes et de nuées d'avions. Hitler ne lui en a pas laissé le temps! Sur le terrain, l'armée soviétique ne peut pas ignorer les nombreux renforts qui se massent de l'autre côtés de la frontière? Beaucoup d'officiers sont inquiets et se préparent à faire face. Mais d'autres se montrent insouciants, abusés par les informations optimistes en provenance de Moscou et par les rumeurs d'origine allemande donnant à croire que les troupes arrivant massivement de l'autre côté de la frontière sont des combattants fatigués venant prendre du repos en un lieu tranquille. Les forces armées soviétiques sont dirigées par la Stavka (Staline, Vorochilov,Timochenko, Boudienny, Joukov et Chapochnikov, auxquels s'adjoignent des représentants des armes et services : Fedorenko pour les blindés, Peresypkine pour les transmissions, et Krouchtchev, chef des services de l'arrière, à partir d'août 1941). Le bureau essentiel est celui des opérations, dirigé par Malandine puis par Vassilievski. Chapochnikov est chef d'état-major avec Vassilievski pour adjoint. Le Comité de défense nationale ou Gko (Molotov, Malenkov, Beria, Kaganovitch, Vojniesenski), présidé par Staline, remplit les fonctions de cabinet de guerre. Depuis la fin de l'année 1940, Joukov est chef d'état-major général. De l'autre côté, les forces allemandes sont dirigées au sommet par l'Okw, entièrement aux mains du Führer qui l'a créé en 1938 pour remplacer le ministère de la Guerre du Reich et contrôler les velléités d'opposition d'une partie de l'armée à sa politique d'expansion. L'armée de terre dépend de l'Okh, l'aviation de l'Okl et la marine de L'Okm. Hitler est le chef des armées et Walther von Brauchitsch, un homme effacé peu propre à contrarier le Führer, est commandant en chef des armées de terre. La Wehrmacht attaque dans trois directions : au nord vers Leningrad, au centre vers Moscou, au sud vers Kiev. La Finlande entre dans la guerre contre l'URSS aux côtés des forces de l'Allemagne, de ses vassaux et de ses alliés. Staline laisse à Molotov, négociateur du pacte germano-soviétique, le soin d'apprendre à l'URSS la mauvaise nouvelle. L'URSS qui, on l'a dit, venait juste de retrouver une certaine stabilité en 1939, doit se doter dans la précipitation d'une économie de guerre. Cette tâche est facilitée par la nature déjà très planificatrice du régime. Les ressources du pays vont devoir être mobilisées en priorité pour repousser l'envahisseur. L'habitude des plans quinquennaux favorise évidemment cette adaptation. Les autorités savent que des pénuries vont se créer qui risquent d'engendrer le développement du marché noir, accompagné d'une forte inflation, sources d'une répartition inéquitable des biens et des services disponibles. Un système de rationnement est mis en place. Parallèlement, afin de limiter la circulation monétaire, les rémunérations, qui continuent d'être versées, sont partiellement bloquées sur les comptes jusqu'à la fin de la guerre. Cette épargne forcée permettra d'éviter une hausse élevée des prix et les Soviétiques se retrouveront en 1945 titulaires d'un pactole non négligeable. Dès le début des hostilités, l'effet de surprise permet à la Luftwaffe de détruire une grande partie de l'aviation soviétique. Mais, en bien des endroits, l'ordre de ne pas riposter aux provocations n'est pas respecté et la défense aérienne soviétique réagit dans la mesure de ses moyens. Grâce à un remède miracle, la pervitine, un énergissant qui diminue la fatigue et permet de rester éveillé plusieurs jours d'affilé, et aussi un euphorisant qui réduit le sentiment du danger, c'est-à-dire une véritable drogue distribuée généreusement aux officiers et soldats allemands, Hitler espère que son armée ainsi dopée, composée de surhommes bien équipés, va mener en Russie une guerre éclair, comme en France, et que la victoire sera rapidement acquise. Le début, ne dément pas cette attente : l'avance est rapide. L'Armée rouge, surprise, bat en retraite, mais en se défendant vigoureusement, malgré les énormes pertes qu'elle subit. Elle souffre de handicaps sérieux en matière de transmission et de coordination des différentes armes (terre et air principalement) et n'a évidemment pas l'expérience de son adversaire. Des mesures drastiques ont été prises pour inciter les soldats à se battre jusqu'au bout; ceux qui tombent au pouvoir de l'ennemi sont soupçonnés de trahison ou de lâcheté et leurs familles sont exposées à des représailles. Et le sort des prisonniers soviétiques en Allemagne ne prédispose pas les soldats russes à se rendre : ils y sont traités en sous-hommes et nombre d'entre eux meurent en captivité de faim ou de mauvais traitements, quand ils ne sont pas purement et simplement exécutés pour communisme. Les Russes s'accrochent au terrain et disposent d'un matériel suffisant pour causer des pertes sévères aux attaquants qui comprennent vite que l'invasion de l'URSS ne sera pas une promenade militaire. Mais cette stratégie défensive s'avère inadaptée; elle permet aux Allemands, plus mobiles et bénéficiant de meilleurs moyens de communication, notamment la radio, d'effectuer des percées et d'isoler d'immenses forces soviétiques qui sont encerclées suivant les plans de l'assaillant. Cependant les fantassins allemands avancent trop lentement pour suivre leurs chars et les mailles du filet qu'ils tendent autour des poches russes sont trop larges pour empêcher nombre de soldats soviétiques de s'échapper. La progression des chars doit donc être ralentie. Les forteresses de la ligne Staline retardent quelque peu l'avance allemande, mais elles ne sont pas assez puissantes pour l'arrêter. En juillet, la bataille d'encerclement de Minsk coûte à l'Armée rouge 350 000 prisonniers. Mais, arrivée dans les environs de Smolensk, l'armée allemande fatiguée, mal ravitaillée, est contrainte de marquer une pause et de se mettre sur la défensive face à une armée soviétique toujours aussi pugnace. Joukov participe à ce coup d'arrêt avant d'être envoyé sur le front de Leningrad pour tenter de le stabiliser. En un mois, l'armée allemande a perdu la moitié de son arme blindée et, sur tous les fronts, l'Armée rouge laisse derrière elle de nombreux soldats armés qui se transforment en partisans et harcèlent la Wehrmacht, comme la 5ème armée soviétique, dans la région marécageuse du Pripet, entre les axes d'invasion vers Moscou et Kiev; cette armée lance même une offensive qui échoue, mais elle n'en demeure pas moins menaçante. Hitler décide alors de réorienter la stratégie allemande. Désormais, la conquête de Moscou n'est plus prioritaire; c'est principalement celle de l'Ukraine, et accessoirement celle de Leningrad, qui doivent être privilégiées; l'Ukraine pour mettre la main sur ses ressources agricoles et minières, et aussi pour sécuriser le pétrole roumain, tout en se rapprochant de celui du Caucase; Leningrad pour empêcher la flotte soviétique de la Baltique de gêner les approvisionnements en acier suédois, et aussi parce que cette ville, symbole de la révolution d'octobre, est également un important centre industriel. Mais ce changement de stratégie n'est pas du goût des officiers allemands qui formulent des objections. Une période de confusion et de tension s'en suit au sein du haut commandement allemand. Lors d'une visite d'Hitler sur le terrain, un complot est même fomenté par des officiers en vue d'arrêter le Führer et de le destituer, afin de mettre fin à une aventure russe qui paraît déjà vouée à l'échec. Ce complot n'aboutira pas, mais ce n'est que partie remise. Finalement, Hitler vient à bout des réticences des militaires et un plan d'encerclement des troupes soviétiques de la région de Kiev est adopté. Cependant, Joukov, qui semble doué d'un don particulier pour déceler les intentions de l'adversaire, a lui aussi imaginé ce plan, comme d'ailleurs Staline et son entourage. Le haut commandement soviétique décide donc de prendre les Allemands à leur propre jeu en les attaquant sur le flanc de leur projet d'encerclement. Pour ce faire, il concentre à Briansk une force importante sous les ordres du général Yérémenko. Ce dernier est chargé de détruire les blindés de Guderian, l'un des meilleurs généraux allemands, et de briser ainsi l'encerclement combiné par les Allemands. Le plan russe serait bien conçu si l'ensemble des forces soviétiques était employé à le réaliser. Mais ce ne sera pas le cas car on craint toujours en haut lieu une offensive allemande contre Moscou et une partie des forces de Yérémenko est distraite de l'objectif initial pour veiller du côté de la capitale. Cette dispersion des forces entraîne l'échec de la contre offensive soviétique. Et, en août et septembre, l'armée allemande réussit à Kiev le plus grand encerclement de tous les temps en capturant plus de 450 000 soldats soviétiques, 2 642 canons et 64 tanks. Cette défaite sanglante est la conséquence de l'entêtement de Staline qui, obnubilé par sa volonté de détruire Guderian, refuse de battre en retraite, malgré l'avis de Joukov. Quinze mille soldats russes réussissent cependant à s'échapper de cet enfer. Les soldats encerclés qui, par miracle, réussissent à rejoindre les rangs de l'Armée rouge, suspectés d'avoir pactisé avec l'ennemi, sont soumis à l'inquisition des services de contre espionnage; plusieurs sont passés par les armes, d'autres sont envoyés faire leur preuve dans les secteurs les plus dangereux du front. Quelques officiers supérieurs malheureux sont fusillés pour l'exemple. La défaite de Kiev ouvre le chemin de l'est de l'Ukraine où se trouvent les trois quart des centrales électriques de l'URSS et qui lui fournit 60 % de son charbon, 30 % de son fer et 20 % de son acier. Il faut à la hâte déménager plus loin tout ce qui est transportable et mettre hors de service tout ce qui ne l'est pas. Les forces soviétiques vont s'efforcer de résister, mais en ont-elles encore les moyens? Les Allemands lancent une offensive vers Kharkov et une autre en direction de Rostov. A Kharkov, 90 000 civils s'engagent dans la milice, mais on n'a rien pour les armer! On en est réduit à ramasser les armes des morts sur les champs de bataille. D'antiques blindés hors d'usage sont transformés en blockhaus! La ville tombe le 24 octobre, mais les soldats soviétiques ne sont plus là; Staline a compris et accepte désormais que l'Armée rouge se replie avant d'être capturée. Les Allemands la poursuivent péniblement dans une boue peu propice aux blindés et dans laquelle seuls les véhicules tractés par des animaux tirent leur épingle du jeu, non sans offrir des cibles de choix à l'aviation. En direction de Rostov, plus au sud, les blindés de von Rundstedt rencontrent un climat plus chaud et un terrain plus favorable. Ils encerclent des forces russes importantes dans la région d'Orekhov et foncent vers Taganrog et Rostov, mais la résistance soviétique est de plus en plus rude. Rostov est remarquablement défendue par une quadruple enceinte de fortifications qui s'épaulent les unes les autres sur une grande profondeur. Percer jusqu'à la ville n'est pas une partie de plaisir. Le 21 novembre, les Allemands la prennent pourtant. Ils n'y resteront pas longtemps. Dans la nuit du 27 au 28 novembre, une puissante contre offensive soviétique commence. Elle vise à couper Rostov du reste de l'armée allemande. Von Runstedt est obligé de battre en retraite pour sauver ses blindés. Mais il ne prévient Hitler qu'une fois en sûreté. Le Führer, furieux, lui ordonne de rapporter son ordre de repli. Von Rundstedt répond en offrant sa démission. Elle est acceptée, ce qui prive la Wehrmacht de l'un de ses meilleurs généraux. Sur l'axe de pénétration vers Leningrad, les troupes allemandes engagées représentent moins de la moitié de celles qui se dirigent vers Moscou. De plus, elles sont moins mobiles. Leur chef, le maréchal von Leeb, espère que l'effet de surprise lui permettra de s'emparer facilement de l'ancienne capitale des tsars. Pour ce faire, il compte sur ses blindés qui constituent, au centre de son dispositif, le fer de lance chargé de disperser les forces soviétiques et de foncer le plus vite possible vers la ville. Les divisions d'infanterie progresseront de part et d'autre des blindés pour les couvrir à gauche et à droite. Au début, la marche à travers les Pays baltes s'effectue rapidement parmi une population qui n'est pas hostile. Mais les chars tombent bientôt sur un terrain peu propice, forestier et marécageux, qui les ralentit. Malgré cela, les fantassins ont de la peine à les suivre. Un autre problème survient : sur les unités d'infanterie de droite, le haut commandement allemand retire des troupes pour renforcer le front de Moscou et réduire notamment les poches de résistance soviétiques qui inquiètent les arrières de l'armée dans la région de Bialystok. Du coup, les blindés qui avancent vers Novgorod, chemin choisi par le haut commandement allemand pour gagner les abords de Leningrad, alors qu'un autre, plus à l'ouest aurait peut-être été préférable, les blindés de Novgorod donc sont insuffisamment couverts et courent le risque d'une attaque soviétique de flanc. Ce cafouillage stratégique est probablement à mettre au compte des divergences qui opposent Hitler à ses généraux lesquels, comme on l'a déjà dit, voudrait privilégier l'attaque sur Moscou. En septembre, les avant-gardes allemandes se trouvent néanmoins à moins de 25 kilomètres de la capitale du Nord. Mais l'effet de surprise est manqué. Pendant ce temps, l'armée finlandaise, sous les ordres du maréchal Mannerheim, a pénétré à l'intérieur du territoire soviétique avec l'objectif précis d'effacer les conséquences de la défaite de 1939. Les troupes finlandaises refoulent les soldats soviétiques, avancent en direction de Leningrad et du lac Ladoga dont ils occupent les rives ouest et est. Mais, parvenu à ce point, les soldats finlandais se montrent réticents à aller plus loin. Des unités se mutinent. Les Allemands demandent à Mannerheim d'attaquer Leningrad par le nord tandis qu'ils l'assailliront par le sud. Le prudent maréchal finlandais se dérobe en prétextant qu'il ne dispose pas d'artillerie de siège. En réalité, la guerre d'Hitler n'est pas celle de la Finlande et son armée ne participera plus aux combats jusqu'en 1944. Leningrad va être assiégée par les Allemands pendant trois ans dans des conditions extrêmement rigoureuses pour sa population qui, malgré tout, tiendra, grâce notamment au ravitaillement qui peut lui parvenir de l'est, pendant l'hiver, sur le lac Ladoga gelé. Les Allemands, qui occupent les palais autour de la ville, y causent de nombreuses déprédations; ils enlèvent notamment les panneaux d'ambre de Tsarskoïe Selo offerts à Pierre le Grand par Frédéric-Guillaume 1er de Prusse. Les envahisseurs ont planifié la mort par la famine d'une proportion élevée des habitants de la région de Leningrad afin d'y faciliter l'établissement de colons germaniques après la victoire; ce plan de mort ne réussira que trop bien. Sur tous les territoires russes occupés, les troupes nazies se livrent à des persécutions contre les civils, juifs et bolcheviks en tête, selon l'amalgame idéologique hitlérien, ainsi qu'au pillage des ressources au profit de l'économie allemande; ils affament les Soviétiques tombés sous leur joug, tout en déportant en Allemagne de nombreux travailleurs humiliés et mal nourris destinés à fournir la main d'oeuvre bon marché des entreprises de guerre du 3ème Reich. Le pillage systématique des pays occupés n'est pas une nouveauté; les Allemands le pratiquent déjà ailleurs, ce qui contribuera à leur perte en désorganisant les économies, en affamant les populations et en les incitant à résister; mais, en Union soviétique, il s'accompagne de la volonté de massacrer une partie de la population pour la remplacer par des colons germaniques, Himmler évoque un plan de suppression de 30 à 40 millions de personnes. Le génocide est pratiqué au nom du droit de la race supérieure à disposer à son gré des sous-hommes et des peuples arriérés pour acquérir son espace vital; les Juifs ne sont pas les seuls à être classés parmi les races inférieures, même s'ils sont les plus touchés, les Slaves sont aussi visés; et cette idéologie a déjà inspiré à l'Ouest le massacre de prisonniers africains de l'armée française. Les nazis s'en prennent aussi aux oeuvres d'art et autres objets culturels des pays sous leur joug. Ils orneront le futur Berlin, Germania, destiné à être la capitale mondiale après la victoire. En août 1944, pendant les combats pour la libération de Paris, des émissaires de Goering viendront encore chercher des tableaux du Louvre qui seront sauvés de leur rapacité par les événements! Les usines d'armement russes sont déplacées vers l'Oural et la Sibérie qui connaissent un développement économique spectaculaire. Mais tout cela demande du temps et des efforts très importants ce qui affaiblit évidemment les capacités militaires soviétiques pendant les premiers mois de la guerre. Cependant, le déménagement pharaonique des sites industriels s'effectue à un étonnante rapidité et les usines nouvelles se remettent à produire, lentement au début, puis de plus en plus vite, un matériel militaire de plus en plus abondant. Pour ne prendre qu'un exemple, en octobre 1941, l'usine de construction de blindés n° 183 fonctionne encore à son emplacement d'origine. En novembre, elle est très loin à l'est. En décembre, elle tourne à nouveau et envoie au front plus de chars qu'elle n'en a jamais produits. La reconversion de l'industrie de paix en industrie de guerre sera totalement achevée au milieu de 1942. Le 22 juin, jour même de l'invasion, Churchill, dans un discours retentissant, prononce ces mots: "nous donnerons à la Russie et au peuple russe toute l'aide que nous pourrons leur accorder... la menace qui pèse sur l'URSS pèse sur nous... la cause de chaque Russe luttant pour son foyer et sa maison est la cause des hommes libres et des peuples libres de toutes les parties du globe". Staline n'en attendait peut-être pas tant d'un homme d'État capitaliste qui s'était montré naguère si anticommuniste! Aider, oui, mais avec quoi quand on est soi-même à court d'approvisionnement? Pendant la première année, l'entrée en guerre de l'Union soviétique s'avère un fardeau, plus qu'une aide. Des bâtiments de la Royal Navy sont envoyés au nord de la Norvège et de la Finlande pour empêcher un éventuel débarquement au nord de la Russie. Des avions et des chars sont livrés, ainsi que des produits stratégiques (aluminium, caoutchouc, étain, plomb, jute, laine ainsi que des bottes... et des masques à gaz), dans les ports de Mourmansk et d'Arkangelsk, par des convois de cargos anglais escortés par des navires de guerre distraits de l'Atlantique. C'est beaucoup pour l'Angleterre mais peu compte tenu des besoins de l'URSS! Staline remercie Churchill mais lui avoue que cette aide ne permettra pas de modifier la situation de ses armées. C'est pourquoi, il réclame, et ne cessera de réclamer, l'ouverture d'un second front à l'ouest de l'Europe ou dans les Balkans. Mais l'Angleterre n'est pas en état de satisfaire cette exigence à cette époque. Fin juin 1941 est créée en Espagne la Légion Azul, comportant environ 17 500 combattants, tous volontaires, comprenant quelques Portugais qui iront combattre en Russie. Franco n'est peut-être pas fâché de voir s'éloigner des hommes qui voudraient que l'Espagne s'engage sans ambiguïté aux côtés de l'Allemagne dans sa croisade antibolchevique. Cette tendance extrémiste est celle de son beau-frère, Ramon Serrano Suner, qui occupe des postes importants au sommet du nouveau régime. Mais le Caudillo est plus réservé car il ne peut pas se passer de l'aide qu'il reçoit des États-Unis depuis la fin de la guerre civile, son pays ruiné criant famine. Il est donc toujours décidé à faire preuve de prudence et, en 1942, alors que la victoire de L'Axe en Russie apparaîtra de moins en moins crédible, il mettra son beau-frère à l'écart et se rapprochera des Anglo-Américains. Sans l'aide allemande et italienne, Franco n'aurait sans doute pas triomphé en Espagne. Mais il fait passer ses intérêts avant la reconnaissance et les considérations idéologiques. La croisade contre le communisme s'en tiendra là! Le 3 juillet 1941, suite à une directive du Comité central du parti communiste du 29 juin, dans un discours radiodiffusé, Staline appelle l'ensemble de la population à former des détachements de partisans. La directive insiste aussi sur la nécessité d'organiser une lutte sans merci contre tous ceux qui déorganisent les arrières de l'armée, déserteurs, alarmistes, espions, saboteurs, parachutistes... Le 16 juillet, le lieutenant d'artillerie Iakov Djougachvili, fils du premier lit de Staline, est fait prisonnier par la Wehrmacht. Ce même 16 juillet, le général Paul Doyen, chef de la délégation française à la Commission allemande d'armistice, constate la fin du Blitzkrieg, et donc la défaite allemande probable si l'incroyable résistance soviétique dure, ce que tout laisse prévoir. Les services secrets du Vatican et même l'amiral Canaris le pensent aussi. Quant à Hitler, il ne tarde pas à reconnaître en privé, mais sous l'oeil d'une caméra indiscrète, qu'il n'a jamais cru l'industrie soviétique capable de produire autant de matériel militaire moderne que celui opposé à ses troupes. Tokyo observe aussi les événements et en conclut que l'Allemagne ne triomphera pas de l'URSS avant l'hiver ce qui l'amène à renoncer provisoirement au plan Kant-Ku-en dans l'attente de ce qui se passera ultérieurement. Le 18 juillet 1941, le Kremlin reconnaît le gouvernement tchèque de Londres. La résistance s'est déjà organisée dans les zones slaves de la Tchécoslovaquie démembrée. Les communistes y tiennent une place importante à côté d'une résistance non communiste plus ancienne (UVOD - Direction centrale de la Résistance intérieure). La Résistance non communiste se consacre essentiellement au renseignement au profit de l'Angleterre à laquelle elle fournit des renseignements très importants. Des sabotages n'en ont pas moins lieu qui réduisent d'un tiers la production de matériel militaire. On l'a dit, des groupes de résistance non communistes se sont formés en France dès les débuts de l'occupation. Mais ils sont restés modestes et ils se contentent pratiquement de transmettre des informations aux services anglais (SOE - Direction des opérations spéciales) qui sont en liaison avec eux par radio. Cependant, des militants communistes, parfois en rupture de ban avec le Parti, se sont également réunis dans le dessein de reprendre la lutte antifasciste, ou ont rejoint individuellement des groupes non communistes. Avec l'entrée en guerre de l'URSS, tout change. La résistance va monter en puissance. Fort de l'expérience qu'il a acquise dans la clandestinité depuis 1939, le PC met tout en oeuvre pour développer une résistance de masse. Avec l'OS et le Front National, il dispose de deux bases qui vont servir au développement de ses actions sur deux plans : la propagande mais aussi la lutte armée, ne reculant pas devant les sabotages et les assassinats de militaires allemands, parfois pour s'emparer de leurs précieuses armes. Le second type d'action est désavoué par le général de Gaulle qui craint des représailles. Celles-ci ont effectivement lieu et elles sont terribles. Mais les prises d'otages ne font que monter la population française contre un occupant qui lui enlève déjà le pain de la bouche, et aussi les pommes de terre, ce qui lui vaut le surnom nouveau de doryphore. Comme l'a fait le PC espagnol pendant la guerre d'Espagne, le PCF remet à plus tard ses ambitions révolutionnaires pour privilégier la lutte contre l'adversaire du jour, l'occupant allemand, afin d'élargir son audience populaire; il n'est plus question d'alliance du prolétariat allemand et du prolétariat français; le nouveau mot d'ordre, c'est : "à chacun son boche!" Le 18 juillet, le Comité central du parti communiste de l'Union soviétique publie une directive consacrée à l'organisation de la lutte armée sur les arrières des forces allemandes. L'ordre est donné aux partisans de se préparer à combattre près du front. Toujours en juillet, des services spéciaux de la sûreté de l'État s'intègrent au bureau politique de l'Armée rouge et aux bureaux politiques des groupes d'armées pour former des détachements de partisans, des groupes de sabotage et des bataillons de destruction, ainsi que pour les pourvoir en matériel de guerre et en encadrement. Ces détachements doivent être ravitaillés et secourus par avion et rester en communication par radio. Ils se recrutent essentiellement au sein des komsomols (jeunes communistes), du parti, de l'intelligentsia rurale et urbaine et parmi les officiers et soldats restés à l'arrière des troupes soviétiques en retraite. Parfois, comme dans la région de Leningrad, des bases secrètes de guérillas sont établies et équipées avant l'arrivée de l'armée allemande. En Biélorussie les Allemands progressent trop rapidement pour que la résistance soit organisée préventivement. Le Comité central du PC biélorusse envoie tout de même 3 364 hommes derrière les lignes allemandes; ils se battent courageusement et nombre d'entre eux sont tués ou faits prisonniers et exécutés. En Ukraine, le PC ukrainien envoie 30 000 de ses membres dans les territoires occupés; seuls quelques-uns survivront. En Crimée, une difficulté se présente du fait du pourcentage élevé de Tatars dans la population, mais 3 734 personnes se forment tout de même en 28 groupes de partisans comprenant peu de Tatars. Dans la région d'Orel, 75 bataillons de destruction totalisant 10 000 combattants, sont formés avant l'arrivée des envahisseurs, mais ils ne sont plus que 2 300 après. Dans la région de Moscou, malgré leur nombre relativement limité (300 komsomols et 1 500 membres du parti), les quarante détachements mis sur pied avant l'arrivée des Allemands rendent de grands services mais subissent de lourdes pertes. En juillet 1941, Roosevelt demande au Japon l'arrêt de ses actions en Asie du Sud-Est. Celles-ci continuant, il met l'embargo sur les produits américains destinés au Japon, ce qui prive ce dernier d'acier et de pétrole. Le 26 juillet, le président américain gèle les avoirs japonais en Amérique. Le Japon exerce de fortes pressions sur la France de Vichy pour renforcer son dispositif militaire en Indochine. Le 22 juillet, le gouvernement du maréchal Pétain en informe les États-Unis. Faute de réaction de ces derniers, le 24 juillet, il cède au Japon des bases au sud de l'Indochine, ce qui place Singapour à la portée des bombardiers nippons. Le 29 juillet, le gouvernement de Vichy et celui du Japon s'engagent, dans la capitale de l'État français, à coopérer militairement pour la défense commune de l'Indochine française. Cet accord sonne le glas de la souveraineté française en Indochine. Il jette un froid sur les relations américano-vichystes. Mais l'amiral Decoux garde l'administration du territoire occupé par les forces japonaises. Le gouvernement Polonais de Londres rétablit des relations diplomatiques avec Moscou. Le 14 août 1941, les deux pays paraphent un accord militare. Cet accord qui prévoit la levée en territoire soviétique d'une armée polonaise, la création d'un service de renseignements et d'un réseau radiophonique achoppe toutefois devant le refus de Staline de reconnaître les prétentions territoriales polonaises. Il sera appliqué partiellement et non sans arrières pensées. Les prisonniers polonais en URSS sont libérés et quelques 38 000 d'entre eux s'engagent dans l'armée polonaise du général Anders qui part combattre au Moyen Orient. Plus tard un autre petit groupe d'anciens prisonniers polonais formera l'armée organisée par les communistes et commandée par le général Berling. Mais on ne voit réapparaître aucun des officiers détenus dans les camps de Kozelsk, Starobelsk et Ostachkov, ce qui n'étonne alors pas trop car ces camps sont maintenant situés dans la zone occupée par les Allemands. Une Union des patriotes polonais, très critique à l'encontre du gouvernement en exil à Londres voit le jour à Moscou. Les Soviétiques parachutent dans leur pays des communistes polonais qui forment le Parti des Travailleurs. Le général Sikorski, chef d'état-major polonais à Londres, réplique en regroupant dans une armée secrète (Armia Krajowia) les groupements de résistance formés antérieurement sous l'égide du SOE (Direction des opérations spéciales) britannique. Cette armée est d'abord placée sous le commandement du général Rowecki. Dès lors, la résistance polonaise, comme celle des autres pays occupés, comporte plusieurs composantes idéologiquement opposées. Après l'arrestation du général Rowecki, en juin 1943, le général Bor-Komorowski lui succédera. Le 14 août 1941, le Président des États-Unis et le Premier ministre britannique signent la Charte de l'Atlantique, qui expose les principes devant servir au maintien de la paix et de la sécurité internationale. On y trouve de grands principes du droit international (droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, égalité entre les États, collaboration entre les nations, liberté des mers, renonciation à l'emploi de la force...) qui ne seront respectés à peu près par aucun des belligérants. Mais, l'article 6 de cette charte parle, pour retrouver la paix et la sécurité, de la destruction finale de la tyrannie nazie. C'est la première fois que les États-Unis vont si loin! Churchill et Roosevelt poposent à Staline de réunir une conférence à Moscou. Au cours de cette rencontre entre les deux dirigeants occidentaux, l'intérêt d'une action en Afrique du Nord française est évoqué. Le 21 août, à Paris, le militant communiste Pierre Georges tue un officier allemand à la station de métro Barbès-Rochechouart, en représailles suite à des arrestations lors d'une manifestation à la station de métro Strasbourg-Saint-Denis et à l'exécution de deux jeunes militants communistes l'avant-veille. Le 21 août, un premier convoi d'aide à l'Union soviétique appareille d'Écosse pour se rendre à Mourmansk dans les conditions extrêmes des régions arctiques et au large de la Norvège occupée par l'Allemagne. Ces convois vont se multiplier et devenir un véritable calvaire pour la Home Fleet. Dans la nuit du 24 au 25 août, dans le prolongement de la "normalisation" anglaise du Moyen Orient, une offensive conjointe de troupes anglaises et de troupes soviétiques pénètre en Iran par le nord, l'ouest et le sud. Ce pays, dirigé depuis les années 1920 par le chah Reza, s'efforce de rester neutre, mais les Allemands qui ont aidé à le moderniser et qui équipent son armée, y exercent une influence qui inquiète Londres et Moscou. L'Angleterre demande au chah d'éloigner les ressortissants allemands. Le chah s'y refuse pour ne pas s'attirer les foudres d'une Allemagne pour le moment encore victorieuse. Il sait qu'il ne pourra pas résister aux nouveaux alliés anglo-russes mais décide de se livrer à un baroud d'honneur pour donner le change à Hitler. Les troupes iraniennes se défendent vigoureusement mais l'Iran est conquis. Téhéran prise le 17 septembre, le chah abdique en faveur de son fils Mohammed Reza Pahlavi, ce qui replace le pays à peu près dans la situation qui était la sienne à la fin du tsarisme, après la Convention anglo-russe de 1907. Cette action, d'une moralité discutable, se justifie stratégiquement : elle sécurise l'Irak, le sud de l'URSS et l'empire des Indes; elle ouvre également une nouvelle voie d'approvisionnement de l'URSS par le Sud. Le 30 août 1941, les prisonniers français de la Boutyrka qui, devant l'avance allemande avaient été évacués vers l'Est, sont enfin libérés grâce à l'intervention des Britanniques dans la même situation qu'eux, lesquels avaient été relâchés un peu plus tôt. La plupart regagnent l'Angleterre pour rejoindre la France libre et reprendre le combat. Seuls quelques-uns restent en URSS, sans doute par conviction idéologique. Deux cents de ces officiers et soldats français évadés des camps allemands prennent place sur un bateau anglais qui vient tout juste de ramener du Spitzberg des ressortissants soviétiques. La bateau a participé à une attaque de commandos anglais contre une mine de charbon exploitée par une compagnie russe sur ce territoire occupé par les Allemands. Au cours de l'année 1941, les Anglais lancent plusieurs commandos à l'assaut de cibles allemandes en direction de la Norvège et ses environs, aux îles Lofoten, le 4 mars, au Spitzberg, le 25 août, à l'île de Vaagsö, le 27 décembre. Cette activité belliqueuse oblige Hitler à y renforcer la présence militaire allemande. Le Führer tient à la possession de la Norvège pour des raisons stratégiques. Trente mille hommes et une division blindée y sont envoyés. Plus tard, il y expédiera des bateaux de guerre, comme on le verra plus loin. Ce sont autant de forces qui lui feront défaut sur les autres fronts. Le 6 juin 1944, lors du débarquement allié en Normandie, les effectifs allemands en Norvège s'élèveront encore à 372 000 hommes. Vers la fin de l'été, une certaine
lassitude gagne l'armée allemande sur le front russe. Les officiers
commencent à s'interroger. L'Armée rouge, presque toujours
battue, oppose des forces aussi nombreuses et de mieux en mieux armées,
tandis que la Wehrmacht éprouve des difficultés à
se ravitailler. Hitler, décide enfin de privilégier l'axe
central dirigé par le feld-maréchal von Bock. Il ordonne
à von Leeb d'assiéger Leningrad, de la bombarder et de l'affamer.
La ville, affirme-t-il, tombera d'elle-même, comme une feuille morte.
Jdanov, Premier secrétaire du Comité
local du PC, prévient la population qu'il va falloir se serrer la
ceinture. Pourtant, dans un premier temps, la vie dans la ville continue
à se dérouler presque normalement. Les restaurants sont ouverts
et les menus restent les mêmes. Cela ne durera pas. Dès le
1er septembre, l'artillerie à longue portée allemande bombarde
Leningrad. D'intenses bombardements aériens suivent. L'ennemi emploie
des bombes à retardement qu'il faut désamorcer avec ce que
l'on a, c'est-à-dire à coups de marteau, avant qu'elle n'explosent
au moment minuté! On continue d'améliorer les défenses.
Mais, le 8 septembre, la ville est isolée par les panzers. La situation
se gâte et, le 9 novembre, le centre ferroviaire de Tikhvin, par
où passe la liaison ferroviaire avec le reste de la Russie, tombe
aux mains de l'ennemi. On s'habitue aux bombardements, mais pas à
la faim! Les rations sont de plus en plus réduites. Soldats et ouvriers
sont favorisés, ce qui réduit les parts des autres. On fait
la chasse aux rats, aux chiens, et aux chats, sauf à ceux des musées
qui protègent la culture. Les ouvriers mangent la graisse des rouages
et boivent l'huile des burettes. On fait le ménage des minoteries,
des brasseries et des épiceries pour extraire de la poussière
tout ce qui peut servir de nourriture. On secoue les vieux sacs de farine
pour en extirper les restes. On fabrique des saucisses avec du vieux cuir
et des boyaux de moutons. On mange des algues. On récupère
dans les cendres le sucre caramélisé d'un dépôt
bombardé pour le convertir en bonbons. Des savants sont sollicités
pour fabriquer des ersatz : ils parviennent à confectionner des
aliments sans grande valeur nutritive. La centrale électrique ayant
été atteinte par les bombes, on manque d'électricité;
il devient difficile de se chauffer. On manque aussi de carburant et les
transports en commun en sont affectés. Le téléphone
est coupé. Les égouts sont éventrés et les
excréments se répandent à l'air libre, on doit les
enfouir dans les décombres, heureusement le froid les gèlera...
Pour remplacer la voie ferrée coupée par les Allemands, Jdanov,
exhortant le patriotisme des habitants, engage des volontaires, dont un
grand nombre mourront, pour construire plus au nord une route de
320 kilomètres, la route du salut. Elle est achevée
en 27 jours et entre en service le 6 décembre. Cette route, qui
traverse des contrées peu favorables, s'avère décevante
: la vitesse des camions n'y dépasse pas une trentaine de kilomètres
par jour. Heureusement, le 6 décembre, le général
Merestskov chasse l'armée allemande de Tikhvin et la refoule assez
profondément pour sécuriser la ligne de chemin de fer qui
reprend du service. Avec le gel, une autre route est créée
sur le lac Ladoga. La situation s'améliore un peu et cela redonne
du courage aux assiégés. Malgré tout, le 25 décembre,
pour Noël, 3 700 habitants meurent encore, ce qui porte le bilan du
mois à 52 000 morts.
Le 24 septembre, à Smolensk, von Bock et les commandants des armées et des groupes blindés, en présence de Brauchitsh, commandant en chef, et de Halder son chef d'état-major général, discutent du plan de l'opération Tempête d'hiver qui doit s'achever par la conquête de Moscou. Le 26 septembre, la décision est prise. Le 29 septembre se tient à Moscou une conférence tripartite au cours de laquelle la Grande-Bretagne et les États-Unis accordent leur aide à la Russie. Roosevelt n'a pas encore tout à fait réussi à détacher les Américains de la neutralité, mais on n'en est plus très loin! Les 29 et 30 septembre 1941, à Kiev,
33 000 juifs de tous âges et des deux sexes sont massacrés
par les Allemands au lieu-dit Babi Yar (le ravin de la vieille
femme en russe). Les chambres à gaz d'Auschwitz ne feront pas
mieux! Depuis l'entrée des troupes
allemandes sur le territoire soviétique, le programme racial d'Hitler
a été mis en oeuvre contre les Juifs, massacrés en
masse par les unités spéciales SS. Les Slaves ne sont
pas épargnés, communistes en tête! Des prisonniers
soviétiques sont tués dans des camions avec les gaz d'échappement,
préparation de la Solution finale, étape finale du
massacre des Juifs d'Europe. D'autres sont dépouillés de
leurs vêtements en hiver afin qu'ils périssent de froid. La
sous nutrition est la règle. Un officier SS de haut rang,
dans un rapport à Himmler, suggère de fusiller immédiatement
2 millions de prisonniers afin de doubler la ration de ceux qui peuvent
être utiles à l'économie de guerre allemande. Dans
les camps, les conditions de détention sont atroces; les vivants,
grouillant de vermine, y côtoient les moribonds et les morts; les
épidémies sévissent; il faut de temps à autres
nettoyer au lance-flammes ces cloaques! La passion des Allemands pour les
comptes bien tenus a permis de reconstituer de manière assez objective
le sort qui était réservé aux malheureux qui tombaient
entre leurs mains. Plus de 3,3 millions de captifs auraient ainsi
perdu la vie. Les Allemands trouvent une justification légale au
traitement qu'ils infligent aux prisonniers russes, outre leur qualité
de sous-hommes, dans la non signature par l'URSS de la Convention
de Genève! D'après le témoignage d'officiers allemands,
le carnage durera jusqu'à la fin de l'occupation et s'accentuera
même au cours du temps, les soldats de la Wehrmacht, galvanisés
par les victoires et fanatisés par la propagande nazie, méprisant
les populations locales et agissant progressivement comme les SS.
En septembre 1941, Heydrich, qui a déjà sévi en Norvège, en Hollande et en France, arrive à Prague. En quelques semaines, cinq mille résistants sont arrêtés et massacrés par la Gestapo! Automne 1941 - Hiver 1941-1942 : Échec de la Guerre Éclair et Bataille de Moscou Le 2 octobre, l'opération Tempête d'hiver commence par un temps très favorable. Les forces allemandes avancent depuis Smolensk droit sur Moscou, via la ligne de défense russe de Viazma, et vers le nord de la capitale soviétique, vers le front de Kalinine (Tver). Les forces d'Ukraine, qui ont commencé leur offensive un peu plus tôt (le 30 septembre), se dirigent vers Briansk, Orel puis Toula. Le 6 octobre, Staline convoque personnellement Joukov pour estimer le danger que représente pour Moscou l'offensive allemande. Le 7 octobre, les avant-gardes blindées allemandes encerclent plusieurs armées russes dans les poches de Viazma et de Briansk. C'est une grave perte pour les soviétiques. Le 8 octobre, la pluie et la boue commencent à freiner l'avance allemande tandis que le nettoyage des poches distrait de l'attaque principale des forces non négligeables. Un grand nombre de soldats russes parviennent à se dégager, à travers des positions ennemies qui manquent d'étanchéité, puis à rejoindre leurs lignes, ou à former des îlots de partisans. Le 10 octobre, Joukov, chargé de la défense de la capitale, reçoit le commandement du front de l'Ouest. La poche de Viazma est réduite le 14 octobre et celle de Briansk le 20. L'armée rouge se retire sur la ligne de défense Kalinine-Kalouga-Orel. Du 20 au 25 octobre, le durcissement de la défense russe et les difficultés de ravitaillement de la Wehrmacht entraînent une interruption temporaire de l'avance allemande. Des objectifs plus adaptés à la réalité lui sont assignés. La seconde phase de l'opération Tempête
d'hiver débute par de nouveaux succès. Mais la température
baisse à -20° tandis que des renforts soviétiques arrivent
de Sibérie, d'Asie centrale et du Caucase. L'offensive allemande,
qui s'est développée, comme on l'a dit sur trois fronts,
vers Leningrad, vers Moscou et en Ukraine, n'est pas parvenu à détruire
l'Armée rouge avant l'hiver. La Russie n'est pas la France! La profondeur
de l'espace russe a rendu la guerre éclair inopérante et,
après les Suédois et les Français, les Allemands vont
en faire à leur tour l'expérience. Après avoir souffert
pendant l'été des nuages de poussière qui aveuglent
les yeux et dessèchent les gosiers, l'armée assaillante a
dû affronter, lorsque arriva l'arrière saison, les boues traîtresses
où ses véhicules s'enlisèrent, puis, avec l'hiver,
subir un froid intense qui immobilise les moteurs; les soldats allemands
en sont réduits à découdre l'arrière de leur
pantalon pour déféquer sans baisser culotte afin de se protéger
du gel douloureux et mortel. Cependant, la Wehrmacht s'approche dangereusement
de Moscou; la prise de la ville semble imminente. Les Moscovites sont invités
à la quitter. Des denrées leurs sont distribuées afin
qu'elles ne tombent pas aux mains des envahisseurs, mesure qui sera ultérieurement
reprochée à son auteur comme une marque de défaitisme.
Des troubles éclatent, des magasins sont pillés. La galerie
Tretiakov est évacuée à Novossibirsk. Le musée
Pouchkine est mis à l'abri à Novossibirsk et Solikamsk. Le
15 octobre, la décision est prise de replier le gouvernement, les
administrations et les ambassades étrangères à Kouïbychev
(Samara). Béria et Chtcherbakov, Premier secrétaire du Parti
dans la capitale, sont chargés de détruire tout ce qui n'est
pas évacuable, y compris le métro. Staline paraît un
moment découragé; il dit à ses proches: "Nous avons
dilapidé l'héritage de Lénine!"; il propose même
de démissionner mais son entourage se récrie : il reste le
seul capable de galvaniser la population qui croit encore en lui. Il se
ressaisit donc, renonce à quitter sa capitale menacée et
lance, d'une station du métro de Moscou, un appel à la résistance,
dans un langage qui rappelle celui des anciens tsars.
Pour les commentateurs allemands cette défaite s'explique par les hésitations du Führer qui changea plusieurs fois de stratégie et retarda ainsi la prise de Moscou qui aurait pu se produire avant la période des pluies et des frimas. Pour les Russes, c'est l'opiniâtreté russe qui a permis la victoire! S'il faut en croire Joukov, la psychologie joua un grand rôle dans cette victoire soviétique. Les Allemands démoralisés, n'aspiraient plus qu'à rentrer chez eux; certains de leurs officiers étaient malades : von Bock souffrait d'un ulcère à l'estomac, Hoepner d'une dysenterie, von Brauchitsch fut frappé par une crise cardiaque. Au contraire, les soldats russes, stimulés par les commissaires politiques, comprenaient qu'ils n'avaient plus le choix qu'entre la victoire ou l'esclavage; des civils, femmes comprises, s'enrôlaient dans les milices locales (opolchenie) pour participer au combat, et ceux qui ne pouvaient pas se battre (adolescents, vieillards...) participaient comme ils pouvaient à l'élan patriotique suscité par les autorités. L'Armée rouge, si elle n'était pas encore tout à fait au point, avait tiré profit de son expérience. Le général Novikov avait renforcé l'aviation et les défenses aériennes. Le général Voronov avait réorganisé l'artillerie. Au début de la contre-offensive, d'après Joukov, ses objectifs étaient encore flous. Il s'agissait d'abord de dégager Moscou et d'éloigner l'ennemi des trois lignes de défenses qui protégeaient la capitale en attaquant par le nord et par le sud les saillants formés par les troupes allemandes, afin de les encercler et de les détruire. Les partisans laissés derrière les lignes ennemies, commandés parfois par des officiers du NKVD, devaient jouer un rôle important dans cette opération. Les officiers supérieurs, Joukov compris, se tenaient à proximité du front, ce qui était risqué, mais d'un grand poids psychologique. Personne n'osait espérer un triomphe. Le 7 décembre, von Brauchitsch démissionne. Le 13 décembre, Moscou est sauvé; les 17 et 18 décembre, Staline ordonne au front du Volkhov (au nord) et à celui du nord-ouest de passer à l'offensive; l'Armée rouge progresse; du 26 au 30 décembre, des éléments soviétiques prennent pied sur la péninsule de Kertch, à l'est de la Crimée. A la mi novembre, un commando britannique tente
d'enlever Rommel. L'opération, mal préparée, échoue,
le général allemand n'étant pas là où
on le croyait! Les Anglais veulent dégager Tobrouk et reconquérir
la Cyrénaïque à partir du 18 novembre. De son côté,
Rommel, a prévu de se débarrasser de la menace que fait peser
Tobrouk sur ses communications à partir du 23 novembre. Mais ni
le général britannique Auchinleck, ni le général
allemand ne connaissent les intentions de leur adversaire. L'opération
Crusader des Britanniques commence à la date planifiée
et se déroule d'abord convenablement. Mais les forces allemandes,
d'entrée surprises, relèvent le défi. Il s'en suit
des mêlées confuses où les Allemands prennent le dessus.
Fin novembre, Rommel, qui pense avoir détruit les forces adverses,
décide de foncer sur l'Égypte. C'est une erreur car les Britanniques
disposent encore de ressources qui n'ont pas donné. Finalement,
après avoir essuyé des pertes sévères, et son
armée se trouvant à cours de carburant et de munitions, le
général allemand est contraint à la retraite. La citadelle
de Tobrouk est dégagée et l'armée britannique reprend
la Cyrénaïque au cours du mois de décembre. L'opération
Crusader prend fin début janvier 1942 à hauteur de
El Agheila, au fond du golfe de Syrte, en bordure de la Tripolitaine. Il
ne reste plus qu'à éliminer les poches allemandes qui subsistent
à la frontière égyptienne (Bardia, Solloum, Halfaya);
ce sera fait au cours du mois de janvier 1942.
En novembre 1941, le journal Libération-Nord, qui paraît en zone occupée, depuis 1940, se transforme en mouvement de résistance à l'initiative de Christian Pineau, un militant socialiste. Le mouvement, qui essaimera en zone sud en 1942, ambitionne de représenter le parti socialiste SFIO et les syndicats non communistes (CGT et CFTC). Le PS et le PCF sont les deux seuls partis qui sont résistants en tant que tel et qui couvrent l'ensemble du territoire français. Mais le mouvement communiste est mieux organisé et bien structuré. De plus, l'engagement du PS est plus un engagement de réflexion que d'action, c'est ce qui va le différencier du PCF et renforcer ce dernier. A peu près à cette époque, le Front National, dominé par le PCF, crée d'ailleurs sa branche armée : les Francs-Tireurs et Partisans (FTP). Tous les autres partis de l'entre-deux guerres restent tranquillement à l'abri quand ils ne collaborent pas. Avec la Démocratie chrétienne que l'on voit poindre, se dessinent les courants politiques qui domineront l'après guerre. Le 26 novembre, l'Amérique exige le retrait de Chine des troupes japonaises. Le temps de la diplomatie s'achève. La flotte d'assaut japonaise appareille pour Pearl Harbor. On dit que Roosevelt est au courant, les Américains ayant réussi à décrypter les messages japonais; mais il reste silencieux : est-ce un piège qu'il tend à l'ennemi? On dit aussi qu'Edgar Hoover, qui dirige le FBI, a négligé de prévenir le président des informations en sa possession annonçant une attaque prochaine sur la base. Des espions anglais au service du Japon, dont un aristocrate membre de la Chambre des Pairs, auraient apporté en cette occasion leur aide à l'Empire du Soleil levant, mettant ainsi Winston Churchill dans un grand embarras. Il traîne autour de cette affaire un parfum de mystère qui est encore loin d'être tout à fait dissipé. Quoi qu'il en soit, le 7 décembre 1941, le Japon attaque la base navale américaine de Pearl Harbor où la flotte américaine du Pacifique est détruite, sauf deux porte-avions, le Lexington et le célèbre Enterprise, qui, opportunément absents, sont épargnés. L'amiral Kimmel, qui commandait cette flotte, a bien été prévenu, mais, par suite de divers retards, le message ne lui est parvenu qu'après l'attaque; tenu pour responsable de ce désastreux événement militaire par le gouvernement, il sera honteusement dégradé, malgré l'avis du Sénat qui le blanchira mais ne lui rendra ni son grade, ni son honneur! L'empire du Soleil Levant, placé sous embargo par les États-Unis, n'avait plus que pour une année de pétrole. En portant un coup qu'il espèrait fatal à ses rivaux dans le Pacifique, il comptait, comme on l'a dit, amener l'Amérique à composition pour continuer son expansion en Asie, en vue de la création de la sphère de coprospérité dont il rêve. Mais c'est tout le contraire qui se produit. Cette fois ci, le peuple américain suit son président : les USA entrent en guerre contre le Japon, le 8 décembre, en même temps que l'Angleterre et la Hollande (colonies du Pacifique riches en pétrole). Alors, Hitler déclare la guerre aux États-Unis, le 11 décembre 1941, suivi par Mussolini. Il espère, qu'en retour, le Japon va attaquer l'URSS par l'est. Mais ce renfort n'arrivera jamais. Les Japonais envisagent bien de dénoncer le traité de non-agression signé avec l'URSS, mais ils ne s'y résolvent pas tant que la situation reste indécise sur le front européen. Échaudés par leur défaite en Sibérie, ils ont aussi maintenant d'autres chats à fouetter. Ils visent les possessions américaines de Wake et des Philippines, les Indes orientales hollandaises, la Malaisie et la Thaïlande, la Birmanie pour couper la route de la Chine, Singapour, Hong Kong. Ils pensent trouver sur place les ressources nécessaires pour défendre ensuite les territoires conquis. L'Amérique, en guerre contre les pays de l'Axe, va aider les combattants chinois, y compris les communistes. Des bases aériennes américaines sont ouvertes dans les zones non occupées du sud de la Chine. Mais, malgré les exhortations en sens contraire du général Stilwell, émissaire américain, Tchang Kai-chek emploiera ses meilleures troupes pour bloquer les régions communistes; il se discréditera ainsi auprès d'une partie de l'opinion publique chinoise en apparaîssant moins patriote que Mao. Dans les Caraïbes et en Amérique centrale, nombreux sont les pays qui déclarent la guerre aux puissances de l'Axe à la suite des États-Unis; mais cet engagement reste symbolique. La réaction est tout autre en Amérique du Sud en proie au populisme; dans plusieurs pays, l'influence et la population d'origine germanique sont importantes et des gouvernements éprouvent même de la sympathie pour le fascisme, malgré un certain développement de l'idéologie communiste. Le 1er janvier 1942, le Mexique, soucieux de préserver ses relations de bon voisinage avec les États-Unis de Roosevelt, déclare la guerre aux forces de l'Axe et envoie un escadron d'avions de combats dans le Pacifique; mais il s'agit d'un pays de tradition révolutionnaire où perce une admiration pour l'Union soviétique qui restera longtemps visible. Dans un autre cas de figure se trouve le Brésil de Vargas qui n'a pas la réputation de détester les pays fascistes mais qui rêve de faire de son pays la première puissance latino-américaine à l'issue du conflit; par opportunisme, Vargas voit dans une alliance américaine, d'une part, le moyen de se débarrasser du parti Opposition intégraliste brésilienne, soutenu par l'Allemagne nazie, et, d'autre part, de monnayer son entrée en guerre. Il obtient satisfaction sur le plan financier, grâce à quoi il développera son industrie sidérurgique; il saisit le prétexte d'une attaque sous-marine pour déclarer la guerre à l'Allemagne en décembre 1941. Le Brésil sera le seul pays latino-américain à envoyer des troupes combattre en Europe. En 1943, la Colombie et la Bolivie entrent en guerre à leur tour. La plupart des autres pays attendent 1945, et l'Argentine de Peron trois jours avant le suicide d'Hitler. Mais le Chili, le Venezuela et le Pérou fournissent des matières premières aux alliés. Décembre 1941 - mai 1942 : Guerre éclair en Asie du sud-est Le matin du 7 décembre, la flotte japonaise partie de Hainan et de Cochinchine (Indochine française), fait route vers la côte est de la Thaïlande et de la Malaisie pour y effectuer des débarquements, avant toute déclaration de guerre, afin de ménager l'effet de surprise. Les Anglais, qui ont connaissance de cette invasion, dépêchent de Singapour une flotte comprenant deux puissants cuirassés, l'un moderne, le Prince of Wales, et l'autre datant de 1916, le Repulse, accompagnés de destroyers, pour pilonner les plages de débarquement. Les deux cuirassés ont été envoyés par Churchill en Asie contre l'avis de l'Amirauté. Dépourvus de couverture aérienne, ils sont coulés le 10 décembre par l'aviation japonaise. Cet événement confirme au détriment des Britanniques, l'expérience de la guerre en Méditerranée : sans avions, les vaisseaux de guerre, même les plus puissants, sont devenus trop vulnérables. L'avenir de la guerre dans le Pacifique appartient aux porte-avions! Et Churchill s'aperçoit que le vaste Océan Pacifique est désormais pratiquement vide de flotte alliée! Les Japonais débarquent donc sans être inquiétés par la flotte anglaise, traversent la Thaïlande et la Malaisie d'est en ouest et se dirigent par l'ouest vers le sud, c'est-à-dire Singapour. L'armée britannique qui leur fait face est plus nombreuse qu'eux. Mais elle manque d'armement moderne, notamment d'avions, et surtout, elle est mal préparée. Alors que les Japonais se sont entraînés à Formose (Taiwan) à la guerre dans les forêts tropicales, avec leurs marécages et leurs palétuviers, les Anglais ont négligé ces lieux, supposés infranchissables, et ne s'écartent pas des routes. On assiste en Asie à une sorte de répétition de la campagne de France. L'armée anglaise recule sans jamais trouver un point ou s'ancrer et résister. Le 26 décembre, les défenses du Perak sont enfoncées. Le 7 janvier, les défenses des rives du Slim sont forcées. Le 11 janvier, Kulua Lumpur tombe. Le découragement gagne les soldats et les officiers. La retraite se poursuit jusqu'à l'île de Singapour qui est investie par la terre, alors que l'on y attendait un ennemi venant de la mer! Le 31 janvier, malgré les consignes de Churchill de lutter jusqu'au bout, le général anglais Percival capitule. Les troupes anglo-australiennes ont perdu 9 000 tués et blessés et ils abandonnent 130 000 prisonniers aux Japonais dont les pertes ne s'élèvent qu'à 9 824 hommes dont 3 000 tués. Les Japonais ne savent que faire de tous ces prisonniers auxquels ils ne s'attendaient pas. Leur code de l'honneur les pousse à mourir au combat plutôt que de se rendre. Ils considèrent donc ces captifs comme des lâches qui ne méritent aucune considération et vont les traiter comme tels, soldats et officiers sans distinction, au mépris des conventions internationales que Tokyo d'ailleurs n'a pas signées. Le maintien des officiers avec leurs hommes s'avérera positif car il préservera un semblant d'ordre et soutiendra le courage et le moral des soldats. Les uns et les autres toucheront une solde misérable mais scrupuleusement payée. Ils seront nourris de portions de riz peut-être suffisantes pour un Asiatique mais beaucoup trop basse pour un Européen. On les contraindra à exécuter des travaux de terrassement pénibles, par exemple pour construire le chemin de fer de la rivière Kwai. Ils seront logés dans des cases en bambous où ils se reposeront des fatigues quotidiennes sur des étagères de bambous à raison de 60 centimètres par homme. Beaucoup mourront d'accidents, de maladies et surtout de carences alimentaires. Les rescapés reviendront aussi maigres que ceux des camps de concentration nazis. Le 8 décembre, l'île de Wake est l'objet d'un bombardement qui détruit sept avions américains sur son aéroport. La petite garnison américaine (moins de 400 marines), renforcée par une douzaine d'avions de chasse arrivés le 4 décembre, se prépare à une tentative d'invasion. Celle-ci a lieu le 11 décembre. Les marines résistent courageusement et contraignent leurs adversaires à battre en retraite après avoir subi de lourdes pertes. Mais ce n'est que partie remise. Le 23 décembre, une flottille d'invasion japonaise plus conséquente se présente devant la plage sud de l'île. La garnison de Wake affaiblie, ses derniers avions hors d'usage, sans espoir de secours, se bat encore, mais sa situation désespérée l'oblige à se rendre. Elle a résisté pendant deux semaines en coulant plusieurs bateaux et en abattant 21 avions! Le 10 décembre, le Japon s'empare des îles Gilbert, possessions britanniques. Le territoire de Hong Kong se compose en 1941
de l'île et d'une petite partie continentale au nord de celle-ci
acquise ultérieurement. Cette partie continentale est défendue
par les fortifications de la Ligne des Buveurs de Gin. Cette ligne
est gardée par des troupes de couverture destinées à
retarder l'avance des Japonais. Ces derniers passent à l'attaque,
depuis la Chine occupée, le 8 décembre, avec des troupes
à peu près deux fois supérieures à celles de
Hong Kong, troupes dotées de nombreux avions. La deuxième
nuit de la campagne, la redoute Shing Mun est surprise par les assaillants
sur le 2ème bataillon de Royal Scots qui, malgré une énergique
résistance, doit céder la place à ses adversaires
lesquels s'emparent ainsi du point le plus fort de la ligne. Les Anglais
sont contraints d'évacuer plus rapidement que prévu le continent.
Les Japonais forcent la ligne et se déploient en direction de l'est
vers le Pic du diable qui surplombe l'île, dont il est proche, et
qui fournit une bonne base pour son invasion. Les 18 et 19 décembre,
après avoir soumis l'île à de violents bombardements
dans un ciel libre d'avions anglais, ils y débarquent d'importantes
troupes et y installent de solides têtes de pont. Ils avancent ensuite
en force vers le sud et l'ouest malgré des contre attaques britanniques
décousues. Ils s'y livrent à des massacres de prisonniers
à la baïonnette. Le 25 décembre, les rescapés
de la garnison britannique, repliés à l'extrême sud
et surtout à l'ouest de l'île, capitulent. Il est vrai que
Hong Kong ne présentait pas d'intérêt stratégique
pour les Britanniques et qu'ils ne l'ont défendue que pour des raisons
de prestige.
Les 8 et 9 décembre 1941, en Indochine française, le général Tyo fait pression sur l'amiral Decoux pour que les militaires japonais contrôlent partiellement les forces armées françaises, les services de sécurité et les services économiques et financiers. Une transaction est trouvée qui respecte momentanément la neutralité de l'Indochine. Mais celle-ci cesserait en cas d'attaque venue de l'extérieur. Le 13 décembre, Darlan, qui a été convoqué à Turin par Ciano le 7, explique au gendre du Duce, qu'à son avis, d'ores et déjà, il y a un vainqueur, les États-Unis. La clairvoyance politique de l'amiral va bientôt contribuer à l'écarter du pouvoir. Le 16 décembre, à la suite de la proposition anglo-américaine de conférence à Moscou du mois d'août, le ministre anglais Eden rencontre Staline qui lui soumet un projet d'alliance militaire pour la durée de la guerre et un second traité, auquel s'ajoute un protocole qui doit rester secret traitant du tracé des frontières européennes après la guerre. La rencontre est d'abord amicale, mais les exigences soviétiques (frontières de l'URSS d'avant 1941 avec la Finlande et la Roumanie, frontière avec la Pologne sur la ligne Curzon, la Pologne se dédommageant à l'ouest sur l'Allemagne, indépendance de l'Autriche, de la Rhénanie et peut-être aussi de la Bavière) sont repoussées par Eden tandis que Staline craint, ou feint de craindre, que la Charte de l'Atlantique ne soit une machine de guerre contre l'URSS. Le 20 décembre, les choses semblent s'arranger. Staline accepte de reconnaître que l'Angleterre, après un an de guerre avec l'aide des seuls États-Unis, ne peut plus s'engager sans demander leur avis. Les deux hommes se séparent en remettant un accord à plus tard. Le 24 décembre 1941, l'amiral Muselier rallie Saint-Pierre et Miquelon à la France libre, malgré l'opposition des États-Unis. Il y est accueilli par une foule en liesse. Pour tourner le mécontentement américain, il organise au pied levé un référendum le jour de Noël; les résultats sont sans appel, pour la France libre : 81,3 % des voix, pour la collaboration vichyste: 1,2 %, abstentions et nuls : 17,5 %. Mais la sanction populaire ne convainc pas les autorités de Washington qui menacent. Alors, aidé par une journaliste américaine, Ira Wolfert, qui a assisté au vote, l'amiral entreprend une vaste campagne de presse aux États-Unis. Il affirme que, s'il est attaqué, il se défendra quelle que soit l'importance de la force qui lui sera opposée, car cette agression signifierait qu'il n'y a plus de démocratie dans le monde et qu'il ne reste plus aux démocrates qu'à mourir. Cette invocation tragique de la démocratie lui gagne l'opinion américaine. Le gouvernement n'a plus qu'à s'incliner. Mais Roosevelt, encouragé par son secrétaire d'État, Cordell Hull, tient de Gaulle pour un apprenti dictateur. Le ton cassant du chef de la France libre, guidé par l'intransigeance des faibles qui ont à défendre un honneur et des intérêts nationaux, indispose le président américain qui ne cessera de causer des difficultés et d'opposer des concurrents au général de Gaulle, lequel pense de son côté que les États-Unis, conscients de leur puissance, sont tentés d'imposer leur loi au reste du monde. Les Américains admettront la légitimité du régime de Vichy jusqu'au bout; ils se diront favorables à la décolonisation, à condition que Dakar et Saigon (aujourd'hui Hô-Chi-Minh-Ville), leur reviennent; ils émettront une monnaie, imitée du dollar, qu'ils compteront utiliser lorsque la France sera administrée par leurs troupes; ils ne se résoudront à reconnaître le gouvernement provisoire de la République française (GPRF) du général de Gaulle que le 23 octobre 1944. Dans le droit fil de la doctrine Monroe, et pour tenir le plus longtemps possible le continent américain en marge du conflit, ils font subir de lourdes pressions à la Guyane et aux Antilles françaises et la marine américaine envisage même de s'emparer de ces dernières, pourtant toujours contrôlée par Vichy. Les préventions du président américain à l'encontre du général français sont soigneusement entretenues par nombre de Français de la classe supérieure réfugiés aux États-Unis, notamment le poète et diplomate Alexis Leger (Saint-John Perse) et Jean Monnet, deux partisans de la future Union européenne. Roosevelt, cependant, se montre prudent vis à vis du chef de la France libre pour des raisons de politique intérieure. Il sait que de Gaulle est populaire parmi la population américaine et qu'un faux pas risquerait de lui coûter sa prochaine réélection! De Gaulle se souviendra de ces humiliations infligées à la Résistance française ainsi qu'à sa personne, et surtout de la volonté américaine de traiter la France en pays occupé après en avoir chassé les envahisseurs nazis. Vers Noël, à la conférence d'Arcadie, qui se tient à Washington désormais en guerre, Churchill insiste sur la nécessité d'un débarquement de 55 000 hommes en Afrique du Nord française (plan Gymnaste). Ils se dirigeraient vers la frontière tunisienne pour détruire l'armée de Rommel mise à mal par l'opération Crusader et chasser l'Axe du sud de la Méditerranée. Roosevelt comprend l'utilité de la manoeuvre mais il craint d'une part que 55 000 hommes ne suffisent pas et d'autre part que cela ne retarde une opération plus fructueuse sur le plan stratégique à l'ouest de l'Europe. Dans les mois qui suivent le projet d'un second front réclamé avec force par Staline est étudié et Anglais et Américains s'opposent sur l'endroit du débarquement. On songe à la Norvège, ce qui manquerait d'envergure, au Cotentin, mais Churchill objecte aux Américains l'impossibilité avec les moyens disponibles à cette époque de créer en France une tête de pont suffisante et de s'y maintenir. L'échec de l'entreprise serait très coûteux et ne permettrait pas de soulager significativement le front russe. Deux stratégies, qui découlent de deux visions politiques de l'après-guerre, divisent les alliés occidentaux. Churchill veut libérer la Méditerranée des forces germano-italiennes pour attaquer ensuite dans les Balkans et contenir ultérieurement les ambitions soviétiques. Roosevelt, qui a fait à Staline des promesses qu'il n'était alors pas capable de tenir, tient à un second front qui satisferait le leader soviétique. Les Anglais privilégient donc le second front nord-africain et les Américains sont partisans d'un second front européen. En décembre 1941, après la libération de l'Éthiopie, l'empire italien d'Afrique a cessé d'exister et les Anglais peuvent désormais disposer de forces nouvelles pour défendre l'Égypte et le Moyen-Orient. Mais, les 18-19 décembre, les deux derniers cuirassés de la marine britannique sur ce théâtre d'opération, le Valiant et le Queen Elisabeth, sont endommagés par des torpilles italiennes dirigées par des hommes dans le port d'Alexandrie (Égypte). Et, quelques jours plus tard, trois croiseurs et quatre destroyers basés à Malte sautent sur des mines, subissent des dégâts ou sont coulés, tandis qu'un croiseur est coulé par un sous-marin. A la fin de l'année 1941, 48 bâtiments alliés, en 13 convois, ont empruntés la route du Cap Nord et ont débarqué dans les ports russes 2 373 véhicules, 481 chars, 705 avions, 87 000 tonnes de munitions et 25 000 tonnes d'essence. Les convois, qui portent le nom de PQ à l'aller et de QP au retour, sont escortés par la marine anglaise puis par la marine soviétique, à l'aller (sens ouest-est), et vice-versa au retour. Tout s'est relativement bien passé jusqu'à présent. Mais Hitler redoute un débarquement en Norvège qui pourrait inciter la Suède à revoir sa neutralité et à cesser ses livraisons de minerai de fer à l'Allemagne. Il veut à tout prix barrer la route du nord pour asphyxier l'URSS. Il va renforce la flotte et l'aviation allemande sur ce nouveau théâtre de la guerre. Vers la fin de l'année 1941, la clandestinité s'organise en Albanie sous les ordres d'Enver Hodja, futur dirigeant du pays. Des groupes de partisans communistes se constituent. Ils représenteront une vingtaine de bataillons. La Résistance albanaise est la seule à n'avoir jamais été sous l'influence de Londres. Elle va mener la vie dure aux occupants italiens, puis allemands qui remplaceront les premiers. En juillet 1942, un sabotage à l'échelon national, interrompt l'ensemble des communications téléphoniques. En novembre, des actions sont lancées, à partir des petites zones libérées, contre les lignes de communications et les garnisons italiennes qui sont obligées de mobiliser cinq divisions pour leur protection. Plusieurs offensives allemandes, réunissant 40 à 50 000 hommes sont lancés pour détruire la Résistance albanaise, sans grand résultat. Les Allemands s'en vengent en brûlant les villages et en massacrant la population. Toujours vers la fin de l'année 1941, von Kluge remplace Bock à la tête du groupe d'armées Centre en Russie. Un de ses officiers d'état-major, Tresckow, qui conspire avec Beck, Oster et Schlabrendorff, essaie d'entraîner Kluge dans la conspiration mais n'y parvient pas. A ce moment des hostilités, un constat s'impose : aucun des pays adversaires de l'Axe n'était prêt pour lui faire la guerre. La France a été vaincue par l'exiguïté de son territoire, dès lors qu'elle refusait de se battre dans l'empire. L'Angleterre a été sauvée parce qu'elle est une île difficile à envahir, la Russie grâce à la profondeur de son territoire, les États-Unis parce que leur métropole est un sanctuaire, loin des opérations militaires, où l'on ne se battra jamais. Ces trois pays détiennent là des atouts majeurs qui mettent le temps de leur côté. 1er janvier - 8 mars 1942 : Conquête japonaise des Indes néerlandaises 1942: le 1er janvier, des troupes japonaises venues d'Indochine débarquent au Sarawak (Miri), au nord-ouest de l'île de Bornéo. Elles se dirigent ensuite vers le sud, pour conquérir ce pays, et vers le nord où elles s'emparent du Brunei, après avoir pris Sandakan, le 19 janvier. Le 10 janvier, les Alliés mettent sur pied une organisation combinée, l'ABDA Command, composée d'Américains, d'Anglais, d'Australiens et de Hollandais, dont le général Wavell prend la direction. Les Hollandais, qui connaissent pourtant le terrain mieux que quiconque, n'y occupent qu'une place mineure. Le 11 janvier, les Japonais, venus de Mindanao, débarquent à Tarakan, au nord-est de Bornéo, et à Medano, au nord des Célèbes. Le 24 janvier, depuis Tarakan, via le détroit de Macassar, les Japonais arrivent Balikpapan, à l'est de Bornéo. Le 24 janvier, via le passage des Moluques, les envahisseurs parviennent à Kandari, au sud-est des Célèbes. Les 27 et 29 janvier, depuis le Sarawak, les Japonais s'emparent de Permangkat et de Pontianak, à l'ouest de Bornéo. Le 30 janvier, ils occupent l'île d'Amboine, à l'est des Célèbes. Le 8 février, Macassar, au sud-ouest des Célèbes, puis le 10 février, Banjermassin, au sud-est, tombent à leur tour, Macassar sous la coupe de troupes venues du Sarawak et Banjermassin sous celle de Balikpapan. Bornéo et les Célèbes sont encerclées et isolées. Des troupes japonaises venues d'Indochine, commencent à attaquer Sumatra et l'ouest de Java à la mi février. Le 14 février, Bangka est prise. Le 16 février, une opération de parachutistes à lieu sur Palembang (Sumatra). Puis c'est au tour de Merak et de Eretan Wetan, au nord-ouest de Java (1er mars). Voilà pour les troupes venues d'Indochine. Les 18 et 19 février se déroule la bataille du détroit de Lombok, à l'est de Bali; les navires alliés endommagent deux destroyers japonais et un bâtiment de transport, mais un destroyer néerlandais est coulé et un croiseur léger sérieusement touché. Le 20 février, l'île de Timor, à l'est de l'archipel de Java, et plus très loin de l'Australie, est l'objet d'une opération aéroportée japonaise. Le 27 février a lieu la bataille navale de la mer de Java; la flotte alliée s'efforce en vain de trouver la flotte de débarquement japonaise lancée à l'assaut de Java mais tombe sur les navires de guerre japonais qui la protègent; l'invasion est retardée d'un jour au prix de la quasi destruction de la flotte alliée, laquelle est dépourvue d'aviation et dont les communications sont mauvaises; pendant le combat, les Japonais utilisent une torpille inconnue de 609 mm, du type 93, mue par un propulseur à oxygène liquide, qui se déplace à 36 noeuds et dont la portée exceptionnelle atteint 40 kilomètres. Le 1er mars, des troupes parties de Banjermassin débarquent vers Kragan au nord de Surabaya, au nord-est de Java. Le 2 mars le gouverneur général ordonne à l'amiral Helfrich d'abandonner les Indes néerlandaises pour se réfugier à Ceylan. Le 5 mars, l'aviation de la flotte japonaise, qui croise au sud de Java et dans l'océan Indien, attaque Tjilatjap et y coule 17 navires alliés. Le 8 mars, le gouvernement des Indes néerlandaises se rend sans condition. Le Japon a obtenu ce qu'il cherchait, les mines et les champs prétrolifères, et ceci en moins de trois mois alors qu'il en avait prévu six. Janvier - mars 1942 : Tentative soviétique de reconquête de l'Ukraine En Russie, la bataille de Moscou a tourné à l'avantage des Soviétiques dirigés par Joukov, grâce aux renforts venus de Sibérie. Les renseignements provenant de l'espion Richard Sorge ont permis de dégarnir le front de l'Est car on sait maintenant que les Japonais n'ont pas l'intention d'entrer en guerre contre l'URSS; de plus, ils ont désormais les États-Unis sur les bras ce qui ne peut que renforcer leur prudence. De nombreux Moscovites, qui n'ont pas quitté leur ville et ne sont pas mobilisés pour diverses raisons, se sont engagés pour participer aux combats; leurs pertes sont lourdes mais difficiles à évaluer, faute de statistiques fiables. Les Allemands, mal préparés à une guerre d'hiver, ne possédant pas les vêtements adéquats, sont refoulés vers l'Ouest, en essuyant des pertes sévères. L'emploi de la pervitine, se retourne alors contre eux; les effets secondaires de cette drogue sont dévastateurs; prise à forte dose elle provoque des hallucinations; elle est addictive et celui qui en manque tombe dans la dépression; enfin, lorsque son effet cesse, celui qui s'est surpassé grâce à elle, s'effondre dans un état léthargique qui, dans les conditions de l'hiver russe, entraîne irrémédiablement la mort par le gel. Mais la Russie reste cependant privée des ressources de sa partie la plus peuplée et la plus fertile que l'Allemagne exploite à son profit. Hitler a en effet ordonné, on l'a déjà dit, le pillage systématique des régions occupées, ce qui n'est pas de nature à lui assurer l'adhésion des populations slaves qu'il traite en sous-hommes. Le Führer tire les leçons de ses échecs devant Moscou à sa façon. Trente-cinq généraux d'armée, de corps d'armée ou de divisions sont limogés, dont Guderian, trop indiscipliné! La Waffen SS va prendre le pas sur la Wehrmacht. Au cours du premier trimetre de 1942, 60% du matériekl neuf ira à ses unités. Un peu plus tard, le plan allemand étant tombé aux mains des Russes par suite de la capture d'un officier, il entre dans une colère furieuse et interdit désormais formellement la détention par les officiers allemands d'autres informations que celles qui les concernent directement. Ce cloisonnement de l'armée, selon le mode d'une organisation clandestine, isolera chaque commandant d'unité qui ne pourra plus connaître ce qui se passe autour de lui sans en réferrer à sa hiérarchie par des circuits de communications trop longs pour être efficaces dans une guerre de mouvement moderne. Le 5 janvier 1942, Joukov est convoqué à Moscou en sa qualité de membre de la Stavka. Il y trouve un Staline très optimiste. Après les succès de Rostov au sud et de Tikhvin au nord, les avancées au centre l'amènent à penser que l'armée allemande est en plein désarroi et que c'est le moment d'en profiter. Chapochnikov préconise donc une offensive sur tous les fronts, face à Moscou, à Leningrad avec la flotte de la Baltique, et vers Briansk pour reconquérir l'Ukraine. Lorsqu'il a terminé, Staline demande si quelqu'un désire s'exprimer. Joukov se lève et précise que, sur l'axe de l'ouest, où l'ennemi n'est pas encore parvenu à se ressaisir, il est encore possible de progresser à condition de recevoir des renforts en matériel et en hommes, mais que sur les fronts de Leningrad et du sud-ouest, les troupes soviétiques, dont l'artillerie est insuffisante, risquent de s'engager dans des combats très meurtriers contre un adversaire protégé par de solides défenses. Les Allemands en effet ont remis en état à leur profit, là où ils l'ont pu, les fortifications érigées naguère par les Soviétiques. Staline formule quelques remarques qui donnent à penser à Joukov qu'il avait déjà pris sa décision avant la séance, et que ce plan est son plan plutôt que celui de l'état-major général. Le 7 janvier, l'Armée rouge prend ses dispositons en conséquences. L'Armée rouge, moins nombreuse, moins bien pourvue en matériel, et moins efficace sur le plan tactique, malgré l'expérience déjà acquise, va poursuivre deux objectifs. Sur le front du sud-ouest elle sera lancée dans une tentative de reconquête de l'Ukraine, en direction de Kharkov, vers le nord, et en direction de la mer d'Azov, à l'ouest de Taganrog, vers le sud. Sur le front de Moscou, des forces importantes doivent être maintenues pour le cas où les Allemands tenteraient à nouveau une action contre la capitale. En plus, Staline tient beaucoup à ce que l'ennemi soit harcelé partout où c'est possible. Cette stratégie d'éparpillement des forces va s'avérer trop présomptueuse face à une armée allemande qui est encore loin d'être détruite. Le 18 janvier, l'offensive commence au sud avec succès. Le 24 janvier, Barvenkovo est libérée et l'Armée rouge pousse jusqu'à Lozovaia, enfonçant un coin dans le dispositif ennemi : la poche de Barvenkovo. Mais elle est arrêtée à Krasnoarmeïskié et n'atteint pas la mer d'Azov. Le projet d'encerclement et de destruction des troupes allemandes dans ce secteur tourne court. En raison de la lenteur de leur progression, les Russes donnent aux Allemands le temps de se ressaisir et de renforcer leurs positions autour de la poche de Barvenkovo. En mars, l'offensive soviétique marque un temps d'arrêt. Le 15 janvier, après avoir dépêché à la fin de l'année 1941 le plus puissant cuirassé du monde de l'époque, le Tirpitz, à Trondheim (Norvège), le Führer prend la décision sans appel de rapatrier la flotte de Brest, exposée aux raids anglais, pour l'envoyer renforcer son flanc nord. Le 11 février, à 22h45, la flotte allemande se concentre dans la grande-rade de Brest puis sort en échappant à la surveillance britannique. Elle ne sera repérée par une patrouille de la RAF que le 12, à 11h09. Les navires ralentissent pour traverser un champ de mines, puis reprennent leur vitesse initiale. A 12h18, ils sont canonnés par les batteries de Douvres, mais de trop loin, puis attaqués par des vedettes lance-torpilles incapables de les approcher d'assez près. Un peu plus tard, des avions swordfish, accompagnés d'un nombre insuffisant de chasseurs spitfire, tentent en vain de les torpiller; la chasse allemande venue des aéroports de France, qui se relaie pour protéger ses navires, détruit les avions swordfish. A 14h31, le Scharnhorst est légèrement endommagé par une mine. A 15h30, les destroyers anglais de Harwich localisent le convoi allemand mais ne réussissent pas à l'approcher. En fin de soirée, le Scharnhorst et le Gneisenau sont malmenés par des mines sans gravité, mais les eaux allemandes sont atteintes. C'est une victoire méritée pour la marine du Reich qui a su très bien organiser l'opération dans ses moindres détails, par exemple en balisant l'étroit passage du Pas-de-Calais entre les mines par des chaloupes à l'ancre. A contrario, c'est une humiliation pour la Grande-Bretagne dont le plan a été mal conçu, l'opération mal organisée et mal exécutée, en dépit des informations fournies par la Résistance française. Hitler, qui a ordonné l'évacuation sans l'organiser, en sort renforcé psychologiquement, certain de la sûreté de son jugement et de son intuition. Le 17 janvier, les garnisons isolées de Rommel en Cyrénaïque capitulent. Du 9 au 25 janvier, les armées du Volkhov, de Kalinin et du Nord-Ouest s'enfoncent profondément dans le dispositif allemand sans atteindre pourtant des objectifs trop éloignés. Le 8 février 1942 Fritz Todt meurt dans un accident d'avion. L'architecte préféré d'Hitler, Albert Speer, le remplace comme ministre de l'Armement du Reich. C'est un excellent organisateur qui, même s'il n'est pas un nazi convaincu, s'efforcera toujours de fournir au Führer les moyens de sa puissance, aussi longtemps que ce sera possible. Début 1942 : Conquête japonaise de la Birmanie En Asie, à l'ouest, les 8-10 décembre 1941, l'armée de l'empire du Soleil levant occupe la péninsule de Kra, au nord de la Malaisie. A Noël, Tchang Kaï Chek propose à Wavell, qui commande en chef l'armée des Indes, de mettre à sa disposition deux armées chinoises pour défendre la Birmanie; le général anglais accepte seulement une division qui sera affectée à la région nord-est des Chans, ce qui froisse le leader chinois. Dès le 10 janvier 1942, la position de l'armée japonaise semble suffisamment affermie en Malaisie et, le 15 janvier, elle passe à l'attaque de la Birmanie, depuis le sud; Victoria Point tombe sans résistance. L'armée nippone progresse rapidement en direction du nord, le long de la côte ouest que baigne la mer d'Andaman. La Birmanie possède un indéniable intérêt stratégique avec son pétrole et surtout la route de Birmanie qui la traverse et permet de ravitailler les Chinois en armes et munitions. Elle peut éventuellement offrir une excellente base de départ pour une invasion future de l'Inde. Le 20 janvier, la 55ème division japonaise, venue de Thaïlande (Phitsanulok), fonce vers l'ouest, et atteint la mer (Moulmein) 10 jours plus tard; les forces japonaises qui viennent du sud l'y rejoignent. Les Japonais poursuivent alors en direction de Rangoon qui tombe le 8 mars. Le général japonais, arrivé de l'est, a contourné la ville pour l'attaquer par l'ouest, selon les ordres reçus de ses chefs; mais, en concentrant ses forces, il a offert au général Alexander, une porte de sortie vers le nord et permis aux forces britanniques de se tirer d'un mauvais pas. Les troupes japonaises se dirigent ensuite vers le nord selon trois axes : à l'ouest, le long de la rivière Irrawaddy, vers l'Inde; à l'est, vers la frontière chinoise; au centre vers Mandalay et la route de Birmanie. Finalement, deux petites armées chinoises, sous les ordres du général américain Stilwell, Joe Vinaigre, chef d'état-major de Tchang Kai-chek, ont été envoyées en Birmanie centrale où elles font preuve d'une remarquable aptitude dans les combats défensifs, en mars et avril, mais elles ne peuvent empêcher la prise de Lashio par les Japonais, le 29 avril 1942, ce qui entraîne à nouveau la fermeture de la route de Birmanie. Elle est remplacée par un pont aérien complété plus tard par la route de Ledo (Inde) plus au nord. Certains rescapés battent alors en retraite vers le Yunan ou à travers l'Himalaya dans des conditions très rigoureuses. D'autres se refugient au nord de l'Inde; Stilwell obtient de Tchang Kaï Chek qu'elles y restent pour des opérations futures. En mai, les objectifs japonais sont atteints. La Thaïlande participe à la curée en s'emparant de Kengtung (27 mai), en territoire chan. La retraite de Birmanie, qui s'achève avant la mousson, est une répétition de celle de Malaisie. Les forces britanniques manquent d'avions et leur matériel de communication est désuet. Les ordres, donnés de trop loin, sont souvent inadaptés aux circonstances et au terrain. Le général Wavell, chef de l'armée des Indes puis de l'ABDA Command, se tient, sous la pression des événements, tantôt à Java et tantôt en Inde, ce qui perturbe le système de transmission des ordres. Enfin, la Birmanie se trouve dans une situation défavorable : séparée de l'Inde depuis 1937, ses troupes ont été placées sous l'autorité directe de Londres jusqu'au 12 décembre 1941, et la guerre ne paraît pas concerner une population qui comporte d'ailleurs une proportion non négligeable d'opposants susceptibles de fournir les éléments d'une cinquième colonne. La conquête de la Birmanie par les Japonais met ses derniers à la porte de l'Inde travaillée par le nationalisme. Mais Wavell pense que l'armée japonaise n'attaquera pas l'Inde immédiatement et se met en mesure de la défendre. Premier semestre 1942 : Conquête
japonaise du nord de la Nouvelle-Guinée - Menace sur Port Moresby
et l'Australie
En six mois, l'empire du Soleil Levant a néanmoins mis la main sur 90 millions d'êtres humains, 88 % du caoutchouc, 54 % de l'étain, 28 % du riz, 19 % du tungstène, d'énormes quantité de minerai de fer et de manganèse. Et ceci avec des pertes minimes (4 destroyers et quelques autres bâtiments de moindre importance, 381 avions et 15 000 hommes), contre plus de 250 000 hommes chez les alliés, la flotte anglaise d'Extrême-Orient, la flotte américaine du Pacifique et une grande partie de l'aviation! Début 1942, les États-Unis dépêchent auprès de Tchang Kaï Chek, désigné comme commandant en chef allié du théâtre d'opération chinois, une mission d'assistance militaire avec le général Stilwell, qui devient le chef d'état-major du président chinois. A cette époque, la formation aérienne non conventionnelle de Chennault a déjà remporté de nombreux succès, grâce notamment à son efficace réseau de guet. En février 1942, elle a déjà abattu une centaine d'avions ennemis, sans parler des aéronefs endommagés! Et Chennault en vient à penser que l'aviation pourrait à elle seule obliger les Japonais à se retirer de Chine. Parmi ses attributions, Stilwell à celle de répartir les approvisionnements insuffisants qui proviennent en Chine par air au-dessus de l'Himalaya depuis que la route de Birmanie a été coupée par les Japonais. Chennault estime que le partage est inéquitable à son détriment. La tension monte entre les deux officiers américains. Stilwell ne partage pas la conviction de Chennault concernant les capacités de l'aviation à gagner la guerre. Il pense que les Japonais disposent d'une parade, celle de s'emparer de tous les aéroports et que, pour les en empêcher, il faut renforcer l'armée de terre chinoise. Tchang Kaï Chek, qui déteste Stilwell, prend le parti de Chennault et les autorités militaires américaines, le général Marshall et le commandant de l'aviation, le général Arnold, prennent celui de Stilwell. Au début de 1943, Tchang Kaï Chek et Chennault court-circuitent Marshall, Arnold et Stilwell en s'adressant directement à Roosevelt qui ordonne d'affecter le plus de tonnage possible à Chennault. Le 18 février 1942, un programme d'opérations pour l'armée japonaise de Mandchourie est élaboré. Il s'agit d'envahir des territoires soviétiques le long de la mer du Japon (Kabarovsk, Primorié), la région de Tchita et la Bouriatie, de l'autre côté de la Mandchourie, ainsi que de pénétrer en Mongolie. Mais l'évolution de la situation militaire à l'Ouest, au long de l'année, ne permet pas la réalisation de ces opérations. Ribbentrop reconnaît d'ailleurs que, si les Japonais ne sont pas capables de battre complètement les Soviétiques, mieux vaut qu'ils restent passifs et se contentent de retenir des forces soviétiques importantes en Asie. Ils pourront ainsi conserver leur ambassade à Moscou dont les espions font parvenir à Berlin d'importantes informations. En février 1942, lord Halifax, ambassadeur britannique à Washington, aborde avec Roosevelt le problème des frontières européennes d'après guerre soulevé par Staline en décembre 1941. Roosevelt décide de s'adresser directement à Staline. Mais Halifax, qui craint que le président américain accorde tout sans contrepartie, parvient à le dissuader. Le 9 mars 1942, un événement militairement peu important mais d'une grande force symbolique se produit. Une escadrille de sept chasseurs soviétiques Yak-1 attaque de nombreux chasseurs allemands escortant des bombardiers. Ils abattent plusieurs chasseurs ennemis sans perdre aucun appareil et les aviateurs allemands sont contraints de prendre la fuite en se scindant en deux groupes. Depuis le début du conflit, l'aviation soviétique, obligée d'affronter des avions plus perfectionnés ainsi que des pilotes mieux formés et surtout déjà rompus aux combats aériens, a essuyé beaucoup de défaites et subi de lourdes pertes. La presse soviétique s'empare de cette belle revanche qui laisse bien augurer de l'avenir. Le 27 mars, une expédition navale britannique est lancée contre Saint-Nazaire, qui abrite une base sous-marine et surtout la seule cale de radoub de gros navires de guerre sur l'Atlantique. Une flottille est envoyée sur l'objectif. Elle comprend une canonnière, plusieurs vedettes, un torpilleur et un vieux destroyer américain, le Campbeltown, bourré d'explosifs à retardement noyé dans du ciment. Des commandos de saboteurs lui ont été adjoints pour parachever les destructions. Deux destroyers l'escortent en haute mer mais ne doivent pas entrer dans la Loire. La flottille, qui arbore les couleurs allemandes, parvient à échapper à la surveillance ennemie, sauf à celle d'un sous-marin qui signale sa présence. Parvenus sur les lieux, les Anglais sont vivement reçus par l'artillerie ennemie. Le Campbeltown parvient néanmoins à enfoncer la porte coulissante de la forme-écluse et à pénétrer dans le bassin. Les commandos débarquent et se heurtent à une vive résistance. Les pertes sont lourdes (169 morts) et de nombreux prisonniers tombent aux mains des Allemands. Ces derniers, attirés par la curiosité, montent sur le Campbeltown, une fois que l'affaire leur paraît terminée. Ils y découvrent que la Royal Navy possède les signaux de la Kriegsmarine pour la période du 26 au 31 mars. Le vieux rafiot, chargé d'explosifs, saute bientôt, dispersant des débris humains sur plus de 2 kilomètres. On dénombre 400 victimes, la plupart allemandes avec quelques Français. Les dégâts causés aux installations sont considérables; la cale de radoub sera longtemps inutilisable. Peu de membres de l'expédition reverront la Grande-Bretagne où l'opération est accueillie comme un grand succès, après tant de déboires passés et les pertes de tonnage essuyées sur l'Atlantique. On envisage de la rééditer. Elle suscite l'inquiétude d'Hitler qui fait déplacer le PC de Dönitz, amiral des sous-marins, de Lorient à Paris. Le Führer ordonne des enquêtes, en passant par dessus la tête de l'amiral Raeder que cela rend furieux. Elles ne satisferont pas Hitler et un pesant malaise gagnera le haut commandemant de l'Ouest, sous les ordres de von Rundstedt. En mars 1942 le haut commandement allemand décide la création, en Pologne, dans la région de Lvov (Lemberg), d'un camp de représailles pour y enfermer les prisonniers français et belges qui s'évadent ou refusent de travailler pour l'économie de guerre allemande. Ce camp de Rawa-Ruska se situe à proximité du camp de concentration de Belzek d'où partent des train de déportés juifs du ghetto de Varsovie enfermés dans des wagons au sol recouvert de chaux vive qui meurent dans la campagne polonaise les pieds rongés et asphyxiés progressivement par les émanations de chlore dégagées par la rencontre de la chaux vive avec de l'eau. Rawa Ruska occupera une ancienne caserne de cavalerie dans une région où se coudoient sans aménité Polonais et Ukrainiens; les résistants polonais de l'Armia Krajowa du général Bor-Komorowski, dans la mouvance du gouvernement polonais en exil à Londres, effectuent des raids sur les villages ukrainiens et les milices ukrainiennes, supplétives de l'armée allemande, en font autant sur les villages polonais. Les prisonniers français et belges qui arrivent à Rawa-Ruska y trouvent les traces des sévices subis par les prisonniers soviétiques qu'ils remplacent, du sang séché sur le sol et des cheveux collés au mur avec du sang caillé sur les murs, ainsi que des cadavres, que leur première tâche consiste à ensevelir. Combien de soldats soviétiques moururent-ils ici? On ne le saura jamais! Ensuite, la vie des prisonniers occidentaux se déroule comme un cauchemar. Mal nourris, manquant d'eau, d'où le nom de camp de la goutte d'eau donné à ce mouroir, grouillant de vermine, retenus dans les pires conditions d'hygiène, vulnérables aux épidémies sans médicament pour se soigner, soumis à de pénible travaux, dans le froid ou la chaleur torride d'un climat continental, humiliés par les sévices de leurs gardiens, ils sont laissés sans aucune nouvelle de leur famille, avec sous les yeux les convois emmenant les déportés juifs à la mort. A leur arrivée, de l'herbe avec de petits oignons gros comme des pois poussent encore entre les baraquements; bientôt, la terre est nue : tout a été mangé! L'extermination des Juifs à lieu sous les yeux des prisonniers, à la lisière d'une forêt où l'on oblige les futurs suppliciés à creuser eux-mêmes leur fosse commune avant de les mitrailler; les captifs qui n'assistent pas aux exécutions entendent les tirs; une nuit, un vacarme éponvantable s'élève d'un ghetto voisin : coups de feu, cris de femmes, d'enfants; le lendemain, les gardiens du camp se vantent d'avoir massacré 2 000 Juifs! La situation s'améliore cependant après une intervention de la Croix-Rouge et, au début de 1943, le camp est transféré à la citadelle de Lvov. L'approche de l'Armée rouge disperse les derniers prisonniers dans divers autres camps en Allemagne. Vingt-trois mille Français sont passés par Rawa-Ruska qui fait penser aux camps où sont entassés les prisonniers politiques, les résistants, tous les indésirables du Reich et des pays occupés. Plusieurs prisonniers tentèrent de s'en échapper, la plupart en vain. Les camps de concentration firent leur apparition en Allemagne au lendemain de l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Il étaient destinés aux opposants, en premier lieu aux communistes. Après les premières victoires de la Wehrmacht, le régime libéra quelques prisonniers qu'il enferma à nouveau plus tard, notamment après l'attentat de juillet 1944. Ces premiers camps, puis d'autres qui furent construits, même dans les pays occupés, comme la France, reçurent après 1939 les déportés, opposants et combattants de la Résistance. Il ne faut pas confondre cette déportation dans les camps avec la déportation des travailleurs en Allemagne, ceux-ci n'étant pas enfermés dans le même genre de camps. Dans les camps de concentration, les prisonniers devaient accomplir des travaux pénibles ou dangereux (exploitation de carrières, déblaiement des villes bombardées... il y avait même des usines camouflées sous terre où l'on fabriquait du matériel de guerre, en particulier les fameux V1 et V2). Ces prisonniers étaient placés sous la surveillance générale des SS et sous celle de gardiens de proximité, les kapos, recrutés parmi les prisonniers allemands de droit commun. Les prisonniers politiques allemands étaient quant à eux souvent placés dans l'administration des camps. Dans certains camps, on se livrait sur les prisonniers à des "expériences médicales" souvent douloureuses et parfois mortelles. Les prisonniers, entassés dans des baraquements en bois, étaient soumis à une promiscuité favorable à la propagation des épidémies. Ils étaient régulièrement appelés sur la place d'Appel, où ils restaient debout pendant des heures, quelles que soient les conditions atmosphériques. Mal nourris, ils s'affaiblissaient au cours du temps et leur espérance de vie ne dépassait pas quelques mois. Leurs gardiens avaient droit de vie et de mort sur eux. Une menace constante pesait sur leur tête et ils ne savaient jamais de quoi serait fait leur lendemain. Ils pouvaient être déplacés d'un camp à unautre, affecté dans un commando plus ou moins pénible ou dangereux, tomber sous les coups d'un tortionnaire subitement devenu plus agressif que d'ordinaire. Des groupes de résistants se formèrent cependant dans cet univers carcéral étroitement surveillé; il y eut même des évasions réussies et les derniers déportés de Buchenwald se libérèrent eux-mêmes avec les armes qu'ils avaient réussi à se procurer lors du bombardement d'une usine voisine. Parfois les détenus bénéficiaient de la complicité du personnel administratif. C'est ainsi que, l'un de mes amis, qui s'était battu en Crète dans l'armée anglaise avant de revenir résister en France, déporté en juillet 1944, eut la chance de rencontrer, dans l'un des deux camps d'Ellrich, au revier, un baraquement dédié aux malades, un Allemand avec lequel il s'aperçut avoir une amie commune, une Allemande qui avait fui son pays après l'arrivée au pouvoir du Führer, pour se réfugier en France. Après s'être assuré que mon ami ne cherchait pas à le tromper, peut-être pour le dénoncer, en lui posant des questions très précises sur cette amie, l'Allemand, convaincu, décida de l'aider. Il le fit garder au revier le plus longtemps possible, où il se reposa et reçut une meilleure nourriture, et c'est peut-être pour cette raison qu'il revint vivant. L'Allemand n'eut pas cette chance; communiste, il fut exécuté avant l'évacuation du camp! A l'approche des Alliés, les détenus des camps furent trimbalés de camps en camps, dans des conditions effroyables; la période de l'hiver 1944-1945 et le printemps qui suivi fut la pire époque des camps; certains détenus furent massacrés et leurs corps brûlés; mon ami transita par six camps pour se retrouver finalement à Bergen-Belsen, lieu où étaient déjà passé des prisonniers de guerre belges, français et soviétiques, ces derniers y ayant laissé 50 000 morts. Il fut libéré par les soldats britanniques le 15 avril 1945. Il pesait 37 kilos pour plus de 1,80! Je retournai avec lui sur quelques-uns de ses lieux de détention, Dora, Ellrich et Buchenwald, en 1968, à la veille de l'invasion de la Tchéchoslovaquie par les armées du pacte de Varsovie. Même si l'on y mourrait beaucoup, et si les geôliers ne se privaient pas de répéter aux détenus que la seule porte de sortie était la cheminée, les camps dont il vient d'être sommairement parlé ne peuvent pas être tous qualifié de camps de la mort, ou alors on devrait parler de mort immédiate et de mort différée. Il existait une hiérarchie entre les camps, déterminée par les nazis eux-mêmes et qui ne fut d'ailleurs pas complètement respectée, dans un univers totalement arbitraire, soumis aux caprices des autorités et aux contraintes imposées par l'affluence des personnes arrêtées. Comme on l'a vu, les prisonniers n'étaient pas partout systématiquement massacrés. Les camps de la mort immédiate voient le jour avec la volonté nazie de résoudre la question juive par l'anéantissement total de tous les Juifs d'Europe. Ceux qui y rentrent n'ont pas vocation à en ressortir vivants quelle que soit leur capacité à survivre! Ces camps se trouvent en Pologne, mais ne sont pas polonais, comme certains le laissent entendre, ce sont des camps allemands en terre polonaise. Même si tous les déportés qui y arrivent ne sont pas immédiatement tués, et si l'on n'y rencontre pas que des Juifs, la plupart de ces derniers, accueillis par une fanfare, pour leur faire bonne impression, sur le quai où on les décharge comme des bestiaux, la plupart donc sont rapidement conduits, soi-disant par mesure d'hygiène, dans des baraques hermétiquement closes où ils sont gazés avant que leurs cadavres ne soient brûlés dans les fours crématoires. Mais il y a des exceptions, à Auschwitz, grâce à l'intervention de SS mélomanes, une virtuose juive est sauvée pour distraire ces messieurs par son talent de musicienne. Lorsqu'elle meurt, les bourreaux lui réservent de grandioses funérailles, sous un monceau de roses blanches! Aux mépris des conventions internationales, j'y ai déjà fait allusion, des prisonniers soviétiques périssent dans les camps de concentration; en 1942, 20 000 soldats russes sont tués par balles dans une salle insonorisée à Oranienburg, camp ouvert en 1933, peu de temps après l'accession d'Hitler au pouvoir; pendant l'été 1943, des prisonniers soviétiques sont régulièrement gazés dans le camp du Struthof, en Alsace, où des expériences ont lieu pour tester le cyclon B, un gaz toxique destiné à la solution de la question juive, notamment à Auschwitz-Birkenau, près de Cracovie. En 1942 vit le jour l'opération Bernhard,
montée par le Sturmbannführer Bernhard Krüger.
Ce dernier créa une équipe de faux-monnayeurs au camp de
concentration de Sachsenhausen en vue de fabriquer de fausses livres anglaises
et de faux dollars américains pour déstabiliser le système
financier et économique de ces deux pays. Ces devises furent
diffusés à travers le monde via des pays neutres. Elles servirent
parfois à financer les activités d'espionnage allemandes,
ce qui n'était pas sans risque pour les espions bénéficiaires
de cette manne. En avril 1945, lors de l'évacuation du camp de Sachsenhausen,
l'équipe de faussaires fut transférée en Autriche,
d'abord à Mauthausen, puis à Ebensee. Début mai 1945,
l'exécution des faussaires fut ordonnée. Mais l'arrivée
inopinée des Américains sauva les condamnés. En 1959,
des faux billets furent retrouvés dans le lac Toplitz, près
d'Ebense. Certains de ces billets restèrent en circulation jusque
dans les années 1960, ce qui obligea la Banque d'Angleterre à
retirer de la circulation d'anciens billets pour les remplacer par des
nouveaux. Krüger, détenu après guerre en France, aurait
travaillé pour le compte des services de renseignement français.
1942 : En Yougoslavie Au printemps 1942, Tito, dont les partisans communistes sont harcelés part les troupes de l'Axe en Yougoslavie, sollicite l'aide de Moscou. Mais, dès l'automne 1941, Staline a privilégié l'alliance avec l'Angleterre, ce qui l'a amené à se rapprocher du gouvernement royal yougoslave en exil à Londres. Il engage donc Tito, le 5 mars 1942, à prendre en considération le fait que l'URSS a des engagements internationaux à respecter avec le roi de Yougoslavie et qu'il n'est pas souhaitable de soulever des difficultés avec l'Angleterre et les USA qui seraient préjudiciables à la lutte commune contre le fascisme. Tito répond alors que, si l'URSS n'est pas en mesure d'aider les partisans, qu'au moins elle ne leur mettent pas des bâtons dans les roues. En effet, en optant pour le gouvernement yougoslave exilé à Londres, l'URSS a choisi aussi de reconnaître son armée nationaliste anticommuniste, les Tchetniks de Mihaïlovitch. Tito, on l'a dit, a rencontré par deux fois le chef des Tchetniks, afin de trouver un accord. Mais c'est impossible. Plus soucieux de lutter contre les partisans de Tito que contre les forces de l'Axe, Mihaïlovitch se rapproche d'abord du gouvernement de collaboration mis en place par les nazis, puis des Italiens, et enfin des Allemands eux-mêmes, au fur et à mesure que ses troupes l'abandonnent et passent aux Partisans titistes. La résistance monarchiste sombre dans la collaboration tandis que l'Armée prolétarienne de Tito subit cinq attaques de la part de la Wehrmacht de septembre 1941 à juin 1943. Elle perdra à chaque fois beaucoup de monde et sera contrainte de se déplacer de Serbie en Bosnie-Herzégovine puis au Monténégro. Mais les Allemands et leurs alliés Oustachis ne parviendront jamais à l'anéantir malgré la disparité des forces. L'afflux de non communistes parmi les Partisans amène Tito a présenter son mouvement sous la bannière d'une large coalition antifasciste, une sorte de Front populaire. Le 26 novembre 1942, exemple unique dans un pays occupé, Tito réunit à Bihac, à proximité de la Croatie, au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine, dans la zone contrôlée alors par ses troupes, le premier Conseil antifasciste de libération nationale de Yougoslavie (AVNOJ) réunissant en grande pompe des délégués venus de toutes les régions de la Yougoslavie, sous une bannière frappée de cette devise : "Mort au fascisme ! Liberté pour les peuples!". Au cours de l'année, les communistes furent officiellement fédérés au sein de l'Armée de libération nationale. Le succès de Tito relève de plusieurs facteurs. D'abord, il a su rétablir dans la clandestinité le réseau du parti communiste qui existait avant la guerre, grâce à une idéologie qui dépassait les clivages nationaux, et attirer à ce noyau beaucoup des non communistes, en mettant l'accent sur la lutte de libération, ensuite parce qu'il réussit à créer une force armée concentrée, capable de porter des coups sévères à ses adversaires, tout en sachant se dérober ou s'échapper de force lorsque ces adversaires s'avérent trop puissants. Cette stratégie explique ses déplacements à travers la Yougoslavie. Grâce à elle, il contrôle tour à tour des territoires de plusieurs nations yougoslaves et y installe des embryons de pouvoir préfigurant la Yougoslavie fédérale d'après-guerre. Son passage d'une région à l'autre lui permet aussi de refaire son armée dont les effectifs, malgré ses énormes pertes, ne cessent de croître. Le 6 avril 1942, en France, à Lans, le contact est établi entre deux groupes d'hommes proches du PS (SFIO) : un groupe de Grenoble avec l'ancien maire Léon Martin et un groupe du plateau de Villard-de-Lans, avec le docteur Eugène Samuel. Jean-Pierre Lévy, fondateur du mouvement Franc-Tireur est également dans le coup. Il est décidé d'installer un maquis dans le massif du Vercors. Le 8 avril 1942, Eden propose à Maiski de reprendre les négociations interrompues avec Staline en décembre 1941. Les Anglais redoutent une initiative intempestive de Roosevelt et craignent également que Staline ne sorte de la guerre une fois le territoire soviétique débarrassé des troupes nazies. Ils sont désormais disposés à accepter les revendications russes, à l'exception de celles concernant la Pologne, la protection de ce pays ayant motivée leur entrée en guerre. Mais Eden, qui s'attend à une surenchère soviétique, décide de se montrer ferme et de proposer un pacte anglo-soviétique de vingt ans. Le 18 avril 1942, sous la pression allemande, Pierre Laval devient chef de gouvernement de Vichy, un titre créé pour la circonstance. Mais Darlan reste le successeur désigné de Pétain et conserve le portefeuille de la Défense nationale. Trois jours après son retour au pouvoir, Laval prononce un discours d'où il ressort que toute la politique du pays doit être subordonnée à l'insertion dans l'Europe allemande, sur fond de combat antibolchevique. Le 18 avril également, seize bombardiers américains Mitchel B-25, qui décollent de porte-avions, vont bombarder Tokyo, sous le commandement du lieutenant-colonel Doolittle. Lâchés trop tôt et trop loin de leur cible, ils l'atteignent, mais manquent de carburant pour aller se poser en Chine aux endroits prévus et s'en sortent comme ils peuvent au gré de leur chance. Huit pilotes sont capturés par les Japonais qui en fusillent trois pour avoir bombardé des populations civiles; un autre meurt en captivité. Ce bombardement redonne espoir aux alliés et provoque un choc psychologique profond chez les Japonais. En avril 1942, est créé en URSS le Comité Antifasciste Juif dont les membres sont des écrivains, des acteurs, des scientifiques et des militaires juifs. Le Comité s'occupe de la collecte de fonds auprès des Juifs américains et britanniques et oeuvre en faveur de l'ouverture d'un second front. Mais certains auteurs accusent Staline d'antisémitisme et, selon eux, ce comité n'aurait été qu'une façade pour montrer un bon visage à l'Occident. Cependant, le régime soviétique n'a jamais affiché d'antisémitisme d'État, comme l'hitlérisme. Lors de la révolution, beaucoup de Juifs y participèrent et quelques-uns accédèrent en haut de la hiérachie du PC; d'autres furent poursuivis par la suite mais sur d'autres motifs que leurs origines raciales. Une république fut créée en Asie pour offrir un territoire aux Juifs dans le cadre de la politique des nationalités, mais peu s'y fixèrent. Il reste que l'antisémitisme, facteur de pogroms sous le tsarisme, ne s'effaça pas du jour au lendemain d'un coup de baguette magique dans la population russe. Après la chute de l'URSS, de nombreux Juifs soviétiques émigreront vers Israël. Mai-juin 1942 : Bataille de Gazala et chute de Tobrouk Dès le 21 janvier, Rommel a surpris les avant-postes anglais en Libye. L'affaiblissement de la marine anglaise en Méditerranée facilitant l'envoi des renforts, le général allemand a renforcé son armée. En face de lui, au contraire, l'entrée en guerre du Japon et son offensive fulgurante en Asie du sud-est réduisent les ressources de ses adversaires. Rommel décide d'abord de tester la défense adverse. Celle-ci se retirant, il la poursuit. Mais il se heurte aux réticences des Italiens qui redoutent de perdre la Tripolitaine en cas d'échec. Ces derniers lui retirent même une partie de leurs unités. Le général allemand n'en continue par moins d'avancer en tentant d'encercler les forces anglaises pour les détruire, mais il n'a pas les moyens de les enfermer dans des poches suffisamment étanches et celles-ci continuent de retraiter en bon ordre. Le 29 janvier, Rommel s'empare de Benghazi et prive les Anglais de base départ pour leurs avions participant à la défense de Malte, menacée par les puissances de l'Axe. Le 31 janvier, le général allemand lance une double offensive vers l'est pour achever la reconquête de la Cyrénaïque. Ses adversaires sont aiguillonnés par Churchill qui voudrait les voir reprendre l'offensive. Mais Auchinleck, prudent, ne se laisse pas forcer la main. Le 5 février, devenu à son tour circonspect, Rommel s'arrête et recule même quelque peu vers Tmimi pour se constituer une base solide de préparation de la seconde étape de son offensive. Les Anglais ont organisé une ligne de défense protectrice allant de l'ouest de Gazala vers le sud-est jusqu'à Bir Hakeim, tenu par la 1ère brigade des Forces françaises libres (FFL) du général Koenig; d'importantes forces britanniques se tiennent prêtes à intervenir derrière cette ligne jusqu'au sud de Tobrouk. Cependant, cette ligne n'est pas conçue pour recevoir l'attaque principale que les Anglais attendent au nord, sur la via Balbia. Les forces britanniques disposent de la supériorité numériques en terme d'hommes et de chars mais n'ont pas la moitié des avions de leurs adversaires. Le 26 mai débute la bataille de Gazala. Rommel essaie de tromper les Anglais en lançant une offensive au nord, là où ces derniers l'attendent. Mais il dirige le gros de ses forces vers le sud, dans un large mouvement d'enveloppement pour tourner la ligne de défense et la prendre à revers. La manoeuvre réussit mais le général allemand s'aperçoit qu'il ne pourra pas parvenir jusqu'à Tobrouk, comme il l'espérait, avec ses forces qui s'amenuisent et qui manquent d'approvisionnements, malgré les ressources récupérées à Benghazi. L'eau surtout se fait rare et l'Afrika Korps se trouve un moment dans une impasse totale dont le général Ritchie, qui commande la 8ème armée britannique, ne sait pas profiter. Rommel en est réduit à aller lui même chercher de l'eau dans le désert pendant la nuit pour désaltérer ses troupes; il tombe opportunément sur un camion citerne et le ramène. Mais ce n'est que partie remise. Il décide alors de s'ouvrir un chemin vers l'ouest, à travers la ligne de défense britannique et ses champs de mines, pour se rapprocher de sa base d'approvisionnement. Mais il se heurte au bastion de la Marmite du diable tenu par la 150ème brigade britannique, au nord de Bir-Hakeim. La bataille est rude et dure jusqu'au 1er juin, date à laquelle les stukas portent le coup de grâce. Ritchie laisse encore passer l'occasion. Rommel a gagné, mais il ne peut partir à l'assaut de Tobrouk avant d'avoir neutralisé Bir Hakeim dans son dos. Depuis le 26 mai, le fort aux mains des Français subit les assauts des forces de l'Axe. Il résiste jusqu'au 10 juin puis, à court de munitions et le commandement allié lui ayant fait savoir que sa résistance n'était plus essentielle, le général Koenig et les rescapés de la 1ère brigade FFL percent les lignes ennemies et rejoignent celles des Anglais. Rommel conquiert Tobrouk pratiquement sans coup férir; le port forteresse n'est que peu défendu; le général allemand possède la clé de l'Égypte et peut à nouveau rêver de traverser le canal de Suez et d'aller tendre la main quelque part au Moyen Orient aux troupes allemandes victorieuses de la Russie. Il fait de nombreux prisonniers et s'empare d'un important matériel militaire. Churchill apprend la mauvaise nouvelle par Roosevelt qui, pour le consoler, lui fait don de 250 chars Sherman flambant neufs. La chute de Tobrouk affecte profondément le prestige et le moral des Alliés. Mais la guerre du désert réserve bien des surprises. Ce n'est en fait qu'une succession d'aller-retour; chaque offensive éloigne l'armée qui s'y livre de ses bases et l'affaiblit, tandis qu'elle rapproche l'armée qui recule des siennes et la renforce! Dans la guerre du désert, celui qui gagne est celui qui est ravitaillé le plus rapidement! Pour triompher définitivement, il faudrait détruire l'armée adverse, mais comment y parvenir? L'échec final de l'opération Crusader remet en cause l'opportunité d'un débarquement en Afrique du Nord. Les États-Unis envisagent d'envoyer des troupes en renfort en Égypte mais y renoncent. L'acheminement de moyens importants soulève des problèmes de logistique très ardus à résoudre et, une fois sur place, l'amalgame de troupes étrangères inexpérimentées avec celles qui se battent, risque d'entraîner plus d'inconvénient que d'efficacité. La situation militaire en Lybie ne se prêtant plus à une offensive de Leclerc, coordonnée avec les forces britannique, le colonel français, devenu général, lance une série de raids sur le Fezzan pour déstabiliser les Italiens. Le 17 avril, le général français Giraud, prisonnier à la forteresse de Koenigstein, s'évade après une patiente préparation de deux ans. Il a méticuleusement fabriqué une corde avec les morceaux de ficelles qui fermaient les colis envoyés par son épouse qu'il renforce avec du fil téléphonique que celle-ci lui a fait parvenir dans le fond des colis. A plus de 60 ans, ce général, déjà évadé pendant la Guerre de 1914-1918, descend une imposante falaise et parvient à regagner la France non occupée en déjouant les recherches de ses poursuivants. Hitler est furieux et réclame de Pétain le renvoi de l'évadé à sa forteresse; le maréchal essaie de convaincre le général de se résigner pour le bien de la France; le général, qui a de plus hautes ambitions, refuse. Il devient populaire parmi les militaires qui rêvent de revanche et Vichy le laisse tranquille. Les Anglais voient les Japonais dangereusement menacer l'Inde, Ceylan, et même les arrières de leur armée d'Égypte. Ils leur tendent un piège en leur envoyant une flotte puissante en apparence, mais composée de bateaux désuets pour les attirer sur Ceylan. Le 5 avril 1942, jour de Pâques, la flotte de l'amiral Nagumo, avec les porte-avions Akagi, Soryu, Hiryu, Shokaku et Zuikaku, effectue un raid sur l'île. En même temps, le vice-amiral Ozawa, avec le porte-avion léger Ryuju, sept croiseurs et onze destroyers, est chargé d'interdire le trafic britannique dans le golfe du Bengale, vers Calcutta. En trois jours, l'aéronavale japonaise coule deux croiseurs lourds anglais, le Dorsetshire et le Cornwall, le porte-avions Hermes et le destroyer Vampire. C'est un coup très dur pour l'Amirauté! 3 mai - 5 novembre 1942 : L'opération Ironclad ramène Madagascar dans le camp allié Depuis décembre 1941, de Gaulle ne cesse d'intervenir auprès de Churchill et de ses ministres pour que Madagascar soit conquise sur le régime de Vichy avec le concours de la France libre. Les alliés ne peuvent pas se faire d'illusion sur ce qui se passerait si le Japon exerçait de fortes pressions, diplomatiques ou militaires, sur le maréchal Pétain après l'expérience indochinoise. Si la grande île tombait aux mains des Nippons, les communications entre les possessions britannique d'Afrique et l'Égypte seraient menacées, comme celles qui subsistent encore avec ce qui reste de l'empire en Asie. Churchill décide donc d'agir, mais sans les Français libres. Le 3 mai 1942, la flotte d'invasion est rassemblée au large de Madagascar. Le 4 mai, les différends groupements se constituent et se séparent pour se diriger chacun sur l'objectif qui lui a été assigné. Au matin du 5 mai, les débarquements ont lieu pour la conquête de Diégo-Suarez. Les militaires français, qui ne s'attendaient pas à une telle attaque, ne réagissent tout d'abord pas. Mais, au bout d'une heure, les combats commencent et les soldats de Vichy, malgré leur infériorité, se défendent comme au Liban et en Syrie et tiennent l'envahisseur en échec pendant la journée. La nuit se passe dans le calme. Mais la bataille reprend le lendemain; les Anglais prennent le dessus et parviennent à pénétrer dans Antsirana. Le 7 mai, la victoire anglaise est acquise. Les soldats français s'en tirent avec les honneurs de la guerre. Le 8 mai la flotte britannique entre dans le port de Diégo-Suarez où, le 30 mai, le cuirassé Ramillies et un pétrolier sont torpillés par un avion japonais. L'île est encore loin d'être conquise, le gouverneur général Anet, resté fidèle à Vichy, suit sur ordre l'armée en retraite jusqu'à Ihosy, et ne capitule que le 6 novembre, par la Convention d'Ambalavac, qui reconnaît la souveraineté de la France sur la grande île. L'administration n'en sera remise aux Français libres qu'en décembre. 12 mai - 30 juin 1942 : Echecs soviétiques en Ukraine et en Crimée - Chute de Sébastopol En fin janvier et février, on l'a vu, les offensives soviétiques remportent des succès au centre et au nord mais elles piétinent au sud. En mars, à bout de souffle, elles prennent fin avant d'avoir atteint tous les objectifs fixés par Staline. Joukov, qui avait raison, est mis sur la touche un moment, mais il sera vite rappelé. Le 12 mai, de nouvelles attaques sont lancées, à partir de la poche de Barvenkovo vers Krasnograd et Kharkov, et à partir de Voltchansk, plus au nord, toujours vers Kharkov. Le 15 mai, les Allemands percent le front de Crimée et prennent la ville de Kertch. De violents combats opposent Russes et Allemands dans les secteurs de Kharkov et de Kertch. Les Russes sont contraints d'évacuer la péninsule de Kertch et les troupes allemandes de Crimée peuvent maintenant s'occuper sérieusement de Sébastopol. Le 17 mai, le saillant de Barvenkovo est pris en tenaille, au nord et au sud, par la Wehrmacht. Le 23 mai, les Soviétiques à l'intérieur de la poche sont encerclés. Le Conseil militaire du front sud-ouest demande à la Stavka l'autorisation d'arrêter l'offensive contre Kharkov. Mais Staline refuse. Les soldats russes encerclés se défendent avec acharnement, mais bien peu réussiront à s'échapper. Du 10 au 20 juin, deux axes offensifs allemands, depuis Voltchansk et vers Koupiansk, refoulent les forces soviétiques jusqu'à la rivière Oskol. D'après le colonel Morozov, les raisons essentielles de cette nouvelle catastrophe tiennent à une mauvaise coordination entre les fronts, à la sous-estimation des problèmes de protection sur les flancs et à l'impéritie du commandement. Ajoutons que les forces allemandes étaient numériquement supérieures aux forces soviétiques, en hommes comme en matériel, et qu'elles étaient mieux commandées. Le 2 juin, l'assaut de Sébastopol commence par un violent bombardement d'artillerie et de l'aviation. La Luftwaffe effectue plus de 1 000 sorties quotidiennes. Mais les 106 000 soldats russes, aidés par la population, résistent pied à pied aux 204 000 hommes de la Wehrmacht. Le 23 juin, ils se réfugient au sud de la baie. Bientôt Sébastopol ne peut plus être ravitaillée que par sous-marins. Dans la nuit du 29 au 30 juin, les Allemands établissent une tête de pont sur la rive sud de la baie du Nord. C'est la fin du siège et le début de sa légende. Du 30 juin au 3 juillet, les rescapés sont évacués. L'armée assaillante a gagné, mais au prix de son épuisement. Le 20 mai, Molotov arrive à Londres où Eden lui soumet son projet de pacte. Staline, consulté, l'accepte et, le 26 mai 1942, La Grande-Bretagne et l'Union Soviétique signent un traité d'assistance mutuelle. Les deux pays s'engagent à combattre l'Allemagne jusqu'à la victoire finale, et à ne pas faire de paix séparée. Ils signent également une alliance d'une durée de vingt ans, et s'engagent à ne pas rejoindre une coalition qui serait dirigée contre l'un ou l'autre, et à ne pas interférer dans leus affaires internes respectives. Ce traité ne remet pas en cause le traité de non agression passé entre l'URSS et le Japon, le 13 avril 1941. Staline est déjà assez occupé en Europe pour le moment! Et puis, Churchill, et même Roosevelt, pensent que le plus urgent est de gagner la guerre contre Hitler. Les alliés occidentaux admettent que c'est l'URSS qui porte les coups les plus sévères aux puissances de l'Axe et qu'il serait dangereux de l'affaiblir. Le 21 mai, le convoi Q-16 appareille pour la Russie. Il essuie de lourdes pertes. Les sonars de ses navires sont perturbés par la température inégale des couches d'eau de l'Arctique, ce qui gêne la détection des sous-marins allemands. Au cours de l'une des attaques, l'équipage féminin du pétrolier soviétique Stari Bolchevik en feu refuse d'abandonner son navire et réussit à le sauver. En mai 1942, les pasteurs Schoenfeld et Bonhoeffer rencontrent Bell, évêque de Chichester, à Stockholm. Les Britanniques refusent toute garantie, à moins d'un soulèvement spontané du peuple allemand qui est évidemment impossible. Mai - juin 1942 : Assassinat d'Heydrich et massacre de Lidice Le 27 mai 1942, Heydrich, le protecteur de Bohême-Moravie, bras droit de Himmler, est grièvement blessé en pleine rue, à Prague, par deux hommes, le Tchèque Kubis et le Slovaque Gabcik, compagnonnage symbolique. L'attentat a été commandité de Londres par le gouvernement tchécoslovaque en exil. Ces hommes font partie de commandos tchécoslovaques parachutés par l'Angleterre dans leur pays pour y aider une résistance difficile mais déjà organisée. D'autres commandos viennent également de Russie où un corps tchécoslovaque sera créé plus tard pour combattre aux côtés de l'Armée rouge. Les commandos se cachent comme ils peuvent aidés par la population. Le 4 juin, Heydrich succombe à ses blessures. Les Allemands furieux se déchaînent et sèment la mort dans le pays. Ils offrent 10 millions de couronnes de récompense à qui leur permettra de retrouver les meurtriers. Ces derniers se cachent dans la crypte secrète d'une église de Prague avec cinq autres membres de leur commando. Les recherches de la police demeurent vaines jusqu'à ce qu'un autre membre des commandos, venu d'Angleterre lui aussi, Curda, ne les dénonce pour des motifs inconnus (attrait de la récompense, souci de mettre un terme à la répression?); cet homme, fils d'une Allemande, ne s'est guère manifesté depuis son parachutage! Le 18 juin, vers 2 heures, après avoir découvert la cache des auteurs de l'attentat du 27 mai, la Gestapo investit les alentours. Vers 4 heures, des SS pénètrent dans l'église où ils sont accueillis par un tir nourri. Vers 7 heures, ils sortent de l'église trois morts par suicide. Mais quatre autres résistants sont encore dans la crypte. Le traitre Curda les exhorte à se rendre, ils refusent. Les Allemands inondent la crypte où ont les retrouve également suicidés. Curda, qui ne s'en tiendra pas à ces dénonciations, sera arrêté en 1945, jugé et exécuté en 1947. Ce meurtre, commis semble-t-il contre la volonté de la Résistance intérieure, provoque des représailles sans précédent et les rescapés sont contraints de passer à la défensive. Le 10 juin, 173 habitants du village de Lidice sont fusillés, dix par dix, devant un mur de grange préalablement matelassé pour éviter aux balles de ricocher, de 10 heures à 15 heures. Ensuite, les murs des maisons du village sont méthodiquement dynamitées, puis le sol, aplani par des bulldozers, est recouvert de terre. L'emplacement du village est enfin entouré d'une enceinte de fils de fer barbelés avec interdiction, sous risque de mort pour les imprudents qui s'en approcheraient. Cette destruction d'un village paisible ne sera pas un exemple unique. Il y en aura d'autres, en Tchécoslovaquie ( Lezaky, Javoricko), et ailleurs, notamment en France (Oradour-sur-Glane). Des telles actions visent à terroriser la population et à empêcher l'essor d'une résistance que l'occupant sent monter autour de lui de manière menaçante. Il se durcit et la vie dans les pays sous son joug devient de plus en plus difficile, ce qui n'est pas de nature à accroître le nombre de ses adhérents. Le 30 mai 1942 est créé un service spécial pour diriger les activités des partisans russes, l'état-major central du mouvement de résistance, placé directement sous les ordres du commandement suprême. Dans les mois qui suivent sont mis en place les états-majors régionaux subordonnés à l'état-major central. La coordination des actions et l'importance des partisans vont s'en trouver accrues. La formation des futurs partisans est renforcée. Les écrits de Davidov, chef des partisans cosaques lors de la guerre de 1812 contre Napoléon, refont surface. 30-31 mai 1942 : Bombardement massif de Cologne Les bombardements anglais sur l'Allemagne commencent dès 1940. Mais, à cette époque, l'Angleterre ne dispose pas du matériel nécessaire. Ses avions conçus pour être utilisés sur les champs de bataille, ne sont pas adaptés à des raids lointains et sont trop peu nombreux. Ils ne disposent pas encore de radars et manquent souvent leur cible. Ils ne peuvent guère servir qu'à faire mentir Goering qui avait garanti qu'aucun avion ennemi ne survolerait jamais le 3ème Reich! L'expérience aidant, de nouveaux avions, pourvus de radars, à plus long rayon d'action et mieux adaptés aux raids sur les villes et sites industriels sont construits. Mais, en 1942, leur nombre est encore insuffisant. L'occupation par l'Allemagne de la plus grande partie de l'Europe continentale rend inopérant le blocus mis en place au début des hostilité. Il faut donc pouvoir l'attaquer chez elle. La stratégie anglaise vise deux objectifs : détruire le potentiel industriel et bombarder les villes pour saper le moral des populations civiles. Sur le plan de l'éthique, le second objectif est évidemment discutable. Mais, en période de guerre, les scrupules de ce genre ne sont plus de mises. D'ailleurs, les Allemands se sont affranchis les premiers des règles illusoires visant à humaniser la guerre et les dizaines de milliers de morts de la Bataille d'Angleterre doivent être vengés! L'avènement de la guerre totale rendra de toute façon l'année suivante toute interrogation sur ce point hors de sujet! Les raids de jour sont très coûteux en hommes comme en matériel même si, depuis l'agression de l'Union soviétique, une grande partie de la flotte aérienne allemande est engagée sur ce nouveau front. La défense antiaérienne allemande est efficace. De nuit, il faut bénéficier d'un ciel dégagé, d'une bonne luminosité, bref de conditions atmosphériques favorables relativement peu fréquentes, pour que les avions puissent localiser leur cibles. Pour résoudre ces problèmes, on pense réunir un grand nombre d'avions dont on spécialisera les escadrilles. Les premières seront composées d'avions enfin munis de radars. Elles seront chargées de localiser avec précision la cible en larguant sur ses contours des fusées éclairantes. Viendront ensuite les porteuses de bombes incendiaires avec la mission d'incendier la cible pour guider les dernières escadrilles porteuses des bombes classiques qui pilonneront les sites industriels et les immeubles urbains en feu. Reste un dernier problème non résolu, celui de la réunion d'un gand nombre d'avions pour chaque raid. La flotte de bombardement britannique est divisée en deux entités, le Bomber Coastal, chargé des opérations sur mer, notamment de la protection des convois contre les sous-marins, et le Bomber Command chargé des opérations sur terre, le Fighter Command concernant les avions de chasse. Les nécessités de la guerre, qui se mène sur plusieurs fronts, exigent un éparpillement des appareils préjudiciable à l'efficacité. On est souvent obligé de dépouiller le Bomber Command pour renforcer le Bomber Coastal ou pour envoyer des avions supplémentaires en renfort sur les différents champs de bataille où les troupes britanniques sont en difficultés. Les nouveaux bombardements, selon le mode opératoire décrit ci-dessus, commencent cependant le 8 mars 1942 avec le premier d'une série de raids sur Essen, entrepris avec 100 à 200 bombardiers, ce qui est trop peu et cause des dégâts jugés insuffisants. Harris, qui commande le Bomber Command, s'inquiète de la faiblesse croissante de cet organisme. Il se demande même s'il ne va pas tout simplement disparaître. Il décide donc de frapper un grand coup avec un millier d'avions qu'il réussit à réunir avec Cologne pour cible. Après des atermoiements du 27 au 30 mai, en raison des conditions atmosphériques défavorables, les avions décollent pendant la nuit et Cologne est transformée en brasier et en champ de ruines. On dénombre plus de 5 000 victimes, dont 469 morts, et 45 000 sans abris. Sur 1 046 bombardiers envoyés, 910 atteignent leur cible, 39 ne reviennent pas, quatre qui tournaient imprudemment au dessus de la ville pour jouir du spectacle grandiose de l'incendie, dans un ciel encombré d'avions, se sont accrochés et ont chu. Cette opération, ne met pas fin à la guerre, mais elle incite les Allemands à rapatrier des chasseurs pour la défense de leur territoire au détriment de la lutte sur le front russe. Avec l'entrée des États-Unis
dans le conflit, les bombardements de "terreur", comme la propagande allemande
les appelle, s'intensifieront. Et les pays occupés, à la
portée des bombardiers alliés, dont la France, ne seront
pas épargnés; cette stratégie donnera du grain à
moudre aux partisans de la collaboration, mais sans grand succès.
Au départ, les Américains n'étaient pas favorables
aux vols de nuit, ni au massacre des populations civiles. Il préféraient
bombarder de jour, et de très haut, pensant que, par temps clair,
il était plus facile d'atteindre la cible, avec le viseur sophistiqué
dont étaient pourvues leurs forteresses volantes, hors de portée
de la défense aérienne allemande et fortement armées
pour pouvoir s'opposer aux chasseurs ennemis. En août 1942, cette
stratégie est testée sur Rouen. C'est un fiasco complet.
Le viseur, testé dans les déserts américains, s'avère
inadapté aux conditions météorologiques de l'Europe.
Certaines bombes tombent à plusieurs kilomètres des installations
ferroviaires visées, que très peu atteignent. Les victimes
civiles sont nombreuses. Mais, les responsables de l'échec, par
souci de propagande, pour s'imposer aux Britanniques dans la direction
de guerre aérienne et aussi pour tromper les autorités américaines,
présentent l'opération comme un grand succès. Le bombardement
de jour de très haut va donc se poursuivre, et entraîner autant
de pertes civiles, sinon davantage, que la stratégie britannique,
sous le couvert d'une tromperie.
Au printemps 1942, moins de 100 000 travailleurs français sont partis travailler volontairement en Allemagne. En mai 1942, Sauckel, le négrier de l'Europe, en réclame 250 000 de plus. Laval accepte à condition que 50 000 prisonniers de guerre soient libérés en échange de 150 000 ouvriers qualifiés, soit un prisonnier de guerre français contre le départ en Allemagne de trois ouvriers spécialisés. C'est ce que l'on appellera la Relève, à grand renfort de propagande. Bien sûr, bien des revenants sont loin d'être en bonne santé! 3 juin 1942 : Bataille navale de Midway Vers la fin mai, l'amiral américain Nimitz, qui commande en chef la flotte du Pacifique, subodore une prochaine attaque des Japonais. Les 28 et 30 mai, la flotte américaine prend la mer. De son côté, l'amiral japonais Yamamoto, après le bombardement de Tokyo, a conçu un plan savant, mais compliqué et difficile à mettre en oeuvre, pour repousser le plus loin possible à l'est du Japon la limite de son emprise, en s'emparant des îles Aléoutiennes et de Midway et pour faire tomber dans un piège la flotte américaine afin de la détruire avec ses formidables cuirassés. Mais Nimitz ne tombe pas dans le piège que celui-ci lui tend; il devine le plan de son adversaire à travers les messages codés de la marine japonaise que décode le calculateur électronique américain Magic. L'amiral américain se dérobe devant les cuirassés et ramène des porte-avions depuis la mer de Corail. Le nombre important de leurs navires réunis pour l'opération rend malaisées les manoeuvres des Japonais. Le 3 juin, la bataille de Midway commence et c'est à nouveau l'aviation et non les cuirassés qui font la décision. Des erreurs et des contre-temps affectent l'efficacité des deux camps. Mais en quelques minutes, trois porte-avions japonais, le Kaga, l'Akagi et le Soryu sont détruits; un autre, l'Hiryu, est touché à son tour un peu plus tard. Le Japon vient d'être privé de la moitié de sa flotte et d'un grand nombre de ses meilleurs aviateurs! Après le coup d'arrêt de la bataille de la mer de Corail, cet événement majeur marque la fin de son expansion dans le Pacifique. Yamamoto ne prend conscience du désastre qu'il vient d'essuyer que le 5 juin; il commande alors la retraite générale de sa flotte. 16 juin 1942 : Rencontre Churchill - Roosevelt à Washington Le 16 juin 1942, Churchill se rend à Washington pour y traiter les problèmes européens et asiatiques avec Roosevelt. Il craint que le président américain ne privilégie désormais le théâtre des opérations asiatiques. En outre, la situation en Inde l'inquiète. Les Japonais sont alors à la frontière; si le sous-continent est envahi, l'URSS sera menacée par le sud-est. Par ailleurs, la situation intérieure de l'Inde est compliquée : la rébellion non violente de Gandhi jouit de l'appui de l'opinion publique américaine et Roosevelt lui-même est anticolonialiste, tout comme Tchang Kaï Chek. Le chef d'état-major de Wavell, qui commande l'armée britannique, est le général américain Stilwell, d'un caractère difficile, qui a été imposé à ce poste par Roosevelt; c'est un ami du général Marshall, chef d'état-major de l'armée américaine. Stilwell est en outre chef d'état-major de Tchang Kaï Chek et, de surcroît, il s'est arrogé le commandement de deux armées chinoises réfugiées en Indes auxquelles il réserve une part trop importante des livraisons de matériel américain alors que l'armée de Wavell est affaiblie par les prélèvements qu'elle subit pour renforcer l'armée d'Égypte. Stilwell méprise les généraux chinois et considère les soldats des Indes comme des colonialistes. Il est l'auteur d'un plan totalement impraticable de ravitaillement de la Chine par une route qui traverserait l'Himalaya. Ce projet se heurte à celui du général Chennault, le chef des fameux Tigres volants, des aviateurs américains volontaires qui luttent aux côtés des Chinois depuis quatre ans; Chennault est partisan d'un pont aérien plus réaliste, malgré ses insuffisances, qui à le mérite d'exister déjà. Stilwell déteste les aviateurs mais il s'est tout de même porté à la tête de toutes les forces aériennes du Sud-Est asiatique, ce qui en fait le supérieur hiérarchique de Chennault, chef des forces aériennes chinoises, qui a l'oreille et l'appui de Tchang Skaï Cheik. Ces relations hiérarchiques compliquées, avec doublons des autorités, ne sont évidemment pas propices à des prises de décisions militaires efficaces et mériteraient une clarification. Churchill obtient satisfaction pour ce qui concerne l'Europe : la lutte contre le nazisme et le fascisme est toujours privilégiée, mais les problèmes d'extrême orient ne sont pas traités faute de temps. Trois stratégies s'opposent alors dans le camp allié, qui a par ailleurs d'autres priorités. Le Premier ministre britannique ne cesse de pousser Wavell à une offensive pour libérer la Birmanie. Les États-Unis s'intéressent surtout au sort de la Chine qui immobilise plus d'un million de soldats japonais, alors que 600 000 hommes d'élite supplémentaires sont retenus en Mandchourie par la peur d'une attaque soviéto-mongole. Les Chinois sont divisés en deux factions rivales, nationalistes et communistes, et chaque faction pense déjà à éliminer l'autre. Enfin Stilwell est en désaccord avec tout le monde! Cette alliance fragile ne peut déboucher sur aucune action d'ensemble cohérente. En 1942-1943 en Chine, aucun des deux adversaires n'étant en mesure d'écraser l'autre, la guerre sino-japonaise n'est qu'une succession de raids et d'offensives sporadiques marquées par de nombreuses actions de guérilla sur les arrières de l'occupant, tandis que communistes et nationalistes chinois s'opposent dans des querelles fratricides qui font le jeu de l'ennemi. D'après des sources occidentales, l'Armée populaire de Libération du Nord-Ouest, en restant passive, aurait alors objectivement nui à la cause chinoise en permettant aux Japonais de lancer des attaques visant à priver de riz les zones nationalistes pour les affamer, information contestée évidemment par les communistes. Les Américains profitent de ce répit pour former l'armée chinoise à utiliser les armes modernes qui leur sont livrées et à les entraîner, tout en se demandant si le régime de Tchang Kai-chek, qu'ils jugent corrompu, maintiendra jusqu'au bout la Chine dans la guerre. Pour sortir de l'impasse où il se trouve, laquelle immobilise plus d'un million de ses soldats, le Japon envisage quant à lui une offensive finale de grande envergure, mais la pression qu'exerceront bientôt sur lui les forces américaines dans le Pacifique ne lui permettra pas de la mettre en oeuvre. En juillet 1942, un problème se pose. Les aviateurs de Chennault arrivent à la fin de leur contrat. Il n'est pas possible de le renouveler à l'identique parce que leur rémunération est très supérieure à celle des autres aviateurs américains qui se battent également en Chine dans des formations classiques. Seuls cinq pilotes de Chennault acceptent de rester aux mêmes conditions que les autres Américains. Pour éviter un effondrement des Tigres volants les États-Unis leur envoient des renforts. 23-28 juin : Marsa-Matrouh Le 23 juin, la 8ème armée britannique est autorisée à retraiter en Égypte jusqu'au point fortifié de Marsa-Matrouh. Le 25 juin, Auchinleck, mécontent de Ritchie, prend lui-même la tête de la 8ème armée. Le 26 juin, après un examen approfondit de la situation, Auchinleck décide de ne pas défendre Marsa-Matrouh. Rommel reprend sa progression pour tenter de couper la route côtière et encercler les défenseurs de Marsa-Matrouh. Le 27 juin, en milieu de journée, les Allemands on atteint un point qui menace la retraite du 13ème corps britannique. En fin de journée, il reçoit l'aide du 10ème corps et amorce un mouvement de repli. Ordre est alors donné au 10ème corps de reculer également, mais ce corps ne reçoit le message que le lendemain à l'aube. Le 28 juin, le 10ème corps se trouve pris au piège, dos à la mer. Auchinleck ordonne au 10ème corps de retraiter la nuit même tandis que le 13ème lancerait une contre-attaque de diversion pour le couvrir, mais le 13ème corps n'est prévenu de la marche vers le sud du 10ème corps qu'au moment où elle débute, vers 21 heures. Cette retraite s'effectue au milieu des difficultés, les hommes démunis de moyens de transports sont abandonnés, du matériel est détruit... Des colonnes parviennent à s'échapper, mais d'autres se heurtent à l'ennemi qui capture 7 000 prisonniers. La perte de l'Égypte est envisagée. Mais ce serait une catastrophe. La prise du port d'Alexandrie offrirait à Rommel un point de ravitaillement rapproché. La défense de Malte deviendrait impossible. La possession de l'île forteresse est vitale pour la Grande-Bretagne à qui elle offre une plate-forme idéale d'envol des avions de protection et d'attaque des convois maritimes en Méditerranée. L'approvisionnement de l'Afrika Korps est rythmé par la capacité des forces anglaise à s'opposer au passage des convois de l'Axe. Depuis que le pourtour de la Méditerranée et plusieurs de ses îles sont au mains des Italo-Allemands, la situation de Malte ne cesse de se dégrader. L'année 1942 est une année noire pour l'île qui subit de violents bombardements. Les habitants en sont réduits à se réfugier dans des grottes naturelles ou qu'ils creusent eux-mêmes. La vaillance et l'esprit de résistance de la population maltaise vaudra à l'île la George Cross. Les convois de ravitaillement anglais, qui viennent de Gibraltar ou d'Alexandrie ne passent qu'avec difficulté et en essuyant de lourdes pertes. Certains doivent rebrousser chemin et d'autres sont totalement détruits. Non seulement les moyens de défense s'amenuisent mais la famine est à la porte. Churchill en est conscient et y envoie lord Gort qui a fait ses preuves lors de l'évacuation de Dunkerque. Si Malte tombait, L'Égypte pourrait basculer dans le camp de l'Axe qui y trouverait du carburant en abondance. Le Moyen-Orient deviendrait vulnérable. La Méditerranée serait une mer germano-italienne et l'Espagne ainsi que la Turquie pourraient revoir leur politique de neutralité. Auchinleck est donc résolu à refouler Rommel à tout prix. Les blindés allemands sont supérieurs aux blindés britanniques; leur emploi est moins bien coordonné avec celui de l'infanterie par les Britanniques que par les Allemands; mais des chars américains capables de rivaliser avec les chars allemands, les Grant, sont en train d'arriver et Auchinleck, s'il manque d'avions, dispose d'une excellente artillerie de campagne. Le commandement britannique, à tous les niveaux, est moins compétent et moins expérimenté que le commandement allemand. Une partie des troupes est démoralisée, notamment les Sud-Africains. Néanmoins, Auchinleck s'apprête à relever le gant sur ce que l'on appellera la ligne d'El-Alamein; une ligne qui, en fait, n'a jamais existé! Pour pallier aux insuffisance de ses effectifs, il décide de renoncer à la guerre défensive de position et de passer à une guerre mobile pour impressionner l'adversaire et l'amener là où il aura choisi de l'affronter. Juin 1942 : Extension du Prêt-Bail à l'URSS En juin 1942, le Prêt-Bail, qui a d'abord surtout profité à la Grande-Bretagne, est maintenant étendu à l'URSS qui en deviendra le second bénéficiaire en importance. Des vivres et du matériel seront livrés par les États-Unis à l'URSS (boîtes de conserves, matériel ferroviaire, avions, tanks, camions... L'avion airacobra, fortement armé avec son canon de 37 mm, s'avèrera bien adapté à la guerre aérienne en Russie, laquelle se déroule à des altitudes propices à cet appareil, plus haut il serait vulnérable; cet avion montrera ses qualités pendant l'offensive allemande en direction des pétroles du Caucase. Les fameux camions Studebaker serviront de plates-formes de lancement aux terrifiantes batteries de fusées soviétiques appelées par les Allemands orgues de Staline.) L'industrie américaine, stimulée par le Prêt-Bail, tourne à plein régime. La crise de 1929 est définitivement surmontée et la Seconde Guerre mondiale va faire des États-Unis la première puissance du monde. Certes, l'aide des alliés fut importante, mais il ne faut pas la surestimer; elle fut nécessaire mais resta marginale par rapport à la production de matériel soviétique (un peu plus de 10%). Le 28 juin, le convoi PQ-17 part d'Islande. Il se heurte à une difficulté de taille : la présence en mer du Tirpitz et d'autres navires de la flotte allemande détachés en Norvège plus puissants que les destroyers britanniques d'escorte. En cours de route, l'ordre est donné à l'escorte de revenir au plus vite et aux cargos, dont les marins se sentent abandonnés, de se disperser et de tenter seuls de gagner les ports russes. C'est un véritable massacre. Depuis le 22 mars, le Scharnhorst, le Tirpitz et le Lützov sont à Altenfjord (fjord d'Alta), avec l'ordre de Doenitz de participer à la guerre contre les convois en direction de la Russie. Cette concentration de puissance inquiète l'amirauté britannique qui décide d'interrompre les convois jusqu'en septembre, pendant l'été arctique, période où ils deviennent plus vulnérables en raison de la courte durée des nuits et de la faiblesse de leur obscurité. Naturellement, cette initiative jette le froid dans les relations anglo-soviétiques. Parallèlement, les Britanniques vont tout mettre en oeuvre pour détruire les dernières unités importantes de la flotte allemande de surface afin de faire disparaître cette menace. Mais le matériel non livré manquera lors des grandes batailles livrées par l'Armée rouge en 1943, d'autant que, après sa reprise en septembre, le trafic cessera à nouveau, pour préparer le débarquement en Afrique du Nord. Après la victoire de l'Armée rouge à Stalingrad, la route du nord pourra être partiellement remplacée par celle du golfe Persique, mais, pour le moment, il ne s'agit pas de transiter par cette ville, mais de la défendre! L'utilisation de la route du nord a entraîné de lourdes pertes du côté anglais mais elle a permis de fournir à l'URSS 22 000 véhicules, 2 795 chars, 1 960 avions, 527 000 tonnes de munitions et 44 500 tonnes d'essence. Juin 1942 : Offensive allemande vers le Caucase - Stalingrad Sur le front russe, les Allemands enregistrent
des succès au printemps, mais sont dans l'incapacité de relancer
leur effort sur plusieurs fronts. Il privilégient l'axe sud-est,
en direction du Caucase et des bassins énergétiques. Après
s'être emparé des mines de houille du Donbass, ils regardent
vers les puits de naphte de la Caspienne. Mais si les chefs de la Wehrmacht
sont mus essentiellement par des impératifs stratégiques,
il n'en va pas de même du Führer qui poursuit également
un objectif idéologique : l'éradication du bolchevisme de
la terre! Hitler est conscient de l'impact psychologique de la prise de
Leningrad, la ville de la révolution, et surtout de celle de Stalingrad,
la ville de Staline. Il décide donc de déclencher l'offensive
d'une part sur le Caucase et d'autre part sur Stalingrad et la Volga, avec
un oeil sur Moscou en passant par Voronej. Le front Sud est placé
sous les ordres de von Bock, déplacé du front de Moscou,
à la suite du décès prématuré de von
Reichenau en janvier. Les ambitions allemandes sont grandioses. Il s'agit
rien de moins que de contourner la Turquie par l'est, à partir de
la Russie au nord et de la Grèce et de la Libye au sud, à
travers le Moyen Orient, l'armée de Grèce et celle de Libye
effectuant leur jonction en Irak, où elle feront triompher le soulèvement
antibritannique, puis de fermer la boucle dans le Caucase en y rejoignant
l'armée de Russie.
Un premier plan prévoit que la 4ème armée blindée, commandée par Hoth, et la 6ème armée, commandée par Paulus, seront dirigées sur Stalingrad et que le groupe d'armées A, commandé par List, comprenant la 1ère armée blindée, commandée par Kleist, et la 17ème armée, sera envoyé vers Rostov, puis, secondé par la 11ème armée, celle de Crimée, vers les puits de pétrole de Maikop. Le 28 juin von Bock passe à l'offensive en perçant le front russe à Koursk. Le 5 juillet, le Don est atteint de part et d'autre de Voronej. Les Soviétiques, qui se savent en infériorité numérique décident de céder du terrain pour gagner du temps afin de réorganiser leurs forces et d'instruire convenablement leurs nouveaux conscrits en les entraînant au combat sur des fronts moins menacés. Le 17 juillet, la Stavka crée le front de Stalingrad; Joukov, Voronov et Novikov, en auront la charge. Le 23 juillet, von Bock est limogé. Un second plan, inspiré par Hitler, modifie la destination de l'armée de Hoth qui est d'abord chargé d'appuyer Kleist jusqu'au passage du Don, avant de remonter vers Stalingrad, tandis que les objectifs de List sont élargis jusqu'aux puits pétroliers de Batoum et de Bakou. Ce second plan retarde en fait le passage du Don de Kleist, dont l'armée s'entremêle avec celle de Hoth, les deux armées, en pleine confusion, se concurrençant pour le passage du fleuve; il donne aussi un répit aux défenseurs de Stalingrad qui s'emploient à fortifier les approches de leur ville. . Le 25 juillet, les forces légères de Kleist traversent le Don. Le 27 juillet 1942, les forces allemandes s'emparent de Rostov. La prise de cette ville-forteresse frappe l'URSS comme un coup de tonnerre! Staline proclame: "Plus un pas en arrière". La conquête de la Crimée a évidemment favorisé la chute de Rostov. List se dirige vers ses objectifs, à travers des steppes désertes, sous une chaleur torride; il ne rencontre qu'une faible résistance, ce qui porte Hitler à penser que l'Armée rouge est définitivement hors jeu. L'avancée allemande est signalée au loin par d'épaisses et hautes colonnes de fumée et de poussière s'élevant des villages incendiés. Le 29 juillet, c'est au tour de Hoth de traverser le Don pour remonter vers Stalingrad. Le 9 août, au pied du Caucase, les Allemands atteignent Maïkop en flammes : les installations pétrolières ont été sabotées par les Soviétiques. Ils poursuivent leur avance en direction de Bakou, du Kouban et de la péninsule de Taman. Ils plantent le drapeau nazi au sommet de l'Elbrouz. Hitler rêve déjà de conquérir le Kazakhstan et d'aller inquiéter les Anglais aux Indes. La Wehrmacht est à son apogée. Mais, dans le Caucase, elle rencontre une résistance plus vive de la part des montagnards de l'Armée rouge qui défendent leurs foyers. Au surplus, List a été privé de l'appui des bombardiers de Richtoffen envoyés à Stalingrad devenu désormais le front prioritaire. En novembre, après la prise de Naltchik, la Wehrmacht prend ses quartiers d'hiver. Le 12 août 1942, le Comité central du PC adopte une résolution qui demande le rétablissement de la structure et de la discipline des organisations clandestines, la création de nouveaux détachements de partisans et la mise en pratique de toutes les formes d'activité subversive. Les partisans de Biélorussie et des forêts de Briansk répondent de manière positive en détruisant une moyenne de 200 locomotives par mois. L'insécurité des voies ferrées amène les Allemands à ralentir la vitesse des convois et à ne plus circuler de nuit. Pendant ce temps, une armée allemande d'élite, la 6ème, commandée par le général Paulus, on l'a dit, est dirigée sur Stalingrad, en vue de s'emparer de cet objectif hautement symbolique, mais également pour gêner les approvisionnements de Moscou. Une partie de l'aide américaine via l'Iran transite par Stalingrad où est situé un important noeud ferroviaire. Staline doute de l'engagement patriotique des troupes qui combattent sur le front sud, lesquelles sont submergées par la pression ennemie. Il est vrai que, sous l'emprise du découragement consécutif aux défaites, des soldats affaiblis désertent. Mais, dans l'ensemble, les militaires russes ne se laissent pourtant plus aussi facilement capturer qu'avant. L'expérience leur a appris combien il est dangereux de défendre à tout prix le terrain. Ils savent désormais battre en retraite quand c'est nécessaire. Et le maître du Kremlin, contrairement à bien d'autres dictateurs, possède une qualité essentielle : il sait reconnaître ses erreurs et en tirer les leçons. Désormais, il prend conseil de ses meilleurs officiers avant toute décision militaire. Intelligent, il comprend vite ce qu'on lui explique et, doté d'une mémoire excellente, il peut confronter ce qu'on lui propose à sa propre expérience. Il se contente donc de fixer les objectifs généraux en laissant le soin à ses maréchaux de les atteindre, selon les voies qui leur paraissent les meilleures, sous réserve qu'ils adressent de fréquents rapports et surtout qu'ils réussissent. Dès lors la guerre va prendre une nouvelle tournure, à l'avantage des Soviétiques, contre des Allemands qui n'ont pas la même latitude de la part d'Hitler. Ces derniers, qui progressent sans grande difficulté
vers Stalingrad (aujourd'hui Volgograd), en viennent à se demander
où est l'Armée rouge et cela fait naître chez leurs
dirigeants de grands espoirs d'un effondrement de la défense soviétique
et d'une victoire rapide. Le 10 août, ils atteignent les abords de
la ville alors que Hoth, au sud, n'a pas encore rejoint, et ils déchantent
rapidement; ils s'y heurtent à une résistance acharnée.
Le 28 juillet, Staline, par l'Ordre n° 227, a de nouveau interdit toute
retraite: "Pas un pas en arrière"; cet ordre, lu à
toutes les troupes, dépeint dans son introduction, sans rien cacher
et de façon réaliste, l'état militaire et économique
de l'URSS, loin des clichés de la propagande; chaque soldat soviétique
sait donc qu'il se bat pour la survie de son pays au bord de l'abîme.
Mais le maître du Kremlin laisse percer aussi une lueur d'espoir:
"Bientôt, promet-il, nous aussi nous danserons dans nos villes".
Les assaillants noient Stalingrad sous un déluge d'obus, mais l'accumulation
des ruines, loin de décourager les défenseurs, leur offre
des positions mieux abritées pour résister. D'autre part,
la ville est trop vaste pour être encerclée, ce qui amène
les forces allemandes à se disperser pour la réduire. Ce
passage d'une guerre de mouvement à une guerre de sièges
multiples s'avère défavorable à une armée allemande
qui n'y est pas habituée. Les Soviétiques maîtrisent
mieux le combat de rue et de barricades où les blindées,
au surplus, n'ont guère leur place. Ils savent tirer partie des
décombres à travers lesquels ils aménagent des passages
secrets, d'immeuble à immeuble, pour se déplacer à
l'insu de leurs adversaires. Ils établissent des zones de mort
saturées de mines, dont ils connaissent seuls les passages, pour
y attirer leurs ennemis et les faire sauter. Des tireurs d'élite,
bien dissimulés, tuent tout ce qui passe à leur portée,
une initiative soviétique imitée bientôt par les Allemands.
Le 19 août, Paulus lance un premier assaut. Malgré leur infériorité
numérique, qui durera tout au long du siège, les Russes résistent
farouchement. Le 23 août, les blindés du général
von Wietersheim atteignent les bords de la Volga à Rynok, au nord
de Stalingrad. Les 23 et 24 août, la Luftwaffe bombarde massivement
la ville. Le 25 août, l'état d'urgence est déclaré
par les autorités soviétiques; l'avance allemande est contenue.
Paulus multiplie les assauts frontaux pour atteindre à plusieurs
endroits la Volga à travers la ville, au lieu de tenter de l'isoler
de la rive est en progressant le long de la rive ouest. Les combattants
de Stalingrad reçoivent pourtant des renforts, dont un régiment
de la Garde, ainsi que des approvisionnements pendant la nuit depuis la
rive est, d'où une puissante artillerie soviétique tire sur
les positions allemandes. Joukov cependant garde son sang-froid et n'envoie
aux assiégés que ce qu'il leur faut de forces pour ne pas
succomber et prépare soigneusement une riposte foudroyante. Le 13
septembre, une violente attaque perce le dispositif russe au centre, ce
qui contraint le général Tchouikov à engager ses dernières
réserves lesquelles arrêtent la progression allemande. Le
4 octobre, une quatrième attaque est lancée au nord de la
ville sur les usines Djerdjinski, Barricade et Octobre
rouge; elle marque le début de trois semaines de violents combats.
Un émissaire du Führer a laissé espérer à
von Paulus une brillante promotion s'il parvient à faire tomber
Stalingrad, ce qui stimule le général allemand.
1er juillet-21 juillet : Victoire anglaise à El-Alamein Le 20 juin au soir, Rommel est sur sa base de départ pour reprendre l'offensive. Deux chemins s'offrent à lui : celui d'Alexandrie au nord, qui n'est plus très loin, celui du Caire au sud. Il se lance le 1er juillet à l'assaut du centre des positions anglaises d'El-Alamein, pour effectuer un mouvement tournant d'encerclement traditionnel, avec quasiment Mussolini dans ses bagages, ce dernier espérant bientôt parader au Caire. L'attaque se heurte à une vive résistance anglaise, notamment sur les collines du Rouweisat, au sud de la place, où se livrent de durs combats. Du 2 au 4 juillet, le maréchal allemand essuie deux échecs de part et d'autre de ces collines, qui s'étendent d'est en ouest, face à la 1ère division blindée britannique, tandis que l'infanterie néo-zélandaise étrille sévèrement les forces italiennes, dont la division Ariete, la meilleure. Les 7 et 8 juillet, Aulincheck, qui a perçu les faiblesses du dispositif ennemi et notamment les endroits du front où se trouvent les Italiens, dégarnit la route du Caire pour inciter Rommel à étendre davantage ses forces et le rendre plus vulnérable. Rommel tombe dans le piège. Le 9 juillet, ses forces vont de la mer au nord à la dépression de Kattara au sud. Les 10 et 11 juillet, le général anglais jette la 9ème division australienne et la 1ère division sud-africaine en direction de Tell-el-Eisa; les Anglais détruisent une division italienne et en entament sérieusement une autre. Le 12 juillet, Churchill, qui pense à un débarquement en Afrique du Nord, enjoint à Auchinleck de liquider totalement les forces de Rommel, ce qui est plus facile à demander qu'à obtenir! Le maréchal allemand essaie de ressaisir l'initiative, qu'il sent être en train de lui échapper, en contre-attaquant vigoureusement avec l'Afrika Korps, les 13 et 14 juillet. Mais les défenses d'Auchinleck résistent et les Allemands subissent de lourdes pertes. Le 14 juillet, Auchinleck attaque les collines à l'ouest du Rouweisat (cote 63 et cote 64) qu'il conquiert, il perd la cote 63 le 15 juillet, puis la reprend. C'est un coup dur pour Rommel! Le 17 juillet, les Australiens venant du nord (Tell-el-Eisa) attaquent en direction des collines de Miteiriya située au nord-ouest des collines de Rouweisat. Du 1er au 17 juillet, la bataille a été sans interruption une guerre de mouvement. Le 20 juillet, le Duce rentre à Rome déçu de ne pas avoir paradé au Caire. La tactique d'Auchinleck a eu raison de la stratégie de Rommel! Le 21 juillet, Rommel rend compte de la situation à l'Okw : les unités allemandes ont subi de lourdes pertes et les Italiens se sont révélés si peu sûrs qu'il est nécessaire de les encadrer par des Allemands; les unités allemandes ont perdu 40% de leur effectif; une nouvelle offensive n'est pas envisageable sans un rééquilibrage des forces en présence; mais tout ce dont on dispose est maigre : les parachutistes destinés à l'opération Hercule, la conquête de Malte, jugée nécessaire par l'alliance germano-italenne pour améliorer la sécurité des convois de ravitaillement en Méditerranée! Rommel se heurte à l'opposition de Kesselring qui dirige la Luftwaffe en Méditerranée; il privilégie le front égyptien alors que Kesselring pense que la prise de Malte est essentielle pour garantir les approvisionnements de l'armée d'Afrique; Hitler, médusé par Rommel, lui donne la préférence. Malte va pouvoir souffler un peu. On l'a vu, fin juin, les Allemands ont repris l'offensive dans le sud de la Russie. Il ne fait aucun doute qu'ils vont se diriger vers la Caucase. Les troupes soviétiques tiendront-elles? Si ce n'est pas le cas, l'Iran et le Moyen Orient seront menacés. La question se pose donc aux Anglais de savoir quel front privilégier. Celui d'Égypte ou celui du golfe Persique? La réponse n'est pas évidente! Staline réclame toujours l'ouverture d'un nouveau front à l'Ouest; en Europe, il n'en est pas question pour le moment, mais une tentative en Afrique du Nord paraît possible; en juillet, la décision en ce sens est enfin prise. Ce sera un moyen de rassurer Staline. Mais pour favoriser la réussite de cette opération, mieux vaudrait détruire Rommel, d'où l'insistance de Churchill auprès d'Auchinleck notée plus haut. Par ailleurs, on se demande en haut lieu si le rattachement du Moyen Orient à l'Égypte, sous les ordres d'Auchinleck, intervenu en janvier, était opportun et si ce n'était pas un peu trop pour un seul homme, surtout depuis que celui-ci a été amené à prendre la tête de la 8ème armée en remplaçant Ritchie. Après bien des discussions, et sous l'empire des circonstances, en particulier la mort du général Gort dont l'avion est abattu le 7 août, le 15 août, Auchinleck cède la place à Alexander à la tête de l'ensemble Égypte-Moyen Orient et la 8ème armée est placée sous le commandement d'un général qui va faire parler de lui, Montgomery, Monty, avec pour mission d'en finir avec Rommel. Le 14 juillet 1942, en Inde, le parti du Congrès refuse l'indépendance après la fin des hostilités qu'est venu proposer en mars sir Stafford Cripps. Il réclame le départ immédiat de l'administration britannique en menaçant d'une extension à tout le pays de la rébellion non violente. Cette résolution est réaffirmée le 8 août, lors d'une réunion du Congrès à Bombay. Le lendemain matin, à 1 heure, le mahatma Gandhi, le pandit Nehru et d'autres dirigeants sont arrêtés. Gandhi seul bénéficiera d'un traitement de faveur, les autres seront incarcérés avec rigueur. En moins de 48 heures, l'Inde orientale et Madras sont en proie à la violence, aux assassinats, aux incendies et au sabotages des biens publics. L'armée, qui a déjà les Japonais sur les bras, doit réprimer la rébellion qui durera plusieurs mois dans la province du Sind, où sévissait déjà la secte musulmane des Hurs. On soupçonne les Japonais d'être derrière ces événements. Mais il n'en est rien. Ceux-ci s'en réjouissent certainement mais restent des observateurs passifs pour le moment. Il n'en demeure pas moins, qu'ici comme ailleurs, la Seconde Guerre mondiale attise la contestation du système colonial européen. Juillet-octobre 1942 : Tentative japonaise terrestre contre Port Moresby - Batailles de la piste de Kokoda et de Milne Bay En Asie, vers la fin juillet, les Japonais, dépités d'avoir été privés de la conquête de Port Moresby par la mer, essaient de prendre ce port par la terre. Ils débarquent des troupes entre Buna et Gona, sur la pointe de terre du sud-est de la Nouvelle-Guinée, au sud de la Nouvelle Bretagne. Le 16 août, ils se heurtent aux Australiens qui sont refoulés vers le sud, jusqu'à Elogi. De sauvages combats, de trappes et de snippers, se déroulent dans une jungle hostile, sur la piste de Kokoda, une piste étroite et boueuse, comportant de raides escaliers de rondins retenus par des pieux, sous une pluie battante. La maladie y cause encore plus de morts que les combats. Du 26 août au 6 septembre, les Japonais tentent un nouveau débarquement à Milne Bay, au bout de la pointe de terre; les Australiens ont le dessus et les assaillants à terre doivent être évacués sous la protection de la marine de guerre nippone. Le 12 octobre, après le remplacement du général Rowell par le général Blamey, à la demande de Mac-Arthur, les Australiens prennent l'offensive et repoussent les Japonais affamés sur leurs positions de départ de Buna, Gona et Sanananda. Port Moresby n'a été pris ni par mer, ni par terre! 7 août 1942 - 9 février 1943 : Guadalcanal Depuis mai, on l'a dit, les Japonais se sont emparés de plusieurs des îles de l'archipel des Salomon : Florida, Tulagi... Un peu plus tard, ils ont également saisi Guadalcanal. Mais de nombreux négociants, administrateurs coloniaux et planteurs sont restés sur place et certains d'entre eux, convenablement pourvus de matériel de communication, espionnent l'occupant et transmettent leurs informations aux Australiens. Au milieu du mois de juin, l'un d'entre eux, leur fait parvenir un message qui laisse penser que les Japonais sont en train de construire un aéroport sur la côte nord de Guadalcanal. C'est une information de première importance pour l'Australie et pour les États-Unis. La possession d'un aéroport par le Japon à cet endroit lui assurerait la maîtrise de l'air sur la région et constituerait une menace sérieuse pour l'Australie. Washington décide de réagir en montant une opération avec la 1ère division de marines, sous les ordres du général Vandegrift. Cette opération est risquée, d'abord parce qu'une partie des troupes n'est pas convenablement formée, ensuite parce que le terrain est mal connu, enfin parce qu'il faut s'attendre à une vive réaction de la marine japonaise, particulièrement efficace dans les combats de nuit. Le 7 août, les marines débarquent à Guadalcanal sans réaction japonaise. D'autres marines sont débarqués sur Tulagi, Gavutu et Tanambogol, proches de Florida, au nord de Guadalcanal, et là, ils se heurtent à une vive résistance. Le 8, les marines atteignent l'aéroport, qu'ils continuent d'aménager; le soir du même jour, une bataille navale oppose la marine japonaise à la marine de débarquement américaine au large de l'île de Savo; pendant la nuit, la flotte américaine est battue et doit se retirer en emportant une grande partie du matériel encore non déchargé des marines. Ces derniers, prisonniers de leur conquête, vont devoir affronter les Japonais dissimulés dans la jungle environnante et les renforts qui ne vont pas tarder à leur arriver. Combien de temps tiendront-ils? Cinq mois, grâce en partie aux avions qui leur parviennent dès le 20 août sur l'aéroport terminé par leurs soins, lequel est baptisé Henderson. Au cours de ces cinq mois, ils subissent de nombreux assauts de la part de leurs adversaires qui se refusent à abandonner la partie. Enfin, après deux batailles navales non décisives (Salomon orientales, Cap Espérance), la bataille navale de Santa Cruz (24-26 octobre), au large de Guadalcanal, donne une fois de plus la victoire tactique aux Japonais, et la victoire stratégique aux Américains. L'aéronavale japonaise n'a plus assez d'avions ni d'aviateurs! Du 1er au 15 décembre, l'armée américaine est en mesure de relever la 1ère division de marines remplacée par le 14ème corps d'armée à Guadalcanal. Les forces japonaises se replient en direction du nord-ouest; leurs derniers rescapés quittent l'île le 9 février 1943. Après l'arrêt de l'expansion japonaise, l'heure de la reconquête a-t-elle sonnée? Guadalcanal met fin au débat qui oppose, au sein du haut commandement japonais, partisans de la poursuite des conquêtes et adeptes de la défensive de l'empire constitué. La poursuite de l'expansion coûte trop cher et elle risque de rendre impossible la défense future. Le Japon pense pouvoir encore tenir longtemps, en organisant soigneusement la défense des points éloignés de son territoire national, assez longtemps en tous cas pour décourager ses adversaires et les amener à composition jusqu'à obtenir la reconnaissance de la partie essentielle de ses conquêtes, à condition que l'Allemagne tienne elle aussi. La population japonaise, comptant 70 millions d'habitants, est faible par rapport à celle des États-Unis et de l'empire britannique, mais suffisante pour faire face, disciplinée et combative jusqu'à la mort comme elle l'est (les aviateurs japonais n'emportent généralement pas de parachute!) Une faible part de ses forces seulement a été employée à ses conquêtes en Asie du Sud-Est; l'essentiel est sur le continent, en Chine, et en Mandchourie par précaution face à l'URSS. Il occupe une position stratégique centrale avantageuse qui lui permet de concentrer rapidement ses forces à l'endroit menacé alors que ses adversaires doivent suivre un parcours plus long; mais encore lui faut-il disposer des moyens de transport voulus et de leur protection. Et c'est là que le bas blesse. L'économie japonaise n'était pas préparée à une guerre longue. Au départ, son armée disposait d'assez de moyens et de réserves pour frapper un grand coup en bénéficiant de l'effet de surprise, comme Hitler en URSS, mais aussi, comme l'Allemagne maintenant face aux Soviétiques, son économie n'est pas assez puissante pour rivaliser avec celle des États-Unis. Ces derniers produisent davantage de navires, d'avions, de chars et autres armes que les Japonais, plus modernes et dans des proportions écrasantes. Mais il y a plus grave encore, la flotte commerciale japonaise est insuffisante pour lui permettre de tirer un plein profit de ses conquêtes en transportant jusqu'aux usines japonaises les matières premières et le pétrole de la lointaine Indonésie ou de la Birmanie. Des pénuries frappent déjà Tokyo. Au fil des mois, le Japon perd ses avions et ses porte-avions; il est de moins en moins capable de ravitailler ses bateaux de guerre en carburant, faute d'une flotte de pétroliers suffisante, et les sous-marins américains lui infligent d'énormes pertes. Les submersibles jouent en effet un rôle important au cours de la guerre du Pacifique. Ceux des États-Unis, plus nombreux, plus légers, plus rapides, plus maniables et mieux équipés (ils possèdent notamment un radar), surclassent ceux du Japon. Les États-Unis jouissent par ailleurs d'un avantage stratégique majeur par rapport à l'empire du Soleil levant. Leur métropole est un sanctuaire pratiquement hors d'atteinte, où l'on trouve presque tout ce qu'il faut pour poursuivre la guerre aussi longtemps que nécessaire, à la différence du Japon qui doit s'approvisionner à l'étranger en matières premières et en carburant, contrainte à l'origine de sa volonté de conquêtes. Les navires marchands japonais sillonnent donc les routes maritimes du Pacifique. Ils constituent une proie de choix pour les sous-marins américains. Les chefs de la marine américaine, anciens sous-mariniers, en ont parfaitement conscience et ils en font leur cible privilégiée. Pendant l'été 1945, 63% du tonnage de la flotte marchande japonaise a été coulés par les submersibles. Le temps est un élément décisif de toute stratégie et il joue contre l'empire du Soleil Levant! Ce ne sont pas les valeurs guerrières des hommes ni leur nombre qui vont entraîner la défaite de l'Axe, dans le Pacifique comme en Europe, mais les capacités productives des Alliés. 18-19 août 1942 : Raid anglais contre Dieppe Dans la nuit du 18 au 19 août, une flotte britannique prend la mer pour lancer un raid contre Dieppe. Il ne s'agit pas d'une tentative de débarquement mais d'une opération pour tester les défenses allemandes et les détruire. Le port de Dieppe a été choisi pour sa proximité avec les terrains d'aviation du sud de l'Angleterre. Les auteurs de l'opération veulent se faire une idée des difficultés qui seront rencontrées pour conquérir un port lors d'un débarquement sur le continent. Ils espèrent que l'effet de surprise jouera en leur faveur. Les troupes embarquées sont essentiellement canadiennes mais comprennent également des unités anglaises, écossaises et des forces française libres. Tout se passe bien jusqu'à ce que, à l'approche des côtes françaises, sur la droite du dispositif anglais, à 3h47, une péniche de débarquement rencontre malencontreusement des chalutiers convertis en bâtiments de guerre par les Allemands. Des coups de feu sont tirés qui donnent l'alarme aux puissantes défenses allemandes installées sur les falaises, de part et d'autre de Dieppe, au dessus des plages. Les péniches de débarquement se dispersent et les troupes partent à l'assaut de leur objectif, la batterie Hess, qui est détruite; ce sera le seul succès de la journée! Partout les troupes qui prennent pied sur ces plages sont décimés par de terribles tirs ennemis; les chars éprouvent de grandes difficultés à se déplacer sur les galets des plages; le commandement anglais resté à bord des bateaux de guerre d'escorte ne reçoit plus de nouvelles de ce qui se passe sur le terrain, beaucoup d'officiers et de soldats chargés des communications étant tués ou blessés. Quelques assaillants peu nombreux, accompagnés de trois ou quatre chars parviennent à atteindre Dieppe où ils sont détruits ou fait prisonniers. L'aviation alliée se couvre de gloire mais ne parvient pas à tirer les troupes de terre de leur mauvais pas. En pleine confusion, le commandement envoie de nouvelles vagues d'assaut sur les plages où elles se font massacrer. A 8 heures, le commando du Royal Marine est envoyé en renfort; son chef, le lieutenant-colonel Phillips, comprend la situation; il enfile ses gants blancs, monte sur le petit pont avant de sa péniche, et donne à ses hommes le signal de la retraite avant d'être tué par un tir ennemi. A 9 heures, l'opération Jubilée s'achève. C'est un fiasco presque complet, mais instructif notamment sur la puissance de feu indispensable pour neutraliser les défenses côtières qui avait été largement sous-estimée. De leur côté, les Allemands en tirent aussi une leçon : ils doivent fortifier tout le littoral occidental. A 10h22, le rembarquement des rescapés s'effectue, tandis que les combattants d'arrière garde continuent de se faire tuer sur les plages. Le bilan est lourd; sur les quelques 6 000 hommes embarqués, près de 3 900 sont absents, tués, blessés ou prisonniers, 34 navires ont été coulés, dont le destroyer Berkeley. Le 19 août, en début d'après-midi, la flotte britannique fait route vers l'Angleterre sans être inquiétée par l'aviation allemande. Les difficultés d'un débarquement sur les côtes françaises viennent d'être clairement démontrées. C'est une validation de l'option nord-africaine. Celle-ci est d'ailleurs en cours de préparation depuis juillet, comme on l'a dit. Mais la situation sur le terrain convoité est complexe. En Afrique du Nord, la population est en majorité fidèle à Vichy. Le général de Gaulle n'y exerce pratiquement aucune influence. Les militaires sont nombreux à espérer la reprise du combat, mais la plupart d'entre eux souhaitent ne pas s'écarter de la légalité. Les généraux Juin, à Alger, et Catroux, à Rabat, sont de ceux-là. Depuis Mers el-Kébir, la marine est très montée contre les Anglais et l'amiral Darlan, ministre de la Défense de Vichy, ne l'est pas moins, pour ne rien dire des soldats repliés de Syrie. Il existe des éléments de résistance, mais ils semblent peu nombreux. Le plus célèbres des réseaux est le Groupe des Cinq (Henri d'Astier de la Vigerie, du 2ème bureau de la division d'Oran; Jean Rigault, un monarchiste fervent des rencontres secrètes; le colonel Van Hecke, responsable des Chantiers de jeunesse; Jacques Tarbé de Saint-Hardouin, un homme de relations, le diplomate; et Lemaigre-Dubreuil, un homme d'affaires dont on dit qu'il a financé la Cagoule, une organisation extrémiste de droite, entre les deux guerres); Lemaigre-Dubreuil dirige le groupe. Parallèlement, des officiers supérieurs, le général Mast, le colonel Baril... cherchent à donner forme à la résistance. Ces efforts s'unissent sous l'égide d'un militaire que son évasion a rendu célèbre : le général Giraud. Ce dernier prend la tête du complot, mais il a des exigences et un projet grandiose. Il exige d'être le général en chef des forces alliés en Afrique du Nord et qu'un second débarquement ait lieu en Provence. Son projet, totalement irréaliste, consiste en un soulèvement de toutes les résistances des pays occupés. Pendant ce temps des points de vue divergents continuent d'opposer Anglais et Américains. il y a d'abord le rôle que tiendront les Britanniques dans l'opération; il faut qu'il soit aussi discret que possible afin d'éviter un affrontement avec la marine française. Ensuite, et c'est plus grave, les Américains privilégient, un débarquement au Maroc et les Anglais voudraient qu'il ait lieu en Algérie, et le plus loin possible à l'est, afin de se saisir promptement de Bizerte. Finalement, on s'accorde sur le Maroc et l'Algérie, mais pas plus à l'est qu'Alger. Les relations entre de Gaulle et les alliés anglo-américains n'ont jamais été parfaitement sereines. Parfois, Anglais et Américains usent même de représailles contre la France libre! Pendant l'été 1942, la tension monte. Churchill est de plus en plus proche de Roosevelt et les deux hommes prennent des décisions, y compris concernant des intérêts français, sans en parler au chef de la France libre. Un moment, Roosevelt réussit même à convaincre Churchill d'écarter de Gaulle. Mais les conseillers du Premier ministre anglais dissuadent ce dernier d'aller jusque là : en France, la Résistance, de la droite au Parti communiste, est réunie derrière le général et son éviction soulèverait d'énormes difficultés, une fois l'heure venue de libérer la France. De Gaulle menace de transférer la France libre à Moscou! Août-septembre 1942 : L'opération
Sinyavino tente de débloquer Leningrad
En décembre 1941, Hitler, furieux contre lui, a relevé de son commandement von Leeb qu'il qualifie de "catholique qui a perdu le sens commun". Il l'a remplacé par le général Küchler avec pour mission de faire disparaître Leningrad de la carte en la noyant sous les obus et sous les bombes. Il refuse même d'accepter une reddition si d'aventure les défenseurs de la ville la proposait! Des renforts sont envoyé depuis la Crimée (où le port de Sébastopol est tombé fin juin) et la Norvège. Les Allemands fortifient leurs positions autour de la zone tenue par l'Armée rouge. Cette dernière, de son côté, ne reste pas inactive. Le général Govorov, qui commande le front de Leningrad et le général Meretskov, qui commande celui du Volkhov, préparent une offensive, soutenue par la flotte de la Baltique et la flottille du lac Ladoga, afin de prendre en tenaille la pointe nord-est de l'encerclement allemand et détruire les forces qui s'y trouveront enfermées. Une attaque à l'ouest, en direction d'Ouritsk est également prévue pour y fixer les troupes allemandes qui y sont. L'objectif final est bien évidemment le déblocage de Leningrad. Le 19 août, les forces soviétiques du front de Leningrad établissent des têtes de pont sur la Neva. Le 24 août, le front soviétique du Volkhov enfonce à son tour un coin de 1,5 km au nord de sa zone d'attaque; le 30 août, une autre attaque atteint les abords de Sinyavino, mais y est arrêtée. Le 3 septembre, Govorov, avance un peu dans les environs de Annenskaié; Le 26 septembre, une dernière attaque est à nouveau lancée, sans grand succès. Les Allemands se défendent avec âpreté. La Stavka décide alors l'arrêt de l'offensive et le retour aux positions de départ. L'opération Sinyavino a échoué mais elle a causé des pertes importantes à l'armée allemande qui y a laissé 60 000 officiers et soldats tués, blessés ou prisonniers, 200 chars, 200 pièces d'artillerie, 400 mortiers 730 mitrailleuses et 240 avions. L'armée allemande qui assiège Leningrad n'est plus en capacité de s'emparer de la ville et doit se contenter de lui causer de loin le plus de dégâts possibles. L'opération a immobilisé des forces allemandes qui vont faire défaut sur les autres fronts et elle permet aux Soviétiques de tirer les leçons de l'expérience pour les futures tentatives de dégagement de la ville de la révolution bolchevique. Le 12 janvier 1943, les Allemands ayant été forcés de retirer des troupes du front de Leningrad pour faire face à des urgences, les fronts russes de Leningrad et du Volkhov attaquent le saillant de Schlüsselburg-Sinyavino. Le 18 janvier, les deux fronts font leur jonction. Un couloir de 8 à 11 km sépare désormais Leningrad de ses assiégeants. La ville est reliée à l'extérieur par une voie ferrée, ce qui va permettre d'améliorer son ravitaillement. Le 13 septembre 1942, le Laconia, un navire britannique transportant des soldats italiens capturés en Libye ainsi que des civils, est torpillé par un sous-marin allemand. Les victimes sont nombreuses malgré les tentatives de sauvetage entreprises par le sous-marin, avant qu'il ne soit à sont tour victime d'un bombardement, et l'aide de bateaux venus d'Afrique du Nord française (Vichy) appelés en renforts. Plusieurs rescapés souffrent de morsures des petits requins qui pullulent dans ces eaux. Certains ont les talons tranchés. 30 août - 4 novembre 1942 : Victoire finale anglaise à El-Alamein Sur le front égyptien, Rommel, arrêté par Auchinleck à El-Alamein, sait que le temps joue contre lui. Allemand et Italiens lui promettent des renforts et des approvisionnements qu'ils ne peuvent acheminer. Il est loin de ses bases. En revanche, ses adversaires se trouvent proches des leurs et sont fortement renforcés et approvisionnés. Sa position est donc dangereuse. Espérant recevoir assez de carburant, il décide de jouer son va-tout et lance une nouvelle offensive les 30 et 31 août 1942. Son attaque principale se produit au sud, dans une zone qu'il pense mal défendue. Elle vise, selon ses habitudes, à contourner les défenses britanniques et à les encercler par un vaste coup de faux. Une attaque secondaire est prévue plus au nord, sur les crêtes du Rouweisat, ainsi qu'une attaque de diversion sur la route côtière. Mais les défenses sud des britanniques sont plus puissantes qu'il ne s'y attendait. Craignant une attaque de flanc de la 7ème division blindée britannique postée dans les parages, il modifie son plan dans un sens moins ambitieux et réoriente son attaque sur la crête d'Alam-el-Alfa, une position clé du champ de bataille. La 15ème division de panzers déborde la 22ème brigade blindée britannique, mais elle commence à manquer de carburant. Le 1er septembre, la 15ème division de panzers empêche la 8ème brigade blindée britannique de porter secours à la 22ème brigade. Mais ce succès tactique ne parvient pas à masquer le déséquilibre des forces. Le 2 septembre, sous le harcèlement incessant de la RAF, le général allemand ordonne à l'Afrika Korps de se replier sur une ligne de défense vers El-Taka-Bab-el-Kattara. Le 3 septembre, la RAF et la 7ème division blindée britannique harcèlent la retraite. Dans l'après-midi, les colonnes germano-italiennes ont traversé les champs de mines. Dans la nuit, elles se heurtent à une division néo-zélandaise qui résiste farouchement. Le combat cesse le 7 septembre, une fois la retraite achevée. Rommel n'a plus la capacité de se livrer à une guerre de mouvement; comme ses devanciers de 1914, il décide de s'enterrer et de se fortifier en l'attente de jours meilleurs et surtout de carburant. Du 2 au 13 septembre 1942, des raids audacieux sont lancés par les Britanniques et leurs alliés à travers le désert par le LRDG (Long Range Desert Group), le SAS (Special Air Service) et le SDF (Force de Défense du Soudan). Ils visent Djalo, Benghazi, Barkah et Tobrouk; celui de Tobrouk prévoit la participation d'un flottille en provenance d'Alexandrie ainsi qu'un débarquement. Seule la prise de Djalo réussit complètement. La préparation minutieuse de ces raids a duré assez longtemps et n'a pas été assez discrète pour que l'effet de surprise joue à plein. Mais ces tentatives inquiètent Rommel conscient de la vulnérabilité de sa ligne de ravitaillement. Fatigué et malade, le général allemand rentre en Allemagne, où il est le 23 septembre, en laissant le commandemant au général Stumme; il essaie, en vain, d'obtenir des secours; Hitler, qui a les yeux fixé sur la Russie, ne veut rien entendre. Cependant Montgomery prépare soigneusement sa réaction. Sauf à s'engager imprudemment trop loin dans le désert, il ne peut pas espérer tourner le sud de la position adverse qui est verrouillée par la nature et les travaux de fortification. Il se trouve en fait dans la même situation que les généraux de 1915 à 1918, comment percer les défenses de l'ennemi et le contraindre à une guerre de mouvement qui lui sera fatale? Son plan consiste à enfoncer les défenses italo-allemandes par les chars au centre pour menacer leurs lignes de communications. Deux couloirs doivent être ainsi nettoyés. Ce plan est aménagé en retenant les blindés après la percée et en grignotant les forces ennemies avec l'infanterie couverte par les blindés, prêts à se ruer sur la contre-attaque adverse. Au nord et au sud, des attaques de diversion sont préparées pour y retenir les troupes de l'Axe. Churchill, en visite en Égypte, insiste pour une offensive rapide qui favoriserait le débarquement allié prévu en Afrique du Nord. Le plan définitif est arrêté le 6 octobre. Montgomery croît dur comme fer à sa réussite. Les effectifs britanniques et ceux de leurs alliés, parmi lesquels se trouve la 1ère brigade française libre, sont numériquement très supérieurs (195 000 hommes contre 104 000, 1029 chars contre 489, 2311 canons contre 1219, 530 avions en état de vol contre 350). Les alliés ont la maîtrise de l'air, ce qui gêne le ravitaillement en carburant des forces de l'Axe Le 23 octobre, en soirée, le bombardement des positions ennemies commence. Un peu plus tard, le 30ème corps au nord, en direction de la crête de Kidney, et le 13ème corps au sud, en direction de la crête de Miterriya, partent à l'assaut, pour ouvrir deux larges couloirs. Le général allemand Stumme est tué, le général von Thoma le remplace, ce qui cause un flottement dans le camp allemand. A l'aube du 24 novembre, les objectifs du 30ème corps sont atteints. Mais le 13ème corps est ralenti par le passage des champs de mines. La 15ème division de panzers contre-attaque. En début de matinée du 25, la situation est critique dans le couloir sud embouteillé; Montgomery décide de poursuivre l'offensive. Les contre-attaques de la 15ème division de panzers sont repoussées. En milieu de journée, Montgomery modifie l'angle d'attaque et dirige la 9ème division australienne vers le nord et la 1ère division blindée vers l'ouest, contre un saillant côtier de l'Axe. Le 26 octobre, la progression britannique continue sur le saillant côtier mais est stoppée partout ailleurs. Pendant ce temps, deux pétroliers allemands, Le Proserpina et le Tergesta, sont coulés, privant potentiellement les blindés ennemis de carburant. Montgomery regroupe ses forces. Le 27 octobre, la 21ème division de panzers fait mouvement vers le nord-est, les Britanniques continuent à se redéployer tandis que les Italo-Allemands perdent 50 chars dans diverses attaques. Les 28 et 29 octobre, les Britanniques enfoncent un coin dans le saillant côtier. Les 30 et 31 octobre, ils s'efforcent d'encercler ce saillant. Le 2 novembre, Montgomery déclenche sa grande opération Supercharge. Les objectifs sont atteints, mais la 9ème brigade blindée anglaise subit de fortes pertes sous le feu des canons antichars. Rommel est de retour! Il s'entretient avec von Thoma et les deux généraux allemands décident de se retirer sur Fouka. Le 3 novembre se livrent des combats confus, mais les 51ème et 4ème divisions indiennes percent au sud, au niveau de la crête du Rouweisat. Le 4 novembre, les troupes de l'Axe battent en retraite poursuivies par les 1ère, 7ème et 10ème divisions blindées. Une victoire décisive vient d'être remportée par Montgomery sur Rommel considérablement affaibli. Vers le fin de l'année 1942, le général allemand tente d'entrer en relation avec des autorités religieuses musulmanes pour semer des germes de révolte anticolonialistes contre les adversaires de l'Axe. Le 2 septembre, le convoi PQ-18 appareille avec la plus formidable escorte jamais vue : 51 bâtiments de guerre, dont un porte-avions, l'Avenger, pour 40 cargos. Il perd 13 bateaux mais la catastrophe du PQ-17 ne s'est pas reproduite, et il a infligé de lourdes pertes aux forces allemandes : 5 sous-marins coulés et 41 avions abattus. L'escorte accompagne le QP-14 sans trop de pertes. Les Allemands tiennent à l'écart leurs navires les plus illustres, comme le Tirpiz, de peur de se les faire torpiller! La préparation du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord entraîne malheureusement une suspension des convois, accueillie comme on le devine par les Soviétiques. 21 septembre 1942 - 29 mars 1943 : Offensive britannique de l'Arakan (Birmanie) Avec les maigres moyens dont il dispose, notamment en aviation, le général Wavell, aiguillonné par Churchill, entreprend une action contre les Japonais en Birmanie. Il ne s'agit pas d'une offensive de grande envergure destinée à en chasser les envahisseurs, mais d'une modeste opération visant à atteindre l'île d'Akyab, au sud de Foul Point et de lamontagne des Mayu bordée à l'ouest par la mer et à l'est par une rivière qui s'élargit en une sorte de longue et large étendue d'eau qualifiée aussi de Mayu. Une fois l'île prise, il sera procédé à la destruction des aéroports qui s'y trouvent. Wavell ne voit guère là qu'une occasion d'entraîner ses troupes et de leur redonner du moral. L'opération débute le 21 septembre 1942. La 14ème division indienne part de Chittagong et de Cox's Bazar et s'avance de part et d'autre de la chaîne des Mayu, par la route côtière, souvent submergée et en très mauvais état, qui nécessite réparation du côté de l'ouest, et par la jungle du côté de l'est. Le 17 décembre, Maungdaw, sur la côte, et Buthidaung, dans les terres, sont atteintes. Pendant ce temps, les Japonais se sont fortifiés à l'extrémité de la péninsule et préparent une opération de débordement de la gauche anglaise. Le 1er janvier 1943, des patrouilles de la 47ème brigade britannique atteignent Foul Point. Le succès semble assuré. Mais, une semaine plus tard, les Britannique sont cloués sur l'étroite route côtière par les défenses ennemies au niveau de Donbaik. Des semaines de durs combats se déroulent sur ce point, sans résultat, avec l'emploi de quelques blindés qui tombent dans les fossés antichars ou sont détruits par les canons. La prise d'Akyab avant mai 1943 a été décidé à la conférence de Casablanca et Churchill tient absolument à ce que cette promesse soit tenue, afin que les États-Unis s'intéressent enfin d'un peu plus près à la question de l'Inde. Il harcèle Wavell afin que cette affaire soit réglée au plus vite; ce dernier envoie en renfort la 6ème brigade britannique en vue d'une ultime offensive sur Donbaik et réorganise le commandement en créant une Mayforce chargée du contrôle des opérations à l'intérieur des terres, à l'est de la chaîne des Mayu. Ces remaniements tendent les rapports entre les généraux. Les Japonais tournent le flanc gauche des forces britanniques et menacent de couper leurs communications. Le 29 mars, l'armée britannique est contrainte de battre en retraite. Churchill se rend à Washington pour rencontrer Roosevelt les mains vide; la réception est plus que fraîche. Le Premier ministre britannique sanctionne ceux qu'il estime responsables de ce fiasco, dû en fait à la confusion qui régnait au sein du haut commandemant, problème qui a déjà été signalé plus haut. Wavell, nommé vice-roi des Indes est remplacé par Auchinleck. Il convient d'insister sur les difficultés rencontrées par les soldats britanniques, dans une guerre qui s'effectue à travers la jungle, sous une touffeur éprouvante, par des chemins impraticables, avec une nourriture parcimonieuse, de conserves transformées en bouillie gélatineuse, qui n'arrive pas toujours, dans des conditions sanitaires désastreuses, où les blessés sont dévorés, et où les maladies tropicales, comme la malaria, déciment les soldats mal pourvus en quinine, lesquels meurent plus souvent des épidémies que des combats. Pour ce qui est de redonner du moral aux troupes, l'affaire est ratée! Octobre 1942 : Préparation du débarquement allié en Afrique du Nord Le 17 octobre, le général américain Eisenhower, commandant en chef des forces alliées du plan d'invasion de l'Afrique du Nord, est convié à envoyer une mission à Alger pour y rencontrer secrètement la résistance afin de préparer le débarquement. La victoire d'El-Alamein rend maintenant cette opération stratégiquement vitale. Parmi les membres, il désigne rien de moins que son adjoint, le général Mark W. Clark. Eisenhower veut obtenir que l'opposition française au débarquement soit aussi faible que possible. La mission atteint la côte algérienne en sous-marin, en un lieu balisé et tenu par la résistance. La rencontre se tient dans un maison aux environs de Cherchell, à proximité du lieu de rembarquement, les 22 et 23 octobre. Du côté français, il y a le général Mast qui commande les forces d'Alger; il est déterminé à s'engager jusqu'au bout et à désobéir, si nécessaire, aux ordres de Vichy pour ranger les troupes sous ses ordres aux côtés des alliés dès que ceux-ci aborderont les plages. L'ambiance est cordiale. Les Américains disent vouloir apporter à leur opinion publique un succès militaire avant la fin de l'année et répondre en même temps à la demande russe d'ouverture d'un second front. Ensuite, les alliés veulent liquider la présence de l'Axe en Tripolitaine et acquérir la pleine maîtrise de la Méditerranée. Ils promettent une opération d'envergure (500 000 hommes et 2 000 avions). On s'accorde sur Giraud et on rejette Darlan. Le général français sera amené depuis le sud de la France à Alger en sous-marin. Des armes sont promises pour les résistants. Bref tout irait bien si la confiance était totale. Mais elle ne l'est pas. Les Américains répondent évasivement chaque fois que les Français veulent connaître les dates et les points de débarquement. Ils promettent de communiquer des informations 10 jours avant le débarquement et se gardent bien de faire savoir à leurs interlocuteurs que les convois sont déjà en route! Enfin, la nomination de Giraud à la tête des armées alliés est acceptée du bout des lèvres, en principe. Bref, il va être bien difficile, dans ces conditions, de coordonner les actions de la résistance et celles des alliés et on peut se demander pour quelle raison Eisenhower a risqué la liberté voir la vie de son bras droit dans cette affaire. Malgré toutes les précautions prises, un policier curieux s'intéresse de près à l'identité des gens qui se trouvent à la maison sur la plage et la mission doit se cacher dans la cave, hélas vide, selon l'un des séquestrés. Le 28 octobre, Murphy représentant des USA à Alger, prévient le général Mast que le débarquement aura lieu le 8 novembre. Le général Mast comprend alors que les Américains n'ont pas joué franc jeu, il s'en doutait déjà. Son mécontentement surmonté, il se met en devoir de faire pour le mieux. Le 2 novembre, Murphy envoie une lettre au général Giraud lui précisant que des accords ont été conclus avec le Groupe des Cinq concernant la restauration de la France, la garantie du maintien de sa souveraineté, la réalisation de l'unité de commandement sous direction stratégique française et l'octroi du prêt-baîl. Le 4 novembre, Murphy transmet au général Mast, par sa femme, les horaires des débarquements au Maroc et en Algérie. Malheureusement, le général Mast n'aura le temps de prévenir le général Béthouard au Maroc. Pour mieux comprendre les difficultés du général Mast, il faut garder à l'esprit que bien qu'étant une autorité officielle, il agissait de manière clandestine, et que toute information qui tomberait dans des oreilles ou des mains indiscrètes ou hostiles pourrait réduire à néant ses efforts et l'amener droit au peloton d'exécution! Le 1er novembre, Giraud est avisé que le débarquement aura lieu le 8 et qu'il doit quitter la France le 4 pour se rendre à Gibraltar, un départ précipité qui ne permet pas de résoudre tous les problèmes, ce qui entraînera la déportation de l'épouse du général, un acheminement acrobatique dans un sous-marin dont la radio est en panne et un retard à Gibraltar, où il arrive le 7, après avoir été transbordé dans un hydravion. Le soir même, il rencontre Eisenhower; la discussion est orageuse : première divergence, Giraud insiste sur Bizerte et sur la Tunisie, mais Eisenhower ne veut pas modifier ses plans, autre divergence plus fondamentale, le général américain refuse de renoncer à être le chef des armées alliées au profit du général français, malgré les accords passés, dont il prétend n'avoir pas eu connaissance. Dans ces conditions, Giraud, refuse toute collaboration avec les Anglo-Américains. Le lendemain cependant, par l'entremise des Anglais, une transaction est acceptée par le général français qui accepte d'être l'égal du général américain et, en plus de son autorité au plan militaire, se voit aussi nommé chef de l'Administration civile d'Afrique du Nord. Cette diarchie au sommet de l'alliance militaire va se révéler inefficace, comme il fallait s'y attendre. 8 novembre 1942 : Débarquement des forces anglo-américaines en Afrique du Nord - L'imbroglio français Le 8 novembre 1942, les troupes anglaises et américaines débarquent en Afrique du Nord sous le commandement du général américain Dwight Eisenhower. C'est l'opération Torch. Les 500 000 hommes annoncés se réduisent à 107 500 le premier jour et à 253 000 à la fin du mois. Les objectifs des débarquement sont Casablanca, Oran et Alger. Les forces anglo-américaines établissent des têtes de pont sur les côtes de part et d'autre des villes. L'inexpérience des troupes entraîne la perte d'un important matériel de débarquement et les tentatives de prendre les rades d'assaut en y introduisant deux navires de guerre, à Alger et Oran, s'achèvent par des fiascos complets, la marine française réagissant comme il fallait s'y attendre, malgré le pavillon américain arboré par les intrus. Le jour même du débarquement, le maréchal Pétain appelle le général Weygand en consultation. Le général recommande au maréchal d'accueillir à bras ouverts les Alliés avec la perspectives d'une victoire au bout. Ce ne sera pas le chemin choisi par le maréchal qui n'ose pas prendre un avion pour rallier Alger. On commence à s'inquiéter à Vichy du sort de la flotte de Toulon au cas où la zone libre serait envahie. Mais où cette flotte pourrait-elle se rendre alors que les combats font rage de l'autre côté de la Méditerranée? En outre, Pétain qui craint les représailles nazies sur la population française se refuse à donner l'ordre à l'amiral de Laborde, qui commande la flotte de Toulon, de quitter le port et de violer ainsi les clauses de l'armistice, et l'amiral est trop légaliste pour agir sans ordre de Pétain. Laval, contacté alors qu'il est en discussion avec Hitler, demande d'attendre son retour. A Alger, le général Mast occupe la ville d'Alger et neutralise ce qu'il peut des communications, s'empare du fort de Sidi-Ferruch, de l'aéroport de Blida et envoie à Pointe-Pescade un officier de réserve et des guides pour conduire les Américains chargés d'investir la ville et les lieux de pouvoir, avant une heure du matin, tout cela avec ses militaires et des civils mal armés qui ne sont malheureusement qu'environ le tiers de ce qui était prévu. Tout se déroule bien, dans la surprise des partisans de Vichy qui ne s'y attendaient pas, grâce à une feinte du convoi, qui était passé ostensiblement au large avant de revenir pendant la nuit. Les troupes débarquées sont bien accueillies, là où se trouvent les hommes du général Mast. Il y a quelques tentatives de résistance ailleurs, mais sans grande importance. Dans les deux camps, les pertes resteront légères. Mais les faibles forces insurrectionnelles ne peuvent espérer tenir longtemps Alger tandis que le déploiement des forces anglo-américaines éprouve des retards. Un appel du général Giraud est bien diffusé par la radio sous le contrôle des insurgés, mais il reste sans écho, ce général étant trop peu connu dans la métropole algérienne. Pour ajouter aux difficultés, Darlan, qui fut un temps, en 1941, chef du gouvernement de Vichy, et qui est maintenant chef des armées vichystes, se trouve à Alger, au chevet de son fils gravement malade. Il est d'abord arrêté avec le général Juin, alors que les deux militaires français sont en discussion avec Murphy et qu'ils refusent de désobéir à Vichy. Un peu plus tard, des gardes mobiles libèrent Darlan et Juin et c'est au tour de Murphy d'être prisonnier! Les forces fidèles à Vichy se sont ressaisies et mis fin au putsch de Mast. Mais, troublées pas une succession d'ordres et de contre-ordres et sans doute pensant aussi qu'il faudra bien finir par rejoindre le camp allié, elles ne sont pas motivées. A Oran, l'affaire est plus mal engagée. Le 6 juin, le colonel Tostain, membre du complot, se rend compte qu'il n'aura pas le courage de diriger un mouvement illégal; perdant la tête, il se confesse auprès de son supérieur, le général Boissau; celui-ci prend les aveux de son subordonné pour une fable et ne prévient heureusement pas les autorités d'Alger, mais le plan des rebelles d'Oran, pourtant bien organisé, désormais éventé, est irréalisable. Les affrontements entre les forces vichystes dirigées par l'amiral Rioult et le général Boissau sont plus violents qu'à Alger, tout en restant limités. Le pire se produit au Maroc où le général Béthouart, plein de bonnes intentions, mais très mal informé, agit du mieux qu'il peut, mais dans le brouillard. Or Casablanca est une place militaire et navale de la plus grande importance qui dispose des moyens d'opposer une vive résistance aux forces débarquées et à leur marine. Le général Béthouart pense que, s'il met le résident général, Noguès, au courant de ce qui se prépare, en mettant l'accent sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un simple raid mais d'une tentative sérieuse d'implantation d'une force conséquente, celui-ci soucieux de servir les intérêts de la France et de rentrer en guerre aux côtés des alliés, rompra avec Vichy. En même temps, Béthouart prévient l'amiral Michelier qui commande la marine. Puis il adresse à tous les organes de commandement du Maroc le même ordre que celui qui a été diffusé par les mutins d'Alger. Mais les attentes du général Béthouart sont trompées, ni le général Noguès, ni l'amiral Michelier, n'acceptent de se lancer dans une aventure illégale. Au matin du 8 novembre, le général Béthouart et son état-major sont arrêtés. Ils ne devront la vie sauve qu'à la victoire américaine. En attendant, la marine américaine entre en action sans prévenir ni ménagement. Le complot, mal préparé et mal coordonné avec ceux qu'il prétendait servir, n'aurait donc probablement pas servi à grand chose. De rudes combats se déroulent sur mer et sur terre causant de nombreuses pertes et le début du martyr de la marine français, l'une des premières du monde à cette époque. Le 9 novembre, lorsque le général Giraud arrive à l'aéroport de Blida, il est dépité de s'apercevoir que personne ne l'attend et que le commandant de la base refuse de reconnaître son autorité. Sa rencontre à Alger avec le Groupe des Cinq est décourageante; Lemaigre-Dubreuil lui reproche son retard, affirme que tout est perdu et qu'il leur faut s'attendre à une arrestation. Le général Giraud sombre dans une sorte de torpeur. Cependant, il obtient une audience avec le général Juin, mais de nuit et dans le secret. Pendant l'après-midi quelques personnages importants de l'administration dont le préfet d'Alger, Temple, et le directeur de la police, Bringard, lui rendent visite. Un peu d'espoir renaît. Au crépuscule un violent bombardement se déchaîne sur Alger; Vichy et Darlan ont accepté l'aide proposé par Hitler d'envoyer la Luftwaffe, basée en Sicile et en Sardaigne, pour prêter main-forte aux Français qui se battent contre la coalition anglo-saxonne, mais les Allemands n'ont pas obtenu l'autorisation d'utiliser les aéroports nord-africains. Le 10, dans la matinée, Murphy et le général Clark viennent proposer au général Giraud de céder ses pouvoirs civils à l'amiral Darlan dont ils ont besoin pour obtenir un cessez-le-feu général. Au Maroc le combat continue, en Algérie, les troupes de l'intérieur sont menaçantes et la flotte n'obéira qu'à l'amiral. Giraud accepte sans discussion. Clark se rend alors auprès de Darlan et de Juin. Il demande à l'amiral d'accepter un cessez-le-feu. Darlan refuse sans l'accord de Vichy. Clark le menace alors de traiter avec Giraud. Après bien des hésitation Darlan finit accepter le cesser-le-feu. Clark formule alors une autre exigence, celle d'ordonner à la flotte de Toulon de gagner Alger. Darlan feint d'accepter mais se contente d'envoyer une simple invitation sans portée. A midi, Giraud se rend auprès de Darlan. L'amiral est effondré : Vichy vient de le désavouer! Il se constitue prisonnier entre les mains de Clark. Le général Giraud redevient l'interlocuteur favori des Américains. Pendant ce temps à Vichy, Pétain demande conseil au sujet de la flotte de Toulon au général Weygand et à l'amiral Auphan, secrétaire d'État à la marine; les deux militaires sont d'accord pour que la flotte parte pour l'Afrique du Nord puisque Darlan vient d'y ordonner un cesser le feu. Pétain désavoue officiellement le cessez-le-feu pour leurrer Hitler et autorise Auphan à prévenir Darlan du contraire. Dans la nuit du 10 au 11 novembre 1942, le général de La Porte du Theil, qui se trouvait en Algérie, rentre en France, malgré les sollicitations des personnalités civiles et militaires qu'il rencontre et qui lui demandent de rester, parmi lesquelles figure le colonel Van Hecke, responsable des Chantiers de jeunesse et résistant membre du Groupe des Cinq. Le général estime qu'il est de son devoir de ne pas abandonner sa mission auprès des jeunes de France qui lui ont été confiés. On le lui reprochera plus tard. Le 11, les troupes allemandes occupent la zone libre, où le gouvernement de Vichy perd le peu de liberté d'action qu'il lui restait (opération Attila). Toute ambiguïté est alors levée pour l'armée de l'armistice puisque l'armistice a été violé. Pétain proteste dans une allocution radiodiffusée mais ordonne à ses troupes de ne pas bouger. Seul le général de Lattre de Tassigny tente de lui désobéir mais il est arrêté. Le maréchal a reçu des assurances allemandes concernant la flotte de Toulon qui ne sera pas inquiétée si elle reste à l'ancre. A Alger, en fin de matinée, Giraud rédige une proclamation dans laquelle il affirme que l'Afrique du Nord restera française et qu'il prend, au nom du maréchal, les pouvoirs civils et militaires. Il s'installe au Palais d'Été et va déposer une couronne de fleurs au monument aux morts. Mais les Américains s'opposent à la diffusion de sa proclamation. C'est que la situation vient une fois de plus de se retourner. Darlan a reçu de l'amiral Auphan, secrétaire d'État à la marine, un télégramme confidentiel d'où il ressort que le désaveu du maréchal Pétain ne correspondait pas à ses sentiments intimes et qu'il conservait la confiance du chef de l'État. Clark remet donc l'amiral en selle et l'accord de cessez-le-feu conclu la veille entre alors en application. Toutefois, en même temps, Vichy nomme le général Noguès commandant en chef en Afrique du Nord, ce qui remet en cause le cessez-le-feu tant qu'il n'a pas reçu la confirmation de ce dernier. Clark furieux replace une garde militaire autour de la maison de l'amiral. Le général Juin réussit à convaincre Darlan de faire appliquer le cessez-le-feu en acceptant, malgré les objurgations de Clark, de repousser au 12 la décision à prendre pour s'occuper de la menace allemande en Tunisie. Le 12, tandis que l'invasion allemande de la Tunisie a commencé, Noguès refuse de serrer la main à Giraud qu'il qualifie de traître. Clark s'efforce d'obtenir de Noguès la confirmation du cessez-le-feu et l'entrée immédiate des Français dans la lutte contre les puissances de l'Axe. Il obtient satisfaction sur le premier point et une réponse dilatoire sur le second. Noguès a été blessé par les sommations pourtant respectueuses du général Béthouart à Rabat. Giraud intervient alors en disant qu'il n'acceptera jamais de faire partie d'une armée neutre et qu'il est disposé à lever un corps de volontaires pour en prendre la tête. Darlan et Noguès acceptent en pensant que cela ne peut pas indisposer les Allemands, ce corps n'étant que le pendant de la LVF (Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme) recruté en France métropolitaine. Toujours le 12, Weygand est enlevé par des SS. Il sera détenu près du lac de Constance, au Mecklembourg, puis dans le Tyrol, avant d'être libéré par le général américain Patch, le 5 mai 1945. En 1948, jugé pour sa participation au gouvernement de Vichy, son procès se terminera par un non lieu. Des parachutistes britanniques occupent l'aérodrome de Bône (est de l'Algérie) Le 13 novembre, le Groupe des Cinq fait savoir à Darlan qu'il ne peut pas accepter la neutralité de l'armée française. Giraud croise dans un couloir Noguès qui marque un mouvement de recul, alors le général Juin qui est présent s'adresse au général Noguès en ces termes : "Allons mon général, on ne peut pas en rester là! Le général Giraud ne peut pas commander un groupe franc! Il s'agit de la France! Il faut marcher tous ensemble! Je suis prêt à servir sous les ordres du général Giraud. Il faut combattre le Boche. Allons, nous sommes tous des Français, serrez-vous la main!" Noguès, sans prononcer un mot, s'approche de Giraud et la paix est faite. Arrive alors Darlan à qui l'on annonce la nouvelle : l'armée française reprend la lutte aux côtés des alliés sous le commandement du général Giraud. L'amiral ne formule aucune objection. Novembre 1942 - Février 1943 : Campagne de Tunisie - Conférence d'Anfa ou de Casablanca Le 16 novembre, en Tunisie, la 36ème brigade britannique prend le Djebel Abiod et arrive près de Beja à la fin de la journée. Des parachutistes alliés s'emparent Souk el-Arba, et avancent vers Tunis. Dans ce protectorat français, le résident général, l'amiral Esteva, le commandant des forces françaises, le général Barré et le préfet maritime de Bizerte, l'amiral Derrien, sont le 8 novembre disposés à accueillir les Américains, s'ils débarquent en Tunisie, comme peut s'en apercevoir le général Bergeret venu en liaison de Vichy. Mais aucune force alliée n'apparaîtra en Tunisie avant le 15 novembre! Entre temps, le gouvernement français de Vichy autorise les forces de l'Axe, qui guignent depuis longtemps le protectorat, ne serait-ce que pour approvisionner plus facilement Rommel à court terme, et pour satisfaire les ambitions expansionnistes de Mussolini à plus long terme, à pénétrer au protectorat pour s'opposer aux Anglo-Américains, sans que les forces françaises ne se mélangent à elles. Les Allemands commencent à débarquer le 9 à Tunis. Ils sont accueillis avec joie par les nombreux Italiens du protectorat. Mais sont isolés par les forces françaises. Conformément à un ordre du général Juin, le général Barré commence à rassembler ses troupes en un lieu favorable pour défendre la route d'Alger à Medjez el-Bab. Cette concentration n'est pas facile parce que les Allemands suivent et que l'arrière garde française doit les retarder au maximum pour que le dispositif défensif soit mis en place sans tirer un coup de fusil prématuré. On y parvient à force d'astuces en multipliant les pannes, les embouteillages et en protégeant chaque halte, prolongée autant que possible, par une barricade. Les forces de l'amiral Derrien aurait dû suivre ce mouvement de repli, mais il s'y est refusé prétendant pouvoir défendre Bizerte. Il fulmine même une proclamation farouche contre les forces de l'Axe que l'amiral Esteva lui demande de retirer en lui faisant observer que, quand on veut attaquer un ennemi, il n'est pas très malin de le lui faire savoir. Dans les jours qui viennent, Derrien et Esteva reçoivent des ordres contradictoires de Vichy et d'Alger et ne savent plus trop comment se comporter. Le général Barré, quant à lui, s'en tient aux ordres du général Juin. Le 11, les Allemands arrivent à Bizerte qui tombe le 12, sans s'être défendu, au grand désespoir de l'amiral Derrien. Le général Barré a demandé à l'amiral Derrien d'appliquer les ordres du général Juin, mais l'amiral a refusé sous le prétexte qu'il ne peut obéir qu'à l'Amirauté. Le 18, au matin, les Allemands demandent aux Français qui défendent la route de l'Algérie de leur ouvrir le passage; ils sont éconduits avec de bonnes paroles. En début d'après-midi, un ultimatum est prononcé : à 14 heures, l'armée allemande franchira le barrage par la force. En fin d'après-midi, alors que la tension est à son comble, une nouvelle tentative diplomatique allemande a lieu, au nom du maréchal Pétain, et l'ultimatum est repoussé au lendemain, à sept heures. Au moment où l'on attend l'attaque, de maigres renforts américains, munis de pièces antichars, arrivent enfin depuis l'Algérie au point de défense du général Barré. Cet apport galvanise les troupes françaises. Vers huit heures les Allemands survolent la zone. A dix heure trente cinq, ils commencent leur assaut par un violent bombardement aérien suivi d'une forte canonnade qui causent peu de pertes, les soldats français étant bien protégés. La France est à nouveau entrée en guerre contre l'ennemi de 1940 et les ordres de Vichy ne seront désormais plus pris en considération sur le terrain. De violents combats terrestres se déroulent avec des phases de résultats divers. Mais, finalement, la position reste aux mains des Français et les Allemands refluent à l'est vers les montagnes voisines. Des parachutistes britanniques parviennent sur les lieux à la fin des combats et se retirent presque aussitôt. Le 19 novembre, Hitler donne l'ordre à ses troupes d'exécuter l'opération Lila visant à s'emparer par la force de la flotte de Toulon. Au matin du 20 novembre, en Tunisie, les Français qui se trouvent en pointe dans le dispositif allemand, se replient sur Oued-Zarga que les Allemands testent sans succès de forcer le lendemain. Une offensive alliée est alors organisée avec la 78ème division britannique renforcée par 160 chars de la 1ère division blindée américaine, la Blade Force blindée britannique, et le bataillon de parachutistes, avec comme objectifs Bizerte et Tunis. Le 23 novembre le gouverneur Boisson, après avoir reçu confirmation du télégramme démentant le désaveu de Darlan par Pétain, amène l'Afrique occidentale française dans le camp allié. Le 25 débute l'offensive sur Bizerte et Tunis. Après quelques succès, elle est bloquée à Mateur (direction Bizerte) et à Djedeida (direction Tunis). Le 27 novembre, l'armée allemande se précipite sur la flotte de Toulon mais se perd dans les dédales du port, ce qui donne le temps aux marins français de saborder leurs navires, selon une directive donnée depuis longtemps par l'Amirauté; très peu de bâtiments, dont des sous-marins, réussissent à prendre le large. Hitler n'a pas plus tenu ses promesses que d'habitude, mais il a des excuses : en Tunisie le général français Barré est passé à l'action contre les forces allemandes qui tentent d'envahir le pays et surtout en Russie la 6ème armée allemande est prisonnière de sa conquête à Stalingrad encerclée par les Soviétiques, tandis que Rommel se dérobe habilement à la poursuite prudente de Montgomery sur le front égyptien pour se réfugier dans une Tunisie menacée par les forces alliées venues d'Algérie. Le général anglais, disposant d'une supériorité militaire écrasante, cherche à déborder à plusieurs reprises son adversaire, mais arrive toujours trop tard. Fin novembre, la situation militaire étant maintenant propice, le général Leclerc entreprend la conquête du Fezzan avec 3 300 hommes, dont 550 Européens, 350 véhicules et 18 avions, en coordination avec la 8ème armée de Montgomery, et le renfort de l'armée d'Algérie, entrée dans la lutte, laquelle s'empare de Ghat, proche de la frontière algéro-lybienne. Les objectifs de Leclerc sont Mizda et Tripoli, où il doit opérer sa jonction avec Montgomery. Le 10 décembre, sur le front de Tunisie, les alliés venus d'Algérie, très éprouvés, se replient sur la ligne Tamera - Sidi-N'sir - Medjez el Bab. Tout est à refaire. La conquête de la Tunisie va demander beaucoup d'efforts alors qu'elle aurait été probablement plus facile si Churchill avait été écouté. Cependant, au sud, ils s'emparent des zones montagneuses stratégiques que sont la Grande Dorsale et la Dorsale orientale avec la participation des forces françaises, pour couper la retraite à Rommel. Tous ces événements entraînent des conséquences diplomatiques. Les relations entre la France et les États-Unis sont rompues dans une ambiance qui laisse supposer aux Américains que le maréchal Pétain n'est pas aussi mécontent que cela de les voir en Afrique du Nord. Des pays d'Amérique latine vont suivre à leur tour cet exemple : le Brésil, la Colombie, l'Équateur, Pérou, le Venezuela, le Chili. Théoriquement, la France libre devrait pouvoir désormais s'installer en territoire français; mais de Gaulle a été laissé à l'écart de cette affaire et il va devoir s'imposer. Darlan reste l'interlocuteur français des alliés, pour ce qui concerne les affaires civiles, ce qui convient tout à fait à Roosevelt, lequel cherche toujours à évincer le chef de la France libre. L'amiral maintient le régime de Vichy dans les territoires qui ne se sont pas encore ralliés à de Gaulle. Il est hors de question que le général se soumette à l'amiral qui a dirigé le gouvernement d'un régime qui l'a condamné à mort! Les deux hommes ne sont d'accord que sur un seul point : ils n'ont rien à faire l'un avec l'autre! Mais Darlan est loin de faire l'unanimité, surtout dans le clan giraudiste et, le 24 décembre, il est assassiné par un étudiant monarchiste, Bonnier de la Chapelle, un ancien des chantiers de jeunesse gravitant dans l'orbite du Groupe des Cinq; le meurtrier reconnaîtra avoir agi avec la complicité de son confesseur, l'abbé Cordier, mais a-t-il décidé de passer à l'acte seul ou sur ordre? Mystère! Roosevelt condamne fermement cet assassinat; mais ce sera tout de même le général Giraud, maréchaliste, mais pas vichyste, qui aura les faveurs du président américain. Le rapprochement avec de Gaulle n'est plus impossible, mais il reste encore difficile car Giraud, même s'il privilégie son métier de militaire et n'a pas une vision bien claire de l'avenir politique de la France, garde tout de même des visées administratives. De Gaulle, quant à lui, sait que les forces de la résistance qui l'ont rejoint ne sont pas conservatrices; sans doute à son grand regret ce ne sont pas les élites d'avant guerre de la société, sauf exceptions, qui ont répondu à son appel; il a donc choisi la ligne politique d'une république sociale rénovée qui est celle de la plupart des gens qui se battent à ses côtés, une ligne incompatible avec celle de Vichy, plus ou moins inspirée par les régimes salazariste, franquiste et mussolinien. Par ailleurs, il n'est pas question pour lui de transiger avec ceux qui ont fait tirer sur les Français libres et sur leurs alliés; l'Administration de Vichy et les chefs militaires qui lui ont obéi doivent être destitués; faire preuve de mansuétude à leur égard démobiliserait une partie importante de la résistance intérieure. En décembre 1942, on l'a vu, le Brésil déclare la guerre à l'Allemagne. Cet événement permet aux États-Unis d'acheminer plus facilement des troupes vers le théâtre de guerre nord-africain, via les colonies françaises d'Afrique. Ce nouveau front n'est pas celui qu'espérait Staline, mais il n'en contribue pas moins à affaiblir les puissances de l'Axe et à soulager les forces soviétiques. En décembre 1942, la brigade de partisans Kovpak de la région de Briansk exécute une audacieuse opération contre l'important embranchement ferroviaire de Sarny (Ukraine) au cours de laquelle, il fait sauter cinq ponts sur la voie ferrée qui y mène. Le débarquement allié en Afrique du Nord améliore la situation de Malte. De décembre 1942 à mai 1943, l'île réarmée et réapprovisionnée va jouer un rôle important dans la bataille de Tunisie en privant d'approvisionnements les restes des forces de l'Axe dans ce pays. En Espagne, Franco n'en est plus à revendiquer l'Oranais algérien ou à envisager la conquête de Gibraltar mais à tenter de conserver le Maroc espagnol; plus prudent que jamais, il a écarté du pouvoir son beau-frère, Ramon Serrano Suner, partisan de l'alliance avec Hitler. Janvier 1943 : Leclerc au Fezzan - Jonction Leclerc-Montgomery Le 12 janvier, Leclerc s'empare de Sebbha, la capitale du Fezzan. Le 10 janvier, il lance le groupement Dio renforcé du peloton Alaurent sur Mizda. Le 21 janvier, Rommel abandonne la tripolitaine. Le 25 janvier, Dio arrive à Tripoli où il fait sa jonction avec la 8ème armée britannique et la 1ère division française libre qui combat à ses côtés. Le 26 janvier, Lecler rencontre Montgomery. Le prochain objectif est la ligne Mareth. Il est décidé que la colonne Leclerc, non équipée pour affronter les panzers, mais très entraînée aux opérations dans le désert, protègera le flanc gauche de l'attaque frontale anglaise, une division néo-zélandaise étant chargée de tourner la ligne par le désert. La colonne Leclerc est alors baptisée Force L. Elle va s'établir à Ksar-Rhilane. Le 2 février, Leclerc rencontre à Ghadamès le général Delay, commandant du front est-saharien des Territoires algériens du Sud; c'est la première rencontre entre les FFL et l'armée d'armistice à nouveau en guerre. Les succès de Leclerc renforcent évidemment la positon de de Gaulle auprès des Alliés. 14 - 24 janvier 1943 : Conférence de Casablanca Du 14 au 24 janvier 1943, à l'hôtel Anfa de Casablanca au Maroc, dans le secret, se tient une conférence qui réunit Churchill, Roosevelt, Giraud et de Gaulle. Staline a décliné l'invitation. Les Anglo-Américains s'efforcent de réconcilier les deux Français en tentant de subordonner le général de Gaulle au général Giraud. Évidemment, de Gaulle ne se laisse pas faire. Une photo de réconciliation, où les deux généraux français se serrent la main, est prise pour la galerie. Mais l'entente est loin d'être parfaite et il faudra tôt ou tard que l'un des deux soit évincé. Cette conférence internationale aboutit à plusieurs accords : la poursuite de l'aide à l'URSS, l'invasion de la Sicile puis du reste de l'Italie et surtout la décision d'exiger la reddition sans condition des puissances de l'Axe, une décision que Staline ne peut qu'approuver. Hitler et Mussolini n'ont plus d'illusion à se faire, il leur faudra vaincre ou périr! Pour ce qui concerne la libération de l'Europe, Churchill, fidèle à lui-même, penchait pour une action en Méditerannée, dans les Balkans ou par défaut en Italie. Roosevelt, au contraire, aurait préféré débarquer en France. Mais cela était alors impossible, les alliés ne disposant pas encore des moyens nécessaires. Les États-Unis ne pouvaient pas dégarnir le front du Pacifique où le Japon était toujours puissant et belliqueux et l'Allemagne, bien qu'affaiblie, aurait pu rejeter à la mer un débarquement mal préparé avec des forces insuffisantes, ce qui aurait prolongé la guerre peut-être de plusieurs années. C'est pourquoi le Président américain finit par se rallier au plan du Premier ministre britannique et que la Sicile fut retenue. Staline réclamait l'ouverture d'un second front afin de soulager l'Armée rouge qui supportait l'effort principal de la machine de guerre allemande. Roosevelt craignait que le maître du Kremlin ne finisse par se lasser et ne signe une paix séparée avec Hitler si, comme en 1939, celui-ci lui tendait une perche, ce qui d'ailleurs, compte tenu du nouveau contexte, était peu vraisemblable. Mais ce risque n'en était pas moins une menace importante pour la suite des hostilités du point de vue d'un Président américain qui pensait avoir besoin des l'URSS pour lutter ultérieurement contre le Japon. Aussi fut-il décidé de mettre en place un organisme, le COSSAC (Chief of Staff to Supreme Allied Commander), chargé de préparer une autre débarquement à l'Ouest, dès que ce serait possible. 18 janvier - 15 avril 1943 : Bataille de Tunisie Du 18 au 28 janvier 1943, le général von Arnim, commandant des forces allemandes du nord tunisien contre attaque avec des blindés les plus modernes contre lesquels les troupes alliés, et surtout les Français mal armés, ne peuvent rien (offensive d'Ousseltia). Les troupes du nord de la Dorsale orientale se trouvent un moment isolées. Le général Juin, conscient des difficultés que soulève l'absence d'unité de commandement, propose que les forces françaises soient placées sous commandement américain. Cette suggestion, acceptée à la conférence d'Anfa, entre en application. C'est la fin des ambitions militaires françaises pour lesquelles Giraud a tant lutté! Les forces alliées encerclées réussissent à rejoindre la Grande Dorsale, mais seul le sud de la Dorsale orientale demeure aux mains des alliés. Du 14 au 23 février, Rommel, arrivé en Tunisie, au niveau de la ligne Mareth, construite par la France, entre la mer et le massif des Matmata, contre les Italiens et démantelée par eux, profite d'un répit que lui a laissé Montgomery pour réaménager cette ligne au profit d'une partie des troupes qui lui restent et, avec les autres, il prend l'offensive vers l'ouest (Offensive de Kasserine-Thala). Il franchit la Dorsale orientale et réussit à attirer les blindés américains dans un piège où il les anéantit avant de progresser vers la Grande Dorsale qu'il atteint victorieusement. Il est sur le point de refouler en Algérie des alliés qui commencent à s'affoler. Les Américains, encore peu aguerris, s'avérant les plus vulnérables, alors que les blindés anglais sauvent la situation à Thala. Mais la progression allemande s'arrête là car Montgomery vient d'arriver sur la ligne Mareth et il lui faut y retourner pour lui faire face. C'est ce qu'espérait le général anglais Anderson, commandant des troupes alliées en Tunisie, qui disait : "Mon rôle est de tenir le putois par le nez, en attendant que Montgomery vienne lui botter le derrière." Le général allemand lance début mars une offensive contre la 8ème armée britannique en direction de Medenine, mais le rapport des forces lui est par trop défavorable. Ce dernier baroud n'est en fait que le va-tout du renard du désert qui, malade et désabusé, va bientôt rentrer en Allemagne. La présence de Montgomery en Tunisie place la 8ème armée sous l'autorité du général Eisenhower afin de mieux coordonner les efforts alliés. Le 19 février, chemin faisant, la Force L s'incorpore le Bataillon sacré du colonel Cigantès, une unité grecque valeureuse presque complètement composée d'officiers. Le 23 février, l'avant-garde arrive à Ksar-Rhilane. Leclerc fait soigneusement fortifier la position, s'appuyant sur les dunes et les rochers, camouflant parfaitement ses points de résistance et déplaçant toutes les nuits les avant-postes pour n'être pas repéré. Le 8 mars, Rommel est rappelé en Allemagne; il laisse ses troupes sous le commandement du général italien Messe. Le 9 mars, Montgomery prévient Leclerc qu'il va être attaqué et lui conseille de se replier plus au sud. Leclerc refuse car, s'il se mettait en mouvement, il offrirait une cible facile aux Allemands mieux armés que lui. Il demande à Montgomery le soutien de l'aviation britannique qui lui est accordé, moyennant quoi il estime pouvoir tenir sa position, ce dont doute le général anglais. Le 10 mars, les Allemands sont au contact; au milieu d'un paysage lunaire, ils ne voient personne; mais, lorsqu'ils parviennent à bonne distance d'un point d'appui, leurs véhicules sont brutalement détruits ou immobilisés, cependant que, depuis les airs, les avions britanniques leur mènent la vie dure; après plusieurs assauts infructueux, vers 18 heures, les assaillants démoralisés battent en retraite. C'est une éclatante victoire que Montgomery reconnaît en envoyant à Leclerc ce message laconique : "Bien joué!" Le 19 mars, le corps néo-zélandais du général Freyberg quitte Tataouine pour se diriger vers la passe d'El-Hama qui relie le désert à Gabès. La Force L couvre cette marche à l'est en avançant sur Bir-Soltane et le djebel Mélab. Pendant ce temps, les 20 et 21 mars, l'opération Pugiliste, attaque frontale de Montgomery sur la ligne Mareth, échoue; elle a pourtant porté sur un endroit jugé faible parce que tenu par les Italiens. Montgomery décide alors de déplacer son effort vers la gauche, ce qui fait des Néo-Zélandais et de la Force L, renforcés par le 10ème corps britannique et la 1ère division blindée, les éléments principaux de l'offensive. Le 23 au matin, la Force L se lance à l'assaut du djebel Mélab qui est complètement conquis en fin de journée. Le 26, les renforts étant là, Britanniques et Néo-Zélandais se précipitent sur leurs ennemis sous les yeux de Leclerc qui les observe depuis son balcon montagnard. Le 27, après avoir progressé, les alliés sont arrêtés par une violente réaction ennemie. Les italo-allemands ont compris que la ligne Mareth est tournée et que ses défenseurs seront fait prisonniers s'ils résistent trop longtemps avant de s'échapper vers le nord en longeant la côte! Le 29 mars, les Néo-Zélandais et la Force L font à Gabès une entrée triomphale. Les rescapés de l'Afrika Korps et leurs alliés italiens réussissent à refluer par la plaine côtière en marquant un temps d'arrêt à la hauteur de l'oued Akarit. Le 6 avril, Montgomery essaie en vain de les déloger; ils opposent une résistance farouche et seule la division indienne, sur la gauche, parvient à s'emparer de son objectif sur le djebel. Ils décrochent cependant pendant la nuit laissant 6 000 prisonniers presque tous Italiens. Les troupes de von Arnim, solidement installées sur la Dorsale Orientale, empêchent les forces alliées venues d'Algérie, qui ont opéré leur jonction avec celles de Libye, de leur couper leur retraite. Les combats d'arrière garde de l'Axe utilisent largement une grande variété de mines qui infligent d'horribles blessures à leurs adversaires, ce qui pousse certains d'entre eux à ne plus faire de prisonniers. Pour franchir le col de Fondouk-el-Okbi, abondamment minée, les alliés sacrifient volontairement leurs premiers chars qui sautent pour ouvrir le passage à ceux qui suivent. Ils débouchent ainsi sur la plaine de Kairouan, mais trop tard, car l'armée de Messe est déjà passée! Finalement, le 15 avril, sous les coups de boutoirs des forces alliées venues du sud et de l'ouest, les forces de l'Axe sont enfermées, au nord d'Enfidaville, dans une poche où se trouvent Bizerte et Tunis. Le COSSAC tient sa première réunion le 17 avril 1943. Il a pour mission de réaliser une opération de diversion (Cockade) visant à alléger la pression allemande sur les opérations des Alliés en Sicile et des Soviétiques sur le front de l'Est, par diverses feintes d'attaque en Europe occidentale. Les Alliés espéraient contraindre la Luftwaffe à une bataille aérienne massive avec la Royal Air Force et l'US Eighth Air Force, et obtenir ainsi définitivement la supériorité aérienne en Europe. Il doit préparer les Alliés à être prêt à libérer l'Europe en cas de d'effondrement soudain de l'Allemagne avec toutes les forces disponibles sur le moment et à dresser les plans d'un assaut massif sur l'Europe en 1944. Il est dirigé par le général britannique Frederick E. Morgan, assisté du général américain Ray Barker. 1942-1943 : L'offensive allemande vers le Caucase - Stalingrad (suite) Le 14 octobre, Hitler ordonne à ses
troupes de rester sur la défensive et de tenir bon partout où
elles se trouvent. L'armée allemandes a engagé toutes ses
réserves et elle ne peut plus ramener des forces d'autres fronts
harcelés par ses adversaires. Le haut commandement allemand s'attend
à une puissante contre-offensive russe d'hiver contre le groupe
d'armées centre.
Début novembre, l'Armée rouge prépare une opération majeure pour dégager Stalingrad. Trois fronts ont été créés : celui du Sud-Ouest (général Vatoutine), à l'ouest de Stalingrad, celui du Don (général Rokossovski), au nord de la ville, celui de Stalingrad (général Yeremenko), à l'est. Le général Vassilievski est chargé de la coordination des trois fronts. Les forces russes sont amenées en grand secret sur leurs bases de départ. Paulus ne peut pas ignorer que quelque chose se prépare, mais le Führer ne s'en doute pas! L'objectif russe de l'opération Uranus, audacieuse mais méticuleusement organisée consiste à pratiquer un double encerclement des assaillants de Stalingrad qui d'attaquants vont se retrouver pris au piège. Le cercle intérieur devra obtenir leur reddition ou les exterminer, tandis que le cercle extérieur, au moins dans un premier temps, interdira tout secours. Joukov, qui a déjà sauvé Moscou, est à nouveau l'auteur de cette remarquable manoeuvre. Le 14 novembre, ce qui subsiste de Stalingrad semble être sur le point de tomber. Mais, le 19 novembre, après une importante préparation d'artillerie, le front du Sud-Ouest et celui du Don passent à l'attaque dans des secteurs où se trouvent des forces roumaines que l'on sait moins combatives que les forces allemandes. Le lendemain, c'est au tour du front de Stalingrad d'entrer en action, ce front ayant moins de chemin à parcourir pour atteindre le lieu de jonction, fixé dans la zone de Sovietski-Kalatch, pour l'enveloppement extérieur. Le 22 novembre, Hitler ordonne à Paulus de transférer immédiatement son PC à Goumrak, en pleine zone menacée d'encerclement. Au début la progression soviétique est moins rapide que prévue mais la tenaille extérieure est refermée le 23 novembre. Le 30 novembre, Stalingrad est complètement encerclée. Une des meilleures armées allemandes est prise au piège, avec ses 330 000 combattants, dont la plupart vont périr ou être blessés, ses dizaines de généraux et leur chef, Hitler lui ayant interdit de se replier. Cependant les forces du front du Don et du front de Stalingrad (cercle intérieur) n'ont pas les moyens suffisants pour fractionner les forces allemandes et les détruire séparément. La résistance des troupes encerclées promet donc d'être longue et acharnée. Goering promet de les approvisionner par à un pont aérien, mais il n'y parviendra pas. En puisant où il peut, notamment dans
l'armée du Caucase, Hitler forme à la hâte un groupe
d'armées du Don qu'il confie au général von Manstein
avec la charge de débloquer Stalingrad (opération Tempête
d'hiver). Von Manstein prend l'offensive, le 12 décembre, avec
le groupe Hoth qui se trouve au sud, de part et d'autre de Kotelnikovo;
sur ce point, l'armée allemande bénéficie d'une certaine
supériorité numérique et son succès pourrait
avoir de graves conséquences pour les Soviétiques. Le 16
décembre, l'Armée rouge du front Sud-Ouest (cercle extérieur)
attaque la 8ème armée italienne, le groupe Hollidt et les
restes de la 3ème armée roumaine, détruits au bout
de trois jours de combat; cette opération Saturne est dirigée
sur Millerovo et Rostov. Le 12 décembre, Hoth quitte Kotelnikovo
pour aller dégager Stalinbgrad. Les 13 et 14 décembre, il
tente le franchissement de l'Aksaï près de Generalovski; sa
réussite menacerait le cercle extérieur d'être percé.
Mais il se heurte à une très vive résistance du 4ème
corps mécanisé du général Volski qui obtient
dans ces combats l'honneur d'entrer dans la Garde. Le retard causé
aux Allemands permet à la 2ème armée de la Garde d'atteindre
les bords de la Michkova avant Hoth qui, arrêté par la 2ème
armée, s'entête à franchir l'obstacle jusqu'au 23 décembre.
Le 19 décembre, les Italiens reculent devant les Soviétiques
au nord-ouest de la poussée de Hoth; von Manstein reçoit
l'ordre de transférer dans le secteur menacé les renforts
qui lui parviennent, ce qui le porte à s'installer dans la défensive,
en attendant l'arrivée de la division motorisée SS Viking
en provenance du Caucase.
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Le maréchal allemand Keitel a ordonné de fusiller tous les Français qui tomberaient entre les mains de la Wehrmacht. Les aviateurs français se distingueront à Orel, Yelnya, Smolensk... Après le franchissement du Niémen, Staline confèrera le nom de ce fleuve à l'escadrille qui s'y est illustrée; elle devient alors l'escadrille Normandie-Niémen. Ses pilotes seront les premiers Français à pénétrer en territoire allemand. L'escadrille, constamment renforcée, sera alors devenu un régiment. A la fin de la guerre, le régiment aura effectué plus de 5 000 sorties, livré 869 combats, abattu 273 avions ennemis et endommagé 80, détruit un nombre conséquent de cibles terrestres, mais aussi perdu 42 pilotes. Elle aura presque toujours combattu avec les aviateurs de la Garde. Plusieurs aviateurs français auront été décorés de la médaille de héros de l'Union soviétique. Au retour des survivants en France, le gouvernement soviétique leur fera don de leurs appareils, des Yak-3. Le 24 décembre, les conditions semblent réunies pour donner le coup de grâce à Hoth. Les Soviétiques lancent une offensive qui refoule et tronçonne les Allemands en les menaçant d'une série d'encerclements. Le 29 décembre, une tenaille russe se referme au niveau de Kotelnikovo, au sud; le 31 décembre, c'est au tour de Tormosin de tomber, à l'ouest, cependant qu'un large coup de faux parti des steppes des Kalmouks menace l'ensemble des forces allemandes. La liquidation des poches par les Soviétiques n'est pas facile, mais le déblocage de Stalingrad est devenu impossible et von Manstein en tire les conséquences : il a échoué à une cinquantaine de kilomètres du but! Lorsqu'il était si près, Paulus, pour ne pas désobéir à Hitler, s'est refusé à tenter une sortie! La voie est libre pour l'Armée rouge qui peut maintenant écraser, sans risque de surprise désagréable, les débris de la Wehrmacht enfermés à Stalingrad. En décembre 1942, la brigade de partisans Kovpak de la région de Briansk exécute une audacieuse opération contre l'important embranchement ferroviaire de Sarny (Ukraine) au cours de laquelle, il fait sauter cinq ponts sur la voie ferrée qui y mène. Ce même mois, des convois recommencent à emprunter la route du Nord sous la nouvelle dénomination de JW. A cette époque de l'année, le danger vient des sous-marins et des navires de surface. Pour se prémunir, chaque convoi est divisé en deux sections fortement accompagnées. La première section compte 16 navires escortés par 11 bâtiments de guerre. Elle arrive sans encombre le 25 décembre dans le golfe de Kola, à proximité de Mourmansk. L'escorte revient accompagner la seconde section qui comprend 14 cargos protégés par 6 destroyers. Mais elle est retardée par une violente tempête. Pendant ce temps, les Allemands, qui ont repéré le convoi, montent une opération visant à le prendre en tenaille avec leur flotte de surface, dont le croiseur lourd Hipper au nord et le cuirassé de poche Lützov au sud. Le croiseur lourd attirera à lui l'escorte, tandis que le cuirassé de poche détruira les cargos. Ce plan parfaitement combiné se déroule comme prévu. Mais, pris dans des rafales de neige et privé de visibilité, le Lützov dans l'incapacité d'identifier le convoi le laisse passer tandis que le Hipper s'en prend à l'Onslow et à l'Achates avant d'être touché et de battre en retraite derrière un écran de fumée. Le 31 décembre 1942, cette bataille navale, dite de la mer de Barents, tourne au fiasco pour la marine allemande. Hitler est furieux et menace d'envoyer la flotte allemande de surface à la ferraille. Le grand amiral Raeder le dissuade en lui démontrant que cela ne lui rapporterait rien, au contraire, question prestige. Vers la fin de l'année 1942, ayant probablement eu vent du projet Manhattan américain, l'URSS, consciente aussi des recherches allemandes en la matière, relance ses propres travaux dans le domaine nucléaire en créant des organismes adéquats avec le double objectif de percer les secrets de ce qui se développe ailleurs et de se doter d'armes au moins aussi puissantes. Après le triomphe de l'été,
l'année 1942 s'achève mal pour la Wehrmacht. Non seulement
le capital humain de l'Armée rouge semble inépuisable, mais
les Russes ont aussi gagné la bataille de la production et
le matériel qui les équipe est de plus en plus abondant,
grâce surtout au déménagement des usines vers l'Oural,
hors de portée de l'ennemi, mais aussi à la ténacité
des ouvriers proches du front : pendant le siège de Stalingrad,
dans l'usine de tracteurs de la ville, on continue à fabriquer des
chars qui partent dès que terminés au combat, jusqu'à
ce que les ateliers tombent aux mains de l'ennemi. L'apparition du T34
soviétique, un des meilleurs chars de l'époque, oblige les
Allemands à trouver une parade en créant de nouveaux modèles.
En 1942, les Soviétiques produisent 24 000 tanks alors que les Allemands
ne parviennent qu'à en fabriquer 4 900 (5 700 selon d'autres sources),
dont les modèles récents, comme le Tigre, sont certes plus
puissants, mais qui parviendront difficilement à s'imposer face
au nombre. La production a été
standardisée; il existe des armes diverses n'utilisant qu'un seul
calibre de cartouche (7,62), de la mitraillette au pistolet en passant
par le fusil! Dans le camp allemand, au contraire, le nombre élevé
de modèles de chars rend difficile l'apprivisionnement en pièces
détachées. Au surplus, les déficiences de la production
ont amené l'industrie allemande à fabriquer, à la
place de chars, des canons automoteurs blindés reposant sur des
chassis de chars allemands, tchèques ou français, montés
plus rapidement et à moindre coût. Mais ces canons sont affectés
à l'artillerie et ils ne renforcent donc pas réellement l'arme
blindée. Enfin, les Anglo-Américains sont maintenant en Afrique
du Nord, dans le dos de Rommel! Il n'est plus question de songer à
attaquer l'URSS par le sud, via le Moyen Orient!
Août 1942 - octobre 1943 : Bataille pour le pétrole caucasien En août et septembre 1942, les Allemands,
profondément enfoncés dans le Caucase, attaquent en direction
d'Ordjonikidzé et de Grozny pour s'emparer des cols qui mènent
vers Bakou. Les soldats soviétiques, assez mal armés, malgré
les chars anglais Valentine, qu'ils ont reçus via l'Iran, résistent
courageusement dans des conditions difficiles, au sein d'une région
montagneuse, dont la population ne leur est pas toujours favorable. Quelques
mots à ce propos au sujet des supplétifs soviétiques
de la Wehrmacht, déserteurs du camp soviétique pour celui
de l'Allemagne nazie. Face à la baisse de leurs effectifs, les Allemands
cherchent à enrôler les populations des territoires qu'ils
contrôlent ainsi que les prisonniers russes. Au début, ils
trouvent des auxiliaires en Ukraine et dans les Pays baltes, puis en Crimée
(Tatars) et dans le Caucase (Tchétchènes et Ingouches), parmi
les paysans mécontents de la collectivisation. Le général
Vlassov, un stalinien déçu, forme un Comité de libération
et une armée qui combat aux côtés des forces nazies.
Cet exemple n'est cependant guère suivi; les exactions et les massacres
auxquels se livrent les envahisseurs germaniques inspirent aux populations
occupées davantage de haine que d'adhésion. Les Soviétiques,
dans leur majorité, restent fidèles au régime. L'ensemble
de ces forces anticommunistes atteint dit-on 20 000 combattants. Mais Hitler
se méfie de ces troupes, dont l'existence n'a d'ailleurs pas sa
place dans son idéologie, et il en transfère un nombre important
à l'Ouest, notamment en France, pour y remplacer les troupes d'occupation
que les événements l'obligent à affecter à
d'autres fronts. La pugnacité de la résistance soviétique
vient finalement à bout de toutes les tentatives offensives allemandes.
Et, en fin décembre, le groupe soviétique Nord du front transcaucasien
prend à son tour l'offensive pour refouler l'envahisseur au nord-ouest
d'Ordjonikidzé.
A partir du 9 septembre, Novorossisk, clé sud de la Ligne Bleue, est l'objet d'attaques soviétiques terrestres et maritimes qui obligent les Allemands à s'en retirer le 16 septembre. Le dispositif défensif de la Ligne Bleue étant sérieusement ébranlé, la progression soviétique reprend, aidée par les flottes de la mer d'Azov et de la mer Noire qui procèdent à des débarquements sous la protection de l'aviation. Le 9 octobre, des éléments du front du Caucase Nord atteignent le détroit de Kertch. Les Allemands ont été chassés du Caucase et l'Armée rouge peut désormais se lancer à la reconquête de la Crimée. Fin 1942 - 1944 : Début de la reconqête américaine du Pacifique En Asie, à la fin de l'année
1942, la situation est la suivante. La décision a été
prise de donner la priorité à la guerre en Europe, malgré
les réticences de la marine américaine. Les moyens disponibles
dans le Pacifique sont donc soumis à cette contrainte. La Chine
occupe une part importante des forces japonaises; si sa défense
s'effondrait, les répercussions seraient imprévisibles; il
est donc vital de l'aider autant que possible. Le plan général
des Alliés résulte à la fois des circonstances, des
contraintes, et d'un plan déjà existant avant la guerre.
Les circonstances ont amenées les forces alliées en Australie
et aux îles Salomon; le plan Orange d'avant guerre prévoyait
une offensive dans le centre du Pacifique. Un vaste plan d'ensemble (Elkton)
d'attaque sur trois axes convergeant sur les Philippines, en direction
de la Chine, est donc conçu pour isoler et détruire les armées
japonaises implantées dans cette zone. Mais les contraintes ne permettent
pas d'envisager sa réalisation d'un seul coup. Il est donc décliné
en plusieurs plans moins ambitieux qui vont être réalisés
progressivement. Se pose alors le problème de la répartition
des responsabilités. Compte tenu du milieu où vont se dérouler
les opérations, la marine estime que l'entière resposabilité
des opérations devrait lui revenir. Mais, l'armée de terre,
c'est-à-dire Mac Arthur, ne l'entend pas de cette oreille. On met
donc en place une répartition des responsabilités qui fait
la part belle à l'amiral Nimitz tout en laissant l'autorité
entière à Mac Arthur sur les troupes sous ses ordres, marine
comprise. Trois forces d'attaque sont ainsi constituées : celle
du Pacifique Centre commandée par l'amiral Nimitz (Midway, Hawaï),
celle du Pacifique Sud (îles Salomon dont Guadalcanal), commandée
par l'amiral Ghormley puis l'amiral Halsey, sous les ordres de Nimitz;
celle du Pacifique Sud commandée par Mac Arthur (Australie). Les
objectifs américains sont jugés trop ambitieux par les Anglais
qui préfèreraient limiter les offensives Sud et Sud-Ouest
pour consacrer tous les efforts au Centre afin de pouvoir dégager
des moyens supplémentaires pour le prochain débarquement
en Europe. Mais ils seront tout de même avalisés.
Parallèlement, en août 1943, les Américains ont chassé les Japonais des îles Aléoutiennes, entre l'Alaska et le Kamtchatka (URSS). L'offensive du secteur Sud dans les îles Salomon constitue en quelque sorte une expérimentation de ce que va être la suite de la guerre dans le Pacifique : une série de débordements destinés à s'emparer des bases aériennes, suivie d'une période de consolidation de deux ou trois mois avant de passer à l'étape suivante. Une fois la conquête de Guadalcanal achevée, le 9 février 1943, la campagne commence par la prise des îles Russell, le 21 février. Les Américains avancent d'île en île en contraignant les garnisons nippones à partir ou à périr. Ils rencontrent une résistance variable suivant les lieux. La Nouvelle-Géorgie fait l'objet de plusieurs attaques de juin à août ainsi qu'à des combats terrestres et à une bataille navale dans le golfe de Kula. En octobre, c'est le tour des îles Treasury, tandis que des parachutistes de la marine prennent pied sur l'île Choiseul pour s'en replier le 3 novembre. Enfin, les marines débarquent sur l'île de Bougainville, le 1er novembre. Les contre-attaques japonaises ne parviennent pas à les rejeter et, une fois le terrain conquis assez conséquent, la construction des terrains d'aviation prévus pour bombarder Rabaul s'effectue, du 2 au 26 décembre. Entre temps, des avions américains ont abattu l'avion japonais qui transportait l'amiral Yamamoto de Rabaul à Bougainville, le 18 avril 1943. C'est une perte terrible pour la marine japonaise. La poussée américaine à travers le Pacifique Centre consiste à arracher aux forces japonaises aguerries et prêtes à se battre jusqu'à la mort toute une série d'îles coralliennes, parfois minuscules mais d'un haut intérêt stratégique, à peu près toutes semblables, avec une barrière de corail entourant un lagon dans lequel doit pénétrer l'assaillant. Il s'agit donc d'opérations répétitives qui supposent la mise en oeuvre d'une nouvelle technique d'attaque que les Américains élaborèrent, éprouvèrent puis appliquèrent. Les plateaux coralliens obligeant les bateaux à rester au large et à déposer trop loin les troupes d'assaut sous le feu de l'ennemi, un matériel de débarquement approprié est utilisé, le Buffalo, un véhicule chenillé blindé pour transporter les premières vagues jusqu'aux plages. Les îles Gilbert sont attaquées en premier. Il est décidé de se contenter de prendre les îles principales, puis d'accabler les îles secondaires sous les bombes et de les isoler jusqu'à évacuation, reddition ou destruction totale. Le 20 novembre 1943, la 2ème division des marines débarque à Betio dans le lagon de l'atoll de Tarawa. Elle s'y heurte à l'une des plus fortes résistances que les Japonais opposeront dans tout le Pacifique; les combats durent plus de trois jours, les Américains y perdent 1 000 tués et 2 000 blessés, et l'atoll devient légendaire. Après les îles Gilbert, les Américains poursuivent leur avance sur les îles Marshall plus au nord, au début de 1944, en commençant par le sud. Les marines, malgré de mauvaises conditions météorologiques, s'emparent de Roi et Namu en deux jours, et de Kwajalein en quatre jours, début février 1944. Suite à ces succès, l'attaque d'Eniwetok est avancée au 18 février. Elle s'avère plus sanglante que prévu. La garnison japonaise, plutôt que de se rendre, se fait massacrer jusqu'au dernier homme. Au début de 1944, une brèche est ouverte dans le dispositif de défense japonais. Janvier 1943 : Fin de la bataille de Stalingrad Le 4 janvier 1943, la Stavka approuve le projet d'opération Cercle qui consiste à morceler systématiquement les Allemands encerclés à Stalingrad et à les éliminer unité par unité. Le 8 janvier une offre de capitulation est communiquée à Paulus sous la menace d'anéantissement de ses troupes. Il la refuse. Le 10 janvier, l'opération Cercle commence à 8 heures par un tir d'artillerie massif. A 9 heures les troupes du front du Don passent à l'attaque. Les Allemands complètement démoralisées, commencent à se rendre parfois avec leurs généraux en tête. Le 31 janvier, Paulus, à bout de forces, capitule avec le groupe Sud de son armée. Le 2 février, le général Schreck fait de même avec le groupe Nord. Paulus, nommé maréchal par Hitler peu de temps avant, dans le secret espoir qu'il se suiciderait, est tombé vivant aux mains des Soviétiques; les militaires de la Wehrmacht (91 000 soldats, 2 500 officiers dont 24 généraux) vont connaître les douceurs de l'hiver sibérien et payer la rançon des exactions qu'ils ont commises et de la haine que leur portent les Russes. Bien peu en reviendront. Début 1943 : La résistance
à Hitler
En France, le 26 janvier 1943, sont créés les Mouvements unis de Résistance (MUR) par la fusion en zone sud des trois organisations de la résistance non communiste : Combat, Franc-Tireur et Libération-sud, lesquelles sont encore loin d'être unaniment gaullistes. Janvier - mars 1943 : Offensive
soviétique sur Koursk et Kharkov
Le 30 janvier, comme conséquence de la bataille perdue de la mer de Barents, le grand amiral Raeder démissionne. Il est remplacé par l'amiral Doenitz, un admirateur d'Hitler. Le 26 février, Doenitz donne l'ordre de rassembler les grands navires dans les eaux norvégiennes à la condition qu'ils attaquent, à l'avenir, les convois vers la Russie, ce qui va s'avérer être un autre moyen de les envoyer à la ferraille! Février 1943 : Guérilla des Chindits en Birmanie Dans la nuit du 14 au 15 février 1943, deux groupes de 2 200 et 1 000 hommes accompagnés respectivement de 850 et 250 mules, les Chindits (de chan thé, lions des temples birmans), partis des environs d'Imphal, franchissent la frontière indo-birmane et le fleuve Chindwin. Dirigés par le colonel anglais non conformiste Orde Wingate, ils s'enfoncent séparément dans la jungle montagneuse, avec pour objectif immédiat le sabotage d'une ligne de chemin de fer en plusieurs endroits, opération réussie qui sème le trouble dans les rangs japonais. A plus long terme, Wingate souhaite vérifier sa théorie selon laquelle il est possible, dans le milieu de la jungle, d'envoyer sur une longue période des troupes, en liaison radio avec l'aviation, sur les arrières de l'ennemi pour l'inquiéter et désorganiser ses voies de communications. Les deux groupes doivent se rejoindre dans un triangle au nord de la rivière Shweli et à l'est de l'Irrawaddy. Malheureusement, une fois sur place, Wingate s'aperçoit que le lieu, découvert et propice au passage de troupes motorisées, ne convient pas au genre de guerre qu'il doit mener. Il est donc amené à annuler la rencontre et à enjoindre aux membres des deux groupes de se fractionner et de regagner leur point de départ comme ils le pourront, pourchassés par les Japonais qui sont sur leurs talons afin de les exterminer. Hâves, décharnés, couverts de loques, ils sont 2 182 à revoir Imphal, mais 600 seulement seront jugés aptes à servir de nouveau. D'un point de vue strictement militaire, les dommages vite réparables causés à une ligne de chemin de fer et quelques centaines d'ennemis tués lors des accrochage sont bien peu de choses. Mais la propagande s'empare de l'affaire qui soulève l'émotion dans le monde entier, remonte le moral des troupes alliées, et se métamorphose ainsi en grande victoire psychologique. Février 1943 : Instauration en France du Service du Travail obligatoire (STO) Le 16 février, le régime de Vichy promulgue une loi assujettissant tous les hommes âgés de 21 à 23 ans à un Service du Travail Obligatoire en Allemagne (STO). Cette loi prend la suite de la Relève, laquelle n'a pas rencontré un grand succès. Elle suscite des réactions négatives parmi un grand nombre de ceux qui y sont soumis. On les appelle les réfractaires. Ils prennent le maquis en se cachant dans les forêts, les fermes et les lieux reculés, loin des villes dont beaucoup proviennent. Par petits groupes ou isolés, ils sont très vulnérables. Les mouvements de résistance déjà existants se donnent pour tâche de les rassembler et de les organiser ce qui n'est pas facile car il faut d'abord les trouver, qu'ils sont dispersés et très nombreux et qu'ils se dissimulent. Ils y parviennent tout de même et la plupart d'entre eux rejoignent la Résistance pour constituent de véritables unités militaires armées par les parachutages alliés d'armes légères, dont l'emblème reste la mitrailette Sten, dans des lieux reculés et difficiles d'accès. Ces maquis, que l'on nommera plus tard les Forces Française de l'Intérieur (FFI), sont pourchassés par l'occupant et la Milice de Vichy, issue du Service d'ordre de la Légion et dirigée par Joseph Darnand. On leur envoie quelques instructeurs Anglais et Américains. Mais la priorité des Alliés est ailleurs et ni l'armement des maquis français, ni leur instruction ne seront jamais suffisants et ils seront loin d'atteindre le niveau des Partisans yougoslaves. Ils ne s'en efforcent pas moins de nuire autant que possible à l'occupant par des attentats, et de préparer une insurrection générale pour le moment où le débarquement allié ouvrira la seconde bataille de France. Bien que bon nombre de militaires de carrière ne se sentent pas à l'aise au milieu de cette armée révolutionnaire et préfèrent rejoindre les Forces Françaices Libres (FFL), dans le maquis du Vercors, une grosse concentration s'effectue avec l'aide organisationnelle de l'Armée Secrète. Contrairement à cette stratégie de la résistance non communiste, celle du PCF, n'est pas favorable à la formation de groupes importants trop vulnérables; elle se fonde plutôt sur une implantation au coeur des masses populaires dans lesquelles il est plus facile de se fondre et qui semble plus prometteuse pour l'avenir politique; c'est une stratégie urbaine marquée par les origines du Parti; mais elle comporte ses exceptions, par exemple le maquis FTP du Limousin de Georges Guingouin, souvent en conflit d'ailleurs avec la direction de son parti. Un peu partout en Europe, à des degrés certes divers, à partir de de 1943, dans les pays occupés, les forces de l'Axe et leurs collaborateurs se heurtent à des formations rebelles, de plus en plus nombreuses et de mieux en mieux équipées qui retiennent loin des fronts de nombreux soldats. Citons quelques cas particuliers. En Belgique, pays qui, sauf dans les Ardennes, ne se prête pas à la formations de maquis, la résistance prend surtout les formes du renseignement des Alliés et de la propagande; la presse clandestine compte plus de 300 titres; en 1943, l'Armée secrète reçoit des instructions pour lever une force de 50 000 hommes destinée à passer sous le contrôle des armées alliées, tandis que le Front de l'indépendance, deuxième mouvement de résistance par importance, est chargé de la résistance civile; mais ces décisions n'auront pas de suite pratique, chaque formation de résistance agissant indépendamment des autres, pendant la phase finale de la guerre, au cours de laquelle des sabotages frappent les moyens de communications et l'industrie. Au Danemark, pays occupé sans être officiellement en guerre avec l'Allemagne, les militaires consentent à fournir des informations aux Alliés, mais se refusent à entreprendre des opérations de sabotages qui les rendraient rebelles à leur gouvernement; mais tel n'est pas le cas des civils qui passent à l'action; la riposte allemande ne se fait pas attendre : le gouvernement danois, sommé par les Allemands de condamner à mort les auteurs des attentats, démissionne, et le pouvoir passe à l'occupant; du coup, l'armée dégagée de toute allégeance envers les nouvelles autorités, passe à la résistance; une armée de 20 000 hommes est constituée pour entrer en guerre au moment décisif. En Norvège, une armée secrète (Milorg) a été créée, en 1940-1941, sous les ordres du général Ruge, mais elle n'est d'abord pas d'accord avec le SOE britannique qui souhaiterait l'entraîner dans des attentats inévitablement suivis par de violentes représailles de l'occupant; en 1943, à la suite de concessions mutuelles, les actions de sabotage se multiplient contre l'industrie et les communications terrestres et maritimes; en mars 1943, dans le cadre de la bataille de l'eau lourde, indispensable pour la recherche nucléaire, l'usine de Rjukan est détruite tandis que, au début de l'année suivante, un ferry-boat transportant 600 litres d'eau lourde est envoyé par le fond.Malgré la Résistance, le nombre des déportés économiques des pays occupés est resté très élevé. On parle d'une population déplacée du même ordre de grandeur que celle des trois siècles d'esclavage. Cette manière de se procurer une main d'oeuvre à bon compte avait déjà sévi pendant le premier conflit mondial, mais à une moins grande échelle.18 février 1943 : Proclamation de la guerre totaleLe 18 février 1943, au Sportpalast de Berlin, dans une allocution restée célèbre, le ministre de la Propagande nazie, Joseph Goebbels, se prononce en faveur d'une guerre totale, devant 14 000 membres du parti nazi qui l'applaudissent frénétiquement. Désormais le conflit devient inexpiable, surtout sur le front de l'Est. Goebbels, suite aux déboires essuyés par les forces allemandes et leurs alliés, espère redynamiser la résistance en convainquant la population allemande qu'il n'y a pas d'autre alternative que la victoire ou la mort face au bolchevisme. Avec un art consommé de la manipulation des foules, il sème l'effroi tout en laissant percer, en un savant dosage, une lueur d'espérance : les armes secrètes. Celles-ci ne relèvent pas toutes du mythe. Avant la guerre, les Allemands participaient activement à la recherche nucléaire et la perspective d'une bombe nucléaire nazie précoce hanta longtemps les Alliés. Au début de la guerre, l'Allemagne était en avance sur bien des points en matière d'armement; les mines magnétiques furent une mauvaise surprise pour les marins français et britanniques. Plus tard, arrivèrent les mines à dépression et les sous-marins électriques dont les types XXI et XXIII étaient particulièrement novateurs. Au cours de la guerre, les Allemands sont en pointe dans le domaines des fusées et dans celui des avions. Tout le monde a entendu parler des V1 et de V2. Mais qui connaît le Coléoptère, avion à décollage verticale, les différents avions à aile delta, le Daimler Benz "A" à long rayon d'action composé d'un gros appareil, accouplé avec un plus petit, chargé de finir le travail au delà du rayon d'action de son porteur, en se rendant jusqu'à la cible, la bombe planante Henschel Hs-293, la torpille air-mer Henschel Hs-294 et la fusée air-air Kramer x4, trois précurseurs des missiles futurs? Sans parler de la fusée A9, un V2 à deux étages destiné à bombarder les États-Unis, ainsi que les fusées Schmetterling et Wasserfall capables d'atteindre des altitudes de 15 000 et 16 000 mètres, ou encore l'Enzian E-1, dont la production commença de démarrer à la fin de la guerre. Ces menaces étaient prises au sérieux par les Alliés occidentaux et cela justifie sans doute les bombardements qu'ils infligèrent aux villes allemandes. Notons que les Soviétiques ne s'en prirent qu'aux villes du front et ne touchèrent par les cités de l'arrière, probablement parce qu'ils étaient dépourvus d'avions adéquats. Un parallèle ici s'impose; l'Allemagne comme le Japon, à partir du tournant de la guerre, n'attendent plus la victoire que de moyens-miracles, les uns avec les armes secrètes, les autres avec les kamikazes! En février, les partisans de la forêt de Briansk attaquent les communications du groupe d'armées Centre allemand. A peu près à la même époque, le Comité central de Biélorussie souligne la nécessité d'amener la population à se livrer à des actions de sabotage et de discréditer les nationalistes polonais "bourgeois", lire proche du gouvernement en exil à Londres, dont les bandes opèrent en Biélorussie occidentale autant contre les forces soviétiques que contre les forces allemandes. En mars 1943, outre la destruction de nombreuses voies ferrées, les partisans détruisent un pont de 300 mètres qui franchissait la Desna sur le trajet Gomel-Briansk, ce qui gênera considérablement l'armée allemande lors de la préparation de l'opération Citadelle (bataille de Koursk). Au cours de l'année, Staline se réconcilie avec l'Église orthodoxe qui se joint au Parti pour appeler les Russes à s'unir contre l'envahisseur et excommunier ceux qui collaborent avec l'ennemi. Les cours de théologie au monastère de Novodiévitchi de Moscou sont à nouveau autorisés. Réconcilié avec l'Église orthodoxe (certains disent même converti), pourfendeur des nouveaux Chevaliers teutoniques, Staline s'inscrit symboliquement dans la lignée des tsars qui ont forgé la Sainte Russie! On prétend même qu'il fait survoler Stalingrad en flammes en avion par la Vierge de Kazan (ou celle de Smolensk), ce qui serait authentifié par des témoignages crédibles. En tout cas, selon la tradition, la hiérarchie orthodoxe tombe dans l'orbite du pouvoir temporel, ce qui ne signifie pas la fin de la persécution des croyants qui s'opposent au communisme, parfois non sans une certaine complicité des dirigeants ecclésiastiques; mais en allait-il autrement sous les tsars? L'Allemagne propose à l'Union soviétique
d'échanger le maréchal Paulus contre Iakov Djougachvili.
Staline répond que l'on n'échange pas un lieutenant contre
un maréchal! Il n'aimait pas ce fils maladroit qui avait raté
son suicide par suite du refus de son père de lui laisser épouser
la femme qu'il aimait. Le 14 avril, Iakov Djougachvili meurt dans des circonstances
controversées; d'après des dossiers maintenant déclassés,
il aurait été abattu par un gardien pour refus d'obéissance.
A partir de mars 1943, les sous-marins allemands de chasseurs deviennent gibiers. L'arsenal des alliés s'est considérablement renforcé. Un nouveau type de radar permet de mieux détecter et cibler les submersibles. De plus, au lieu de les grenader de l'arrière comme auparavant, ce qui présentait l'inconvénient de perdre sa cible au moment crucial, il est désormais possible de tirer sur lui de l'avant des engins de destruction plus perfectionnés, les hérissons (hedgehogs) et les calmars (squids) qui lancent respectivement 24 bombes explosant au contact et 3 bombes destinées à exploser autour de l'U-boot. Les nouveaux navires sortis des chantiers depuis 1940 ainsi que les derniers avions ont un rayon d'action plus grand et de petits porte-avions conçus pour escorter les convois ont vu le jour. Les bateaux de transport peuvent donc être efficacement protégés tout le long du parcours. L'Atlantique devient un cimetière de sous-marins allemands dont les pertes s'accroissent dramatiquement alors que le tonnage coulé régresse (en avril, 15 sous-marins sont envoyés par le fond pour 245 000 tommes coulées; en mai, 40 sous-marins contre 165 000 tonnes; en juin, 17 sous-marins contre 18 000 tonnes... En 1941 et 1942, les Allemands fabriquaient plus de sous-marins qu'ils n'en perdaient. Est-ce encore le cas? L'Allemagne ne va plus être capable de barrer la route à l'invasion américaine de l'Europe! En avril 1943, Himmler et Schellenberg lancent les SS contre les conspirateurs de l'Abwehr. Bonhoeffer, Müller et Dohnanyi sont arrêtés. Avril 1943 : Révélation par les Allemands de la découverte du charnier de Katyn et brouille soviéto-polonaise Dès août 1941, les Allemands mettent à jour des cadavres de soldats polonais, mais ce n'est qu'au printemps 1943 qu'ils trouvent réellement le charnier de Katyn. Le 13 avril 1943, à la radio, ils dévoilent leur découverte et en font une machine de guerre contre les Soviétiques. Ces derniers nient et affirment qu'il s'agit d'un crime nazi, ce qui est plausible compte tenu de l'idéologie nazie qui considère les Slaves comme des sous-hommes et de la manière dont se comportent les Allemands en Pologne dont ils détruisent la culture et déciment l'intelligentsia. On ne saura la vérité que beaucoup plus tard : la plupart des victimes ont bien été tuées par les Soviétiques, même s'il n'est pas exclu que quelques-unes puissent être imputées aux Allemands. Les Alliés occidentaux cherchent à étouffer l'affaire pour ne pas envenimer leurs relations avec l'Union soviétique. Mais la résistance polonaise de Londres ne l'entend pas de cette oreille; le 25 avril, l'URSS et le gouvernement polonais en exil à Londres rompent à nouveau leurs relations diplomatiques; les Polonais considèrent que l'Union soviétique ne vient pas en libératrice mais seulement en "alliée des alliés" et s'efforce d'en tirer les conséquences, ce qui met la résistance intérieure polonaise fidèle au gouvernement en exil à Londres dans une situation inconfortable vis-à-vis des Soviétiques et va entraîner des incidents regrettables; pour les alliés occidentaux, Sikorski devient un allié d'autant plus embarrassant qu'il n'est pas toujours d'accord avec certains de ses subordonnés, comme Anders. Le vieil antagonisme russo-polonais refait surface à un moment particulièrement inopportun! L'URSS refuse la médiation américaine pour régler son différend avec les Polonais. Dès lors le destin de la Pologne s'assombrit. 19 avril 1943 - 30 avril 1943 : Opération Mincemeat (Hachis) Ce jour là, un sous-marin britannique, le Seraph, prend la mer et pour se rendre au large d'Huelva sur la côte de l'Espagne, un pays idéologiquement proche des puissances de l'Axe qui collabore avec l'Abwehr. Les Anglais savent qu'un agent allemand est très actif à Huelva et qu'il entretient d'excellents contacts avec les fonctionnaires espagnols. A 4h30, l'équipage, qui n'est pas dans le secret et croît à une expérience météorologique, met à l'eau le cadavre d'un pseudo officier britannique avec son gilet de sauvetage et une serviette garnie de papiers attachée à l'un de ses poignets. La marée est chargée de le déposer sur la plage, ce qui se produira comme prévu. Trois heures plus tard, un pêcheur local le découvre. Le cadavre est transmis aux espions allemands qui analysent les papiers de la serviette. Leur authenticité est reconnue. Hitler est désormais convaincu qu'un double débarquement allié est prévu, en Sardaigne et en Grèce, avec une simple opération de diversion en Sicile. 19 avril 1943 - 16 mai 1943 : Insurrection du ghetto de Varsovie Depuis l'hiver 1941, de jeunes sionistes de gauche et des communistes tentent d'organiser la résistance contre les Allemands qui condamnent à la famine les habitants du ghetto séparés de l'extérieur, et aussi contre l'administration et la police juive qui collaborent avec l'occupant dans l'espoir vain d'en obtenir pour leurs compatriotes des conditions de vie acceptables. Les déportations vers Treblinka commencent en juillet, avec la participation active et brutale de la police juive. Entre le 22 juillet et le 3 octobre, plus de 300 000 Juifs sont déportés. Les départs pour les camps s'interrompent du 3 octobre au mois de janvier 1943, pour satisfaire aux demandes des autorités juives du ghetto et des usines allemandes employant des travailleurs juifs. Le président du conseil juif, s'est suicidé pour ne pas entériner l'expulsion de ses compatriotes. La résistance, cependant, ne se fait aucune illusion, elle s'entraîne et se prépare en créant 22 unités de guérilla possédant des armes rudimentaires parfois fabriquées par elle-même. La reprise des déportations visant les 60 à 70 000 personnes encore présentes déclenche une première révolte le 18 janvier 1943. Les Allemands doivent se retirer au bout de quatre jours de combats. Le 16 février, Himmler ordonne la destruction du ghetto. La tâche est confiée au général de SS Stroop. L'insurrection générale débute le 19 avril. Les combats sont sans merci, les insurgés sachant quel sort les attend. Ils se servent des égouts, dont ils ont brisé les vannes afin d'éviter leur inondation, pour se cacher et pour circuler, et des usines allemandes comme lieux de résistance et de ravitaillement. Des maisons ont été fortifiées. Des femmes juives, un pistolet dans chaque main, tirent dans la rue, selon Stroop, sur les soldats qui ne s'y attendent pas. Le général SS met le feu au ghetto. Les combattants juifs sautent au dernier moment du haut des immeubles en flammes après avoir jeté un matelas sur la chaussée. Il faut utiliser chaque jours plus de 2 000 soldats pour les combattre. Le 8 mai les Allemands cernent le local clandestin de l'état-major insurrectionnel et tuent son chef, Mardochée Anielewicz. Le 16 mai, tout combat cesse. Les rescapés s'enfuient par les égouts et rejoignent les quelques résistants polonais qui leur sont venus en aide de l'autre côtés des murs. L'armée clandestine du général Bor-Komorowski, un antisémite notoire, n'a pas bougé et le gouvernement polonais, en exil à Londres, attend le 18 mai pour lancer un appel aux Polonais en faveur des insurgés! On estime à 7 000 le nombre de ces derniers tués et les 56 065 habitants du ghetto encore vivants sont expédiés au camp de la mort. Du ghetto, il ne subsiste qu'un champ de ruines. Janvier 1943 - août 1943 : Les réticences bulgares Sous la pression de plus en plus pressante des nazis présents sur les territoire contrôlés par le gouvernement bulgare, ce dernier est amené à mettre en oeuvre des mesures antisémites mais en reportant la déportation. Lorsque ces mesures atteignent la Bulgarie elle-même, l'opinion publique choquée s'élève à nouveau contre les persécutions. En mai 1943, le roi, qui partage l'émotion populaire, refuse la déportation des Juifs, arguant à un Hitler furieux qu'il a besoin de cette main d'oeuvre pour le nettoyage des rues. A peu près à la même époque, Boris III, prévoyant la défaite allemande, entre en contact avec des diplomates américains. Le 14 août 1943, Hitler, irrité par l'inaction bulgare, convoque Boris III à son quartier général. Il lui rappelle tout ce que son pays a gagné sans tirer un coup de fusil, grâce aux victoires de l'Allemagne, et lui ordonne brutalement d'entrer en guerre immédiatement sur le front russe. Le tsar bulgare refuse mais sort abattu de cet entretien. Il regagne par avion son pays où il décède brusquement, sans aucun symptôme de maladie, le 23 août 1943, après de violents vomissements, à l'âge de 49. La version officielle imputera la mort à une attaque cardiaque expliquée par le stress que le dictateur allemand lui a fait subir. Mais l'opinion publique pensera que son roi a été empoisonné par ordre du Führer. 22 avril 1943 -13 mai 1943 : Bataille pour Tunis et Bizerte Au mois d'avril, sur le front tunisien, la situation est la suivante. Les forces de l'Axe sont encerclées dans un espace qu'elles ont eu le temps de fortifier. Elles ne peuvent plus attendre aucun secours de la mer, ni pour être ravitaillées, ni pour être évacuées. D'ailleurs, Hitler leur ordonne de tenir. La marine britannique a repris le contrôle de la Méditerranée et l'aviation alliée, qui peut désormais s'envoler des aéroports de la plaine tunisienne au lieu de venir de la lointaine Algérie, a chassé les avions de l'Axe du ciel. Le long du front, le sud est tenu par les forces italiennes du général Messe; les restes de l'Afrika Korps occupent la charnière entre le front sud et le front ouest; ce dernier est défendu par les forces du général von Aerst, le général von Arnim étant devenu le général en chef des forces de l'Axe en Tunisie. En face des Italiens au sud, se trouve la 8ème armée de Montgomery, flanquée à gauche par les troupes du général Leclerc, qui seront rejointes par la 1ère division française libre (de Larminat) après la bataille; en face de l'Afrika Korps et du massif du Zaghouan, le 19ème corps d'armée français (général Koeltz); à l'ouest, face à Tunis, la 1ère armée britannique et plus au nord, face à Bizerte, le 2ème corps d'armée américain et des unités françaises. Le général Alexander veut frapper droit sur Tunis, s'emparer au plus vite de la capitale, puis se rabattre vers le nord et le sud pour éliminer les forces de l'Axe, placées entre le marteau et l'enclume (opération Vulcain), puisque attaquées de front et sur leurs arrières. Pour assurer la réussite de ce plan, il réorganise les forces alliées en prélevant les meilleures unités de la 8ème armée, qui viennent rejoindre le 9ème corps (général Horrocks) de la 1ère armée au point d'attaque principal. Il tente aussi de tromper l'ennemi en l'incitant à penser que son offensive va porter sur la charnière, c'est-à-dire sur l'Afrika Korps et le massif du Zaghouan. Une première action, qui vise à déborder les puissantes défenses ennemies de la vallée de la Medjerda, au sud de l'attaque principale, est déclenchée; les Anglais se heurtent à la 10ème division de panzers; de violents combats se déroulent du 22 au 30 avril; les Allemands reçoivent le renfort des 21ème et 5ème division de panzers; les Anglais doivent se replier, mais ils ont remporté une petite victoire stratégique en attirant à eux les blindés ennemis. Le 4 mai à midi, les Français passent à l'attaque en direction de Pont-du-Fahs (division d'Oran), du massif du Zaghouan (division du Maroc) et du djebel Leri (division d'Alger); ils progressent lentement face à la ferme contenance de l'Afrika Korps qui domine leur approche depuis un sommet qui permet d'apercevoir leurs moindres mouvements, mais ils accréditent la thèse d'un assaut à cet endroit. Le 5 mai, une seconde attaque se produit au nord de la Medjerda pour sécuriser le flanc gauche de l'attaque principale. Cette dernière part le 6 mai, à 3 heures, par une nuit sans lune, bientôt éclairée par les tirs de 400 canons et les bombardements d'une nuée d'avions. Les forces de l'Axe surprises sont enfoncées. A 11 heures, les 6ème et 7ème divisions blindées passent par la brèche et foncent en direction de Tunis où elles entrent le 7 mai, à 15 heures, au milieu d'une foule en liesse. Pendant ce temps au nord, l'ennemi a décroché, dans la nuit du 2 au 3 mai, sous la pression du 2ème corps américain et celle des troupes françaises (1ère et 2ème DIUS, corps franc d'Afrique, 2ème groupe de tabors marocains et bataillon de fusiliers-marins); les Allemands essaient de résister sur les hauteurs entre Tébourba et Mateur, mais le coeur n'y est plus et le 7 mai, à 16 heures, Bizerte tombe aux mains des alliés. Le 8 mai, la radio allemande annonce hypocritement que l'Afrique du Nord, ne présentant plus aucun intérêt stratégique, elle va être abandonnée, et mensongèrement que les 30 000 Allemands et les 31 000 Italiens qui y restent seront évacués par la mer; en fait, très peu de soldats parviendront à s'échapper, mais les Allemands réussiront à sauver quelques chefs, des collaborateurs, et ils obligeront l'amiral Esteva à les suivre; 250 000 prisonniers resteront aux mains des alliés! Le même jour, la 6ème division blindée britannique pivote vers le sud, pour couper la route du Cap Bon à une éventuelle retraite des forces de l'Axe, puis rejoindre les arrières des Italiens de Messe; elle est retenue en échec pendant deux jours dans les défilés par les restes de la division Hermann Goering, solidement retranchés et bien pourvus d'armes antichars. Toujours le 8 mai, le groupement blindé français Le Couteulx déborde le massif du Zaghouan par le nord-est; le 9 mai, sur ordre du général Alexander, le général Koeltz tente de couper la retraite aux restes de l'Afrika Korps en contournant au plus près par le nord le massif du Zaghouan avec la division d'Oran; celle-ci est bloquée par les Allemands. Le 10 mai au soir, la 6ème division blindée est à Hammmet, verrouillant ainsi le cap Bon. Le 12 mai, elle atteint le dos de l'armée ennemie qui fait face à la 8ème armée de Montgomery; un feu intense s'abat sur les troupes encerclées; lorsqu'il cesse, une marée de drapeaux blancs submerge les positions italiennes. Le 11 mai, le général Boisseau dégage la route de la division d'Oran; la route Tunis-Zaghouan est atteinte; la division Pfeiffer, qui retenait la division du Maroc dans le massif du Zaghouan, se rend. Le 12 mai au matin, le 19ème corps français dénombre 20 000 prisonniers (le lendemain, ils seront 34 500) et 30 canons. Les 12 et 13 mai, les redditions d'officiers supérieurs s'intensifient et, à 13 heures, le général Alexander annonce à Churchill la fin de la campagne de Tunisie. Désormais, il n'y a plus de forces de l'Axe en Afrique et les alliés peuvent préparer l'invasion de l'Europe. L'armée française est réorganisée et rééquipée en matériel américain moderne grâce à la bonne entente qui règne entre le général Giraud et Roosevelt. Le général français n'obtient toutefois pas tout ce qu'il espérait, pour l'armée de terre l'équipement de douze divisions et pour l'armée de l'air 500 avions dont 250 de chasse. Il doit se contenter de huit divisions, dont trois blindées, et de 21 groupes aériens dont 12 de chasse. L'armée française d'Afrique se recrute en forte proportion dans la population européenne et en proportion plus faible parmi les autochtones dont cependant beaucoup s'engagent. Arrivent aussi des Français de métropole, environ 30 000, qui n'hésitent parfois pas à risquer les geôles de Franco pour atteindre l'autre rive de la Méditerranée. Et même d'anciens combattants espagnols républicains dont certains, ceux de la compagnie Nueve de Leclerc, seront parmi les premiers à entrer dans Paris. Les intrigues américaines autour du général Giraud relèguent pourtant quelque temps Leclerc en Tripolitaine, d'où il revient pour former la 2ème division blindée, au Maroc, avec de l'armement américain et la sympathie du général Patton dans l'armée duquel il combattra en Normandie après le débarquement, avec l'accord d'Eisenhower et de Washington. Le 15 mai, Staline dissout le Komintern afin de faciliter l'alliance des résistants communistes et non communistes dans les pays occupés par les troupes allemandes. Le 27 mai 1943, se tient la première réunion du Conseil National de la Résistance. Non sans discussions, l'émissaire du général de Gaulle, Jean Moulin, est parvenu à rassembler les mouvements de résistance, partis politiques et syndicats, qui luttent en métropole et à en prendre la tête. Si le PCF reste autonome, il reconnaît comme les autres l'autorité du général de Gaulle. Une Armée secrète est créée avec à sa tête le général Delestraint, désigné par de Gaulle. Ce dernier en sort renforcé par rapport au général Giraud et aux Américains. Le 30 mai 1943, il rejoint Alger; le chef de la France libre est enfin en terre française! Malheureusement, le 21 juin, Jean Moulin est arrêté à Calluire par la Gestapo de Klaus Barbie. Atrocement torturé, il meurt sans avoir parlé, à Metz, le 8 juillet, dans le train qui le conduit en déportation. Georges Bidault le remplace à la tête du Conseil National de la Résistance qui ne se contente pas de préparer les combats de la Libération, mais prépare également les mesures sociales et politiques à prendre après la chute du régime de Vichy. Le 3 juin 1943, est créé le Comité français de libération nationale résultat de la fusion du Comité national français de Londres (succédant lui-même au Conseil de défense de l'Empire), dirigé par le général de Gaulle, et du Commandement en chef français civil et militaire d'Alger du général Giraud, afin d'unifier l'effort de guerre français et de préparer la Libération avec la participation de l'Armée française. Le général Giraud y est chargé des problèmes militaires et le général de Gaulle des compétences diplomatiques, économiques et politiques. Le CFLN considére d'emblée le régime de Vichy comme illégitime et non avenu; il exercera la souveraineté française sur l'ensemble des territoires libérés. En juin 1943, après plusieurs manifestations populaires et une mutinerie de l'armée de terre, l'amiral Robert, haut-commissaire aux Antilles françaises et en Guyane, nommé par Daladier, encore fidèle à Vichy, et qui a louvoyé comme il a pu pour préserver les intérêts français face aux pressions américaines, jette l'éponge et demande, par l'intermédiaire des États-Unis, que le CFLN d'Alger lui envoie un remplaçant. Ce sera M. H. Hoppenot qui arrivera le 14 juillet. Les Antilles rentrent dans la guerre, comme leur population le souhaitait depuis 1940, avec les restes de la flotte française qui s'y trouvent (porte-avions Béarn, croiseur Emile-Bertin, croiseur-école Jeanne d'Arc...) dont les Allemands exigeaient le sabordage, et avec les 300 tonnes d'or de la Banque de France qui y avaient été mises en sécurité le 21 juin 1940. Le 4 juillet, le général Sikorski, de retour du Moyen Orient, meurt, peu après son décolage de Gibraltar; l'avion qui le ramenait en Angleterre s'abîme en mer. Les causes de cet événement tragique n'ont jamais été totalement élucidées, ce qui favorise l'hypothèse d'un complot. D'autant que le pilote, seul rescapé, portait un gilet de sauvetage, ce qui est inhabituel. Mais si complot, il y a eu qui l'organisa? Les Anglais, le NKVD, les Allemands, une fraction dissidante de la résistance polonaise? Pour beaucoup de Polonais de Londres, c'est évidemment le NKVD! Les succès de la résistance soviétique entraînent une vive riposte de la part des Allemands au printemps et à l'été 1943. Les forêts de Briansk sont envahis par 60 000 soldats vert-de-gris; les populations civiles subissent de lourdes représailles. Mais cela ne sert à peu près à rien, sinon à augmenter la haine des victimes contre leurs bourreaux. Voici la progression des opérations des partisans soviétiques contre les voies de communications allemandes : en février : 500 attaques; en mai : 1 045; en juin : 1060; en juillet : 1460. Derrière le seul groupe d'armées Centre, les résistants font sauter 44 ponts et endommagent 298 locomotives et 1 223 wagons pendant le seul mois de juin. Juillet-août 1943 : La Bataille de Koursk (opération Citadelle) Durement affectée par l'échec subi à Stalingrad, l'armée allemande limite ses ambitions pour 1943 à la réduction du saillant de Koursk (5 juillet - 23 août 1943); elle tombe en fait dans le piège qui lui est tendu par Joukov qui, grâce aux informations transmises par des résistants allemands antinazis, dont quelques militaires, connaît les intentions de l'ennemi. Juste retour des choses, Hitler a induit Staline en erreur pour décapiter l'Armée rouge, et c'est maintenant l'Armée rouge qui reçoit de membres de la Wehrmacht de précieux renseignements qui lui permettent d'agir avec une efficacité maximale. Les Soviétiques aménagent à
la hâte plusieurs lignes de défense capables d'absorber et
d'user le premier choc; de nombreux civils participent aux travaux. Ils
rassemblent dans ce secteur un matériel militaire considérable
en chars et en canons, ainsi qu'une impressionnante flotte aérienne;
ils amènent en grand secret sur les flancs du saillant des forces
largement supérieures aux effectifs allemands; ces forces sont chargées
de contre attaquer les assaillants lorsque ceux-ci seront épuisés.
De leur côté, les Allemands amassent pour l'assaut d'énormes
forces afin que leur succès ne soit pas douteux. Il faut à
tout prix que la Wehrmacht redore son blason après Stalingrad! Le
1er mars 1943, Heinz Guderian, rappelé par Hitler, est nommé
au poste sur mesure d'inspecteur général des troupes blindées,
poste qui dépend directement du Führer. Il a la haute main
sur l'ensemble des unités blindées, qu'elles dépendent
de la Wehrmacht ou des SS; il s'occupe aussi de la conception des
blindés et de leur production, en travaillant en relation avec Albert
Speer et les responsables des industries d'armement. La production allemande
a doublé entre 1942 et 1943; elle atteint 11 900 à 12 000
unités en 1943, avec de nouveaux modèles prêts à
affronter les T34. Guderian, cependant n'est pas favorable à une
offensive cette année là. Il préférerait reconstituer
à 400 chars l'effectif des divisions de blindés qui sont
encore à cours de matériel, afin d'attaquer en force un peu
plus tard. Mais Hitler a besoin de remonter rapidement le prestige allemand
car il commence à redouter la défection de ses alliés.
Malgré toutes les ressources dont dispose encore l'Allemagne elle
n'est plus capable d'aligner sur le champ de bataille autant d'hommes,
de chars, de canons et d'avions que l'Armée rouge.
La stratégie soviétique est un modèle de bataille défensive préparant une contre attaque décisive. Elle oppose dans la poche au nord de Koursk le front du Centre (général Rokossovski) aux soldats allemands de Model, et au sud de Koursk le front de Voronej (général Vatoutine) à von Manstein. Mais, toutes les forces russes ne sont pas dans la poche et les combats qui s'y livreront ne seront pas aussi inégaux que les chiffres pourraient le laisser penser. Les Russes ont gardé en réserve le front de la Steppe (général Koniev) à l'est de Koursk. D'autre part, de l'autre côté des zones d'Orel et de Kharkov, qui vont devenir à leur tour des poches allemandes dans le dispositif russe, si tout se passe selon le plan de la Stavka, au nord et au sud du saillant de Koursk, le front de l'Ouest pour Orel et le front du Sud-Ouest pour Kharkov sont prêts à passer à l'attaque quand le moment d'écraser l'ennemi dans ces poches sera venu. La coordination des fronts est assurée sur place par le maréchal Joukov et le maréchal Vassilewski. Les Allemands vont essayer d'attaquer par surprise en tenaille, du nord et du sud en direction de Koursk, pour encercler et détruire les forces soviétiques à l'ouest de la ville. Mais le 5 juillet, à 2h20, ce n'est pas l'assaillant qui ouvre le feu le premier, c'est l'assailli, comme par défi et pour faire savoir à l'adversaire que ses desseins sont parfaitement connus de l'état-major soviétique. Les forces allemandes essuient des pertes assez lourdes pour que leur attaque soit légèrement différée et réorganisée. A 4h30, soit une heure et demi après
l'heure initialement prévue, Model lance son attaque. Elle se heurte
à une résistance acharnée; au cours des combats des
5 et 6 juillet, les Allemands avancent de 10 kilomètres au prix
de 25 000 tués, de 200 chars et de 200 avions détruits sans
parler d'une bonne partie de leur artillerie et de leur matériel.
Le 7 juillet, les Allemands ayant échoué dans la direction
d'Olkhovatka, ils tentent de passer par Ponyri; par cinq fois ils se lancent
à l'assaut et sont repoussés; le 8 juillet, des artilleurs
soviétiques, qui n'ont plus que trois canons, attendent que les
chars soient à 700 mètres pour en détruire dix-sept;
les Allemands renouvelant leur attaque, ils leur en démolissent
deux de plus; les Allemands se retirent pour revenir trois heures après,
il n'y a plus de batterie et les derniers servants gisent dans leur sang,
tués par un coup direct. Le 10 juillet, Model a engagé la
totalité de ses forces sans résultat définitif. Ses
pertes sont telles qu'il est contraint de passer à la défensive.
Au sud, l'effort est d'abord porté par Hoth sur Oboïan. Mais les défenses sont solides et des renforts blindés y parviennent dès la nuit du 5 au 6. L'aviation soviétique appuie avec vigueur les forces terrestres et s'impose elle aussi dans les airs; le lieutenant Gorovetz abat neuf avions allemands avant d'être tué à son tour. Les Allemands, après leur échec en direction d'Oboïan, tentent de tourner Koursk par Prokhorovka avec leurs meilleures troupes, les mieux armées, dont les SS. Vatoutine, avec l'accord de la Stavka, prépare une contre-attaque avec des unités de la Garde. Le 12 juillet, dans la plaine de Prokhorovka, se déroule la plus grande bataille de blindés de l'histoire, en une mêlée inextricable, en des combats titanesques, où des chars russes, plus légers mais aussi plus rapides et plus maniables que les puissants chars allemands, se jettent à pleine vitesse sur ces derniers pour les éperonner et les immobiliser, tout cela au milieu des flammes des véhicules incendiés et d'un tintamarre d'enfer. Les Allemands perdent ce jour là plus de 350 chars et 10 000 officiers et soldats pour un gain de 30 à 40 kilomètres. Mais ce jour là aussi, les fronts de Briansk et de l'Ouest passent à l'offensive contre la poche d'Orel. Le 16 juillet, la Wehrmacht bat en retraite protégée par une forte arrière garde. Le 19 juillet, le front de la Steppe se met à sa poursuite. Le plan soviétique, minutieusement et prudemment préparé, s'exécute comme prévu. Le 23 juillet, les forces allemandes sont rejetées sur leurs positions de départ. Mais ce n'est pas fini, le 26 juillet, les Allemands se retirent de la poche d'Orel où les Soviétiques entrent les 4 et 5 août. Du 24 juillet au 2 août, une période de calme relatif règne au sud du saillant de Koursk. Manstein ignore ce que trament ses adversaires et quelles sont leurs forces. La surprise est totale lorsque les Soviétiques s'emparent de Bielgorod le 5 août. Le 22 août, proches de l'encerclement, les forces allemandes quittent Kharkov. Le 23 août, les Soviétiques reprennent Kharkov et menacent maintenant l'aile sud du front allemand. Au cours de la bataille de Koursk-Orel s'illustre l'escadrille franco-russe Normandie. L'état-major central de la résistance avait élaboré un plan pour faire attaquer les chemins de fer par les saboteurs et les partisans, ces deux fonctions étant séparées dans les forces de la résistance soviétique. Ce projet de Guerre du rail visait à disloquer les communications allemandes sur les territoires occupés par la destruction de centaines de milliers de rails en un court laps de temps. L'activité des partisans contribua au succès d'Orel. Entre le 23 juin et le 3 août, ceux de sa région avaient fait sauter plus de 10 000 rails paralysant ainsi les trains allemands qui devenaient des cibles faciles pour l'aviation soviétique. Les partisans ukrainiens avaient également fait dérailler un millier de trains de ravitaillement au cours des mois de juillet et d'août facilitant ainsi la réduction de la poche de Kharkov. L'offensive allemande a permis de conquérir provisoirement un peu de terrain, mais c'est au prix de la destruction quasi totale de son arme blindée. Les affrontements ont été féroces et meurtriers. A l'issue de la bataille, le sort en est jeté : l'Allemagne a perdu la guerre et elle ne pourra plus que contenir la poussée d'une Armée rouge qui ne cessera de progresser jusqu'à Berlin. La Wehrmacht va donc reculer, mais en détruisant systématiquement tout ce qu'elle est obligée d'abandonner : les destructions planifiées s'ajoutent aux ruines causées par les combats pour ne laisser aux vainqueurs qu'un désert de cendres. Les nazis, apôtres de la guerre totale, savent très bien que cette manière de procéder va attirer sur le peuple allemand une vengeance terrible de l'Armée rouge, mais ils espèrent que cette perspective galvanisera leurs troupes. Le 12 juillet 1943, un Comité national pour une Allemagne libre (Nationalkomitee Freies Deutschland) est constitué à Krasnorgosk, près de Moscou, sous la direction de l'écrivain allemand exilé Erich Weinert, ayant pour adjoints le lieutenant Heinrich Graf von Einsiedel et le major Karl Hetz, avec pour objectif de déclencher une révolte en Allemagne visant le retour aux frontières de 1937. Ce Comité comprend trente-huit membres, dont vingt-huit prisonniers de guerre et dix communistes exilés. Des officiers et soldats allemands prisonniers s'y enrôleront ultérieurement. 11 juin 1943 - 9 septembre 1943
: Conquête de la Sicile (opération Husky) - Chute de
Mussolini - Invasion du sud de l'Italie
Le 11 juin 1943, les îles de Pantelleria et Lampedusa sont facilement conquises par les forces alliées sur les puissances de l'Axe, en prélude à l'attaque de la Sicile. Le 10 juillet, les forces alliées débarquent au sud-est de la Sicile. Elles bénéficient de l'effet de surprise, puisque, grâce au succès de l'opération Mincemeat, on les attend en Sardaigne, et en Grèce où l'action de la résistance s'accentue opportunément! Cet effet de surprise est accentué par la météo qui a obligé les flottes à s'approcher de l'île pendant une tempête. L'ensemble de l'opération est dirigé par le général britannique Alexander. La 8ème armée britannique, sous les ordres du général Montgomery, prend pied à l'est de l'île et de la presqu'île de Pachino ainsi que dans le golfe de Noto; à sa droite débarquent les Canadiens commandés par le major-général Crerar, à l'ouest de la presqu'île; plus à l'ouest, c'est la 7ème armée américaine, sous les ordres du général Patton, qui attaque Licata, Gela et Scoglitti. Les Américains, sur leur demande, ont obtenu de l'armée française le 4ème Tabor marocain dont l'efficacité dans les combats de montagne a été appréciée : la Sicile est montagneuse. Les débarquements sont précédés de lâchés de parachutistes sur les arrières de l'ennemi qui ne répondent pas au succès escompté. Les parachutistes ne tombent pas toujours aux endroits prévus et sont largement dispersés. Ils n'en joueront pas moins un rôle utile en harcelant les troupes de l'Axe, ce qui contribuera à les désorganiser et à les démoraliser. A l'Armada alliée, qui bénéficie de la supériorité numérique, s'opposent une dizaine de divisions italiennes, mal équipées et démotivées, soit un effectif d'environ 200 000 hommes, dirigés par le général Guzzoni, sans illusion sur l'ardeur guerrière de ses hommes, dont la plupart sont Siciliens et beaucoup sont hostiles à Mussolini. Mais cette troupe médiocre est accompagnée par d'excellents soldats de l'armée allemande, la 15ème division de Panzergrenadier (à l'ouest de l'île) et surtout la division d'élite Hermann Goering (au centre de l'île), comportant quelques 50 000 combattants. Les Anglais débarquent sans trop de difficultés et marchent en direction du nord, le long de la côte est, avec pour objectif final la prise de Messine. Syracuse est atteinte en fin de journée. Mais à Gela, Patton se heurte à une contre-offensive italienne qui est repoussée, puis à une seconde contre-offensive allemande plus violente menée par la division Hermann Goering. Les blindés Allemands quoique gêné d'avoir à combattre dans des oliveraies, un terrain peu propice, sont avantagés par le manque de chars américains qui n'ont pas pu débarquer sur les plages en raison de l'état de celles-ci. Les déboires essuyés par les parachutistes expliquent en partie la vigueur ennemie. Les Américains, retardés, progressent néanmoins et parviennent à réaliser leur jonction avec les Canadiens à Raguse, le 12 juillet. Cependant, les Allemands font mouvement depuis leur position d'origine pour se replier sur le carrefour routier stratégique d'Enna, afin de retarder l'avance alliée et de permettre à leurs unités de battre en retraite afin de se rembarquer pour l'Italie au nord-est de l'île. Les 1ère et 2ème brigades canadiennes sont diriger vers le centre de l'île pour barrer la route aux ennemis en retraite et les empêcher de dynamiter les ponts et les routes dont la destruction retarderait les troupes motorisées alliées. Le 13 juillet, Américains et Britanniques se rencontrent au sud de Vizzini; Alexander, donne la priorité aux Britanniques pour filer sur Messine, ce qui choque les Américains. Le lendemain, Patton crée pour la conquête de l'ouest de l'île un corps provisoire commandé par le général Keyes. Le 16 juillet, Alexander autorise Patton à se lancer en direction de Palerme, au nord de l'île. Le match entre Américains et Britanniques pour la conquête de Messine est lancé! Tandis que Montgomery piétine dans la plaine de Catane face à une résistance allemande acharnée, Patton s'empare de Palerme le 22 juillet. De là, il fonce vers l'est, en longeant la côte nord de l'île, en direction de Messine. Il atteint San Stefano le 31 juillet. De là, il déborde les Allemands par la mer et entre à Messine avant Montgomery le 17 août. On dit que la Mafia sicilienne aurait aidé les Américains à envahir la Sicile. Les Services secrets de l'US Navy (l'ONI) aurait utilisé le gangster Lucky Luciano, alors en prison, pour contrecarrer d'éventuelles entreprises de l'Axe visant les docks de New-York dont les syndicats étaient aux mains de l'organisation criminelle. Pour ce qui concerne la Sicile, d'après l'intéressé lui-même, son rôle se serait borné à permettre aux Américains d'obtenir quelques informations sur l'île. Ce qui est sûr, c'est qu'il a été libéré avant terme et que les États-Unis et leurs alliés italiens se sont servis de la Mafia après la guerre pour lutter contre l'influence communiste grandissante en Sicile, notamment en s'opposant à une réforme agraire réclamée par une partie de la population, en employant des moyens qui relèvent de l'assassinat politique. Du 17 au 24 août, se tient la conférence de Québec (Quadrant) entre les gouvernements britannique et américain, à la citadelle de Québec et au château Frontenac. Les délégations sont dirigées par Churchill, Roosevelt et Mackenzie King (Canada). Les Alliés décident d'intensifier les bombardements sur l'Allemagne et de poursuivre la concentration des forces américaines et britanniques afin de libérer la France. L'objectif prioritaire en Méditerranée vise à accroître les forces alliées dans la péninsule italienne, afin de contraindre l'Italie à capituler. On commence néanmoins à envisager un débarquement en Provence qui précèderait celui du Nord-Ouest et servirait de diversion. En marge de la conférence, Churchill et Roosevelt signent secrètement l'accord de Québec intégrant le programme nucléaire britannique Tube Alloys au projet Manhattan. Dans les Balkans, il est décidé de ravitailler la résistance en armes et munitions, mais sans projet de débarquement, les Américains soupçonnant les Anglais de visées politiques inavouables. Pendant ce temps, le vent est en train de tourner en Italie, lasse de la guerre. Le 17 juillet, Mussolini a rencontré Hitler à Feltre. Subjugué une fois de plus par le Führer, il n'a pas osé lui annoncer que l'Italie souhaitait se retirer de la guerre. Un complot se noue au sein du Grand Conseil fasciste entre des dirigeants de premier plan. Le 24 juillet, à l'instigation de Grandi, un des chefs fasciste de la première heure, le Duce est privé de ses pouvoirs militaires qui sont transférés au roi. Mussolini, accablé, reste sans réaction. Le roi, qui y tenait, détient désormais les moyens constitutionnels de l'écarter du pouvoir avec l'appui des militaires et d'une fraction notable du parti fasciste. Le 25 juillet, il est mis en état d'arrestation à la suite d'un entretien avec le monarque. Ce dernier charge le maréchal Badoglio de former un nouveau gouvernement. La chute du dictateur est accueillie avec joie par l'opinion publique italienne. Le 26 juillet, les Alliés décident de débarquer en Italie du sud, malgré les réticences américaines, pour éliminer le danger de la présence allemande dans cette région stratégique. Le 3 août, le nouveau gouvernement italien entre en pourparlers secrets avec les Alliés par l'intermédiaire de l'ambassade britannique à Lisbonne. Mais les Italiens feignent de vouloir poursuivre la lutte pour ne pas alarmer Hitler. Celui-ci, cependant, n'est pas dupe et, à partir du 6 août, les troupes allemandes déferlent sur l'Italie du nord tandis que celles qui se trouvent au sud sont invitées à se replier vers le nord. Ribbentrop se rend auprès du nouveau ministre des Affaires étrangères italien. Le 15 août, un plénipotentiaire italien s'entretient avec l'ambassadeur anglais à Madrid; une seule porte de sortie est ouverte, celle de la capitulation sans condition! Le 30 août, Rudolf Rahn, nouvel ambassadeur du Reich à Rome, est reçu par le roi qui lui affirme que l'Italie ne capitulera pas. Le 3 septembre, un armistice secret est signé. Le même jour, anniversaire de l'entrée en guerre de la Grande-Bretagne, la 8ème armée britannique traverse, en camions amphibies (DUKW ou canard), une nouveauté américaine, le mince détroit de Messine et entre en Italie (opération Baytown), dans les environs de Reggio, à la pointe de la botte, sans rencontrer de résistance; au contraire, des soldats italiens l'aident à décharger les bateaux. Toujours le 3 septembre deux autres convois quittent l'Afrique du Nord pour Salerne et Tarente. Le 8 septembre, les Alliés (Américains et Britanniques) débarquent à Salerne, au sud de Naples (opération Avalanche). Un autre débarquement de la 8ème armée britannique s'effectue au niveau du talon de la botte afin d'occuper l'important port de Tarente (opération Slapstick). Ce même 8 septembre, à 18h30, Eisenhower rend publique la signature de l'armistice prenant à dépourvu le gouvernement italien qui n'attendait pas cette annonce avant le 12. Le pouvoir romain est plongé dans un profond désarroi. Dans la nuit du 8 au 9, la peur au ventre, les nouveaux dirigeants s'enfuient de la capitale, toujours occupée par l'armée allemande, en emmenant le roi, dans la plus grande confusion, et sans donner d'autre consigne que de ne pas tirer sur les Alliés, pour s'embarquer sur la corvette Baïonetta et gagner Brindisi. Au matin du 9 septembre, le général Utili informe les officiers présents de la dissolution de l'état-major et leur ordonne de rentrer chez eux, de se mettre en civil et de veiller à leur sûreté personnelle. Les Allemands traitent le nord de l'Italie en pays ennemi. Partout où ils le peuvent, en France comme dans la Péninsule, ils font prisonniers et traitent sans ménagement les soldats italiens, abandonnés, désorientés et qui ne savent que faire dans le vide absolu qui les entoure. Goebbels note dans son Journal : " Le Führer est décidé à faire table rase en Italie." La flotte italiennne se scinde en deux. Une partie rejoint Malte où elle se met à la disposition des Alliés; une autre, celle des irréductibles de l'alliance germano-italienne, tente de gagner l'Espagne et est coulée par l'aviation allemande! Les antifascistes prennent les armes pour combattre les nouveaux ennemis de leur pays. Les débarquements de Reggio et de Tarente se déroulent bien, mais Montgomery, qui progresse méthodiquement, n'avance pas vite sur les chemins difficiles de l'Italie du sud et il se trouve trop loin du débarquement de Salerne pour l'aider efficacement en cas de difficultés, ne serait-ce qu'en retenant des troupes allemandes, celles-ci se repliant, selon les ordres du Führer et du maréchal Kesselring qui les dirige, afin d'aller barrer la péninsule au nord de Naples par un efficace dispositif fortifié. Dans le golfe de Salerne, Américains et Anglais réussissent à prendre pied sur les plages. Les hommes, qui savent que l'Italie vient de capituler, espèrent que tout va bien se passer. Mais tout se gâte rapidement dès qu'ils tentent d'avancer dans les terres. Ils se heurtent alors à une violente riposte des troupes du général Vietinghoff qui les refoule avec ses blindés. Les Alliés souffrent de plusieurs handicaps. A cette distance de leur aéroport de départ, les avions alliés sont au bout de leur carburant ce qui réduit considérablement leur capacité opérationnelle. On a pensé s'emparer rapidement de l'aérodrome Montecorvino mais la tâche s'avère impossible compte tenu de la puissance de feu allemande. Le front allié est décousu, de larges brèches séparant les unités des différents points de débarquement. Les troupes allemandes en retraite du sud se rapprochent plus rapidement que les Anglais de Montgomery. Les aviateurs allemands utilisent pour la première fois des bombes planantes téléguidées très efficaces contre les navires. Le 13 septembre, une contre-attaque allemande n'est stoppée qu'à 8 kms des plages. La situation devient critique au point que le général américain Clark envisage un moment l'évacuation, qui est probablement impraticable vue la proximité de l'ennemi. Vietinghoff, de son côté, rêve de rejeter les Alliés à la mer. Du 13 au 15 septembre, tout ce qui peut être ramené de Sicile est transporté sur la tête de pont de Salerne tandis que des parachutistes sont largués sur les arrières ennemis. Les 17 et 18 septembre, Kesselring autorise Vietinghoff à se retirer, sa mission retardatrice, pour permettre aux troupes allemandes de se retirer du sud italien étant remplie. Le 20 septembre, La 8ème armée britannique qui arrive de Reggio et de Tarente fait sa jonction avec les combattants de Salerne à l'est d'Eboli. Le 1er octobre, les Britanniques entrent dans Naples en ruines du fait des bombardements et des destructions allemandes; l'objectif de l'invasion du sud de l'Italie est atteint. Le 7 octobre, les troupes alliés sont arrêtées sur le Volturno. Une autre phase de la guerre d'Italie commence. Le 12 septembre, le Duce, trimbalé depuis son arrestation à l'île de Ponza, puis à l'île de la Maddalena et enfin à l'hôtel refuge Campo Imperatore du Grand Sasso, où il a tenté de se suicider le 10 septembre, est libéré sur ordre d'Hitler par des commandos allemands dirigés par Skorzeny, qui a réussi, non sans mal, a retrouver sa trace. L'opération, réalisée dans des conditions difficiles, en planeurs et avion de reconnaissance Fiesler Storch, ne s'est pas déroulée sans casser du bois ni prise de risque pour le rescapé qui va maintenant présider l'éphémère République sociale de Salo, au nord de l'Italie, en Lombardie, au bord du lac de Garde. L'endroit est plutôt mal choisi, le nord de l'Italie étant peu porté au fascisme. Mais nécessité fait loi : le sud est déjà perdu! De nombreux maquis se créent à travers cette république fantôme entièrement contrôlée par les Allemands qui s'y comportent en pays conquis, exploitant le potentiel industriel de la région autant qu'ils peuvent, et recrutant de la main d'oeuvre forcée pour aller travailler en Allemagne ou sur leurs chantiers italiens. 1943 - 1944 : Tito reconnu par les Alliés comme le chef militaire et politique de la Yougoslavie De 1941 jusqu'en 1943, Tito ne reçut qu'une aide parcimonieuse de l'URSS et les Alliés occidentaux soutinrent les Tchetniks. Mais, au cours de la guerre, les Tchetniks perdent peu à peu leur crédibilité auprès des alliés qui finissent par les abandonner et par reconnaître Tito et ses partisans comme la seule force de résistance yougoslave efficace. Après le retournement romain du 8 septembre, les Partisans, dont les effectifs s'élèvent à près de 300 000 hommes, se sont emparés de presque tout le stock d'armes italien; Tito est indéniablement devenu l'homme fort de Yougoslavie. A la mi-octobre, une sixième offensive allemande est déclenchée contre lui. Cela ne l'empêche pas de poursuivre ses activités politiques. Le 29 novembre 1943, alors que les Alliés sont réunis à Téhéran, lors de sa seconde session, le Conseil antifasciste de libération nationale de Yougoslavie annonce son intention de reconstruire la Yougoslavie sur une base fédérale et met en place un gouvernement provisoire, le Comité national de libération de la Yougoslavie, dont Tito est nommé Premier ministre. A Téhéran, Churchill tente de justifier auprès de Roosevelt et de Staline son projet de débarquement dans les Balkans par la nécessité de secourir la résistance yougoslave. Il se heurte à un refus. Dès lors, le Premier ministre britannique comprend que l'Armée rouge entrera la première en Yougoslavie; il échaffaude alors un plan pour ménager l'avenir; il va s'efforcer d'obtenir une entente entre Tito et le roi de Yougoslavie, ce qui permettrait à la Grande-Bretagne de conserver son influence dans le pays. A Bihac, en 1942, pour ne pas gêner diplomatiquement l'URSS, Tito a déjà renoncé à créer un gouvernement yougoslave concurrent de celui de Londres. Les Alliés occidentaux abandonnent donc définitivement Mihaïlovitch et ses dernières troupes en leur signifiant, qu'après la fin du conflit, ceux qui auront collaboré avec l'Axe n'auront aucune protection à attendre de leur part! Toute l'aide alliée ira désormais aux Partisans de Tito qui, après avoir commencé la lutte avec un armement sommaire, la termineront avec des chars. Le sort des derniers Tchetniks est désormais fixé, c'est l'adhésion aux Partisans de Tito, la mort ou l'exil! A la mi-janvier 1944, la sixième offensive allemande en Yougoslavie tourne court après de violents combats en Bosnie. Churchill flatte Tito dans le sens du poil afin d'obtenir un compromis avec le gouvernement royal en exil; le 17 mai, Mihaïlovitch est abandonné par ce gouvernement, qui reconnaît le Comité national et l'Armée de libération, moyennant quoi Tito accepte de ne pas soulever la question monarchique avant la fin de la guerre. Cela n'atténue pas la méfiance de Staline qui redoute que l'intransigeance révolutionnaire de Tito ne lui cause des problèmes avec ses alliés occidentaux. Le 25 mai 1944, des commandos SS attaquent le PC de Tito qui leur échappe de justesse. En cette occasion, les élèves officiers de l'école de Drvar et toute la population de la ville opposent aux assaillants une résistance farouche qui cause la perte d'environ 6 000 résistants. Mais les SS, très éprouvés, ne doivent leur salut qu'au secours in extremis de troupes de montagnes. Quant à Tito, installé dans une baraque en planche à l'entrée d'une grotte, il s'est enfui en passant par un trou du plancher donnant dans un torrent asséché. Le 21 septembre, Tito se rend à Moscou. Staline le reçoit avec une certaine condescendance, affectant de l'appeler Walter, son pseudonyme de militant communiste clandestin. Il lui conseille la prudence et le rétablissement de la monarchie, ne serait-ce que provisoirement. Les deux hommes se mettent d'accord sur l'entrée temporaire de l'Armée rouge sur le territoire yougoslave. Désormais, Tito, qui dispose à la fin de l'année de 800 000 hommes, est reconnu par les Alliés, non seulement comme le chef militaire mais aussi comme le chef politique de la Yougoslavie. Le 11 octobre, la 1ère armée yougoslave se joint à l'Armée rouge pour prendre Belgrade. Les troupes yougoslaves poursuivront les Allemands en retraite jusqu'à la fin de la guerre. 1943-1944 : Intensification des bombardements alliés sur l'Allemagne Le débarquement en France (opération Overlord) ne réussira que si l'aviation alliée a la maîtrise de l'air. Il est donc vital de détruire la puissance aérienne allemande. En 1943 les raids massifs, du type de celui de Cologne, s'accentuent donc. Les dirigeants de l'aviation alliée pensent même, comme Goering avant eux, qu'ils peuvent amener l'Allemagne à résipiscence tout seuls, en détruisant son potentiel militaire et en sapant le moral du peuple allemand. Le débarquement deviendrait alors inutile. Cependant, ce n'est pas l'opinion des militaires de terre et de mer, ni celui des dirigeants alliés, Churchill et Roosevelt, pour ne pas parler de Staline. Les faits ne confirment d'ailleurs pas l'optimisme des aviateurs. Les bombardements n'empêchent pas les Allemands de produire de plus en plus d'avions, s'ils commencent par manquer de pilotes aguerris. Pour pallier à cet inconvénient, ils ont même mis en service des avions sans pilote, les V1 et les V2, dont la neutralisation occupe une partie de la flotte aérienne alliée. A ce premier conflit au sein des forces alliées vient s'en ajouter un second. Au moment du débarquement, il sera vital de détruire les moyens de communications de l'ennemi afin de retarder le plus longtemps possible l'arrivée de ses renforts à proximité des plages. Au moins une partie de l'aviation stratégique devra être affectée à cette mission. Mais, les aviateurs, imbus de leur statut, renâclent à l'idée de passer sous l'autorité d'un fantassin, le général Eisenhower. Bien sûr, la Résistance française, dont les effectifs se sont fortement recrutés avec l'entrée en viguer du Service du Travail Obligatoire (STO), pourra se montrer très utile pour saboter les moyens de communications. Mais Churchill ne la voit guère que comme une force d'appoint dont il souhaiterait limiter et contrôler l'action, tandis que Roosevelt, la considére comme une simple nébuleuse de groupes révoltés, plus ou moins isolés et parfois hostiles entre eux, et il ne lui accorde à peu près aucune valeur militaire. Ce n'est évidemment pas l'avis du général de Gaulle, qui sait avoir l'appui de toute la résistance, y compris communiste, et qui compte bien que cet atout maître lui permettra, le moment venu, de s'imposer à tous les Alliés comme le restaurateur de la République française. Une autre inquiétude agite Churchill. En cas de bombardements intenses de la Belgique et de la France, les populations civiles ne manqueront pas de souffrir beaucoup. Que se passera-t-il alors? Le général français Koenig, qui se trouve alors à Londres, le rassure. Les Français savent que la guerre cause de nombreuses victimes; et ils sont prêts à payer le prix de leur liberté. Finalement, grâce à l'habileté diplomatique du général anglais Portal, on finit par trouver un compromis acceptable pour l'armée de l'air et pour l'armée de terre : l'aviation stratégique appuiera le débarquement et contribuera, avec la Résistance, à retarder l'arrivée des renforts. L'intensification des bombardements alliés sur l'Allemagne, entraîne des pertes très élevées dans le camp aérien allié, face à une chasse ennemie toujours nombreuse et pugnace. Au début, les Américains qui, ne tiennent pas compte de l'expérience anglaise, frappent de jour et sans accompagnement de chasseurs. Plus tard, ils se dotent d'un quadrimoteur puissamment armé qui, sous le nom de forteresse volante, deviendra l'un des avion mythique de la Seconde Guerre mondiale. Les chasseurs allemands sont dirigés sur leurs proies par un système sophistiqué de radars, au sol et embarqués, particulièrement efficace. Les Anglais trouvent une parade en lançant depuis leurs avions des paquets de bandelettes d'aluminium, les Windows, qui saturent les radars et ne leur permettent plus de guider les chasseurs sur leurs cibles, ce qui donne la supériorité aux Alliés pendant un temps. Le temps que les Allemands découvrent une réplique. Ils en élaborent deux, et rapidement, le système Sanglier et le système Verrat. La première consiste à concentrer les chasseurs sur la cible attaquée, la seconde, plus efficace, les concentre sur la zone à plus forte présence de Windows, il est alors possible de harceler les bombardiers sur une plus longue distance et, cette fois, ce sont les Allemands qui marquent le point! Les Alliés occidentaux s'attaquent aux sites industriels qui participent à l'effort de guerre du Reich, directement ou indirectement, en choisissant les cibles qui peuvent créer des manques affectant les chaînes de production. C'est ainsi que, le 14 octobre 1942, ils tentent d'anéantir l'usine de Schweinfurt qui fabrique des roulements à billes utilisés dans un grand nombre de matériels militaires. Mais la DCA et les chasseurs allemands se montrent si efficaces qu'aucune autre attaque ne se produit sur ce point pendant deux mois, ce qui permet de réparer les dégâts causés et de reprendre la production. Ces raids obligent les Allemands à disperser leur production et à fortifier leurs nouvelles usines, parfois en les enterrant, opérations longues, coûteuses et souvent difficiles. Mais les Alliés s'en prennent aussi directement aux populations civiles. Parmi les bombardements de terreur, comme les appelleront les Allemands, on en citera deux qui sont typiques. Dans la nuit du 24 au 25 juillet 1943, vers 1h30, les avions alliés arrivent sur Hambourg, au-dessus d'une ville dont la défense antiaérienne semblait totalement désorganisée du fait des Windows. La cité hanséatique est copieusement arrosée mais seulement partiellement détruite. Le général Harris, chef de l'aviation britannique stratégique, estime qu'il faudra 10 000 tonnes de bombes et des attaques continues avant d'obtenir l'anéantissement total de la ville portuaire. Le 28 juillet, la RAF revient donc et c'est l'enfer. D'après, l'as de la chasse allemande, le colonel Galland, "Une vague de terreur, soulevée par les souffrances endurées par la cité torturée, se répandit sur toute l'Allemagne. Des détails hallucinants sur les gigantesques incendies filtrèrent; la lueur des flammes fut visible pendant des jours jusqu'à près de 200 kilomètres à la ronde. Un flot de réfugiés hagards, terrorisés, déferla dans les provinces voisines. En dépit de la discrétion officielle, la terreur de Hambourg se communiqua jusqu'aux villages les plus reculés du Reich." La chaleur est si intense au coeur de la ville bombardée, que les mouvements d'air qui en résultent, causent une tempête de feu qui attise l'incendie, le propage plus loin, et emporte comme des fétus tout ce qui se trouve sur son passage! On pense que les bombardements de Hambourg causèrent près de 50 000 morts et 80 000 blessés. Ils se prolongèrent jusqu'au 3 août. Du 13 au 15 février 1945, Dresde, à l'est de l'Allemagne, reçoit un déluge de bombes incendiaires qui détruisent presque complètement cette perle de la Saxe. L'intérêt stratégique d'un tel traitement n'est pas évident. Mais son caractère symbolique est évident. Les Alliés occidentaux montrent ainsi qu'ils sont capables de frapper partout et certains auteurs pensent que ce message s'adresse aussi Soviétiques! Quoi qu'il en soit, les raids causent la morts d'au moins 35 000 personnes, la plupart civiles. A la fin de l'été 1943, les Allemands dotent leurs appareils de nouveaux radars utilisant des fréquences plus basses qui parviennent à percer les Windows. Le nombre de bombardiers abattus repart à la hausse. Les Américains refusent de tenter une opération massive sur Berlin suggérée par les Britanniques qui estiment à 400 ou 500 avions les pertes probables! Le 30 mars 1944, un raid est organisé sur Nuremberg. La malchance accable les Britanniques. Par une nuit très froide et claire, la condensation de la vapeur d'eau échappée des moteur dote les aéronefs d'une longue queue blanche parfaitement visible. Malgré un intense brouillage radio, les aviateurs anglais ne peuvent pas à échapper à la chasse ennemie qui les accompagne pendant 400 kilomètres. L'attaque britannique est dispersée et s'avère inefficace. Au retour, 94 appareils manquent à l'appel! Après ce fiasco, la direction des opérations échappe au général Harris et revient à Eisenhower. Le débarquement n'est plus très loin! Avant 1944, aussi bien les raids sur des objectifs industriels que ceux visant les civils n'avaient pas apporté la preuve de leur efficacité. La production allemande aux mains de Speer restait aussi élevée et le moral des civils ne fléchissait pas. Avec l'arrivée des Alliés occidentaux sur le continent européen, leurs avions se rapprochent de cibles qui n'étaient pas autrefois accessibles. Ils établissent des priorités : l'industrie aéronautique qui produit maintenant de dangereux engins comme les fusées et les avions à réaction, les puits de pétrole et les usines de fabrication du carburant synthétique, les noeuds ferroviaires et les carrefours routiers indispensables à l'acheminement des troupes, mais aussi des marchandises vitales pour la vie économique du pays et le fonctionnement de ses usines. En fin 1944, les résultats sont plus probants : les armées allemandes manquent de carburant, la population allemande connaît de graves pénuries et Speer, malgré tout sont talent, n'y peut pas grand chose! 26 août - 6 novembre 1943 : Bataille du Dniepr - Prise de Kiev Après Koursk, les Allemands savent qu'ils
n'ont plus les moyens de repasser à l'offensive. Partout leurs adversaires
disposent de la supériorité numérique, en hommes comme
en matériel. Il construisent alors à la hâte un puissant
système défensif en profondeur depuis le nord jusqu'au sud,
le Mur de l'Est, derrière lequel ils espérent contenir
les Soviétiques jusqu'au retour de jours meilleurs. Hitler promet
la croix de fer à chaque combattant si cette ligne défensive
tient le lmong du Dniepr. Staline promet la médaille de héros
de l'Union soviétique aux premiers soldats russes qui franchiront
le fleuve. Le décord d'une lutte à mort est planté.
7 août - 2 octobre 1943 : Bataille de Smolensk Le groupe d'armées Centre de l'Armée rouge doit résoudre de sérieux problèmes avant de partir à l'assaut des positions allemandes. Il va lui falloir s'attaquer à plusieurs lignes de puissantes fortification échelonnées en profondeur sur un terrain boisé et marécageux, où les réapprovisionnement en munitions et en carburant vont être difficiles, toute pénurie risquant de briser l'élan de l'offensive, face à une armée aguerrie, au moral encore intact, derrière un Mur de l'Est qu'elle estime infranchissable. Des problèmes logistiques ardus doivent donc être résolus de manière efficace afin que la progression soit poursuivie jusqu'au bout avec le minimum d'interruption pour que l'ennemi n'ait pas le temps de se ressaisir et de réparer les dommages causés à ses fortifications. Le 7 août, l'offensive commence au nord par une attaque du front de l'Ouest sur les défenses avancées allemandes. Le 13 août, toujours au nord, le front de Kalinin entre à son tour en action. Le 20 août, la première phase de l'offensive s'achève. Les premières défenses allemandes sont percées en plusieurs points. Le 28 août, le front de l'Ouest s'engage dans la deuxième phase qui consiste à percer les défenses principales. Le 30 août, les Russes atteignent Yelnia. L'armée est redéployée pour avancer sur Dorogobouj, au nord de Yelnia. L'Armée rouge pénètre le 1er septembre dans Dorogobouj. On se trouve sur le chemin de la pénétration et de la retraite de Napoléon en 1812! Le 5 septembre, le front de Briansk, renforcé par une armée prélevée sur le front de l'Ouest, après accord de la Stavka, tourne les Allemands dans la région de Briansk, plus au sud. Mais, du 3 au 6 septembre, le front de l'Ouest piétine, arrêté par des combats interminables au milieu de collines boisées ou par des fortifications qu'il ne parvient pas à réduire. Le 6 septembre, une halte d'une semaine est donc décidée afin de regrouper les forces et de les ravitailler en munitions. Cependant, le front de Kalinin continue d'attaquer, mais, le 7 septembre, la Stavka lui ordonne d'interrompre son action. Le 14 septembre, le front de Kalinin inaugure la troisième phase des opérations. Le 15 septembre, le front de l'Ouest reprend à son tour l'offensive. Le 21 septembre, après la prise de Demidov, le front de Kalinin a tourné Smolensk par le nord. De son côté, le front de l'Ouest, qui a pris Yartsevo le 16, coupé la voie ferrée Smolensk-Yaroslavl le 23, et atteint la Soj le 24, a tourné la ville par le sud. Le 25 septembre Smolensk tombe aux mains des Russes qui tentent sans succès de poursuivre leur avance sur Orcha et Moghilev. Il est alors décidé de mettre fin aux opérations. Les Soviétiques ont avancé de 100 à 200 kilomètres; la bataille de Smolensk a contribué à la victoire dans le Donbass et l'Ukraine orientale, puis à la libération de Kiev, en retenant des troupes allemandes plus au nord; les fronts du Centre et de Briansk, en atteignant la ligne Gomel-Rogatchev, coupent le front allemand en deux par l'obstacle naturel de la forêt de Polessiyé; les forces soviétiques ont franchi, sur un front de 400 kilomètres, quatre lignes de fortifications, en cinq à six endroits; ces succès sont jugés satisfaisants. Au cours de leurs offensives, les Russes étaient certes plus nombreux et mieux armés. Mais les Allemands bénéficiaient de l'avantage que confère toujours une défense bien abritée contre un assaillant. Le succès russe relève de plusieurs facteurs qui tiennent essentiellement aux progrès accomplis par le commandement. L'Armée rouge maîtrise désormais l'attaque sur une série de fronts en concentrant ses forces au moment opportun à l'endroit choisi et en empêchant l'adversaire de se ressaisir et de se réorganiser. Elle a résolu au mieux les problèmes tactiques posés par l'attaque de systèmes défensifs profonds ainsi que les problèmes de ravitaillement d'une armée lancée dans une offensive de grande envergure. L'année 1943 est, sur le front russe,
la pire année pour les chars : les Allemands en perdent 6 000 (toute
la production de 1942!) et les Soviétiques 22 000 (soit 2 000 de
moins qu'une année de production). Les comparaisons du tableau ci-dessous,
favorables à l'Union soviétique, appellent des réserves
car la production russe est de qualité variable; on parle de sabotage,
mais la réalité est tout autre : les hommes étant
au front, on emploie parfois dans les usines d'armement des ouvriers à
peine sortis de l'enfance, peu compétents, mal nourris, exténués,
dont le travail laisse naturellement à désirer. En URSS,
la guerre prime tout et la nourriture des combattants passe avant celle
des civils; les soldats qui montent au front constatent que l'ordinaire
s'améliore lorsqu'on se rapproche des lieux où l'on se bat.
En Allemagne, l'effort est également très intense, mais les
bombardements incessants en limitent les effets. Cela n'est pas le cas
aux États-Unis dont le territoire reste à l'abri des combats
et des bombardements. En octobre 1943, Roosevelt annonce que son pays a
produit, depuis mai 1940 : 175 000 avions, 76 000 chars, 133 000 canons,
près de 10 millions d'armes d'infanterie, 2 300 navires de guerre
et 13 000 navires de débarquement. Les puissances de l'Axe ne sont
pas en mesure de soutenir un tel rythme; il ne leur reste plus qu'à
espérer découvrir de nouvelles armes miracles!
On ne peut pas reprocher aux Allemands leur manque d'inventivité. Dans biens des domaines, sous-marins de poche et sous-marins modernes surpuissants, chars lourds, armes légères, avions à réaction, fusées... ils sont à l'origine de beaucoup de progrès, si on peut utiliser ce mot en matière d'armement. Mais toutes ces avancées, qui seront développées après guerre par leurs adversaires, ne sont pas aussi fructueuses les unes que les autres. Les sous-marins de poche, par exemple, relèvent plus des opérations kamikazes que de la guerre sous-marine classique : la plupart des hommes n'en reviennent pas! Ceci dit, le matériel allemand est, au moins au début de la guerre, d'excellente qualité, même si celle-ci tendra à se réduire au fur et à mesure que le conflit durera. Mais l'Allemagne commence la guerre avec l'espoir qu'elle se terminera rapidement et elle ne dispose pas des stocks nécessaires à une guerre longue. Hitler débute les hostilités alors que ses armées ne disposent pas de l'équipement nécessaire et les moyens de l'économie allemande ne lui permettront pas, avec les bombardements, de rivaliser avec la production de ses adversaires, ni à fabriquer massivement ses armes nouvelles. Sans doute, le Führer aurait-il pu remettre à plus tard le déclenchement du conflit, mais son âge ne lui laissait pas ce choix et, ses adversaires, notamment les Soviétiques, auraient aussi bénéficié du report. En fait, l'armement allemand, présentait deux types de défaut qui tenaient à sa sophistication et à ses qualités. Il était long et coûteux à produire et ne permettait donc pas la fabrication de masse nécessaire pour faire face à un conflit qui s'éternisait. Il exigeait une longue formation des soldats pour utiliser les armes nouvelles et beaucoup de militaires étaient envoyés sur le front dans l'urgence sans savoir parfaitement se servir du matériel qui leur était confié. L'innovation comporte toujours un coût plus ou moins élevé! L'Allemagne manqua donc d'armement, et aussi d'hommes compétents, au moment où elle en aurait eu le plus besoin. Dès le départ, elle était condamnée à être vaincue parce qu'elle n'avait pas les capacités économiques et humaines de faire face aux forces alliées. Quoi qu'il en soit, en 1943, la balance ne penche plus en faveur des forces de l'Axe, d'autant que les débarquements en Sicile, puis dans le sud de l'Italie, et la chute de Mussolini, obligent les Allemands à disperser leurs forces sur un nouveau front. Sur le front russe, au cours des cinq premiers mois de 1944, le déséquilibre en matériel croît encore au profit des Soviétiques. Leur production de chars et de canons automoteurs augmente de 77% et celle de leurs avions de 68%! De l'été à l'automne 1943, plusieurs tentatives de soulèvements armés juifs ont lieu dans des camps d'internement nazis : les victimes ne se laissent plus toutes massacrer sans réagir! Le 16 juillet, c'est à Bialystock, le 2 août à Treblinka, le 14 octobre, à Sobibor, le 19 novembre à Janowoski... Après avoir créé à Bangkok un peu plus tôt la Ligue pour l'indépendance de l'Inde, en octobre 1943, Subhash Chandra Bose constitue à Singapour un gouvernement de l'Inde libre ainsi qu'une Armée nationale indienne (INA) encadrée par les Japonais. Le vice-roi des Indes décrète la loi martiale. L'expansion japonaise dans le Pacifique attise les nationalismes dans la région ouvrant la voie aux décolonisations futures et le Japon saisit cette opportunité d'affaiblir ses adversaires. En septembre 1943 est créé un Conseil national slovaque chargé d'organisé un soulèvement général en liaison avec le gouvernement de Londres. Mais la résistance et désunie. Communistes et non communistes agissent de manière autonome et s'efforcent de se placer au mieux pour les lendemains de la guerre. 9 septembre - 4 octobre 1943 : Libération de la Corse De 1940 à 1942, la Corse reste sous l'autorité de Vichy comme faisant partie de la zone non occupée. Mais les Italiens, qui revendiquent sa possession depuis la prise du pouvoir par Mussolini, y ont reçu un droit de regard qui ne facilite pas les choses. Au début, la majorité de la population insulaire considère le maréchal Pétain comme un rempart contre l'annexion par l'Italie. Mais, à partir de la fin de 1940, l'opinion commence à évoluer sous l'empire des difficultés de ravitaillement que rencontre l'île, et une résistance commence à s'organiser. En novembre 1942, après le débarquement allié en Afrique du Nord, la population laisse éclater sa joie et son espoir. Aussi, lorsqu'une flotte importante apparaît au large, les habitants des ports se précipitent sur les quais les bras chargés de fleurs. La déception est à la mesure de l'espoir! Ce ne sont pas les Alliés qui débarquent mais les chemises noires de Mussolini! L'occupation italienne va couvrir l'île de Beauté d'une chape de plomb très difficile à supporter par des hommes et des femmes qui se souviennent du temps où leur île se trouvait sous le joug génois et dans le coeur desquels sommeillent toujours peu ou prou les sentiments des bandits d'honneur. Cette armée d'occupation est si nombreuses et si mal ravitaillée qu'elle se nourrit sur le pays ce qui réduit considérablement les ressources vivrières déjà parcimonieuses qui assuraient la subsistance de la population. Comme le couvre-feu interdit aux Corses de sortir la nuit, les Italiens en profitent pour piller les récoltes des paysans et organiser un marché noir auquel ne peuvent pas accéder les gens les moins fortunés de l'île. Cette disette contribue à accroître le mécontentement ambiant. Elle favorise le développement de la résistance avec sa branche gaulliste (Paul Giacobbi) et sa branche du Front national d'obédience communiste laquelle est prépondérante. Par deux fois, de Gaulle a envoyé en mission le capitaine Scamaroni, en 1941 puis au printemps 1943, pour essayer d'unifier la résistance corse. Mais le général se méfie des communistes et ses tentatives échouent; d'ailleurs Scamaroni est arrêté le 17 mars et se suicide dans sa cellule pour ne pas risquer de parler sous la torture. Cependant, les maquisards sont armés par le sous-marin Casabianca qui s'est échappé de Toulon alors que la flotte se sabordait. Le 2 avril, le général Giraud envoie à son tour un émissaire en Corse, le commandant de gendarmerie Colonna d'Istria, alias Cesari. Ce dernier, politiquement moins regardant que l'envoyé gaulliste (Giraud pense d'abord à gagner la guerre et la politique n'est pas son affaire), parvient à rassembler toute la résistance sous l'égide du Front national. La résistance entre en action, procurant de précieux renseignements aux alliés, commettant des attentats et faisant régner un climat d'insécurité permanent qui affole les Italiens lesquels perdent la tête et se livrent à des actions quasi démentes en criblant de balles les façades des immeubles sans discernement, ce qui accroît l'animosité de la population à leur encontre. Au cours de l'été, la guérilla corse, bien organisé, agissant par petits groupes, compte près de 14 000 hommes et constitue donc une force armée non négligeable. Les 1er et 2 août, le Casabianca débarque dans la baie de Saleccia 20 tonnes d'armement supplémentaires. Dans une seconde phase, la résistance, dominée par le Parti communiste, profite de la proximité de la langue corse avec la langue italienne, pour tenter de démoraliser les Italiens et les inviter à abandonner l'alliance allemande pour rejoindre le camp allié, appliquant une stratégie qui a déjà été prôné sans grand succès avec les Allemands et qui a contribué à brouiller la position du PC dans l'esprit de ses opposants. Mais dans le contexte italo-corse, cette approche s'avèrera plus fructueuse. Une fois connue la chute de Mussolini, Cesari a du mal à contenir ses camarades impatients de passer à l'insurrection. Le 8 septembre, à l'annonce de la signature de l'armistice entre l'Italie et les Alliés, les résistants manifestent de partout en tirant en l'air sous le nez des Italiens médusés. Cesari adresse un ultimatum au général Magli qui commande les forces d'occupation. Il lui annonce que les forces alliés sont en route pour libérer la Corse, ce qui est faux, et lui demande de lui répondre avant minuit s'il est du côté des résistants corses, contre eux ou neutre. La réponse ne se fait pas attendre. C'est: "Avec vous". La situation sur l'île est alors la suivante : les Italiens occupent l'ouest et le centre, jusqu'aux montagnes qui bordent la zone côtière est. Cette zone est tenue par les Allemands qui évacuent par elle leurs troupes de Sardaigne menacées par les Alliés. Magli ordonne le mouvement de conversion des troupes italiennes qui se postent face aux Allemands. Mais, il ne joue pas franc jeu, car il demande en même temps au général allemand, von Senger und Etterlin, de lui laisser la zone italienne qu'il s'engage à nettoyer des bandes françaises rebelles, afin de faciliter la retraite allemande. Cependant, dans le chaos régnant, des Italiens rejoignent les résistants tandis que d'autres passent sous autorité allemande, tandis qu'une troisième fraction, plus nombreuse, continue d'obéir au général italien. Les forces allemandes en retraite peuvent aussi compter sur une unité SS que le Führer, qui se méfie à juste titre de la solidité de ses alliés, a dépêché sur l'île pour permettre à tout prix la retraite de ses forces. Le 9, Cesari confirme l'ordre d'insurrection générale et en avertit Giraud. Celui-ci organise alors dans l'urgence une opération militaire de débarquement à Ajaccio, confiée au général Martin, avec les faibles forces navales et terrestres dont dispose alors l'armée française; pour ce qui est de la couverture aérienne, il n'y en aura pas! Mais le croiseur Jeanne d'Arc, venu des Antilles, sera de la partie. Lorsqu'il apprend cette opération, de Gaulle, qui n'a pas été tenu au courant, est furieux, mais il ne s'y oppose pas. Le 11, en soirée, l'opération Vésuve commence. L'acheminement des troupes et du matériel exige beaucoup de rotation des navires et du temps. Les troupes débarquées (tirailleurs, spahis, tabors, bataillons de choc...), aidées par les patriotes insurgés, progressent en direction de l'est vers Bonifacio, Aléria, Bastia et le Cap corse, à travers un paysage montagneux difficile d'accès, avec l'espoir d'intercepter l'armée allemande et de lui couper la retraite. Elles n'y parviendront pas. Les Italiens, qui tenaient Bastia, sont l'objet d'une attaque surprise allemande; contrairement, à ce qui était attendu, les Allemands sont battus et laissent de nombreux prisonniers aux mains de leurs alliés de la veille. S'en suit une série de tractations pleines de duplicité jusqu'au 14 septembre, date à laquelle von Stenger reprend Bastia, vitale pour l'évacuation de ses troupes. A partir du 20 septembre, cette évacuation se heurte à une violente opposition des marines et aviations alliées. Le 3 octobre, les Allemands procèdent encore à l'arrestation de 500 otages à Bastia avant de se retirer. Le 4 au matin, les premières troupes française pénètrent dans la cité portuaire meurtrie mais dont les installations n'ont pas trop souffert. La Corse libérée va servir de porte-avion insubmersible pour pilonner le sud de l'Allemagne et de tremplin pour un débarquement en Provence. Septembre-novembre 1943 : Échec de la tentative britannique sur les îles du Dodécanèse Toujours attiré par la Méditerranée orientale et les Balkans, Churchill, espérant profiter de la surprise et du désarroi italien survenus, pense-t-il, après le chute de Mussolini, tente une opération sur les îles grecques du Dodécanèse, proche de la Turquie, sans avoir les moyens maritimes et surtout aériens de ses ambitions. Il attend de la réussite de cette opération un soutien plus facile des résistants grecs et yougoslaves, une amélioration de l'aide à l'URSS, la route des Dardannelles étant plus courte que celle de l'Iran, et surtout la possibilité d'accroître la pression sur la Turquie pour l'amener à abandonner sa politique de neutralité en rejoignant le camp des alliés. Mais l'affaire se présente mal car, dès l'annonce de l'armistice italien, l'Okw a donné l'ordre de neutraliser les garnisons italiennes, si besoin par la force, et de les remplacer par des garnisons allemandes. Cet ordre est rapidement exécuté dans l'île principale, Rhodes, qui se trouve ainsi exclue de l'opération. Les Anglais réussissent cependant, avec des moyens de fortune, à s'installer sur des îles secondaires, dont Kos et Leros, où les Italiens passent de leur côté. Mais, sans protection aérienne suffisante, l'île de Kos est attaquée, le 3 octobre, par 1 200 Allemands, bien protégés par leur aviation, qui viennent rapidement à bout de la défense. Churchill réclame alors l'aide de Roosevelt. Celui-ci, s'en tenant aux accords de Québec, refuse catégoriquement. Eisenhower essaie d'arrondir les angles, mais il lui est impossible de distraire quoi que ce soit du front italien et des moyens affectés au futur débarquement en France. A partir du 5 novembre, le général allemand Müller, lance une offensive dans la mer Égée, depuis la Grèce, pour reprendre les îles une à une, la plupart du temps sans opposition. Humilié et impuissant, le Premier ministre anglais ne peut qu'assister à la conquête sanglante de l'île de Leros par les Allemands (4 800 victimes anglaises et 4 000 allemandes), du 12 au 16 novembre, Samos le 19 novembre et Castellorizo le 28 étant évacuées sans combat. Le 22 septembre 1943, le Tirpitz et le Scharnhorst subissent une attaque alliée par sous-marins de poche dans le fjord norvégien d'Alta (opération Source). Cette attaque cause des dommages importants au Tirpitz. En septembre 1943, devant l'échec du STO, les Allemands exigent de Laval l'envoi dans les meilleurs délais de 150 000 travailleurs français en Allemagne. Pris de court, Laval pense aussitôt aux Chantiers de Jeunesse. Cette déportation massive fait bondir le général de La Porte du Theil qui menace de démissionner et de dissoudre son organisation; il promet à Laval que tous ces jeunes vont rejoindre le maquis et que le pouvoir de Vichy va être balayé. Laval, comme à son habitude, négocie et obtient des Allemands une réduction de leur demande à 100 000 hommes. Mais le général n'est pas enclin à la négociation. Il rencontre le consul allemand à Vichy, le général Krug von Nidda, et lui dit fermement que les conditions de l'armistice ont été respectée par la France mais que l'Allemagne est en train de les violer, que son pays n'est pas à vendre aux enchères et que, si l'Allemand maintient son ordre, il donnera le sien, que les Chantiers entreront en dissidence, se disperseront et gagneront le maquis! Le général obtient apparemment satisfaction. Le 20 septembre, le départ des jeunes au STO est différé jusqu'au 31 décembre. Mais le général, qui n'a qu'une confiance limitée en cette feinte, libère le contingent au grand mécontentement de Vichy. Néanmoins, un peu plus tard, il appelle les 20 000 sursitaires de 1943; 12 000 seulement se présentent! Le 27 décembre, sur ordre de Berlin, Laval est sommé de mettre fin à la mission du général. Le 4 janvier, après avoir rencontré Laval la veille, de La Porte du Theil et son bras droit, Ballot, sont arrêtés et déportés en Allemagne. Nombre de cadres et de recrues des Chantiers entrent dans la résistance. En octobre 1943, la division Azul reçoit l'ordre de rentrer en Espagne où Franco est soumis soumis à de fortes pressions diplomatiques des Alliés. Une force symbolique restera néanmoins en URSS jusqu'en mars 1944. Le dictateur espagnol, qui sait que la partie est perdue pour Hitler, masse ses forces sur la frontière des Pyrénées dans la crainte d'une tentative d'invasion allemande. Bien qu'antisémite dans sa propagande, le régime se contente de placer les Juifs sous surveillance sans les persécuter ouvertement; il protège même les Juifs d'origine espagnole. Roosevelt promet que l'Espagne ne sera pas confondue avec les autres puissances de l'Axe après la guerre. Cependant, des républicains espagnols se battent dans les rangs de l'Armée rouge sur le front russe et en France dans les maquis, tandis que d'autres sont engagés dans les forces armées de la France Libre. Pour eux, la guerre civile n'est pas terminée et la Seconde Guerre mondiale n'en est qu'un inévitable prolongement! Après la défaite de l'Italie et de l'Allemagne, ils espéraient retourner dans leur pays et y renverser le Caudillo, avec l'aide des Anglo-Américains. Ils seront cruellement déçus. Leurs alliés occasionnels les abandonneront à leur triste sort. La guerre froide aidant, certains d'entre eux deviendront même suspects de visées pro soviétiques. Beaucoup vivront cela comme une trahison de l'idéal démocratique affiché par l'Occident. Le 13 octobre 1943, l'ambassadeur d'Italie à Madrid remet à son homologue allemand une déclaration de guerre à transmettre à Berlin. Le maréchal Badoglio enjoint "à tous les soldats italiens de lutter contre les Allemands jusqu'au dernier homme". L'Italie est désormais dans le camp des Alliés, mais que reste-t-il de ses forces? Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement suédois consentit des concessions à l'Allemagne, comme l'autorisation d'utiliser les chemins de fer suédois par la Wehrmacht pour transporter l'infanterie de la Norvège à la Finlande et pour transporter des soldats entre la Norvège et l'Allemagne. Cette dernière était d'ailleurs un excellent partenaire économique pour la Suède qui, jusqu'en novembre 1944, exporta outre son minerai de fer, nombre de produits sidérurgiques et métallurgiques au profit du 3ème Reich. Mais, sentant le vent tourner, le gouvernement suédois revient à une neutralité plus strict. Sa position est d'ailleurs critiqué par une partie de la presse et l'attitude suédoise entre 1939 et 1944 fera plus tard l'objet de débats politiques au sein du pays. En octobre 1943, Tresckow et Stauffenberg commencent à travailler sur le plan Walkyrie. Ce plan conçu par le général Olbricht vise à réprimer un soulèvement général des travailleurs étrangers déportés en Allemagne. Il a été adopté par Hitler. Mais Olbricht, qui fait partie des conjurés, espère bien l'utiliser pour opérer un changement de régime après la disparition du Führer. La situation se dégrade sur tous les fronts et beaucoup d'officiers pensent qu'il n'y a plus d'autre solution que d'éliminer Hitler avant de signer une paix de compromis avec les Occidentaux. Von Ribbentrop pense presque la même chose, mais c'est de Staline qu'il espère un arrangement, comme en 1939. Seulement, il est sans doute trop tard, beaucoup trop tard! Quoi qu'il en soit, von Kluge entre dans la conspiration et von Stülpnagel appuie la tentative d'assassinat. Fin novembre 1943, le major Axel von dem Bussche-Streithorst, initialement partisan d'Adolf Hitler et du nazisme, est contacté par Claus von Stauffenberg et rejoint la résistance après avoir assisté au massacre de plusieurs milliers de Juifs en Ukraine. Goerdeler, toujours actif, fait figure de chancelier présomptif, mais la Gestapo le serre de près et la surveillance écarte les civils de l'action au profit des militaires. Octobre-décembre 1943 : La difficile marche sur Rome A l'automne 1943, la Corse libérée et la Sardaigne évacuée, les alliés, Churchill en tête, pensent que la chute de Rome est imminente. Ils comptent sur les aéroports qui existent autour de la ville pour rapprocher encore plus leur aviation du sud de l'Allemagne et surtout des Balkans. Du côté allemand, Rommel, commandant du groupe B, est favorable à un repli prononcé afin de résister dans l'Apennin du Nord, en sacrifiant Rome. Kesselring, au contraire, qui pense que la main mise alliée sur les aérodromes romains porterait un coup fatal à l'Allemagne dans les Balkans, est partisan d'une défense plus au sud, entre Rome et Naples. Hitler hésite et finit par choisir l'option Kesselring. Rommel sera nommé à la tête des armées chargées de refouler un éventuel débarquement en France dont Hitler n'ignore pas l'imminence. Kesselring compte retarder les alliés jusqu'au 15 octobre, sur le Volturno, au nord de la côte thyrrhénienne, et sur le Biferno, au sud de la côte adriatique, pour se donner le temps d'édifier un solide réseau de résistance à travers la péninsule italienne entre la mer Tyrrhénienne et la mer Adriatique au nord de Naples. Ce réseau comportera plusieurs lignes fortifiées particulièrement denses au sud, lignes Barbara et Bernhard, qui culminent avec la fameuse ligne Gustav, laquelle traverse seule entièrement la Péninsule, au nord le fleuve Sangro, obstacle naturel, prolongeant la ligne Bernhard. Les forces alliées devront alors enlever ces fortifications avant de parvenir à Rome, et franchir aussi les fleuves, gonflés par les pluies d'automne, les montagnes escarpées dont les sommets tenus par leurs adversaires, contrôlent les vallées, dans des conditions climatiques pénibles, sous des ondées fréquentes qui transforment en bourbiers les mauvaises voies de communications, ou sous la neige et par un froid glacial qui gèle les pieds des soldats, face à un ennemi qui n'a pas encore abdiqué, même si on note la reddition de quelques soldats autrichiens las de se battre. Les alliés souffrent de plusieurs handicaps. Tout d'abord, ils sont privés de moyens qui commencent à être acheminés vers la Grande-Bretagne pour préparer le débarquement en France, planifié pour le printemps 1944, ce qui limite les possibilités d'opérations amphibies sur les arrières des fortifications ennemies. Ensuite, ils sont géographiquement isolés. Au nord, Montgomery commande les troupes anglaises. Prudent et méthodique, il avance lentement, à travers un environnement on l'a dit moins fortifié. Au sud, l'américain Clark, plus fougueux, se bat avec des troupes de son pays, la 5ème armée US qu'il commande, le 5ème corps US commandé par le général Lucas, sur sa droite, et avec sur sa gauche, le long de la mer, le 10ème corps britannique du général McCreery, sans oublier un corps expéditionnaire français (CEF) de troupes d'Afrique du Nord sous les ordres du général AlphonseJuin, major de sa promotion à Saint-Cyr, où il a connu de Gaulle qu'il tutoie. Le CEF comprent notamment la 2ème division d'infanterie marocaine (2ème DIM), sous les ordres du général Dody, qui débarque la première, le 22 novembre, dans une indifférence ostensible. Elle est affectée au général Lucas. Le général Eisenhower aurait préféré d'autres troupes françaises mais de Gaulle, inflexible, a fini par imposer son choix. Les soldats français laissent d'abord Clark dubitatif. Il n'a pas participé à la conquête de la Tunisie et reste marqué par la défaite de 1940. De plus, il ne peut ignorer les querelles qui opposent dans le camp français gaullistes et giraudistes. Mais il ne tarde pas à s'apercevoir que, dans les combats de montagnes, malgré leurs moyens parfois archaïques de se déplacer et de transporter leurs charges, à dos d'hommes, d'ânes et de mulets, ou plutôt grâce à eux, devrait-on dire, ces soldats robustes se montrent d'une efficacité redoutable et d'un courage à toute épreuve. Entre Clark et Montgomery, la liaison est difficile au milieu des montagnes et les deux alliés progressent séparément, chacun à son rythme, selon son caractère et les obstacles qu'il rencontre. Les Allemands, bien positionnés sur les pentes, se livrent à des combats de retardement fatigants et meurtriers, avant de décrocher pour une nouvelle position où tout est à recommencer. Fin novembre, Montgomery, après avoir franchi le Sangro, se trouve néanmoins à proximité de la ligne Gustav, qu'il perce pour atteindre Ortona le 27 décembre. La situation de Clark, au sud, est moins brillante. Le Volturno est traversé le 13 octobre, en face de la Crête de Triflisco, au nord-est de Capoue, mais les troupes anglo-américaines se heurtent bientôt aux défenses de la ligne Barbara, puis de la ligne Bernhard, ainsi qu'aux obstacles naturels que constituent les monts Massico, Camino, Lungo et Rotundo, pour ne citer qu'eux. Après avoir franchi une nouvelle fois le Volturno, très en amont de la première traversée, les Américains atteignent Venafro, le 2 novembre, à proximité de la ligne Bernhard. Le 7 décembre, une brigade italienne, désormais rangée aux côtés des Alliés, attaque avec fougue le mont Lungo, de l'autre côté de la ligne Bernhard, mais, sous un déluge de feu, elle échoue après avoir essuyé des pertes sensibles et s'être désagrégée. A la fin de l'année 1943, sur le théâtre sud des opérations, les Alliés sont arrivés au Carigliano, à proximité de la ligne Gustav et au pied des montagnes qui la protègent. Le plus dur pour atteindre Rome reste à faire. En novembre 1943, est créé le Comité d'action en France (COMIDAC) présidé par le général de Gaulle et comprenant le ministre de la Guerre et le ministre de l'Intérieur. son secrétariat est assuré par la Direction générale des services spéciaux résultant de la fusion des services spéciaux de la France libre avec ceux de l'Armée d'armistice. Cet organe témoigne de la volonté du général de Gaulle d'engager les forces françaises dans la libération de la France. En novembre 1943, des officiers et sous-officiers français arrivent, par petits groupes ou individuellement aux Indes où ils sont intégrés au Service Action français qui collabore avec la Force 136, dépendant du Special operation executive, dont le PC est à Londres. La Force 136 a la responsabilité de l'action clandestine dans les territoires d'Asie occupés par les Japonais. Les nouveaux venus vont subir une formation intensive à la vie clandestine dans un milieu proche de celui où ils vont devoir intervenir en des lieux identiques répartis sur tout le territoire hindou. Ultérieurement, ils doivent être amené en Indochine pour y prépare sa reconquête, en se livrant à des activité d'information, de sabotage, de formation de maquis et de guérilla sur le modèle des Chindits. 28 novembre - 1er décembre 1943 : Rencontre de Téhéran entre Roosevelt, Churchil et Staline Du 28 novembre au 1er décembre 1943, Churchill et Roosevelt, après avoir vu Tchang Kaï Chek au Caire (conférence Sextant), rencontrent Staline à Téhéran, dans un Iran occupé par les forces anglaises et soviétiques. On dit que Roosevelt aurait aimé rencontrer Staline seul; mais Churchill s'y serait opposé; Roosevelt aurait alors exigé la présence d'un tiers à l'escale du Caire, le président chinois, afin d'éviter que Staline ne soupçonne les deux leaders occidentaux de s'être entendus secrètement avant leurs entretiens avec lui. A cette escale, Churchill revient sur son projet de débarquement dans les Balkans, que Roosevelt repousse à nouveau. Le lieu de Téhéran a été choisi parce qu'il n'est pas loin de Moscou et que Staline, chef suprême des armées soviétiques, ne peut pas s'en éloigner trop ni longtemps. Ce lieu présente l'inconvénient d'être situé dans une ville grouillante d'espions où se posent d'importants problèmes de sécurité. Hitler a chargé Skorzeny d'enlever Roosevelt; heureusement, un agent soviétique, Kouznetsov, qui agit derrières les lignes allemandes, dans la région de Rovno, réussit à infiltrer l'armée allemande, sous l'identité usurpée du lieutenant Siebert de la Wehrmacht; il se lie d'amitié avec un officier SS, von Orthel, qui l'invite à s'engager dans cette unité d'élite où l'avancement est plus rapide; par une soirée bien arrosée, le SS se livre à des confidences sur une mission secrète à laquelle il doit participer à Téhéran : l'enlèvement du président américain; Kouznetsov prévient immédiatement ses supérieurs en donnant le signalement de von Orthel; l'enlèvement est déjoué. Mais Roosevelt, qui aurait préféré loger en terrain neutre, doit prendre ses quartiers à l'ambassade soviétique où se tiennent les réunions. Quant à Churchill, l'ambassade de Grande-Bretagne étant proche de l'ambassade soviétique, un dispositif provisoire est construit afin qu'il puisse se rendre aux conférences à l'abri des regards et des attentats. D'importantes décisions politiques et militaires sont prises au cours de cette première réunion des trois dirigeants alliés : on va y parler de la France, de l'organisation d'un débarquement en Normandie au printemps 1944 (opération Overlord), du futur de l'Allemagne et de l'affaire polonaise, et de la consécration de Tito comme véritable chef de la résistance yougoslave. Au cours d'une première rencontre en tête à tête, entre le président américain et le leader soviétique, Roosevelt annonce à Staline qu'il espère bientôt distraire 30 à 40 divisions allemandes du front soviétiques, promesse que Staline accueille favorablement; le président américain insiste sur l'effort que cela représente pour son pays. Il aborde ensuite la question de la France. Selon lui, Churchill pense que ce pays se redressera et redeviendra rapidement une grande puissance. Mais il n'est pas de cet avis. Roosevelt déclare que la France a besoin de dirigeants nouveaux mais qu'il ne fait pas confiance à de Gaulle. Sans citer le chef de la France libre, Staline observe que les dirigeants de Vichy collaborent sans avoir demandé l'avis du peuple français. Ce bref échange, apprend au dirigeant soviétique, s'il ne le savait déjà, que des divergences existent entre les deux alliés occidentaux concernant le gouvernement de la France libérée. Il saura habilement tirer partie de tout ce qui sépare ses deux interlocuteurs dans l'intérêt de son pays. Le débarquement constitue le sujet majeur des entretiens qui se succèdent au cours des séances plénières. Churchill remet en discussion son projet de débarquement dans les Balkans que Staline rejette avec le soutien de Roosevelt. Staline ne croit pas en l'entrée en guerre de la Turquie. En revanche, le leader soviétique accepte l'idée d'un second débarquement en Provence comme diversion ou appui du premier, cette stratégie de prise en tenaille de l'adversaire ayant parfaitement réussi en Russie. Manifestement, le leader soviétique tient à ce que les Alliés occidentaux se tiennent le plus loin possible de l'Europe de l'Est! Staline s'étonne que le commandant suprême des forces alliées du débarquement ne soit pas encore nommé; il estime que ce chef doit participer à la préparation de l'opération pour en appliquer correctement le plan; sans vouloir participer à un choix qui incombe totalement aux Anglo-Américains, le retard dans la nomination d'un personnage aussi important inquiète Staline et l'amène à douter de la sincérité ses alliés; ces derniers ne peuvent évidemment pas avouer que ce retard provient des divergences qui opposent Anglais et Américains et des difficultés qui sont apparues au sein même de l'Administration US : on a bien pensé au général Marshall, mais la présence nécessaire de ce dernier aux États-Unis n'a pas permis de retenir cette solution. Au cours de l'une des séances particulièrement tendues, Staline menace de se retirer de la conférence. Roosevelt, toujours diplomate, détend l'atmosphère en proposant d'aller déjeuner; au cours du repas, on parle gastronomie, mérites des vins géorgiens et du cognac français, très apprécié par Churchill, et une ambiance cordiale renaît. Le 29 novembre, au cours d'une cérémonie solennel, Churchill remet à Staline un glaive forgé par des armuriers britanniques offert par le roi Georges VI à la ville de Stalingrad pour célébrer son héroïsme et sa victoire. Les deux hommes sont revêtus d'un uniforme militaire; celui de Staline porte les insignes de maréchal, dignité militaire qui vient de lui être attribée. Staline tire de son fourreau la lame et y dépose un baiser. Il remercie Churchill au nom de Stalingrad et lui demande de transmettre ses remerciements au roi. Cette réunion, amicale quoique empreinte de grandeur, montre symboliquement, qu'au delà de leurs divergences, les Alliés restent unis jusqu'à la victoire finale et elle contribue à détendre l'atmosphère des réunions. Pour ce qui concerne l'Allemagne, les trois grands sont d'accord sur un point : il ne faut pas permettre à l'Allemagne future de déclencher un nouveau conflit. Mais sur les moyens pour y parvenir, c'est une autre affaire. Roosevelt propose de morceler l'Allemagne en cinq États, de détacher les régions de Kiel et de Hambourg et de les mettre sous l'administration des Nations Unies ou des quatre grands (La France réapparaît-elle?) et placer la Ruhr et la Sarre sous le contrôle des Nations unies ou sous la tutelle de l'Europe (une Europe qui n'existe pas en tant que force politique!). Churchill oppose un autre plan; pour lui, la responsabilité de la guerre incombe à la seule Prusse et à son militarisme, ce qui est plus que contestable en raison des conditions de naissance et de développement du nazisme; il propose donc de séparer la Prusse du reste de l'Allemagne et de créer dans le bassin du Danube un grand État qui reconstituerait à peu près l'ancien empire d'Autriche-Hongrie démantelé après la Première Guerre mondiale. Staline n'a pas de plan, mais il objecte à Roosevelt que, si les Allemands le veulent, nul ne pourra les empêcher de se réunifier. Quant au plan de Churchill, il ne peut évidemment l'accepter car il l'interprète nécessairement comme une machine de guerre contre l'Union soviétique, même s'il se garde de le dire; il se contente d'observer qu'il est d'accord pour distinguer les Autrichiens des Allemands, mais qu'il ne fait aucune différence entre les seconds, qu'ils soient Prussiens, Bavarois, Saxons, Hanovriens... qu'ils sont tous également responsables et se battent tous sur le front avec la même énergie. Roosevelt est d'accord avec Staline sur ce point, tandis que Churchill, hostile au démembrement de l'Allemagne, se retrouve avec Staline sur l'inévitable réunification de l'Allemagne. Bref, la question semble bien difficile; aussi sa solution est-elle remise à plus tard. Vers la fin des la conférence Staline dénonce les attaques anti-soviétiques du gouvernement polonais en exil à Londres; il réclame que les territoires appartenant autrefois à l'Ukraine et à la Biélorussie leur soient rendus, ce que Churchill accepte en proposant en même temps que cette perte de territoire à l'est de la Pologne soit compensée à l'ouest, au détriment de l'Allemagne, en déplaçant la frontière jusqu'à l'Oder, quitte à transférer les populations; la frontière soviétique revient donc à la ligne Curzon, et la conquête soviétique de 1939 est entérinée, Churchill ne faisant qu'appliquer ce qu'il pensait déjà au début de la guerre; Staline est d'accord, mais il ajoute que l'Union soviétique est disposée à vivre en bon terme avec ses voisins, et que cela ne sera possible avec la Pologne que si son gouvernement n'est pas celui de Londres. La solution de la question polonaise passe donc par l'effacement du gouvernement en exil au profit d'un gouvernement plus proche de Moscou. Le sort du futur soulèvement de la capitale polonaise se lit en filigrane derrière cette exigence. Roosevelt, qui reconnaît les immenses sacrifices consentis par l'URSS pour la cause commune, promet des crédits massifs à Staline pour reconstruire son pays une fois la guerre gagnée. Le leader soviétique remercie et accepte cette proposition à conditions qu'elle soit assortie de conditions acceptables. Le président américain s'engage à y veiller lui-même. Malheureusement, il ne sera plus là au moment de tenir sa parole! Quelques remarques complémentaires au sujet de l'état d'esprit de Churchill. Le projet d'offensive dans les Balkans rappelle celui qui aboutit à un fiasco pendant la Première Guerre mondiale, alors que Churchill dirigeait la marine britannique; il est significatif des préoccupations du Premier ministre de Grande-Bretagne après les succès soviétiques sur le front de l'Est. Churchill, dans le droit fil de la tradition diplomatique britannique, vise moins à rétablir la liberté des peuples qu'à restaurer en Europe un équilibre favorable à son pays qui suppose l'absence d'hégémonie continentale; il redoute que l'URSS ne prenne une place trop grande dans la victoire et voudrait limiter les ambitions territoriales de l'allié communiste; la Guerre froide germe déjà avant que le conflit en cours ne soit terminé! Voici maintenant quelques anecdotes. Churchill, lors d'un tête à tête avec lui, dit à Staline qu'il a tout fait pour mettre Dieu de son côté; Staline lui répond malicieusement qu'il est sûr d'avoir le diable du sien puisque chacun sait que le diable est communiste! Au cours d'une autre réunion entre les trois hommes seuls, Staline aborde la question de la punition à infliger à l'Allemagne après la victoire; il avance le nombre de 50 000 officiers à fusiller; Churchill, déjà de mauvaise humeur par le rejet du projet balkanique auquel il tenait, s'indigne; alors, Roosevelt, non sans humour, l'invite à se calmer en disant qu'il y a moyen de s'arranger et que Staline descendra certainement à 40 000; Churchill quitte la séance en claquant la porte; peu de temps après, Staline le rejoint pour le rassurer en l'assurant qu'il ne s'agissait que d'une plaisanterie. Mais le Premier ministre britannique a pris conscience de la faiblesse de son pays face aux deux superpuissances en train d'émerger. Au déjeuner de la dernière journée, Roosevelt rayonnant annonce que l'opération Overlord est fixée au mois de mai 1944 et qu'elle sera suivie par un second débarquement en Provence; les représentants soviétiques accueillent cette bonne nouvelle dans une apparente indifférence, mais Staline ne peut cacher son émotion : une pâleur inhabituelle envahit son visage. Il promet à Roosevelt et à Churchill une puissante offensive soviétique dès que le débarquement aura commencé. Peu de temps après la conférence, le 6 décembre, le général Eisenhower est nommé commandant suprême des forces alliées d'invasion et son état-major devient le SHAEF (État-major suprême des Forces expéditionnaires alliées). Il absorbe le COSSAC. Walter B. Smith est nommé chef d'état-major avec pour adjoint Morgan qui dirigeait le COSSAC. Trois Anglais prennent le commandement des troupes d'invasion : Montgomery dirigera l'armée de terre, l'amiral Ramsay sera à la tête de la marine et le général Leigh-Mallory à celle de l'aviation. Staline a obtenu satisfaction : le débarquement se prépare avec ceux qui devront l'exécuter. En décembre 1943, le tchèque Benès se rend à Moscou pour signer un pacte d'assistance mutuelle aux termes duquel Staline s'engage à ne pas intervenir dans les affaires intérieures de la Tchécoslovaquie. Au cours de l'année, sous la pression des communistes, des groupes de partisans slovaques se sont formés pour harceler les Allemands; certains rejoignent les partisans soviétiques qui se battent à l'arrière des lignes allemandes. Au début de 1944, des agents, instructeurs et futurs chefs, entraînés en Union soviétique, leur sont parachutés. Le PC crée partout des comités nationaux qui appellent à la lutte armée pour renforcer son influence au moment de la Libération. Le 26 décembre 1943, en fin d'après midi, le croiseur allemand Scharnhorst, déjà très endommagé, est coulé par le cuirassé Duke of York de la marine britannique, au cours de la bataille du Cap Nord, alors qu'il tentait de s'en prendre à un convoi de bateaux alliés, après que l'amiral Bey, qui le commandait pour la première fois, eût commis plusieurs erreurs graves. Des grosses unités navales allemandes, il ne reste plus que le Tirpitz, surnommé le Roi solitaire du Nord. Décembre 1943 - mai 1944 : Neutralisation de Rabaul et Kavieng (Pacifique) Dans le prolongement de leurs offensives de Papouasie et des îles Salomon, les Américains, au lieu d'attaquer de front les principales bases japonaises, Rabaul et Kavieng, décident de les tourner pour les isoler, malgré l'opposition de Mac Arthur, en s'emparant des aéroports afin de couper leurs voies de ravitaillement. Le 26 décembre 1943, les Marines prennent pied à l'est de la Nouvelle-Bretagne, au cap Gloucester, via le détroit de Dampier. Dans la baie de Borgen, ils ne rencontrent pas d'opposition car les Japonais ne pensaient pas que l'on puisse débarquer dans un milieu aussi hostile, marécageux, et où de grands arbres pourris tombent sur les soldats en en tuant plusieurs! Néanmoins, malgré une opiniâtre résistance de l'adversaire partout où il se trouve, les assaillants prennent l'aéroport comme cadeau de nouvel an au peuple américain; les troupes débarquées se dirigent ensuite vers l'est, pour s'emparer de l'aéroport de Talasea qui tombe le 6 mars; l'ouest de la Nouvelle-Bretagne échappe désormais aux Japonais. Le 29 février 1944, ce sont les îles de l'Amirauté, plus au nord qui constituent la cible, non des Marines, comme c'est souvent les cas, mais de l'armée de terre (cavalerie). L'île de Los Negros est attaquée la première; les cavaliers s'y heurtent à des manières de combattre auxquelles ils ne sont pas habitués; les Japonais se jettent à l'assaut en chantant animés par un fanatisme religieux difficilement compréhensible par des Occidentaux; la taille entourée d'une ceinture confectionnée par leur famille (senninbari), fidèle au code d'honneur militaire (Bushido) fortement imprégné de bouddhisme, ils meurent pour leur dieu vivant, le mikado, en une sorte d'holocauste collectif qui constitue à leurs yeux une manière de sacrement; certains poussent cette frénésie morbide, jusqu'à s'immoler en groupe en faisant exploser une grenade contre leur poitrine en défi à leurs adversaires; mais tout cet héroïsme quelque peu désuet ne suffit pas et, au 8 mars, l'île est tombée avec l'aéroport de Momote et la base navale de Mokerang pourvue d'un terrain d'aviation; on compte 10 morts japonais pour un mort américain, score qui se vérifiera dans les autres îles; le 12 mars, c'est au tour de l'île de Hauwei d'être attaquée et enfin le 15 mars de celle, plus importante, de Manus, avec son aérodrome de Lorengau, qui demandera plus d'une semaine d'efforts, jusqu'au 25 mars. Le 20 mars, après avoir contourné par l'est la Nouvelle-Irlande, les Marines s'en prennent au groupe Saint-Matthias (Emirau), au nord-ouest de Kavieng. Le 18 mai, la campagne s'achève officiellement. Les travaux de remise en activité des aéroports et de la base navale sont bien avancés. Les bases japonaises de Rabaul et Kavieng, complètement isolés, ne sont plus ravitaillés et sont soumis à d'intenses bombardements quotidiens. Mac Arthur, protégé à l'est, peut regarder du côté des Philippines, mais il lui faut d'abord reconquérir l'ouest de la Nouvelle-Guinée. 1944-1945 : Vers la victoire Au début de l'année 1944, beaucoup de travail a déjà été accompli par le COSSAC qui a maintenant intégré le SHAEF. Mais la mission n'est ni simple ni facile. Il s'agit de briser les défenses de la forteresse Europe que le Führer présente comme infranchissables, ce qui, d'après Rommel, à qui il en a maintenant confié la charge, est loin d'être le cas. Le général von Rundstedt, chef du front de l'Ouest, pense qu'un débarquement allié n'a aucune chance si les assaillants ne s'emparent pas rapidement d'un port important pour soutenir les premières vagues d'assaut. Il a donc fortifié lourdement les ports qui sont pratiquement imprenables depuis la mer. Mais, de la Norvège à la côte basque, le reste, et notamment les plages, n'est que légèrement protégé d'une attaque de l'extérieur. Rommel pense que, si les Alliés réussissent à percer le Mur de l'Atlantique et à avancer dans les terres, ils pourront prendre les ports dont ils ont besoin à revers, par les terres. Aussi faut-il à tout prix les clouer sur les plages et les rejeter à la mer. Dans cet esprit, il renforce fébrilement, car il sait que le temps lui est compté, les défenses des côtes, là où elles sont manifestement insuffisantes, et truffe les plages de mines et d'obstacles pour retarder la progression des envahisseurs (chevaux de frise anti-barges, tetrahydra anti-chars...). Il compte sur une aviation presque à bout de souffle et sur les blindés qu'il souhaite rapprocher du front. Mais, sur ce dernier point, il se heurte à l'opposition de von Rundstedt et des chefs de divisions de chars qui préfèrent les tenir à l'arrière pour les lancer dans la bataille au moment opportun, comme en 1940. Rommel est conscient du fait que cette période est révolue et que les Allemands n'ont plus les moyens des grandes offensives qui leur ont donné naguère la victoire. Il tient pour certain que, si les Alliés réussissent à prendre pied en France, l'Allemagne perdra la guerre inexorablement. Malgré ses demandes, il ne parviendra pas à obtenir une force blindée suffisante à proximité des lieux de débarquement. D'ailleurs, où le débarquement se prodiura-t-il? Rommel, comme Hitler, croit que ce sera dans le Pas-de-Calais, avec, bien sûr, des diversions ailleurs. Mais, prudent et dubitatif, il n'en améliore pas moins les défenses de la baie de Seine notamment en noyant ses zones marécageuses. Les Alliés, quant à eux, ont un grand intérêt à tromper les Allemands sur l'endroit principal de leur attaque afin de se ménager l'effet de surprise. Il leur faut donc choisir un autre lieu de débarquement, ce sera la côte normande entre la presqu'île du Cotentin et le port du Havre, en baie de Seine. Il suffit d'examiner une carte pour comprendre ce choix : c'est en fait le lieu de convergence le plus approprié des convois partant de tous les ports du sud de l'Angleterre, Calais aurait été beaucoup trop éloigné pour les ports de l'ouest. Les Allemands pourraient donc facilement deviner ce choix. Aussi convient-il de les confirmer dans leur conviction initiale. Pour ce faire tout va être mis en oeuvre jusqu'à la création d'armées factices, de chars gonflables en caoutchouc placés dans les environs de Douvres, en passant par de répétitifs déplacements de troupes qui déconcertent l'ennemi, en divulguant de fausses informations grâce au réseau factice de l'agent double Juan Pujol Gracia, un antifasciste espagnol, domicilié au Portugal, sans doute le meilleur à cette époque en son genre, qui travaille pour les Anglais tout en étant payé par les Allemands, et que Hitler tient pour l'un de ses meilleurs espions. Les Alliés fomentent aussi sur le continent des attentats qui laissent supposer que le débarquent pourrait bien avoir lieu ailleurs qu'en France. Il faut aussi détruire l'aviation allemande pour l'empêcher d'aller surveiller de trop près les côtes anglaises et la mettre dans l'incapacité d'intervenir sur les plages françaises le jour du débarquement. On sait que l'utilisation de l'aviation stratégique alliée a fait l'objet d'un compromis et qu'une partie seulement de cette aviation sera présente pour appuyer le débarquement. Comme on l'a vu, le Mur de l'Atlantique, construit par l'organisation Todt, n'est pas aussi solide que le prétend la propagande nazie, mais ce n'est pas non plus un château de cartes qui s'effondrera sous les premiers coups de canons. Overlord est une opération complexe jamais encore réalisé avec cette ampleur. Il faut appréhender dans les moindres détails le terrain sur lequel elle se déroulera. L'aviation peut prendre des clichés qui permettent de dresser une carte détaillée de la côte et de l'intérieur, mais, pour connaître la consistance du sable des plages, et bien d'autres détails, il faut envoyer sur place de nuit par sous-marins des agents au péril de leur vie. Les Alliés savent aussi qu'ils devront s'emparer rapidement d'un port et que c'est mission impossible, la leçon de Dieppe est encore fraîche dans les mémoires; ils décident donc la construction de deux ports flottants en acier et ciment qu'ils emmèneront avec eux, opération inédite qui ne s'improvise pas! La Manche est large à l'endroit choisi pour le débarquement, ce qui impose des contraintes pour l'aviation et la marine. Les Allemands y mouillent quotidiennement de nombreuses mines, il faut donc prévoir le déminage des chenaux de navigation qu'emprunteront navires de guerre et bâtiments de transport de troupes. Il faudra aborder les plages au moment où le flot sera optimal pour franchir les obstacles dont elles sont semées. Il faudra les dégager de ces obstacles ou surmonter ceux-ci; un général britannique imaginatif est mis à contribution; il conçoit toute une série d'engins, plus ou moins efficaces, à partit de déclinaisons de chars : Duplex Drive (Sherman DD) ou char amphibie pourvu d'hélices et sommé d'un coffrage étanche en toile imperméable qui transforme le véhicule en une sorte de bateau; Bobbin qui déroule un tapis sur la plage pour faciliter le passages des véhicules; char Crab ou char fléau destiné à ouvrir un passage dans les champs de mines; Avre, un char dédié au génie équipé d'un pont pour franchir un espace de 9 mètres de large; Crocodile, un char lance-flammes; char lance-pétards.... A cette ménagerie mécanique anglaise, l'Américain Culin rajoutera le Rhinocéros, un char pourvu d'une lame à l'avant qui cisaillera les haies du bocage; Le Duplex, testé en eau calme, s'avére dangereux en mer, à cause de la houle qui passe par dessus bord, inonde la cale en toile, et envoie le tout par le fond; son emploi s'avèrera parfois catastrophique! Si on réussit à franchir le Mur et que l'on débouche sur la terre ferme, il faudra affronter les blindés allemands; ceux des alliés ne font pas le poids face aux Tigres et Panthers; le canon des chars anglais n'est pas assez puissant, cela tient au fait que, depuis le début de la guerre, les Britanniques considèrent, comme les Français, sauf de Gaulle, que les chars doivent servir d'appoint à l'infanterie; les Anglais pensent également que l'armement du char passe d'abord par la vitesse et le blindage; le char américain Sherman est excellent, mais il reste inférieur aux chars allemands; il a un successeur sans doute encore meilleur que lui, le T-20, mais la production de ce dernier est sacrifiée pour ne pas perturber la production du Sherman; en outre, l'arme blindée américaine souffre de son rattachement, jusqu'en 1940, à l'infanterie, puis à la cavalerie. Le commandement allié compte sur le nombre pour écraser l'ennemi comme l'ont fait les Russes. Il espère aussi que les actions des FFI et les bombardements alliés des voies de communications retarderont suffisament l'arrivée des renforts sur les lieux de la bataille. La coordination avec la Résistance est du domaine du SOE. Enfin, le SHAEF doit rassembler des milliers de navires et des millions d'hommes, loin d'être homogènes et qui ne viennent pas de la porte d'à côté; certains soldats, comme la plupart des Américains, n'ont jamais vu le feu; il faut minuter avec précision et coordonner les actions des troupes, tout en s'occupant de l'intendance (munitions, nourriture des hommes, carburant des véhicules, on pense à un pipe-line sous la Manche...), choisir une date compatible avec les marées et les conditions atmosphériques, sous contrainte des lunaisons, afin que le déplacement de l'Armada ait lieu dans la discrétion la plus grande possible. On mesure l'étendue des responsabilités
qui pèsent sur les épaules de quelques hommes et on comprend
les délais, les hésitations, les adaptations, les erreurs
et les retards qui en résultent. Plus tard, à l'époque
de la Guerre froide, des auteurs soviétiques affirmeront que le
débarquement aurait pu avoir lieu plus tôt, en 1943, voire
en 1942, et qu'il a été différé uniquement
dans le dessein d'affaiblir l'Union soviétique. C'est oublier plusieurs
facteurs très importants qui ne sauraient être passés
sous silence, d'abord la compexité de l'affaire, on vient d'en parler,
ensuite qu'en 1942, la situation des Alliés occidentaux était
loin d'être brillante sur l'ensemble des fronts, notamment en Asie,
enfin que des divergences importantes opposaient les Occidentaux en matière
de stratégie, on en a eu un aperçu tout au long de ce travail.
Ajoutons que l'échec aurait été catastrophique car
il aurait renvoyé une autre tentative aux calendes grecques, aurait
sapé le moral des occupés et remonté celui des forces
de l'Axe. On peut comprendre l'impatience des Soviétiques, mais
force est de reconnaître que les Alliés occidentaux ne pouvaient
probablement guère faire mieux que ce qu'ils ont fait.
Janvier - mars 1944 : Seconde offensive de l'Arakan (Birmanie) Après le remplacement de Wavell, nommé vice-roi des Indes, par le général Auchinleck, placé sous les ordres de l'amiral lord Moutbatten, nommé commandant suprême du SEAC (commandement du Sud-Est asiatique) au lendemain de la Conférence de Québec, les Anglais des Indes, aiguillonnés par Churchill, préparent une nouvelle tentative à portée limitée dans l'Arakan, où le général Slim, à la tête de la 14ème armée britannique, fait face aux Japonais. La 14ème armée comporte le 15ème corps, aux ordres du général Christison, composé de trois division dont la 5ème indienne (général Briggs) et la 7ème indienne (général Messervy). Briggs, sur la droite, est chargé de s'emparer de Maungdaw, et Messervy, sur la gauche, à la tête de troupes moins expérimentées, est dirigée sur Buthidaung. Les deux pointes britanniques sont séparées par la chaîne de montagne des Mayu. L'objectif final est la prise de la route Maungdaw-Buthidaung, dite route des tunnels. Le 9 janvier, Briggs, parti de Bawli Bazar, s'empare de Maungdaw. Le 26 janvier, il tente une opération en direction de Razabil, une importante forteresse profondément enterrée, au-delà de la route des tunnels, qui échoue. Pendant ce temps, Messervy, parti plus à l'est, de Goppe Bazar, a atteint Taung Bazar, et progressé vers son objectif, Buthidaung. Mais, le 4 février, le général japonais Hanaya, qui dirige la 55ème division, lance en avant la colonne Sakurai, à l'est des troupes de Messervy (opération Ha). Stratégiquement parlant, cette contre-offensive japonaise prend place dans un plan de grande envergure qui vise à envahir l'Inde depuis la Birmanie, comme on le verra plus loin, mais tactiquement parlant, il s'agit de tourner les Anglais de Messervy, puis, en lançant deux colonnes sur le nord de leur couper la retraite, tandis qu'une troisième colonne dirigée sur le sud-ouest détruira les forces encerclées. Taung Bazar tombe rapidement aux mains des Japonais qui poussent la 7ème division de Messervy, surprise, vers les montagnes puis vers la 5ème division de Briggs. Le 6 février, les troupes de Messervy, revenues de leur désagréable surprise, repoussent une attaque japonaise mais d'autres attaques les forcent à se replier sur sur Admin Box, un lieu opportunément fortifié par la prudence britannique, près de Sinzweya. Le 7 février, après la prise du col de Ngakyedauk, Admin Box est isolée et son siège commence. Le 8 février, une tentative de ravitaillement aérien des assiégés échoue par suite de l'intervention des avions japonais. Heureusement, ceux-ci n'ont plus la maîtrise de l'air et, le 11 février, les parachutages réussissent. De violents combats se déroulent autour du point assiégé. Les alliés essaient de le dégager en vain, les 12-14 février ainsi que le 16 février. Les Japonais s'emparent de l'hôpital de campagne et, aidés par des Hindoux prisonniers passés de leur côtés, pour former l'embryon d'une armée nationale indienne, ils massacrent les blessés et les membres du corps médical, médecins compris, qui tombent entre leurs mains. Le 25 février, les forces britanniques (123ème brigade) franchissent le col de Ngakyedauk et obligent enfin les Japonais à lever le siège d'Admin Box. Les Japonais mettent fin à l'opération Ha. Le 11 mars, les Alliés s'emparent de Buthidaung et, le 12 mars, ils encerclent et prennent Razabil. Cette victoire remonte le moral de la 14ème armée britannique. Les Anglais savent désormais déjouer les manoeuvres japonaises et le ciel est à eux! Le 11 janvier 1944, Ciano, gendre de Mussolini, ainsi que d'autres dignitaires fascistes qui ont abandonné le Duce en fin juillet 1943 sont fusillés dans les dos ligotés et assis sur des chaises, le châtiment des traîtres, sur ordre des dirigeants de la République sociale de Salo. En janvier 1944, von Moltke est arrêté et le Cercle de Kreisau est dissous. Depuis des mois, la Gestapo suivait les conjurés sans les arrêter car elle avait conscience de ne pas tous les connaître et continuait donc secrètement ses investigations, pour ne pas éveiller de soupçons, en espérant, le moment venu, faire tomber d'un coup dans ses rets le maximum de monde. 14 janvier - 26 février 1944 : Fin du siège de Leningrad On le sait, depuis un an Leningrad est relié au monde extérieur par une ligne de chemin de fer grâce à l'offensive soviétique de janvier 1943. Le 14 janvier 1944, le front de Leningrad, aidé par la flotte de la Baltique, repart à l'attaque depuis l'enclave d'Oranienbaum, à l'ouest de la ville, mais séparée d'elle par le saillant allemand de Peterhof-Streina, sur les bords du Golfe de Finlande. En même temps, plus au sud, le front du Volkhov passe également à l'offensive, en direction de Novgorod. Le 15 janvier, le front de Leningrad, lance une nouvelle attaque à partir des hauteurs de Poulkovo, au sud-ouest de Leningrad, de l'autre côté du saillant allemand. Le 16 janvier, cette nouvelle attaque libère Alexandrovka et coupe la route Krasny-Pouchkine élargissant le couloir qui sépare Leningrad des troupes allemandes qui l'assiègent encore. Le 19 janvier, les troupes venues de la poche d'Orianenbaum rencontrent celles qui viennent de Poulkovo devant Krasny et libèrent Ropcha, encerclant ainsi le saillant. Le 20 janvier, le front du Volkhov libère Novgorod. Le 21 janvier, les forces allemandes du saillant sont anéanties tandis qu'à l'est, au sud de Leningrad, d'autres troupes du même front libèrent Mga. Du 21 au 29 janvier, la progression de l'Armée rouge s'accentue libérant Pouchkine, Sloutsk, Gattchina, Liouban et Tchoudovo. La voie ferrée Moscou-Leningrad est rétablie. Le 27 janvier les salves d'honneur de 324 canons saluent la fin du siège de la cité martyre qui a résisté pendant trois ans! Le 1er février, les forces soviétiques dépassent Kingisepp et atteignent la Narva, au nord-est de l'Estonie. Le 12 février, elles entrent à Louga, à l'ouest de Novgorod et, le 18 février, à Staraia Roussa, au sud du lac Ilmen, à l'est, puis, le 26 février, à Porkhov, plus à l'ouest, en direction de Pskov. Elles poursuivent leur avance jusqu'à une ligne qui s'étend du golfe de Finlande, au nord de Narva, jusqu'à sa jonction au sud avec le front de Smolensk, après Poustochka, dans l'oblast de Pskov, au nord de Nevel, en passant le long des rives orientales des lacs Tchoudskoïé et Pskovskoïé, puis par la ville de Novorjé, ligne atteinte le 1er mars, où elles commencent à se regrouper. La campagne d'automne de l'Armée rouge, avec les batailles du Dniepr et de Smolensk, est alors terminée. Le 19 janvier 1944 , la Légion Azul
a été utilisée en force retardatrice de la retraite
allemande devant Leningrad, mission périlleuse et coûteuse.
Franco lui a donné l'ordre de rapatriement le 14 février.
Les restes de La légion sont reformés près de Narva
et renvoyés par train vers l'Espagne le 6 mars. Quelques-uns seraient
restés avec la Wehrmacht dont ils auraient subi le sort jusqu'à
Berlin. Ceux qui revinrent en Espagne y furent accueillis en catimini,
sans tambour ni trompette.
Au début de l'année 1944, le siège de Leningrad est sur le point d'être levé et l'Armée rouge occupe de solides têtes de pont sur la rive droite du Dniepr. Elle dispose d'une supériorité numérique qui n'est pas encore écrasante mais qui lui donne l'initiative. Elle se compose de soldats aguerris dirigés par des officiers compétents coordonnés par des stratèges éprouvés (Joukov et Vassiliewski) passés maîtres dans l'art de la guerre éclair sous l'autorité de la Stavka. Elle sait que l'ennemi ne peut pas être renforcé car l'ouverture d'un nouveau front à l'Ouest n'est plus qu'une question de mois. La décision est prise d'attaquer sur tous les fronts avec deux objectifs principaux : l'ouest de l'Ukraine et la Crimée. C'est donc au Sud que vont se livrer les principaux combats. Face à elle se trouvent dans cette zone, du côté allemand, le groupe d'armée du Centre (Kluge), le groupe d'armées du Nord d'Ukraine (Model), le groupe d'armées Sud (Manstein), le groupe d'armées Sud d'Ukraine (Schorner) et le groupe d'armées A (Kleist). Les Allemands se sont solidement fortifiés et n'ont pas perdu l'espoir de refouler les Soviétiques de l'autre côté du Dniepr. D'autre part, les conditions atmosphériques très défavorables, après la neige des pluies incessantes, et l'état des routes, transformées en bourbiers, leur laissent espérer une période de répit. Mais ce n'est pas l'option de la Stavka qui a décidé de passer à l'offensive en Ukraine avant les beaux jours, non pour en chasser l'occupant, mais pour l'y anéantir. Pour ce faire, il a imaginé de morceler le dispositif adverse par plusieurs offensives en tenailles, visant à couper les unités ennemies les unes des autres et à les encercler dans des poches avant de les éliminer, puis, par un mouvement plus vaste de le couper en deux et d'écraser tout ce qui se trouve au sud. Pour le moment, les forces respectives ne sont
pas trop déséquilibrées. Les Soviétiques possèdent
la supériorité en hommes (2 365 000 contre 1 760 000), en
canons (28 800 contre 16 000) et en avions (2 360 contre 1 460). Les Allemands
disposent d'un peu plus de chars (2 000 contre 2200). Mais les Soviétiques
ont la capacité de concentrer une supériorité de 1
à 3 sur les pointes de leurs attaques tout en maintenant une résistance
convenable ailleurs.
Dès le 24 décembre 1943, commence une offensive de printemps précoce. Le 1er front d'Ukraine (Vatoutine) attaque depuis sa tête de pont sur le Dniepr, à l'ouest de Kiev, vers le nord, en direction de Sarny puis Loutsk et en direction de Rovno, et vers le sud en plusieurs directions, vers Jitomir puis Berditchev, vers Biélaia Tcherkov puis Zvenigorodka et vers Ouman. Le 5 janvier, le 2ème front d'Ukraine attaque au sud de Kanev vers l'ouest, en direction de Chpola puis Zvenigorodka, et en direction de Kirovograd puis Novooukrainka et Pervomaïsk; les Allemands perdent la tête de pont qu'ils tenaient encore sur la rive gauche du Dniepr; Kirovograd est libéré, le 8 janvier, et un dangereux saillant est créé dans les lignes de l'Axe. Du 25 au 28 janvier, les 1er et 2ème fronts d'Ukraine lancent un mouvement en tenaille contre le saillant; leur jonction à Zvenigorodka, le 28 janvier, encercle dix divisions autour de Korsoun Chevtchenkoski qui, après avoir refusé de se rendre, se battent pour tenter de s'échapper; Le 30 janvier, le 3ème front d'Ukraine (Malinovski) attaque vers l'ouest en direction de Krivoï-Rog et Apostolevo puis Novi Boug, ainsi que sur Nikopol. Le 31 janvier, le 4ème front d'Ukraine (Tolboukhine) attaque vers le nord, sur Nikopol, Apostolevo, Snighirevka puis Nikolaiev, à partir de la bande de territoire qui isole déjà la 17ème armée allemande en Crimée. Le 2 février, les troupes de la branche nord du 1er front d'Ukraine s'emparent de Loutsk le matin et de Rovno l'après midi; un mouvement se dessine pour tourner le groupe d'armées A allemand. De violents combats se déroulent dans les secteurs de Krivoï-Rog et de Nikopol, les Allemands étant résolus à tenir à tout prix ces importants centres de traitement des minerais de fer et de manganèse; le troisième Reich tire en effet une grande partie de son manganèse de Nikopol; le 5 février, les 3ème et 4ème fronts d'Ukraine se rejoignent à Apostolovo, coupant en deux la 6ème armée allemande; les unités de la Wehrmacht qui se trouvent dans la poche de Kirovgrad sont menacées d'encerclement. Le 8 février, le 4ème front d'Ukraine chasse les Allemands de leurs positions sur les passages du Dniepr à Nikopol; il les coupe ainsi de tout espoir de retraite sur la Crimée; puis, de concert avec le 3ème front, il libère Nikopol. Le 17 février, les Soviétiques réduisent le saillant de Korsoun Chevtchenkoski où ils capturent 18 200 prisonniers. Le 22 février Krivoï Rog est reconquise par le 3ème front d'Ukraine qui poursuit les Allemands jusqu'à l'Ingoulets; Ce front est chargé de détruire les forces allemandes de la rive occidentale de l'Ingoulets; la défaite finale de la 6ème armée allemande est un nouveau coup dur pour la Wehrmacht! Il s'agit maintenant d'empêcher d'une part les Allemands de réorganiser leur défense derrière le Prout et d'autre part d'enlever Odessa; le premier but s'effectuera grâce à la collaboration des 1er et 2ème front, le second par les efforts conjoints de la branche de Kirovograd du 2ème front et du 3ème front. Quant au 4ème front, il libèrera la Crimée. Tout est prêt pour la mise en oeuvre de ce plan quand, le 29 février, Vatoutine est grièvement blessé dans une embuscade tendue par des insurgés de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne antisoviétique, loin derrière les lignes du front. Il meurt quelques semaines plus tard et il est remplacé par Joukov. Du 4 au 10 mars, les 1er et 2ème fronts d'Ukraine progressent en direction d'Ouman et de Novooukrainka en livrant de violents combats contre les blindés allemands. Le 10 mars, les deux villes sont prises. Le 11 mars, l'aile droite du 1er front reçoit l'ordre d'avancer en direction de Lvov et de Przemysl et d'atteindre le cours occidental du Boug; son aile gauche reçoit de son côté l'ordre de marcher sur Kamenets Podolski, de traverser le Dniestr et de progresser vers la frontière roumaine; le gros du 2ème front doit pousser jusqu'à Moghilev Podolski et Yampol, tandis que son aile gauche avancera en direction de Kichinev. Le 17 mars, au nord, le 2ème front de Biélorussie (Kourotchkine) attaque en direction de Kovel pour couvrir sur sa gauche le flanc droit et les arrières du 1er front d'Ukraine contre une possible tentative du groupe d'armées du centre de Kluge. Au nord, à la droite du 1er front d'Ukraine, Doubno tombe et les troupes soviétiques parviennent devant Brody le 20 mars. Le 24 mars, les éléments de pointe du 1er front d'Ukraine atteignent le Dniestr et, 5 jours plus tard, les contreforts orientaux des Carpates (Karpates). La retraite de la 1ère armée blindée allemande est coupée dans les environs de Khotin, dont la forteresse moldave est considérée comme l'une des sept merveilles d'Ukraine, ville où convergent les forces des 1er et 2ème fronts d'Ukraine; une poche de troupes allemandes se forme à l'est de Kamenets Podolski. Le 2ème front d'Ukraine pénètre en Roumanie le 26 mars, sur un front large de 80 kilomètres; des contacts ont lieu pour la signature d'un armistice; les Russes exigeant de poursuivre l'armée hitlérienne sur le territoire roumain, les contacts échouent. A partir de 1942, un camp de la paix a commencé à se constituer dans les sphères politiques japonaises. En 1943, il continue de progresser modestement. Son chef est le garde du Sceau privé du mikado, le marquis de Kido, qui s'appuie sur le prince Konoe, un ancien Premier ministre, hostile à la guerre contre les États-Unis. Janvier 1944 : La difficile marche sur Rome (suite) - Première bataille de Cassino - Débarquement d'Anzio Au début de l'année 1944, Eisenhower quitte le théâtre d'opération italien pour préparer les débarquements en France; l'Anglais Wilson lui succède, ce qui va sans doute contribuer à accroître l'intérêt de Churchill pour ce front. les Alliés occidentaux sont sur la ligne Gustav qui a même été franchie au nord par Montgomery. Les 13 et 14 janvier, les troupes françaises du général juin, à l'aile nord de la 5ème armée américaine, enregistrent des succès à Acquafondata, Vallerotunda et Sant Elia. Elles franchissent le Rapido mais échouent dans la conquête du mont Santa Croce, au nord de l'attaque. Une vague d'optimisme soulève la 5ème armée américaine qui s'apprête à tenter une percée de la ligne Gustav à la hauteur de Cassino. Le 15 janvier, le 2ème corps US s'empare du mont Trocchio, en approche de cet objectif. Une opération combinée est montée pour tourner la ligne Gustav par un débarquement sur la plage d'Anzio (opération Shingle), Eisenhower ayant consenti à laisser aux armées d'Italie les moyens de débarquement suffisant pour tenter cette opération. Mais celle-ci n'a des chances de se révéler utile que si des troupes alliées parviennent rapidement à faire leur jonction avec les éléments débarqués. Les 17 et 18 janvier, les troupes britanniques de McCreery tentent de traverser le Garigliano pour attirer les forces allemandes et les contraindre à dégarnir l'Italie centrale. Au nord de l'attaque, la 46ème division britannique échoue; plus au sud la 56ème division britannique parvient à franchir le fleuve et parvient même à pénétrer dans la ligne Gustav au niveau de Castelforte, avant d'être arrêtée; le long de la zone côtière sud, la 5ème division britannique, aidée par la Royal Navy prend Tufo et Minturno, puis se dirige sur Santa Maria Infante. Le 22 janvier, le 6ème corps, sous les ordres du général américain Lucas, débarque à Anzio, les Anglais à gauche et les Américains à droite. Churchill exulte et envoie un message à Staline lui prédisant la conquête rapide de Rome. Mais cette euphorie compte sans le caractère timoré de Lucas qui ne croit pas en la réussite de l'opération. Prudemment, le général américain se retranche sur les plages et attend patiemment que toutes les troupes (plus de 100 000 hommes), et les impedimenta qui les accompagnent, lui parviennent avant de pénétrer plus avant dans les terres, laissant ainsi aux Allemands surpris le temps de se ressaisir. Il ne s'aventure pas jusqu'aux monts Albains, au nord-ouest des plages, et n'engage aucune action sur la route de Rome qui est pourtant libre jusqu'à la capitale. " J'avais espéré que nous allions lâcher un chat sauvage, mais tout ce que nous avons vu, se lamente Churchill, c'est une grosse baleine échouée." Il est vrai que Clark a conseillé à Lucas de ne pas répéter l'erreur que lui-même a commise à Salerne en montrant trop vite le bout de son nez, selon sa propre expression. Deux jours sont ainsi neutralisés. Le 24 janvier, les patrouilles alliés qui s'aventurent dans les terres se heurtent à une résistance croissante. Les Allemands dépêchent sur les lieux la 14ème armée de Mackensen. Le même jour, devant Cassino, la 34ème division US réussit à établir des têtes de pont sur la rive droite du Rapido et des chars traversent la rivière. Du 20 au 21 janvier, à Cassino, le 2ème corps US, au centre du dispositif de la 5ème armée, avance péniblement vers les berges du Rapido. La 36ème division US du Texas est brutalement repoussée avec des pertes sévères. Le 25 janvier, les forces françaises avancent sur le Belvédère, un plateau de 400 mètre d'altitude hérissé de pitons rocheux hauts de 681 à 915 mètres, malgré les réserves du général Juin qui n'approuve pas le plan de Clark, qu'il estime trop risqué pour ses troupes, mais qu'il exécute tout de même en bon subordonné. Les troupes françaises du Maroc, d'Algérie et de Tunisie, commandées par des généraux métropolitains, s'acquittent de leur mission avec courage et détermination. Elles conquièrent le Belvédère et poussent jusqu'au mont Abate, d'où elles sont refoulées par des contre-attaques allemandes en tenaille venues des monts Cairo et Cifalco. Sur le plateau, elles s'emparent des objectifs qui leur ont été assignés et résistent à la baïonnette aux multiples assauts allemands. Elles s'y battent contre un renfort de chasseurs de montagnes ramenés en hâte du lac Ladoga, sur le front de Leningrad. Leurs pertes sont terribles. Exténuées, encerclées, privées de ravitaillement et de munitions, décimées, en proie aux mauvaises conditions climatiques, à la faim et à la soif, elles en sont réduites parfois à utiliser les armes des morts, français et allemands, mais elles tiennent jusqu'au bout! Elles se battent sous le drapeau de la France pour sa liberté, mais aussi pour la leur, car le général de Gaulle leur a laissé entendre, qu'après la victoire, leurs rapports avec la métropole seraient profondément modifiés. Derrière les aspects nationalistes du conflit, transparaît, ici comme ailleurs, son aspect révolutionnaire, qui s'affirmera avec vigueur au lendemain de la Libération. Le 30 janvier, à la droite de la zone de débarquement d'Anzio, les Rangers, troupe d'élite américaine, sont violemment rejetés de Chistera qu'ils tentaient d'atteindre en se dissimulant dans le canal de Pantenne. Le 3 février, après qu'Hitler ait déclaré que la tête de pont d'Anzio allait être écrasée dans le sang des soldats anglais, les contre-attaques allemandes commencent sur la pointe avancée de l'enclave appelée le Pouce. Au cours de la tentative de Mackensen pour rejeter les alliés à la mer, des bombes planantes couleront des navires britanniques et une arme allemande nouvelle, Goliath, sera testée; il s'agit d'un blindé miniature, bourré d'explosif, commandé à distance au moyen d'un fil, dont l'efficacité s'avère à peu près nulle. Les 3 et 4 février, les Alliés s'approchent du monastère de Cassino qui se dresse au sommet de la montagne, un édifice aux allures de forteresse, qu'ils croient aux mains de l'ennemi, ce qui est faux. Les Allemands ont en fait neutralisé le monastère où ne se trouvent que les moines et des réfugiés de la région fuyant les combats. Les soldats allemands préfèrent tenir les pentes d'où l'on voit aussi bien et où il est plus facile de se protéger que dans une maison qui peut servir de cible. Le 7 février, vers minuit, le front d'Anzio tenu par les Britanniques est violemment pris à partie par l'artillerie allemande. Les 11 et 12 février, la 34ème division US lance un ultime assaut contre le monastère de Cassino. Il échoue. Les Allemands ont gagné la première phase de la bataille de Cassino. En même temps, à Anzio, la pression allemande contraint les Anglais à se replier; la tête de pont se réduit dangereusement. Le 13 février, les Alliés suspendent leur offensive sur Cassino. Le 15 février, les Alliés bombardent massivement le monastère, en prétextant son utilisation comme poste d'observation ennemi. La propagande alliée se servira de cette fausse information, que l'on ne sait peut-être pas encore mensongère, pour atténuer la responsabilité anglo-américaine et répondre par avance à la réaction que l'on attend sévère et négative du Saint-Siège et du monde chrétien. Heureusement, ses trésors avaient été évacués. Sur le plan militaire, c'est une catastrophe, car des ruines constituent de meilleurs points de résistance que des bâtiments. Elles sont rapidement occupées par des parachutistes qui y gagneront le surnom de diables verts tant ils donneront de fil à retordre à leurs assaillants. Les 16 et 17 février, les contre-attaques allemandes contre la poche d'Anzio s'accentuent et menacent de couper en deux le front allié qui ne peut pas être secouru de l'extérieur faute d'avoioir pu percer la ligne Gustav dans le sud. La situation est critique et il est temps de réagir. Les 18 et 19 février, la flotte et l'aviation alliée bombardent massivement les concentrations allemandes. Le 22 février, le général Truscott remplace le général Lucas qui prend très mal la chose. Le 3 mars, les pertes devenant décidément trop lourdes, les Allemands suspendent leur offensive contre la tête de pont. Depuis le 29 février, Mackensen a perdu 3 500 hommes et 30 chars. Le 6 mars, à Berchtesgaden, le Führer, désappointé, accepte l'arrêt des combats, sur l'insistance du général Westphal. Sur le front italien, après l'échec américain des 11 et 12 février devant Cassino, les combats marquent une pause sous des pluies diluviennes. Le 15 mars, les Alliés reprennent l'offensive en déversant 1 250 tonnes de bombes sur Cassino. Après l'aviation, l'artillerie entre à son tour en action, détruisant la ville. Une partie des forces de Montgomery s'est rapprochée des Américains de Clark et Alexander, qui commande en chef, a planifié la prise de Cassino, ville et mont avec son abbaye, par une opération en tenaille, en attaquant depuis le nord et l'est. Vers 15h30, après la fin des bombardements, les Néo-Zélandais passent à l'offensive sur les pentes du mont dans une position très exposée. Ils se heurtent à une vive résistance est sont arrêtés après avoir pris la cote 193, au nord de la ville. Le soir, les Hindous contrôlent la cote 165, au nord-ouest de la ville. Le 17 mars, les Néo-Zélandais pénètrent dans la partie orientale de la ville, prennent la gare, au sud de la ville, mais progressent très difficilement à travers les ruines accumulées par les bombardements qui offrent aux Allemands survivants d'excellentes positions défensives et interdisent l'emploi des chars par les assaillants à travers des voies bouchées par les décombres. Le 19 mars, une contre-attaque allemande sur la cote 193 échoue tandis que les attaques polonaises du général Anders contre l'abbaye sont repoussées après de lourdes pertes; les chars alliés lancés à l'assaut des débris de l'édifice religieux sont détruits un à un. Le 22 mars, une nouvelle offensive alliée est repoussée. Alexander décide alors de s'en tenir là. Une pause intervient. Les alliés tentent alors d'asphyxier l'armée allemande en la privant de ravitaillement par d'intenses bombardements de ses voies de communications. Mais les résultats obtenus sont décevants, car le commandemant allemand prévoyant a déjà accumulé les stocks nécessaires. Le 24 mars 1944, en représailles à un attentat à Rome, les troupes d'occupation allemande de la capitale italienne massacrent 335 civils dans les Fosses ardéatines. Pendant que les troupes alliées se battent pour repousser les Allemands de leur pays, ces derniers leur appliquent les méthodes expéditives de maintien de l'ordre qu'ils ont déjà employées dans les autres pays d'Europe tenus dans les serres de leur aigle. Cependant, le Corps expéditionnaire français du général Juin a été retiré du Belvédère, au nord de Cassino. Renforcé par de nouvelles unités, il est positionné au sud de la vallée du Liri, sur les bords du Carigliano. Il compte dans ses rangs un soldat qui fera plus tard parler de lui : Ben Bella, futur président de la République algérienne! De Gaulle se plaint de n'être pas tenu au courant des opérations par les anglo-américains. Mais il connaît bien Juin et cela le rassure quelque peu. Le général français propose à Clark un plan audacieux qui ne cadre pas tout à fait avec celui d'Alexander, un plan dont il songeait déjà lorsque ses troupes étaient chargées des dures et sanglantes opérations sur le Belvédère. Au lieu d'attaquer frontalement Cassino, Juin estime qu'il est possible de le faire tomber sans combat en le tournant là où personne n'attend les Alliés, comme les Allemands l'ont fait en 1940 en franchissant les Ardennes avec leurs chars. En Italie, il s'agit de progresser non par les vallées, contrôlées par les montagnes, et avec des chars, mais par les montagnes, à pied avec des mulets et des bourricots, en neutralisant au passage les postes d'observation et d'artillerie, ce qui ouvrira la porte des vallées. Le Corps expéditionnaire français est justement maître en la matière. Juin propose donc à Clark de lui laisser tenter l'aventure. Clark accepte et prend sur lui de faire avaler la couleuvre à Alexander. Le 11 mai Alexander reprend l'offensive pour tourner Cassino par le sud. Dans la nuit du 11 au 12 mai, le général Juin part à l'attaque sans préparation d'artillerie pour surprendre l'ennemi, mais celui-ci, sur ses gardes, du fait de l'attaque anglaise, riposte vigoureusement, ce qui cause de lourdes perte dans les rangs français. Juin tient compte de la leçon et soumet son adversaire au pilonnage de son artillerie. Le 12 mai, le Corps expéditionnaire français, après avoir franchi le Garigliano et la ligne Gustav, prend le mont Faito, tandis que les Polonais échouent devant Sant' Angelo au niveau de l'attaque d'Alexander. Le 13 mai, les Français prennent le mont Maio, sur la trajectoire du mont Faito, et, plus au sud, Castelforte, ainsi que Sant' Apollinare plus au nord, dans la vallée du Liri, tandis, qu'au sud, sur la région côtière, les Américains s'emparent de Santa Maria Infante et, qu'au nord, les Anglais agrandissent leur tête de pont sur le Rapido. Les Français effectuent sans trop de problème un périlleux croisement de deux branches de leurs progressions. Le 14 mai, ils percent aux monts Aurunces où les monts Petrella et Revole tombent deux jours plus tard. Le 15, la branche nord de la progression française (1ère division française libre motorisée) entre à San Giorgio, tandis que les Britanniques atteignent Pignataro, plus au nord sur la voie San Giorgio-Cassino. Le 17 mai, Kesselring ordonne l'évacuation de Cassino, les Français ayant débordé ses troupes d'une quarantaine de kilomètres. Le plan de Juin a réussi et Clark va lui attribuer le titre de meilleur général de la campagne d'Italie. Malheureusement, l'avance française s'est accompagnée d'exactions contre la population civile, dont de nombreux viols longtemps occultés. Le 18 mai, tandis que les Canadiens atteignent Pontecorvo, sur la ligne Hitler (Dora), qu'ils enfoncent, les Polonais occupent le mont Cassino et son abbaye, où ils ne trouvent que des blessés abandonnés. Le 19 mai, les Français sont à Pico et les Américains à Itri, ce qui sonne le glas du 14ème corps de panzers allemand. Le 24 mai, les Américains qui progressent sur la zone côtière (2ème corps) opèrent leur jonction avec la poche d'Anzio, quatre mois après le débarquement. Du 25 au 27 mai, alors qu'Alexander et Churchill voudraient privilégier l'anéantissement de l'armée allemande, en l'encerclant par une offensive vers le nord, depuis Anzio en direction de Valmontone, Clark marche sur Rome, son objectif prioritaire. Cette divergence d'objectifs favorise l'évasion d'une armée allemande mal en point. Les Américains, après avoir pris Cisterna, sont arrêtés ce qui donne le temps aux Allemands de se réorganiser autour de Valmontone. Le 3 juin, Hitler autorise l'évacuation de Rome, ville ouverte, où les Américains entrent le lendemain, accueilli en libérateurs, avec les Français sur leurs talons. Du début de la bataille de Cassino à la prise de Rome, la seule 5ème armée américaine à perdu 107 144 hommes! Mars - septembre 1944 : Occupation de la Hongrie et destitution de Horthy Dès le mois d'août 1943, ayant compris que l'Allemagne va perdre la guerre, le gouvernement hongrois, sensible au mouvement anti-allemand qui se manifeste dans le pays, est entré en contact avec les Alliés pour quitter l'alliance allemande afin d'éviter de partager les conséquences d'une défaite. Les Occidentaux ont été abordés les premiers; ils ont conseillé de s'adresser plutôt aux Soviétiques, ce qui advient à la fin du mois de février, lorsqu'il devient évident que l'Armée rouge sera la première à entrer en Hongrie. Hitler, qui n'est pas dupe, a demandé à la Wehrmacht, dès le 30 septembre 1943, d'élaborer le plan Margarethe d'invasion de la Hongrie. Début 1944, le régent Horthy parle à Hitler du retrait des troupes hongroises de Russie, ce qui indispose fortement le Führer. Le 26 février 1944, Hitler reçoit le dictateur roumain Antonescu; ce dernier lui laisse entendre qu'il est obligé de maintenir des troupes sur la frontière hongroise en raison du différend frontalier entre Bucarest et Budapest au sujet de la Transylvanie et que, une fois le problème hongrois réglé, un million de soldats roumains seront disponible pour prendre part à la lutte contre les Soviétiques. Ce langage lève les derniers doutes du maître de Berlin. La Hongrie sera occupée et la politique répressive nazie y sera exercée à l'encontre des ennemis du Reich et des Juifs. Pourtant, la situation en Roumanie n'est guère plus favorable à l'Axe que celle de la Hongrie; rappelons que deux divisions roumaines dissidentes se battent déjà aux côtés de l'Armée rouge. Le 19 mars, après un entretien orageux entre Hitler et Horthy en Bavière, les troupes allemandes envahissent la Hongrie. Le Premier ministre Kallay se réfugie à la délégation de Turquie. La Hongrie, bien que faisant partie de l'Axe, était restée jusqu'à présent relativement tolérante avec l'opposition à l'exception des communistes qui y étaient persécutés. Les Juifs pouvaient encore y exercer une profession libérale. Des prisonniers polonais et français évadés s'y étaient réfugiés. L'invasion de la Hongrie, ne peut que stimuler une résistance essentiellement communiste déjà existante. Elle multiplie ses attaques contre le mouvement fasciste des Croix fléchées et contre les troupes d'occupation. La Wehrmacht, sur la défensive, doit immobiliser là des unités qui manquent sur d'autres terrains tandis que l'influence du PC hongrois augmente. Le 10 septembre, Skorzeny est convoqué par Hitler à son quartier général de Prusse orientale. Le Führer charge ce spécialiste des commandos d'enlever Horthy et de l'amener en Allemagne (opération Panzerfaust). La tâche n'est pas facile car le régent de Hongrie a pris ses précautions. Skorzeny se rend à Budapest incognito. Il y apprend que Nicolas, le fils du régent, un play-boy qui fréquente les boîtes de nuit, exerce une influence importante sur l'entourage de son père et qu'il est en train de comploter avec une délégation communiste yougoslave un changement d'alliance. L'officier allemand y voit une occasion de saisir le fils en flagrant délit de trahison et de compromettre ainsi le père. Il monte un traquenard pour s'emparer du fils et des délégués communistes. Une première tentative est abandonnée parce que le régent lui-même est présent et que Hitler ne veut surtout pas qu'il se trouve mêlé à une algarade. La seconde, le 15 septembre, déclenche une riposte violente des personnes visées; Nicolas est saisi, se débat en hurlant, est enveloppé dans un tapis, ficelé avec un cordon de rideau et emmené par les séides de Skorzeny en lieu sûr. L'amiral Horthy prend très mal la chose; il place la colline du château où il réside en état de siège et isole l'ambassade d'Allemagne qui s'y trouve. Il diffuse un communiqué par radio dans lequel il déclare : "Il est clair aujourd'hui que l'Allemagne a perdu la guerre... La Hongrie a, par conséquent, signé des préliminaires d'armistice avec les Russes et elle cessera les hostilités engagées contre eux." Ce message atteindra le général Miklas, commandant en chef des forces hongroises, et quelques officiers qui réussissent à s'exfiltrer du front, mais les troupes hongroises, faute d'ordre formel, conservent leurs positions. Skorzeny, au culot, envahit la colline du château en s'y présentant en force mais de manière plutôt amicale qu'agressive. Les Hongrois, surpris, ne résistent pas. Le régent s'enfuit, se met sous la protection du général Pfeffer Wildenbruch, un ami de l'ex-kaiser et abdique peu après. Skorzeny forme un nouveau gouvernement hongrois avec à sa tête le comte Szalasy qui annule immédiatement l'armistice. Le nouveau ministre de la guerre, le général Bereckzy, remercie Skorzeny pour la brillante réalisation de son coup d'État sans la moindre destruction d'édifices historiques précieux du patrimoine hongrois. Il donne des ordres afin que l'armée hongroise continue de se battre aux côtés des Allemands. Horthy est emmené dans un château en Bavière par train spécial. Hitler a réussi à conserver l'alliance hongroise. Avril - mai 1944 : Libération de la Crimée Le 7 avril, la 1ère armée blindée allemande réussit à percer le faible rideau soviétique qui lui barre le passage et fuit vers l'ouest non sans essuyer de très lourdes pertes. Le 8 avril, le 4ème front d'Ukraine, leurre les Allemands de la 7ème armée et pénètre dans le nord de la Crimée par le difficile passage de Sivach au lieu de franchir l'isthme de Perekop, plus facile, mais où elle était attendue. Après s'être emparée de Djankoï, elle marche sur Evpatoria et Simféropol, tandis que l'Armée côtière indépendante (Yeremenko), qui occupe la péninsule de Kertch, à l'est de la Crimée, depuis la campagne du Caucase, se dirige vers Yalta et Sébastopol. Du 14 au 17 avril, les 1er et 2ème fronts d'Ukraine prennent Tarnopol et atteignent les Carpates coupant en deux les lignes de l'Axe. Du 18 avril au 4 mai, le 4ème front d'Ukraine assiège Sébastopol. Du 7 au 9 mai, Sébastopol tombe et les forces soviétiques, venues du nord et de l'est, opèrent leur jonction. Les Allemands ont perdu la Crimée plus vite qu'ils ne l'avaient conquise! La campagne de printemps s'achève. Les forces soviétiques sont à l'ouest de Kovel au nord, près de Brody et à l'ouest de Tarnopol au centre, à l'ouest de Kolomia au sud. Février 1944 : Réorganisation de la Résistance française Le 1er février 1944, le Comité
Français de Libération Nationale (CFLN) regroupe sous
le nom de Forces Françaises de l'Intérieur (FFI) tous
les mouvements de résistance qui combattent l'occupant allemand
sur le sol français. Le COMAC, pendant métropolitain
du COMIDAC, est créé par les différents mouvements
de résistance, sous les ordres du général Dejussieu
(Pontcarral), qui organise les FFI avant son arrestation en mai 1944. L'existence
de ces deux organes s'imposait sans doute eu égard aux exigences
particulières de la lutte clandestines, mais elle augmentait le
risque d'incompréhension et de divergence d'opinion. Les effectifs
des FFI sont d'environ 100 000 en janvier 1944, et seront 200 000 en juin
puis 400 000 en octobre. Les FTP (communistes) se plaignent de ne pas recevoir
assez d'armes. En avril 1944, le général Koenig est placé
à la tête de tous les combattants français, extérieur
et intérieur. Mais une certaine latitude est laissée aux
délégués militaires régionaux en France qui
transmettent les ordres de Londres. La nomination du vainqueur de Bir-Hakein
est hautement symbolique. Elle incarne la volonté gaulliste d'imposer
aux Alliés l'unité des forces françaises prônées
par les Affiches de propagande : "Un seul combat pour une seule patrie".
Les chefs alliés, surtout les Américains, se méfient
de la Résistance dont il estiment la valeur militaire négligeable
et dont ils soupçonnent des arrières-pensées révolutionnaires.
Le débarquement est préparé dans le secret à
l'écart de Koenig qui ne peut qu'avancer à l'aveuglette et
qui n'a aucune maîtrise sur l'armement des maquis à qui les
anglo-américains attribuent de simples missions de sabotages, ce
qui va jouer un rôle important et négatif pour les grands
rassemblements dans les Alpes et en Auvergne. Les messages personnels destinés
aux maquisards proviennent tous de la BBC, la radio anglaise. Le COMAC,
qui ne veut dépendre que de l'autorité du Conseil national
de la Résistance, s'est proclamé l'organe du commandement
suprême des FFI et il leur demande d'appliquer avec une discipline
de fer les directives et les ordres d'opérations qu'il leur transmettra.
Toujours en février, l'Abwehr, absorbée par les Services de renseignements des SS, cesse d'exister. 7 mars - 18 juillet 1944 : Batailles d'Imphal et de Kohima (Birmanie) Depuis la fin de l'année 1943, les Japonais s'attendaient à une attaque britannique sur la Birmanie. Ils avaient donc conçu un plan destiné à couper l'herbe sous les pieds de leurs adversaires en s'emparant de la ville clé d'Imphal dont la possession était vitale pour l'offensive britannique. La réplique japonaise contre la tentative britannique en Arakan n'était qu'une péripétie de l'opération que le général Kawabe, commandant en chef des forces nippones en Birmanie, s'apprêtait à lancer. Mais Kawabe savait que son offensive n'avait de chance de réussir que si elle triomphait rapidement car il n'était pas en mesure d'assurer longtemps le ravitaillement de ses troupes par les pistes de la jungle en période de mousson. Dans la nuit du 7 au 8 mars 1944, la 33ème division japonaise (général Yanagida) entreprend une attaque de diversion au sud pour couper Imphal de Tiddim. Le 13 mars, les Anglais se replient sur Imphal. En même temps, plus au nord, la 15ème armée japonaise (général Mutaguchi) s'avance au devant de la plaine d'Imphal. Puis, dans la nuit du 15 au 16 mars, la 31ème division japonaise (général Sato) avance en direction de Kohima, au nord d'Imphal. L'ensemble des forces japonaises est commandé par le général Mutaguchi. La bataille de Kohima va jouer un rôle déterminant, d'une part parce qu'elle fixe une part non négligeable des forces japonaises qui sont ainsi rendues indisponibles pour l'attaque d'Imphal, d'autre part, parce que la perte de Kohima rendrait hypothétique à terme le ravitaillement des défenseurs anglais d'Imphal où l'on retrouve la 14ème armée britannique de Slim, arrivant de l'Arakan. Le 4 avril, les Japonais de Sato parviennent aux approches de Kohima. La garnison britannique s'y trouve dans une situation délicate car une partie des forces anglaises a été portée plus à l'ouest pour défendre Dinapur que les Anglais supposaient menacés. Les Japonais s'efforcent d'encercler la ville en prenant les collines qui l'environnent. Ils y parviennent après de durs combats. Dans une seconde phase, les Anglais s'efforcent de percer le front japonais au centre pour délivrer la ville. Ils se heurtent à une résistance japonaise acharnée; les Japonais contrôlent les hauteurs où ils se sont retranchés et où se livrent les combats les plus durs de la Seconde Guerre mondiale. Le 14 mars, au sud, les Japonais coupent la route Tiddim-Imphal et progressent en direction d'Imphal. Dans la nuit du 15 au 16 mars, deux divisions japonaises, après avoir franchit le Chindwin, avancent plus au nord pour couper la route Kohima-Imphal. A partir du 19 mars, la 5ème division indienne (Briggs) est ramené de l'Arakan à Imphal par avions. Le 29 mars, les Japonais coupent la route Imphal-Kohima. Imphal est isolée au nord comme au sud, mais reste largement ouverte vers l'ouest. Du 6 au 17 avril, de furieux combats se déroulent pour la possession de Nungshigum, l'une des collines contrôlant la plaine d'Imphal. Le 3 juin, la bataille de Kohima se termine par la retraite des Japonais. Sato, qui commande ce front, est depuis longtemps en conflit avec Mutaguchi. Il lui réclame du ravitaillement qui n'arrive jamais et ne reçoit que l'ordre répétitif de tenir à tout prix. Devant l'état de son armée, Sato finit par désobéir à son chef et par se retirer sans se diriger vers lui pour lui porter secours. La retraite de la division de Sato, affaiblie par les combats et la faim et à peu près en guenilles, accablée par les boues et les inondations de la mousson, est un long calvaire. Comme le craignait Kawabe, les difficultés d'approvisionnement ont vaincu les Japonais plus que le général Slim, qui le reconnaîtra d'ailleurs honnêtement lui-même. Désormais, les troupes de Kohima vont pouvoir aider celles d'Imphal à refouler les Japonais de Mutaguchi. Le 22 juin les hommes de la 2ème division britannique, venus du front de Kohima, percent l'encerclement japonais à l'est d'Imphal et dégagent la ville. Les Japonais continuent de se battre farouchement mais Mutaguchi doit admettre qu'il ne prendra jamais Imphal. D'après le général Iwaichi Fugiwara, qui s'exprimera une vingtaine d'années après les événements, la défaite nippone s'explique par plusieurs facteurs. Plusieurs généraux étaient de l'avis de Sato, mais ils n'osèrent pas pas en faire part à leurs supérieurs. Dans la tradition militaire japonaise, il n'était pas d'usage d'énoncer franchement son avis, on se comportait de manière à ce que son supérieur le devine. Cette manière subtile d'exprimer un désaccord est évidemment source de malentendu si le supérieur interprète mal la pensée du subordonné. Les mémoires du général Kawabe montrent aussi que les opérations furent soumises à l'influence du politicien nationaliste hindou Subhas Chandra Bose, proches des milieux gouvernementaux de Pékin, qui sous estimaient les capacités militaires des Britanniques. Quoi qu'il en soit, l'échec d'Imphal oblige l'armée japonaise à refluer, dans les plus mauvaises conditions pour aller se réfugier derrière le Chindwin. Mutaguchi est sermonné par Kawabe qui le somme de reprendre Palel, entre Imphal et le Chindwin, ce qui est impossible. Le 2 juillet, on demande à Mutaguchi un rapport sur les chances de l'opération de Palel dont la possession est nécessaire pour permettre la retraite et l'organisation d'un nouveau front. En fait, l'ambiguïté de la demande conduit Mutaguchi à penser qu'il doit passer à l'attaque alors que le quartier général de Birmanie est disposé à y renoncer. Kawabe ne s'aperçoit de cette erreur que le 9 juillet. Il ordonne explicitement d'annuler l'attaque sur Palel. Mais l'ordre de repli sur Kalewa, à travers les montagnes de Zibyn ne parvient que le 12 juillet. Ce temps perdu compromet gravement l'amée japonaise. Le 13, la retraite commence. Après la mi-juillet, l'armée est de l'autre côté du Chindwin, sauvée de la destruction totale par le manque de pugnacité de son adversaire qui n'a pas préparé de plan pour une offensive et se contente de la suivre aussi vite que possible. Mais elle laisse derrière elle la vision d'enfer de routes encombrées de cadavres, de blessés et de malades. Mars 1944 - août 1944 : Offensive chinoise depuis Ledo - Retour de Wingate et de ses Chindits Pendant ce temps, dans le dos de l'armée japonaise qui vient d'être battue à Imphal, une autre menace a surgit. Depuis mars 1943, une offensive chinoise, commandée par Stilwell, est partie de Ledo, en Inde, pour ouvrir une nouvelle route d'approvisionnement, doublée d'un oléoduc, de Ledo à Kunming. On se souvient que des troupes chinoises se sont réfugiées au nord de l'Inde, après la conquête de la Birmanie par les Japonais; ces troupes ont été renforcées et elles comptent désormais 32 000 combattants; Tchang Kaï Chek a même promis à Stilwell une offensive depuis le Yunan qui ne viendra jamais. Les Britanniques s'inquiètent car la Chine est soupçonnée d'être favorable au nationalisme hindou et n'a jamais reconnu la frontière tracée par eux. De plus, les multiples casquettes de Stilwell, brouillent son positionnement hiérarchique et sont potentiellement source de malentendus; heureusement, les excellentes relations qu'il entretient avec Slim permettent de surmonter ces difficultés. En juillet 1942, Les États-Unis, conscient de l'importance de l'Inde pour maintenir les Chinois dans la guerre, ont créé le théâtre d'opérations Chine-Birmanie-Inde. Un groupe d'Américains appelés les Maraudeurs de Merrill, du nom de leur chef, renforce les troupes chinoises. C'est donc une force sérieuse qui se lance à l'assaut de la Birmanie en direction de Myitkynia, proche de la Chine, objectif de l'offensive. Venus de l'autre côté de l'Irrawaddy, la 18ème division japonaise (Tanaka) marche au devant des Chinois; elle est harcelée par les guérillas kachins organisées par les Britanniques. Elle prend Sumprabum mais échoue à Nathkaw; l'optimisme règne dans le camp allié. Le 3 novembre, une attaque surprise des Japonais détruit le PC du 112ème régiment d'infanterie chinoise à Ningam Sakan; on passe de l'optimisme au pessimisme! L'offensive chinoise piétine; Stilwell accourt pour la relancer, le fusil à l'épaule et en tête des troupes, peu habituées à ce comportement de la part de leurs officiers lesquels sont plus enclins à jouir du confort des bashas (huttes de bambous) qu'à affronter le péril des combats dans la jungle. La progression repart. Les 3 000 Maraudeurs sont venus pour une période initiale de trois mois sur ce théâtre d'opérations, avant de retourner aux États-Unis. Formés pour cela, ils servent de troupes de choc à Stilwell, et incitent les Chinois à se montrer aussi agressifs qu'eux pour ne pas perdre la face. On reparle de Wingate et ses Chindits. L'imaginatif et non conformiste officier britannique a concocté un nouveau plan. Il ne s'agit plus d'opérations de sabotages derrière les lignes ennemies, mais de la constitution d'une vaste zone en territoire ennemi, à l'est du Chindwin, autour de la voie ferrée qui ravitaille les troupes japonaises du nord birman depuis le sud, sur le chemin des Chinois dont la progression sera ainsi facilitée. Cette zone sera quadrillée par des points fortifiés, les bastions, ravitaillés par air, et occupés par des forces conséquentes, les 16ème (Fergusson), 77ème (Calvert) et 111ème (Lenteigne) brigades LRP (groupes de pénétration à long rayon d'action), munies du matériel le plus modernes. La 16ème parviendra à pied, à travers la jungle et en territoire ennemi, jusqu'aux lieux d'établissement de ses bastions. La seconde sera transportée par avion. Ces unités seront chargées de prendre des villes. Ce plan ambitieux n'est pas accepté sans critique de la part du commandement britannique et les querelles entre Wingate et Slim sont fréquentes, le premier reprochant au second de lésiner et de ne pas fournir aux Chindits tout ce dont ils auraient besoin. Slim est réservé sur le bénéfice qui sera retiré de l'opération. Quant à Stilwell il surestimera l'aide que pourrait apporter les Chindits aux Chinois et les harcèlera fréquemment sur ce point. On notera que la nouvelle formule de combat élaborée par Wingate tourne le dos à la première; celle-ci était basée sur la mobilité de petits groupes pouvant se déplacer rapidement et échapper aux coups de l'ennemi; la nouvelle est basée sur une guerre de positions statique, à partir de petites "forteresses" dans lesquelles les défenseurs risquent de se trouver encerclés et à la merci d'un ennemi plus puissant puisque disposant des armes lourdes qui leur font défaut. En mars 1944, Chinois et Maraudeurs encerclent la 18ème division japonaise qui parvient néanmoins à leur échapper. Le 24 mars, Wingate meurt dans un accident d'avion; il ne connaîtra pas le résultat de son plan. Cependant les bastions se sont constitués : Broadway (est), Piccadilly (est), Chowringhee (sud-est), White City (centre), Blackpool (nord-ouest), Aberdeen (ouest). Le 27 mars, le général Lenteigne est nommé pour remplacer Wingate. Le même jour, Broadway, attaqué, résiste avec difficulté. Entre le 28 mars et le 1er avril, une nouvelle tentative de destruction de la 18ème division japonais échoue; Tanaka réussit même à encercler pendant plusieurs jours un groupe de Maraudeurs qui s'est trop exposé. Chinois et Américains sont ravitaillés par la 10ème Air force depuis le haut Assam. Mais, au début de mars 1944, l'offensive japonaise en Arakan, sur Imphal, oblige à repenser les plans; les progrès japonais en direction d'Imphal menacent désormais la voie ferrée et le pont aérien qui approvisionnent Stilwell, lequel suspend temporairement son offensive et envoie des renforts vers Imphal et Kohima. Le 30 mars, une attaque de la 16ème brigade chindit sur la ville d'Indaw échoue; épuisée par la marche qu'elle a accomplie depuis l'Inde, cette brigade y est rapatriée. Les 6 et 7 avril, les Japonais attaquent White City et sont repoussés. Le 27 avril, Indaw tombe. Ce même 27 avril, les Chinois et les Maraudeurs qui suivaient vers le sud la vallée du Mogaung, bifurquent en direction de l'est. Du 10 au 11 mai, White City est évacué. Les 10 et 11 mai, Chinois et Maraudeurs s'emparent de l'aérodrome de Myitkyina, au nord-est de la zone des Chindits, mais échouent le lendemain à prendre la ville, carrefour vital sur la Route de Ledo. Le 25 mai, après de durs combats, les Japonais percent les défenses de Blackpool et contraignent la garnison à se replier en direction de Mogaung sur le flanc droit des Chinois. Le 16 juin, sous un véritable déluge de mousson, les Chinois prennent Kamaing à la baïonnette, ce qui sème la panique chez ses défenseurs, au nord de Mogaung, à la limite nord de la zone des Chindits. Le 22 juin, la 77ème brigade chindit attaque Mogaung par le sud-est, la ville tombe le 26 juin, après de violents combats. Le 30 juillet, on commence à évacuer la 111ème brigade chindit vers l'Inde. Myitkyina, n'étant pas encerclée à l'est, les Japonais continuent d'y être approvisionnés. D'autre part, les Maraudeurs, maintenus pour les besoins de la cause après la fin de leur contrat, épuisés et complètement démoralisés, s'endorment appuyés sur fusils! Le 3 août, les Chinois entre à Myitkyina, après onze semaines de siège; les Japonais y ont résisté à 1 contre 10! Les pertes sont élevées dans les deux camps. Mais la route de Ledo est conquise et l'aviation japonaise n'existe pratiquement plus au nord de la Birmanie. Le 27 août, les derniers Chindits regagnent l'Inde, amaigris, minés par les maladies tropicales, à bout de forces. Ils ont perdu 3628 morts, blessés et disparus. Les Anglais jettent un regard mitigé sur cette opération. Mais les Japonais ne sont pas de cet avis. Pour eux, sans les troupes impériales qui ont été retenues pour réduire les bastions, ils auraient probablement triomphé à Imphal! Quant à la Route de Ledo, la Route fantôme, la Route Stilwell, elle entrera en service, et c'est un exploit, dans les conditions où elle fut construite. Le 15 mars 1944, Staline remplace l'Internationale
par un hymne soviétique plus nationaliste sur une musique d'Aleksandrov,
le fondateur des Choeurs de l'Armée rouge.
Du 16 au 24 avril 1944, une opération de répression, menée par la Milice française, sous le commandement de Raoul Dagostini, est lancée contre le maquis du Vercors. Vingt-cinq camions remplis de miliciens et de Gardes mobiles (GMR) arrivent sur le plateau. Plusieurs fermes sont pillées et incendiées, des habitants sont torturés et déportés et trois d'entre eux sont fusillés. Les maquisards éludent l'affrontement car l'État-major veut éviter de sacrifier inutilement des hommes, afin de préserver le maximum de forces jusqu'au débarquement. Au début du mois de mai, en Auvergne, Émile Coulaudon de l'AS (Armée secrète), alias colonel Gaspard, propose aux mouvements de résistance auvergnats de se regrouper au Mont Mouchet. Cette décision est motivée par les pertes élevées qu'essuient, depuis le début de l'année les résistants auvergnats du fait d'une recrudescence de la répression allemande. Elle suscite des réticences de la part des FTP, hostiles aux grands rassemblements, mais n'en est pas moins adoptée. A partir du 8 mai, le bouche à oreilles amène de nombreuses recrues. Le 20 mai, le colonel Gaspard émet un ordre de mobilisation générale qui comporte une particularité significative des pénuries de l'époque et du dénuement des maquis : les nouveaux venus son invités à se munir d'une paire de sabots de rechange. Le 25 mai, le mouvement s'est accéléré avec l'arrivée de nombreux Clermontois. Le rassemblement s'effectue autour de la Maison forestière, où se tient le colonel Gaspard. Le 6 mai 1944, Gandhi sort de prison pour subir une opération à cause de sa santé déclinante. Les Anglais le libèrent pour éviter sa mort sous les verrous qui auraient pu entraîner d'importantes émeutes en Inde. Au printemps 1944, en Chine, une nouvelle formation américaine, armée de super forteresses volantes B-29, apparaît sur le théâtre d'opérations, le 20ème Bomber Command, qui est destiné à effectuer des bombardements sur le Japon à partir de Chine. Mais, comme le pensait Stilwell, pendant l'année 1944, les Japonais inquiets des progrès de l'aviation ennemie, lancent plusieurs attaques en vue d'améliorer leurs communications et de s'emparer des aéroports. La défense chinoise, malgré sa vigueur, ne parvient pas à refouler les attaques japonaises. Au cours de l'été 1944, Stilwell tente de réorganiser une armée de terre chinoise mal en point, mal nourrie et où les pénuries de carburant et de munitions deviennent menaçantes. Les relations entre Stilwell et Tchang Kaï Chek sont de plus en plus mauvaises. Le président chinois en veut à l'Américain de prélever sur ses troupes qui se battent contre celles de Mao Tsé Toung pour renforcer les troupes qui affrontent les Japonais. Stilwell est désemparé par les divisions qui séparent les deux camps chinois et ulcéré par l'incompétence et la corruption qui règnent dans le camp nationaliste. Roosevelt comprend enfin que Stilwell a raison et il demande à Tchang de le nommer à la tête de l'armée chinoise. Tchang refuse évidemment et Roosevelt, qui n'a pas d'autre choix pour garder la Chine en guerre aux côtés des Alliés, en est réduit à rappeler Stilwell qui est relevé de son poste le 18 octobre. En décembre 1944, Chennault et LeMay qui dirige le 20ème Bomber Command s'entendent pour bombarder l'importante base japonaise de Han-Keou. LeMay se résout non sans inquiétude à adopter la tactique de Chennauld, au lieu de voler à 10 000 mètres, voler bas, ce qui permet de porter plus de bombes et de mieux viser, sans prendre beaucoup plus de risque. L'affaire est un succès avec des pertes faibles. Au printemps 1944, l'Angleterre fourmille d'activité. De grands chantiers achèvent la constructions des éléments lourds des accessoires du débarquements, comme les ports artificiels, qui intriguent les Allemands incapables d'identifier à quoi les cubes d'acier et de béton de ce gigantesque jeu de construction pourraient bien servir. De nombreux petits ateliers se sont ouverts pour fabriquer les pièces plus petites, comme les barges de débarquement qui sont en nombre insuffisant au point qu'il faudra en produire jusqu'au dernier moment. Une foule de touristes étrangers, de diverses nationalités, parcourent en uniformes Londres et les provinces. La plupart de ces immigrants provisoires parlent anglais, ce qui est trompeur car les autochtones s'aperçoivent, non sans une certaine surprise, qu'ils ne se comportent pas comme eux, qu'ils ont d'autres manières, une autre culture, un autre mode de vie, bref une identité différente. Ces jeunes gens s'entraînent intensément pour le jour J, comme on dit en français, et le jour D, comme on dit en anglais. Ils sont d'abord bien accueillis par la population. Mais, au fur et à mesure que le temps passe, cette présence insolite amène des Britanniques à se poser l'inquiétante question de savoir si, une fois passée la tornade, leur pays n'en sortira pas transformé au point qu'ils ne se reconnaîtront plus chez eux. Quant aux hommes politiques anglais, Churchill en tête, ils ont compris que leur pays n'est plus en mesure de dicter selon leur gré l'avenir de l'Europe qui va être façonné par d'autres, certes avec eux, mais sur un strapontin. La nomination d'Eisenhower à la tête des forces alliés ne peut que les conforter dans cette amère constatation. Mais ils peuvent s'en consoler en constatant que, des deux pays qui sont entrés les premiers dans la guerre contre Hitler, ils ne sont pas les plus mal lotis. La France, si présente au lendemain de la Première Guerre mondiale, ne participe cette fois-ci pas même aux discussions! Comme le pensait Staline, la nomination des responsables du débarquement, et leur fusion avec ceux qui préparaient l'opération, a vigoureusement relancé la machine de guerre. Le COSSAC a bien travaillé, mais il ne disposait pas d'une influence suffisante pour obtenir les moyens nécessaires afin d'assurer la réussite de cette immense entreprise. L'arrivée d'une personnalité aussi active et prestigieuse que le général Montgomery à la tête des forces terrestres change tout. Le 15 mai, les limites géographiques d'Overlord sont élargies. Les Alliés débarqueront de part et d'autres de l'estuaire de la Vire jusqu'aux plages du Cotentin, à l'ouest, et jusqu'à l'Orne à l'est. Les trois divisions prévues pour la première vague d'assaut sont portées à cinq. Elles sont renforcées par quatorze régiments de chars, des commandos et des soldats du Service Spécial. Les troupes aéroportées programmées par le COSSAC, les deux tiers seulement d'une division, en raison du manque d'avions de transport, atteignent maintenant trois divisions. Le rôle de la marine est accru dans des proportions voisines, entre 4 000 et 5 000 navires seront de la partie. Cependant, le plan reste quant au fond celui du COSSAC. Les Alliés disposent incontestablement de la supériorité numérique et matérielle, mais ils doivent se tenir sur leurs gardes et continuer à détourner la curiosité de l'ennemi. Le général de Gaulle est tenu soigneusement à l'écart des ultimes décisions; Anglais et Américains craignent que les Français libres n'aient la langue trop longue; le chef de La France libre n'apprendra le débarquement qu'après sa réalisation! Le 3 juin, le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), qui remplace le CFLN, affirme qu'il exercera sa souveraineté sur le territoire métropolitain dès que celui-ci sera progressivement libéré. En prévision du débarquement, il s'élève ainsi contre la prétention américaine de placer la France sous administration militaire étrangère. Le 4 juin, Rommel, depuis son quartier général de la Roche-Guyon, consulte les bulletins météo de la Luftwaffe qui annonce un plafond bas avec de la pluie. Il estime que son rival, Eisenhower, n'osera pas déclencher son attaque par un temps aussi défavorable. Il décide donc d'aller prendre quelques jours de permission auprès de sa femme pour fêter son anniversaire. Dans la nuit du 5 au 6 juin, quatre messages personnels de Londres (plans Vert, Guérilla, Tortue et Violet) avec le code "le Chamois des Alpes bondit" (l'animal étant l'emblème du maquis), donnent le signal de l'action armée pour 4 000 maquisards, dans le cadre d'une stratégie de multiplication des soulèvements en France afin de disperser les forces allemandes au moment du débarquement. Le Vercors voit converger vers lui des centaines de volontaires, impatients d'agir. Ils sont placés sous le commandement du lieutenant-colonel François Huet, chef militaire du Vercors depuis mai 1944, et de son chef d'état-major, le capitaine Pierre Tanant. Le colonel Marcel Descour, responsable régional, mais relevant des FFI dans lesquels s'est fondue l'Armée secrète, installe son PC à la maison forestière du Ranc des Pourrets, d'où il commandera l'action militaire dans tous les départements de la région. Le débarquement aurait dû avoir lieu en mai. La nécessité de combler des insuffisances a conduit à le remettre au début de juin; le reporter encore n'est guère envisageable en raison des contraintes imposées par les éléments naturels (marées, conditions atmosphériques et lunaison). Les soldats vivent dans des conditions difficiles, surtout ceux qui sont déjà embarqués, lesquels souffrent de la promiscuité et du mal de mer. La date retenue est celle du 5 juin, mais les conditions atmosphériques se dégradent. Cependant, les prévisions météorologiques présagent une accalmie temporaire le matin du 6. Eisenhower, après avoir mûrement réfléchi, décide qu'il ne peut pas décevoir à nouveau les soldats qu'il dirige et, non sans appréhension, il arrête inexorablement la date du débarquement : il aura lieu le 6 juin. 6 juin 1944 : Les alliés
débarquent en Normandie
Dans les jours qui ont précédé le débarquement, les bombardiers alliés ont frappé de mutisme toutes les stations de radar allemandes de la Baie de Seine. Mais ils ont soigneusement épargnés celle du Nord de la Seine. Ils font patrouiller face à ce secteur autant de petits bateaux qu'ils le peuvent pour brouiller les radars allemands. Il ne faut pas que le débarquement échoue et les Anglais font tout ce qu'ils peuvent pour accréditer l'idée d'un débarquement dans le Pas-de-Calais. Tout un attirail factice représentant d'importantes forces mécaniques est déployé ostensiblement face à la côte française à cet endroit pour leurrer l'ennemi. On dit que les Anglais seraient allés jusqu'à fournir de fausses informations à des Résistants avant de les livrer à leurs bourreaux afin qu'ils avouent sous la torture que le débarquement se produirait bien là. Cette rumeur n'est peut-être qu'une intoxication de plus. Mais, ce qui est vrai, c'est que le Nord-Ouest de la France, destiné par Hitler à être rattaché à un État flamand futur, et séparé de la zone occupée, paya le prix fort, en supportant une densité d'occupation beaucoup plus élevée que le reste de la France et en subissant des bombardements plus intenses. Pendant la nuit du 5 au 6 juin, des pantins bourrés d'explosifs sont largués au sud de la zone de débarquement. Quand ils touchent le sol, les explosifs explosent en imitant le bruit des armes automatiques. Les Allemands, surpris, ripostent. Leur attention est ainsi détournée des parachutages réels qui ont lieu aux deux extrémités de la zone de débarquement. A l'Ouest, au sud-est du Cotentin, autour de Sainte-Mère-Eglise, arrivent les Américains de la 82ème division aéroportée, et un peu plus au sud, ceux de la 101ème division. A l'Est, à peu près à équidistance de la côte et de Caen, sautent les Anglais de la 5ème brigade de parachutistes qui ont pour mission de s'emparer des ponts sur l'Orne et sur le canal de Caen à la mer, au nord de Ranville; quant à la troisième brigade, elle fera sauter les ponts sur la Dives de Troarn, Bure, Robehomme et Varaville et détruira la batterie de Merville qui prend d'enfilade les plages de débarquement. Les parachutiste feront le nécessaire pour faciliter l'atterrissage des planeurs remplis d'hommes qui les suivent. Tout se passe assez bien à l'Est mais, à l'Ouest, les largages s'effectuent sur une zone trop vaste, parfois sur des lieux inondés. Les troupes dispersées ne parviennent pas à se regrouper, bien des soldats ne savent pas où se trouve leur unité et les criquets qu'on leur a remis pour se reconnaître se révèlent donc d'une utilité toute relative. La 82ème et la 101ème ne parviennent pas à réaliser leur jonction! Ce désordre risque de se montrer fatal. Mais c'est le contraire qui se produit car la dispersion illusionne les Allemands qui ne savent pas comment réagir face à une force qu'ils imaginent beaucoup plus importante qu'elle n'est. Par ailleurs, les parachutistes réussissent à s'emparer des chaussées qui traversent les marécages, clés des offensives suivantes. Au moment où la flotte s'approche des plages, des avions alliés viennent au raz des flots, entre les tirs des navires et ceux des batteries côtières, déverser des flots de brouillard artificiel afin d'aveugler les défenseurs des casemates, blockhaus et autres positions allemandes. Ils ont été décorés de larges bandes blanches afin d'éviter toute méprise. Plusieurs ne reviendront pas touchés par un tir ennemi ou involontairement sous un coup ami. La chasse allemande ne se montre pas et l'aviation allemande sera pratiquement absente de la bataille du débarquement, d'une part parce qu'elle a subi de rudes coups, d'autre part parce qu'elle vient tout juste d'être déplacée, providentiellement pour les Alliés. Le débarquement s'opère de façon très contrastée dans la zone Ouest, celle des Américains. Sur la plage d'Utah, au sud est du Cotentin, proche de l'opération aéroportée, tout se passe bien. Mais il n'en va pas de même à Omaha, où les assaillants sont cloués au sol par la défense allemande pendant toute une journée qui sera certainement pour les survivants la plus longue de leur vie. Les pertes en hommes et en matériels sont si importantes qu'il est un moment envisagé de rembarquer! A la Pointe du Hoc, entre Utah et Omaha, les Rangers escaladent une falaise de 30 mètres de haut sous les tirs allemands, pour s'apercevoir que les fortifications supposés armées de canons lourds sont vides! Bradley, qui commande les troupes américaines, n'a pas voulu tester les engins d'Hobart. Dans la zone Est, celle des Anglais, même si des difficultés ont dû être surmontées, des têtes de pont solides ont été établies sur les plages Gold, Juno (Canadiens), Sword et à Ouistreham, où s'est illustré le commando français du lieutenant de vaisseau Kieffer, que Montgomery décorera. Les Anglais ont utilisé les monstres d'Hobart, voici comment. Les chars Sherman DD sont les premiers à atteindre le rivage, s'ils ne sont pas coulés, comme cela est malheureusement arrivé, peut-être parce qu'ils avaient été lancés de trop loin; ils tirent sur les abris bétonnés ennemis pour les neutraliser. Viennent ensuite les chars fléaux qui battent la plage en chevauchant leurs traces afin que toutes les mines soient bien détruites. Les chars Avre amènent ensuite des ponts et des fascines pour franchir les obstacles. Enfin, c'est au tour des chars lance-pétards de s'avancer pour disloquer les dernières fortifications en tirant des pétards dans leurs embrasures. Ce schéma semble avoir bien fonctionné. Vers la fin de la journée, à Omaha Beach, les Allemands sont enfin vaincus, même si les Américains ne le savent pas encore; partout ailleurs, les troupes alliées avancent dans les terres, malgré une tentative de contre offensive de la 21ème division de Panzers au cours de l'après midi, dans la brèche qui sépare Juno de Sword. Cependant, Montgomery espérait pousser jusqu'à Caen. Cet important noeud de communication, situé dans un endroit pourvu d'un aérodrome, lui échappe pour me moment. Certes, il est peu éloigné géographiquement, mais beaucoup plus dans le temps, comme l'avenir prochain le montrera. Que se passe-t-il pendant ce temps du côté
du commandement allemand? D'abord, on ne veut pas croire au débarquement
par un temps pareil. Ensuite, il faut bien se rendre à l'évidence.
Mais Rommel est en Allemagne. Von Runstedt n'a, d'après ce qu'il
affirme, plus d'autres pouvoirs que celui de relever la sentinelle
qui garde sa porte. On lui demande de joindre le Führer. Mais cet
aristocrate de vieille souche répugne à quémander
des secours auprès d'un homme qu'il qualifie avec mépris
de caporal de Bohême. D'ailleurs, Hitler, fatigué, dort et
nul n'ose le réveiller, surtout pour lui annoncer une mauvaise nouvelle.
Alors, la confusion règne. Il faudrait prendre des mesures d'urgence,
mais, sans ordre de la hiérarchie, qui s'aviserait d'entreprendre
quoi que ce soit, sauf les hommes qui défendent leur vie sur le
terrain? Hitler finit par se réveiller, mais il ne croit pas non
plus au débarquement. Il pense encore que celui-ci aura lieu dans
le Pas-de-Calais et que celui de la baie de Seine n'est qu'une diversion.
Pour lui, et pendant des jours, il ne sera pas question de déplacer
les forces qui sont au nord de la Seine. Des informations lui sont parvenues
selon lesquels une puissante armée blindée, sous les ordres
de Patton, est rassemblée en Angleterre, et c'est à Calais
qu'il l'attend. La remontée des renforts vers le front est lente
et difficile à cause des dommages causés par l'aviation alliée
et la Résistance aux voies de communications, et elle ne peut guère
s'effectuer que de nuit, pour échapper à la vigilance de
la flotte aérienne anglo-américaine. Une division blindée
retirée de Pologne le 12 juin, franchit la frontière française
le 16, alors qu'il n'y a encore qu'une division alliée sur le sol
français; mais, lorsqu'elle arrive dans les environs de Caen, le
1er juillet, elle s'y heurte à cinq divisions blindées! Rommel,
qui revient rapidement d'Allemagne, comprend, dès le 9 juin, qu'il
ne peut pas rejeter les envahisseurs à la mer, malgré la
belle défense de ses troupes aux environs de Caen, des soldats pourtant
hétéroclites car composées partiellement de Russes
ainsi que de personnes âgées et d'adolescents. Il va s'efforcer
de monter des contre offensives qui devraient être décisives,
mais n'y parviendra jamais. Il souhaiterait ramener les troupes du Cotentin
plus au sud, pour éviter un encerclement qu'il prévoit, mais
Hitler ne veut à aucun prix que le port de Cherbourg tombe aux mains
des Alliés. Le Führer donne l'orde à la Kriegsmarine
de détruire de fond en comble les installations si cette éventalité
venait à se produire.
Les Alliés disposent d'un important avantage. Grâce aux travaux des savants polonais réfugiés en Angleterre et surtout à ceux du mathématicien Anglais Alan Mathison Turing et à sa machine, qualifiée de bombe, ancêtre des ordinateurs, ils savent décrypter les messages des militaires allemands codés par Enigma et cette faculté, qu'ignore l'ennemi, joue un rôle précieux au moment du débarquement et de la libération de l'Europe. Cependant, la bataille dans le bocage normand, un territoire mollement vallonné, coupé de profondes vallées, sillonné de plans et voies d'eau naturels et artificiels, marécageux, aux routes étroites, et surtout cloisonné de nombreuses haies, revêt un aspect particulier défavorable aux attaquants et propice à une guerre d'embuscade. Une armée moins nombreuse peut y rivaliser avec une armée puissante, celle-ci étant dans l'incapacité de s'y déployer. Les Alliés, qui doivent enlever chaque haie une à une comme autant de points fortifiés, en font la coûteuse expérience pour le plus grand profit des Allemands qui savent très bien utiliser les avantages du terrain. Le Rhinocéros de Culin prouve là son utilité. Les pertes sont énormes, et la progression d'autant plus lente que fantassins et véhicules pataugent dans la boue et les fondrières sous une pluie battante. Le 15 juin, de Gaulle est triomphalement accueilli à Bayeux, la première ville française libérée . Un peu partout, les troupes alliées sont attendues par la Résistance qui remplace spontanément les autorités de Vichy au nom du chef de la France libre. Il n'est plus question d'opposer qui que ce soit au général. L'opinion publique française l'impose. Les Américains sont obligés de l'accepter. Dans le Cotentin, le 19 juin, après une tentative de résistance allemande dans la région de Montebourg-Valognes, les Américains ont dépassé la seconde ville. Le 21 juin, ils sont aux portes de Cherbourg où le général von Schlieben, à bout de ressources, capitule le 29 juin. Les derniers Allemands, réfugiés à l'ouest de la presqu'île, vers le Cap de la Hague, se rendent le 30 juin. La Kriegsmarine a parfaitement exécuté les ordres d'Hitler : le port est inutilisable jusqu'à l'automne! Le 29 juin, Hitler reçoit Rommel et von Rundstedt à Berchtesgaden avec d'autres officiers de haut rang dont Hausser, chef de la 7ème armée qui a bien résisté dans la zone de Caen. Tous sont d'accord pour penser qu'une attitude purement défensive usera leurs forces et les conduira à la défaite. Ils proposent un recul au sud de Caen et le renfort de divisions du nord de la Seine. Hitler, qui craint toujours un vrai débarquement dans le Pas-de-Calais, refuse obstinément. Il observe que les armées alliées sont plus mobiles que l'armée allemande et qu'il ne faut donc pas leur offrir l'occasion d'une guerre de mouvement. C'est au contraire une guerre de position, une guerre d'usure, qu'il convient de leur imposer. Il n'a pas tout à fait tort, mais où trouver les moyens de mener à bien une telle entreprise? Le premier juillet, Keitel, à qui von Runstedt a révélé le fond de sa pensée, demande au maréchal : "Mais que devons-nous faire? Que devons-nous faire?". La réponse de von Rundstedt est directe et sans réplique : "Faites la paix, tas d'imbéciles!". Von Rundstedt et Hausser sont limogés et Rommel pense tout haut : "Je serai le suivant!"; devine-t-il que ce sera pire? Caen étant toujours aux mains des Allemands, le 4 et 5 juillet, une attaque est lancée contre Carpiquet et son aérodrome. Après de durs combats corps à corps, les troupes britanniques prennent la ville, non sans avoir subi de lourdes pertes, mais l'aéroport reste à l'ennemi. Du 7 au 9 juillet, une nouvelle opération est tentée, cette fois directement contre Caen. Faute d'une artillerie suffisante, un intense bombardement aérien la précède. La ville n'est plus qu'un amas de décombres. Mais les Allemands, un moment abasourdis, se reprennent et se défendent avec acharnement. La progression des blindés alliés est très difficile à travers les ruines qui encombrent les rues. Une fois de plus, comme à Stalingrad et en Italie, on constate que la destruction d'une ville ne facilite pas sa prise, bien au contraire! Mais Caen est tout de même finalement libérée. Du 18 au 21 juillet, l'opération Goodwood vise à dégager Caen par l'est en tirant partie de la tête de pont de parachutiste qui s'y trouve. L'opération commence bien. Elle rencontre peu de résistance. Un intense bombardement préalable a volatilisé les villages et désorganisé la défense. Mais celle-ci se durcit. Les chars anglais sont retardés. L'avance est lente. A l'approche de Bourguébus, la 211ème Panzer et la 1ère Panzer SS détruisent plus de soixante-dix chars Sherman. Les Alliés fléchissent. Les blindés allemands contre-attaquent et les combats continuent sur le plateau et autour de Hubert-Folie jusqu'au 19 juillet. La moindre chance de percée est perdue! Eisenhower considère Goodwood comme un coûteux échec. Les Allemands ont effectivement remporté une victoire sur le plan tactique, mais Montgomery a remporté une victoire sur le plan stragique dans la mesure où l'opération a répondu à l'objectif qu'il lui avait assigné : faciliter la prise de Saint Lô, une ville en ruines où sont entrés les Américains, le 18. La propagande vichyste tire prétexte des dégâts causés par les Alliés pour accroître son audience auprès d'une population française qui souffre mais qui ne se laisse pas si facilement tromper sur l'indentité de son ennemi. Les Américains ont avancé vers le sud dans la presqu'île du Cotentin et, au 25 juillet, le front suit la ligne Lessay, Périers, Saint-Lô, Caumont, où il se raccorde avec le front anglais au sud de Caen. Le moment est venu de l'opération de rupture depuis Saint-Lô, réservée aux Américains (Cobra). Montgomery, selon son habitude, lance en enfants perdus le 2ème corps canadiens dans la direction de May-sur-Orne, au sud de Caen (opération Spring). Le général Simonds qui commande les Canadiens est sans illusion. Il sait qu'avec les forces insuffisantes dont il dispose, il n'a pas les moyens de remporter une victoire, mais ses hommes et lui sont fermement décidés à occuper les Allemands aussi longtemps qu'il le faudra pour les distraire du front américain où l'essentiel doit se jouer. Ils se heurtent effectivement à la vive opposition attendue. L'ennemi est soigneusement retranché; il a même enterré ses puissants blindés qu'il est difficile d'apercevoir; il connaît parfaitement les mines de fer de la région, ce qui lui permet de circuler sans risque dans les galeries souterraines et de surgir à l'improviste là où on ne l'attend pas. Les North Nova Scottia, s'affrontent aux soldats fanatiques de la Leibstandarte Adolf Hitler, il perdent 11 chars sous les tirs des Panther et des Panzerfaust ainsi que 139 des leurs. Plusieurs tentatives meurtrières ont lieu, sans succès, la dernière par les Canadiens français du régiment de Maisonneuve, pour prendre May-sur-Orne. Le village est atteint, mais il doit être évacué, le 26 juillet, en raison des tirs allemands très précis provenant de Saint-Martin-de-Fontenay. Les Canadiens vaincus ont perdu 1 500 hommes, dont 500 tués; ce sera pour eux la journée la plus meurtrière de la guerre, à l'exception de celle de Dieppe. Mais les Américains ont percé! Juin - septembre 1944 : Le rôle de la Résistance française Pendant ce temps, la Résistance n'est pas restée inactive. Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, on l'a dit, la BBC passe les message mobilisant tous les résistants de France. Ceux du Vercors reçoivent le leur. Le commandant François Huet, chef militaire du Vercors, prudent, hésite, ne sachant pas ce que l'on attend exactement de ses troupes. Mais Descours, avec l'état-major régional, monte sur le plateau et décide d'appliquer les ordres à la lettre. Dans la nuit du 8 au 9, Huet procède à la mobilisation des compagnies civiles qui rejoignent les résistants. L'accès au plateau du Vercors est verrouillée le 9 juin. Ce territoire fonctionne désormais comme une zone libérée dépendant du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Malheureusement, on apprend bientôt que les Alliés ont diffusé tous les messages en même temps afin que les Allemands ne sachent pas où allait se produire de débarquement, mais que seul l'ouest était visé et que les autres endroits doivent maintenant se débrouiller comme ils pourront! Au Vercors, il est trop tard pour reculer. Le 3 juillet, une République libre du Vercors est proclamée au cours d'une prise d'armes en l'honneur d'Yves Farge, commissaire de la République. Le Vercors se dote d'une administration civile, le Comité de libération nationale du Vercors, présidé par Eugène Chavant, assisté de deux sous-préfets, cette administration civile restant toutefois subordonnée aux militaires. Un immense drapeau tricolore, visible de loin, joue sur les Allemands de la vallée le rôle de la muleta du toréador sur le taureau. Les 13, 15 et 21 juin, les Allemands commencent à tester le dispositif français. Les maquisards résistent en espérant le parachutage de renforts alliés comme promis par Alger (plan Montagnards). Le 25, de nombreuses armes leurs sont livrées, mais sans soldats (opération Zébra). Début juillet une mission d'Alger vient vérifier la possibilité d'installation d'un terrain d'aviation sur le plateau (mission Paquebot). Les Allemands donnent l'assaut avec 10 000 hommes et la participation de la Milice française, par terre et par air, avec des planeurs, appuyés par de violents bombardements. Les maquisards vaincus, après une défense courageuse, mais pas toujours bien organisée, se dispersent pour échapper aux assaillants, après avoir essuyé des pertes sévères et avec le sentiment d'avoir été abandonnés par Alger. Les pertes civiles sont également importantes. Des villages sont brûlés et leurs habitants massacrés. On compte 840 morts, hommes, femmes et enfants, soit 201 civils et 639 maquisards. Les vainqueurs fusillent les blessés et le personnel d'un hôpital clandestin. Le fait que le plan Montagnards n'ait pas été mis en oeuvre pose un problème dans la mesure où des parachutages seront effectués ailleurs derrière les lignes ennemies pour y semer le désordre. Certains soupçonneront les alliés d'avoir discriminé le maquis du Vercors parce qu'il s'agissait non d'une armée régulière mais d'une armée populaire avec l'aspect révolutionnaire que cela comporte; il faut se souvenir qu'à cette époque, pour les États-Unis, le gouvernement légitime de la France est encore celui du maréchal Pétain, et qu'est préparé pour notre pays, une fois les Allemands chassés, une administration militaire américaine; l'existence d'une république auto libérée menace évidemment ce schéma, et nos alliés, tout en souhaitant utiliser la Résistance française, s'en méfient aussi. Il est probable qu'après l'arrestation du général Delestraint et la mort tragique de Jean Moulin, deux chauds partisans du maquis de Vercors, celui-ci a été quelque peu oublié. Il est difficile de comparer la tragédie du Vercors à celle de Varsovie compte tenu de l'ampleur des pertes respectives. Mais on ne peut pas non plus éviter de se poser la question de savoir si leur origine ne procède pas d'un état d'esprit voisin : à plusieurs reprises on décèle en effet des traces de méfiance envers les maquis non seulement chez les Alliés mais également dans la nouvelle armée française. C'est ce qui poussera des victimes à employer les mots de trahison et de lâcheté. Ce qui est sûr, c'est que les fortes concentrations de résistants, plus ou moins bien armés, formés et commandés, ont constitué des proies faciles à détruire, non seulement dans le Vercors, mais aussi aux Glières et au Mont-Mouchet, en Auvergne, comme on va le voir. Vers le 10 juin, entre 2 400 et 2 700 hommes
sont rassemblés au Mont Mouchet, 1 300 au réduit de La Truyère
et environ 1 000 à Venteuges (Haute-Loire). Mais ces hommes ne sont
pas tous armés, en dépit d'importants parachutages. L'armement
hétéroclite va du bazooka à la carabine de tir forain,
en passant par la mitrailleuse, la mitraillette et le fusil! Surtout, peu
de ces hommes sont formés à la guerre qui va leur être
imposée. De plus, le désordre règne dans les rangs
où pullulent les chefs auto proclamés. Le 2 juin, une première
attaque des Volontaires de l'Est (Azerbaïdjan), est repoussée.
Montée en épingle par les chefs du maquis, elle est présentée
comme une déroute qui n'a pas eu lieu. Les 8, 9 et 10 juin, ce sont
les Allemands et les Tatars de la Volga qui attaquent sur différents
points. Au passage, ils fusillent des habitants des villages, comme à
Ruines et Clavières, et mettent le feu aux habitations en y jetant
des grenades incendiaires. Les maquisards résistent comme ils peuvent
et repoussent parfois les assaillants mais ils sont débordés
ailleurs et leurs pertes sont lourdes. Les ordres n'arrivent pas et la
défense manque de coordination; l'initiative appartient aux commandants
de compagnie voire aux chefs de section; la situation n'est pas longtemps
tenable. Le 11 juin, les défenseurs de la Maison forestière
se replient; certains groupes se défont; on cherche individuellement
à gagner un lieu sûr en abandonnant ses armes; des attaques
allemandes se poursuivent accompagnées de fusillades et d'exactions.
Le 12 juin, les Allemands occupent la Maison forestière.
Les résistants survivants se réfugient dans le réduit
de la Truyère. La débâcle des maquisards s'explique
essentiellement par leur indiscipline et leur manque d'organisation; une
armée efficace, capable d'affronter des forces aussi aguerries que
celle de l'armée allemande, ne peut pas être seulement un
agglomérat improvisé de groupes ou d'individus sans formation
militaire, aussi courageux soient-ils; ce doit être un ensemble cohérent
et organisé doté d'un but et de la volonté de l'atteindre;
métamorphoser des civils en soldats demande du temps et, ce temps,
les maquisards ne pouvaient pas l'avoir dans les conditions de l'époque!
Laissé à l'écart des opérations, de Gaulle agit d'abord en fonction des seuls intérêts de la France tels qu'ils les entend, même si, dès le soir même du débarquement, il appelle tous les Français à s'engager dans le combat. Il parvient à s'imposer comme successeur du régime de Vichy, grâce à l'adhésion de la population et aussi en conséquence des initiatives audacieuses de la Résistance intérieure, notamment à Paris, ce qui évite à la France une nouvelle administration étrangère. Dès fin juin 1944, il exige que les 260 000 hommes du Corps expéditionnaire français d'Italie quitte ce pays après le 25 juillet pour participer à la libération de leur patrie. Désormais, il ne sera plus possible de le tenir à l'écart des opérations militaires. Cela va permettre une meilleure coordination des actions de la Résistance et des forces alliées après le débarquement en Provence. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les rapports des services de renseignements des corps d'armées d'occupation pour se rendre compte de leur désarroi. Le général Eisenhower, avec sans doute un peu d'emphase, estime l'apport de la Résistance française à une quinzaine de divisions. Une grande partie du territoire national, au sud de la Loire, s'est libérée seule non sans débordements, compréhensibles après la longue nuit de délations, de tortures et de fusillades que vient de vivre le pays. Les FFI du sud-est font 30 000 à 40 000 prisonniers; au nord de Montélimar, deux bataillons FTP immobilisent un convoi allemand pendant 36 heures, avant que l'aviation américaine ne le cloue au sol; ceux du Limousin obtiennent la capitulation de la garnison de Limoges et la reddition des 20 000 soldats de la colonne Elster; à Viombois, dans les Vosges, les maquis du Donon livrent une coûteuse bataille aux Allemands. Mieux armés, les maquis auraient certainement pu faire encore davantage. Mais leurs actions ont entraîné des représailles terribles (une centaine de pendus à Tulle, le village d'Oradour-sur-Glane brûlé et sa population massacrée sans distinction d'âge ni de sexe, comme à Lidice...). Bien sûr, il faut reconnaître à chacun son dû et, sans le débarquement, les faits d'armes des maquis n'auraient pas eu lieu! Le débarquement allié en Normandie est un coup dur pour la résistance militaire allemande qui pensait qu'il aurait lieu plus tard et qu'elle pourrait avoir une marge de manoeuvre plus large pour négocier avec les Alliés occidentaux. Il y a maintenant deux pôles d'opposition militaires au régime nazi, l'un en Allemagne et l'autre en France. Mais la réalisation de l'attentat qui doit tuer Hitler repose uniquement sur l'habileté de von Stauffenberg, un grand blessé de guerre énergique, qui a perdu un bras et deux doigts de son autre main, mais qui parvient tout de même à réaliser habilement un noeud papillon avec les trois doigts qui lui restent. 8 juin 1944 - 1er août 1944 : Conquête des Mariannes Au début de 1944, la flotte japonaise a déjà reçu de rudes coups, mais elle est encore redoutable, malgré une déficience chronique des petites unités chargées d'assurer la sécurité du ravitaillement des gros navires de guerre et des sous-marins. Elle a dû quitter la base navale de Truk, où elle était trop exposée, pour Singapour, et l'amiral Toyoda, qui vient de remplacer l'amiral Koga, tué dans un accident d'avion, a élaboré un plan sophistiqué, à la mode saké, pour faire tomber Nimitz dans un piège. Les Américains étant supérieurs aux Japonais en terme de porte-avions, il s'agit de les attirer aussi prêt que possible des terrains d'aviation japonais secrètement bourrés d'avions. Pour ce faire une flotte importante sera ostensiblement déployée au centre de gravité des terrains d'aviation disséminés dans des îles à peu près à équidistance de l'endroit où le leurre doit être placé. Mais Nimitz, dispose de son propre plan et n'est pas homme à se laisser berner. Après s'être emparé des îles Marshall, il compte attaquer les Mariannes. Le 8 juin, les forces prévues pour débarquer à Saipan arrivent à Eniwetok et Kwajalein, à 1 800 kilomètres de leur cible. Saipan a été choisie en raison de sa position géographique à portée d'avions de l'archipel nippon. Le 11 juin, les Américains bombardent sévèrement Saipan, Tinian, Guam et Pagan. Le 13 juin, la flotte japonaise est mise en état d'alerte pour appliquer le plan de Toyoda. Le 15 juin, la 4ème division de Marines (Schmidt) débarque au sud-ouest de Saipan. En même temps, la 2ème division de Marines (Watson) débarque sur la même côte plus au nord. Les deux divisions américaines se déploient de part et d'autres de la pointe d'Afetna avec pour objectif de se saisir du sud de l'île avant de se diriger vers le nord. Une flotte de diversion bombarde en même temps Garapan, sur la même côte, encore plus au nord, à hauteur du centre de l'île. En raison d'une dérive des bateaux, l'espace entre les lieux de débarquement est plus large qu'anticipé; cette brèche sera longue et difficile à boucher. Les Japonais se battent avec énergie, mais de manière quelque peu décousue; la puissance de feu américaine surclasse la leur. De nombreux chars japonais sont détruits; les pertes sont considérables des deux côtés, au cours de deux jours de combats, celles des Américains s'élèvent à 2 500 hommes. Le 17 juin, la 27ème division d'infanterie (R. Smith) débarque à son tour sur la gauche en appui de la 4ème division de Marines. Mais les Japonais vont bénéficier d'un répit, car, le 18 juin, une partie de la flotte américaine (Task force 58) se porte au devant de la flotte japonaise. Les deux flottes, celle du Japon, sous les ordres de l'amiral Ozawa, et celle des USA, sous l'amiral Spruance, jouent au chat et à la souris. Ozawa dispose d'un atout très important : ses hydravions catapultés des cuirassés et des croiseurs ont un rayon d'action plus élevé que les avions américains. Il cherche donc à rester assez éloigné de la flotte américaine afin que Spruance soit dans l'incapacité de le découvrir. Ce dernier se tient également prudemment à distance en attendant que son ennemi se dévoile. A ce jeu, c'est évidemment Ozawa qui découvre le premier où se trouve son adversaire, le matin du 19 juin. A 8h30, la première vague d'avions japonais est lancée d'assez loin. Mais, à 9 h le sous-marin américain Albacore, qui vient d'arriver à l'improviste dans les eaux de la flotte japonaise, torpille le porte-avions Taiho qui continue cependant de se battre. A 10 heures, les radars américains embarqués décèlent les avions japonais; aussitôt, de nombreux aéronefs américains décollent et rencontrent leurs adversaires au large de la flotte américaine; presque tous les avions japonais sont détruits en plein ciel avant d'avoir pu s'approcher de leur cible; l'affaire reste dans l'histoire sous le nom de Tir aux pigeons des Mariannes; à midi, les avions rescapés se retirent et essaient d'aller se poser sur terre, notamment à Guam, où les terrains d'aviations ont été transformés en fondrières par les bombardements. A 12h20, le porte-avions Shokaku est torpillé par le sous-marin américain Cavalla; les soutes à carburant du Taiho explosent et ce dernier sombre. A 16 heures, tous les raids japonais contre la flotte américaine ont échoué. L'empire du Soleil levant possède encore quelques porte-avions, mais il n'a presque plus d'avions, ce qui frappe les porte-avions d'inutilité. C'est un désastre mais Ozawa, qui pense que ses avions sont allés se poser sur des bases terrestres, ne le sait pas encore. Le lendemain, vers 16h15, alors qu'il bat en retraite vers le nord-ouest, Ozawa marque imprudemment une pause pour se ravitailler en carburant. Il donne ainsi l'opportunité à un avion de reconnaissance américain de le repérer. Malgré la proximité de la nuit, peu propice à des aviateurs encore inexpérimentés à voler dans l'obscurité, Mitscher, le responsable de l'aviation, jusque là retenu par le prudent Spruance, décide de lancer 77 bombardiers en piqué et 54 avions torpilleurs accompagné de 85 chasseurs sur la flotte japonaise. Le combat dure vingt minutes et il est acharné; le porte-avions Hiyo, torpillé, est envoyé par le fond; le Zuikaku, touché par plusieurs bombes, est incendié; le Chiyoda est lui aussi en flammes; le cuirassé Haruna et le croiseur Maya sont endommagés. Ozawa, maintenant conscient de ses pertes, n'a plus que 35 avions! A bord de l'avion qui le ramène à Okinawa, il offre sa démission à Toyoda qui la refuse. Les aviateurs américains refont à l'envers le 500 kilomètres qui les séparent de leur flotte; il fait nuit et malgré la mobilisation de tout ce qui éclaire sur les navires, la manoeuvre d'appontage est difficile; beaucoup de bois est cassé par les aviateurs qui ont eu assez de carburant pour revenir, les autres se sont abîmés en mer; il manque 80 appareils, mais seuls 16 pilotes et 33 membres d'équipage ne sont pas retrouvés. La victoire américaine est sans appel. Cependant les combats se poursuivent pour la conquête de Saipan. Le général R. Smith, que le commandement juge trop mou, est remplacé à titre provisoire par le général German, du 24 au 28 juin, en attendant la venue du nouveau titulaire, le général Griner. Après avoir conquis la pointe de Nafutan au sud-est, la 4ème division de Marines s'empare de la presqu'île de Kagman, sur la côte est, sans trop de difficultés, tandis que la 2ème division se lance à l'assaut des monts Tito Pale et Tapotcho, qu'elle parvient à prendre en dépit de la vive résistance japonaise. La moitié de l'île est alors aux mains des assaillants. Le 6 juillet, le commandant japonais, Saito, conscient que la fin est proche, adresse un message à ses troupes les exhortant à une dernière bataille benzai; puis il boit un verre de saké et se fait hara-kiri. Le 7 au matin, avant l'aube, les vagues japonaises se jettent, en une attaque-suicide massive, contre les lignes américaines qui sont enfoncées; mais la puissante artillerie qui se trouve derrière bloque progressivement l'avancée japonaise. Le 9 juillet, la 4ème division de Marines atteint la pointe de Marpi au nord de l'île; toute résistance cesse. Mais de nombreux civils, plutôt que de tomber vivants aux mais des envahisseurs et de subir leurs tortures, comme la propagande de Tokyo le leur a fait craindre, préfèrent se jeter du haut des falaises, leurs enfants dans leurs bras, sur des roches aiguës où ils s'empalent, spectacle épouvantable qui marque à vie ceux qui y assistent! Dès la fin de juin, le Mikado fait part de son inquiétude aux chefs civils et militaires et, en juillet, le général Tojo, Premier ministre, démissionne, convaincu que la guerre ne peut plus être gagnée. Tojo sera condamné à mort et exécuté, le 23 décembre 1948. Saipan tombée, vient le tour de Tinian. Le 24 juillet, les Américains, avec la 2ème division de Marines, procèdent à une diversion sur les plages de la ville de Tinian, là où les attend le colonel Ogata qui commande la défense japonaise. Ils sont refoulés, comme prévu, et Ogata se voit déjà vainqueur. Mais la 4ème division de Marines débarque en même temps au nord-ouest de l'île, sur les plages Blanches, des plages trop étroites pour des débarquements d'envergure mais qui ont le mérite d'être situées à un endroit où l'on ne les prévoit pas. Malgré l'encombrement et les contre-attaques japonaises, les forces américaines s'installent solidement. Le 25 juillet, des éléments de la 2ème division de Marines sont envoyés nettoyer la pointe d'Ushi, à l'extrême nord de l'île. Les Américains se dirigent vers le sud en ne rencontrant que peu de points de résistance. Les monts Maga et Lasso sont réduits en employant les chars, les engins de démolition et les lance-flammes. Les soldats américains ne sont guère retardés que par leur nombre qui les oblige à laisser leurs unités avancer à tour de rôle. Ogata, qui a rameuté l'ensemble de ses maigres troupes, recule vers le sud montagneux où il espère se retrancher sur des surplombs escarpés. Il ne reste qu'un soldat japonais à Tinian; il résiste et se fait tuer. En une semaine, les Américains se sont emparés de 85% de l'île. Mais ils se heurtent alors à une muraille naturelle abrupte où Ogata les attend pour son ultime benzai. Après une formidable préparation d'artillerie, les Marines passent à l'attaque le 31 juillet; ils progressent avec difficulté, mais, le 1er août, le général Schmidt déclare que Tinian est conquise. Il se trompe, des soldats japonais, cachés dans des cavernes, sortent encore chaque nuit pour tuer des Marines. La macabre démonstration de fanatisme des civils de Saipan se reproduit à Tinian, quoique à une échelle réduite. Pour la conquête de Tinian, l'aviation américaine a inauguré l'emploi d'une arme nouvelle, le napalm! La conquête de Guam se déroule du 21 juillet au 10 août. C'est un événement d'une grande force symbolique car, avant sa prise par les Japonais, cette île avait été américaine pendant quarante ans. L'opération a dû être reportée faute de moyens suffisants. Les difficultés qui se présentent son importantes. L'île est ceinturée de hautes falaises et ne possède que des plages peu larges et peu profondes précédées de récifs de corail qui obligent à utiliser des tracteurs amphibies lents et vulnérables pour le débarquement. Il n'y a guère que deux plages adéquates pour cette opération. Le général japonais Takashina sait donc où il doit attendre ses adversaires. Les Américains vont s'efforcer d'abord de prendre la presqu'île d'Orote, sur laquelle se trouve un aéroport. Cette presqu'île est située à l'ouest de l'île, entre les deux plages de débarquement, Agat au sud et Asan au nord, lesquelles sont situées à huit kilomètres l'une de l'autre. Le 19 juillet, les navires américains commencent le pilonnage des plages. Le 21 juillet, les Marines de Turnage et ceux de Shepherd débarquent, le premier à Asan et l'autre à Agat. La traversée de barrière de corail cause la perte de 24 tracteurs amphibies et de 350 hommes sous les tirs précis des canons ennemis. Le général américain parvient néanmoins jusqu'à la plage où il s'établit avant la nuit. Au début de celle-ci, les Japonais tâtent le dispositif, bombardent les Américains aux mortiers, puis se lancent à l'assaut à la baïonnette. Ils entament péniblement la défense, mais sont finalement repoussés. Ils laissent sur le terrain leur commandant et 659 hommes. Shepherd rétablit ses premières lignes. Les quatre jours suivants ont lieu, sur les deux fronts, de rudes combats pendant lesquels Shepherd s'empare de la crête de l'Alifan, à l'intérieur des terres. Au nord, Turnage progresse, lentement par une pointe en direction de l'intérieur, vers le plateau de Fonte, et plus rapidement par une autre pointe le long de la côte vers le sud, le port d'Apra, en prenant au passage les chantiers navals de Pitt et l'île Cabras, pour effectuer sa jonction avec Shepherd. Son front s'étend et devient vulnérable. Il demande des renforts qui lui sont refusé par Geiger qui commande l'ensemble et privilégie le front sud qu'il renforce avec la 77ème division d'infanterie (Bruce). Takashima, qui tient les hauteurs, prépare une attaque pour tenter de saisir l'opportunité que lui offre l'étirement des forces de Turnage. Dans la nuit du 24 au 25 juillet, les Japonais se ruent sur les Américains aux cris de "Réveille-toi Américain et meurs!" Les marines sont bousculés, le combat devient désordonné et se transforme en lutte singulière de petits groupes au corps à corps. Turnage engage toutes ses réserves, jusqu'aux services et aux blessés. Quelques Japonais réussissent à créer une brèche mais sont isolés puis anéantis. Finalement, la victoire reste aux marines qui nettoient le terrain pendant la matinée. Les Japonais laissent près de 3 500 morts alors que leurs adversaires ne perdent, du 25 au 28 juillet, que 168 tués, 645 blessés et 34 disparus. De son côté, Shepherd et ses hommes ont également eu droit à leur nuit blanche dans l'isthme étroit de la presqu'île d'Orote, le 26 juillet. A leur grande surprise, ils entendent soudain des rires s'élever chez les Japonais. On dirait qu'il célèbrent une grande fête! En réalité, leur commandant, Tamai, leur distribue de l'alcool à volonté afin de les enivrer. Lorsque les soldats sont à point, il les lance à l'assaut. Ils déferlent sur leurs adversaires avec leurs baïonnettes, mais aussi avec des objets hétéroclites qu'ils ont trouvé sous leurs mains, battes de base-ball, bouteilles cassées, fourches... Cette cohue tombe sous les coups de l'artillerie américaine, mais cela n'arrête pas les survivants, jusqu'à ce que ce suicide collectif cesse faute de combattants, les survivants, peut-être dégrisés, partant se cacher dans la jungle ou les marécages. Le 28 juillet, les troupes de Sheperd et celles de Turnage ont effectué leur jonction. Le 29, la presqu'île d'Orote est définitivement tombée aux mains Shepherd, non sans combats. Dès le lendemain, les Américains travaillent à rendre le terrain d'aviation opérationnel. Les Japonais, malgré leurs pertes, continuent à se défendre pas à pas. Ils ont abandonné le sud de l'île et Geiger ordonne à ses généraux de marcher vers le nord, Bruce à droite, Turner à gauche, Shepherd en réserve. Les Japonais résistent avec les moyens encore non négligeables qui leur restent en hommes et en chars. Dans la jungle aux fourrés inextricables, sans cartes précises, il est difficile de savoir si ceux d'en face sont amis ou ennemis. Cela entraîne de regrettables méprises, les Américains se tirant parfois les uns sur les autres. Mais, les jeux sont faits et, le 10 août, Geiger déclare que toute résistance organisée a cessé sur l'île. Sur les 19 500 Japonais qui défendaient l'île, seuls 1 250 ont été fait prisonniers. Les autres sont morts. Les vainqueurs ont perdus 1 744 tués et 5 970 blessés. Mais tous les soldats japonais n'ont pas dit leur dernier mot. Certains sont encore tapis dans la jungle. Les derniers ne déposeront les armes, ignorant que la guerre est terminée depuis longtemps, qu'en 1960! La prise des Mariannes est accueillie par ces mots du principal conseiller naval à Tokyo : "Nous sommes perdus!" Les bombardiers américains sont maintenant à portée du Japon qui est au surplus coupé de la partie sud de ses possessions; les Philippines vont pouvoir être attaquées par le sud et par l'est, mais Formose (Taiwan) peut aussi servir de cible. Un problème se pose donc maintenant aux Américains, où attaquer, en direction des Philippines ou à Formose? La question va être l'objet de débats et de négociations parfois vives entre personnes ayant des visées différentes. La victoire en Europe ne fait maintenant plus de doute. Staline interviendra contre le Japon dès la fin de cette guerre, le temps de déplacer ses armées. Des forces colossales pourront dès lors être mises en oeuvre pour contraindre les Japonais à la reddition. Et les Américains veulent avoir les mains libres vis-à-vis des Anglais dans le Pacifique. Dans un premier temps, Nimitz est favorable à une opération sur Formose, dans sa zone d'action, qui rapprocherait les troupes américaines du territoire japonais et le menacerait d'une invasion. Mais une telle invasion sera-t-elle nécessaire? MacArthur tient fermement à une action dans son secteur, les Philippines, où il a promis de revenir. Envisager deux opérations simultanées aussi importantes serait courir à l'échec, il faut donc choisir. Nimitz veut éviter d'affronter MacArthur dont il connaît le caractère irascible. Il essaie donc de trouver un compromis qui se heurte à l'hostilité de l'amiral King, lequel ne veut pas entendre parler de l'option Philippines. King observe à Nimitz que sa solution ne respecte d'ailleurs pas les décision prise lors de la conférence Sextant du Caire. Cette controverse n'est pas nouvelle. Elle a débuté pendant l'été 1943, au moment où l'on a commencé à travailler à l'élaboration d'un plan pour vaincre le Japon dans l'année qui suivra la défaite de l'Allemagne. Elle s'avive en 1944, alors que l'issue en Europe semble proche. Mais, le temps passe, les Allemands ne s'effondrent pas et Nimitz, qui aurait besoin de renforts pour l'opération Formose, se demande si la prolongation de la guerre en Europe ne risque pas de figer la situation dans le Pacifique et d'offrir une occasion aux Japonais de se ressaisirent. C'est pourquoi il se rapproche de MacArthur pour une opération sur les Philippines, moins risquée que celle de Formose. En même temps, MacArthur modifie son propre plan et propose, au lieu d'opérations sur Luçon et Mindanao, qui sont de gros morceaux, de débarquer à Leyte, une petite île au sud des Philippines. Cette solution, qui permet de relancer la guerre dans le Pacifique deux mois avant la date prévue, est finalement adoptée. Nimitz quant à lui, réoriente son attaque sur le centre du Pacifique en prenant pour cibles Iwo Jima, l'archipel des Bonin puis Okinawa, avançant ainsi vers Formose. Juin - fin 1944 : De Rome à
la ligne Gothique (Verte)
Le 3 juillet, les Algériens s'emparent de Sienne; ce sera leur dernière victoire en terre italienne qu'ils vont quitter pour aller se battre en Provence. Le 8 juillet, Pise tombe; l'Arno est atteint, du côté américain. Le 16 juillet, Arezzo, au sud de l'Arno, tombe à son tour, du côté anglais. Le 3 août, les Néo-Zélandais et les Indiens parviennent jusqu'à l'Arno. Le même jour, les avant-gardes de la 6ème division blindée sont dans les faubourgs de Florence que Kesselring a proclamé ville ouverte pour préserver ses richesses artistiques. Les Allemands vont profiter de l'Arno pour retarder un peu plus les troupes alliées qui vont ensuite devoir affronter la ligne Gothique (La Spezia-Rimini), qui traverse toute la péninsule. Cette ligne puissamment armée, a été rebaptisée en ligne Verte, sur ordre d'Hitler, par crainte que les Alliés ne devine l'importance qu'il lui attribue pour la défense du Nord de l'Italie. Alexander a vu ses effectifs fondre par le retrait des troupes qui doivent participer au débarquement en Provence. L'arrivée des 25 000 Brésiliens du général Joâo Batista Mascarenhas et de la 92ème division américaine composée de Noirs qui n'ont jamais combattu est loin de compenser les troupes aguerries qu'il vient de perdre. Il manque aussi d'artillerie. Mais, les Allemands ont essuyée des pertes sévères malgré la belle retraite de Kesselring qui a su s'extraire des pièges. Le général allemand s'étonne du manque de réactivité de ses adversaires qui a sauvé sa 10ème armée, car il ignore les divergences qui opposent Anglais et Américains sur le plan militaire. Il ne comprend pas l'absence de débarquement ou d'opération aéroportée pour tourner ses défenses, sans se douter que Alexander n'en a sans doute plus les moyens par suite des prélèvements effectués sur ses armées pour l'assaut de la Provence. Kesselring espère retenir longtemps les Alliées sur la ligne Gothique, une ligne on l'a dit, redoutablement fortifiée de quinze kilomètre de profondeur comportant de nombreux champs de mines, des abris blindés, 2 376 emplacements de mitrailleuses, 479 positions de pièces antichars, mortiers et canons d'assaut, 120 kilomètres de barbelés, des kilomètres de fossés antichars sur ses 350 kilomètres de long, et surtout grâce aux montagnes dont les crêtes offrent des lieux d'observations et de défense remarquables, mettant les assaillants des vallées dans une situation inconfortable et rendant l'emploi des chars très périlleux. Malgré tout, Churchill, qui espère toujours l'abandon du débarquement en Provence et regarde encore du côtés des Balkans, presse Alexander de franchir au plus vite cette ligne Verte pour déboucher dans la plaine du Pô où l'emploi des blindés lui permettra de progresser plus rapidement en direction de Venise, puis de la Slovénie. Pour réussir, Alexander doit agir promptement. Il pense d'abord attaquer la ligne au centre. Le 26 juillet, il envoie son plan à l'Américain Clark et à Leese, commandant des forces britanniques. Ce dernier rejette ce plan sur la base de plusieurs motifs sérieux : après le départ des Français les Alliés manquent de troupes de montagnes pour progresser par les crêtes, et, si Américains et Britanniques doivent étroitement collaborer lors de l'assaut, le général anglais redoute que l'esprit de compétition national ne vienne à nouveau perturber les opérations, comme lors de la prise de Rome. Il suggère donc une attaque surprise en secteur purement britannique, en bordure de l'Adriatique, qui semble offrir des possibilités d'avance plus rapide et autoriser l'utilisation des blindés. Alexander abandonne son projet pour celui de Leese. La date du 25 août est choisie pour le début de l'opération Olive. Clark est chargé de réaliser des mouvements de diversion à gauche de l'attaque principale avant d'exploiter la situation qui se présentera après le déclenchement de l'attaque principal de Leese. A la fin du mois d'août la 8ème armée britannique est aux abords de la ligne Verte. Les Indiens tombent sous les coups des canons enterrés et sautent sur les champs de mines. Ils arrivent tout de même par s'emparer du bastion de Tavoleto, dans la nuit du 1er septembre, au kukris, le couteau national, et à la grenade. A l'aube, les Allemands encore vivants sont capturés. Mais il ne reste que 30 Gurkhas en état de combattre. Plus loin, sur la droite, les Canadiens, qui franchissent la Foglia dans l'après-midi du 30 août, sont fauchés par le feu des canons positionnés sur les hauteur, alors que d'autres tombent dans un champ de mines. Mais, à la surprise désagréable de Kesselring, la ligne Verte est entamée. La gauche anglaise, sérieusement affectée, est alors renforcée. Le général anglais Keightley, qui la commande, doit maintenant s'emparer de l'ensemble des hauteurs de Gemmano (au sud) et de Coriano (au nord) afin que les blindés puissent se précipiter par le couloir ouvert sur la plaine du Pô. Mais les Allemands ont positionné dans ce secteur des forces considérables qui ripostent avec acharnement. Le 4 septembre, au moment où les blindés anglais devaient franchir la porte, leurs adversaires occupent encore les hauteurs d'où ils massacrent les troupes qui s'entassent dans les vallées. Du côté de Coriano, Castelleale tombe le 4 septembre et San Savino le lendemain. Mais le 6 septembre, des pluies diluviennes s'abattent sur la région. Elles rendent les déplacements presque impossibles. Les Anglais s'emparent cependant de Gemmano, le 9 septembre, et de Coriano, le 13 septembre. Le 14 septembre, avec la prise de Croce, entre les deux massifs, les Allemands décrochent enfin, mais reculent lentement, ce qui retire à la 8ème armée britannique tout espoir de retrouver son élan. Alexander peut encore compter sur les Américains pour achever d'emporter la ligne Verte. Mais cela suffira-t-il à avancer jusqu'à Venise, puis Ljubljana ? Il a perdu 14 000 tués, blessés et disparus, ainsi que 200 chars, contre seulement 8 000 hommes pour les Allemands qui ont profité des avantages naturels que leur offrait le terrain montagneux, habilement utilisé et convenablement fortifié. Arrivé au bord de la plaine du Pô, les Anglais, contrairement à ce qu'ils espéraient, se trouvent sur un terrain par endroit inondé difficilement praticable qui retarde leur progression. Dans la boue, la supériorité en chars des Alliés, n'a plus grande importance! Après avoir frappé avec sa droite britannique, Alexander essaie sa gauche américaine. Il lance Clark en avant. Ce dernier est encore dans un terrain de montagnes. Deux cols s'offrent à lui, pour tenter de s'emparer de Bologne, le col de Futa et celui de Giogo. Le premier est le plus facile. Clark choisit le second, qu'il pense moins bien défendu. C'est peut-être vrai, mais Kesselring connaît son métier et le Führer lui a ordonné de tenir à tout prix la ligne du Pô. Le général allemand sait tirer parti au mieux des avantages que lui offre le terrain pour retarder la progression de ses adversaires. Le 10 septembre, les combats pour la possession du Giogo commencent. Ils sont acharnés. Sur la droite américaine, la gauche anglaise s'empare d'un point important de la ligne Gothique, le point Prefetto. Clark s'empresse d'exploiter cet avantage et enlève le mont Pratone. Le 21 septembre, les Américains prennent Firenzuela, sur la route d'Imola qui suit le cours du Santerno. Le même jour, sur l'Adriatique, Rimini tombe au pouvoir des Canadiens. L'espoir renaît dans le camp allié. Clark pousse en avant la 88ème division US en direction d'Imola dans le but d'atteindre la route N° 9, Rimini-Bologne, et de couper en deux l'armée de Kesselring. Malheureusement, les pertes essuyées depuis le 10 septembre sont énormes et les renforts envoyés n'ont pas suffi à les combler. Sur les bords de la Marecchia que les Néo-Zélandais franchissent le 22, contre la 162ème division turkmène, recrutée en URSS par les Allemands, les soldats alliés tombent sur les vétérans de la 1ère division de parachutistes allemands qui tiennent fermement; ils y sont encore le 24. A partir du 22 septembre, en raison des pluies abondantes, la Marecchia se transforme en un torrent impétueux charriant quatre mètres d'eau boueuse dont tous les passages sont impraticables. Du 29 septembre au 2 octobre, il pleut sans arrêt. Aucun pont artificiel ne tient plus sur les rivières gonflées. Le 2 octobre, les Américains parviennent à Monghidoro, à moins de 35 kilomètres de Bologne. Le lendemain, Clarke contemple de là les cimes lointaines des Alpes : il n'a plus les ressources nécessaires pour s'en rapprocher! Pourtant, le 20 octobre, après avoir franchi le Fiumicino en crue, les Indiens de McCreery, qui a remplacé Leese début octobre, avancent vers l'ouest en direction d'Imola, le long de la route N° 9, dans le dessein d'y rejoindre les Américains et d'encercler les Allemands encore au sud de cette route. Le 9 novembre, sur la même trajectoire, Forli tombe à son tour. Plus au nord, Ravenne et prise en décembre. Mais Bologne attendra l'année prochaine. L'offensive sur la route N° 9, en direction d'Imola, s'arrête après Faenza, sur les bords du Senio, les pieds dans la neige et sous un ciel menaçant. D'ailleurs, une directive est adressée à Alexander par le haut commandement allié qui s'apprête à lui enlever cinq nouvelles divisions pour renforcer le front du Nord-Ouest. Cette directive lui prescrit uniquement de retenir les troupes allemandes tout en profitant de la moindre faiblesse de leur part. La campagne d'Italie, dans le contexte géographique particulier de la péninsule, un terrain montagneux coupé de nombreuses rivières transversale, aux coteaux plantés de vignes, et les nouveautés introduites dans l'art de la guerre (invention des projectiles à charge creuse, par exemple), contraignent une fois de plus l'imagination alliée à faire preuve d'ingéniosité dans l'adaptation des matériels aux nouveaux besoins. Mais, pour les raisons déjà évoquées ailleurs, l'emploi des chars, mal maîtrisé par les Anglais depuis 1940, reste déficient. De toute manière, après le débarquement en Provence, le front italien est devenu un front secondaire. 13 juin 1944 : Début de l'emploi des bombes volantes (V1) par les Allemands La situation des armées allemandes prend une mauvaise tournure. Mais Hitler espère toujours gagner la guerre avec ses armes nouvelles. Il stimule la recherche dans ce domaine du côté des bombes volantes, des fusées et des avions à réaction, sans oublier l'arme atomique. Les Alliés n'ignorent pas ce danger. Grâce à leurs réseaux d'espions et à des vols de reconnaissance, dès 1943, ils savent que l'Allemagne est en train de tester des bombes volantes (sorte d'avions sans pilote), V1, et de grosses fusées, V2. Dans la nuit du 17 au 18 août 1943, un raid mené par la Royal Air Force endommage sérieusement les installations allemandes de la base de Peenemunde, sur la Baltique, et tue une partie du personnel, dont des savants et des techniciens, mais aussi des travailleurs étrangers, déportés du travail obligatoire, et parmi eux des Français. Les Allemands déménagent leurs installations dans le Herz où des déportés politiques en camps de concentration vont servir de main d'oeuvre dans des usines soigneusement cachées et protégées. Plus tard, les Alliés essaient de prévenir l'utilisation des V1 en bombardant systématiquement les bases de lancement continentales dès qu'ils les découvrent. Mais l'ennemi parvient à les dissimuler. Après le débarquement, le Führer décide de raser Londres, mais sans jamais évoquer d'éventuelles représailles. Il tient à montrer qu'il n'est pas à bout de ressources et espère ainsi décourager les Britanniques. Des V1 sont lancés sur l'Angleterre, à partir du 13 juin 1944 jusqu'à 1945, avec une prédilection pour sa capitale. Ils causent des dégâts et font de nombreuses victimes parmi la population civile. Mais les Anglais, d'abord pris de court, adoptent de nouvelles mesures de protection. Ils installent des barrages de ballons. Ils déplacent les batteries de DCA vers les côtes pour intercepter le plus tôt possible les engins, afin que ceux qui franchissent le barrage puissent être pris en charge par les chasseurs plus rapides qu'eux. Ces derniers détruisent le V1 en tirant sur lui, ce qui n'est pas sans risque compte tenu des explosifs contenus par l'engin; ils tentent aussi de le déséquilibrer afin qu'il n'atteigne pas sa cible, soit en passant devant lui afin qu'il se trouve dans les remous créés par leur hélice, soit en glissant une de leur aile sous une aile du V1 pour le faire basculer! Eisenhower et ses bombardiers sont appelés à la rescousse pour détruire les rampes de lancement; il fait ce qu'il peut mais il a d'autres chats plus pressants à fouetter. Beaucoup de V1 tirés ne parviennent d'ailleurs pas jusqu'à l'Angleterre et certains tombent où ils peuvent, à peu de distance de leur rampe de lancement, et même en France sur un village. Bientôt, l'Angleterre est soumise également au bombardement des V2. Les pertes sont importantes. La propagande britannique s'efforce de les minimiser pour sauvegarder l'unité et la fermeté de la population anglaise et enlever leurs dernières illusions à ses adversaires nazis. Ces deux armes miracle ne tiennent finalement pas leurs promesses. Leur fiabilité reste douteuse et surtout les Anglais tiennent bon! 17 - 19 juin : Conquête de l'île d'Elbe par les Français Du 17 au 19 juin, les Alliés conquièrent l'île d'Elbe. Cette opération (Brassard) était envisagée par les généraux français Giraud et Martin depuis la fin de 1943. L'île présentait en effet un intérêt stratégique évident, Kesselring s'en servant pour assurer le ravitaillement de ses troupes en Italie. Le général Gall, qui commandait l'île, l'avait soigneusement fortifiée et, en février 1944, lorsque Wilson décida de reprendre le projet, il ne s'agissait plus d'un simple débarquement, mais d'une affaire militaire conséquente. Le général Martin, qui avait brillamment libéré la Corse, fut chargé d'élaborer le projet. Les troupes terrestre seraient essentiellement françaises, la force navale essentiellement anglaise (amiral Troubridge) avec des unités françaises (contre-amiral Battet), les forces aériennes essentiellement américaines avec deux escadrilles de chasse françaises. Primitivement, l'opération aurait dû relever de Wilson, mais de Gaulle souhaitait obtenir un commandement pour l'armée française et c'est celui qui lui fut donné. Il nomma à sa tête le général de Lattre de Tassigny, un vichyste très particulier puisque, après avoir formé de futurs cadres de l'armée française à Opme, dans le Puy-de-Dôme, en 1940-1941, il avait tenté de s'opposer par la force à l'occupation de la zone Sud en octobre 1942, avait été arrêté, emprisonné à Riom, s'était évadé et avait rejoint la France libre. Le plan d'attaque de l'île d'Elbe prévoyait un débarquement vers Marina di Campo, appuyé par des LCT (barges de débarquement de tanks) équipés de fusées et par deux avisos français, force maritime insuffisante pour réduire le feu des fortifications ennemies. Des commandos (commandant Gambiez) furent donc chargés de jouer le rôle de contre-batterie humaine en allant faire sauter les fortifications. Un lâcher de parachutistes était prévu. Les troupes devaient s'approcher des plages de débarquement en passant par le chenal utilisé par les Allemands pour éviter les mines. Le commandant Bouvet, redoutant un massacre de ses troupes de débarquement sur ces plages, suggéra une autre option, du côté est de la baie, moins bien défendu, d'où l'on pourrait tourner les défenses allemandes. Cette option fut retenue pour le cas où les choses tourneraient mal. L'opération devait être lancée le 27 mai. Il fallut la reporter jusqu'au milieu de juin. A ce moment, la situation en Italie s'était dégradée pour Kesselring et l'intérêt stratégique de l'île n'était plus aussi évident. Le maintien de l'opération fut tout de même maintenu, ne serait que comme une répétition du débarquement en Provence, le littoral élevé et les plages étroites de l'île ressemblant beaucoup à celles du sud-est de la France. La date de l'opération fut fixée à la nuit du 16 au 17 juin. Quatre jours avant, le commandement français fut prévenu que les exigences du front italien ne permettaient pas de distraire des moyens de transport aérien de ce front et qu'il fallait renoncer aux parachutistes. Le 16, dans l'après-midi, les navires appareillent des ports corses de Bastia et de Porto Vecchio. Ils simulent une attaque au sud de l'île d'Elbe ce qui cause (probablement ?) l'évacuation de l'îlot de Pianosa par sa garnison allemande, mais sans donner l'alarme à Portoferraio. Les commandos passent à l'attaque avec efficacité. A l'approche des plages, en pleine nuit, les fusées sont lancées contre les fortifications de Marina di Campo. Mais cette action manque d'efficacité et l'artillerie allemande se déchaîne contre les barges de débarquement qui sont incendiées. Seuls les Sénégalais du bataillon Gilles parviennent jusqu'à la plage où, sous les tirs ennemis, ils doivent traverser les barbelés et les champs de mines. En tête de chaque colonne, le premier porte une tresse blanche; dès qu'il tombe, le suivant prend cette tresse et avance, jusqu'à ce qu'il s'écroule à son tour... ainsi avance-t-on un par un en essuyant des pertes énormes. Le commandant Bouvet avait vu juste! Heureusement, il y a la solution de l'est, le reste du débarquement s'effectue là-bas plus facilement. Vers 16 heures, les défense allemandes tournées, les débarqués sont maîtres de la situation. Ils ont été aidés par une guérilla généralisée et une démonstration navale devant Porto Ferraio qui ont désorienté le commandement allemand, lequel n'a pas émis moins de sept ordres et contrordres successifs avant de diriger ses troupes vers le véritable lieu de débarquement. Pendant ce temps, depuis le début de l'après midi, le général Magnan, qui commande la 9ème division coloniale, s'occupe du déchargement du matériel lourd sur les plages. Le 18 juin, la traversée de l'île s'effectue et, vers 5 heures du matin, la villa Napoléon, est atteinte. Une pointe lancée vers l'est est accrochée durement par les Allemands qui tentent de barrer la route de l'isthme du mont Puccio. Mais les Tabors et les groupes de choc contournent l'obstacle par le sud et atteignent de la citadelle de Porto Longone. Le soir même, la conquête de l'île est pratiquement achevée. Le lendemain, la garnison de Porto Longone capitule. Il ne reste plus qu'à nettoyer l'île et à répondre aux canons allemands qui tirent rageusement depuis l'autre côté du chenal de Piombino. Le général Gall, cependant, est parvenu à s'enfuir. Le 3 juillet, on l'a vu, le Corps expéditionnaire français d'Italie entre dans Sienne avant de quitter l'Italie pour aller préparer le débarquement en Provence. Juin - septembre 1944 : Libération de la Biélorussie (opération Bagration) Au printemps 1944, la situation se présente
de cette façon sur le front de l'Est. Un important saillant allemand
avance dans les terres soviétiques au nord de l'Ukraine et au sud
de la Baltique, au niveau du groupe d'armées du Centre allemand
(Busch). Les Allemands sont donc en droit de supposer que l'Armée
rouge va tenter de réduire ce saillant et l'endroit qui lui semble
le plus approprié pour ce faire se trouve au sud, vers Kovel, tenu
par le groupe d'armées du Nord de l'Ukraine (Model). La Stavka
fait le même raisonnement et en déduit qu'elle doit attaquer
là où on ne l'attendra pas, c'est-à-dire au nord du
saillant, vers Vitebsk. Fort de leur raisonnement, les Allemands prélèvent
des forces au nord, sur Busch, pour renforcer Model au sud, ce qui va offrir
une opportunité aux Soviétiques de développer leur
plan plus facilement. Celui-ci, va consister à se saisir des villes
principales, Vitebsk, Moghilev, Bobrouïsk, Minsk par des opérations
en tenailles, afin d'encercler les forces germaniques et de les détruire,
opérations confiées au 1er front de la Baltique (Bagramian),
au 3ème front de Biélorussie (Tcherniakhovski), au 2ème
front de Biélorussie (Zakharov) et au 1er front de Biélorussie
(Rokossovski). Ensuite, l'offensive se poursuivra vers la Baltique, le
Niémen et le Boug.
Les forces en présence sont à peu près équilibrées pour ce qui concerne les hommes, mais elles sont complètement déséquilibrées pour ce qui concerne le matériel. L'Armée rouge dispose d'une supériorité écrasante tant pour ce qui concerne les canons (presque le triple), les chars (plus de 4 fois) et les avions (4 fois). Et, on l'a vu, les maréchaux Joukov et Vassilevski, qui coordonnent l'ensemble des opérations, bénéficient de l'effet de surprise puisqu'ils vont attaquer ailleurs qu'où on les attend! Les Soviétiques ont mis toutes les chances de leurs côtés, mais il est vrai que le morceau est de taille, puisque les objectifs finaux sont à plus de 500 kilomètres des bases de départ. De plus, il s'agit de l'offensive promise par Staline à Téhéran pour appuyer le débarquement à l'Ouest, prévu en mai. Un échec n'est donc pas envisageable! Aussi, le dispositif commence-t-il à s'élaborer dès le début de mai 1944. Courant mai et en juin, les avions soviétiques procèdent à de nombreux raids aériens en profondeurs pour détruire les aérodromes de la Luftwaffe autour de Bobrouïsk, Minsk, Baranovitchi, Pinsk, Bialystok et Brest-Litovsk. Dans les derniers jours avant le début de l'offensive, les partisans passent à l'attaque et détruisent les lignes ferroviaires utilisées par les Allemands de sorte que Busch perd ses moyens d'approvisionnement par trains. On remarquera la coordination étroite des actions de toutes les ressources soviétiques pour lutter efficacement contre l'adversaire. Le 23 juin, Bagramian pénètre au nord de Vitebsk, à la grande surprise de l'ennemi, tandis qu'au sud de la ville Tcherniakhovski fournit la seconde branche de la tenaille. Le 24 juin, Rokossovski entre en action par une manoeuvre d'encerclement de Bobrouïsk. Le 25, une poche contenant cinq divisions ennemies est encerclée à l'ouest de de Vitebsk. Seuls environ 8 000 soldats parviennent à sortir de la poche. Les autres se rendent et Vitebsk est prise le 27 juin. Les Allemands ont perdu 20 000 tués et abandonnent 20 000 prisonniers. Le même jour, la tenaille se referme à l'ouest de Bobrouïsk enfermant autres cinq divisions allemandes qui subissent le même sort qu'à Vitebsk. Le premier front de la Baltique (Bagramian), après avoir franchi la Dvina occidentale, pousse jusqu'à Lepel. Le 28 juin, après avoir pris Orcha, le 3ème front de Biélorussie (Tcherniakhovski) atteint les bord de la Bérézina à Borissov. Ce jour là, une violente intervention de l'aviation soviétique désorganise l'armée allemande et contribue à faciliter le nettoyage de la poche de Bobrouïsk et les abords de la Bérézina. Ce même jour également, Moghilev tombe sous les coups du 2ème front de Biélorussie (Zakharov). Enfin, toujours le 28, Hitler relève Busch et le remplace par Model qui garde le commandement du groupe d'armées du Nord de l'Ukraine. Le 29, la poche de Bobrouïsk est liquidée et le 1er front de Biélorussie (Rokossovski) capture 24 000 prisonniers. Rokossovski poursuit alors son avance à marches forcées sur Ouretchïé, Sloutsk et Osipovitchi, au sud de Minsk. Le 29 juin, la 4ème armée allemande en retraite est déjà dépassée de 30 à 50 kilomètres par l'Armée rouge qui essaie de la prendre au piège. Le 30 juin, Zakharov, qui a complètement nettoyé Borissov et ses environs, ce qui coupe la 3ème armée blindée allemande de la 4ème armée, avance au nord de Minsk pour fermer la route à cette dernière. La tentative de résistance allemande sur la Bérézina a échoué. La Stavka envoie alors de nouvelles directives. Les 1er et 2ème fronts de Biélorussie doivent foncer sur Minsk pour aider le 3ème front à détruire la 4ème armée allemande. En même temps le 1er front de la Baltique ainsi que les éléments disponibles des 1er et 3ème fronts de Biélorussie se dirigeront vers l'ouest sur Chiaouliaï au nord, Vilna et Kaunas au centre et Varsovie au sud. Le 3 juillet, les troupes soviétiques entrent dans Minsk en ruines. La 4ème armée allemande, plus de 100 000 hommes, est isolée à l'est de la ville, mais elle n'est pas encre détruite. Le 4 juillet, Polotsk tombe aux mains du 1er front de la Baltique. L'Armée rouge poursuit son avance et atteint bientôt les abords de Daugavpils, Vilna et Baranovitch, à 200 et 300 kilomètres de ses bases de départ. Elle a ouvert dans le dispositif allemand une brèche de 400 kilomètres de large! La Stavka fixe de nouveaux objectifs
: Kaunas, Panevejis et Chiaouliaï pour le 1er front de la Baltique;
Vilna puis le franchissement du Niémen pour le 3ème front
de Biélorussie; Bialystock pour le 2ème front de Biélorussie
et Baranovitchi, Brest-Litovsk et le franchissement du Boug occidental
pour le 1er front de Biélorussie. Varsovie n'en fait pas partie.
Le 11 juillet, la poche de Minsk est nettoyée, la 4ème armée
allemande n'est plus; on compte 70 000 tués et 35 000 prisonniers
qui vont finalement parader à Moscou, mais pas comme ils le souhaitaient!
Le 13 juillet, l'Armée rouge prend Vilna et enferme à nouveau
15 000 Allemands dans son filet. Le 17 juillet, une offensive soviétique
commence au nord de l'Ukraine; il en sera question ci-après. Le
27 juillet, le 1er front de la Baltique prend Chiaouliaï. Le 31 juillet,
il atteint le golfe de Riga et ferme la retraite au groupe allemand du
Nord.
Le 1er front de Biélorussie s'empare de Lublin, le 23 juillet où, deux jours plus tôt, un Comité de Libération nationale d'obédience communiste a été constitué; il va devenir rapidement le gouvernement dit de Lublin reconnu par l'URSS; la Pologne se trouve alors avec deux gouvernements, un pro-occidental à Londres et l'autre pro-russe à Lublin. Le 28 juillet, le 3ème front de Biélorussie est aux portes de Kaunas. Mais, là aussi, la résistance allemande se durcit et la ville ne tombera que le 31 août. A la fin de juillet, le 2ème front de Biélorussie s'engouffre dans Bialystock puis atteint la frontière de la Prusse-Orientale où il s'arrête. Les Allemands décident alors de stopper l'avance russe sur la Vistule et y amènent des renforts, notamment des divisions de blindés SS. Le 28 juillet, Brest-Litovsk tombe aux mains du 1er front de Biélorussie. Entre le 28 juillet et le 2 août, ce front établit deux têtes de pont à l'ouest de la Vistule à une cinquantaine de kilomètres au sud de Varsovie, à Magnuszew et Pulawy. Mais il ne parvient pas à en déboucher. Les attaques des restes de la Luftwaffe se font plus intenses. Au nord-est de Varsovie, des unités blindées du même front arrivent à Radzymin et Wolomin, plus proches de la capitale polonaise, mais ils y sont l'objet de violentes contre-attaques qui les mettent en péril. Le 1er août commence l'insurrection de Varsovie. On notera qu'une armée polonaise combat aux côtés de l'Armée rouge sous Rokossovski et que le gouvernement communiste de Lublin appelle les résistants polonais à l'action. Mais l'insurrection varsovienne a été déclenchée par les partisans du gouvernement polonais en exil à Londres. Ce gouvernement n'a plus de relations diplomatiques avec l'URSS depuis deux ans et n'est plus reconnu par elle comme légitime. Le commandement soviétique n'a pas été tenu informé du soulèvement et la prise de Varsovie ne figure pas, à court terme, dans son agenda déjà bien chargé. En septembre, l'Armée rouge passe à la défensive, aussi bien sur le front Biélorusse qu'au nord du front ukrainien, face à une armée allemande qui vient de subir une grave défaite mais qui n'est pas encore moribonde. Cette attitude donnera lieu à des soupçons, on y reviendra plus loin. Les Allemands, pour résister aux Soviétiques au centre, ont déplacé 28 divisions des États baltes et du front d'Ukraine. Ils ont prélevé 18 divisions et 4 brigades d'Allemagne, de Hongrie, de Pologne, de Norvège et d'autres pays occupés. C'est autant de moins contre les Alliés sur le front de l'Ouest. La mission assignée à l'offensive soviétique pour retenir l'ennemi à l'Est est remplie. Juin - octobre 1944 : Fin de la guerre de continuation russo-finlandaise A partir du début de 1942, le front finlando-soviétique reste calme. Les projets germano-finnois (par exemple l'attaque de la voie ferrée de Mourmansk) restent sans suite. Dès 1943, les autorités finlandaises, qui pensent que l'Allemagne est sur le chemin de la défaite réfléchissent aux moyens de rompre leur pacte avec elle. Le haut-commandement allemand, qui n'est pas dupe, prend, dès l'été 1943, un certain nombre de mesures destinées à faire face à une paix séparée. Les troupes du Reich, en Finlande depuis l'automne 1940, se sont déjà portés sur Petsamo afin de protéger les mines de nickel qu'ils y exploitent. Pendant l'hiver 1943-1944, les Allemands ont amélioré les routes entre le nord de la Norvège et la Finlande et ont accumulé des stocks de matériel. Ils sont déterminés à y défendre leurs positions. A la fin de l'année et au début de 1944, Helsinki entrent en pourparlers avec Moscou. Une délégation finlandaise se rend dans la capitale russe en mars 1944. Les Russes exigent la frontière de 1940, ce que les Finlandais sont résignés à accepter. Mais ils formulent d'autres exigences : la région de Petsamo, au nord, riche, comme on vient de le dire, d'une mine de nickel exploitée par les Allemands, la rupture des relations diplomatiques avec le Reich et l'expulsion ou l'internement des soldats allemands, et le paiement d'une indemnité de guerre sous forme de marchandises d'une valeurs de 150 millions de livres sterling. Le gouvernement et le Parlement finlandais trouvent ces conditions inadmissibles et les rejettent le 15 avril. Pour sa part, Hitler, pour punir les velléités de défection des Finlandais, place, le 19 avril, son ex-alliée sous embargo, pour ce qui concerne les vivres et le matériel militaire. L'état-major soviétique pensait que la Finlande accepterait ses propositions. Aussi préparait-il une opération pour priver l'Allemagne du nickel de Pestent. Mais, le refus finlandais change la donne et contraint la Stavka à repousser cette opération et à préparer une autre opération au sud. Le maréchal finlandais Mannheirem croit que l'Armée rouge n'attaquera pas la Finlande parce que, une fois l'Allemagne à terre, elle sera obligée de se soumettre. Toutefois, afin de parer à toute éventualité, il fait édifier en toute hâte et assez sommairement deux ligne de défense en travers de l'isthme de Carélie, la ligne VT et la ligne VKT. Il masse les principales forces de son armée à l'est, en Carélie orientale, de l'autre côté du lac Ladoga, région de prédilection qu'il a déjà promis de libérer en 1918. Malgré les mouvements de troupes soviétiques, qu'il prend pour des opérations de diversion pour tromper les Allemands, il espère si fermement qu'aucune attaque soviétique n'aura lieu qu'il distribue des permissions à ses soldats pour aller aider les paysans à effectuer les semailles de printemps et leur prête même des chevaux de l'artillerie, et des tracteurs au détriment de l'achèvement des fortifications des lignes VT et VKT. Le 9 juin 1944, la 21ème armée
soviétique (Govorov), comprenant le fameux corps de percée,
le 30ème corps de la Garde (Tcherepanov), passe à l'offensive
dans l'isthme de Carélie appuyée par 500 avions, 5 500 canons
et 800 lance-rokettes (Katioucha). Les soldats finlandais, dépourvus
d'ordres, sont décontenancés; leur division blindée
se trouve alors plus au nord, derrière la ligne VKT. Le 10
juin, vers 5 heures, l'assaut est repris et les russes percent le front
finlandais à Valcassarri; les moyens finlandais s'avèrent
impuissants contre les chars soviétiques T34. Mannhereim tente de
monter une contre-attaque en appelant la division blindée et fait
venir des troupes de Carélie orientale, dégarnissant ainsi
ce front. Mais, conscient de la situation difficile qu'il doit affronter,
il ordonne un repli sur la ligne VT, où les troupes finlandaises
sont installées le 12 juin. Il s'attend à une entreprise
soviétique sur Kivennapa. Mais les Russes ont découvert une
faille dans le dispositif adverse, à Kuuterselka, et c'est là
qu'ils attaquent et enfoncent la ligne VK. Le 14, le 30ème
corps de la Garde se précipite dans la brèche et exploite
la percée jusqu'à Viipuri. Le 15, Mannerheim admet la défaite
et replie ses troupes sur la ligne VKT. La retraite durera jusqu'au
20 juin et les soviétiques ne chercheront pas à tirer profit
des possibilités d'encerclement qui s'offriront à eux. Le
16 juin, Mannhereim retire d'autres unités de Carélie orientale
pour consolider la ligne VKT. Le 18 juin, il en est réduit
à l'humiliante obligation d'appeler l'Allemange à son secours.
Celle-ci ne se le fait pas répéter deux fois : des troupes
et du matériel affluent depuis les Pays baltes. La ligne VKT
doit être tenue à tout prix! la défense de Viipuri
est confiée à la 20ème brigade venue de Carélie
orientale qui rencontre dans la ville des traînards de la ligne VT,
ce qui n'améliore pas le moral des nouveaux venus dont la formation
militaire laisse à désirer. Le 20 juin, Viipuri tombe aux
mains des Soviétiques; les Finlandais étaient à court
de munitions et la 20ème brigade s'est enfuie. Cet événement
symbolique, survenu là où les Finlandais s'étaient
héroïquement comporté en 1940, sape le moral des troupes.
Cependant, la Stavka, forte des succès remportés, réorganise le front de l'isthme de Carélie et lance une offensive inspirée de celle qui lui a apporté la victoire en 1940. Le 25 juin, la ligne VKT est enfoncée à Tali. Le 27 juin, une unité fraîche arrive de Carélie orientale pour renforcer le front de l'isthme de Carélie. Le moral des troupes remonte et avec lui l'ordre renaît dans les rangs finlandais. Le rappel des réservistes et des permissionnaires a accru les effectifs et l'aide allemande, notamment l'efficacité des bombardements aériens, sur des troupes soviétiques compactes, encouragent à nouveau les soldats nordiques à résister. D'autant qu'en face, les troupes soviétiques, qui savent qu'elles ne seront pas renforcées après le 30 juin, commencent à donner des signes de fatigue. Le 30 juin, une attaque russe échoue. Le 7 juillet, sur la côte du golfe de Finlande, une offensive russe de la 59ème armée (Karobnikov) se heurte à la 122ème division allemande; les Russes poursuivent leur offensive jusqu'au 9 juillet, date à laquelle, dans l'incapacité d'élargir leur tête de pont, sur un terrain rocailleux très ingrat, ils rompent le combat. La 23ème armée russe (Tcherepanov) lance une autre offensive à hauteur d'une tête de pont finlandaise au sud du Vuoksi, dans l'isthme de Carélie, à hauteur de Vuosalmi; elle se heurte, le 11 juillet, à une contre-offensive finlandaise, qui échoue, et les Russes agrandissent lentement leur tête de pont au nord du Vuoksi, jusqu'au 15 juillet. Mais, le 11 juillet, la Stavka, consciente que les objectifs fixés ne pourront pas être atteints, faute sans doute d'avoir synchronisé les attaques de Tali et de Vuosalmi, donne l'ordre de passer à la défensive dans l'isthme de Carélie. Le 17 juillet, les Russes s'arrêtent conformément à l'ordre de Staline. Le 21 juillet, les unités russes atteignent la frontière finlandaise de 1940 au nord, vers Ilomantsi, en Carélie orientale. Le 23 juillet, la Stavka, mécontente de la lenteur de la poursuite sur ce front ordonne d'accélérer le mouvement. Le 28 juillet, le repli des Finlandais sur la ligne U est achevé sans qu'ils aient été entamés. Les attaques russes répétées sur la ligne U restent sans effet. Fin juillet Ryti démissionne. Le général finlandais Raapana lance, le 3 août, une contre-attaque qui encercle deux divisions russes; la plupart des soldats russes parviennent à s'échapper, entre le 6 et le 8 août, mais ils perdent 3 000 morts et 94 canons. Le 29 août, la Stavka fait cesser toute activité offensive. La guerre russo-finlandaise est désormais terminée. La Finlande a été battue, mais son adversaire n'a pas réussi à franchir sa frontière de 1940. C'est une satisfaction pour les autorités finlandaises qui ne s'autorisent toutefois aucune espèce d'espérance qu'ils savent illusoire. Si les Soviétiques le veulent, ils envahiront leur pays! Le 4 août, Mannerheim succède à Rity. Lorsque le maréchal Keitel vient aux nouvelles, le 17 août, Mannerheim lui apprend que le document de Ribbentrop n'a plus aucune valeur. Le 25 août, les contacts sont renoués entre Helsinki et Moscou. Le 2 septembre, la Finlande accepte des conditions préliminaires de paix soviétiques très voisines de celles qui avaient été repoussées le 15 avril, sauf l'indemnité de guerre réduite de moitié. La Finlande rompt ses relations diplomatique avec l'Allemagne nazie et Hitler met en oeuvre les dispositions prévues dans cette hypothèse : les troupes allemandes en Finlande refluent vers le nord, pour sauver Petsamo, et des mesures sont prises pour occuper les îles Aland et Suursari, dans le golfe de Finlande. Meretskov commence des opérations au nord pour couper la route aux Allemands en retraite. Mais, le 12 septembre, la Stavka lui ordonne de s'arrêter. Staline accorde la priorité à la prise de la région de Petsamo, vitale pour l'approvisionnement du 3ème Reich, et tout doit être mis en oeuvre pour y parvenir. Le 19 septembre, la Finlande et la Russie signent un traité de paix provisoire. Une double opération est lancée, depuis la terre, le 7 octobre, et depuis la mer, le 9, contre Petsamo. Meretskov, équipé de chars KV, pratiquement invulnérables, très efficaces contre les fortifications, enlève les mines de nickel aux Allemands et les poursuit jusqu'à la frontière norvégienne. Il propose alors à Staline de pénétrer en Norvège et de s'emparer de la base allemande de Kirkenes; le maître du Kremlin estime qu'il s'agit là d'une bonne idée. Le dixième choc (Staline dixit) va refouler les Allemands en Norvège. Mais ces derniers opposent une résistance farouche. Les Russes, grâce à de nouveaux débarquements et à un long contournement par la toundra glacée, finissent par enlever la base, le 25 octobre. L'hiver est maintenant là et l'approvisionnement ne suit que difficilement. Meretskov suggère alors de mettre fin aux opérations. Après avoir hésité, Staline accepte et, le 29 octobre, il ordonne l'interruption de l'offensive. La Guerre du Grand-Nord est terminée. Le 17 juillet, les Britanniques s'en prennent à nouveau au Tirpitz, mais des écrans de fumée empêchent les aviateurs de toucher une cible qu'ils ne voient pas. Le 24 août, une nouvelle tentative ne cause que des dégâts superficiels. Le 29 août, un nouvel essai se solde par un nouvel échec. Enfin, le 15 septembre, malgré un écran de fumée, une bombe de gros calibre (12 000 livres), larguée par un quadrimoteurs lourd Lancaster, venant de la base soviétique de Yagodnik, tombe sur le gaillard d'avant et ouvre le pont supérieur comme une boite de sardines. Cette fois, c'est gagné. Le Tirpitz ne pourra plus servir. Mais il n'est pas encore coulé! 20 juillet 1944 : Hitler échappe à un attentat Le 20 juillet, une bombe éclate au quartier général d'Hitler. Il est l'aboutissement du complot fomenté au sein de l'armée par un groupe d'officiers supérieurs qui espèrent mettre fin à la guerre sur le front occidental pour pouvoir contenir l'Armée rouge à l'Est. Et c'est von Stauffenberg qui a posé la bombe. Hitler n'est que légèrement blessé. Malgré cela, les conjurés s'efforcent de déclencher le plan Walkyrie à leur profit. Mais bien des officiers qui auraient adhéré à leur cause si le Führer avait été tué, se tiennent sur leur réserve. Le général Beck, supposé diriger le nouveau pouvoir est un homme vieilli, malade et faible, qui relève tout juste de la guérison d'un cancer; il n'a pas l'énergie nécessaire pour faire face à autant de difficulté. Des initiatives sont prises pour neutraliser les SS, aussi bien en Allemagne qu'en France, mais tout cela se passe dans l'improvisation et la plus grande confusion. Finalement, le complot échoue. Beck est invité à se suicider, il ne parvient qu'à se blesser et il est achevé par un sergent. Von Stauffenberg et ses complices sont fusillés le soir même. Les autres conspirateurs sont jugés de manière humiliante par un tribunal d'une partialité et d'une sévérité exceptionnelles; ils sont exécutés vers la fin de l'année et au début de l'année suivante. Rommel, compromis, est contraint au suicide; le renard du désert n'est probablement pas l'un des membres du complot, mais sa popularité le rendait indispensable en cas de réussite de celui-ci, et, s'il en a eu connaissance, il ne l'a pas dénoncé! Quant à Tresckow, il choisit une autre mort en s'avançant seul face à l'Armée rouge qui l'abat. Si le complot avait réussi, une paix séparée était-elle été possible avec les alliés occidentaux? C'est peu vraisemblable; les opinions publiques étaient furieusement montées contre l'Allemagne; on ne voulait pas commettre à nouveau la même erreur qu'en 1918, alors que la capitulation sans condition était désormais à la portée de la main; et, voici seulement un an, les démarches de Coco Chanel auprès de Winston Churchill, allant dans le même sens, avaient piteusement échouées. La fin de la guerre n'est plus très éloignée, mais la résistance militaire allemande est décapitée! 25 juillet - 25 août : Bataille de Normandie et réduction de la poche de Falaise Après la prise de Caen, Eisenhower promet la gloire à Montgomery s'il parvient jusqu'à Falaise. Ce dernier ordonne à Dempsey de poursuivre à fond, mais uniquement pour continuer à leurrer les Allemands. Le 25 juillet, l'opération Cobra frappe de l'autre côté du front à l'ouest de Saint-Lo. Bradley a minutieusement préparé son attaque. Rien n'a été laissé au hasard, même le poids des bombes a été choisi pour assommer l'ennemi sans creuser de trop larges cratères qui ralentiraient l'avance des troupes au sol. La distance des troupes américaines des troupes allemandes a été calculée afin que les premières ne souffrent pas des bombardements peu précis des bombardiers lourds. Le bombardement va mettre en oeuvre 2 500 appareils! L'opération doit commencer le 24 juillet, mais le général Leigh-Mallory en vol au-dessus de la France ce jour là, décide de la reporter à cause du temps bouché qui n'offre pas la visibilité requise. Malheureusement, son message parvient trop tard, les premiers bombardiers étant déjà en chemin. Une partie de la flotte aérienne entre donc en action ce jour là. Ce bombardement prématuré alerte l'ennemi, tue 25 Américain et en blesse 130, par suite des mauvaises conditions atmosphériques. Les Allemands déclenchent un violent barrage d'artillerie et croient avoir repoussé l'ennemi. Mais ce n'est pas l'avis de Kluge maintenant sur ses gardes. Cependant, le général allemand s'attend encore à une tentative de percée du côté de Caen. Le lendemain, 1500 bombardiers lourds B-17 et B-24, plus de 380 bombardiers moyens et plus de 550 chasseurs-bombardiers déversent 4 150 tonnes de bombes. Cette fois-ci, le temps est clair, mais la poussière des impacts, poussée vers l'est par le vent rend à nouveau les lâchers des dernières vagues imprécis et les Américains subissent de nouvelles pertes (110 soldats tués et 490 blessés), juste avant de donner l'assaut, ce qui atténue la puissance de celui-ci. Quant aux Allemands, abasourdis, ils se ressaisissent rapidement et font face. Si le bombardements a été efficace à certains endroits, ce n'est pas le cas partout et les progrès américains se heurtent à une vive résistance. Le 7ème corps US (Collins) avance vers le sud, en direction de Saint-Gilles et Marigny, depuis le nord de la route Saint-Lo-Périers. Au soir du premier jour, il est loin d'avoir atteint les objectifs de Bradley. Collins se demande si ses adversaires, après le premier bombardement, n'ont pas retiré leurs blindés à l'arrière pour les mettre à l'abri et déclencher une violente contre-offensive au moment opportun. Il a l'ordre d'engager ses propres blindés une fois conquise la ligne Saint-Gilles-Marigny. Il hésite craignant de créer de la confusion en pleine bataille. Finalement, il s'y résoud. De l'autre côté, Hausser et von Choltitz sont assez optimistes. Mais Kluge l'est moins. Il leur demande de retirer une division blindée du Cotentin. Mais celle-ci est aux prises avec le 8ème corps US (Middleton) qui se dirige sur Coutances, via Lessay et Périers. Hausser préconise donc un repli sur Coutances. Kluge n'accepte qu'un léger recul. Il n'y a plus devant les Américains qu'un léger rideau de troupes allemandes hors d'état de reconstituer une deuxième ligne de défense. Une fois Saint-Gilles et Marigny atteintes, le front est percé et la retraite allemande se transforme en débandade. l'offensive de Collins s'élargit comme les tentacules d'une pieuvre vers le sud-est de Saint-Lo, vers le sud en direction de Villedieu, vers l'ouest en direction de Coutances, pour donner la main à Middleton. Le 28 juillet, von Choltitz a pratiquement perdu le contact avec ses unités. Ayant reçu l'ordre de tenir coûte que coûte, il s'efforce au contraire de sauver ce qu'il peut de ses troupes, ce qui lui vaudra la destitution. C'est la débâcle. Le gros de l'armée allemande restée sur la côte tente d'échapper à Middleton en battant en retraite vers l'ouest, mais c'est pour tomber sur Collins dont les tentacules se referment sur une poche d'Allemands du côté de Roncey. Une tentative de contre-offensive est montée par Kluge pour les dégager. Hausser rappelle des forces d'Avranches pour la renforcer. Mais, ce faisant, il ouvre la porte d'Avranches aux Américains. Les 28 et 29 juillet, quelques unités de la poche de Roncey réussissent à s'échapper. Les autres sont écrasées par l'aviation. Avranches tombe le 30 juillet. L'armée allemande est désormais complètement tournée par l'ouest. La retraite allemande s'effectue dans le plus grand désordre, parfois au milieu d'une armée américaine médusée. Kluge se faufile au milieu des chars américains pour gagner Mortain. Kluge prévient Hitler. La conquête d'Avranches permet aux Américains d'aller où ils voudront. Ceux-ci ont déjà coupé la route d'Avranches à Mortain. Le Führer envisage un moment un repli général sur la Somme, la Marne, la Saône, le canal Albert et la Meuse, de la Manche aux Vosges, et peut-être même la ligne Siegfried. Puis il ordonne à Kluge de reprendre Avranches. Kluge obéit en lançant plusieurs offensives à partir de Mortain. Hitler insiste. Mais la volonté du Führer ne suffit pas. Kluge n'a pas les moyens des ambitions d'Hitler! Au cours des tentatives pour reprendre Avranches, un bataillon américain encerclé à l'est de Mortain, sur la cote 317, un excellent observatoire qui s'étend sur le champ de bataille, renseigne l'artillerie et l'aviation alliées, et surtout les Typhoon britanniques armés de fusées qui sèment la terreur parmi les Allemands. Ce bataillon résiste pendant cinq jours aux assauts de l'ennemi en partageant la pitance des paysans normands. Au mois d'août, les affaires se précipitent. Patton est là avec sa 3ème armée. Il devait conquérir la Bretagne, mais c'est désormais trop peu. Le 3 août, Middleton s'empare de Rennes. Le 6 août, les premiers obus américains tombent sur Saint-Malo qui se rendra à Middleton le 17 août. Le 7 août 1944, le 8ème corps d'armée (Middleton) arrive aux portes de Brest et encercle la ville défendue par les parachutistes SS d'élite du général allemand Ramcke qui s'est illustré en Crête, en Afrique du Nord sous Rommel, et en Italie. Hitler a expressément défendu de livrer aux Alliés une liste de ports vitaux pour le ravitaillement de ces derniers; Brest est l'un des plus importants. Les forces de Ramcke sont solidement installées derrière de bonnes défenses et elles sont décidées à se battre jusqu'au bout. De violents combats opposent les adversaires pendant plusieurs semaines. Le 12 septembre Middleton propose à Ramcke de se rendre; ce dernier décline cette proposition. Le 19 septembre, la ville tombe enfin, mais elle est en ruines; son triste sort inspirera un des plus émouvant poème de Prévert. De plus, les Allemands ont saboté les installations portuaires. Quant à Ramcke, il s'est réfugié, dès le 16 août, dans la presqu'île de Crozon, au sud de Brest, où il continue le combat, en s'appuyant sur le Ménez-Hom, au sud-est de la presqu'île de Crozon, et la presqu'île de Roscanvell, pointe nord de la presqu'île de Crozon. Son QG se trouve au fort des Capucins, un îlot à l'ouest de la presqu'île de Roscanvell, proche de la crique de la Fraternité, d'où il pense pouvoir s'exfiltrer le moment venu, probablement par sous-marin. Pris au piège par les Américains, aidés par la population locale, dans une soute à munitions enterrée, il accepte de se rendre, le 19 vers 17 heures, mais uniquement à Middleton, devant lequel il se présente dans un uniforme impeccable, en tenant en laisse son setter irlandais, affirmant aux journalistes présents qu'il a l'impression d'être une star de cinéma. Il part ensuite prisonnier aux États-Unis, dans le Missouri, État où naquit son vainqueur, avec qui il restera en correspondance pendant plus de dix ans. Les Allemands laissent aux mains des Américains 36 000 prisonniers valides et plus de 2 000 blessés, alors que Patton avait estimé a priori la garnison de Brest à 10 000 hommes! Le coût élevé de la prise de Brest, et son inutilité, servent de leçon aux Alliés qui cessent de prendre d'assaut les ports trop bien défendus en se contentant de les encercler par des troupes souvent constituées de FFI-FTP. D'ailleurs, au fur et à mesure qu'ils avancent vers le nord, les ports français de l'Atlantique présentent de moins en moins d'intérêt et c'est alors Anvers qui est visé. Il existe pourtant une exception, Le Havre, conquis par la 2ème armée britannique, à la fin d'août 1944, au prix d'une destruction de la ville à 80 %. Le 8 août, au cours d'un large coup de faux, la 3ème armée s'empare du Mans et remonte vers Alençon qui tombe aux mains de la 2ème division blindée française (Leclerc), le 11 août. Les Allemands se sont réfugiés dans la forêt d'Ecouves où les chars ne peuvent pénétrer qu'avec difficultés. Leclerc, selon son habitude, évite l'affrontement et manoeuvre pour obtenir le maximum de résultats avec le minimum de pertes. Sur sa droite, il lance Billotte en direction de Sées, quitte à créer un embouteillage et de recueillir des remontrances de la part des Américains, cet objectif étant situé dans leur zône. Sées tombe aux mains des Français le 12 août. Sur sa gauche, il lance Dio en direction de Carrouges. Dio et Billotte doivent faire leur jonction à Ecouché, mission accomplie le 13 août. Des actions d'encerclement plus rapprochées sont confiées à Minjonnet et à Massu vers la gauche et à Purz, venant de la droite et de Sées, ainsi qu'à Branet, au nord-est de la forêt, depuis la route de Carrouges à Sées qui la traverse. Les Allemands sont pris au piège! Un mouvement plus ample d'encerclement par le sud, amène la 3ème armée US à Nantes et à Angers, le 11 août, puis à Chartres le 16 août et à Orléans, le 17 août. Le 15 août au matin, Kluge quitte le quartier général de Dietrich et disparaît. Toutes les suppositions sont possible car un second débarquement a lieu en Provence. Est-il en train de négocier la capitulation? En fin de journée, Hitler désigne Hausser pour assurer l'intérim avec pour mission de battre les Américains qui remontent d'Alençon et risquent de fermer les restes de l'armée de Normandie dans une nasse en opérant leur jonction avec les Anglais qui descendent de Caen. Les troupes allemandes (7ème armée d'Hausser, 5ème Panzer de Dietrich et groupement blindé Eberbach), assaillies sur tout le pourtour de la poche qu'elles occupent encore à l'est de Tichebray, poche ouverte mais qui rétrécie de jour en jour, n'ont plus d'espoir de s'en tirer qu'en passant entre Falaise et Argentan. Le 16, Kluge réapparaît. Sa voiture a été mitraillé et il a passé la journée dans un fossé. Il demande aussitôt à Berlin l'autorisation d'évacuer la poche. Cette autorisation lui est accordée au cours de l'après midi. Le même jour, les Canadiens venant du nord pénètrent dans Falaise. Montgomery et Bradley s'entendent pour fermer la poche à Trun et à Chambois. Ordre en ce sens est transmis à Patton. Malheureusement, le 15ème corps US (Walker), qui était à proximité d'Argentan, est parti en direction de Dreux! Des cafouillages se produisent, ordres et contre ordres, dans des unités américaines, et la fermeture par le sud est différée, ce qui donne de l'aisance à Eberbach qui en profite. Le 17, Montgomery donne l'ordre au général Crerar et à ses Canadiens d'accentuer leur pression sur la porte depuis le nord. Kluge ordonne alors à Hausser d'accélérer le mouvement de retraite. La pénurie de carburant oblige les Allemands à abandonner et détruire leurs véhicules. Le 18 août, Hitler limoge Kluge et le remplace par Model. En même temps, il décide un repli général des unités du sud de la France et le regroupement des unités de Normandie au nord de la Seine. A ce moment, les Canadiens prennent Trun et menacent Saint-Lambert tandis que la 1ère division polonaise, venant du nord, et les Américains venant du sud, menacent Chambois. Kluge, après avoir installé Model, prend le chemin de l'Allemagne qu'il ne reverra pas; dans les environs de Metz, après avoir écrit une lettre à Hitler l'exhortant à faire la paix, il se suicide au cyanure. Le 19, la poche rétrécit encore. Les Canadiens s'installent fortement à Trun et Saint-Lambert, tandis que les Polonais escaladent le mont Ormel qui domine la dépression où s'entassent en une masse confuse, cible parfaite pour l'aviation, les restes de la Wehrmacht. Au soir du 19 août, la largeur du corridor de sortie n'excède pas 10 kilomètres. Ce jour là, le 15ème corps, dont l'élan a peut-être fait manquer la fermeture de la poche de Falaise, parvient à Mantes Gassicourt, à l'est de la Roche-Guyon, d'où le quartier général allemand s'enfuit dans la plus grande confusion. Montgomery pourrait sans doute boucher le goulet qui permet encore aux vaincus de la bataille de Normandie d'échapper à la nasse, mais il lui faudrait alors empiéter sur la zone américaine! Les Allemands profitent de la nuit et de la pluie pour fuir en toute hâte hors de cet enfer, ce chaudron selon l'expression de ceux qui y cuisent! Au petit matin, du haut du mont Ormel, les Polonais découvrent la plaine de Dives grouillante d'une multitude de colonnes allemandes aux abois. Dempsey franchit la route Falaise-Argentan et Hodges s'empare d'Argentan. Le 20 août, depuis Chartres, le 20ème corps US atteint Fontainebleau. A minuit, le même jour, cessent les mouvements ennemis à travers la porte étroite du salut; seuls quelques isolés tentent encore leur chance. De 20 000 à 40 000 hommes ont réussi à passer mais sans artillerie ni armes lourdes, ni matériel. Ce qui est encore dans la poche est voué à la mort ou à la captivité. Les Alliés vont faire 50 000 prisonniers et dénombrer 10 000 morts. L'abcès de Falaise vidé manu militari, les alliés se ruent vers la Seine. Les villes d'Elbeuf et de Vernon, sont libérées. Patton a ordonné à son 12ème corps (Eddy) de remonter d'Orléans vers l'est, où il atteint la Seine àTroyes. Entre le 20 et le 25 août, presque toute la rive gauche de la Seine est aux mains des Alliés et quatre solides têtes de pont sont établies sur la rive droite, la plus importante à l'ouest de Mantes Gassicourt, dans une boucle du fleuve, par le 15ème corps US, les autres à Melun, Fontainebleau et Troyes. Paris est désormais bien encadré! Juillet - août 1944 : Offensive d'été de l'Armée rouge - Entrée des Russes en Pologne - Conquête de la Roumanie Avant le début de la campagne d'été,
la supériorité soviétique s'est accentuée,
tant au niveau des hommes (1 200 000 contre 900 000, qu'à celui
de l'artillerie (13 900 pièces contre 6 300, à celui des
blindés (2 200 contre 900) et surtout des avions (2 800 contre 700).
Les Allemands n'ont plus de renforts à espérer. De plus,
ils sont amenés à dégarnir le nord de leur dispositif
pour renforcer le centre et le sud. Les Soviétiques, après
avoir libéré presque totalement le territoire de leur mère
patrie, peuvent envisager avec confiance leur pénétration
en Pologne et dans les Balkans. Mais ils vont y rencontrer de redoutables
problèmes politiques. Si les résistants communistes polonais
se battent déjà avec les partisans soviétiques, il
n'en va pas de même des partisans du gouvernement de Londres qui
sont en conflit avec eux. Les autres pays à portée des forces
soviétiques sont encore des alliés de l'Allemagne nazie,
même si, depuis le 19 mars, en Hongrie, cette alliance est imposée.
Le 17 juillet, des unités de la 1ère armée blindée de la Garde traverse le Boug occidental et pénètrent en Pologne. Le 22 juillet une poche allemande, formée par l'attaque en tenaille du 1er front dans le secteur de Brody, est liquidée. Le 27 juillet Lvov tombe aux mains des Soviétiques. Les 29 et 30 juillet l'avant-garde du 1er front d'Ukraine atteint la Vistule, la traverse et établit une tête de pont. Le 5 août, plus au sud, la 18ème
armée du 4ème front d'Ukraine (Petrov), après la Crimée
conquise, attaque, à partir de Kolomiya, vers Skole à l'ouest
de Stanislav. Les 11 et 18 août, le 1er front d'Ukraine stoppe une
contre-attaque contre le sud de la tête de pont de la Vistule dans
le secteur de Stopnica. Le 14 août, ce front attaque à partir
du nord de la tête de pont. Le 15 août, le 4ème front
d'Ukraine essaie de s'emparer des cols des Carpates mais ne réussit
qu'à gagner la ligne Sanok-Skole-Nadvornia-Krasnoïlsk. Fin
août, le 1er front d'Ukraine passe sur la défensive.
Au Sud, un moment de lourde accalmie annonce de graves événements. En juillet, Shörner, qui commande le groupe d'armées allemandes d'Ukraine du Sud, prévient Hitler que quelque chose est en train de se tramer à Bucarest où Antonescu perd le contrôle du pays. Fin juillet, Schörner permute avec Friessner; il est muté sur le front de la Baltique et Friessner le remplace à la tête du groupe d'armées d'Ukraine du Sud. Cependant, au mois d'août, du côté russe, les 2ème (Malinovski) et 3ème (Tolboukhine) fronts d'Ukraine, assistés par le maréchal Timochenko, préparent une offensive détectée, le 16 août, par le général allemand Wöhler. A ce moment, le groupe d'armées d'Ukraine du Nord s'est retiré à l'intérieur de la Pologne, ce qui a laissé le groupe d'armées du Sud d'Ukraine seul au-delà des Carpates. Ce groupe s'appuie à sa droite sur le cours du Dniestr; deux cours d'eau, voies de pénétration possibles, le Prout et le Siret, dont les Russes tiennent le cours supérieur, coupent du nord au sud la région; les Russes possèdent également une tête de pont sur le Dniestr aux environs de Tiraspol; le caractère montagneux de la région est toutefois favorable à la défense; les Allemands (Wölher) sont au nord et les Roumains (Dumitrescu) au sud jusqu'à la mer Noire. Notons que le 2ème front d'Ukraine compte dans ses rangs la 1ère division d'infanterie des volontaires roumains Toudor Vladimirescu ainsi qu'une brigade yougoslave. Ils vont lancer à l'assaut de la Roumanie défendue par des Roumains, mais aussi des Allemands qui constituent l'ossature de l'ensemble, les baleines du corset, comme ils disent, en tenant étroitement les Roumains sous leur contrôle, afin de les empêcher de se débander. Il s'agit de conserver les pétroles de Ploesti! Avant de passer à l'attaque, les officiers russes du 2ème front d'Ukraine rappellent à leurs hommes qu'ils vont entrer dans un pays étranger insistant sur la mission politique qu'ils doivent remplir en conservant une discipline stricte et en s'interdisant tout pillage : ils se contenteront de leurs rations! Le groupe d'armées d'Ukraine du Sud tient Jassy, Kichinev, Bielgorod, au sud du delta du Dniestr. Son chef, Friessner, n'est pas sans inquiétude car il n'exerce aucun contrôle sur la Roumanie d'Antonnescu et s'interroge sur ce qu'il adviendra s'il doit se replier par des voies de communication qui lui échappent; tous ses ordres lui arrivent de Berlin et de Bucarest! Le 8 août, une animation particulière est observée chez les Soviétiques. Le 13, l'Okh retire une division du dispositif allemand, ce qui porte à 11 le nombre de divisions retirées depuis juin. Friessner pense que les Soviétiques vont attaquer au centre, et c'est là qu'il a positionné ses meilleures troupes. Ses adversaires l'entretiennent évidemment dans cette opinion, en frappant le 19 août sur la gauche allemande. Friessner prédit alors une attaque sur l'ouest de Jassy et une attaque secondaire sur Tiraspol; il ne croit pas à une offensive générale d'envergure. Le 20 août, les Soviétiques assaillent les ailes, au nord-ouest de Jassy, et au sud de Tiraspol, en une vaste opération d'encerclement qui vise à détruire les forces les plus dangereuses de leur ennemi. Les unités roumaines lâchent pied. La manoeuvre réussit et permet aux russes de faire presque la moitié du chemin vers Ploesti. Plusieurs poches germano-roumaines sont isolées en arrière du front. Du 25 au 29 août, l'offensive se poursuit, notamment pour prendre les Portes de Focsani. Elle amène les Soviétiques aux portes de Ploesti. Des combats acharnés se déroulent jusqu'au 27 août sur la rive orientale du Prout, et jusqu'au 29 août sur la rive occidentale. Entre temps, le 23 août, le dictateur Antonescu est renversé et la Roumanie change son fusil d'épaule en rejoignant les Alliés. On dit que, depuis 1942, Antonescu, conscient de la défaite inéluctable de l'Allemagne nazie, espérait un débarquement occidental dans les Balkans qui lui permettrait d'obtenir un arrangement avec Churchill. La suite lui prouva qu'il s'agissait là d'une chimère et que le premier soldat allié qui entrerait en Roumanie ferait partie de l'Armée rouge. Au début de la campagne, Timochenko, qui dirigeait l'ensemble des forces russes, disposait d'un peu moins du double des effectifs allemands et roumains, d'un peu plus du double en matière d'artillerie et d'aviation et du triple en chars et canons automoteurs. Même sans la débandade des Roumains, las de la guerre, les chances allemandes de résister étaient faibles! Dans la nuit du 29 août, l'Okh donna l'ordre à Friessner d'établir un second front le long de la chaîne des Alpes de transylvanie et des Carpates en liaison avec les théâtre d'opération du Sud-Est (Yougoslavie (Weichs) et Grèce (Löhr), et le groupe d'armées d'Ukraine du Nord sur la frontière polonaise, entre le sud-est de la Hongrie et les Portes de Fer sur le Danube sur un front de 350 kilomètres avec des forces battues, affaiblies et numériquement insuffisantes, une aviation employée au transport de son carburant menacé par la révolution roumaine en Hongrie, et au sud une Bulgarie qui, soucieuse d'éviter l'entrée des Soviétiques sur son territoire, désarme les unités allemandes qui cherchent refuge chez elle. Juillet - novembre 1944 : Bataille des États baltes Avant l'été 1944, le front de
la Baltique ne faisait pas partie des priorités de la Stavka.
Les moyens qui y étaient affectés étaient limitées,
tant en hommes qu'en matériel, et on ne pouvait pas envisager d'opérations
sur une grande échelle, comme en Biélorussie et en Ukraine.
Le terrain, marécageux, sillonné de rivières et de
lacs qui ne gelaient pas, ne se prêtait pas à un usager massif
de l'aviation, ni même de l'artillerie, en raison de l'absence de
visibilité. Une médiocre efficacité supposait l'emploi
de nombreuses munitions et celles-ci manquaient. Ce terrain était
couvert d'épaisses et profondes forêts qui ne se prêtaient
pas à l'emploi des chars. La supériorité soviétique
en matière d'artillerie, de blindés et d'avions n'était
par conséquent pas suffisante pour pallier la trop faible supériorité
en hommes.
Des coups de portée limitée n'en furent pas moins portés à l'ennemi pour aider à dégager Leningrad et pour soulager les fronts principaux. Le 7 octobre 1943, Nevel, important noeud de communication entre le groupe d'armées allemand du Nord et celui du Centre, tomba, après deux semaines de combats acharnés. Une autre action était engagée dans la région de Gorodok. L'Armée rouge s'était réorganisée au cours de l'automne 1943 et avait reçu des renforts du sud. Le 20 octobre, le front de Kalinine était devenu le 1er front de la Baltique, confié au général Bagramian, et l'ancien front de la Baltique en était devenu le 2ème front. Le front de la Baltique et celui de la Biélorussie devaient s'entendre pour fermer la retraite au groupe d'armées allemand du Nord au secours duquel des renforts parvenaient. Bagramian reçut l'ordre de prendre Gorodok afin de faciliter la prise de Polotsk et de Vitebsk, ainsi que les opérations en Biélorussie. Mais il était plus facile de donner des ordres que de les exécuter. Au début de 1944, la Stavka élabora un nouveau plan qui consistait à tenter de disperser l'ennemi en l'assaillant sur plusieurs points. Pour coordonner ces actions le maréchal Timochenko fut désigné. Le 29 février, le maréchal prit connaissance de la situation. Le 1er mars, après une préparation d'artillerie, les 1er et 2ème Fronts de la Baltique attaquèrent. Les résultats ne furent pas à la hauteur des espérances. Le renouvellement des attaques le lendemain n'eut pas plus de succès. La poursuite de l'offensive fut différée dans l'attente de renforts et de munitions. Le 10 mars, deux brèches peu importantes furent ouvertes dans la défense ennemie. Timochenko les jugea insuffisantes et, le 18 mars au matin, il organisa une conférence des chefs de fronts, des membres des conseils militaires et des chefs d'état-major qui décida de proposer au Grand Quartier Général un nouveau plan d'opération. Le GQG accepta. L'offensive d'avril qui suivit, depuis les lignes de la Narva et les approches de Pskow, Idritsa, Polotsk et Vitebsk fut peu fructueuse et une pause intervint jusqu'en juillet 1944. Du 29 juin au 1er octobre, la direction générale
des opérations est alors assumée sur place par maréchal
Vassiliewski.
Du 28 juillet au 28 août, le 2ème front de la Baltique réalise l'opération dite de Madona, à la charnière de deux armées allemandes qui résistent furieusement, ce qui ralentit considérablement son avance. Le 25 août, Tartou tombe aux mains du 3ème front qui a progressé de 120 kilomètres au nord-ouest et de 70 à 90 kilomètres à l'ouest en éliminant d'importants éléments de la 18ème armée allemande. Le haut commandement soviétique renforce le front balte et le réorganise. La région de Tartou est rattachée au front de Leningrad. La ligne Sigulda est franchie par une offensive du sud vers le nord, sur les arrières de Narva, ce qui permet au front de Leningrad de s'emparer de Tallin, le 22 septembre. Le 3ème front de la Baltique chasse les Allemands d'Estonie en se dirigeant vers la Lettonie, au sud, avec Riga pour objectif. Le 2ème front, après avoir réglé l'affaire de la région de Madona, progresse à l'est également vers Riga. Le 1er front y vient du sud et jette en même temps une branche sur Toukoum, pour fermer la Courlande, et une autre en direction de Memel, de manière à empêcher le repli de Schoerner vers l'ouest. La capitale de la Lettonie est menacée d'encerclement. La situation est très favorable aux Soviétiques qui manquent toutefois encore d'approvisionnement en munitions compte tenu de la consommation élevée des différents fronts. L'opération décisive doit débuter le 14 septembre sur les trois fronts de la Baltique et le 17 sur celui de Leningrad. Mais l'ennemi dispose encore de forces importantes, notamment blindées, et n'est pas disposé à se laisser couper de Prusse orientale. Il lance des contre-attaques contre le 1er front de la Baltique pour ouvrir le passage. Le haut commandement soviétique décide alors de tenter une offensive sur Memel à partir de la région de Chiaouliaï. Staline s'occupe personnellement de cette opération avec Vassilievski. A partir du 1er octobre, ce dernier n'a plus que deux fronts dans ses attributions : le 1er de la Baltique et le 3ème de Biélorrussie. Les deux autres fronts de la Baltique et le front de Leningrad, dépendent du maréchal Govorov. Le 5 octobre, le 1er front de la Baltique, considérablement renforcé, passe à l'attaque de Palanga et de Memel. Les Allemands comprennent immédiatement le péril qui les menace et précipitent leur repli vers la Prusse orientale, via la Courlande. Les 2ème et 3ème fronts de la Baltique les poursuivent mais ils sont ralentis, une fois de plus, par le manque de munitions. Le 11 octobre, la 5ème armée de la Garde, commandée par le général Volski, atteint la mer. Memel est investie le 12 octobre par la 39ème armée du général Lioubinov. Le 13 octobre, Riga tombe aux mains des Russes. Ce qui reste des troupes allemandes est confiné en Courlande. Malgré la volonté de la Stavka d'en finir rapidement avec elles, les vainqueurs doivent se contenter de les neutraliser jusqu'à la fin de la guerre. Il ne reste plus qu'à nettoyer l'archipel de Moonsund, ce qui est réalisé le 24 novembre. Le 8 août 1944, le maréchal Paulus,
le vaincu de Stalingrad, après une longue hésitation, adhère
au Comité national pour une Allemagne libre. Le maréchal
a été profondément choqué par l'exécution
d'anciens camarades à la suite de l'attentat contre Hitler. Le général
von Seydlitz, qui a servi à Stalingrad sous Paulus, l'a précédé
dans la voie de la rébellion, et il envisage de former une armée
de prisonniers pour lutter aux côtés des Russes, une initiative
rejetée par les Soviétiques. Quelques membres du Comité
sont néanmoins rattachés aux unités de première
ligne de l'Armée rouge pour interroger les prisonniers; d'autres
combattent derrière la ligne de front aux côtés des
partisans; vers la fin de la guerre, des soldats prisonniers ralliés
au Comité sont envoyés, revêtus d'uniformes allemands,
du côté ennemi pour y semer la confusion, avec des fortunes
diverses. Des membres du Comité participent activement à
la propagande antinazie soviétique, dont le général
Hitter, issu avant 1914, d'une famille alsacienne. Le 8 décembre
1944, 50 généraux membres du Comité lancent un Appel
au peuple allemand et à l'armée qui ne semble
pas avoir suscité beaucoup d'écho. Les militaires du Comité
formeront le noyau de la future armée de la RDA.
Initialement, on l'a dit, le débarquement en Provence (opération Anvil) devait avoir lieu avant celui de Normandie (opération Hammer, puis Overlord). Mais Churchill, malgré le double refus de Roosevelt et de Staline à Téhéran, n'a pas renoncé à son idée d'attaquer le ventre mou de l'Europe, c'est-à-dire par les Balkans. Au printemps de 1944, le débarquement d'Anzio et la préparation de celui de Normandie mobilise un volume de moyens tel qu'il n'est pas envisageable d'organiser un autre débarquement en Provence. Le Premier ministre britannique y voit une opportunité de renoncer à Anvil, pour privilégier les opérations en Italie avec le projet de pousser sur Vienne à travers la Slovénie, alors partie de la Yougoslavie. Il compte sur l'aide de Wilson et, pour ne pas effaroucher les Américains, le 22 mars 1944, il propose un projet édulcoré de renoncement : annuler l'opération Anvil en tant qu'opération mais la conserver en tant que menace. Ce projet est rejeté par les Américains qui n'acceptent qu'un ajournement. Le 13 juin, après le débarquement en Normandie, lors d'une réunion à Londres des états-majors, Churchill s'efforce de démontrer qu'Anvil ne se justifie plus, un débarquement en Provence en juillet ou en août n'exerçant plus, selon lui, aucune influence sur le sort de la bataille de Normandie, alors que le retrait de 4 divisions françaises et de 3 divisions américaines en Italie entraverait l'exploitation des succès pour gagner Vienne via Ljubljana. En même temps, il insiste pour que le nom d'Anvil soit remplacé par celui de Dragoon, car il craint, peut-être à juste titre, que l'association de Hammer (Marteau), premier nom d'Overlord, avec Anvil (Enclûme) ne donne des indications aux Allemands sur les projets des Alliés. Eisenhower, accepte le changement de nom, mais rejette tout le reste. Il invoque les mérites d'un large front préférable, selon lui, à la dispersion prônée par les Britanniques. Il a besoin d'une attaque venant du midi pour retenir une dizaine de divisions allemandes et protéger son flanc sud. Il lui faut un grand port en eau profonde pour amener En Europe les 40 à 50 divisions qui attendent de l'autre côté de l'Atlantique et acheminer leur matériel. Les ports du Nord ne remplissent pas les conditions requises. Le débarquement dans le Sud permettra d'employer les 7 divisions française réarmées par les Américains et de tirer le meilleur parti des 40 000 maquisards qui ne demandent qu'à se battre. Au mois de mai, sept équipes Jedburgh (trois officiers alliés et un radio par équipe) ont été parachutés pour réorganiser les FFI de la région en évitant de froisser les susceptibilités. Eisenhower estime que Wilson dispose de 24 grandes unités et que le retrait de 7 divisions ne devrait pas l'empêcher de progresser en direction de Vienne, avec toutefois un bémol, les logisticiens américains ont calculé que le col ne Ljubljana ne permettrait pas d'assurer le passage de plus de six divisions alliées! Ces arguments ébranlent Wilson. Les Britanniques proposent alors un débarquement à Sète, Bordeaux ou Trieste. De Gaulle est favorable au projet d'Eisenhower, mais Juin préfère le retour en France via le nord de l'Italie et la traversée des Alpes. Pour sortir de l'impasse, Churchill se tourne vers Roosevelt. Le 28 juin, il lui adresse une lettre assez habile où il préconise de retenir les Allemands dans le sud de la France par une simple manoeuvre de diversion en ajoutant qu'il serait dommage de sacrifier une grande campagne, celle d'Italie, au profit d'une entreprise hypothétique, alors que les deux peuvent être gagnées. La réponse de Roosevelt est sans appel. L'opération Anvil a été adoptée à Téhéran et il n'est pas question pour lui de la décommander sans l'accord de Staline. Churchill feint de s'incliner et, le 2 juillet, Wilson reçoit l'ordre de déclencher Dragoon le 15 août. Mais le vieux lutteur n'a pas renoncé. Après la prise d'Avranches, il essaie de fléchir à nouveau Eisenhower en lui proposant une action plus réduite sur Saint-Nazaire. Le général américain répond qu'il obéit à son gouvernement et que s'il existe des raisons politiques militant pour une action dans les Balkans, c'est à Washington que la question doit être traitée. Il rejette systématiquement tous les arguments britanniques. Et, il a maintenant un nouvel allié, Montgomery, naguère hostile au débarquement en Provence, qui en est devenu depuis partisan. Churchill, désabusé, et non sans avoir évoqué sa démission, finit par céder et, le 10 juillet, il invite Wilson à accélérer les préparatifs. Quel projet avait le plus de chances de réussir? Il est certain que le retrait de 7 divisions affaiblit le front italien? Mais Churchill ne s'est-il pas montré trop optimiste pour ce qui concerne l'offensive sur Vienne à travers des régions montagneuses où la progression des troupes se heurtera à des obstacles naturels qui faciliteront la défense? Il est difficile d'imaginer ce qui se serait passé si son option avait été retenue. En revanche, les résultats de l'autre projet sont connus. Les Alliés qui remonteront de Méditerranée captureront 100 000 prisonniers. Quelques mois plus tard, au moment de l'offensive allemande des Ardennes, le flanc droit d'Eisenhower sera couvert et les ports méditerranéens approvisionneront le quart des forces du général américain. En plus, le débarquement en Provence aura accéléré le rétablissement d'une vie politique normale en France. La controverse renaîtra à l'occasion de la guerre froide. Les partisans de Churchill affirmeront que le plan du Premier ministre britannique aurait permis de finir la guerre avant la fin de l'année 1944, supposition qu'il est évidemment impossible de prouver. Le chemin était encore long et semé d'embûches entre Florence et Vienne. Si le but était, comme on peut le penser, de contenir l'URSS en Europe de l'Est, il n'est même pas certain qu'il aurait été atteint! Roosevelt ne pouvait évidemment pas consentir à jouer ce jeu là qui aurait fourni des arguments à Staline pour refuser son concours à la guerre contre le Japon! Par ailleurs, les deux leaders occidentaux n'avaient pas la même vision de l'après guerre. Churchill, assuré désormais de la victoire, revenait à son anticommunisme d'antan. Roosevelt pensait, qu'après la crise de 1929 et la guerre terrible qui l'avait suivie, le monde ne pouvait plus être ce qu'il avait été. Il imaginait une société nouvelle, avec une économie mieux contrôlée et plus généreuse sur le plan social, assez proche sans doute de celle de Beveridge et des Keynésiens. Bref, Roosevelt n'était pas un libéral au sens où nous l'entendons en France, mais un libéral à l'américaine, un politicien de centre-gauche, partisan d'une forme d'État--Providence telle qu'il allait en apparaître en Europe après la Libération. Roosevelt, s'était prononcé en faveur de la fin des empires coloniaux sur lesquels étaient fondées la puissance britannique et la puissance française, et il n'était pas nécessaire d'être un fin politicien pour penser que Staline allait dans le même sens. Enfin, Roosevelt estimait que le maintien de la paix supposerait une entente entre les deux super-puissances qui étaient en train de s'imposer à l'échelle du globe : les États-Unis et l'Union soviétique; c'est pourquoi il ne voulait pas se brouiller avec Staline. Le Premier ministre britannique avait pris conscience à Téhéran du relatif déclin de son pays, même s'il ne pouvait que difficilement l'accepter. Anvil devenu Dragoon, a donc
lieu le 15 août. L'opération débute d'abord sous la
responsabilité du général Wilson. Il devra en assurer
l'intendance jusqu'à la distance 350 kilomètres. Ensuite,
il faudra aviser. Les forces alliées comprennent la 7ème
armée américaine, commandée par le général
Patch, vétéran de Guadalcanal; les forces françaises,
qui deviendront plus tard la 1ère armée française,
sous les ordres du général de Lattre de Tassigny; et des
parachutistes britanniques, la 1ère brigade indépendante
sous les ordres du général de brigade Pritchard, qui avec
des unités américaines et quelques Français, destinés
à servir de guides et d'interprètes, participeront à
une opération aéroportée. Les plages de débarquement,
Alpha (Cavalaire, Saint-Tropez, La Foux), Delta (La Nartelle)
et Camel (Saint-Rafael, Agay) sont choisies à cause de la
profondeur des eaux pour rendre les mines moins efficaces et à l'écart,
autant que possible, des batteries côtières importantes, quoique
probablement endommagées, de Saint Mandrier et du Titan, sur l'île
du Levant. Des indices laissent penser que Le Titan est désarmé,
même si des photographies aériennes montrent le contraire,
mais on n'est sûr de rien.
Les choses se passent moins bien au nord des plages de débarquement, vers Le Trayas. Les commandos, après une escalade difficile, tombent dans un champ de mines, et celui-ci n'est pas fictif : c'est le carnage. Les rescapés sont capturés. Ils ne resteront pas longtemps prisonniers. Le lendemain matin, ils sont à nouveau libres. Au large, les commandos américains de Walker prennent pied sur l'île du Levant et se saississent des batteries vues d'avion du Titan : elles sont en bois! Vers 7 heures du matin, l'opération aéroportée a lieu autour du Muy. Elle compte plus de 5 000 hommes qui seront 9 000 en fin de matinée. Par suite d'un problème de communication, le parachutage ne s'effectue pas à l'endroit prévu. Mais les troupes se réunissent assez vite et préparent le terrain pour les planeurs. Ces derniers cassent du bois. Mais la riposte allemande est loin d'être aussi intense qu'en Normandie. Et les troupes aéroportées font leur jonction à Draguignan, en fin de journée, avec les premières troupes débarquées à La Nartelle, après avoir capturé 500 prisonniers. Celles-ci sont Américaines. Les commandos français ont pénétré les premiers sur la terre de leur pays. Mais les premières grosses unités qui y descendent sont américaines. On a judicieusement évité de mélanger des troupes ne parlant pas la même langue pour éviter que l'opération complexe du débarquement ne soient rendue encore plus difficile par des malentendus. La surprise est totale chez les Allemands. Un général commandant un corps d'armée, fait prisonnier dès le début avec tout son état-major, déclare qu'il avait été averti d'une attaque alliée sur Gênes pour tourner les positions de l'Apennin, prévision confortée par les bombardements alliés qui avaient délibérément affecté une zone très large à l'est des lieux de débarquement. Tout se passe bien pour les Alliés, sauf au nord-est, dans le secteur Camel, où le pilonnage incessant de la flotte alliée, comprenant les navires français Duguay-Trouin et Emile-Bertin, ne parvient pas à éteindre le feu de la défense allemande. Sagement, la décision est prise d'interrompre le débarquement sur la plage de Saint-Raphaël et de déplacer les troupes vers La Nartelle, Agay ou au cap Dramont d'ailleurs voisin. Après les Américains vient le tour de la masse des Français. Le colonel Goutard, qui arrive de Toscane, débarque de nuit près de Saint-Tropez. Des piquets garnis de points phosphorescents, les lucioles, indiquent le chemin à suivre pour éviter les champs de mines. Il fait jour lorsqu'il arrive à Cogolin, en uniforme américain, mais avec un brassard tricolore. Un paysan saute de sa bicyclette pour faire la fête aux nouveaux venus. Les Américains sont passés depuis deux jours et ont annoncé leur venue. On les attend avec impatience. Au village, ils sont littéralement bloqués par la foule. Il faut entrer dans les maisons où on les invite à s'asseoir, à boire et à déguster des pêches. Les gens se plaignent des Allemands, mais surtout des supplétifs originaires de l'URSS, qualifiés indifféremment de Russes musulmans, dépeints comme des sauvages traités à la trique par les Allemands. A l'arrivée des Américains, le 15 août, un soldat allemand apeuré s'est rendu à une vieille femme laquelle lui a demandé de lui remettre d'abord son fusil! La rencontre a lieu avec le chef des FFI de la région qui dit plutôt du bien des autorités françaises locales de Vichy, milice à part, qui ont fermé les yeux sur les activités de la Résistance. Le 18 août, la division, qui doit avancer sur Toulon, est retardée par la lenteur du déchargement du matériel lourd. Le colonel Goutard en profite pour aller jusqu'à Collobrières. Il est étonné par les nombreux piquets plantés dans les champs; ce sont les asperges à Rommel, destinées à éventrer les planeurs. Il retrouve la même liesse qu'à Cogolin et y rencontre le général Azan, à la retraite, qui vient se mettre à la disposition du général de Lattre, en compagnie du général de Larminat, chargé de la prise de Toulon. Les habitants racontent avec émotion les événements du 15 août. Ce jour là, le village attendait les Américains. Mais c'est un camion allemand qui arriva sur la route de Pierrefeu. Malgré leur infériorité en matière d'armement, les FFI leur tendirent une embuscade. Les Allemands se rendirent sans brûler la moindre amorce : le moral n'était plus ce qu'il était quatre ans plus tôt! Le 17 août, Hitler donne l'ordre à ses troupes du sud de la France de se retirer en direction du nord-est. Mais, en même temps, il commande aux garnisons des ports de l'Atlantique de se battre jusqu'au bout et quelques poches tiendront jusqu'au printemps 1945. Le même jour, les commandos français libèrent Le Lavandou. On vient d'y faire allusion, les troupes françaises sont chargées de prendre Toulon puis Marseille, tandis que les Américains progressent dans les terres. De Lattre compte sur l'effet de surprise et mise sur la vitesse. Il s'impatiente. Son matériel lourd et ses véhicules ne sont pas déchargés assez rapidement. Les Américains le dépassent et cela le contrarie. Il redoute d'être laissé à la traîne. Il décide donc de partir sans attendre, les impedimenta retardataires rejoindront plus tard. Il ordonne à ses troupes de ménager les civils et de ne pas abîmer les vignes! Premier objectif, Hyères. La rade est sous le feu de la presqu'île de Giens où ont été déplacés les canons du Titan. Elle est aussi à portée de Saint-Mandrier qui ne possède plus qu'un seul canon de 340. C'est assez pour inquiéter la flotte qui soutient la progression des unités terrestres, mais non pour l'intimider. L'amiral Jaujard, et les marins français on hâte de retrouver la rade symbolique de Toulon où leurs camarades, deux ans plus tôt, ont sabordé leurs navires pour qu'ils ne tombent pas aux mains de l'ennemi. Pendant les combats pour la prise d'Hyères, le colonel Bouvet découvre dans une casemate un officier de la Kriegsmarine en train d'expirer d'une horrible blessure au ventre; cet officier lui demande comme une faveur de faire dire à sa fille, en Allemagne, que l'honneur de marin de son père est sauf, puis il félicite le colonel sur la valeur de sa troupe avant de rendre le dernier souffle. Le 21 août, la cité d'Hyères est libérée par la 1ère division française libre (général Brosset) après une vive résistance allemande. Le fort du Coudon est pris d'assaut par les commandos du colonel Bouvet, le 21 août, avec la complicité d'un petit brouillard. Mais le commandant allemand du fort donne le signal à l'artillerie de ceinture de Toulon de tirer sur lui. Vainqueurs et vaincus sont indistinctement frappés et il faut contraindre le commandant à ordonner d'allonger le tir. Pendant ce temps, les commandos de Gambiez et de Lefert ont enlevé le mont Faron. Les forts érigés sur les hauteurs au nord de Toulon sont aux mains des Français. De Lattre ordonne aux commandos fourbus de descendre sur la ville pour participer aux combats. Le 23, La Valette tombe à son tour. La ville de Toulon, enveloppée, est assaillie par l'est, le nord et l'ouest. L'amiral allemand Ruhfus s'est réfugié à Saint-Mandrier. Le 25, les fusiliers-marins et les coloniaux ont pénétré dans la cité portuaire. Le 26, le commissaire de la marine a installé le nouveau préfet maritime : le contre amiral Lambert. Le 28, après avoir été copieusement bombardé, Ruhfus se rend au général de Larminat. Les pertes de l'armée française s'élèvent à 2 700 tués ou blessés; du côté allemand, on dénombre environ 2 000 tués et 11 000 prisonniers. Le premier port de guerre français est rendu à la marine nationale dans un bien triste état. Mais il s'en remettra rapidement et servira la cause alliée jusqu'à la victoire. L'investissement de Marseille répète celui de Toulon : l'enveloppement et l'attaque depuis l'est, le nord et l'ouest, après la prise d'un cercle de villes : La Ciotat, Cassis, Aubagne, Roquevaire, Cadolive, Peypin, Septêmes. Mais avec une particularité : la mainmise précoce des FFI sur le centre de la cité, ce qui déplace l'essentiel des combats vers la périphérie. Cette spécificité inquiéte de Lattre en raison du caractère révolutionnaire des éléments insurrectionnels. Il redoute une prise du pouvoir par les communiste et cela freine quelque peu son action. Mais la foule qui envahit les rues est irrésistible, elle aspire littéralement les Forces française libres. Dès lors, le sort en est jeté. Le 28 août, Marseille, premier port commercial de France, est aux mains du général de Monsabert. Au cours des combats, le nombre des soldats de l'Armée française et FFI tués et blessés s'élève entre 1 400 et 1 800, selon les sources; du côté allemand, on dénombre environ 2 000 tués et 11 000 prisonniers. Pendant toute la campagne du sud, les FFI vont faire pour leur part 42 000 prisonniers (d'autres disent 30 000 ?). L'incorporation d'un grand nombre d'entre eux dans l'armée française contribuera à la rendre plus métropolitaine. Mais elle restera encore largement coloniale. Il ne faut pas oublier le rôle essentiel que les colonies, surtout celles d'Afrique, jouèrent dans la libération de la France. On peut d'ailleurs penser aussi que ce rôle portait en germe la décolonisation. D'après les calculs américains, la prise des deux ports devait prendre 40 jours. Il a fallu une semaine! Des unités sont envoyées à l'ouest pour nettoyer le Languedoc, mais, on l'a dit, depuis le 17, les Allemands ont reçu l'ordre d'évacuer le sud de la France. Ils n'y trouveront plus personne! Les troupes alliées peuvent se diriger sur le nord en remontant la vallée de la Durance, du Rhône et de la Saône, qui sur Grenoble et Genève, qui sur Lyon, Besançon et Belfort, qui sur Dijon et Châtillon-sur-Seine où la jonction s'opère, le 12 septembre, avec la 2ème division blindée faisant partie de la 3ème armée américaine de Patton. Il ne faut pas penser que cette avance relève de la promenade militaire. Les accrochages sont nombreux et souvent violents. Le général Wiese a reçu le 18 août, l'ordre de retraite. Il l'exécute intelligemment en évitant d'être coupé et aussi en s'efforçant de garder ouverte la porte pour les troupes allemandes du sud-ouest. Un premier engagement a lieu, du 23 au 28 août, entre Montélimar et Livron, où les Américains tentent de lui barrer le passage. Il s'en tire non sans pertes; la route est jonchée de morts et de matériel détruit; il faut la déblayer au bulldozer; mais les Américains perdent dans cette bataille trois fois plus d'hommes que lors du débarquement! Et tout cela peut-être pour rien car, selon les Allemands, en suivant la route Napoléon et en avançant à travers les Alpes jusqu'à la trouée de Belfort, les Alliés les auraient inévitablement pris au piège. De Lattre de Tassigny qui redoute d'être laissé à la traîne, ou à la trappe pour reprendre ses propres termes, utilise habilement les directives qui lui sont adressées par un allié américain qui cherche visiblement à le cantonner dans un second rôle. Il parvient à se hisser vers l'avant mais au prix d'une séparation de ses troupes en deux branches, une des branches à l'ouest, sur les bords du Massif central, par Saint-Etienne, libérée le 20 août par les FTP, après le départ, le 19, des Allemands et des collaborateurs et la mise à sac par la foule de leurs installations, et l'autre branche dans la vallée du Rhône, à l'est du fleuve et vers les Alpes. La 1ère division de la France libre du général Brosset, détachée à l'ouest du fleuve, entre la première à Lyon, capitale de la Résistance française, le 3 septembre. Mais les troupes sont désormais loin de leurs bases de départ, et le ravitaillement devient plus difficile, notamment en carburant, et aussi en munitions; la vitesse de progression dépasse largement celle des plans et l'intendance a du mal à suivre sur des voies de communications endommagées par la guerre; la réparation hâtive de lignes de chemins de fer est entreprise, mais beaucoup de ponts et viaducs ont été détruits par les Allemands en retraite; la pénurie de carburant oblige les troupes à siphonner les réservoirs des véhicules détériorés ou simplement en panne; la progression des Alliés en est retardée. D'autre part, aux approches de la Bourgogne, la résistance allemande se durcit, pour permettre aux troupes du sud-ouest de se retirer. Le 5 septembre, Chalon est libéré après de durs combats. A Chagny, le coup heureux d'un chasseur de chars armé d'un canon de 76, détruit la forteresse roulante d'un train blindé de la Kreigsmarine, provoquant l'incendie et la débandade de l'ennemi qui abandonne 3 000 prisonniers à la 1ère division blindée française. Le combat pour la prise de Beaune dure toute la journée du 7. Ce même jour, à Paray-le-Monial, le groupement Demetz reçoit le renfort de 25 000 maquisards du Languedoc, du Limousin et du Massif central. Demetz va pouvoir lancer une opération combinée FFL-FFI sur Autun. Le 9, les Français pénètrent dans la ville où se déroulent de furieux combats. Le groupe de combat allemand Bauer (4 000 hommes), venu du Massif central, attaque les Français par l'ouest. Cette colonne est disloquée par les tirs des canons de 155 longs et ses soldats, démoralisés, se rendent. La libération d'Autun se conclut par la capture de 3 200 prisonniers. Les 9 et 10 septembre, le canal de Bourgogne et la route Paris-Dijon sont atteints. On se bat dans la région des grands crus, Nuits-Saint-Georges et Gevrey-Chambertin et enfin Dijon est libéré le 11. L'affectation de de Lattre de Tassigny a été
modifiée à plusieurs reprises, en fonction des événements;
après avoir été désigné pour remplacer
les Américains dans les Alpes, le voici maintenant en mesure de
gagner la trouée de Belfort que tout le monde convoite. Les Alliés
vont-ils couper la retraite aux Allemands? Non, ceux-ci réussissent
à passer et à retrouver des lieux convenablement défendus
et approvisionnés où ils peuvent se refaire.
Fin mai, le maréchal Pétain est venu pour la dernière fois à Paris. Il a refusé aux Allemands de s'installer près de Rambouillet. De retour à Vichy, le 28 mai, il a fait part des pressions exercées sur lui au corps diplomatique. Depuis, il ne sait que faire : réunir l'Assemblée nationale dissoute en 1940, rentrer à Paris pour y accueillir les Alliés, dénoncer l'armistice du 25 juin 1940 et décréter une mobilisation générale... A tout hasard, il désigne un Conseil de régence de neuf membres dirigé par l'amiral Auphan pour négocier avec les Alliés et le GPRF une passation régulière des pouvoirs. Les Alliés n'ont pas prévu de prendre Paris. Leur plan consiste à l'envelopper par le nord et le sud, de l'isoler et d'attendre qu'il tombe comme un fruit mûr. Ils ne veulent pas s'exposer à des combats de rues meurtriers dans une grande ville, comme à Stalingrad. De plus, Eisenhower ne tient pas à être confronté au grave problème politique qui se posera inévitablement s'il lui faut choisir entre le régime de Vichy, dont Roosevelt reconnaît toujours la légitimité, et celui du général de Gaulle, qui semble remporter l'adhésion de la population! Von Choltitz, sans commandement depuis son limogeage par Hitler pour son nom respect des ordres donnés dans le Cotentin, est nommé, le 6 août, commandant du Gross Paris, par suite du suicide de von Stülpnagel compromis dans le complot du 20 juillet. Le 7 août, von Choltitz rencontre le Führer à son quartier général. Il trouve un homme vieilli prématurément, bouffi, halluciné, tenant des propos aberrants, les mains tremblantes et la salive suintant sur ses lèvres. Hitler lui intime l'ordre de tenir Paris jusqu'au bout quitte à s'enterrer sous ses décombres. Le respect du général allemand pour la discipline s'en trouve ébranlé et, sachant que la guerre, de toute manière est perdue, il se demande si son devoir n'est pas de désobéir. Mais il pense en même temps à sa famille qui vit en Allemagne, sous la menace des représailles nazies. De retour en France, il sonde discrètement quelques généraux, dont von Brauchitsch, qui partagent son inquiétude. Depuis 1943, il est entendu qu'une grande unité des Forces françaises libres participera à la libération de Paris. Début août, la situation militaire est favorable aux Alliés. L'effervescence commence à gagner Paris. Chaban-Delmas, délégué militaire national désigné par de Gaulle, s'efforce de calmer les esprit, mais sans succès. Koenig est favorable à un soulèvement, pour éviter une administration alliée, mais sous son contrôle et pas avant que les armées libératrices ne soient aux portes de la ville. Le 10 (12?) août, les cheminots se mettent en grève. Le 15 août, les policiers les imitent, ainsi que le métro. A la mi-août Leclerc a l'impression de marquer le pas. Il brûle de s'élancer vers Paris. Il se plaint de son inaction à Patton. Mais celui-ci, tout à sa manoeuvre vers l'Est, ne se soucie pas de la capitale française. Personne dans l'armée américaine ne pense d'ailleurs qu'elle pourrait être détruite. Tout simplement parce que les Américains ne croient pas aux rumeurs qui imputent des crimes abominables au nazis. Ils comptent dans leurs rangs beaucoup de soldats descendants de colons germaniques, et, pour eux, ces bruits relèvent de la propagande soviétique! Le 16 août, la 2ème DB est retirée à Patton pour passer sous les ordres de Hodges de la 1ère armée américaine qui l'affecte au 5ème corps (Gerow). C'est à ce titre qu'elle participe à la fermeture de la poche de Falaise en rencontrant, à Chambois, la 1ère division blindée polonaise du général Maczek, qui se bat du côté britannique. Le 16 août également, le Comité parisien de libération, présidé par le communiste Tollet, proclame par affiches la mobilisation générale des officiers et sous-officiers. Le 17 août, Pierre Taittinger, président du Conseil municipal de Paris, vichyste affirmé, demande à être reçu par von Choltitz, sur les conseils du consul général de Suède à Paris, Raoul Nordling, qu'il connaît bien, les deux hommes partageant des opinions politiques voisines. Le général allemand menace certains quartiers de bombardements. Mais Taittinger réplique en prophétisant de nouvelles Vêpres siciliennes si les Parisiens, poussés à bout, s'en prennent aux 25 000 Allemands qui ne pourront pas être évacués lorsque les troupes d'occupation partiront. Le ton de von Choltitz baisse d'un cran et il propose que l'insurrection respecte cinq points : l'Hôtel Meurice (son PC), l'avenue Foch, la place de l'Opéra, le palais du Luxembourg et la caserne de la place de la République; pour le reste, il fermera les yeux. Le 18 août, le commandant des FFI de la région parisienne lance un appel à la mobilisation générale de tous les Parisiens. Le même jour les communistes appellent la population de la capitale et de sa banlieue à l'insurrection. Les agents des PTT cessent à leur tour le travail. Le 19 août, les policiers grévistes, donnent l'assaut à la Préfecture de Police, face à Notre-Dame, entraînant un soulèvement de toutes les forces de la Résistance. Ce même 19 août, le Conseil national de la Résistance et le GPRF approuvent l'insurrection. Un nouveau rendez-vous est pris pour le 20 août entre von Choltitz, Taittinger et deux chefs FFI; le consul de Suède doit y assister. Encore le 19 août, le général von Neubronn fait savoir à Pétain qu'il a l'ordre de l'emmener à Belfort, où Laval est déjà arrivé, ce qui est mensonger. Pétain décide de n'employer qu'une résistance passive. Les Allemands mettent fin à ses incertitudes en l'arrêtant et en l'emmenant à Sigmarengen, tirant ainsi une épine du pied à de Gaulle et aux Américains. Toujours le 19 août, par l'entremise de Nordling, von Choltitz conclut avec les insurgés une trêve qui ne sera jamais complètement respectée, ni par un camp, ni par l'autre. A Paris, le 20 août, le rendez-vous prévu entre von Choltitz et Taittinger n'a pas lieu car ce dernier a été arrêté par les deux FFI qui devaient l'accompagner. Seul Raoul Nordling est là. Il demande l'élargissement des détenus de Paris et de Compiègne; le général allemand donne son accord, mais ceux de Compiègne sont déjà partis pour les camps de concentration. Le même jour, l'Hôtel de Ville est occupée sans opposition par une poignée de résistants. Vers 14 heures, von Choltitz apprend par téléphone que trois agents gaullistes viennent d'être arrêtés; on lui demande s'ils doivent être fusillés; il ordonne qu'on les lui amène; il convoque Nordling qui reconnaît les prisonniers et confirme qu'ils sont bien gaullistes; après interrogatoire, les prisonniers sont libérés, parmi eux figure Parodi, maître des requêtes au Conseil d'État et personnage important du gaullisme. Le 21 août, de Gaulle fait en vain le siège d'Eisenhower pour lui demander de pousser Leclerc sur Paris; il essaie de démontrer au général américain qu'un coup rapide et droit au but coûterait moins cher qu'un enveloppement qui facilitera la défense allemande; le général américain n'est pas convaincu. Le général Juin se rend pour formuler la même demande auprès de Patton qui lui répond que Leclerc n'est plus sous ses ordres. Le même jour, l'énergique général américain reçoit une délégation de Paris, dirigée par Rolf Nordling, le frère du consul venue lui expliquer la situation explosive qui règne à Paris. Von Choltitz s'est vu confirmer par un message radio de Model, c'est-à-dire par ordre du Führer, la mission de conserver Paris à tout prix, quitte à ce que la ville soit réduite en un monceau de cendres. Mais von Choltitz hésite entre obéissance et rébellion. Depuis son entrevue avec Hitler, il ne sait plus quel parti prendre; pour calmer ses scrupules, il appelle Speidel, l'ancien chef d'état-major de Rommel. Les deux hommes se parlent en utilisant un langage outré, pour donner le change, car ils se savent écoutés par la Gestapo. Von Choltitz demande à Speidel son accord pour détruire la Madeleine, la tour Eiffel, Notre-Dame, les Invalides, la Chambre des députés, l'Arc de Triomphe, l'Opéra... Speidel se refuse à prendre quelque responsabilité que ce soit se référant à l'ordre du Führer, mais il comprend, devant l'énormité des destructions annoncées, quelles sont impossibles et répond d'une manière ambigüe : "Quelle chance nous avons de vous avoir à Paris". Les deux généraux se sont entendus. Et von Choltitz opte pour une solution raisonnable. Il défendra les approches de la ville. Mais donnera l'ordre de cesser le feu dès qu'il sera fait prisonnier. Néanmoins, les ponts, ainsi que des sites industriels, ont été minés par le génie allemand et la garnison a été renforcée par une unité SS qui ne partage certainement pas les hésitations de von Choltitz. Deux émissaires arrivent de Paris auprès
d'Eisenhower; l'un, le commandant Gallois, lui déclare que les FFI
vont manquer de munitions; le second, le commandant Bender, des services
spéciaux allemands, apporte une information vitale : von Choltitz
est décidé à ne livrer qu'un baroud d'honneur et,
s'il est fait prisonnier, il ordonnera à ses troupes de cesser le
feu. Dès lors, Eisenhower décide que la 2ème DB peut
marcher sur Paris accompagnée par une division américaine
avec pour mission prioritaire de s'emparer des ponts sur la Seine.
Leclerc reçoit alors de Koenig une lettre qui le nomme gouverneur intérimaire de Paris au nom du GPRF. Cette nouvelle distinction lui fait un devoir de libérer Paris. Il envoie un petit détachement d'avant-garde sous les ordres du lieutenant-colonel de Guillebon avec pour mission de pénéter dans la capitale avec les forces américaines si celles-ci font mine de vouloir y entrer les premières. Fureur de Gerow qui intime à Leclerc l'ordre de ramener ce détachement où il devrait être! Leclerc se rend alors en avion auprès de Hodges, le supérieur de Gerow. Le 22 dans l'après-midi, Hodges reçoit
Bradley qui lui signifie que Eisenhower a pris la décision d'engager
immédiatement la 2ème division blindée pour prendre
Paris, nouvelle confirmée par Gerow. Leclerc a gagné grâce
à Bender. Les Alliés vont se lancer sur Paris le 23 août,
au moment où la trêve prendra fin. Mais, avant de libérer
la ville, il faut arriver jusqu'à elle et ce n'est pas facile. Les
Alliés doivent s'ouvrir le passage, non seulement contre les Allemands,
mais aussi contre la population française qui les couvre de fleurs
et encombre les routes! Des combats meurtriers ont lieu à Massy-Palaiseau,
Fresnes et Antony. Le 24 août, à 22h30, toutes les cloches
de la capitale se mettent à sonner. Von Choltitz apprend ainsi que
les Alliés viennent d'entrer dans Paris. La 2ème DB et les
forces américaines convergent vers le centre de la capitale à
partir de plusieurs points conquis sur sa périphérie sud
aidés par les résistants qui leur indiquent les centres de
défense ennemis. Les républicains espagnols de la Nueve,
sous les ordres de Leclerc, ont pénétré les
premiers dans la ville, à bord de véhicules portant des noms
évocateurs de la guerre civile espagnole; le lieutenant Amado Granell,
est reçu à l'Hôtel de Ville par Georges Bidault, président
du Conseil national de la Résistance. Des Parisiens inconscients
du danger assistent aux combats comme à un spectacle!
De Gaulle arrive dans l'après-midi à
la gare Montparnasse où il reproche à Leclerc d'avoir accédé
à la demande du colonel Rol; en tant que militaire du grade le plus
élevé sa signature suffisait, et surtout le chef de la France
libre voit dans cette affaire une tentative inacceptable des communistes
pour tenter de s'imposer. Ensuite, de Gaulle va s'installer au ministère
de la Guerre avant de se rendre à l'Hôtel-de-Ville où
il prononce un discours qui restera célèbre. Le général
admet que la capitale s'est libérée elle-même, avec
le concours des Alliés et de la France tout entière, donnant
ainsi satisfaction à tout le monde. De fait, les pertes des FFI
parisiens et des civils (1 483 tués et 3 467 blessés) sont
importantes, par rapport à celles de la 2ème DB (130 tués
et 319 blessés). On ne connaît pas les pertes américaines.
Celles des Allemands sont supérieures (2 788 morts et 4 911 blessés).
Ces évaluations varient selon les sources et ne doivent être
prises que comme des ordres de grandeur. Le général rencontre
les chefs de la Résistance.
Pendant longtemps le mérite de la préservation de Paris reviendra à von Choltitz. Cela lui évitera bien des mécomptes, après le comportement condamnable qui avait été le sien en d'autres temps et lieux, notamment en Russie. Mais cette opinion presque officielle est contestée. En fait, le véritable sauveur de Paris serait un jeune officier des transmissions, Ernst von Bressensdorf qui aurait par deux fois retenus des messages de Hitler ordonnant à von Choltitz de détruire Paris au cours de l'insurrection. Il ne les auraient remis à son supérieur hiérarchique qu'après un délai de plusieurs heures, à un moment où les ordres du Führer ne pouvaient plus être exécutés. Von Bressensdorf était d'origine française, et même d'origine royale : il descendait de Saint-Louis. Ses ancêtres avaient émigré en Allemagne après la révocation de l'Edit de Nantes (16 octobre 1685). Le jeune officier avait reconstitué l'arbre généalogique de sa famille. Il en était fier et était francophile. Pour lui, l'anéantissement de Paris était impensable et il agit, selon sa conscience et ses moyens, pour l'éviter. Ultérieurement, sans nier son geste, il évita modestement toute publicité, laissant la gloire à von Choltitz. Il est vrai que sa rétention d'une information aussi capitale qu'un ordre de Hitler pouvait passer pour une trahison! Il mourut dans un quasi anonymat avant que la France, qui s'y était décidée, ne le décore, à l'occasion du 50ème anniversaire de la Libération de Paris. Qui alors sauva réellement Paris? La question reste posée, probablement plusieurs facteurs, réunis par les circonstances, dans lesquels von Choltitz et von Bressensdorf ont sans doute leur part, mais également les Armées françaises et alliées ainsi que la Résistance insurgée. Le 26 août, une fois les Allemands et les miliciens partis, les FFI s'emparent de Vichy et par le truchement de Stucki, ministre de Suisse, une réunion entre les représentants du pouvoir déchu et ceux du pouvoir triomphant effectue le changement de régime. Une crise sans précédent s'achève, le gouvernement est parti en emportant l'argenterie, pour reprendre le mot d'un huissier de l'Hôtel Matignon, en recevant le jeune représentant de la Résistance venu s'assurer des lieux, lequel est amusé d'être traité en président du Conseil! Il faut maintenant ravitailler Paris. Les Américains consentent des efforts considérables au détriment des moyens affectés aux armées. La guerre continue et les FFI sont appelés à s'engager ou à retourner dans leurs foyers. La 2ème DB reprend son rang aux côtés de l'Armée américaine. Elle rejoint en Bourgogne les troupes du débarquement de Provence, hélas trop tardivement pour capturer la 1ère armée allemande qui remontait du Sud-Ouest. Selon des militaires français, elle y est parvenue parce que la stratégie américaine prévoyait de nettoyer d'abord l'Ouest où Hitler avait ordonné de tenir les ports sur l'Atlantique et parce que Leclerc, pour avoir le droit de quitter Paris, fut retardé par la nécessité d'aller chercher de l'essence à Cherbourg et d'en ramener aussi pour les Américains. 1er août - 2 octobre 1944 : Insurrection de Varsovie L'Armée rouge, renforcée par
des unités de prisonniers polonais de 1939, libérés
en juillet-août 1941 pour se battre auprès des Russes, s'approchant
de Varsovie, la résistance polonaise, largement anticommuniste,
se soulève, malgré l'avis contraire des généraux
Anders et Sosnkowski. La progression de l'Armée rouge est arrêtée;
les unités polonaises de cette armée, qui tentent d'aider
leurs compatriotes, ne parviennent pas à élargir leur tête
de pont au-delà Vistule, ni à rejoindre les insurgés
qui en ont été chassés par les Allemands, et se replient.
On soupçonne Staline d'avoir laissé le champ libre à
l'armée allemande pour le débarrasser d'adversaires potentiels
du régime communiste, et ces derniers ont sans doute tenté
de forcer le destin pour imposer aux Soviétiques un gouvernement
déjà en place, comme de Gaulle en France, mais dans un contexte
bien différent. Le contentieux entre la Pologne et la Russie est
ancien et il est lourd. Bien sûr, du côté polonais,
il y a Katyn et le passé colonial de l'empire russe. De l'autre
côté, les griefs ne sont pas aussi graves, mais ils sont nombreux.
Depuis la rupture des relations diplomatiques entre Moscou et le gouvernement
polonais en exil à Londres, les partisans soviétiques des
régions occupées considèrent les partisans polonais
dépendant de Londres comme des adversaires et s'affrontent à
eux, notamment en Biélorussie, comme on l'a déjà dit.
Par ailleurs, l'insurrection du ghetto semble avoir laissé de marbre
l'armée clandestine du général Bor-Komorowski, sans
parler des réticences polonaises à la veille de la guerre,
de la participation polonaise au dépècement de la Tchécoslovaquie
et de la multiséculaire hostilité russo-polonaise. Les Anglais
disent avoir en vain demandé aux Soviétiques de laisser
leurs avions atterrir derrière leurs lignes pour pouvoir apporter
aide, armes et munitions à leurs partisans polonais, selon le mode
opératoire employé pour bombarder Dresde, ils ont cependant
fini par recevoir une réponse positive, quoique tardivement. On
notera que les États-Unis n'ont pratiquement
rien fait pour aider les Polonais. Sans doute le sort futur de la Pologne
était-il déjà réglé. Les Occidentaux
connaissaient la position de Staline sur le sujet depuis Téhéran.
Alors pourquoi n'ont-ils pas dissuadé leurs partisans de se lancer
dans une insurrection désespérée? Peut-être
parce que les Polonais ne leur ont pas demandé leur avis!
23 août 1944 : Révolution en Roumanie En juin 1943, se forme, autour du PC roumain, un Front unique antihitlérien comportant le Front des laboureurs, l'Union des patriotes, l'Organisation des travailleurs hongrois de Roumanie, le parti socialiste paysan et quelques organisations du parti social-démocrate. Pendant l'été 1943, le PC roumain élabore un plan de renversement de la dictature, du retrait de la Roumanie de la guerre antisoviétique et de l'entrée dans le camp allié. En avril 1944, il crée des formations patriotiques de combat qui sont instruites et pourvues d'armes (50 à Bucarest) et des attentats sont organisés. En Avril 1944, le parti-social démocrate adhère au Front unique antihitlérien et forme avec le PC un Front uni ouvrier. En juillet 1944, des enquêtes réalisées sur le front par le grand état-major constatent que les soldats et les officiers ne veulent plus participer à la guerre contre l'URSS. Le débarquement en France, au lieu d'un débarquement espéré dans les Balkans, aboutit à la création d'un Bloc national démocratique très large. Dans la nuit du 13 au 14 juin 1944, se tient une conférence clandestine entre des représentants du PC, de l'armée et du palais, en vue de préparer le renversement de la dictature. Un Comité militaire est formé en vue de la préparation de l'armée à l'insurrection. Un plan militaire complet et précis des mesures à prendre pour protéger les intérêts roumains à Ploesti et sur les frontières contre les entreprises allemandes et hongroises éventuelles est arrêté. Après l'offensive soviétique du 20 août, les conditions de l'insurrection semblent réunies. Le 23 août, au cours d'une audience du maréchal Ion Antonescu et de Mihaïl Antonescu, président du Conseil des ministres, le roi, Michel 1er, ordonne à sa garde d'arrêter les deux hommes. Le gouvernement, convoqué au palais, subit le même sort. A 21 heures, suite à un ordre donné à 18h30, les unités roumaines de l'intérieur et les formations patriotiques de combat occupent les principales institutions gouvernementales ainsi que les lieux stratégiques de la capitale, et encerclent les points d'appui allemands. Les ouvriers armés de la vallée de la Prahova s'emparent des installations pétrolières pour en assurer la sauvegarde. A 22 heures, une proclamation royale radiodiffusée annonce la déclaration de guerre à l'Allemagne et à la Hongrie. Vers 23 heures, le nouveau chef d'état-major roumain, le général Mihaïl Gheorghe, adresse un ordre opérationnel à toutes les grandes unités par lequel il leur fixe leur mission de lutte contre leurs nouveaux ennemis. Le 24 août, à 1 heure du matin, Ion Antonescu et ses ministres sont transférés dans une maison clandestine du PC. A 4 heures, les opérations militaires de la Roumanie contre l'URSS ont cessée. Les troupes roumaines du front de Moldavie ont démonté tout ce qui pouvait l'être en terme d'armement et détruit ce qu'ils ne pouvaient pas emporter pour que leurs nouveaux ennemis ne puissent pas s'en servir. Les 365 000 hommes de l'armée roumaine ont rejoint le camp allié et attaquent les Allemands selon le plan insurrectionnel. Quant à Antonescu, le Pétain roumain, comme il se nommait lui-même, il est livré à l'URSS, à la demande de Staline. Celle-ci le garde pendant un an, puis le renvoie en Roumanie où il est jugé, condamné à mort pour crimes de guerre et fusillé, le 1er juin 1946, à Jilava. Le 23 août, un peu avant minuit, Friessner previent Hitler des événements qui viennent de se dérouler à Bucarest. Le Führer, inconscient de la situation, ordonne d'arrêter le roi et de rétablir Antonescu au pouvoir ou, à défaut, de nommer un autre militaire à sa place. Le 24, Friessner, cherchant cet oiseau rare, s'aperçoit que les officiers généraux allemands en mission dans le pays sont retenus sous bonne garde à la légation et qu'aucun général roumain n'accepte la place d'Antonescu. Cependant, un général SS, qui se trouvait en dehors de Bucarest, promet de lui envoyer des renforts de Ploesti, et un général de la Luftwaffe, Gerstenberg, que les Roumains ont libéré dans l'espoir de négocier un compromis, afin d'éviter une confrontation dans la capitale, se dit fort de ramener l'ordre allemand à Bucarest. Friessner lui donne aussitôt le commandement de cette place. Vers 7h30, 6 000 soldats allemands marchent sur Bucarest. Dix minutes plus tard, ils sont chaudement accueilli par une grêle de projectiles et Gerstenberg doit s'en tenir là avec ses rodomontades. Pire même, les Roumains ont maintenant de bonnes raisons de retourner leurs armes contres leurs alliés de la veille puisque ce sont eux qui les ont attaqués en premier! Le 24 août, la Luftwaffe bombarde Bucarest et son palais royal. Le 28 août, la capitale est nettoyée après de durs combats au cours desquels les Allemands subissent de lourdes pertes. Ils laissent aux mains des vainqueurs 6 998 militaires, dont 7 généraux, 536 officiers et 1282 sous-officiers. Le 31 août, la région des champs pétrolifères est libérée après une lutte acharnée, les Allemands ayant l'ordre de la conserver à tout prix. La partie sud du pays et la partie nord-ouest, à la frontière hongroise, le sont également. Du 23 au 31 août, l'armée roumaine a infligé aux Allemands des pertes sévères : 5 000 morts, 56 000 prisonniers, dont 14 généraux et 1 224 officiers. Dès le 24 août, le maréchal Timochenko a ordonné d'accueillir sans les désarmer les troupes roumaines qui se rendraient en bon ordre pour lutter aux côtés des forces soviétiques, et des soldats roumains qui figurent déjà parmi elles, afin de poursuivre la lutte commune contre l'Axe. De fait, des unités roumaines intactes se sont déjà retournées spontanément contre leurs alliés de la veille. Le commandement allemand, réfugié dans les Carpates n'a plus aucun moyen de diriger des troupes encerclées et qui ont perdu toute cohésion. Le 29 août, le 3ème front d'Ukraine et les unités de la flotte de la mer Noire entrent dans Constanza. Le même jour, l'Okw ordonne à Friessner de résister sur les Carpates et sur les Alpes de Transylvanie. Le 30 août, Ploesti tombe, avec l'aide de l'insurrection roumaine, et le lendemain les troupes soviétiques sont à Bucarest. Au nord, les Soviétiques progressent vers l'est de la Hongrie, à travers le nord-est roumain. Au sud de la Roumanie, ils continuent d'avancer, puis obliquent vers le nord en direction de Timisoara, Arad, Oradea et Cluj, sur la frontière hongroise, en menaçant d'encerclement les troupes du groupe d'armées Sud d'Ukraine (Friessner) qui, on l'a vu, essaient de défendre les Alpes de Transylvanie, selon les ordres de l'Okh. Au sud-est, elles atteignent la frontière bulgare, le 2 septembre. Août - septembre 1944 : Défection de la Bulgarie - Libération de Belgrade A cette époque, la situation diplomatique est politique a déjà évolué. Le 2 août, la Turquie a rompu ses relations diplomatique avec le Reich. Dans les deux semaines qui ont suivi, la Bulgarie, réticente, mais tout de membre de l'Axe et pourvue de chars et d'avions par l'Allemagne, laquelle a eu la sagesse de ne pas participer à la croisade contre l'URSS, rétablit des relations consulaires avec elle. Le 23 août, Weichs, qui commande le groupe d'armées E en Yougoslavie, est au quartier général du Führer. Les deux hommes sont conscients de la gravité de la situation; si la Bulgarie tombe, les troupes du groupe d'armées F (Löhr), en Grèce, risquent d'être menacées d'encerclement. Mais que faire? Le départ des Italiens des régions qu'ils occupaient en Yougoslavie, en Albanie et en Grèce a contraint les Allemands à prendre ces régions à leur charge, ce qui a considérablement réduit la densité de leur occupation et la capacité opérationnelle de leurs forces. Prélever des troupes au nord, alors que la Hongrie va être à son tour attaquée, ce serait affaiblir le dernier allié du Reich. Le Sud-Est européen a perdu maintenant une grande partie de son intérêt stratégique. La Méditerranée est un lac allié, la Turquie ne se laisse plus intimider, la Roumanie est en train de faire défection, mais Hitler ne le saura que pendant la nuit. Il reste la Hongrie, qui continue à se battre, et l'abandon d'une aussi vaste zone d'occupation, risquerait de saper le moral des derniers fidèles du Führer. Les deux hommes décident donc de ne rien faire et de voir venir. Hitler espère d'ailleurs secrètement que les rivalités qui opposent les résistants grecs, Elas (communiste) et Edes (anticommuniste) vont semer la discorde entre Staline et Churchill, et qu'il pourra peut-être en profiter. Il n'est donc pas pressé de retirer ses forces de Grèce. Le 30 août, Friessner ne possède
plus que quatre divisions entières et il lui est impossible de tenir
un front continu. Il pense que, si les Russes fonçaient par le défilé
de la Tour-Rouge et le col de Predeal, le sas se refermerait. Malinovski
divise ses forces en deux pointes; celle de droite doit avancer vers Sibiu
et Cluj, au nord des Alpes de Transylvanie; celle de gauche a pour mission
de nettoyer la Roumanie au sud de cette région montagneuse jusqu'à
Turnu Severin, sur le Danube. Friessner y voit une opportunité de
défendre la Tour-Rouge et le col de Predeal en y concentrant les
forces qui lui restent.
Cependant, les Bulgares proposent à la Turquie une alliance pour lutter ensemble contre l'Allemagne. Les Turcs refusent de s'engager autant. Les Bulgares exigent des Allemands le retrait de leur mission militaire de Bucarest; celle-ci est restée sans réaction suite à la tournure délicate que prenait la situation; mais elle n'avait pas les moyens d'agir autrement. Le 2 septembre, les Russes à leur porte, les Bulgares forment un nouveau gouvernement. Le 4 septembre, ce gouvernement déclare unilatéralement la cessation de l'état de guerre avec les Alliés et le retour à une neutralité complète. Mais les Soviétiques jugent ce geste insuffisant car il n'empêche pas les Allemands de fuir à travers la Bulgarie. Le 5 septembre, les forces soviétiques de Roumanie atteignent Turnu Severin, à proximité des Portes de Fer, endroit où Weichs n'a pas de troupes, une brigade motorisée allemande, qui devait s'y rendre, étant bloquée à Belgrade par la destruction des ponts sous les coups de l'aviation. Heureusement, pour le maréchal allemand, les blindés soviétiques se dirigent le 6, vers le nord et la Hongrie, sans doute à cause de l'offensive hongroise qui va être maintenant évoquée. En effet, le 5 septembre, les forces hongroises, ont saisi l'occasion de s'en prendre à la Roumanie, leur ennemie de toujours, et sont passées à l'attaque depuis Cluj en direction du défilé de la Tour-Rouge. Friessner en profite pour se replier, après deux jours d'attente afin d'atténuer l'affront des troupes allemandes qui reculent alors que les troupes hongroises avancent! La progression hongroise s'arrête, mais elle a probablement amené Malinovski à dévier vers le nord sa pointe en direction de la Yougoslavie. Le général soviétique franchit alors les Alpes de Transylvanie par le col de Vulcain, que Friessner n'avait pas les moyens de garder, et par le défilé de la Tour-Rouge. Friessner ordonne un repli et un regroupement de ses forces avec celles de la Hongrie derrière la rivière Mures. Mais Hitler annule cet ordre. Le 7, le Conseil de la Couronne hongroise lance un ultimatum au Führer : faute de l'envoi de cinq divisions blindées en renforts, la Hongrie est déterminée à prendre sous vingt-quatre heures les mesures que lui inspireront ses propres intérêts. Hitler accepte alors le repli de Friessler tout en cherchant à en minimiser les conséquences, ce qui retarde sa mise en oeuvre. Les troupes allemandes atteignent la rivière Mures seulement le 15 septembre, poursuivies lentement par les russes retardés par des ennuis mécaniques. La Stavka décide alors d'éliminer définitivement les forces de Friessler. Pour ce faire, elle renforce Malinovski en prélevant des éléments sur Tolboukhine. Malinovski est chargé de pénétrer en Hongrie dans la région de Debrecen. Le 8 septembre, les troupes soviétiques du 3ème front d'Ukraine (Tolboukhine) franchissent la frontière bulgare. Le même jour, pendant la nuit, la Bulgarie déclare la guerre à l'Allemagne. Désormais l'armée bulgare, une fois décrétée la mobilisation générale, ce qui n'aura lieu que dans deux semaines, va combattre aux côtés des Soviétiques. Mais elle occupe aussi des territoires, conjointement avec les Allemands, en Yougoslavie et en Grèce. En Macédoine, les troupes bulgares sont désarmées puis internées assez facilement par leurs alliés de la veille. A Skopje (Yougoslavie), trois divisions abandonnent leur matériel et s'enfuient dans les montagnes. A Prilep, au sud de Skopje, plusieurs régiments bulgares font front contre les Allemands et se défendent jusqu'à la fin du mois. La capitulation roumaine et la défection bulgare ouvrent une large brèche dans le dispositif défensif de Weichs qui est contraint de se retirer sur une ligne Salonique - Skopje - Nish pour défendre un corridor par lequel Löhr pourra retirer ses forces de Grèce. L'organisation allemande est défectueuse car, si le maréchal Weichs est le supérieur de Löhr, il existe aussi un commandement militaire du Sud-Est dont la mission est d'assumer le gouvernement militaire et les relations avec les gouvernements collaborateurs qui échappe complètement au maréchal. De plus, les forces qu'il commande sont dispersées sur un vaste territoire, Yougoslavie, Albanie, Grèce et ses îles, où elles ne sont pas assez nombreuses pour contrôler la situation. En Yougoslavie, il compte sur les Tchetniks de Mihaïlovitch, pour contenir Tito et ses partisans lesquels s'avèrent la force de guérilla la plus puissante des Balkans, bien armée par la saisie des armes abandonnées par les Italiens et les secours que lui fournissent depuis Téhéran tous les Alliés. Le 9 septembre, Weichs rattache l'Albanie à Löhr, ce qui rend ce dernier responsable de son évacuation, et il déplace sa ligne de front jusqu'à Klisura. Dans la seconde quinzaine de septembre, les Soviétiques ont progressé sans que leurs adversaire puissent clairement déceler quel est leur plan. Malinovski s'est avancé vers la Hongrie, mais il a franchi également le Danube en direction de la Yougoslavie, au sud des Alpes de Transylvanie, à hauteur de Turnu Severin, comme on l'a dit plus haut, tandis que Tolboukhine, au sud du Danube, se dirige également sur la Yougoslavie. Le 19 septembre, les Allemands constatent une importante concentration d'avions russes sur les aérodromes de Bulgarie et de Roumanie. Weichs y voit le signe d'un ralentissement probable de l'activité ennemie et il renonce à ordonner la retraite à Löhr. Cependant ce dernier a commencé d'évacuer ses troupes par avions et s'est retiré du Péloponèse. Toujours le 19 septembre, la mobilisation générale a lieu en Bulgarie. Le 21 septembre, les Britanniques débarquent sur l'île de Cythère. Tous ces éléments n'apportent aux Allemands que des informations confuses sur les intentions de leurs ennemis. Le même jour, des éléments de Toboulkhine traversent le Danube à l'est de Turnu Severin. Ils sont encore très faibles mais Weichs attend trois jours avant de les refouler, ce qui offre à Toboulkhine le temps de faire passer une division. Le 27, de bonne heure, Weichs apprend que le flanc gauche de Malinovski marche à l'ouest entre Timisoara et le Danube. Il comprend alors que les Soviétiques vont entrer depuis l'est par les deux rives du Danube en Yougoslavie pour se joindre aux partisans de Tito venant de l'ouest. Mais deux jours se passent avant qu'il ne rappelle de Grèce une division de montagne et deux régiments d'infanterie. Le 30 octobre, le déséquilibre des forces est très défavorable aux Allemands; les renforts retardés n'arrivent pas et Weichs n'a plus de réserve. Belgrade est sur le point de tomber lorsque Malinovski retire une partie de ses forces du front yougoslave pour appuyer l'offensive qu'il projette sur la Hongrie. Le 6 octobre, Malinovski passe à l'offensive en direction de Debrecen, en Hongrie. Les Hongrois se replient. Mais, à Orodea, les Allemands arrêtent les Russes. Malinowski remanie son dispositif et surmonte la résistance allemande. Le 8 octobre, ses troupes sont à l'ouest de Debrecen. Mais Friessner a alors reçu des renforts, notamment des unités blindées réclamées par les Hongrois. Toujours le 8, sur le front yougoslave, un corps mécanique russe s'est glissé derrière les lignes allemandes dans la région de Bor; le 9 octobre, la 1ère armée bulgare attaque Bela Palanka, en direction de Nish; cette poussée sur la Morava menace la route du sud et gêne les déplacements des renforts allemands venant de Grèce; elle conduit Weichs à dégarnir Belgrade pour y faire face. Le 10 octobre, en Hongrie, deux unités blindées de Friessner attaquent en tenaille les forces russes à la fois par l'est et l'ouest et isolent trois corps soviétiques. Au cours des deux jours qui suivent se déroulent des batailles de chars parmi les plus violentes de la guerre. Hitler rêve d'une grande victoire. Mais Friesner, plus prudent, ordonne d'abandonner la ligne du Mures en se repliant vers l'ouest. Le 12 octobre, les Soviétiques entrent à Szeged, une ville du sud de la Hongrie, située au confluent de la Tisza et du Mures, à la frontière de la Roumanie et de la Serbie. Le 12 octobre, en Yougoslavie, les renforts allemands venus de Belgrade, qui ne rencontrent que des partisans, parviennent assez facilement jusqu'à la Morava. Mais, le 13 octobre, les blindés russes qui ont traversé la Morava plus au nord, ne sont plus qu'à 10 kilomètres au sud de Belgrade, tandis que les partisans avancent sur la capitale depuis l'ouest. Les troupes allemandes de la Morava (Grabenhofen) sont prises au piège. Dans la nuit du 14, les Russes et les partisans entrent dans Belgrade. Le 15, les Bulgares s'emparent de Nish. Grabenhofen essaie de se dégager mais doit abandonner son matériel de guerre; on ne connaît pas avec certitude le nombre de soldats allemands qui réussissent à sortir du piège. Weichs, dont le front est rompu, est contraint de reculer sur la ligne Tisza-Danube-Save-Drina, ce qui oblige Löhr à refluer jusqu'à la ligne Sarajevo-Mostar. La retraite de Löhr est favorisé par l'arrêt des bombardements aériens alliés qui se reportent sur le Pélopponnèse en soutien de l'offensive anglaise qui s'y déroule. Il poursuit son repli harcelé par ses adversaires. Le 20 octobre, en Hongrie, les blindés soviétiques ont brisé le cercle et débordent Debrecen par le nord. Une audacieuse manoeuvre exécutée par l'armée allemande, isole à nouveau trois corps soviétiques et, le 29 octobre, les soldats encerclés sont obligés d'abandonner leur matériel pour s'échapper vers le sud. L'opération sur Debrecen a échoué parce que les Soviétiques ne disposaient plus sur ce front des moyens suffisants et qu'ils avaient vu trop grand. Les Allemands de Friessner possédaient encore des ressources. Début novembre, Weichs est au bout du rouleau. Mais, le 2 novembre, Löhr arrête les Russes à Kraljevo et, quelques jours plus tard, les Bulgares à l'est de Skoplje. Tolboukhine allège son dispositif pour renforcer le front de Hongrie en difficulté. Les partisans ne sont pas en mesure de s'opposer efficacement aux Allemands en retraite et Weichs, parvient à se rétablir sans trop de difficultés sur la ligne de défense Tisza-Drina-Mostar qu'il tiendra jusqu'à la fin de la guerre. A Visegrad cependant, le 19 novembre, un embouteillage monstre se produit, causé par la destruction d'un pont. Lörh, quant à lui, a rejoint Weichs et, à la fin de l'année, un front continu allemand s'étire de Mostar à la Hongrie tenue par Friessner. 25 août - septembre 1944 : Poussée alliée vers le Nord sur le front occidental L'idée initiale d'Eisenhower était de s'installer solidement sur la rive droite de la Seine et d'attendre que les ports de l'Atlantique fonctionnent, que les terrains d'aviation soient remis en état et que l'intendance reconstituée puisse suivre avant de lancer ses forces en avant vers l'Allemagne. Les renforts et le ravitaillement pourraient alors affluer des États-Unis. Mais la sévère défaite essuyée par l'ennemi en Normandie et le succès du débarquement en Provence ont changé la donne. Les Alliés pensent avoir maintenant la capacité de poursuivre les Allemands sur leurs talons pour les empêcher de se réorganiser sur l'une des lignes de défense où ils ont si bien su résister après la bataille de la Marne en 1914. Cependant, leurs plans divergent. La Seine franchie, celui de Montgomery consiste à pousser deux pointes concentrées sur un front étroit en direction de l'Allemagne via la Belgique et la Hollande. Celui d'Eisenhower, fidèle à sa préférence pour un large front, est tout autre. Après la jonction des troupes de Normandie avec celles de Provence, il décide que les Britanniques avanceront sur la Belgique, les Américains sur les Ardennes et les troupes débarquées en Provence sur l'Alsace et la Lorraine, en protégeant le flanc droit allié. Ainsi se dessinerait une opération en tenaille susceptible d'enfermer à nouveau les Allemands dans une ou plusieurs nasses s'ils se laissaient devancer. Toutefois, la stratégie de débordement de Patton en direction de l'Est a distrait de Bretagne une partie des forces qui auraient dû être engagées à l'investissement des ports. Cet inconvénient, conjugué avec des désaccord entre généraux américains sur le terrain, ont rendu difficile la prise des ports les plus importants. Brest et Saint-Nazaire sont encore aux mains des Allemands et si Nantes est tombé le 6 août, c'est un champ de ruines inutilisable, d'autant que Saint-Nazaire contrôle l'estuaire de la Loire. Lorient ne sera conquis que le 8 mai 1945! La question des ports continue donc de se poser. Et les lignes de ravitaillement vont s'allonger au fur et à mesure de l'avance alliée dans une France où les chemins de fer ont été sabotés ou bombardés, et avec une flotte de camions alliés insuffisante. Dès le 23 août, Montgomery propose de substituer à la stratégie d'Eisenhower, la sienne plus concentrée. Il se heurte à un refus. Le général américain estime qu'il s'exposerait alors à une attaque sur son flanc droit. De plus il pense que son plan utilise au mieux les opportunités que lui offre le dense réseau routier français et, en répartissant les risques, le dote de plusieurs cordes à son arc. Les armées alliées doivent donc progresser par colonnes presque parallèles. Les Anglais, prioritaires en terme de ravitaillement, voient leurs moyens renforcés; à gauche du dispositif allié, ils doivent avancer le long de la côte et prendre terrains d'aviation et ports, ce qui justifie la priorité qui leur est accordée, détruire les bases de lancement de V1 et s'emparer de la Belgique jusqu'à Anvers; les Américains vont progresser en direction des Ardennes mais la 1ère armée du général Hodges sera détachée vers le nord-ouest du massif, pour protéger le flanc droit de Montgomery, tandis que le reste des troupes américaines abordera le massif par l'est. Les Ardennes couperont donc l'Armée américaine en deux, créant une brèche précisément là où les Allemands ont gagné la bataille de France en 1940, ce qui soulève des contestations dans le camp américain notamment de la part de Bradley. Patton, quant à lui, exagérément optimiste, se fait fort de franchir le Rhin en une dizaine de jours, à condition que l'intendance suive! Mais Eisenhower est moins pressé. Conscient des problèmes logistiques qui risquent de se poser, eu égard à la faiblesse des moyens de transport alliés, il n'est pas enclin à franchir la frontière allemande avant d'être en état d'exploiter ultérieurement la situation. Il décide donc de tout remettre à plat lorsque les premiers objectifs de son plan (La Belgique avec Anvers et les Ardennes) seront atteints. Du 25 au 27 août, les 12ème et 30ème corps britanniques, passent la Seine, vers Louviers et Vernon sur des ponts portatifs militaires Bailey, les ponts traditionnels étant détruits. La 1ère armée canadienne, chargée de la conquête des ports, la franchit vers Rouen; l'opération Great Swan est lancée. Le 29 août, une vive opposition allemande limite l'avance du 30ème corps à une trentaine de kilomètres. Model, commandant en chef du front de l'Ouest, et chef du groupe d'armées B vaincu en Normandie, s'efforce de retarder les Alliés dans l'espoir vain d'organiser une défense solide sur la Somme, l'Aisne, la Meuse et la Moselle; mais, sur les 56 divisions classiques de Normandie, il ne lui en reste que 20, et sur les 12 Panzers, une seule; sur 2 200 chars, 1 800 ont été détruits, 210 000 soldats ont été tués ou blessés et les Alliés ont capturé 240 000 prisonniers dont deux maréchaux, deux commandants d'armée, trois de corps et vingt divisionnaires. Le 30ème corps va ensuite avoir la chance de se faufiler dans une faille laissée par l'Armée allemande en retraite, entre la 5ème Blindée et la 7ème armée, et avancer rapidement jusqu'à Bruxelles. Le 1er septembre, le port de Dieppe tombe aux mains des Canadiens, un peu plus de deux ans après le raid manqué d'août 1942. Le même jour, Eisenhower, qui a laissé jusqu'à présent Mongomery seul sur le terrain, vient en France pour y prendre le commandement direct des troupes. Le 2 septembre, il y est fortement contusionné à la suite d'un atterrissage forcé et est contraint à garder le lit. Ce même 2 septembre, la progression du 30ème corps est ralentie, pour attendre les parachutistes d'une opération aéroportée sur Tournai, prévue pour le 3 septembre, en vue de dégager le Pas-de-Calais; cette opération n'est pas du goût de tout le monde car elle risque d'aggraver les difficultés de ravitaillement des armées. En face, Model se replie et demande des renforts qui se font attendre. Hitler racle les fonds de tiroirs, prend dans les forteresses, prélève deux divisions en Italie, ratisse les convalescents à la sortie des hôpitaux et élargit l'âge de la conscription tout en continuant à rêver de contre offensive. Cependant, la prudence d'Eisenhower ne tarde pas à se montrer justifiée. La progression alliée, ponctuée d'accrochages sévères et meurtriers, laisse derrière elle l'artillerie lourde et la DCA. Les soldats se fatiguent et, plus grave, à la fin du mois d'août, au bord de la Meuse, les réservoirs de carburants commencent à se vider. Bradley fait obliquer la branche ouest de la 1ère armée américaine (Hodges) vers Tournai pour prendre la ville avant le 3 septembre et rendre ainsi inutile l'opération aéroportée. La crise du carburant est maintenant là et elle contraint des unités alliées à s'arrêter. Le 3 septembre, les Américains causent un embouteillage avec les Anglais sur la route de Tournai, ils obtiennent l'annulation du parachutage et entrent les premiers dans la ville, en zone anglaise! Ce même 3 septembre, Hodges fait prisonniers 25 000 soldats allemands dans la région de Mons, après en avoir tué un grand nombre. Le 30ème corps libère Bruxelles où, le lendemain, la population manifeste massivement sa joie. Le 4 septembre, le port d'Anvers est enlevé intact, mais les Anglais échouent dans la conquête d'une tête de pont au nord du canal Albert, ce qui minimise l'intérêt de la prise du port. Le 5 septembre Hodges, dont une partie des troupes est stoppée depuis trois jours pour cause de panne sèche, en profite pour resserrer ses forces en déplaçant ses unités encore pourvues de carburant. Hitler, qui compte beaucoup sur les obstacles naturels et artificiels pour offrir à ses troupes des positions faciles à conserver, surtout lorsque le mauvais temps viendra, ordonne la défensive à outrance en avant de la ligne Siegfried. Il réitère à ses troupes encore dans les ports de la Manche, de l'Escaut et de l'Atlantique l'ordre de se battre jusqu'au bout pour interdire cette ressource aux alliés. Le 5 septembre, il rappelle von Runstedt, lui confie le commandemant de l'Ouest, et le charge d'arrêter les Alliés sur la ligne Siegfried jusqu'à ce que le brouillard, la neige et la nuit lui apportent enfin une occasion favorable de repasser à l'offensive. Le 6 septembre, Louvain tombe. Le 8 septembre, un passage est aménagé à l'est d'Anvers, à Geel, sur le canal Albert. Le 10 septembre, Eisenhower rencontre Montgomery à Bruxelles. Le général anglais, promu maréchal, ouvre la conférence en proposant une variante aéroportée de son plan sur un ton qui déplaît à l'Américain, lequel lui répond amicalement, mais fermement, que c'est lui le patron! Les deux hommes ne s'aiment pas; leurs stratégies divergent, on l'a vu, et leurs caractères aussi; Montgomery est autoritaire, Eisenhower, plus souple, sait s'adapter et recherche le consensus, ce qui ne signifie pas qu'il est disposé à tout accepter d'un subordonné! On en reste là, mais Eisenhower garde en mémoire le mot aéroporté, qui va germer et donner naissance à l'opération Market-Garden sur Arnhem. Cependant, von Rundstedt réussit à redresser l'Armée allemande, après la frayeur déclenchée dans ses rangs par la 1ère armée américaine (Hodges), auprès d'Aix-la-Chapelle. Le 11 septembre, grâce à une division d'infanterie complète amenée de Prusse-Orientale, il arrête la progression d'une 1ère armée américaine fatiguée. Le général allemand, qui a la confiance de ses subordonnés, est maintenant chargé de préparer l'attaque méditée par Hitler dans les Ardennes pour rééditer l'exploit de 1940. Espoir évidemment insensé. Le 12 septembre, Le Havre est libéré par les Canadiens, c'est ensuite le tour de Boulogne (22 septembre), puis de Calais (30 septembre), mais Dunkerque est toujours aux mains des Allemands qui ne se rendront que le 9 mai 1945; les Alliés préfèrent le contourner, et privilégier Anvers intact, car les occupants ont rendu inutilisable le port français! Le 13 septembre, le canal de la Meuse à l'Escaut est franchi près de Relty, ce qui, après le passage de Geel, le 8, rend tout son intérêt au port d'Anvers, à condition de chasser les Allemands des bouches de l'Escaut. Août 1944 - Mai 1945 : Réduction des poches maritimes de la France En janvier 1944, Hitler avait fait établir une liste des forteresses côtières du littoral français qui devaient être défendues jusqu'au dernier homme, pour priver les Alliés de ravitaillement en cas de débarquement. Le 27 juin, la chute de Cherbourg avait provoqué chez lui une violente colère. Le 17 août 1944, après le débarquement de Provence, le Führer réitéra l'ordre de tenir les côtes méridionale et occidentale de la France. La prise de Brest, après six semaines de combat, pour se saisir d'un port inutilisable, avait sérieusement refroidi l'ardeur américaine. Bordeaux est évacué intact et sans combat, dans la nuit du 26 au 27 août. Mais son port est défendu par les canons de Royan et de la pointe de Grave; au surplus, le commandant allemand du port, le capitaine de corvette Kühnemannn, a fait couler plusieurs navires dans l'estuaire de la Gironde. Enfin, l'intérêt de Bordeaux devient de moins en moins important au fur et à mesure que les Alliés avancent vers le nord. Après le débarquement en Provence, les Allemands vont quitter Bordeaux, mais ils ont l'intention de détruire ses installations. Heureusement, un soldat allemand, Heinz Stahlschmidt, qui sera ensuite naturalisé français sous le nom de Henri Salmide, fait volontairement sauter leur stock d'explosifs afin de sauver la ville. Du 24 au 26 août, des négociations se déroulent entre représentants de l'armée allemande et de la Résistance. Les FFI promettent un bain de sang aux Allemands s'ils s'avisent de détruire la ville. Finalement, les occupants cèdent et partent, le 27 août, sans avoir pu effectuer les sabotages prévus. Le lendemain, Bordeaux est aux mains de la Résistance. Au cours de leur progression vers la Belgique, les Alliés s'emparent à la volée des ports qui n'opposent que peu de résistance et passent au large des autres en les masquant par un rideau de troupes suffisant pour assurer leurs arrières. C'est, en septembre 1944, le sort réservé à Dunkerque qu'ils savent bien défendu et inutilisable, après les dommages qu'il a déjà subis en 1940. La garnison allemande, sous les ordres de l'amiral Frisius, y reste jusqu'au 9 mai 1945, date à laquelle, sachant la guerre terminée, elle se rend au général Alois Liska, commandant de la 1ère brigade blindée tchécoslovaque. Pendant la guerre, Lorient avait revêtu une importance particulière en raison de la base de sous-marins qu'elle abritait. Doenitz y avait eu un temps son quartier général. Le 12 août 1944, les Américains y enferment dans une poche 25 000 soldats sous les ordres du général Fahrmbacher et 20 000 civils qui s'y retrouvent bloqués. Cette poche va de Guidel à Quiberon et comprend Belle-Île et Groix. Elle est fermée par une division américaine et des résistants français. Pendant les 9 mois du blocus, les escarmouches sont nombreuses et les civils souffrent de la faim et du froid. En février 1945, des civils ont la chance d'être évacués par la Croix-Rouge. Le 7 mai 1945, la place se rend. Le 10 mai, Fahrmbacher remet ses troupes au général Kramer, commandant la 66ème division US, dans un champ de Caudan. Rochefort, dont l'accès est défendu par les îles de Ré et d'Oléron, ne présente qu'un intérêt stratégique très faible. Pourtant la Wehrmacht, après un faux départ, le 25 août 1944, y revint deux jours plus tard, pour ne repartir que le 12 septembre. La Libération de La Rochelle et celle de Royan sont étroitement liées et le général de Gaulle tient absolument à les reprendre aux Allemands. Le 18 septembre 1944, il se rend à Saintes où il nomme le colonel Adeline, ex-responsable des FFI de Dordogne, commandant des opérations du secteur de La Rochelle et du secteur de Royan-Pointe de Grave, avec pour second le commandant de marine Meyer. Le 14 octobre sont créées les Forces françaises de l'Ouest (FFO), placées par décret du 17 octobre sous le commandement du général de Larminat, alors en Allemagne. Meyer, après diverses rencontres avec le contre-amiral Schirlitz, signe, le 18 octobre, une convention par laquelle les belligérants s'engagent à ne pas dépasser une ligne fixée d'un commun accord, afin que le conflit se termine sur ce point sans destruction, ce qui n'empêche pas les accrochages; de Gaulle approuve cette convention mais insiste pour qu'aucun armistice local ne soit conclu avec l'ennemi. Le colonel Adeline, par le truchement du commandant Meyer, obtient des Allemands que les hommes portant un brassard à leur manche soient traités en prisonniers de guerre. Les FFI qui assiègent la poche manquent d'uniformes et se trouvent dans un dénuement extrême qui n'atténue pourtant pas leur ardeur combative. De Larminat arrive sur place le 22 octobre. Ses attributions couvrent la poche de la Rochelle (La Rochelle, La base de sous-marins de La Pallice, l'île de Ré et la majeure partie de l'île d'Oléron) et la poche de Royan (Royan et le sud de l'île d'Oléron). L'île de Ré comporte deux sites de batteries de marine chacune dotées de 4 canons de 220 et 203 millimètres. Une dizaine d'ouvrages d'artillerie existent sur l'île d'Oléron. La Rochelle est défendue par deux lignes de défense, des inondations, des champs de mines et un fossé antichar. La poche contient 200 pièces d'artillerie d'un calibre supérieur à 75 millimètres. Une centaine de canons défendent le littoral et la DCA en compte à peu près autant. Le 29 novembre, Eisenhower, autorise la 1ère DMI (ex-1ère DFL), à rejoindre l'ouest de la France; cette division est commandée par le général Garbay, depuis la mort accidentelle du général Brosset. L'attaque des poches devait commencer début janvier 1945. Mais l'offensive allemande dans les Ardennes oblige Eisenhower à rappeler Garbay et les opérations sur le front de l'Atlantique doivent être différées. Dans la nuit du 4 au 5 janvier, 354 bombardiers Liberator britanniques déversent sur Royan 1637 tonnes de bombes explosives et 14 800 kilos de bombes incendiaires. La ville est anéantie et la moitié de ses habitants gisent morts ou agonisants sous les décombres. Les défenses allemandes ne sont pas touchées! Pourquoi ce tragique bombardement d'une cité sans intérêt stratégique alors que les bombardiers américains sont intervenus avant et le même jour sur les objectifs militaires de la pointe de Grave et de la Coubre sans se tromper? Il n'y a pas de réponse. Ce qui est certain c'est que l'erreur n'est pas imputable aux pilotes car il est prouvé que la cité était bien l'objectif qui leur avait été assigné. Alors, un dysfonctionnement dans les communications toujours difficiles entre gens qui ne parlent pas la même langue? Le 25 mars 1945, de Larminat, après avoir réorganisé les FFO, partage la nouvelle Armée de l'Atlantique en un front pour la poche de Royan, aux ordres du général d'Anselme et un autre pour la poche de la Rochelle, aux ordres du colonel Chêne, ex-chef du maquis de la Vienne, avec Meyer comme second. En avril 1945, de Larminat dénonce la convention et menace Schirlitz de sanction si les installations portuaires et urbaines de La Rochelle ne sont pas rendues intactes. En revanche, il promet la mansuétude des vainqueurs si elles sont respectées. Les troupes françaises se portent immédiatement au devant de la ligne, mais ne la franchissent pas. Le 10 avril, de Larminat prévient Schirlitz qu'il s'apprête à attaquer Royan afin que l'amiral allemand de La Rochelle agisse selon ce que lui inspirera sa camaraderie de combat avec l'amiral Michahellis qui commande à Royan. Pour réduire la poche de Royan, de Larminat a obtenu le renfort de la 2ème DB. Mais le général Leclerc s'oppose à ce que sa division soit retirée de la campagne d'Allemagne. Un détachement seulement est envoyé vers l'ouest sous les ordres du général de Langlade. Le 13 avril, de Larminat donne l'ordre de passer à l'attaque de la poche de Royan; l'opération Vénérable débute. Les troupes terrestres avancent sur trois axes avec le soutien de la marine et de l'aviation. Le 15 avril, Leclerc assiste au combat de ses blindés depuis l'observatoire du Pouyaud à Médis. Le 16 avril, Royan est pris et les Français progressent dans la pointe de Grave; de Larminat envoie un message à de Gaulle l'avisant que les FFI se battent comme des soldats chevronnés et que les Boches, pour reprendre son langage, se défendent partout. L'amiral Michahelis et son état-major sont capturés, le 16 ou le 17. Les blindés de la 2ème DB sont envoyés pour aider le général de Milleret chargé de réduire la poche du Médoc; ce général, colonel de l'armée d'armistice, membre de l'Organisation de Résistance de l'Armée (ORA), créateur du Corps Franc Pommiès, organisateur de la brigade Carnot, chef des FFI des Landes, commande une brigade devenue bataillon après avoir reçu un renfort FTP. Le 18, les dernières troupes de la Coubre se rendre en maudissant leurs officiers qui les ont obligés à s’exposer à la mort pour rien. Le 20, les survivants de la flottille des torpilleurs de la Gironde déposent les armes après un bombardement en piquet de l'aéronavale. Les blindés de la 2ème DB retournent en Allemagne pour participer, le 4 mai, à la conquête du Nid d'Aigle de Berchtesgaden. Le 22 avril, le général de Gaulle vient célébrer sur le théâtre des opérations cette victoire purement française. Le 1er mai, le jour de la chute de Berlin, l'île d'Oléron, attaquée le 30 avril, (opération Jupiter), tombe à son tour. Ses défenseurs se sont rendus pendant la nuit. Le 7 mai, Schirlitz, ayant appris par radio la capitulation du 3ème Reich, commence à négocier sa reddition. Le 8 mai, celle-ci est acquise et le contre-amiral allemand passe ses pouvoirs au colonel Chêne. Au matin du 9 mai, l'acte officiel de la capitulation est signé et Schirlitz remet ses armes au commandant Meyer, comme l'officier allemand en a manifesté le désir. Un régiment de zouaves débarque à l'île de Ré, capture le commandant et la garnison, et prend possession de la base sous-marine de La Pallice intacte. La poche de La Rochelle est libérée, sinon sans effusion de sang, aux moins sans destructions. Aurait-il pu en être de même à Royan? Cette question est à l'origine d'une polémique d'après guerre qui n'est peut-être pas encore éteinte. A Nantes, le 10 août 1944; les Allemands détruisent le pont de la Jonelière. Le 11, les bateaux dans le port sont minés puis coulés. Le 12, après avoir détruit les quais, les Allemands quittent la ville en direction du sud, et détruisent derrière eux le pont Pirmil. Le même jour, les FFI de Gilbert Grangeat entrent dans la ville et hissent le drapeau français sur l'Hôtel de ville, vers 10 heures. Vers 16 heures, ils accueillent la 4ème division blindée américaine, sur la route de Rennes. Mais le port de Nantes, même réparé des dégâts causés par l'occupant en retraite, n'est pas utilisable tant que Saint-Nazaire, qui contrôle l'estuaire de la Gironde, est toujours entre les mains de l'ennemi. En août 1944, les Allemands se replient autour de la base sous-marine de Saint-Nazaire. Une poche se constitue depuis Saint-Omer de Blain et La Roche-Bernard au nord, jusqu'à Pornic au sud. La ligne, qui coupe le village de Saint-Omer de Blain en deux, suit la rive gauche de la Vilaine, le canal de Nantes à Brest, puis un tracé passant par Bouvron, Malville et Cordemais jusqu'à la Loire, pour aller ensuite vers Pornic, via Frosssay et Chauvé. Elle est fortement défendue par de puissantes batteries terrestres et antiaériennes qui comptent environ 700 pièces. Un fossé antichar ceinture la base sous-marine elle-même. Le pont de La Roche Bernard, miné par l'occupant, saute le 15 août 1944, l'explosion étant déclenchée par la foudre. Les effectifs de la poche s'élèvent à 28 000 hommes sous les ordres du général de la Luftwaffe Junck, la base sous-marine étant quant à elle commandée par l'amiral Mirow, et la place de Saint-Nazaire dirigée par le lieutenant-colonel Rittmayer qui obtiendra une libération d'honneur, dès 1946, en raison de son attitude bienveillante envers la population. Face aux Allemands, s'installent la 66ème division d'infanterie américaine (général Kramer) et la brigade Charles Martel (général Chomel) renforcée par des unités FFI. A l'intérieur de la poche, se trouvent enfermés 130 000 Français qui seront partiellement évacués en plusieurs fois par la Croix-Rouge entre octobre 1944 et février 1945. Les combats sur ce front prennent la forme de coups de mains lancés par les assiégés pour se ravitailler. Ils ont surtout lieu en terres fertiles, au sud de la Loire. En octobre, les Allemands prennent Frossay, puis La Sicaudais, sur les FFI, en fin décembre, après de violents combats. L'intervention du 8ème régiment de cuirassiers stabilise le front. Cependant, les Américains, au nord de la Loire, enlèvent la forêt du Gâvre, refoulent l'ennemi au delà du canal de Nantes à Brest et s'emparent de Blain. En février 1945, une attaque allemande sur le canal est déjouée grâce à une information fournie par la résistance à l'intérieur de la poche. En mars, l'artillerie américaine coule plusieurs cargos ravitaillant l'ennemi qui souffre de pénuries. En avril, les assiégés deviennent de plus en plus agressifs. Le 19 avril, des accrochages meurtriers se produisent. Début mai, l'église de Saint-Omer de Blain, qui servait d'observatoire aux Alliés, est dynamitée, lors d'une attaque allemande qui surprend les troupes tenant village. La poche se rend le 8 mai 1945, à Cordenais, vers 13 heures, peu de temps avant la fin de la guerre. La cérémonie officielle de la capitulation se tient, le 11 mai, à l'hippodrome du Grand Clos de Bouvron; le général Junck y remet ses armes au général américain Kramer, en présence du général français Chomel. Il n'y a plus en France que des Allemands prisonniers. Août 1944 - août
1945 : Reconquête de la Birmanie
Les Alliés ont l'espoir de terminer la campagne de Birmanie avant la mousson de 1945. Mais, avant de prendre la capitale, Mandalay, puis de descendre vers le sud jusqu'à Rangoon, il leur faut franchir deux obstacles majeurs, le Chindwin, derrière lequel les Japonais rescapés cherchent à se reformer, et l'Irrawaddy, plus à l'est. Après d'énormes difficultés, dans la traversée de la jungle, le 13 novembre 1944, la 11ème division est-africaines et la 5ème division indienne opèrent leur jonction à Kalewa sur le Chindwin. Le 10 décembre, le fleuve est franchi sur un pont Bailey de 350 mètres. La première phase de l'opération Capitale est terminée. Maintenant, le plan de Slim, qui commande les Britanniques, consiste à attirer les troupes de Kimura, son adversaire japonais, dans la plaine de Shwebo, à l'ouest de l'Irrawaddy, à hauteur de Mandalay, au centre de la Birmanie. Cette plaine est en effet propice à l'emploi des chars et de l'aviation dont les Britanniques sont mieux pourvus que leurs adversaires. Avec les moyens réduits dont il dispose, le général japonaisdoit couvrir les pétroles de Yenangyaung et la région rizicole du delta de l'Irrawaddy, ce qui l'oblige à étendre ses forces sur une ligne qui va de Mandalay à Yenangyaung le long du fleuve. Le 4 décembre, l'offensive anglaise démarre. Au nord de l'attaque, la 19ème division du 4ème corps du général Rees, surnommé le Napoléon de poche, à cause de sa petite taille, marche en direction de l'est, vers Pinlebu et Indaw, où il doit rencontrer la 36ème division britannique. Les troupes britanniques de ce secteur s'orienteront ensuite au sud, vers Shwebo, à l'ouest de l'Irrawaddy. Plus au sud, à partir de Kalewa, le 33ème corps de Stopford, s'engage en direction de Yeu, sur la route de Kalewa à Shwebo où il rencontrera les troupes du général Rees. Mais l'avance très rapide de ce dernier inquiète d'abord Slim, avant de lui inspirer une modification de sa stratégie initiale, quand il comprend que Kimura a retiré ses troupes derrière l'Irrawaddy. Le 19 janvier 1945, la trajectoire du 4ème corps britannique, commandé par le général Messervy, au lieu d'aller vers l'est, se glisse vers le sud, dans une discrétion totale, sans radio, et avec d'importantes mesures d'intoxication, pour laisser les Japonais dans l'ignorance de ce mouvement crucial, dans la vallée qui sépare les Monts Pondaung des monts Chin, par une mauvaise route, en direction de Gangauw et Tilin, puis Pakokku, Myitche-Nyaungu et Seikpyu, pour aller prendre Meiktila, un noeud de communications essentiel pour Kimura qui va être alors attaqué par le nord (Rees), l'ouest (Stopford), et le sud à front renversé (Messervy). Cette brillante manoeuvre scelle le destin de Mandalay. Le passage le plus facile du fleuve se trouve à Pakokku (800 mètres de large), mais les Anglais se contentent d'une tentative de diversion sur ce point et choisissent celui de Nyangu (3 000 mètres), moins bien défendu par une Armée nationale indienne peu ardente, au combat au service de l'empire du Soleil levant dans la mouvance de Chandra Bose. Une tête de pont est créée par la 17ème division indienne et la 255ème brigade blindée (Cowan) ainsi que la 7ème division indienne (Evans), entre le 11 janvier et le 21 février. L'arrivée des britanniques sur l'Irrawaddy, au sud de Mandalay, à proximité des pétroles de Yenangyaung et de Meiktila, le poignet de la Birmanie, selon Slim, surprend les Japonais. Ils se battent avec l'énergie du désespoir. Des soldats se jettent sous les tanks, bidons d'essence en mains, pour les faire sauter et eux avec. Rien n'y fait. Assaillie de toutes parts, la garnison de Meiktila, qui compte à peine 3 500 hommes, succombe, le 4 mars 1945. Le même jour, le général Honda lance une contre-attaque pour couper les Britanniques de Meiktila de leurs bases. Il reprend le village de Taungtha et sépare de l'Irrawaddy les Britanniques en pointe à Meiktila. La situation devient difficile pour la 17ème division à laquelle Slim envoie par avions les seuls renforts dont il dispose, à un millier de kilomètres de là, à partir du 15 mars. Les atterrissages sont risqués. Le 24 mars, des chars japonais font encore le tour de l'aéroport qui est sous le feu des canons nippons. Finalement, le 29 mars, l'aéroport est dégagé; Honda comprend qu'il a perdu la partie et se replie à l'est vers Tazi, sur la voie de chemin de fer de Rangoon. En effet, pour engager la contre-attaque de Honda, Kimura a dû affaiblir le secteur de Mandalay, maintenant pressé de toute part. Le 7 mars 1945, Rees, le Napoléon de poche, qui a franchi l'Irrawaddy, le 26 février, à Thabeikkyn et Singu, est à Madaya, au nord de Mandalay, et sur la bonne rive, d'où il sonne la charge sur la capitale. De ce fait, les Japonais encore au nord de la Birmanie se trouvent isolés. De son côté, Stepford passe le fleuve à Myinmu et Ngazun, est repart vers Ava qu'il atteint le 17 mars. La capitale est prise entre deux feux. Stepford détache des forces au sud de Mandalay, en direction de la voie de chemin de fer de Rangoon, par Myotha, puis par deux branches, l'une vers l'est et Kyaukse, l'autre vers le sud jusqu'à Thedaw, au nord de Tazi et au nord-est de Meiktila, d'où elle remonte, le long de la voie ferrée jusqu'à Kyaukse, où se ferme la boucle du lasso, le 30 mars. Dans Mandalay, la bataille fait rage, surtout
autour de la vieille citadelle du fort Dufferin dont les murs résistent
bien aux canons britanniques. Le 19 mars, Rees réclame l'intervention
de l'aviation. Le 20 mars, celle-ci a lieu soulevant un énorme nuage
de poussière et de débris divers. Lorsque le ciel est enfin
dégagé, les Britanniques s'aperçoivent que plusieurs
brèches sont ouvertes, dont une de plus de 15 mètres. Mais
ils n'ont pas le temps de se lancer à l'assaut. Cinq ou six civils
brandissant un drapeau blanc et l'Union Jack sortent par la porte et les
préviennent que les Japonais ont évacué la citadelle.
La 15ème armée de Katamura, chargée de défendre
Mandalay n'existe plus, et la 23ème de Honda ne dépasse pas
la force d'une division. Le seul espoir qui reste à Kimura de retarder
l'avance de Slim vers Rangoon est l'intervention de la mousson qui commence
normalement le 15 mai.
Slim le sait aussi. Il presse le pas. Deux poussées à marches forcées sont lancées vers le port du sud, l'une, à l'ouest, dans la vallée de l'Irrawaddy, l'autre, à l'est, le long de la ligne de chemin de fer Toungoo-Pegu-Rangoon doublée d'une route. La progression britannique est si rapide que des unités japonaises ne peuvent suivre malgré leur efforts pour rester devant. La prise de Prome, sur l'Irrawaddi, le 2 mai, leur coupe la retraite sur l'Arakan. Sur la branche du chemin de fer, les Anglais sont à Pegu, plus très loin de Rangoon. Mais la mousson arrive. Va-telle sauver la réputation de Kimura? Non, car, depuis le 2 avril, lord Mountbatten et Slim ont préparé un plan de débarquement de la 26ème division, venant de l'île de Ramree (Arakan) pour s'emparer du port par la mer, conjointement à un parachutage de Gurkhas chargés de s'emparer de l'éminence de Elephant Point, en bord de mer et sur la rive droite de la rivière Pegu. L'opération Dracula a lieu le 2 mai est c'est un succès. Deux événements l'ont facilité. Le premier, c'est que l'armée nationale de Birmanie d'Aung Sang, formée avec la bénédiction des Japonais, a changé son fusil d'épaule et a prévenu Slim qu'elle passait de son côté. Le second, c'est l'absence de Japonais dans Rangoon, absence découverte par hasard grâce à un message écrit en lettres blanches sur le toit de la prison de la ville, le 1er mai, par un aviateur anglais :"Japonais partis!". Le 3 mai, les Britanniques sont dans le port. Ils pénètrent dans la ville sans tirer un coup de fusils, acclamés par la population. La cité parait laissée à l'abandon, après 38 mois d'occupation, sans entretien d'aucun réseau, sans services publics, l'électricité sabotée avant de quitter la ville par la garnison, aux rues jonchées d'immondices et aux magasins livrés au pillage faute de forces de l'ordre, bref, en plein chaos! Pour ce qui est des rescapés nippons, privés de directives, complètement désabusés, ils errent désespérément en cherchant une voie de salut vers l'est. La retraite de Honda, de son côté, est un véritable calvaire. Mais le général japonais ne cessera jamais de se battre et contrôlera les débris de plus en plus faibles de ses troupes jusqu'à la fin de la guerre. Pendant ce temps, au nord de la Birmanie, le général américain Stiwell tient Mogaung et Myitkyina, conquises après de longs combats pour ouvrir la route de Birmanie de Ledo qui portera bientôt son nom. Il lui faut consolider sa droite en s'emparant du corridor du chemin de fer, un étroit passage parcouru par une voie ferrée, d'où les Japonais pourraient venir inquiéter Mogaung. Mais les Chindits sont à bout de souffle et regagnent l'Inde fin août 1944. Quant aux Maraudeurs américains, après le long siège de Myitkyina, ils ne sont plus assez nombreux pour constituer une force conséquente et vont être dissous. Slim envoie à Stilwell des renforts commandés par le général Festing, à la tête de la 36ème division britannique. Festing fait bonne impression à l'Américain malgré la prévention que ce dernier éprouve à l'encontre des Anglais. Impression confirmée car l'offensive sur la droite est relancée après la prise de la cote 60 qui arrêtait sa progression. Pibaw tombe le 27 août, Mohnyin le 17 octobre, Mawlu le 31 octobre et Indaw le 10 décembre. Le corridor du chemin de fer est aux mains des Alliés et Mogaung est à l'abri d'une incursion japonaise. Les troupes alliées continuent leur progression vers le sud, en direction de l'ancienne route de Birmanie, sur trois colonnes, celle de l'ouest, le long de l'Irrawaddy, au nord de Mandalay, celle du centre par Mogok, le long de la rivière Shweli, et celle de l'est par Shwegu, qui tombe le 7 novembre, puis par Si-u et Namtu. Une autre offensive est lancée à gauche, du côté de Myitkyina, vers le sud, en direction de Bhamo. Elle est confiée à des unités sino-américaines issues d'une réorganisation des forces de Stilwell, la 1ère armée sino-américaine du général Sun Li Jen, à laquelle se joindra la 532ème brigade connue sous le nom de force Mars. L'objectif est d'encercler pour la détruire la 33ème armée japonaise (Honda) dans une poche fermée, sur l'ancienne route de Birmanie, après la jonction de ses deux offensives dans les environs de Lashio. Cette seconde offensive commence favorablement le 15 octobre 1944, mais elle est l'objet de durs combats. Le 9 décembre, les Japonais lancent une attaque de flanc qui finit par échouer, entre Bhamo et Namkham. Bhamo, assiégée, est prise le 15 décembre. Namkham, ville à la pointe sud-ouest du Yunnan, tombe le 16 janvier 1945. Cependant les choses se sont gâtées, au cours de l'été 1944, dans le centre-est de la Chine où les Japonais ont lancé une offensive pour s'emparer des bases d'où partent les aviateurs de Chennault pour bombarder leurs troupes. La vieille animosité entre Chennault et Stilwell a refait surface. Les États-Unis redoutent un effondrement de la Chine. Roosevelt demande à Tchang Kaï-chek de placer Stilwell à la tête des armées chinoises. Tchang refuse et exige le départ de Stilwell que le président américain finit par accepter pour garder la Chine dans la guerre. Le 19 octobre 1944, Stilwell, rappelé, est remplacé, le 27 octobre, par le général Wedemeyer. Cette atmosphère conflictuelle au sein du camp allié n'est évidemment pas de nature à favoriser le développement harmonieux des affaires militaires. En septembre et novembre 1944, après de longs atermoiements, Tchang Kaï-chek passe néanmoins à l'attaque au Yunnan. Malgré les déficiences des forces chinoises, mal armées et peu combatives, elles avancent sur la route de Birmanie, grâce à des effectifs très supérieurs à ceux des Japonais. Les forces de Tchang et celles de l'offensive gauche de Stilwell-Wedemeyer se rejoignent au sud de Muse fin janvier. Lashio tombe le 7 mars 1945 et la jonction s'effectue le 24 mars entre les forces de l'offensive droite et de l'offensive gauche initiée par Stiwell. Tandis que, du côté japonais, Honda, on l'a vu, a été retiré du nord de la Birmanie, pour aller faire face à la situation difficile créée, au sud de Mandalay, par la manoeuvre de Slim en direction de Meiktila. Le problème crucial que durent résoudre les Alliés en Birmanie, où les transport sur route et piste étaient pratiquement impossible pendant une partie de l'année, fut celui de l'approvisionnement des armées. Ils utilisèrent tous les moyens possibles, voies terrestres, voies fluviales, voies ferrées, pipe-lines... Entre Myitkyina et Mandalay, ils firent même rouler des jeeps adaptées pour cela sur la voie ferrée! Mais l'avion devait être le moyen par excellence sur les distances alors couvertes par des appareils au rayon d'accès cependant encore limité. Cela supposait la maîtrise de l'air, qu'ils avaient, mais aussi la disponibilité de nombreux aéroports, qui tous n'étaient pas praticables en toutes saisons. C'est pourquoi se posa à nouveau la question de la conquête de l'Arakan pour y construire des aéroports susceptibles d'assurer la liaison entre la mer et les fronts centraux. Les deux îles d'Akyab et Ramree étaient donc devenues des objectifs stratégiques de première importance au moment où l'offensive de Slim sur Mandalay allait débuter. Au cours de l'été 1944, après les deux tentatives britanniques de1942-1943 et de janvier-mars 1944, le calme règne sur le front de l'Arakan (aujourd'hui Rakhine) tenu du côté japonais par le général Sakurai. A la fin de septembre, le commandement allié décide de s'emparer des deux îles. L'opération est confiée au 15ème corps du général Christison qui prépare un plan élaboré le 18 octobre. Le 8 novembre, lord Moutbatten souhaite que l'opération démarre le plus rapidement possible. Mais, courant novembre, une réorganisation du commandement a lieu et ce théâtre d'opération échappe à Slim pour être confié à Leese, qui en prend le commandement le 12 novembre. Leese, qui s'est battu en Afrique du Nord et en Italie, n'a aucune expérience de la Birmanie et il faut attendre le 23 novembre pour que s'organise la coordination entre le général Christison, le contre-amiral Martin (Royal Navy) et le général comte de Bandon (Royal Air Force). Mountbatten décide, le 21 décembre, de préparer la prise d'Akyab. Le 15ème corps se divise en trois colonnes qui se dirigent vers le sud. La 25ème division indienne, à l'ouest longe la côte et s'empare de Donbaik, le 23 décembre, où elle n'est plus qu'à 16 kilomètre de Foulpoint, de sinistre mémoire, suite aux événements de 1943. La 82ème division de l'Ouest-Africain, colonne du centre, marche de l'autre côté de la rivière Mayu; elle remporte un succès près de Htizwe et bifurque alors vers l'est en direction de Myohaung où elle va rencontrer la troisième colonne. Cette dernière avance à l'est des monts Arakan, en suivant la rive ouest de la rivière Lemro, vers Myohaung et Myebon. Le 27 décembre, Foulpointe tombe aux mains de la 74ème brigade. Le 2 janvier 1945, un observateur aérien de l'infanterie s'approche d'Akyab où il est étonné de ne voir aucun Japonais; il se pose où il peut et il est rapidement entouré d'une foule d'indigènes qui lui expliquent que les Japonais ont quitté l'île. Christison, prévenu, décide aussitôt d'appliquer le plan d'invasion prévu. Le 4 janvier, la ville d'Akyab est prise; le port est utilisable. On s'affaire et le lendemain, une escadrille de spitfires se pose sur l'aéroport remis en état, juste à temps pour disperser une attaque japonaise. Cependant, Slim rencontre des problème sérieux de ravitaillement et d'obtention des renforts. Ils arrivent parfois de 1 000 kilomètres par avion, on l'a vu lors de la contre-attaque de Honda du 4 mars. La prise de Rameree, où l'on pourrait disposer d'un grand aéroport toujours praticable, est donc d'actualité. Christison soumet son plan à Mountbatten le 9 janvier; le lord l'approuve. La 26ème division du général Lomax est chargée de l'opération. L'assaut est lancé le 25 janvier. Les Anglais étant prévenu que les Japonais cachent de puissantes batteries d'artilleries dans des grottes qui dominent les plages, un intense bombardement naval et aérien le précède; il pulvérise les défenses nipponnes. Le nord de l'île tombe rapidement aux mains des assaillants qui prennent Kyaukpyu où la construction d'un aéroport est aussitôt entreprise. Christison détache alors une partie de ses forces en direction de l'est pour tenter de s'emparer de Prome, entre Mandaley et Rangoon, afin de placer les Japonais que combat Slim entre deux feux. La manoeuvre est bien conçue, mais elle ne tient pas compte du fait que Miyazaki, le chef de la 54ème division japonaise, a justement quitté Akyab pour mieux tenir les cols de l'Arakan que les troupes anglaises doivent franchir avant de continuer sur Prome. De sanglants combats se déroulent dans les montagnes pour des avantages territoriaux minimes. Mais il est vrai que ces affrontements fixent là deux divisions nipponnes qui auraient pu se retrouver contre Slim. Cependant, Lomax progresse vers le sud de Ramree, sur la seule route de l'île, le long de son rivage occidental, jusqu'à Mayin. Là, il bifurque vers l'est, et prend Sane, le 1er février, sur la côte orientale, coupant ainsi l'île en deux. Sane, n'est qu'à 25 kilomètre de la ville de Ramree. Mais, le 7 février, la garnison japonaise de cette dernière ville livre un combat acharné contre la 71ème brigade alliée. La ville tombe pourtant grâce à l'intervention de la 4ème brigade, le 9 février. Mais nombre de soldats japonais parviennent à se disperser et à se fondre dans la population autochtone en abandonnant leur uniforme. Il faut donc leur donner la chasse et leur fermer l'accès au continent. Le 11 février, une attaque aérienne japonaise endommage sérieusement un destroyer britannique qui participe au blocus de l'île. La construction de l'aéroport praticable en tous temps progresse rapidement. Le port est en pleine activité. Les problèmes de ravitaillement sont en partie résolus. Le 9 avril, on décide de concentrer à Ramree la 26ème division et de lancer l'opération Dracula de débarquement au sud de Rangoon. La campagne s'achève à la satisfaction des Britanniques, mais non sans pertes. Les Japonais se sont battus autant qu'ils l'ont pu avec les faibles moyens qui leur restaient. Ce théâtre d'opération est devenu secondaire pour Tokyo. C'est du Pacifique que vient le danger et c'est là que l'empire du Soleil levant concentre ses efforts. En mai 1945, les Anglais ont presque reconquis la Birmanie, mais ils ne disposent pas de forces suffisantes pour en occuper tous les lieux. Slim est donc contraint de concentrer ses forces sur les points clés et de s'efforcer par des patrouilles de contrôler plus ou moins bien le reste du territoire. Il sait que de nombreux soldats japonais se cachent dans les forêts, individuellement ou par petits groupes, et que deux unités importantes, celle de Miyasaki, à l'ouest, en provenance de l'Arakan, et celle de Honda, à l'est, s'efforcent de se regrouper derrière la rivière Sittang. Les Japonais disposeraient alors d'une force d'environ 70 000 hommes et seraient à nouveau capables de lancer une offensive. Le général anglais doit donc tout faire pour interdire cette dangereuse concentration des forces japonaises. En mai-juin 1945, après la prise de la tête de pont japonaise de Kama, sur l'Irrawaddy, la vallée de ce fleuve est nettoyée. Mais Slim doit alors affronter deux crises provenant du camp allié. Le 7 juin, la durée du service en Extrême-Orient est réduite et la 15ème armée britannique, composée de vétérans, est conséquemment menacée d'une pénurie d'effectifs. Heureusement, de nombreux hommes décident volontairement de rester. En juin, la conqête de la Malaisie est envisagée et Leese confie cette opération à Christison qui vient de s'illustrer dans l'Arakan. Une réorganisation des forces britanniques a lieu qui relègue Slim au second plan, à la tête de la 12ème armée. Cette réorganisation amène une crise au sein du commandement. Mountbatten s'efforce d'arranger les choses en confiant à Slim le commandement des forces alliées du Sud-Est asiatique. Slim décide alors de partir en permission en Europe où il va obtenir la reconnaissance méritée de ses succès. Le général Stopford le remplace à la tête de la 12ème armée. Cependant, les tronçons de l'armée japonaise se sont rapprochés, nonobstant les efforts britanniques pour les disperser. Le 2 juillet, un ordre japonais saisi par les Britanniques laisse prévoir une attaque imminente de la part de Honda. Le 3 juillet, les Japonais passent à l'offensive à Waw, au nord-est de Pegu, dans la région de la rivière Sittang. Ils remportent quelques succès dans des conditions difficiles, sur des terres inondées. Mais cette attaque, qui ne constitue qu'une diversion, est abandonnée, le 11 juillet. Le 19 juillet, l'attaque principale se déclenche au sud de Toungo; elle se heurte à la 17ème division britannique et se termine en déroute, après plusieurs assauts. Le 4 août, les dernières forces japonaises sont détruites ou capturées. Les pertes japonaises, en tués ou prisonniers, s'élèvent à 11 500 hommes sur 18 000; les Alliés comptent seulement 96 morts! Août - Octobre 1944 : Soulèvement Slovaque Dès 1943, le gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres envisagea de préparer un soulèvement contre les régimes pro-allemands installés sur son sol. La Slovaquie montagneuse et proche de l'Union soviétique semblait constituer l'endroit idéal. Son armée était forte de deux divisions renforcées par des unités territoriales et par plusieurs milliers de résistants opérant dans l'est du pays avec l'aide d'instructeurs soviétiques. L'arrivée de l'Armée rouge dans les Carpates devait donner le signal. A la fin du mois d'août 1944, après les victoires russes en Biélorussie et en Pologne ainsi que le ralliement de la Roumanie à la cause alliée, l'est de la Slovaquie est débordé au nord comme au sud. Cependant, les pourparlers entre le gouvernement tchécoslovaque, les Anglo-Saxons et les Russes n'ont pas encore abouti à des résultats concrets. Les Allemands, de leur côté, s'inquiètent
du développement de la résistance qui menace leurs communications
dans un territoire vital pour la défense de la Pologne et de la
Hongrie. Aussi décident-ils d'occuper la Slovaquie, le 28 août.
Le 30 août, la station de radio Slovaquie libre lance un appel
aux armes à la nation et au peuple slovaque. Ce mouvement de révolte
prématuré est imposé par l'occupation du pays par
des unités SS. Il est largement suivi dans le centre du pays.
Ailleurs, les troupes slovaques restent fidèles au président
Tiso.
Début septembre, les révoltés peuvent compter sur 50 000 soldats et 15 000 partisans multinationaux (Hongrois, Polonais, Ukrainiens, Russes, Français et même Anglais). Le général SS Berger, qui va les combattre, dispose de 45 000 hommes. A cette époque, la Tchécoslovaquie n'entre pas dans les plans de l'Armée rouge qui se dirige au nord sur Varsovie et Berlin et au sud sur Budapest et Vienne. Toutefois, le 2 août, Moscou promet aux dirigeants tchécoslovaques une aide conséquente. Le 2 septembre, la Stavka ordonne à Koniev, qui dirige le 1er front d'Ukraine, de passer à l'offensive, de franchir les Carpates et de rejoindre les insurgés slovaques. Les Allemands attaquent de l'ouest, depuis la Moravie, et du nord, depuis la Pologne, avec leurs chars et leur aviation. Ils s'emparent de Handlova, Turcianski, Saint-Martin, à l'ouest de la poche tenue par l'insurrection, et de Telgart, à l'est. Le 8 septembre, Koniev avance au pied des montagnes, appuyé par le Corps d'armée tchécoslovaque, en direction des cols de Dukla et Lupkow. Il essuie un échec suivi de 2 mois et demi de combats sanglants. Fin septembre, la brigade aéroportée
tchécoslovaque, formée et entraînée en URSS,
est parachutée en territoire rebelle et les pilotes tchécoslovaques
de l'Armée rouge sont envoyés soutenir les opérations
de leurs compatriotes. Après un court répit, fin septembre
et début octobre, causé sans doute par l'offensive soviétique,
l'assaut reprend, sur l'ordre de Himmler, qui envoie des renforts, avec
en plus une poussée venue du sud-est depuis la Hongrie. Le 6 octobre,
des unités tchécoslovaques atteignent enfin leur pays. Mais
les forces russo-tchécoslovaques ne dépasseront jamais la
rivière Ondava, loin du territoire où se battent les patriotes
insurgés. Les Allemands n'ont pas encore dit leur dernier mot!
L'insurrection slovaque prend fin. elle a échoué comme celle de Varsovie. Mais, curieusement, on en parle beaucoup moins. Pourquoi? Sans doute parce qu'elle fut moins spectaculaire que celle de Pologne qui s'acheva sur la destruction d'une capitale, et surtout parce qu'elle se prêta moins à la polémique à l'époque de la guerre froide. Pourtant, elle mériterait d'être mieux connue, d'abord parce qu'elle retint en Slovaquie 18 divisions dont trois blindées, qui furent ainsi distraites des autres fronts, ensuite parce que l'Armée rouge y perdit 100 000 de ses soldats, pertes énormes qui s'expliquent pas l'âpreté des combats et par l'insuffisance des moyens mis en oeuvre du côté soviétique qui, après tant de victoires coûteuses, avait sans doute perdu une partie de ses capacités offensives. A partir de la fin de l'été 1944, alors que les Alliés débarqués en juin en Normandie, puis un peu plus tard en Méditerranée, libèrent la France, à l'Est la coalition de l'Axe se désagrége. Certains alliés d'Hitler l'abandonnent et se rangent même parfois aux côtés des vainqueurs. Le 23 août, on l'a dit le roi de Roumanie fait arrêter le Premier ministre pro-allemand Antonescu et, le 12 septembre, il se proclame en paix, avant de lancer l'armée roumaine, dont certaines unités ont déjà anticipé le mouvement, contre ses alliés de la veille. Le 6 septembre, les Soviétiques entrent en Bulgarie, officiellement neutre, et s'emparent de Sofia, le 18 septembre. Les forces bulgares se joignent à l'Armée rouge, plutôt de force que de gré, pour aller combattre les Allemands, déjà mis à mal par les maquisards de Tito en Yougoslavie. Le 19 septembre, la Finlande de Mannerheim, après les péripéties décrites plus haut, conclut une paix provisoire avec l'URSS. Elle va pendant longtemps mener une politique de neutralité dont Staline et ses successeurs se satisferont. En louvoyant, elle n'aura finalement pas si mal tiré que cela son épingle du jeu. Elle aura au moins su conserver son indépendance. Le 4 septembre 1944, les prisonniers du "commando spécial" d'Auschwitz mettent le feu au crématoire et y jettent les deux SS les plus haïs du camp. Quelque temps plus tard, les nazis liquident le camp de Chelmno en s'efforçant d'effacer toutes les traces de ce qui s'y est passé. Tout cela doit rester secret! 11 septembre - 17 octobre : Pourparlers préparatoires de la conférence de Yalta Du 11 au 19 septembre, Churchill et Roosevelt se concertent à Québec. L'atmosphère est à l'optimisme. Les Allés occidentaux espèrent finir la guerre en Europe avant la fin de l'année et, à ce moment là, ils pensent qu'ils auront envahi une grande partie de l'Allemagne, l'URSS étant contenue vers l'est, où, sur tous les fronts, l'Armée rouge, après ses nombreuses victoires, montre des signe d'essoufflement. Il faut donc traiter maintenant sérieusement les problèmes de l'après guerre en Europe tout en préparant la poursuite de la guerre contre le Japon dans le Pacifique. Churchill sait que l'Angleterre aura encore besoin de l'aide américaine pour maintenir son économie malmenée par la guerre et il redoute la puissance soviétique. Il offre son aide pleine et entière pour continuer la guerre dans le Pacifique. Roosevelt l'accepte, mais non sans réticence car il continue de se méfier des ambitions impérialistes de la Grande-Bretagne; d'ailleurs, les militaires américains préféreraient conduire la guerre comme ils l'entendent sur un théâtre d'opérations qu'ils connaissent bien. Pour ce qui est de la menace soviétique, Roosevelt n'y croyait pas et il attendait beaucoup des Russes dans la guerre contre le Japon. Le secrétaire d'État américain au Trésor Morgenthau est chargé d'un plan pour l'Allemagne; il propose un plan qui réduit ce pays à son agriculture, ce qui entraîne de vives protestations de Churchill; un accord intervient néanmoins contre trois milliards et demi de dollars promis à l'Angleterre par Morgenthau. Mais ce plan est rejeté par le cabinet de guerre britannique à l'unanimité, ce qui entraîne le retrait de l'accord de Roosevelt. Le front uni anglo-américain cher à Churchill étant décidément difficile à mettre en place, le leader britannique, qui mène pour le moment le jeu, décide d'aller voir Staline. La rencontre a lieu du 9 au 17 octobre à Moscou en présence d'un simple observateur américain. Churchill et Staline affichent pour la galerie une entente parfaite, mais l'ère du soupçon a déjà commencé. Le Premier ministre britannique propose au maître du Kremlin de transformer progressivement les zones d'opérations militaires en sphères d'influence politique en lui soumettant une feuille de papier sur laquelle figure le projet d'accord suivant : l'URSS disposera de 90% d'influence en Roumanie, l'Angleterre de 90% d'influence en Grèce et l'influence en Yougoslavie se partagera à égalité; Staline prend la feuille, réfléchit un moment et la rend à Churchill après avoir souligné en bleu les pourcentages d'influence. Le cas de la Pologne n'est pas abordé, mais Staline a déjà jaugé le gouvernement en exil à Londres; un accord avec lui est impossible et il est bien décidé à imposer celui de Lublin. Il laissera les mains libres à Churchill contre les communistes en Grèce et espère bien que celui-ci lui renverra l'ascenseur. En Grèce, ce n'est pas Staline qui déplorera la politique de Churchill, c'est Roosevelt! Au cours de la rencontre de Moscou, Staline réitère son engagement d'entrer en guerre contre le Japon trois mois après la fin de la guerre en Europe, à la grande satisfaction de Roosevelt. 17 - 25 septembre 1944 : Opération Market-Garden Après la prise d'Anvers, la défense allemande se durcit sensiblement. Le 3ème Reich fait appel à des vieillards et à des adolescents mal formés militairement, mais les jeunesses hitlériennes, endoctrinées par le régime, pallient à leur manque de professionnalisme par une furie et un engagement hors du commun. Montgomery finit par obtenir le feu vert d'Eisenhower pour monter une audacieuse opération qui pourrait, si elle réussit, permettre de finir la guerre avant la fin de l'année. Il s'agit de s'emparer des ponts qui traversent rivières et canaux de Hollande, jusqu'à celui d'Arnhem sur le Bas-Rhin, par des opérations aéroportées tandis que des troupes terrestres avanceront à leur rencontre pour les relever et consolider leurs conquêtes. Une fois le pont sur le Rhin tenu solidement, les forces alliées pourront déferler sur les plaines de l'Europe du Nord en direction de la Ruhr et priver Hitler de son principal arsenal. Une telle entreprise exige de gros moyen. Il faut frapper vite et fort, en même temps, pour surprendre l'ennemi et que les forces terrestres parviennent jusqu'au dernier pont avant que les parachutistes alliés n'en aient été chassés. On estime que ces derniers pourront tenir deux jours après s'être saisi du pont, et une centaine de kilomètres séparent la frontière belge d'Arnhem! Eisenhower est disposé à donner une certaine priorité à Montgomery car il compte sur lui pour nettoyer les bouches de l'Escaut et raccourcir ses lignes de ravitaillement grâce à l'utilisation du port d'Anvers. Par ailleurs, la conquête de la Hollande se justifie par la présence sur son sol de sites de lancement de V2 qui commencent à frapper Londres. Mais le général américain doit aussi tenir compte des récriminations de Patton qui, depuis le nord-est de la France, se plaint d'être mal approvisionné. En réalité, on l'a vu, Eisenhower manque de moyens et il tente de partager ce dont il dispose de manière la plus équilibrée possible, ce qui ne satisfait personne. Montgomery n'aura pas assez d'avions et de planeurs pour que l'opération sur Arnhem puisse se dérouler en une seule fois. Il faudra la scinder en trois vagues. Il n'y aura pas d'opération nocturne car une partie des troupes n'a jamais était entraînée à sauter de nuit. Il ne peut pas y avoir deux parachutages le même jour à cause des distances aller-retour. L'opération s'étalera donc sur trois jours, ce qui la rend plus périlleuse. Faute de terrain approprié proche du pont d'Arnhem, il faudra sauter à Oosterbeek, à l'ouest et à une bonne distance de la cible (13 kms). La 1ère division aéroportée britannique chargée de ce pont est commandée par le général Urquhart, un officier distingué mais qui vient juste d'être nommé à ce poste, n'a jamais sauté en parachute, et souffre du mal de l'air! On pense que la défense allemande ne comprendra que des troupes de couverture peu nombreuses et de piètre qualité. Vers la fin de la préparation, des messages de la Résistance hollandaises et des services secrets laissent toutefois penser que des unités allemandes plus importantes se trouvent aux environs d'Arnhem, mais l'opération est à la veille d'être déclenchée et on ne juge pas nécessaire de la remettre en cause. Comment Montgomery, généralement si prudent et méticuleux, s'est-il jeté avec une telle fougue dans cette aventure? Sans doute parce qu'il est stimulé par le désir d'arriver avant les Russes à Berlin! Le 17 septembre, Market-Garden débute. La 1ère division aéroportée britannique commence à sauter puis à se poser à Arnhem, tandis que la 82ème (Gavin) et la 101ème aéroportée (Taylor) sautent et se posent près de Grave-Nimègue et d'Eindhoven-Veghel. Le 30ème corps britannique (Horrocks) franchit la frontière hollando-belge et fonce vers le nord. Gavin remporte assez facilement les ponts sur la Meuse et sur le canal de la Meuse au Waal, mais rencontre une forte résistance à Nimègue. Taylor prend également ses premiers objectifs mais se heurte ensuite, sur la route de Nimègue, à une si grande opposition que seul un bataillon, bientôt isolé, arrive jusqu'au pont. Le pont de Son saute et il faut installer un pont Bailey (pont préfabriqué portatif) pour le remplacer. Le 18 septembre, une contre-attaque allemande empêche Gavin de s'emparer du pont de Nimègue. A Arnhem, les parachutistes s'aperçoivent qu'ils sont tombés à proximité d'une forte concentration ennemie. En effet, il y a là Model et deux divisions de Panzers SS au repos. Les parachutistes sont attaqués de toutes parts et l'atterrissage des renforts devient problématique. Un bataillon, aux ordres du major Frost, réussit tout de même à gagner les approches du pont qu'il ne peut pas prendre; il s'installe dans les maisons voisines. La situation est si confuse que, bientôt, des parachutages de ravitaillement anglais tombent dans les lignes allemandes! Urquhart a perdu le contrôle de la situation; il ne peut plus communiquer avec ses hommes, son appareil radio étant inutilisable; il décide de se rendre sur place lui-même, mais il tombe sur les Allemands, réussit à leur échapper, et en est réduit à se cacher dans un grenier jusqu'à ce qu'un blindé allemand qui est dans la rue s'en aille. Le 19 septembre, les éléments avancés d'Horrocks parviennent à Nimègue. Le 20, après une tentative de forcer l'entrée du pont par le sud qui échoue, il est pris à revers en traversant l'eau du canal en bateaux plats, et en ramant avec la crosse des fusils, faute d'un nombre suffisant de rames; les Alliés subissent de lourdes pertes; on trouve sur le pont de nombreux explosifs, sans doute destinés à le détruire, qui n'ont pas rempli leur office pour des raisons inconnues; on sait que les généraux SS voulaient dynamiter les ponts mais que Model s'y opposait afin de pouvoir les utiliser lors d'une hypothétique future offensive. L'envoi de la troisième vague sur Arnhem est différée à cause de conditions climatiques défavorables. Le 21 septembre, les Britanniques submergés à l'entrée du pont d'Arnhem doivent se replier sur Oosterbeek. Le 22 septembre, l'avance des troupes terrestres de Horrocks est ralentie par la défense allemande. Ici, comme en France et en Belgique, l'enthousiasme débordant des foules a contribué aussi à retarder leur progression! Le beau temps revenu, une brigade polonaise (Sosabowski), saute au sud du Rhin, près de Driel; c'est la troisième vague. Le 23 septembre, les Polonais tentent de franchir le Rhin pour rejoindre les Britanniques d'Arnhem. Ils échouent. Une autre tentative a lieu de la part des éléments avancés des troupes terrestres d'Horrocks pendant la nuit, sans plus de succès. Le 24 septembre, il y a une semaine que le parachutage a eu lieu à Arnhem et les troupes terrestres auraient dû faire leur jonction avec elles deux jours après! Le 25 septembre, l'opération Market-Garden prend fin. On commence à évacuer les parachutistes rescapés. les pertes britanniques s'élèvent à 1 200 morts et à 300 prisonniers, la plupart blessés; 3 400 Allemands ont été tués ou blessés. L'état-major allié estime qu'il s'agit d'un demi succès puisque les ponts sur la Meuse et le Waal ont été conquis. L'échec d'Arnhem s'explique par des impondérables (la forte présence allemande, le mauvais temps, des appareils radios inadaptés...) et surtout par le fait que le projet portait sur un pont trop loin! Il faut se préparer à un autre Noël de guerre! Octobre 1944 : Churchill et la
Grèce
En avril 1942, l'EAM crée une organisation militaire l'ELAS. En automne de la même année, les Britanniques prennent contact avec les résistants grecs en envoyant sur place une mission militaire sous les ordres du colonel Myers. Cette mission est chargée de regrouper la résistance non communiste pour en faire un instrument efficace au service de la machine de guerre britannique, d'organiser des sabotages et de réconcilier les deux grands courants de la guérilla. Les pourparlers entre les communistes et le colonel Zervas, sous la houlette du colonel Myers, échouent. Les Anglais ne s'en formalisent pas trop car ils pensent venir à bout de la dissidence de l'ELAS en la privant de livraison d'armes. En mars 1943, le roi George, alors en Angleterre, reçoit un manifeste de politiciens d'Athènes lui demandant de ne pas rentrer en Grèce après la guerre sans y être invité par un plébiscite; le roi répond par un discours conciliant promettant des élections libres et un gouvernement responsable devant le parlement, mais il reste discret sur son éventuel retour. Zervas, malgré son républicanisme, fait allégeance au roi, ce qui lui vaut la faveur des Britanniques, et attire à l'EDES nombre d'officiers royalistes. Au moment où se prépare la conquête de la Sicile, les Anglais font courir le bruit que le débarquement va avoir lieu en Grèce, ce qui suscite dans ce pays une recrudescence des actions de la résistance, obligeant les Allemands à y envoyer deux divisions qui étaient destinées à la Sicile. En septembre 1943, après le retrait des Italiens de l'Axe, l'ELAS parvient à s'emparer de la presque totalité du matériel qu'ils abandonnent. Le Front national de libération d'inspiration communiste, qui était déjà le plus important, devient alors une force militaire majeure dans le pays. A partir de la fin de 1943, la lutte entre l'ELAS et l'EDES devient le principal souci des deux mouvements antagonistes. La résistance contre les Allemands passe au second plan. Les occupants, après la perte par l'Axe de la Tunisie, de la Sicile et du sud de l'Italie, comprennent que la possession du sud de la Grèce ne présente plus un grand intérêt stratégique. Mais, il n'en va pas de même de Salonique où pourrait débarquer un corps expéditionnaire anglo-américain qui menacerait l'ensemble des Balkans. Churchill, de son côté, redoute ce qui va se passer quand les Allemands se retireront du pays. Celui-ci sera la proie d'une guerre civile dont le vainqueur sera communiste, au sud d'une Yougoslavie de même nuance idéologique. C'est une situation qu'il veut éviter et il ne voit qu'une solution : une intervention britannique qu'il estime, dans un premier temps, devoir être limitée à environ 5 000 hommes, bien équipés en voitures blindées et automitrailleuses. Cependant, les questions qui se posent à ce sujet sont cruciales : qu'en penseront Staline et Roosevelt? Comment réagira l'opinion publique internationale si Staline dénonce l'intervention anglaise comme une agression contre le peuple grec, et comment se comportera ce peuple? Début 1944, deux pôles de pouvoir prennent consistance en Grèce. Au nord et au centre, s'impose l'ELAS qui rompt tout lien de subordination au roi et qui refuse l'allégeance au gouvernement Tsouderos du Caire; au sud, en Épire, se constitue un autre regroupement avec l'EDES du colonel Zervas. La mission britannique parvient avec beaucoup de peine à obtenir une trêve entre les belligérants. Tsouderos demande au roi de nommer régent l'archevêque Damaskios qui jouit d'une grande popularité. Le roi, qui ne semble pas s'inquiéter de la force grandissante des communistes, refuse. Le 4 avril, une brigade grecque, affectée aux troupes alliées en Italie, se mutine au Caire. Des équipages de la marine de guerre se révoltent à leur tour, ils se proclament républicains et refusent de prendre la mer tant que des représetants de l'EAM ne feront pas partie du gouvernement grec. La mutinerie est réduite par la faim en isolant les révoltés et en les privant de nourriture. Le roi arrive au Caire, le 12 avril; Tsouderos démissionne et il est remplacé par Venizélos, fils d'un homme politique célèbre de la Guerre de 14-18. Mais ce nouveau Premier ministre s'avère rapidement insuffisamment à gauche pour calmer les mécontents. Le 26 avril, on fait donc appel à Papandréou, le chef du parti social-démocrate, qui vient de Grèce pour s'installer au Caire. Après de longues discussions, le 17 mai, au Liban, Papandréou parvient à former un gouvernement représentatif de toutes les opinions comprenant des membres de l'EAM. L'ELAS s'engage à combattre les Allemands jusqu'à la libération complète du pays. Churchill pense que la situation s'est améliorée. Mais, comme il constate que l'opinion occidentale répugne à s'opposer à l'avancée russe en Europe orientale, il se résigne à traiter avec Staline. Il propose à ce dernier un échange de bons procédés, sans s'occuper autrement de l'avis des populations concernées. Staline aura les mains libres dans les pays balkaniques et l'Angleterre les aura en Grèce. Le leader soviétique y consent, sous réserve de l'accord du président américain. Il espère que Roosevelt, anticolonialiste, président d'une nation qui doit son existence à un soulèvement contre la puissance coloniale britannique, et qui soupçonne fortement l'Angleterre de visées impérialistes, n'acceptera pas un tel marché! Churchill va voir Roosevelt et réussit presque à le convaincre qu'il ne vise qu'à empêcher un chaos sanglant en Grèce et qu'il ne poursuit aucun dessein secret. Roosevelt consent du bout des lèvres, en soulignant qu'il espère bien que l'opération ne causera pas une effusion de sang, sinon il considérera ses auteurs comme ayant fait preuve d'une incroyable incompétence. Le 7 juillet, l'EAM dénonce l'accord signé au Liban. Le roi de Grèce demande à Churchill d'ordonner à la mission britannique de rompre tout contact avec l'ELAS, il refuse. Il pense en effet, que la mission joue un rôle modérateur auprès de l'armée populaire. Mais il sait aussi que, si Staline aide l'ELAS, il n'y a pas d'avenir pour le gouvernement de Papandréou. Le 6 août, il prévient les chefs d'état-major de préparer une action significativement plus conséquente que celle qu'il envisageait d'abord, afin d'assurer la protection de la capitale grecque, ce sera l'opération Manne. Le 21 août, il rencontre Papandréou à Rome. Le chef du gouvernement grec lui expose son point de vue : les communistes sont minoritaires dans l'opinion mais ils possèdent toutes les armes et peuvent en obtenir d'autres de Staline; le gouvernement serait immédiatement renversé s'il se rendait à Athènes; une fois les Allemands partis, les Bulgares revendiqueront certainement une rectification des frontières. Au début du mois de septembre, tout est près pour l'intervention projetée. Mais, si les Allemands ont évacué le Péloponnèse, ils ont l'air de s'incruster ailleurs. Fin septembre, le général Wilson obtient des diverses parties grecques réunies à Caserte (Italie) un accord selon lequel les chefs des deux factions se mettent sous l'autorité de Papandréou, lequel est lui-même placé sous l'égide du général Scobie qui doit diriger Manne. Le 4 octobre, les troupes britanniques débarquent à Patras, au nord du Péloponnèse. Le 9 octobre, Churchill, comme on l'a dit plus haut, rencontre Staline à Moscou et lui soumet un projet de partage des Balkans que le leader soviétique entérine. Les Russes ne se mêleront pas de l'affaire grecque! Le 12, les Allemands évacuent Athènes. Le 13, des parachutistes se posent sur l'aérodrome de Mégare, à proximité de la capitale. Le 16, le gouvernement de Papandréou regagne la Grèce. L'opération Manne a réussi! Les Bulgares ne bougent pas mais on dit que nombre de leurs soldats rejoignent les rangs de l'ELAS. L'affaire grecque est provisoirement réglée, mais l'occupation allemande laisse un pays meurtri et profondément divisé. On en aura la preuve trois ans plus tard. Le 11 octobre 1944, l'URSS absorbe la petite République asiatique de Touva. Les Russes, implantés au Sinkiang, tentent d'opposer un nouveau Dalaï lama à celui de Lhassa; la manoeuvre échoue. La reconstruction de Pavlovsk, entièrement brûlé par les Allemands, est entreprise. Elle durera jusqu'en 1978 et Pavlovsk sera le premier palais impérial russe restauré. Cet hommage de la Russie révolutionnaire à la Russie tsariste est une manière de prouver que l'Union soviétique continue la Russie tsariste. Octobre - novembre 1944 : Déblocage d'Anvers Après la victoire en Normandie et en Provence, les armées alliées avancent beaucoup plus rapidement qu'elles ne l'avaient espéré au nord, comme à l'est. Parvenues à la frontière hollandaise d'un côté et aux Vosges de l'autre, leurs lignes de communications se sont étirées et elles ne sont plus en mesure d'assurer correctement leur ravitaillement, surtout en carburant, depuis les lieux de débarquements. Elles ont pris Anvers intact, le 4 septembre, mais ce port n'est d'aucune utilité tant que les bouches de l'Escaut restent en possession des Allemands. Montgomery, dans sa hâte d'atteindre la frontière allemande, sans doute avec l'espoir d'arriver avant les Russes à Berlin, a convaincu Eisenhower de lancer l'opération Garden-Market. Il pensait alors que les Canadiens de la 1ère armée de Crerar, après avoir pris Calais, qui sera libéré seulement le 30 septembre, pourraient également nettoyer le delta de l'Escaut. Mais les Allemands sont bien décidés à tenir le plus longtemps possible ces lieux vitaux pour l'approvisionnement des forces alliées. Le 4 septembre, ceux de Walcheren prêtent à Hitler le serment de défendre l'île jusqu'à la mort. Et les Canadiens, par ailleurs mal approvisionnés, n'ont pas les forces suffisantes pour mener à bien cette entreprise. Plusieurs tentatives alliées échouent en septembre, non sans pertes, par manque de moyens et défaut de coordination. Une opération polonaise nettoie cependant les rives de l'Escaut, le 20 septembre, entre Anvers et Terneuzen, en faisant plus de 1 000 prisonniers, sur le chemin de Breskens, où les Allemands tiennent une vaste et solide poche, sur la rive sud de l'Escaut, face à l'île de Walcheren, poche qu'il sera très difficile d'éliminer. Montgomery reconnaîtra plus tard son erreur : il aurait sans doute fallu libérer les bouches de l'Escaut avant l'opération Market Garden. Mais, après le demi échec de cette opération, le doute ne devrait plus être permis : le déblocage d'Anvers en chassant l'ennemi des îles du delta s'impose! Cependant, le vainqueur d'El-Alamein hésite encore. Le 5 octobre, une violente altercation l'oppose à l'amiral Ramsay qui commandait les opération de débarquement le 6 juin. Monty continue à prétendre s'emparer de la Ruhr, avant d'avoir dégagé Anvers! Ramsay combat avec vigueur cette stratégie et, finalement, le 9 octobre, Montgomery accepte de donner la priorité à Anvers. Les îles doivent être prises une par une, par des débarquements utilisant des ressources amphibies nouvelles, les Buffalos (engins chenillés amphibies américains) et les Terrapin (véhicules amphibies britanniques à roues). Elles vont être défendues avec acharnement, quitte à inonder les terres si nécessaire. Entre le 9 et le 21 octobre, les Canadiens continuent de progresser en direction de Breskens pour nettoyer la rive sud de l'Escaut. Le 19, à Aardenburg, dans un mouvement d'enveloppement de la poche, ils opèrent leur jonction avec des unités venant du sud du canal Albert; le 25, le fort Frederick-Hendriks, capitule; le 27, Knokke-sur-Mer, sur la mer du Nord, au-delà des bouches, tombe à son tour, suivie le lendemain par Zeebrugge. Le 27 octobre, les forces britanniques et américaines refoulent au nord d'Anvers, la 15ème Armée allemande (Zangen) et la 1ère armée de parachutistes (Student); Bergen Op Zoom tombe aux mains des forces alliées. Les 28 et 29 octobre, les îles de Beveland, Beveland Sud et Beveland Nord, commencent à être investies. Du 1er au 3 novembre, les Alliés attaquent Walcheren au nord, au sud et à l'est. Avec l'accord réticent du gouvernement néerlandais en exil, de violents bombardements préliminaires, qui causent de lourds dommages à la population civile, détruisent les digues et inondent des terres arables, que la salinisation va rendre impropres à la culture pendant de longues années, pour entraver les défenses allemandes, percer des brèches dans leur dispositif, et obliger l'ennemi à gagner les hauteurs. Des commandos français interviennent à Flessingue. Le 3 novembre, toute résistance a cessé dans la poche de Breskens; les Canadiens ont perdus 2 000 hommes, mais ont capturé 12 700 Allemands. Le 8 novembre, les dernières résistances cessent à Walcheren. Octobre - novembre 1944 : Bataille des Vosges - Libération de Belfort et de Mulhouse Les Allemands échappés de l'encerclement dont les menaçaient la jonction des troupes alliées de Normandie avec celles de Provence, se réorganisent, après avoir rejoint les lieux d'approvisionnement et les forces qui défendent les Vosges et le Rhin. Le général Wiese ne perd aucun moment pour aménager plusieurs lignes de défense assez solides pour arrêter ses adversaires dans les Vosges et la trouée de Belfort, et maintenir l'Alsace qu'ils convoitent hors de leur portée. Ceux-ci sont handicapés par les difficultés de ravitaillement en munitions et en carburant et trouvent devant eux une résistance de plus en plus vive. Hitler a menacé du peloton d'exécution les généraux qui reculeraient. Fin septembre, les Français de de Lattre, renforcés par les FFI, pourraient envisager une tentative sur la trouée de Belfort, quitte à contourner la citadelle, si nécessaire, pour filer plus vite vers l'Alsace, s'ils pouvaient rester concentrés et étaient suffisamment approvisionnés. Des dépôts vont être crées plus près du front, mais les Américains, commandés par le général Patch, qui couvrent les Français sur leur gauche, avancent rapidement vers le nord, à l'ouest des Vosges et, pour garder le contact avec eux, de Lattre est contraint d'élargir son front et par conséquent d'étirer ses forces et de les affaiblir rendant ainsi de plus en plus difficile une opération d'envergure. Le 4 octobre, le général du Vigier, avec la 1ère division blindée (la 2ème de Leclerc est avec les Américains de Normandie), appuyée par d'autres unités, dont des parachutistes, attaque en direction de l'important noeud routier du Thillot. C'est un échec. Plus au nord, le général Guillaume, qui commande des forces imposantes, lance des attaques vers le col d'Oderon, La Bresse, Manrupt et Le Tholy, en direction de Gérardemer. Sur leur gauche, les Français espéraient trouver les Américains de la 7ème armée. Mais ceux-ci ne les ont pas attendu! La coordination entre alliés n'est pas parfaite! Mais il y a pire : les rapports au sein de l'armée française sont loin d'être toujours cordiaux entre chefs de la nouvelle armée gaulliste et résistante et chefs de l'ancienne armée d'armistice dont certains officiers n'ont pas toujours un passé limpide. L'exemple est donné au sommet : ne dit-on pas que de Lattre et Leclerc se détestent! Leclerc est un résistant de la première heure; de Lattre a tenté de s'opposer à l'invasion de la zone non occupée, en 1942, a été arrêté, puis s'est évadé pour reprendre le combat aux côtés des Alliés. Les deux futurs maréchaux sont deux patriotes anti-allemands, c'est indéniable. Mais ils n'ont pas le même caractère, ni la même manière de conduire la guerre. Leclerc, en particulier, accomplit ses missions avec un plus grand souci d'éviter au maximum les pertes de vies humaines parmi ses troupes. Habitué depuis l'Afrique à se battre avec des moyens limités, il a su développer une tactique appropriée, faite de mobilité, de manoeuvres et de coups de boutoirs inopinés frappés par ses forces les plus lourdes, pour dissimuler sa faiblesse, désorienter l'ennemi, et ménager le sang de ses hommes. Philippe de Hauteclocque, aristocrate comme Jean de Lattre de Tassigny, a choisi comme nom de guerre celui d'un général de la République, beau-frère de Napoléon, ce qui est déjà un symbole. Il représente l'esprit de rébellion, de Lattre celui de la tradition. Les Allemands se défendent avec âpreté. Le terrain montagneux et boisé est difficile. Le brouillard rend inutilisable l'aviation. On se bat sous la pluie, on patauge dans l'eau, la neige et la boue, sous un froid qui gèle les pieds de nombreux combattants nord-africains non habitués à ce genre de climat et vêtus encore de leurs habits d'été d'Italie car leurs vêtements d'hiver n'ont pas pu leur être délivrés, faute de moyens de transport. Les troupes FFI, mal chaussées, sont dans un état à peine meilleur. Les Allemands tentent de refouler leurs assaillants par de fréquentes contre-attaques. Les Français n'en continuent pas moins à progresser, mais lentement. Les 16 et 17 octobre, la Winterlinie (ligne d'Hiver), sur laquelle les Allemands espéraient bloquer leurs adversaires est prise. Mais, un moment déstabilisé, l'ennemi se ressaisit et, grâce à des renforts venus de Carlsruhe (Kalsruhe), il se jette dans une violente contre-attaque qui cause d'importantes pertes dans les deux camps. Devant ces résultats, de Lattre décide de suspendre l'offensive tout en continuant de faire preuve d'agressivité, afin de donner le change à l'ennemi. La bataille des Vosges a retenu 55 000 combattants allemands appuyés sur 25 groupes d'artillerie étoffés de nombreux canons automoteurs et antichars. Le renforcement du front allemand s'est principalement effectué au détriment de la région de Montbéliarde (au sud de Belfort) qui offre maintenant une nouvelle opportunité. De Lattre envisage donc une offensive sur ce point. La 1ère division blindée est retirée du front des Vosges, avec le corps franc Pommiès et la brigade Alsace-Lorraine (une brigade issue des milieux d'Action française commandée par André Malraux ancien membre des Brigades internationales!). Cependant, une division venue de Norvège permet à l'ennemi de lancer une attaque au nord de La Bresse qui est écrasée par les feux convergents de deux artilleries divisionnaires françaises, avant leur départ pour l'autre front. Au même moment, la 7ème armée américaine demande aux Français de couvrir sur sa droite l'offensive qu'elle prépare contre Strasbourg. Le 3 novembre, dans ce but, la 3ème division d'infanterie algérienne, appuyée par la Légion étrangère et d'autres éléments, entreprend la conquête des hauteurs de Rochesson. Les Allemands ripostent avec une extrême violence. Mais, le 5 novembre, les objectifs des Français sont dépassés. Ils tiennent Rochesson, Menaurupt et les crêtes avoisinantes. Les 6 et 7, trois contre-offensives allemandes sont repoussées. Ces derniers coups de canons couvrent ce qui se prépare au sud que les unités du front des Vosges rejoignent sans se faire remarquer. Après quelques jours de repos pour permettre aux troupes de souffler un peu, de Lattre met au point son attaque sur Montbéliard et Belfort. Le 24 octobre, il expose son plan qui vise à se glisser par surprise entre Belfort et le Doubs, pour libérer les zones industrielles de Montbéliard et de Sochaux, puis de pousser au nord de la frontière suisse, vers Mulhouse, en espérant que cette action offrira des opportunités pour s'emparer de Belfort et de sa trouée. Pour ce faire, le 1er corps d'armées (Béthouart), celui du sud, reçoit la mission de rompre le dispositif ennemi au nord du Doubs, de libérer Montbéliard et Héricourt, puis de se diriger au nord de la frontière suisse et vers Mulhouse. Il est considérablement renforcé et réorganisé. Son flanc nord est confié au général Molle qui commande un groupement de FFI chargé d'assurer la liaison avec le 2ème corps. Dans ce secteur figure le réservoir de Champagney dont la destruction par les Allemands pourrait gêner la progression française par l'inondation de son voisinage. Le 2ème corps d'armées (de Monsabert), celui du nord ou des Vosges, à la gauche du précédent, devra maintenir ses attaques pour continuer de siphonner les réserves allemandes du sud. Sitôt la manoeuvre de 1er corps déclenchée, il débordera les défense de Belfort par le nord et tentera de rejoindre l'Alsace par les vallées vosgiennes. Un plan d'intoxication est mis en oeuvre pour tromper l'ennemi. On s'arrange pour que de fausses instructions tombent aux mains du Service de renseignement allemand. Des renforts semblent être envoyés vers le nord ostensiblement en plein jour et redescendent en catimini la nuit. La date est l'heure du début de l'opération est soigneusement tenue secrète. Churchill et de Gaulle, qui visitent la région le 13 novembre, ne savent pas qu'elle aurait dû commencer ce jour là mais que le mauvais l'a différée d'un jour. Le 14 novembre, à midi, l'artillerie du général Dumas, avec ses 400 canons, pilonne les positions allemandes pendant 40 minutes. Ensuite, les troupes françaises passent à l'attaque sous les flocons de neige. Du côté allemand, la surprise est totale. Dès le premier jour, le front est rompu. Les 15 et 16 novembre, les Allemands résistent, puis finissent par battre en retraite pour se rétablir sur la ligne Belfort-Delle. Le 17, les chars de la 5ème DB s'emparent d'Héricourt et de Montbéliard. Au nord, le groupement du général Molle prend Luze. A l'est, près de Delle, la 9ème division d'infanterie coloniale et les éléments de la 1ère DB qui lui ont été adjoints s'emparent intact du pont d'Hérimoncourt. L'ennemi semble complètement désorganisé. Béthouart reconstitue la 1ère DB de du Vigier en lui rendant les unités qui en avaient été distraites pour les actions précédentes et la charge d'achever la rupture du front ennemi entre Morvillars et Mulhouse avec la 9ème DIC pour la flanquer. En même temps, il décide de s'emparer de Belfort par surprise, avec la 2ème division d'infanterie marocaine, soutenue par la 5ème DB. En avant de Belfort, des ouvrages solides et défendus par des soldats résolus, parmi lesquels se trouvent des SS, doivent être neutralisés. Il s'agit au nord du fort Le Salbert, au sud-est du Salbert, de Cravanche et, au sud-ouest de Cravanche, d'Essert où se trouve un passage souterrain C'est là affaire de spécialistes et nous allons retrouver ceux que nous avons vus à l'oeuvre sur les hauteurs de Toulon. La tâche de prendre le Salbert échoit aux Commandos d'Afrique du lieutenant-colonel Bouvet. Les Bataillons de choc s'occuperont de Cravanche et de la forêt du Coudrai. Les Commandos de France (brigade du colonel Gambiez) se chargeront d'Essert. Bouvet s'est procuré méticuleusement tous les renseignements possibles sur son objectif. Il profite des 14, 15 et 16 novembre pour entraîner ses commandos au fort Saint-André qui domine Salins et qui comporte un environnement et des caractéristiques comparables à celui du Salbert. Il demande au commandement de bombarder copieusement les approches de Salbert pour détruire les champs de mines. Il envoie une mission de reconnaissance, dirigée par le commandant Mollat, sur la partie sud du fort. Il s'est même pourvu d'un guide qui, ayant travaillé sur le site pour les Allemands, en connaît merveilleusement les détails. Rien n'est laissé au hasard. Résultat, Bouvet et ses hommes, dans la nuit du 19 au 20 novembre, parviennent, après une longue marche en territoire ennemi, jusqu'au fort, y entrent sans éveiller personne et y font prisonnière la garnison allemande stupéfaite, sans morts ni blessés. Il ne reste plus qu'à se saisir du village de Valdoie, au nord de Belfort, et à tendre la main au Bataillon de choc de Cravanche. Le 19 novembre, vers 20 heures, Gambiez charge le commandant de Fauconcourt de trouver un moyen de franchissement du canal de la Haute Saône vers Essert. De Fauconcourt décide d'explorer le tunnel. Il s'y dirige en déroulant un fil téléphonique qui permettra de rester en contact et servira de cailloux du Petit Poucet pour ceux qui s'en retourneront ou viendront en renfort. Le tunnel paraît vide. A 21h30, on l'occupe et il s'avère non miné. Mais un peloton parti en reconnaissance tombe sur un large fossé antichar. La route est coupée par des barricades en chicanes, de pierres et de bois, qui n'offrent qu'un étroit passage. Une autre patrouille annonce que le village est aux mains de l'ennemi sans qu'il soit possible d'évaluer les effectifs, information confirmée par un prisonnier retardataire prélevé sur une corvée de ravitaillement. De Fauconcourt lance alors ses hommes à l'assaut du village. Pour faciliter l'action des Commandos de France, une compagnie du Bataillon de choc occupe le Coudrai avant le jour, au nord d'Essert, et un peloton de chars accompagné d'une autre compagnie du Bataillon de choc longe le bois de la Côte, au sud. Un passage sur le canal, à hauteur d'une écluse, est en cours d'aménagement; il permettra le débouché des chars et du Bataillon de choc. Les hommes de la 4ème compagnie du Bataillon de choc traversent le canal, à la file indienne, un par un sur une passerelle de fortune. Ils s'emparent du Coudrai et avancent en direction de sa croupe nord-est mais se heurtent à une vive résistance que le lieutenant Crespin surmonte par une habile manoeuvre de débordement. Dans le village, la réaction allemande tarde. Il y règne une désagréable atmosphère d'incertitude. Lorsque les Allemands découvrent que le village est en train de leur échapper, vers 3 heures, ils ripostent vigoureusement et mettent en difficultés les assaillants français. A 3h30, de Fauconcourt demande à l'artillerie de bombarder les lisières sud du Salbert et les lisières nord du bois de la Côte pour soulager les commandos d'Essert et gêner les renforts qui sont envoyés à leurs adversaires. Vers 5 heures, les guetteurs français signalent la venue de deux compagnies allemandes par la route de Bavilliers, au sud-est d'Essert. Vers 6h30, l'ennemi déclenche une violente contre-attaque. Ordre est donné au peloton de chars de Nodet d'avancer en direction d'Essert en nettoyant la lisière nord du bois de la Côte. Parti en retard, il n'arrivera que vers 14 heures au pont d'Essert. A 9 heures Gambiez, conscient de la dégradation de la situation, ordonne au lieutenant Vinciguerra, chef du Commando d'accompagnement n° 2 de rejoindre de Fauconcourt avec ses armes lourdes. La situation militaire devient ainsi plus équilibrée. Les combats sont rudes et meurtriers. Les Allemands recherchent le corps à corps. Mais les commandos français, convenablement ravitaillés en munitions sous le feu par l'adjudant-chef Walter, tiennent bon. A 11h30, un bulldozer parvient jusqu'au fossé antichar d'Essert. A 12h30 Essert est virtuellement aux mains des Français, l'ennemi semblant lâcher prise. A 13h30, le fossé comblé, les chars passent et ont raison des dernières résistances allemandes. Plus au nord, au sud des Vosges, ce 20 novembre, au cours de l'après-midi, la jeep que conduit le général Brosset, libérateur de Lyon et d'Autun, chef de la 1ère division française libre, un résistant de la première heure très réservé envers les officiers de l'armée d'armistice, dérape sur le pont du Rahin, à Champagney, dans la Haute-Saône, et tombe dans le torrent; le général est tué. Le matin même, il exhortait ses troupes au combat en leur disant : "Dans les jours qui suivent, je compte sur vous, les plus vieilles et les plus jeunes troupes de la nouvelle armée française, pour atteindre Giromagny et le Rhin au Nord de Mulhouse" allusion, peut-être, à l'entreprise audacieuse mentionnée ci-après. A Essert, les commandos se regroupent et se réorganisent. Cette fois l'objectif est Belfort. Vers 14 heures, ils s'ébranlent vers la cité mythique sous de violents tirs de l'artillerie ennemie. Mais cela ne ralentit pas leur allure. A 17 heures, ils sont au fort des Barres, aux portes de Belfort, tandis qu'au nord de la cité s'avancent ceux qui viennent de Valdoie et de Cravanche. A midi, les 1ère et deuxième compagnies du Bataillon de choc, qui arrivent de Cravanche, relèvent des unités des Commandos d'Afrique de Bouvet, au passage à niveau du nord de Belfort. A 13h30, elles sont rejointes par des chars et, à 14h30, elles se précipitent sur Belfort où elles pénètrent de vive force. La population aide les soldats français à entreprendre immédiatement le nettoyage de la ville. Le 21 est consacré à la poursuite de cette opération tandis que l'artillerie ennemie bombarde au hasard. Seul le château est encore au pouvoir de l'ennemi; sur un de ses glacis, Gambiez fait prisonniers des guetteurs transis et grelottants. L'attaque du château, qui serait très meurtrière, ne présente plus d'intérêt et les troupes se préparent à une audacieuse entreprise sur Masevaux, via Giromagny. Le 25 novembre, Belfort est enfin complètement libérée. Cependant, Béthouart a donné des instructions pour la progression vers le Rhin, par Seppois, de ses troupes qui se battent à proximité nord de la frontière suisse. Le fleuve est atteint, le 19 novembre, à Roseneau; de l'autre côté, commence l'Allemagne. Le 20 novembre, les Français sont à Mulhouse, en Alsace. Il reste à réduire au silence les unités allemandes que l'avance rapide vers l'est a laissé derrière elle, notamment dans la région de Morvillars, au sud de Belfort; ces unités menacent la ligne de communication française et parviennent même à la couper, le 21 novembre; le 24 novembre, la mission de nettoyage est accomplie. Le 7 novembre 1944, à l'occasion de l'anniversaire de la Révolution d'octobre, Staline classe le Japon parmi les agresseurs alors que l'URSS est toujours lié avec lui par un pacte de non agression. C'est un premier avertissement! 12 novembre 1944 : Fin du Tirpitz Fortement endommagé par le bombardement du 15 septembre, le Tirpitz est amené, sur fond plat sous sa quille, à 320 kilomètres plus au sud, dans le fjord de Tromsö, ce qui le met à portée des bombardiers d'Écossé. Le 29 octobre, des Lancasters échouent à le couler en raison du manque de visibilité. Mais, le 12 novembre, après un détour au-dessus des terres afin de l'attaquer de l'autre côté que celui où on les attend, ils lâchent leurs bombes perforantes Tallboy de 12 000 livres sur le navire qui est éventré, les soutes à munitions de l'arrière sautent en une immense déflagration, tandis que d'autres bombes frappent à l'avant. Le bâtiment chavire et sombre entraînant presque tous son équipage. On ne retirera de l'épave que 85 marins en pratiquant au chalumeau un trou dans la coque. Les déboires passés achevés sur cette apothéose ont coûté ont coûté aux Anglais 32 avions et deux sous-marins de poche! Le Führer peut être satisfait, sa puissante machine de guerre flottante n'est plus qu'une épave qui, désossée par les Norvégiens, sera vendue après guerre à titre de ferraille! 23 novembre 1944 : Libération de Strasbourg Pendant que de Lattre se bat au sud des Vosges, du 13 au 17 novembre, le 15ème corps américain, auquel appartient la 2ème DB du général Leclerc, attaque plus au nord, en direction de Saverne. Sous une pluie glaciale, et sur un terrain souvent transformé en bourbier, dans les forêts vosgiennes, il lui faut percer deux lignes de fortifications allemandes : la Vorvogesenstellung et la Vogesenstellung, mises en place au début de l'automne pour barrer les trouées des Vosges. Les chars de Leclerc flanquent les Américains sur leur droite, au sud, et sur leur gauche, au nord. Le 17 novembre, sur la droite, le sous-groupement La Horie, prend d'assaut Badonviller et ouvre une brèche dans le dispositif allemand. La 708ème division allemande se replie très éprouvée sur le Donon. Le 18, cet officier de cavalerie, champion d'équitation, sorti de la même promotion que Leclerc de l'école de cavalerie de Saumur, Leclerc premier et lui second, est tué à la tête de ses troupes; c'est une perte vivement ressentie. Le 18, Morel-Deville prend Parux, il atteint Cirey, au-delà de la première ligne de défense allemande. Puis, le 19, malgré le risque de manquer de carburant qui le menace, il se rue sur Lafrimbole, au niveau de la seconde ligne de défense allemande, où il est arrêté par un bataillon de chasseurs s'appuyant à des destructions. Leclerc est à Cirey, le matin du 19. Il décide un mouvement d'enveloppement de Saverne par le nord et par le sud. Le 20 novembre, au nord, le sous-groupement Quilichini déborde Sarrebourg, se jette sur la seconde ligne de défense allemande, y fixe les forces ennemies et en triomphe, par des attaques continues, à l'ouest de Phalsbourg. Le sous-groupement Rouvillois, un peu plus au nord, est retardé par les destructions causées par l'arrière-garde allemande, mais prend Rauwiller et avance en direction du dispositif allemand de défense du col de la Petite-Pierre. Le 21, il y anéantit les débris d'un bataillon d'infanterie allemand. Au sud, le 20 novembre, Leclerc lance le groupement Langlade par deux itinéraires différents sur l'important carrefour de Rehthal. Le 21, sous une pluie battante, Massu, suivi par tout le groupement Guillebon, monte les pentes du Daho, franchit le col et y balaie une batterie ennemie avant qu'elle n'ait pu détruire le seul accès à la plaine d'Alsace laquelle est atteinte dans la nuit, au niveau de la route Marmoutier-Wasselonne. C'est à cette occasion que, dans le brouillard, faute de visibilité, Leclerc se serait servi de son intuition et de son oreille affinées par la chasse à courre pratiquée dans sa jeunesse pour détecter la présence ennemie. De partout, les Allemands fuient comme ils peuvent sur les routes tortueuses des ballons vosgiens. Le 21 novembre, Leclerc prépare la charge sur Strasbourg. Massu et Rouvillois font leur jonction à Dettwiller. La boucle s'est refermée sur Saverne et Minjonnet est envoyé vers Phalsbourg à la rencontre de Quilichini. Le 23, tandis que Dio surveille le nord et que Remy empêche toute réaction adverse depuis Molsheim, pour sécuriser ses arrières, Leclerc ordonne l'assaut sur la capitale de l'Alsace et les forts qui la défendent, avec la consigne de ne pas s'attarder et de contourner, le cas échéant, les résistances. Les prisonniers ne seront pas gardés; on se contentera de les désarmer et de briser leurs armes. L'objectif ultime est le pont de Kehl qu'il s'agit de prendre intact. Plusieurs colonnes foncent à vive allure sur la ville sous la pluie. Chacun espère être le premier à pénétrer en Allemagne. Au nord, l'effet de surprise joue en faveur de Rouvillois; à Brumath, sont détruits les véhicules d'un convoi qui tente de fuir vers le nord; la résistance se durcit en abordant les forts, mais elle est de courte durée; les premiers éléments entrent dans la ville où l'effet de surprise joue à nouveau. Au sud, Debray, qui s'est emparé du fort Lefebvre, se faufile au milieu d'une colonne en retraite et neutralise les défenses de l'aérodrome. Putz passe de vive force, vers 11 heures, sous les feux du fort Kléber et parvient au sud de Neudorf dans l'après-midi. Cantarel et Massu occupent le centre et l'ouest de la ville. Mais, entre le Rhin et le Petit-Rhin, la surprise ne joue plus et la défense se durcit. Les Allemands ont maintenant leur patrie derrière eux! Mais ce n'est qu'un baroud d'honneur car ils n'ont plus les moyens de chasser les Français et les Américains de Strasbourg. Ils ont tout de même la consolation d'un échec de leurs adversaires : ceux-ci ne prendront pas le pont de Kehl et ne parviendront pas à créer une tête de pont en territoire germanique. Un jeune alsacien de la 2ème DB, natif d'un village voisin, le maréchal des logis Zimmer, est tué dans son char à quelques mètres du pont, sans avoir revu sa famille. Avant la tombée du jour, tous les quartiers de Strasbourg étant tombés, Leclerc fait hisser le drapeau tricolore sur la cathédrale de Strasbourg. Le serment de Koufra est tenu. Le général dit à l'un de ses lieutenants qui le rapportera : "Maintenant, mon cher Dio, nous pouvons crever!" Octobre-décembre 1944 : Conquête de Leyte MacArthur va être doté de la plus grande force navale jamais déployée dans ces parages pour prendre la petite île de Leyte, au sud de Luçon et au nord de Mindanao, prochain objectif des Américains dans le Pacifique. Il va avoir le soutien de la 3ème Flotte (Hasley) détachée des forces de Nimitz. Cette puissante flotte est chargée, avec ses avions embarqués, de protéger le débarquement. Mais Nimitz lui a également demandé de détruire la flotte japonaise, si l'opportunité s'en présente. Hasley poursuit donc deux objectifs, ce qui risque de poser problème si, à un moment crucial, il ne se trouve pas là où il pourrait être le plus utile. Sous les ordres directs de MacArthur est placée la 7ème flotte de Kinkaid qui comporte plus de 100 navires de guerre modernes et cinq fois plus de navires de transports, de ravitailleurs, de péniches, avec 500 avions. Le général américain dispose des 200 000 hommes de la 6ème armée du général Krueger. Et il aura aussi le soutien des forces aériennes d'Extrême Orient de Kenney, avec ses 2 500 appareils. Les Japonais savent qu'ils vont être attaqués et ils ont dressé un plan de riposte, le plan Sho (victoire). Mais ils ignorent où l'affrontement va avoir lieu. Ce plan porte donc sur un immense territoire où sont dispersées les forces nippones, lesquelles ont été fortement affaiblies lors des dernières défaites. L'armée impériale ne dispose plus que d'un nombre réduit d'avions, pour ne prendre que cet exemple. De plus, l'organisation de cette armée ne permet pas de coordonner correctement l'emploi des différentes armes ni de réagir rapidement face à un événement imprévu. Il faut parfois remonter jusqu'à Tokyo pour prendre une décision importante! L'amiral Toyoda dirige l'ensemble de la flotte et le maréchal Terauchi l'armée de terre (Yamashita) et l'aviation (Tominaga). Armée de terre et aviation sont séparées, par l'absence d'ordre supérieur de coopérer, mais aussi par des rivalités entre fantassins et marins. Tominaga et Yamashita sont indépendants l'un de l'autre et doivent prendre leurs ordres auprès de Terauchi. L'exécution de Sho, n'en sera pas facilitée! Le 10 octobre, Halsey lance une attaque de diversion sur les Ryu Kyu, au nord des Philippines. Toyoda tombe dans le piège et donne l'ordre d'entamer les opérations navales Sho1 (défense des Philippines) et Sho2 (défense de Formose et des Ryu Kyu). L'amiral japonais lance la totalité de sa flotte aérienne pour s'opposer à une invasion qui est prévue ailleurs. Tominaga, reste à l'écart de cette affaire. Halsey, abat 600 avions des forces japonaises et perd 100 avions américains. L'aéronavale japonaise, déjà mal en point, le devient encore plus et le déséquilibre au profit des Américains s'accentue. Mais, comme Halsey, qui a obtenu ce qu'il voulait, se retire, Toyoda pense qu'il vient de remporter une grande victoire et imagine même qu'il a détruit la flotte adverse. Tokyo en est avisé et l'empereur organise des cérémonies dans tout le pays! Pourtant, l'absence d'avions embarqués et de pilotes expérimentés rend désormais impossible la phase aérienne de l'opération Sho. Certes la flotte lmpériale est encore impressionnante, mais que vaut-elle sans véritable protection aérienne? Les 17 et 18 octobre, les forces américaines débarquent sur trois petites îles qui gardent les abords du golfe de Leyte. Les entreprises de déminage du golfe commencent aussitôt. Les 18 et 19 octobre, les navires de guerre et l'aviation bombardent les plages du débarquement. Du côté japonais, Toyoda est le premier à réagir. Dès le 17, il donne l'ordre à sa flotte de combat de lever l'ancre. Le 18, il décide une attaque générale des envahisseurs dans le golfe de Leyte. Le même jour, vers midi, Terauchi et Tominaga comprennent que l'invasion a commencé. La flotte japonaise se dirige vers le golfe de Leyte, à travers le labyrinthe des îles et des détroits philippins. L'amiral Kurita compte déboucher au nord de Samar et de Leyte, par la mer de Sibuyan et le détroit de San Bernardino, avec les navires géants Musashi et Yamato de 64 000 tonnes et 3 autres navires de ligne, 12 croiseurs et 15 destroyers. A droite, l'amiral Nishimura, suivi par l'amiral Shima, se dirige vers le détroit de Surigao entre Leyte et Mindanao. Le chemin est long pour ces escadres japonaises dépourvues de couverture aérienne. Toyoda a réservé à l'escadre de l'amiral Ozawa le rôle ingrat d'attirer à lui, avec les porte-avions qui lui restent, la flotte de Hasley. Ces porte-avions ne sont pas complètement opérationnels, leurs pilotes, insuffisamment formés, savent décoller mais ne sont pas capables d'apponter! Mais cela, l'amiral américain évidemment ne le sait pas, et Toyoda espère bien retenir à l'écart du combat naval qui se profile une flotte qu'il a soi-disant anéantie quelques jours plus tôt! Les avions américains coulent l'un des deux navires les plus puissants de la flotte japonaise de Kurita, le Musashi. Des appareils japonais venus de Luçon envoient par le fond le porte-avion Princeton de Halsey. Parvenu au détroit de San Bernardino, Kurita s'aperçoit que la flotte de Halsey l'y attend; ayant déjà perdu l'un de ses fleurons, il préfère reculer prudemment. Peu de temps après, Halsey a vent de la présence de l'escadre d'Ozawa au nord. Il croit savoir que c'est là que se trouvent la plupart des porte-avions japonais avec leurs avions et il est décidé à les empêcher d'approcher de Leyte, première de ses missions, et à les détruire si possible, deuxième de ses missions. Le 24, en soirée, il se dirige sur Ozawa. Le piège de Toyoda vient de fonctionner. En partant, Halsey omet de laisser une garde à l'entrée du détroit pensant que Kinkaid, chef de la 7ème Flotte, celle de MacArthur, s'en occupera. La voie est libre pour Kurita qui revient. A droite, Nishimura se heurte à la 7ème Flotte américaine (Oldendorf) qui barre le détroit de Surigao. Il échappe aux vedettes lance-torpilles, mais le 25 octobre, vers 3 heures du matin, il tombe sous le feu de l'escadre américaine. Le cuirassé Fuso est torpillé. Un violent tir d'artillerie stoppe la flotte nippone, puis la repousse. Un croiseur, le Mogami, et un destroyer, le Shigure, en piteux états fuient vers le sud. Mais, dans le feu de l'action, la marine américaine inflige de graves avaries à l'un de ses navires, le destroyer Albert Grant. Nishimura coule avec le Yamashiro. Quand Shima arrive sur les lieux, il ne peut que constater le désastre et se retire sans avoir participé au combat. Il prévient Kurita de son issue. Ce dernier, une fois franchit sans rencontrer personne le détroit de San Bernardino, se dirige vers le sud et le golfe de Leyde, le matin du 25 octobre. Il rencontre une petite escadre américaine avec des porte-avions, celle de Sprague. Cette escadre est surprise car elle pensait que le détroit était gardé. Elle n'est pas de taille à lutter contre celle de Kurita et tente de lui échapper en manoeuvrant, cachés par des écrans de fumée, et en envoyant ses destroyers et ses escorteurs plus légers contre les lourds navires japonais. Ces manoeuvres désorganisent complètement la ligne de Kurita, qui perd presque le contrôle de ses bâtiments, tandis que l'aviation américaine, maîtresse du ciel, le pilonne sans relâche. Kurita perd trois croiseurs. Mais les pertes de Sprague sont lourdes : un porte-avions d'escorte, trois destroyers et escorteurs sont coulés. Sprague craint le pire quand, soudain, Kurita bat en retraite. L'amiral japonais, après réflexion, pense que le débarquement a déjà été effectué et qu'il se trouve en face des transports de troupes qui s'en retournent. Il estime qu'il ne doit pas exposer sa flotte plus longtemps aux avions américains en s'acharnant contre une cible devenue sans intérêt. Mais les malheurs de Sprague ne sont pas terminés. Deux heures à peine après la retraite de Kurita, des avions japonais surgissent au raz des flots, pour échapper aux radars, et se jettent sur les porte-avions; c'est la première apparition des kamikazes! Le Saint-Lô est coulé et plusieurs autres bâtiments sont endommagés. Sprague réclame des secours. L'appel parvient jusqu'à Nimitz à Pearl Harbor. Ce dernier donne l'ordre à Halsey de retourner vers le golfe de Leyde. L'amiral américain, fort de son aviation embarquée, est en train de détruire méthodiquement l'escadre d'Ozawa qui a déjà perdu trois navires. Les aviateurs japonais participent au combat mais ils sont trop peu nombreux et, après avoir accompli leur mission, ils sont contraints d'aller se poser sur un terrain d'aviation éloigné, privant ainsi d'appareils les porte-avions! Halsey quitte avec regret le terrain de ses exploits, mais en y laissant Mitsher qui réussit à couler un croiseur. Ozawa, mission accomplie, se replie vers le nord. Halsey rejoint Sprague alors que ce dernier est tiré d'affaire. Son retour n'a donc servi qu'à sauver Ozawa! Les Américains ont gagné la bataille navale de Leyte. Et les bombardements des plages par les avions de Tominaga n'ont pas causé trop de dégâts. Mais l'île reste à conquérir. A la fin du mois d'octobre, la pluie tant redoutée arrive, noie les aéroports qu'elle transforme en bourbiers, les rendant totalement inutilisables, ce qui n'empêche pas les Japonais d'entreprendre des opérations contre eux, notamment des bombardements et des lâchers de parachutistes pour tenter de les reprendre. L'avance américaine est sérieusement freinée. Yamashita ordonne à son subordonné sur place, Susuki, de résister à outrance et de contre-attaquer. Le 7 décembre, un nouveau débarquement à lieu de l'autre côté de l'île, vers Ormoc. Le 19 décembre, Yamashita prévient Susuki, qu'il ne recevra plus ni renfort, ni aide. Sur les 65 000 soldats japonais du début, il n'en reste plus que 15 000. Le 25, Yamashita envoie son dernier message à Susuki. C'est la fin, mais le nettoyage de l'île prendra encore des mois. Susuki ne la quitte qu'à la fin mars 1945, pour mourir trois semaines plus tard sous les bombes américaines. La conquête de Leyte a coûté 5 000 morts et 14 000 blessés aux États-Unis. Les pertes japonaises sont beaucoup plus importantes. L'échec cinglant du plan Sho porte un rude coup au Japon dont la flotte ne pourra plus reprendre l'offensive. L'empire du Soleil levant en est maintenant réduit, faute d'armes miracles, à l'expédient des attaques suicides terrifiantes, mais sans réelle portée militaire. MacArthur possède enfin une base rêvée pour partir à la reconquête des Philippines. 27 novembre - 24 décembre 1944 : Première bataille de Colmar Le 21 novembre, de Lattre est à Mulhouse. Le 23, Leclerc est à Strasbourg. Mais les Allemands sont encore en Alsace, notamment à Colmar, entre Mulhouse et Strasbourg; leur 19ème armée, affaiblie par les derniers combats ne reçoit plus de renforts depuis l'autre côté du Rhin, malgré ses demandes pressentes et, le 25 novembre, elle commence à s'y replier. Cette armée est enfermée dans une poche, avec le Rhin à l'est, la 2ème DB de Leclerc et les Américains au nord, de Monsabert dans les Vosges à l'ouest et Béthouart au sud. Réduire cette poche devient l'objectif des Alliés sur ce front. Pour cela, Leclerc est rattaché à de Lattre, ce qui ne va pas arranger les rapports entre les deux généraux français. Le 27, de Lattre, dans son ordre général d'opérations n° 167, invite ses subordonnés à ne pas laisser le temps aux Allemands de se ressaisir. Dans cet esprit, le 29 novembre, Béthouart monte une opération, avec la 5ème division blindée en direction de Cernay; il est prêt à passer à l'attaque le 30. Mais le 29, en soirée, de Lattre, pris subitement de prudence, ordonne à la 5ème DB de se mettre en réserve dans la région de Dannemarie. Cet ordre, qui annule l'opération sur Cernay, est motivée le lendemain par la nécessité, avant de passer à l'offensive, de consolider les positions françaises au sud pour éviter toute mauvaise surprise. Il est enjoint en même temps à de Monsabert de poursuivre ses opérations en montagne pour déboucher sur la plaine d'Alsace en direction de Colmar. En décembre, les grands froids arrivent avec une neige comme on en a rarement vue. Le 3 décembre, de Monsabert est placé à la tête de toutes les forces alliées de l'ouest et du nord de la poches; les Américains et la 2ème DB lui sont subordonnés. Les Allemands décrochent, notamment dans la région de Thann. Le Hohneck est pris dans la nuit du 3 au 4 décembre. Les Français ont l'impression que l'ennemi évacue l'Alsace. Mais, le 6 décembre, Himmler vient en personne diriger les troupes allemandes. L'ennemi tente de reprendre l'initiative au Hohneck et à la Schlucht, il inonde les abords de l'Ill. Des renforts affluent d'Allemagne et la région au sud-ouest de Sélestat (Sigolsheim, Kaysersberg, Orbey) fait l'objet de vigoureuses contre-attaques. Le 13 décembre, la 2ème DB passe à l'action. Elle se dirige vers Marckolsheim et Neuf-Brisach, direction prise très au sérieux par les Allemands car elle menace de les couper du Rhin. Le 15, depuis le Bonhomme jusqu'au nord de Sigolsheim, sur un front de 20 kilomètres, sur un terrain montagneux, pentu, où alternent prairies et forêts couvertes de neige, les Alliés lancent leur principale offensive. L'objectif est Orbey; le 15 au soir, les tirailleurs et les chars du 1er Cuirassiés du colonel Dubreuil tiennent les deux tiers de l'agglomération qui est totalement nettoyée le lendemain. Les affrontements ont été particulièrement violents. Le 17, Kaysersberg, Kientzheim et Ammerschwihr sont pris par la 36ème division d'infanterie US et des éléments détachés de la 5ème DB (colonel Mozat). Colmar n'est plus qu'à 6 kilomètres! Mais l'ennemi contre-attaque à plusieurs reprises pour reprendre le terrain cédé et les pertes s'accumulent dans les deux camps. Nombre de tirailleurs et goumiers souffrant de bronchites ou de gelures aux pieds et aux mains doivent être évacués. Au 31 décembre, 206 officiers, gradés et hommes du 1er régiment de cuirassiers sont hors de combat et 25 chars sur 54 ont été détruits. Certes, l'ennemi a laissé aux troupes alliées 5 500 prisonniers et a perdu un plus grand nombre encore de tués et de blessés. Mais de Lattre estime que les maigres conquêtes qu'il peut encore espérer seront trop coûteuses et, dès le 24 décembre, il ordonne à ses troupes de se mettre sur la défensive. 1944-1945 : Les supplétifs
de la Wehrmacht d'origine soviétique en France
Au cours de la guerre beaucoup de citoyens soviétiques ont été fait prisonniers ou ont été arrêtés et déportés en Allemagne comme main d'oeuvre. En dépit du mépris affiché par le régime nazi envers les Slaves, la Wehrmacht, dont les effectifs ont fondu, a tenté de puiser là quelques renforts. Par idéologie, ou pour améliorer leur sort, certains se sont engagés dans l'armée allemande ou ont été contraints de le faire. On peut le comprendre quand on connaît le taux de mortalité de ces captifs. Ceux qui devinrent supplétifs de l'armée allemande (Tatars, Géorgiens, Arméniens de Dro et bien d'autres encore...) furent utilisés pour réprimer les mouvements de résistance en France et ailleurs, tâche qu'ils accomplirent avec beaucoup de zèle et de brutalité, notamment dans le Massif central. Sentant le vent tourner, nombre d'entre eux finirent par changer leur fusil d'épaule et par gagner le maquis. Vers la fin de la guerre, ils furent regroupés en Auvergne en vue d'être renvoyés en Union soviétique, dès que ce serait possible. Leurs baraquements affichaient un patriotisme soviétique d'autant plus ostensible qu'il visait à faire oublier que, quelques mois plus tôt, ils se battaient sous l'uniforme hitlérien! Dans les conditions chaotiques de l'époque, ces hommes, souvent armés, se livrèrent à de nombreuses exactions (rixes, vols...) qui terrorisaient et indisposaient la population au voisinage de leurs camps. 16 décembre 1944 - 30 janvier 1945 : Bataille des Ardennes En décembre 1944, sur le front occidental, les armées alliées occupent une longue ligne, depuis la mer du Nord jusqu'à la frontière suisse. Cette ligne suit un parcours sinueux. Au nord, à travers la Hollande, elle est orientée de l'ouest à l'est. A hauteur de Nimègue, elle change brusquement de direction pour se diriger vers le sud. Ce coin nord-est est gardé par les soldats de Montgomery, avec la 1ère armée canadienne et la 2ème armée britannique. Ensuite, elle continue vers le sud en traversant les Ardennes où se trouvent les Américains de Bradley, avec sous ses ordres Simpson et Hodges. Puis elle repart vers l'est, le long du nord de la Lorraine et de l'Alsace jusqu'à Lauterbourg où elle repart vers le sud jusqu'à Bâle; ce très long secteur est confié à Devers, avec Patton, qui prépare une offensive sur la Sarre, Patch et la 1ère armée française de de Lattre dans les Vosges et en Alsace. Le tracé de cette ligne suit à peu de choses près les frontières de l'Allemagne, si l'on fait abstraction de l'importante poche de Colmar encore en mains allemandes. Le front des Ardennes est calme. La densité des forces américaines y est faible, l'essentiel étant au nord, vers Aix-la-Chapelle, où de durs combats ont été livrés, et au sud, dans le secteur de Patton qui prépare une attaque sur la Sarre. Bref, le gros des armées alliées est concentré en direction des deux zones industrielles de la Ruhr et de la Sarre vitales pour la poursuite de la guerre par l'Allemagne. Une brèche de 3 kilomètres existe même au centre-nord entre le 5ème corps et le 8ème (Middleton). On envoie dans les Ardennes les troupes au repos et de nouvelles unités, qui n'ont pas encore combattu. C'est donc un maillon faible dans la ligne des Alliés. Une offensive à portée limitée y a néanmoins été déclenchée sur les barrages de la Roer pour éviter que l'ennemi ne les utilise afin d'inonder les environs. En Allemagne, pendant l'été, Hitler a porté l'âge de conscription de 16 à 60 ans; l'industrie produit plus que jamais malgré les bombardements. Il a donc réussit le tour de force de recréer une nouvelle armée pourvue d'un matériel de premier ordre. Le front allemand a été raccourci; il est plus concentré et propice à une offensive massive. Depuis le 9 août 1944, le Führer rêve de rééditer l'exploit de 1940 et, en attaquant dans les Ardennes, où il pense qu'on ne l'attend pas, il espère percer jusqu'à Anvers de manière à pouvoir négocier une paix séparée, avec ses adversaires occidentaux, en position de force. Jodl et Keitel ont été chargé d'élaborer, dans le plus grand secret, le plan de cette grandiose opération (Wacht am Rhein). Les numéros de certaines armées sont changés pour masquer leur déplacement. On dit que von Rundstedt, un spécialiste de la défensive, a été nommé par Hitler comme chef à l'Ouest pour tromper ses adversaires et que la véritable coordonnateur de l'opération est Model, un spécialiste de l'offensive; mais cette opinion est douteuse car von Rundstedt a été nommé avant Market-Garden. Von Rundstedt, qui n'a jamais été battu et qui, peut-être en raison de son âge, jouit d'une bonne opinion dans l'armée, a sans doute été choisi pour remonter le moral de cette dernière. On peut taxer Hitler d'extravagance, pourtant, son plan n'est pas totalement irréaliste car, s'il réussissait, les forces alliées seraient coupées en deux, avec grosso modo les Anglais au nord, dans une bien mauvaise posture, et les Américains au sud, et ils seraient privés de leur port d'approvisionnement de proximité; les forces allemandes pourraient alors être massivement tranférées vers le front Est où les Russes, beaucoup plus dangereux, sont aussi aux frontières de l'Allemagne. Mais le plan du Führer n'est pas du goût de ses exécutants, que ce soit Model ou von Rundstedt, qui le trouvent trop audacieux; ils préféreraient une action moins ambitieuse, la petite solution, visant à refouler les Alliés entre Aix-la-Chapelle et la Meuse. Cependant Hitler tient à son plan, et ses généraux devront l'exécuter. Sur l'ensemble du front des Ardennes, les forces alliées et celles de l'Allemagne sont à peu près équilibrées. Mais il n'en va pas de même au niveau de l'attaque où Hitler, avec plus de 200 000 hommes et un matériel récent, dispose de l'avantage numérique et de la puissance. Cependant, il sait qu'il n'aura pas la maîtrise de l'air et que la pénurie de carburant commence à se faire sentir; c'est pourquoi, il décide de frapper à une époque de brouillard et de givre qui empêchera les avions de voler. De plus, ses soldats de 16 ans et de 60 ans n'ont certainement pas la valeur de ceux qui, en 1940, ont triomphé de la France en un mois. Enfin, l'offensive ne se déroulera pas sous un soleil printanier mais sous la neige et sur le verglas d'un hiver rigoureux qui retardera l'avance des blindés. Le dispositif allemand est le suivant. Au nord,
la 15ème armée est chargée de fixer les Alliées
et de flanquer l'offensive sur sa droite, à hauteur d'Aix-la Chapelle.
Au centre, deux armées blindées, la 6ème SS
et la 5ème, confiées respectivement au général
SS Sepp Dietrich, un adhérent de la première heure
du parti nazi, et au général von Manteuffel, un des généraux
de choc de la Wehrmacht, doivent frapper et percer les défenses
alliées; Dietrich a sous ses ordres un jeune lieutenant-colonel
SS qui va faire parler de lui, Joachim Peiper; La mission du général
SS est d'aborder la Meuse au sud-ouest de Liège, de se saisir
des ponts, puis de foncer sur le nord d'Anvers. La mission de von Manteuffel
est de franchir la Meuse vers Namur et d'aborder Anvers par le sud; une
troisième pointe, plus au sud, sera lancée par Bastogne.
La 7ème armée flanquera l'offensive sur sa gauche en progressant
d'Echternach à Diekirch. Deux noeuds routiers vitaux doivent être
rapidement conquis par von Manteuffel : Saint-Vith et Bastogne.
Le Führer a prévu pour cette offensive
25 divisions, mais les besoins du front de l'Est ne lui permettra pas d'en
affecter plus de 20. En Hollande, Student, qui tient une partie du pays
avec sa 15ème armée, ex 25ème, doit participer
à l'opération au moment opportun.
Le 16 décembre, à 5h30, après une violente préparation d'artillerie qui tire les Américains de leur sommeil, puis un engagement de patrouilles visant à s'assurer de quelques carrefours, les forces d'assaut passent à l'attaque, vers 8 heures. Des projecteurs s'allument créant, par réflexion sur les nuages, une sorte de clair de lune artificiel. La surprise est d'autant plus grande du côté américain que les services de renseignements n'ont pas su déceler la concentration allemande. Les soldats, qui comptent dans leurs rangs nombre de jeunes recrues, d'abord déconcertés, résistent autant qu'ils le peuvent, et mieux qu'on aurait pu le supposer. Ils bénéficient, il est vrai, du concours des unités aguerries qui viennent de se battre sur la Roer et de leur abondante et puissante artillerie qui bloque les Volksgrenadieren de Dietrich. Seul Peiper, qui piaffe d'impatience, ose se lancer à travers un champ de mines, au prix de quelques chars perdus, pour progresser rapidement à travers la brèche entre les 5ème et 8ème corps américains. Von Manteuffel avance vers Saint-Vith, mais une partie de ses forces est retenue à 1 500 m de leur point de départ, sur le massif de l'Eifel, par deux régiments d'infanterie américaine qu'elle devait encercler. Au nord, la 15ème armée piétine ce qui n'est pas de bon augure pour le flanc droit allemand; la réduction des effectifs se fait sentir. La protection du flanc gauche, vers Echternach, n'est pas mieux assurée que celle du flanc droit; le passage de la Sûre, une rivière au courant rapide, s'avère périlleux, et les moyens matériels allemands, malgré leur écrasante supériorité numérique, sont insuffisants (canons automoteurs américains contre artillerie hippomobile allemande). Les récits de la bataille donnent l'impression d'une certaine confusion; les retards dans le cheminement des armées et l'exode des civils causent de gros embouteillages, eux mêmes facteurs de ralentissement. Skorzeny et ses commandos, déguisés en Américains et circulant en jeeps, coupent les liaisons téléphoniques et causent du désordre parmi les troupes alliées. Ils prendront le pont d'Huy sur la Meuse, vers lequel se dirige Peiper, mais cette équipée picaresque tient davantage du floklore que de la vraie guerre. Pour les assaillants, les victoires sont plus nombreuses que les revers, mais ils se montrent incapables de tenir leur horaire de marche alors que la vitesse d'exécution est vitale dans ce genre d'entreprise. En fin d'après-midi, Eisenhower et Bradley se rencontrent à Versailles. Faute de renseignements aériens, à cause du mauvais temps, ils n'ont aucune idée précise de la situation. De plus, les lignes téléphoniques ont été détériorées par les tirs de barrage. On croit d'abord à une simple action destinée à prévenir une attaque américaine. Bradley cependant demande des renforts à la 9ème armée (Simpson), au nord, et fait également appel à la 3ème armée (Patton), qui dépend de Devers, à sa droite. La météorologie favorise les assaillants en immobilisant l'aviation alliée. Simpson dépêche deux de ses divisions pour renforcer les positions à l'ouest de l'Amblève. La 7ème Division est envoyée en soutien de Saint-Vith. La 10ème division blindée est dirigée vers Echternach pour protéger Bastogne. Le général Hodges réaménage ses forces. Le 17 décembre, à 3 heures, les parachutistes de von der Heydte, un vétéran de la bataille de Crète, sont lâchés au nord de Malmédy; ils doivent s'emparer du carrefour de Rigi; dispersés par suite du manque de formation des aviateurs, ils ne retrouveront pas leur armement lourd, se regrouperont difficilement et, le 23, les rescapés se rendront aux Américains; cet échec retarde la progression de Dietrich. Néanmoins, Peiper, qui poursuit sa chevauchée solitaire, prend Honsfeld, où il fait fusiller 19 Américains désarmés, et s'empare d'un dépôt de carburant à Bullange (Bolindje). Il capture, près de Malmédy, une centaine d'artilleurs américains qui sont fusillés dans une prairie par les SS qui suivent; seuls quelques-uns réussissent à échapper à ce carnage pour le raconter à leurs camarades; le massacre de Baugnez est vite et largement diffusé par le téléphone arabe. Les Américains vérifient ainsi, malheureusement à leur dépens, que ce que disaient les Soviétiques sur les atrocités commises sur le front de l'Est n'étaient pas uniquement de la propagande! Loin de démoraliser les soldats américains, ce drame renforce leur esprit combatif et leur volonté de ne pas se rendre. Le soir Peiper est devant Stavelot; là il marque un temps d'arrêt face à un amas de véhicules américains qui en impose sans doute mais qui n'est guère dangereux; cet arrêt va s'avérer lourd de conséquences en permettant l'arrivée de renforts adverses. Le même jour, à la tombée de la nuit, les soldats américains de l'Eifel sont encerclés. A Saint-Vith, de jeunes recrues américaines résistent vaillamment en attendant le renfort de la 7ème DB US, qui croise à peu de distance de Peiper sans que les deux formations ne se voient. En avant de Clervaux, sur le chemin de Bastogne, les passages de l'Our et du Clerf, malgré les ruses de von Manteufel, et la bataille des crêtes, sont plus difficiles qu'il n'était prévu; la 28ème division d'infanterie américaine du général Cota est encerclée, mais elle freine l'avancée ennemie. Vers 20h30, à la demande d'Hodges et avec l'accord réticent d'Eisenhower, les unités américaines d'élite 82ème et 101ème aéroportées, qui se reposaient à Reims des fatigues de Market Garden, reçoivent leur ordre de départ pour les Ardennes, la première vers Verbomont, dans la région soumise aux assauts de Peiper, la seconde pour Bastogne; elles s'envolent pendant la nuit. De nombreux autres renforts sont envoyés à Hodges dans les huit jours qui suivent. Les Américains mettent en place un dispositif destiné à tenir fortement les bords du saillant allemand afin d'empêcher leur adversaire de se déployer. Le 18, Peiper prend Stavelot, mais il arrive trop tard pour s'emparer d'un dépôt de carburant qui a été détruit par les éléments de l'armée belge qui le gardaient. Il va bientôt manquer d'essence et progresse plus lentement dans la vallée de l'Amblève, enlève La Gleize, et s'avance jusqu'à Stoumont où il est stoppé par une attaque aérienne, ce qui donne aux Américains le temps de faire sauter un pont, et l'oblige à rétrograder. Le même jour, von Rundstedt, prévoyant la suite, déclare que les forces allemandes doivent maintenant se préparer à défendre le terrain conquis. Model estime également que l'opération Wacht am Rhein va tourner court. Le 19, Peiper se heurte à la 82ème aéroportée et à d'autres unités américaines dans les environs de Stoumont où il est même pris à revers. Dans la région de Saint-Vith, les deux régiments américains isolés de l'Eifel sont capturés, mais la 7ème DB US tient fermement un fer à cheval qui oblige les Allemands à engager des renforts au moment où ils commencent à manquer de carburant. Von Manteuffel se faufile dans la brèche entre Verbomont et Bastogne et s'empare d'Houffalize. A Bastogne, les défenseurs reçoivent le soutien de la 101ème aéroportée commandée provisoirement par le général McAuliffe. Eisenhower, qui y voit maintenant plus clair, réunit ses subordonnés à Verdun; il leur annonce l'arrivée prochaine de renforts; il va solliciter l'autorisation d'employer une arme nouvelle : les fusées de proximité commandées par radar; il prescrit à Bradley et à Devers d'allonger leurs fronts pour monter une attaque sur la gauche allemande qui est difficilement retenue vers Diekirch; le front des Ardennes devient prioritaire et toute autre attaque ailleurs doit être reportée; la Meuse ne doit pas être franchie par la Wehrmacht. Il demande à Patton combien de temps il lui faut pour lancer une attaque sur Bastogne. Le bouillant général répond : "Trois jours", ce qui déclenche l'hilarité de l'assistance qui tablait sur au moins le double. Ce que tout le monde ignore, c'est que Patton s'attendait à cette demande et qu'il a déjà presque tout préparé! Bradley, dont le QG est à Luxembourg, ayant pratiquement perdu ses communications avec ses troupes, sur la suggestion du général anglais Strong, chef des services de renseignements, Eisenhower décide de placer la 9ème armée (Simpson) et la 1ère armée (Hodges), sauf son 8ème corps, sous les ordres de Montgomery. Ce transfert d'autorité n'est ni du goût de Bradley, ni de celui d'autres généraux américains qui n'apprécient pas l'arrogance du vainqueur d'El-Alamein. Eisenhower n'est pas plus disposé qu'eux à placer des soldats américains sous le commandement d'un général étranger, mais il a besoin du renfort des troupes de Montgomery pour contenir le nord du saillant allemand. Le même jour, Hitler annule l'ordre donnée à la 15ème armée d'attaquer au nord; lui aussi commence à douter. Le 20 décembre, la 4ème DB US s'est déployée dans la région d'Arlon, au sud de Bastogne. La réaction du maréchal anglais promu à la tête des armées qui tiennent le nord du saillant, ne se fait pas attendre; il ordonne à son 30ème corps d'aller prendre position entre Bruxelles et Liège et s'engage à ce que les Britanniques tiennent les ponts de la Meuse entre Namur et Liège. Il se rend au QG de la 1ère armée américaine avec les allures du Christ venant chasser les marchands du temple, selon un officier témoin. Il approuve les décisions déjà prises par Hodges pour contrer Peiper, mais se prononce pour l'abandon du massif d'Elsborn et de Saint-Vith. Pour conte-attaquer, il demande de recourir au général Collins, Joe la Foudre, de la 1ère armée US, dont le 7ème corps, rappelé d'Aix-la-Chapelle, reçoit le renfort de divisions d'infanterie et de blindés. Les 20 et 21 décembre, Peiper encerclé vers Stoumont, se bat avec le courage du désespoir contre les parachutistes. De furieux corps à corps ont lieu. Il doit finalement se replier vers La Gleize. Dès le 20, Bastogne est contournée par le nord et par le sud. Le 21, Saint-Vith tombe aux mains des Allemands, mais la 7ème DB réussit à se rétablir vers l'ouest de la ville où elle reçoit l'ordre de se replier. La défense de Saint-Vith a contribué à retarder l'avance de la 6ème armée SS (Dietrich) et permis aux Alliés de se renforcer au nord du large saillant que les Allemands sont en train d'approfondir. Une unité de la 3ème DB US, d'environ 400 hommes, commandés par le général Rose, est encerclée à Marcouray. Dans la nuit du 21 et du 22, Bastogne est encerclée. Le 22, les blindés de la 5ème armée (von Manteuffel) sont à Marche (2ème Panzer) et Hotton (116ème Panzer), à une quarantaine de kilomètres de la Meuse. Leur marche a été retardée par les difficultés du ravitaillement en carburant; la 116ème, à cause d'un pont démoli, a même dû faire un long détour. Elles rencontrent la 84ème division américaine qui les y attend depuis la veille. Le franchissement de l'Ourthe et l'arrivée des blindés allemands à 40 kilomètres de la Meuse redonnent espoir à Hitler qui envoie à von Rundstedt deux divisions supplémentaires, prises sur la réserve générale, que le maréchal est autorisé à utiliser comme bon lui semblera. Von Manteuffel espère le renfort de la Panzer Division Lher, dès que Bastogne sera tombée. Mais le même jour, à 6 heures, Patton, sans attendre toutes ses forces, entreprend, comme il l'avait promis, sa contre-offensive en direction de Bastogne, au milieu d'une tempête de neige aveuglante. Au nord du saillant, le 7ème corps de Collins arrive de son côté. En milieu de journée, les Allemands, qui ont resserré leur étreinte, exigent la reddition de Bastogne. La réponse de McAuliffe est directe : "Nuts!", que l'on ne peut pas décemment traduire en français en conservant sa vigueur. Ce jour là, la Panzer Division Lehr, qui a contourné Bastogne par le sud, s'empare de Saint-Hubert. Les Américains se retirent sur ordre de Montgomery du fer à cheval de Saint-Vith. Dietrich étant bloqué, deux de ses divisions blindées SS sont affectées à von Manteuffel, mais leur transfert est retardé par le manque de carburant. A la tombée de la nuit, un vent glacial se met à souffler; l'anticyclone de Sibérie qui se déplace vers l'ouest, va chasser les nuages et durcir le sol gelé. A ce moment de la bataille, les Britanniques venus du front de Hollande sont sur la face nord du saillant allemand et Montgomery tient fermement la Meuse de Namur à Liège, mais rien n'est encore joué et l'on s'inquiète jusqu'à Paris d'éventuelles tentatives des commandos déguisés de Skorzeny; de plus les Américains, marris de s'être laissés surprendre et battre par une armée supposée démoralisée, voudraient en découdre et considère que la prudence de Montgomery est trop timorée; la stratégie du maréchal anglais est simple : tenir le nord du saillant le plus fermement possible en ménageant ses forces; une éventuelle percée vers la Meuse l'inquiète peu car elle offrirait alors l'occasion de couper de ses arrières et de détruire l'imprudent qui s'y hasarderait. Le 23, le temps s'améliore et les avions alliés peuvent s'en donner à coeur joie sur les convois ennemis; la Luftwaffe ne fait plus le poids. Bastogne est ravitaillée. Les Américains, encerclés à Marcouray, demandent le parachutage de carburant; deux tentatives ont lieu, mais les paquets tombent derrière les lignes allemandes; les Américains, sommés de se rendre, refusent, détruisent leur matériel, et se tirent de ce mauvais pas en se faufilant à travers les lignes ennemies. Pendant la nuit, l'équipée des commandos de Skorzeny prend fin à Dinant. Le 24, Peiper, ses réservoirs vides, détruit ses véhicules et regagne les lignes allemandes comme il peut, en abandonnant ses blessés et ses prisonniers. Von Manteuffel continue de progresser vers l'ouest du côté de Marche mais plus lentement à cause de la pénurie de carburant ; les Allemands arrivent à Celles, exténués. Le soir, une jeep portant trois soldats allemands déguisés en Américains, venus sans doute reconnaître l'étroit passage du rocher Bayard qui va vers Dinant, forcent un barrage et sont tués par l'explosion des mines posées en travers de la route. Dans la nuit du 24 au 25, deux aristocrates belges, le baron Jacques de Villenfagne de Sorinnes, accompagné de son ami Philippe le Hardy de Beaulieu, vont recueillir des informations sur les positions allemandes, avec l'autorisation préalable du major John Watts du 3ème Bataillon de chars; à leur retour, ils fournissent de précieux renseignements pour guider les tirs de l'artillerie. Au sud, Patton progresse sur la route Martelange-Bastogne; il est bloqué à 10 km au sud de Bastogne et doit effectuer un débordement par l'ouest; il ne pourra pas fêter la Noël à Bastogne, comme il l'espérait. Ce jour là, a lieu en soirée le massacre de 32 habitants du village belge de Bande, commune de Nassogne, tués un par un; ils auraient dû être 33, si Léon Praile, au moment d'être emmené pour son exécution, n'avait violemment frappé son gardien, avant de s'enfuir en courant à travers champs, dans la pénombre du crépuscule. Le lendemain, deux autres victimes périssent de la même façon, les frères Malempré de Roy. Les 23, 24 et 25 décembre, la ville
de Malmedy est bombardée, par erreur, par des avions alliés;
on dénombre plusieurs centaines de tués parmi la population
belge et les militaires américains. Le 26, la cité de Saint-Vith,
considérée comme un objectif capital, est rasée par
l'aviation alliée. Von Manteuffel, obsédé par la présence
de Bastogne derrière sa progression vers la Meuse a distrait une
partie de ses forces pour la lancer contre la ville du côté
de l'ouest jugé peu défendu, au détriment de son objectif
principal. Le résultat est foudroyant : à Celles, pointe
la plus avancée du saillant, la 2ème Panzer Division (von
Manteuffel), attaquée dès le 25 par Collins, est encerclée
par la 2ème DB américaine; 80 de ses chars sont détruits
et elle abandonne 1 500 prisonniers avec de nombreux véhicules.
A Bastogne, qui se renforce, la situation s'améliore;
à 16 h 45, l'avant-garde de la 4ème DB américaine
établit la jonction, par un couloir très étroit où
se déroulent des combats acharnés afin de l'élargir.
Le 26 décembre, Model et von Rundstedt envisagent d'orienter les efforts de leurs troupes vers le nord, de l'ouest de Liège vers Aix-la-Chapelle, ce qui serait revenir à la petite solution; mais cela supposerait au préalable de conquérir Bastogne, ce qui semble improbable; Hitler devrait aussi renoncer à la contre-offensive qu'il envisage en Alsace. Le Führer estime que la chance a été défavorable à l'Allemagne, mais que la situation actuelle provient en grande partie du fait que ses ordres n'ont pas été exécutés à la lettre. Il serait prêt à accepter le nouveau plan de Model et von Rundstedt à condition de ne le considérer que comme une diversion temporaire, avant de reprendre la marche sur Anvers. Du côté allié, Montgomery, pressé par Eisenhower de passer à l'action depuis le nord, promet de le faire dès le 3 janvier, sauf nouvelle attaque allemande sur son front. Le 27 décembre, un convoi d'ambulances peut évacuer des blessés de Bastogne. Le général Taylor rejoint sa division, remercie et félicite McAuliffe, et reprend le commandement. Les jours suivants, munitions, équipements chauds, cigarettes et même dindes de Noël arrivent, avec un peu de retard, en ville. Le 28 décembre, Hitler prend conscience que le sort des armes a tourné; il admet qu'Anvers est hors de portée et réduit les objectifs des forces allemandes à la seule destruction des forces alliées dans les Ardennes. Le 30 décembre, la 5ème armée de von Manteuffel lance une violente attaque pour couper le cordon ombilical de Bastogne. Il échoue de justesse. Le 31 décembre, Hitler déclenche l'opération Nordwind sur l'Alsace. Le 1er janvier 1945, volant en rase-mottes, l'aviation allemande inaugure l'année par le bombardement d'une trentaine de bases alliées; entre 300 et 800 avions auraient été détruits ou endommagés selon diverses sources; mais pour ne pas inquiéter la population, les services d'information alliés minimisent les faits. La Luftwaffe perd toutefois dans ce raid 277 avions et beaucoup de ses derniers pilotes chevronnés; ce coup d'éclat réussi résonne comme le chant du cygne de l'aviation allemande; elle ne sera plus en mesure de combler ses pertes et de jouer un rôle jusqu'à la fin de la guerre. Les Alliés, qui n'ont presque pas perdu de pilotes, remplacent leurs avions en deux semaines. Le 2 janvier au soir, von Manteuffel, qui craint pour ses positions avancées en direction de la Meuse, demande à Model et à von Rundstedt de les replier sur Houffalize; il obtient leur accord, mais se heurte à un refus d'Hitler, qui s'obstine dans le maintien du saillant des Ardennes, de manière à fixer les meilleures forces alliées sur un front étiré pour les maintenir ainsi à l'écart de la Ruhr. Dans cet esprit, la prise de Bastogne s'impose. Le 3 janvier, un nouvel assaut allemand contre Bastogne est donc lancé; il durera jusqu'au 4. Mais, le même jour, commence l'attaque de Montgomery sur le nord du saillant dans des conditions climatiques épouvantables. Elle démarre de la région de Hotton, où Collins a été ramené, en direction de Houffalize. Elle est appuyée sur sa droite, par des unités britanniques (division galloise et 6ème division aéroportée) qui ont permuté avec Collins. La jonction avec Patton, qui vient du sud, doit se produire dans la région d'Houffalize. Les progressions sont lentes car les journées sont courtes, le terrain gelé, couvert de neige et de débris, et les Allemands sont bien retranchés derrière des canons antichars et de nombreux champs de mines. Le 5 janvier, l'affaire de Bastogne est définitivement réglée. Les Allemands sont amenés à réorganiser leur dispositif. Le 6 janvier, Churchill écrit à Staline pour lui demander de passer dès janvier à l'offensive pour soulager les Occidentaux de la pression allemande dans les Ardennes. Le lendemain, Staline lui répond que ce sera fait, dès que le temps le permettra, pendant la seconde quinzaine de janvier. Le 8 janvier, Hitler autorise enfin la retraite de von Manteuffel, mais pas jusqu'à Houffalize, seulement jusqu'à une ligne de crête à l'ouest de cette agglomération. Pressé par les Occidentaux, Staline a avancé l'offensive russe, planifiée par la Stavka pour le 20 janvier, et ordonné à ses généraux de tout mettre en oeuvre pour la déclencher le 12. L'Armée rouge lance deux puissantes offensives, l'une sur la Prusse orientale, berceau du militarisme allemand, mais pas du nazisme, l'autre sur la Silésie, en direction de la capitale allemande. Ce changement sur le front de l'Est oblige Hitler à modifier une fois de plus ses plans. Le 15 janvier, il rentre à Berlin et l'Okw commande aux forces allemandes des Ardennes de se replier. Le 16 janvier, les troupes de Montgomery et celles de Patton se rejoignent. Les Alliés ont étranglé la poche allemande et vont la vider comme un citron que l'on presse plutôt que de la fermer pour y détruire l'armée ennemie. Mission accomplie, le 30ème corps britannique retourne vers le front de Hollande. Le 17 janvier, la 1ère armée américaine (Hodges) est replacée sous le commandement de Bradley, mais la 9ème (Simpson) reste sous celui de Montgomery. Le 22 janvier, Hitler donne l'ordre à la 6ème armée blindée de gagner le front de l'Est; le même jour, le ciel se dégage et les avions alliés recommencent à cribler les véhicules allemands entassés auprès des ponts pour franchir l'Our, sous le regard des fantassins alliés qui applaudissent du haut des crêtes. Le 24 janvier, Saint-Vith est reprise; le 28, le saillant n'existe plus et le 30, les Allemands sont repoussés au-delà des positions qu'ils occupaient lors du départ de leur offensive. Que peut-on retenir de cette tentative hitlérienne de reprendre l'initiative? Qu'elle a échoué faute de punch, de vitesse et... de carburant! Les Américains, un moment surpris, se sont ressaisis et ce sont finalement eux qui ont remporté la victoire, bien sûr avec le concours de leurs alliés britanniques et des quelques soldats belges et français qui y ont participé. Dans un discours maladroit, le 7 janvier, Montgomery laisse entendre que c'est son intervention qui a ramené la victoire dans le camp allié oubliant l'héroïque résistance américaine et l'offensive de Patton au sud. Bradley en est profondément irrité. Cette victoire s'avère très coûteuses; les pertes (du côté américain : 80 000 hommes et seulement 1 400 du côté britannique) sont supérieures à celles du débarquement. Mais elles sont encore pires du côté allemand : 110 000 hommes dont 28 000 prisonniers, 600 à 800 blindés et 800 avions (évaluations données à titre d'ordre de grandeur, les estimations variant selon sources). Le crépuscule des Dieux n'est plus très loin! 24 décembre – 13 février : Bataille de Budapest A la fin de l'année 1944, sur le front d'Ukraine, les Allemands tiennent encore sur une ligne qui s'étire de Mostar à la Hongrie où les Soviétiques ne progressent que lentement en raison de la résistance acharnée que leur opposent leurs adversaires. Cependant, à la veille de Noël, la capitale hongroise, Budapest, est complètement encerclée. Quatre divisions allemandes et deux divisions hongroises s'y trouvent encore car elles ont reçu l'ordre formel du Führer d'y rester! Hitler, qui ne semble plus se battre que pour le prestige, s'inquiète davantage du retentissement de ses actions à travers le monde que de son avenir, alors qu'il est au bord de l'abîme. Il pense à débloquer Budapest, mais rêve plutôt à une vaste offensive à l'est, en Hongrie précisément, une flambée grandiose qui éblouirait l'humanité, comme on le verra plus loin. Dans la nuit du 28 au 29 décembre, les Russes tentent par haut-parleurs d'obtenir une reddition de Budapest pour éviter un bain de sang. Ils annoncent que des parlementaires vont porter au commandant des assiégés l'ultimatum des maréchaux Malinovski et Tolboukine. Deux officiers russes se présentent en voiture pavoisée de blanc aux avant-postes. L'un d'eux est tué dans le no man's land. L'autre réussit à transmettre l'ultimatum au général SS Rumohr qui refuse de le lire. Au retour, il est blessé lui aussi mortellement par une batterie hongroise. Le traitement infligé à leurs parlementaires n'incite pas les Soviétiques à la clémence. Puisqu'il faut se battre, ils le feront, et sans pitié ! Début janvier, les banlieues, où se sont déroulés de furieux combats, sont à peu près nettoyées. A l'intérieur de la ville, la situation devient de plus en plus difficile. L'aviation soviétique détient la maîtrise de l'air et le ravitaillement des assiégés se raréfie. Le 1er février, la ration quotidienne de pain est ramenée à 75 grammes ! Plusieurs tentatives extérieures pour débloquer la capitale échouent. Le 2 février, les Russes percent les défenses allemandes du mont Sas et, malgré les contre-attaques hongroises héroïques, notamment du bataillon de choc de l'Université, le secteur encore défendu se rétrécit. Les maisons doivent être prises une par une et les pertes sont énormes des deux côtés. La bataille pour Budapest est l'une des plus terribles de la guerre. Dans la nuit du 10 au 11 février, le dernier carré des défenseurs ne tient guère plus que les ruines du palais royal. Le général SS Pfeffer-Wildenbruch, qui commande les germano-hongrois, tente une sortie en direction du nord-ouest où se trouvent des troupes allemandes, à une trentaine de kilomètres. Mais les Russes, qui ont vent du projet, clouent cette tentative sur sa base de départ sous un déluge de fer et de feu, le 11 février, vers 20 heures. C'est un effroyable massacre. Les rescapés s'enfuient comme ils peuvent, individuellement ou en petits groupes, en se cachant dans les ruines et les collines boisées. Le général hongrois Hondy est capturé dans la soirée et le général SS Pffeffer-Wildenburg le lendemain. Sur les 16 000 hommes qui participèrent à la percée avortée, seuls 785 parviennent à rejoindre les lignes allemandes ! Le 13 février 1945, après cinquante et un jours de siège, Budapest est entièrement aux mains de l'Armée rouge. Sur 70 000 défenseurs, 50 000 ont trouvé la mort, et l'on évalue les pertes soviétiques mal connues à au moins 50 000 morts également. Lorsque l'on sait que les Américains ont perdu 250 000 soldats et les Anglais 350 000 tout au long de la guerre, on mesure mieux la violence qui s'est déchaînée pour la possession de la capitale hongroise. Fin 1944 : En Indochine française Les ressortissants français en Indochine ne semblent pas excessivement inquiets. Après le 6 juin 1944, ils pensent que la victoire en Europe entraînera une paix négociée avec le Japon pour éviter un bain de sang. En cas de tentative de débarquement américain en Indochine, ils espèrent que l'armée française sur place, très hostile à l'occupant, le tiendra en haleine assez longtemps pour que les Alliés réussissent. En général, sauf exceptions, les populations indochinoises détestent les Japonais. Certes, les visées traditionnelles de la Chine sur l'Indochine sont connues et il existe une résistance d'obédience chinoise, mais nombre d'autochtones, le Viêt-minh compris, comptent sur la France pour s'en prémunir; les formations de guérilleros communistes sont encore peu nombreuses et mal armées; l'action du parti s'exerce surtout par la propagande et le recrutement clandestin. Des réseaux alliés et de la France libre sont aussi actifs, parfois d'ailleurs en conflit les uns contre les autres; outre le renseignement, ils participent notamment à l'évasion des aviateurs alliés, parfois avec la complicité des autorités vichystes. Depuis les premiers mois de 1944, sont installés des éléments d'une unité française venus des Indes avec l'accord des Britanniques; elle forme un corps léger d'intervention dont l'efficacité croît avec le temps. Cependant, les bombardements américains s'intensifient, notamment sur les ports, ce qui gêne le cabotage et le trafic maritime. Peu de gens ont connaissance du message de Roosevelt qui précise que les États-Unis ne font pas la guerre dans le Pacifique pour maintenir la présence française en Indochine. Aussi la minorité d'origine française fait-elle preuve d'un optimisme élevé, lequel s'explique par sa faible proportion dans la population locale, le maintien d'un moral d'acier étant, dans de telles conditions, l'unique chance de survie. Janvier 1945 : Bataille d'Alsace Le 31 décembre, on l'a vu, Hitler déclenche l'opération Nordwind sur l'Alsace. Eisenhower, qui n'a plus de réserves, a déjà prévu de raccourcir son front pour s'en procurer; il est résolu à abandonner l'Alsace pour se replier sur les Vosges. Au plan purement militaire, c'est une décision pertinente, mais au plan politique, c'est une catastrophe qui ignore la forte portée symbolique de Strasbourg tant du côté français que du côté allemand. De plus, c'est abandonner une population sans défense aux représailles nazies. Dès que le bruit du départ des Alliés se propage de nombreuses personnes prennent le chemin de l'exode, sur une terre gelée couverte de neige et par un froid glacial. De Gaulle n'est pas prévenu, mais il l'apprend tout de même et il se montre évidemment tout à fait hostile à un tel mouvement. De Lattre est de son avis, mais, soumis à deux hiérarchies, il essaie de trouver une solution pour concilier l'inconciliable. De Gaulle lui rappelle fermement que, s'il est sous les ordres d'un général américain, c'est lui, chef du gouvernement français qui l'y a placé, et qu'il peut aussi l'en retirer; c'est donc à la France qu'il doit d'abord allégeance. Des réunions ont lieu entre Français et Américains; le ton monte; les Américains menacent de couper les approvisionnements aux troupes françaises et les Français répliquent que, dans ce cas, le réseau ferré français sera interdit aux Américains! De Gaulle écrit à Roosevelt et à Churchill. La tension est telle qu'une réunion entre Eisenhower et de Gaulle est organisée. Le 3 janvier a lieu la réunion entre
de Gaulle et Eisenhower, en présence de Churchill; on ne sait pas
très bien ce qui s'y est dit car il existe des divergences entre
les différentes versions des protagonistes; il est probable que
le Premier ministre britannique y joua les conciliateurs; finalement, Eisenhower
accepta que l'armée française défende Strasbourg.
A cette date, la capitale de l'Alsace était pratiquement sans défense
du fait du retrait américain qui avait commencé.
Le 5 janvier, les premiers éléments français qui se substituent aux troupes américaines en retraite stratégique, selon le plan d'Eisenhower, arrivent à hauteur de Strasbourg. Au matin du 5 janvier, les Allemands franchissent le Rhin et établissent une tête de pont au village de Gambsheim. Du 5 au 27 janvier, la ville est l'objet d'une manoeuvre convergente des Allemands qui vont attaquer au nord, depuis Bitche et Wissembourg, du sud, depuis la poche de Colmar et de l'est depuis l'autre côté du Rhin. Le 6 janvier, les Américains se sont repliés sur une ligne qui va de l'ouest de Gambsheim à Sant-Dié, puis à l'ouest de Gerardmer. Le 7 janvier, tandis que des combats font rage en Lorraine, la 1ère division française libre, très étirée, subit les assauts des troupes du général Wiese de la poche de Colmar. La bataille dure cinq jours au cours desquels les Français sont très éprouvés. L'ennemi a alors atteint Erstein. Là, il s'arrête, le jour même où les Russes passent à l'offensive sur le front de L'Est. Wiese sera relevé de son commandement. Plusieurs assauts infructueux contre la poche de Gambsheim sont livrés par les Américains avec l'appui des Français. Des dizaines de chars sont perdus par les Alliés. Le 17 janvier, des éléments allemands venus du nord font leur jonction avec la poche de Gambsheim. Dans la nuit du 21 au 22 janvier, les forces US sont repoussées au delà de la Moder. Le régiment d'élite Marbach, appuyé par des chars, encercle Kilstett et n'est plus qu'à 13 kilomètres de la place Kléber. Mais le combat command Langlade de la 2ème DB, qui a rejoint la 1ère armée française, les arrête. Le 27 janvier le front se stabilise au nord de Strasbourg. Les offensives d'Hitler à l'ouest ont échoué. 9 janvier - 14 avril : Dernière bataille d'Hitler - Prise de Vienne Le 5 janvier, Guderian arrive au groupe d'armées Sud, que dirige le général Wöhler. Il lui amène les ordres du Führer qui souhaite transformer le dégagement de Budapest en une grande offensive du genre de celle des Ardennes, essentiellement dans un but de propagande internationale. Wöhler est chargé de faire lever le siège de Budapest, puis de se diriger vers le lac Balaton et d'avancer jusqu'à son confluent avec la Drave, soit sur 200 kilomètres ! Le 9 janvier, Wöhler lance effectivement une opération en direction de la capitale hongroise, en espérant que les unités encerclées dans la ville seront autorisées à tenter une percée pour le rejoindre. Les Allemands s'avance sous des tempêtes de neige entre les lacs Balaton et Velence en direction de Budapest. Mais Wöhler doit se montrer prudent car son aile gauche est menacée par le 2ème front d'Ukraine (Malinowski) qui vient d'ouvrir une tête de pont à l'ouest du Hron, le 6 janvier. Le 11 janvier, Hitler confère la croix de fer au général SS Pfeffer-Widenbruch, qui commande à Budapest, comme une sorte de compensation, avant de l'abandonner à son sort, comme von Paulus à Stalingrad. Le 12, en effet, il ordonne à Wöhler de déplacer ses troupes vers le sud. Celles du sud le font assez rapidement, mais c'est une autre affaire pour celles du nord engagées dans de violents affrontements à 24 kilomètres de Budapest, lesquelles commencent à perdre leur élan initial. Le 12, les Soviétiques entreprennent d'autre part, plus au nord, une offensive sur le front de l'Oder, en direction de Berlin. Mais Hitler ne croit pas que l'Armée rouge soit si puissante qu'on le dit et tient pour des fariboles le niveau des effectifs, extravagants à ses yeux, qui lui sont communiqués. A plusieurs reprises, Guderian attire en vain
l'attention d'Hitler sur la nécessité de renforcer le front
de l'Est, jusqu'au moment où le Führer quitte le front des
Ardennes pour rentrer définitivement à Berlin, le 15 janvier.
Le 16, Hitler décide enfin de retirer la 6ème armée
blindée SS des Ardennes pour l'envoyer, non pas en Pologne,
mais en Hongrie, à Wöhler. C'est que, maintenant, en plus de
son opération de prestige, il veut également conserver à
tout prix les champs pétrolifères de Nagykanizsa. Mais les
troupes des Ardennes, qui doivent passer par Vienne, ne seront pas en Hongrie
avant des semaines ! Le 18 janvier, le 4ème corps blindé
SS perce les lignes russes et avance vers le Danube au sud de Budapest.
Le 23, le 4ème corps blindé SS se réorganise
à l'est de Székesfehervar ; le 24, il se déploie le
long de la Vali, qu'il ne peut franchir. Le 25, Wölher rend compte
que la percée en direction de Budapest est devenue impossible.
Le 27 janvier, les Soviétiques attaquent entre Dunapentele et le canal de Sarviz. Hitler ordonne de mettre fin à la tentative de dégagement de Budapest. Début février, les ordres du Führer peuvent être résumés en un seul mot : tenir ! Les déplacements des troupes sont de plus en plus gênés par les conditions climatiques, la pénurie de carburant, et surtout l'obligation de rouler de nuit, pour échapper aux chasseurs-bombardiers soviétiques. Le 7 février, il ordonne à Wöhler de protéger la route de Vienne et les champs pétrolifères en plaçant quatre des cinq divisions des 1er et 2ème corps blindés de la 6ème armée à Györ et Nagykanizsa, dans le plus grand secret pour ne pas alerter les Russes. Il confie à Wöhler la mission de tenir fermement Komarno au nord, Székesfehervar au centre et Nagykanizsa au sud. Hitler pensait juste pour ce qui concerne la protection de Vienne car les Russes prévoyaient effectivement de lancer une offensive vers la capitale autrichienne en coordonnant leur mouvement avec celui au nord du 1er front de Biélorussie (Joukov) et du 1er front d'Ukraine (Koniev), conformément aux directives de Staline. Le 8 février, Wöhler rencontre Hitler à Berlin qui, inquiet de la tête de pont russe sur le Hron, autorise le général à la liquider avec les deux premières divisions disponibles. Le 17, l'attaque est lancée. Les Russes, surpris, perdent pied et se replient. La tête de pont du Hron est entièrement reprise par les Allemands le 24. C'est un succès pour la Wehrmacht. Mais la Stavka a déjà décidé de renoncer à son plan initial d'attaque de Vienne par le 2ème front d'Ukraine (Malinowski) et charge Timochenko d'élaborer un nouveau plan prévoyant une offensive conjointe des 2ème et 3ème front d'Ukraine (Toboulkine). Le 21, encouragé par le tour que prend l'attaque sur la tête de pont, Wöhler décide de relancer la grande offensive du Führer visant à s'emparer du territoire à l'ouest du Danube jusqu'à sa réunion avec la Drave. Il rencontre Dietrich, qui commande la 6ème armée blindée SS des Ardennes, maintenant sur les lieux. Le 25, il est à nouveau à Berlin. Au cours des derniers jours de février, le plan de l'opération Frülingserwachen (Réveil du printemps) est mis au point. Les Russes qui sont au courant, laissent les Allemands abattre leurs cartes les premiers mais ils se préparent à affronter l'ouragan. Le 5 mars, peu après minuit, le 91ème corps du groupe d'armées E (Weichs) franchit la Drave, depuis la Yougoslavie, et établit deux têtes de pont à Donji Miholjac et à Valpovo. A l'aube, la 2ème armée blindée avance depuis le sud-est de Nagykanizsa en direction de Kaspovar. Mais, au niveau de la 6ème armée blindée SS de Dietrich, seul le 1er corps est prêt, au nord du lac Balaton, pour s'élancer vers l'ouest du canal de Sarviz. Le 2ème corps remet son attaque au lendemain et il restera à la traîne, sur la gauche, à l'est du canal de Sarviz. Les 7 et 8 sont deux journées difficiles pour les Russes qui contrent l'avance du 1er corps. Tolboukhine est contraint d'engager ses réserves faute d'obtenir de la Stavka un soutien de la réserve stratégique générale que le haut commandement garde pour la contre-offensive. Le 10, sous une neige mêlée de pluie, le 1er corps établit deux petites têtes de pont sur le canal de Sio. Le 12, Wölher comprend que la 6ème armée blindée, si elle n'est pas renforcée, n'ira pas plus loin. Le 13, après avoir rassemblé ses blindés, Tolboukhine contre-attaque des deux côtés du canal de Sarviz. Wölher en conclut que la fin de l'offensive allemande n'est plus éloignée. Il propose à Hitler une retraite du 1er corps, très éprouvé, sa réunion avec le 2ème corps, une percée conjointe vers l'est, en direction du Danube, et ensuite une progression entre le canal de Sarviz et le fleuve, en direction du sud. Le 14, d'autres préoccupations viennent s'imposer au général allemand qui apprend que des concentrations de troupes soviétiques sont apparues au nord, ce qui laisse augurer une attaque au niveau des lacs Balaton et Velence, c'est-à-dire sur les arrières de l'offensive allemande. Le 16, effectivement, Malinowski lance une attaque entre le lac Velence et Bicske. Freinée par la neige et le brouillard qui empêchent l'emploi des blindés et de l'aviation, elle est facilement contenue les Allemands, mais pas par la 3ème armée hongroise qui s'effondre sur la gauche. Du coup, le 17, les soviétiques parviennent dans les monts Vertes, au nord de Mor. Wöhler décide alors de renoncer, provisoirement, à l'opération Réveil du printemps (le mot provisoirement est visiblement employé pour atténuer le mécontentement du Führer). Le 1er corps se regroupe pour une attaque sur ses arrières en direction de Székesfehervar et le 2ème se replie. Le 19, les Russes de Tolboukine bousculent les Allemands entre Mor et le lac Velence. Mais le général soviétique perd l'occasion de piéger les Allemands à cause du retard causé par les éléments à sa 6ème armée blindée de la Garde. Wöhler envoie la 6ème armée blindée SS au nord boucher la brèche ouverte par l'effondrement des Hongrois et, quand la 6ème armée blindée de la Garde arrive, le 20, les Allemands se sont échappés ! Wöhler aimerait que la 6ème armée blindée SS se replie, mais il n'en est pas question, car Hitler se souvient qu'il y a des mines de bauxite dans la région! Le 21 mars, il ne reste plus qu'un mince couloir pour permettre l'évacuation de cette troupe d'élite, mais le Führer s'obstine à la retenir où elle est. Ce qu'il ne sait pas, c'est que 75% des déserteurs sont alors des SS démoralisés. Wöhler désobéit à Hitler et l'armée est évacuée; elle va essayer de rétablir un front à Papa tandis qu'au sud du lac Balaton, la 2ème armée blindée poursuit l'opération du Réveil du Printemps en direction de Kaposvar; le 23 mars, cette 2ème armée avance encore de huit kilomètres; Hitler autorise sur elle le prélèvement d'unités pour renforcer le nord, ce qui va la rendre plus timorée. Les deux têtes de ponts sur la Drave, Donji Miholjac et Valpovo, sont évacuées. La démoralisation se répand dans l'armée maintenant certaine de la défaite. Le même jour, la Stavka donne à ses armées l'ordre de marcher sur Vienne et Tolboukhine s'empare de Veszpren, un nœud routier important, au nord-ouest du lac Balaton. Timochenko ordonne à Tolboukhine d'avancer en direction de Köszeg, Szombathely et Zalaegerszeg. Pour faire face à cet assaut, Wöhler n'a guère que la 6ème armée blindée SS de Dietrich, mais celle-ci tient la ligne Komarno- Papa! Le général Balck, chef de la 6ème armée (fantassins), envoie un rapport désabusé à Guderian ; il ose même lui avouer qu'il hésite à engager son armée avec la 6ème blindée SS tant il craint que les SS n'affaiblissent le moral de ses soldats. A Berlin, la nouvelle de la démoralisation des SS met Hitler hors de lui. On parle d'envoyer Himmler sur place pour voir ce qui se passe. Le 25, les Russes débouchent de la forêt de Balkony, à l'est de Papa. Une brèche se crée entre la 6ème armée (Balck) au sud, appuyée au lac Balaton, et la 6ème armée blindée positionnée entre Komarno et Papa. Wöhler prévient Guderian qu'il n'a pas les moyens de la colmater, d'autant que Malinosvki déclenche une attaque sur le Hron et le long de la rive nord du Danube. Le 26, l'offensive russe se développe. Le 27, les Soviétiques traversent la Raba, à l'ouest de Köszeg. Le 28, les Russes atteignent la frontière autrichienne dans la région de Köszeg et de Szombathely. Le 29 mars, la 8ème armée allemande tient encore Komarno et la 2ème armée blindée perd Nagybajom. Beaucoup d'Allemands sont loin derrière les pointes soviétiques. Wölher ne sait plus où donner de la tête. Hitler insiste pour que Komarno soit tenue car des raffineries s'y trouvent! Il faut lui montrer des photos aériennes de la ville pour le ramener à la réalité : les raffineries ne sont plus qu'un monceau de décombres ! La 2ème armée blindée a tenu le coup jusqu'à présent, mais ses Hongrois désertent et elle demande l'autorisation de reculer; Wöhler transmet le message à Guderian qui répond qu'il est inutile qu'il remonte jusqu'à Hitler car le Führer n'acceptera jamais de perdre les champs pétrolifères qu'elle protège! Hitler ordonne à Wöhler de monter une contre-attaque pour détruire les Soviétiques imprudemment exposés par leur avance rapide. Mais avec quoi ? Le général allemand n'a plus de ressources ! La 6ème armée blindée SS est à peine capable de maintenir la poussée russe entre Wiener Neustadt et le lac Neusiedler et, à l'est, la 6ème armée de Balck est coupée de la 2ème armée blindée. Fin mars, Tolboukhine et Malinovski sont aux portes de Vienne. Pour défendre la capitale autrichienne, Hitler envoie la 25ème Panzers division et la division de grenadiers Führer. Il ordonne une fois de plus à Wöhler d'attaquer, mais cette fois-ci les flancs des Russes, en évitant leurs pointes. Le général allemand n'en est plus capable. Alors, Hitler le limoge et le remplace par Rendulic qu'il rappelle de Courlande. Lorsque ce dernier parvient à son PC de Sankt Pölten, à l'ouest de Vienne, le 7 avril, les Russes se battent déjà dans la capitale autrichienne. Malinovski, après avoir pris Bratislava, a passé le Danube à l'ouest de la Morava au nord, tandis que Tolboukhine arrivait par le sud. Skorzeny, envoyé à Vienne en mission spéciale par Hitler, s'y illustre en pendant publiquement trois officiers autrichiens, sous le prétexte de punir la situation catastrophique dans laquelle il trouve ville. Mais Rendulic, qui sait que tout est perdu, et qui redoute un soulèvement populaire, prie fermement l'envoyé du Führer d'aller exercer ses talents ailleurs. Le lendemain de la mort de Roosevelt, le 13 avril, les combats dans la ville se terminent par une victoire soviétique. Les débris du groupe d'armées Sud tiennent une ligne à l'ouest de Vienne depuis Sankt-Pölten jusqu'à la Drave, à l'est de Varazdin. Les Russes, quant à eux, déplacent leurs efforts vers le nord pour seconder la libération de la Tchécoslovaquie. Hitler, toujours obsédé par la pénurie de carburant, ordonne à Rendulic de reprendre les petits champs pétrolifères autrichiens de Zisterdorf, au nord de Vienne; cet ordre ne sera jamais exécuté! Quant aux pétroles de Hongrie, le coup de tonnerre de la chute de Vienne a totalement occulté leur perte. Fin avril, les Américains entrent en Autriche via la Bavière; le 4 mai, ils atteignent l'Enns, privant le groupe d'armées Sud de ses approvisionnements, alors qu'il ne lui reste plus que pour huit jours de vivres et deux de munitions. La proximité américaine est perçue comme une chance par beaucoup de soldats allemands anxieux d'échapper à la Sibérie. Le 6 mai, Rendulic, ordonne à ses troupes de cesser les hostilités et s'arrange pour que la majorité de ses forces se rendent à Patton. La grandiose opération d'Hitler, qui pensait rééditer l'exploit des Ardennes à l'est, s'est transformée en fiasco et n'a impressionné personne! 9 janvier - 3 mars 1945 : Bataille de Luçon - Retour de MacArthur aux Philippines MacArthur a promis de revenir aux Philippines. Après la conquête de Leyte, c'est presque chose faite. La bataille de Luçon s'inscrit dans son prolongement. On y retrouve les même protagonistes, d'un côté Yamashita, avec 250 000 hommes, et de l'autre la 6ème armée américaine du général Krueger, avec ses 200 000 hommes, la 7ème Flotte de Kinkaid, avec ses 850 navires commandés par le vice-amiral Oldendorf, la 3ème flotte de Hasley et les forces aériennes de Kenney, qui agiront depuis Leyte et Mindoro tant que les aérodromes de Luçon ne seront pas en état de recevoir leurs avions. En prélude à l'opération principale, l'île de Mindoro, au sud de Luçon, a été occupée sans résistance par les Américains le 15 décembre 1944. La 7ème Flotte quitte Leyte le 2 janvier 1945. Le 4, elle subit deux attaques des kamikazes qui endommagent le porte-avions Ommaney Bay à un point tel qu'il faut le saborder, et causent des avaries à une douzaine de bateaux alliés, dont deux australiens sévèrement touchés, le croiseur Australia et le destroyer Arunta. Les attaques se poursuivent crescendo et, le 6 janvier, au moment où les navires alliés entrent dans le golfe de Lingayen, deux cuirassés sont endommagés, un dragueur de mines coulé, et des croiseurs et autres bateaux subissent des dégâts. En trois jours, les Alliés ont perdu un millier d'hommes. Mais les kamikazes ne parviennent pas à empêcher la préparation d'artillerie contre les plages car ils n'ont plus d'avions à opposer à Oldendorf. Au matin du 9 janvier, tandis que Hasley attaque Formose et le nord de Luçon, pour donner le change, les troupes de Krueger débarquent dans le golfe de Lingayen, sur le rivage ouest de l'île, au nord de Manille, là où prirent terre les Japonais en 1941. C'est d'ailleurs aussi là que les attendait Yamashita. Le général japonais est sans illusion. Il sait que, malgré la supériorité numérique de ses effectifs, l'armée japonaise, qui manque désormais de moyens, n'a plus la capacité de refouler les Américains. Il ne peut qu'immobiliser leurs forces le plus longtemps possible afin de retarder au maximum l'échéance de l'invasion de l'archipel japonais. Il a organisé sa défense à partir de cet objectif, en concentrant ses forces dans trois zones montagneuses et en ne laissant que des effectifs réduits dans les plaines, notamment celle qui va du golfe du débarquement à la capitale, Manille. La zone de concentration la plus importante est située au nord de l'île, dans une région sauvage et difficile, au bord de la plaine de Cagayen. La seconde se trouve à l'est de Manille, dans un endroit où se trouve les barrages et les réservoirs assurant le ravitaillement en eau de la capitale. La troisième, enfin est à l'ouest de la plaine qui conduit à Manille pour protéger l'important complexe aérien de Clark Field. Dans ces réduits, les Japonais sont résolus à combattre jusqu'à la mort. Les soldats nippons ayant sagement abandonné les plages, le débarquement se déroule facilement, néanmoins sous un feu roulant de la marine américaine. Mais, sitôt la plage franchie, l'avance américaine est retardée par la nature du terrain constitué de rizières inondées, de viviers, de marécages et d'arroyos. Les troupes alliées surmontent ces obstacles non défendus grâce à leurs engins amphibies. L'avance vers Manille se poursuit avec circonspection sur deux axes. Au nord, le 1er corps US (Swift), au sud, le 14ème corps US (Griswold). Swift perçoit assez rapidement la menace que fait peser sur sa gauche le grand rassemblement qu'y a réuni Yamashita, ce qui l'oblige a détacher des forces vers le nord pour éloigner ce danger. Ces forces rencontrent une résistance sérieuse basée sur un réseau de blockhaus, d'abris souterrains et de galeries qui ne peuvent être détruits qu'à courte distance, souvent au lance-flammes. L'action culmine, le 28 janvier, par une violente contre-attaque japonaise appuyée par des chars. Les Américains avancent en direction de l'est et détruisent, près de San José, la seule force blindée japonaise de l'île. Bientôt, ils atteignent la côte est de Luçon isolant complètement le groupement nord japonais dans lequel se tient Yamashita. Le 29 janvier, le 11ème corps US (Hall) débarque sans opposition, toujours à l'ouest de l'île, mais plus au sud, légèrement au nord du niveau de Manille, pour utiliser la base navale d'Olongapo et afin d'entreprendre une manoeuvre d'encerclement de la capitale, mais aussi pour empêcher les Japonais de former un réduit au sud de la presqu'île de Bataan, comme MacArthur en 1941. Au sud, le 14ème corps US (Griswold) avance lentement, mais sans grande opposition vers Manille, accueilli joyeusement par les Philippins. MacArthur accélère sa marche car il a hâte de délivrer les prisonniers tombés aux mains de l'ennemi en 1941 et, en même temps, il lui ordonne de s'emparer de l'aérodrome de Clark Field, que pourraient alors utiliser les avions de Kenney. Mais, le 23 janvier, Griswold se heurte au groupe de résistance installé par Yamashita dans les montagnes à l'ouest de la plaine centrale qui s'étend de Lingayen à Manille. Jugeant sa gauche suffisamment protégée, Griswold rassemble le gros de ses troupes pour prendre l'aéroport. Mais, là aussi, la défense est bien préparée. L'avance est lente et les pertes élevées. Et ce n'est qu'au soir du 31 janvier que le général américain parvient à ses fins. Pendant ce temps, un raid est lancé la nuit par une équipe de Rangers et de guérilleros philippins qui libère les 500 prisonniers d'un camp près de Cabanatuan, le 30 janvier. Le 31 janvier, le gros de la 1ère division aéroportée prend pied dans la baie de Nasugbu, au sud de la baie de Manille, à moins de 80 kilomètres de cette ville, pratiquement sans opposition japonaise. Elle fixera les unités japonaises du sud de l'île. Le 3 février, le reste de la division est largué sur la crête de Tagaytay, sans rencontrer aucune résistance. La division se rassemble et prend le chemin de Manille. Le 4, elle est dans les faubourgs de la capitale tandis que Griswold, encouragé par MacArhur, a foncé depuis le nord sur elle, et a atteint assez tôt l'université Santo Tomas pour y délivrer indemnes les 350 civils alliés qui y étaient retenus sous la menace japonaise. Le 16 février, l'île forteresse de Corregidor est investie. Les Japonais s'y défendent avec âpreté. Ils dynamitent plusieurs de leurs positions plutôt que de se rendre, dont, le 23 février, le stock de munitions de la place, pour entraîner avec eux dans la mort le plus grand nombre possible d'assaillants. Le 28 février, après 12 jours de combat, l'île tombe enfin aux mains des Alliés, préalable indispensable à la sécurisation et à l'utilisation de la baie de Manille. Manille est encerclée. Mais le coeur de la ville (Intramuros, la vieille ville) a été transformé en forteresse inexpugnable par les marins japonais de l'amiral Iwabushi farouchement décidé à le défendre jusqu'au bout, maison par maison, truffées de positions de tir et reliées entre elles par des passages percés dans les murs. Pour en venir à bout sans essuyer des pertes terribles, les Américains décident alors d'employer les grands moyens : artillerie, aviation et chars. Le 3 mars, la réduction du dernier nid de résistance met fin à cette tragédie qui coûte la vie à 100 000 civils; un grand nombre de ces victimes est attribué aux atrocités commises par les Japonais. Les Américains, pour leur part, paient la prise de Manille par au moins 1 000 tués et 5 500 blessés. Mais Yamashita a finalement gagné son pari. Il est encore maître de tout le nord de l'île et en capacité de retenir des forces ennemies importantes. Mais il n'a plus que moins d'un an à vivre; il sera condamné à mort pour crimes de guerre et exécuté par pendaison le 23 février 1946. 12 janvier - 1 février 1945 : Bataille de Prusse orientale Après les campagnes de Biélorussie et des Pays baltes, l'Armée rouge se trouvait à la frontière du Reich. Le 17 août, une section russe l'avait même traversée au nord-ouest de Vilkaviskis mais avait été immédiatement refoulée. Deux mois plus tard, trois armées soviétiques récidivèrent près de Schirwindt. Trois jours plus tard, elles étaient à Goldap et menaçaient Gumbinnen. Hitler renonça alors à son plan visant à débloquer ses troupes encerclées en Courlande. Il ordonna au général Reinhardt, commandant du groupe d'armées Centre, de contre-attaquer le long du Niémen avec la 3ème armée blindée et de chasser les Russes de Prusse orientale. Reinhardt sécurisa Gumbinnen et reprit Goldap, mais ne parvint pas à refouler l'Armée rouge au-delà de la frontière. En installant son PC en Prusse orientale, le général allemand, s'aperçut que le gauleiter Koch, qui dirigeait la région tout en étant également son commissaire à la défense, n'avait rien fait pour protéger la frontière ou prévoir l'évacuation des civils, sans doute par souci de ne pas afficher de défaitisme. Au cours de l'automne, Reinhardt s'affaira comme il put pour pallier cette carence. Mais tout avait été distrait au profit du Mur de l'Atlantique! A la fin de l'année, les troupes allemandes
s'alignent de leur gauche à leur droite sur un front très
étendu. Au nord, sur la partie sud-nord du front, à la frontière
de Lituanie, la 3ème armée blindée s'allonge sur 100
kilomètres sur le Niémen et couvre Gumbinnen et Goldap. Au
centre, à l'endroit où le front change brusquement de direction
pour s'orienter est-ouest, la 4ème armée est positionnée
à l'est des lacs Masures. Au sud, enfin, en terre polonaise, se
trouve la 2ème armée. Ce front est faible en plusieurs endroits
et les dernières attaques soviétiques l'ont encore fragilisées.
En face, les assaillants, qui possèdent une supériorité numérique écrasante, en hommes comme en matériel, opposent à l'armée allemande, depuis le nord jusqu'au sud, le 1er front de la Baltique (Bagramian), contre la 3ème armée blindée et Koenigsberg, le 3ème front de Biélorussie (Tcherniakhovski), contre la 3ème armée blindée et la 4ème armée (lacs Masures), le 2ème front de Biélorussie (Rokossovski), contre la 4ème armée et la 2ème armée. Rokossovski possède de menaçantes têtes de pont sur la Narew, à Rozan et à Serock. Au début de 1945, au cours d'une visite de Guderian, Reinhardt, tenu informé par les services de renseignements, sait qu'il ne pourra pas remplir la mission qui lui est confiée. Il suggère à Guderian de raccourcir son front et de dégager des réserves en se repliant de Pologne jusqu'à la frontière de Prusse orientale pour déjouer l'attaque russe qu'il attend d'un jour à l'autre sur la 2ème armée. Le 9 janvier, Hitler refuse catégoriquement; à son avis, les renseignements des SR ne sont que des sottises sorties de cerveaux de gens atteints de folie : les Soviétiques ne peuvent pas avoir les forces qu'ils leur prêtent. Pourtant, le plan de la Stavka est prêt. Il prévoit deux attaques. L'attaque principale portera sur la Silésie et l'Oder, vers l'ouest et Berlin. L'attaque secondaire s'emparera de la Prusse orientale et dégagera ainsi le flanc droit de l'attaque principale. Le Kremlin espère que la guerre se terminera 45 jours plus tard, c'est-à-dire vers la mi-mars, prévision quelque peu optimiste. Le 12 janvier, commence la bataille de Prusse orientale. Les troupes soviétiques se lancent à l'assaut de la 4ème armée à la fois par le nord et par le sud afin de désorienter l'ennemi et d'immobiliser ses réserves. Le 13, Tcherniakhovski attaque la 3ème armée blindée à Stalupönen et Pillkallen. Le 14, Rokossovski débouche des têtes de pont de Serock et Rozan; le brouillard freine l'avancée des chars et favorise la défense allemande qui résiste bien; Hitler en tire la conclusion que Reinhardt peut tenir facilement et lui retire le corps blindé Gross-Deutschland pour l'affecter au groupe d'armées A en Silésie. Le 15, la 2ème armée est contrainte de se replier, tandis qu'au nord la 3ème armée blindée recule au sud de Pillkalen pour ne pas être coupée. Le 16, au sud, par un temps devenu clair, une avant-garde blindée soviétique avance jusqu'à Nowe Miasto. En même temps, les troupes de la tête de pont de Rozan prennent leur essor. Les forces de Rokossovski sont en marche, d'une part en direction de la basse Vistule (Bydgoszcz et Grudziadz), d'autre part vers le sud-ouest de la Prusse orientale (Deutsch Eylau, Gilgenburg, Allenstein). Le 16, Reinhardt, qui craint l'encerclement de la 4ème armée, encore presque intacte, propose sa retraite stratégique. Le 17, alors que la 2ème armée est à bout de forces, Hitler ordonne le maintien de la 4ème armée à l'est des lacs Masures; il autorise seulement un raccourcissement du front et le retrait de deux divisions de la 4ème armée. Le 18, la 2ème armée cède, une brèche s'ouvre, Reinhardt envoie des renforts pour la colmater, mais il sait qu'ils ne suffiront pas. Le 19, les chars soviétiques sont au sud de Gilgenburg, prêts à foncer vers la Baltique. Entre temps, la résistance de la 3ème armée blindée, tournée par le nord, a faibli; elle recule pied à pied en direction de Koenigsberg. Le 20, calme précaire avant la tempête : les Russes prennent leurs marques pour l'assaut final et Hitler se refuse toujours à admettre la retraite de la 4ème armée; il annonce des renforts du Danemark et du groupe d'armées du Nord (en Courlande et à Memel). Le 21, Deutsch Eylau tombe au pouvoir des Soviétiques qui envoient un détachement jusqu'à Allenstein. Tcherniakhovski prend Gumbinnen et une option sur Koenigsberg (ou Königsberg). Les mouvements de l'Armée rouge dévoilent son intention d'encercler le coeur de la Prusse orientale. Le 23 janvier en soirée, tous phares allumés, les chars soviétique sont aux portes d'Elbing, où personne ne semble les attendre; le 24 au matin, ils tentent de se saisir de la ville mais les Allemands, revenus de leur stupeur, les obligent à la contourner. De toute manière, la rive droite de la Vistule est aux mains de l'Armée rouge et les défenseurs de la Prusse orientale sont pris piège. Dans la matinée du 24, le général Hossebach, commandant la 4ème armée, réunit les chefs de ses trois corps pour les aviser qu'ils sont encerclés et qu'il a pris la décision de marcher vers l'ouest pour effectuer une percée et rejoindre les lignes allemandes de l'autre côté de la Vistule; il ne dit pas un mot de la 3ème armée blindée, supposée se débrouiller toute seule, et n'avise pas Reinhardt qu'il sait d'accord avec lui. Toujours le 24, les troupes de Tcherniakhovski percent au sud de la Prégel et se rapproche de Koenigsberg. Reinhardt, propose une double action de contention vers l'est et de percée vers l'ouest. Mais, pour ce faire, il lui faut la 4ème armée. Hitler autorise enfin son repli, mais pas au-delà de Lötzen et d'Ortelsburg, et il promet à nouveau des secours de Memel qui viendraient par barques et par le Kurische Nehrung, bande de sable au bord de la Baltique. Devant les illusions d'Hitler, Reinhardt ne sait plus ni quoi dire, ni quoi faire. Il prend le parti de se taire et de laisser les événements se dérouler selon leur gré, sans même reprocher à Hossebach son initiative contraire aux ordres. Le 25, Tcherniakhovski est à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Koenigsberg. Les Soviétiques semblent vouloir isoler la 4ème armée d'Hossebach. Dans la nuit, Reinhardt intervient à nouveau auprès de Guderian pour obtenir l'autorisation d'opérer un repli stratégique. Il se heurte encore à un refus. Tout ce que le haut commandement a pu réaliser ces derniers temps pour faire face à la situation a été de changer le nom des groupes d'armées; le groupe Centre est devenu groupe Nord; le groupe Nord a été rebaptisé groupe de Courlande; et le groupe A, en Silésie, est maintenant le groupe Centre. En même temps, la 2ème armée, bien mal en point, est retirée du nouveau groupe Nord, celui de Reinhardt, pour être affectée au groupe de la Vistule que commande Himmler, chargé de défendre la Poméranie. Le 26, la 5ème armée de la Garde (Rokossovski) tient fermement un point sur la Baltique au nord-est d'Elbing. En Face, la 4ème armée déploie ses divisions pour tenter la percée salvatrice. Dans la matinée, Reinhardt téléphone au GQG qu'il va ordonner un repli de 50 kilomètres de la 4ème armée jusqu'à la ligne Wartenburg - Bischofsburg - Schippenbeil - Friedland, et il ajoute qu'il pense déplacer le front dans le triangle de Heilsberg où existent des fortifications datant de la république de Weimar. Hitler, fou de rage, destitue Reinhardt et Hossebach pour trahison. Dans la nuit, la tentative de percée est lancée mais elle échoue. Le 27, le général Rendulic arrive de Courlande pour remplacer Reinhardt. Rendulic est une brute impitoyable qui n'hésite pas à fusiller l'officier ou le soldat qui lui semble défaillant. Il n'est plus question de percée! Le 30, le général Müller, un spécialiste des situations de crise, il l'a prouvé en Grèce, succède à Hossebach. Au nord, cependant, le 1er front de la Baltique (Bagramian) a poussé jusqu'à Samlande et sa péninsule (Sambie); Koenigsberg est ainsi prise dans les mâchoires nord et sud d'un étau. Le ravitaillement par mer du groupe d'armées Nord allemand est sérieusement menacé. Le même jour, le succès de l'offensive soviétique de la Prusse orientale au sud rend la position de Memel insoutenable et les Allemands décident de déplacer le 38ème corps de la ville en Sambie afin de participer à la défense de cette région; les troupes restantes des 95ème et 58ème divisions d'infanterie sont évacuées vers l'isthme de Courlande, la 58ème constituant l'arrière-garde du retrait. Les dernières unités allemandes organisées partent à 4 heures du matin le 28 janvier, les unités soviétiques prenant possession du port quelques heures plus tard. Le 1er février, la 4ème armée, tente malgré tout d'effectuer une nouvelle percée; une contre-attaque l'arrête net. Des flots de réfugiés abandonnent leurs foyers pour se rendre à Dantzig. Beaucoup périssent en route d'épuisement, de froid ou sous les bombes; à la mi-février, 1 300 000 personnes, sur les 2 300 000 à 2 400 000 que comptait la Prusse orientale, auront ainsi choisi l'exode; ils seront remplacés par des Soviétiques ayant pâti de l'invasion nazie (Russes de Russie centrale, Biélorusses, Lituaniens, Ukrainiens); ceux qui restent font souvent partie du Volkssturm (territoriaux). L'Allemagne est pétrifiée par ces événements tragiques et si soudain. Si les Russes continuent d'avancer à cette allure, on calcule qu'ils peuvent être sur le Rhin dans moins d'un mois! Mais Danzig ne tombera que le 28 mars et Koenisberg le 26 avril! L'entrée de l'Armée rouge en territoire ennemi (Hongrie et Allemagne) s'accompagne de violence et de pillage. Mais de tels actes ne sont malheureusement pas absents des autres fronts. On l'a noté à propos de l'Italie et cela s'est également produit en France. On peut penser que, sur le front de l'Est, ils sont motivés en grande partie par un sentiment de vengeance après tout ce que l'invasion et l'occupation nazies ont fait subir aux populations soviétiques. Beaucoup de Juifs servent dans l'Armée rouge; les dirigeants nazis, amalgant lestement judaïsme et communisme, prétendent lutter contre le judéo-bolchevisme et régler le sort des Juifs par l'extermination (Solution finale) et celui des Slaves par l'esclavage; attendre de ces derniers qu'ils fassent preuve de mansuétude à l'égard de civils qui ont portés leurs bourreaux au pouvoir, c'est faire preuve de beaucoup de naïveté! Les dirigeants nazis en appliquant les principes de la guerre totale, n'ont-ils pas eux-mêmes préparé sciemment ces représailles en espérant qu'elles dynamiseraient la résistance par la terreur quelles inspireraient? Dans la presse russe, les soldats allemands qui ont ravagé la Russie sont présentés comme des bêtes sauvages qu'il faut exterminer; Le 24 Juillet 1942, Ilya Erhenbourg écrivait déjà, dans un article intitulé "Tue": "Ne disons rien. Ne nous indignons pas. Tuons. Si tu n'as pas tué un Allemand par jour, ta journée est perdue… Si tu ne tues pas l'Allemand, c'est lui qui te tuera… Si tu ne peux pas tuer un Allemand avec une balle, tue-le à la baïonnette… Si tu as tué un Allemand, tues-en un autre - à l'heure actuelle il n'est rien de plus réconfortant pour nous autres que de voir des cadavres allemands. Ne compte pas les jours, ne compte pas les kilomètres. Compte une seule chose : les Allemands que tu auras tués. Tue l'Allemand ! C'est ce que te demande ta vieille mère. L'enfant t'implore : tue l'Allemand ! Tue l'Allemand ! C'est ce que réclame ta terre natale. Frappe juste." On est loin de l'internationalisme prolétarien et des fraternisations de 1917, et loin aussi de ces vers célèbres de Maïakovski :"Chers Allemands! / je le sais, / sur vos lèvres vous avez / la Gretchen de Goethe. /"! Certes, le code militaire russe punit les exactions commises contre des civils mais Staline a ordonné aux officiers de se montrer cléments envers des soldats qui ont tant souffert. Cependant, la guerre continue et les soldats soviétiques ont d'abord à combattre un ennemi qui est loin d'être encore complètement vaincu; il est donc exagéré de penser que les exactions commises ont été systématiques et généralisées, ce qui aurait désorganisé l'Armée rouge; les officiers soviétiques ont donc sans doute toléré les brutalités commises contre les civils, mais ils ne les ont certainement pas encouragées. De plus, aussi condamnables que soient les violences commises par les troupes terrestres, ce sont encore les bombardement alliés qui s'avèrent les plus terribles. Une Allemande violée n'a-t-elle pas écrit: "Il vaut mieux avoir un soldat russe sur le ventre, qu'un aviateur américain au-dessus de la tête!" Pendant les derniers mois de la guerre, les civils allemands subissent un véritable calvaire. Mais il faut savoir que la majorité de la population des pays en guerre contre l'Axe, occupés (France) ou non (Angleterre), s'en serait réjoui si elle l'avait su. Les gens qui n'ont pas connu la guerre ont sans doute peine à imaginer le ressentiment qui nous animait alors contre les Boches, comme on nommait les Allemands en France. Et cet état d'esprit mit du temps à s'estomper! Vers la fin des années 1960, survolant la Ruhr avec un autre Français plus âgé que moi, je me souviens encore l'avoir entendu dire, en regardant à travers son hublot: "Quelles belles cibles!" Beaucoup de gens, en France comme en Angleterre et ailleurs, estimaient que les souffrances des Allemands étaient amplement méritées. La reine d'Angleterre souhaitait même la disparition de tous les Allemands de la terre! Pour ce qui concerne les pillages, le texte
ci-après de Jean-Claude Guillebaud, apporte d'utiles précisions.
12 janvier - février 1945 : Bataille de Silésie-Oder Hitler s'attendait à une attaque d'hiver de l'Armée rouge. Et il savait aussi que c'était sur le front de l'Est qu'allait se jouer le sort du 3ème Reich. L'offensive dans les Ardennes avait surtout pour but d'entraîner la désagrégation de l'alliance conclue contre lui en amenant Anglais et Américains à signer une paix séparée qui lui permettrait de lancer toutes les forces qui lui restaient contre l'URSS. Mais, sur le front Ouest, ses espoirs avaient été déçus. Sur celui de l'Est, les stratèges allemands s'attendaient à une attaque par les ailes dans la poursuite des offensives menées pendant l'été 1994. Ils avaient donc renforcé le groupe d'armées Centre, qui tenait la Prusse orientale, et surtout le groupe d'armées du Sud où la Hongrie était menacée, en négligeant le groupe d'armées A qui défendait la Silésie. C'était une faute stratégique grave puisque les Soviétiques concentraient au contraire l'essentiel de leurs forces sur la Silésie et l'Oder, puis la direction de Berlin. A cet endroit, l'Armée rouge se trouvait à l'est de Varsovie et possédait trois têtes de pont d'importance inégale sur la Vistule, deux au sud de Varsovie, relativement étroites et peu profondes, à Magnuszew et Pulawy, une autre plus au sud, à l'ouest de Sandomierz, plus large et plus profonde. Les axes d'attaque principaux revenaient au
1er front de Biélorussie (Joukov) et au 1er front d'Ukraine (Koniev).
Ils comprenaient 45% des effectifs, 70% des chars, 43% des canons et des
avions de l'Armée rouge. De plus, comme les Allemands avaient eu
le temps d'établir plusieurs lignes de défense échelonnées
jusqu'à l'Oder, les Soviétiques devaient trouver le moyen,
une fois la première percée opérée, d'empêcher
l'ennemi de se réorganiser sur la suivante. L'avance devait donc
être rapide afin d'amener l'assaillant sur cette ligne avant même
que les défenseurs en retraite ne l'atteignent. Pour ce faire, Joukov
et Koniev sont dotés d'unités mobiles qui ont pour mission
de foncer en contournant les points de résistance sans les affronter
laissant le soin à ceux qui suivent plus lentement de les détruire.
La supériorité numérique de l'Armée rouge,
et la maîtrise de l'air, autorisent cette option risquée aux
allures de guerre éclair. Les deux attaques principales sont
flanquées au nord par le 2ème front de Biélorussie
(Rokossovski), dont la droite agirait en Prusse orientale, et au sud par
le 4ème front d'Ukraine (Petrov) avance vers la Tchécoslovaquie.
L'opération se déroule en deux phases. La première, du 12 au 17 janvier, perce le front du groupe d'armées A (Harpe) sur près de 500 kilomètres et détruit une grande partie de ce groupe. La seconde, du 18 janvier au 3 février, consiste à poursuivre l'ennemi en retraite sans lui laisser un instant de répit. Le 12 janvier, Koniev attaque à partir de la tête de pont de Sandomierz. A la fin de la journée, une brèche de 35 kilomètres de large et de 20 kilomètres de profondeur est ouverte. Le 14, Joukov se lance à l'assaut depuis les têtes de pont de Magnuszew et Pulawy; il progresse de 12 à 18 kilomètres et crée deux brèches de 35 et 22 kilomètres. Le 15 janvier, Koniev s'empare de l'important noeud routier et ferroviaire de Kielce par une manoeuvre en tenailles. Ce jour là, les réserves allemandes opposées à Koniev, qui ont été écrasées, fuient en direction de la ligne de défense de la Pilica. En fin de journée, Joukov a ouvert une brèche de 120 kilomètres de large et d'une profondeur de 30 kilomètres à Magnuszew, de 50 kilomètres à Pulawy. Le 15 également, l'aile droite du front franchit la Vistule au nord de Varsovie. Le 16, la gauche de la 1ère armée polonaise, attaque depuis le sud-est de Varsovie en direction du nord-ouest. Le matin du 17, la 1ère armée polonaise commence l'assaut de la ville tandis que la 2ème armée blindée de la Garde soviétique ferme la retraite de la garnison allemande. Les ruines de la capitale polonaise tombent aux mains des Russes et de Polonais qui vont y établir le gouvernement de Lublin. Les forces de gauche de Joukov se dirigent sur Szydlowiec tandis que celles de droite de Koniev vont vers Skarzysko pour encercler les Allemands qui résistent encore dans les environs d'Ostrowiec. Le 17 encore, Koniev lance une attaque sur Tarnowskie Gory pour s'emparer de la Silésie polonaise. A la fin du 17, il n'y a plus de front de la Vistule et partout les formations allemandes qui le peuvent encore battent en retraite; les autres vont être détruites ou capturées. Le même jour, Hitler, furieux de la situation en Silésie, remplace Harpe par Schörner à la tête du groupe d'armées A, rebaptisé groupe d'armées Centre; le nouveau venu, nazi convaincu, se distinguera par la brutalité de ses méthodes de commandement; il pense refouler les Soviétiques en se montrant implacable avec ses propres troupes. Joukov et Koniev reçoivent l'ordre d'accélérer leur mouvement. Koniev est chargé de s'emparer de Cracovie puis de foncer sur Wroclav (Breslau), sur l'Oder, et enfin de s'emparer de la Silésie polonaise avec son bassin houiller et ses industries de préférence intactes. Joukov, quant à lui, doit se diriger sur Poznan (Posen), sur la quatrième ligne de défense, de la percer, puis de se ruer sur l'Oder, à travers la cinquième ligne de défense, la dernière avant l'Allemagne. Le 18 janvier, l'encerclement de Cracovie est achevé après de violents combats. La ville tombe aux mains des Russes le lendemain. Ces derniers, poursuivant d'autre part leur avance sur Breslau, les Allemands, isolés en Silésie polonaise, dans les environs de Katowice, n'ont plus qu'une solution : battre en retraite au plus vite. Mais ils hésitent car ils ne pourraient alors pas empêcher le franchissement de l'Oder par leurs ennemis et perdraient les ressources minières et industrielles de la région. L'Okw, incapable de retenir la ruée soviétique fait venir de nombreuses unités prélevées sur le front Ouest, en Italie, au Danemark et sur d'autres secteurs du front de l'Est. Entre le 19 janvier et le 3 février 1945, 23 divisions et plus de 200 bataillons arrivent en renforts pour s'opposer à Joukov qui, en maintenant sa vitesse, doit pouvoir parvenir à la cinquième ligne de défense, le Rempart de Poméranie, avant que celui-ci ne soit tenu fermement. Pour fermer une brèche ouverte dans son dispositif par suite de l'avance non synchronisée de ses unités, Koniev fait bifurquer la 3ème armée de la Garde et le 1er corps de Cavalerie de la Garde et les lance vers le sud à travers les arrières allemands. Le 22 janvier, ils atteignent l'Oder à Oppeln. Le 23 janvier, au nord, un bastion important, Bydgoszcz (Bromberg) tombe aux mains des forces russes. Au sud, avec la progression de la 3ème armée de la Garde en direction de Katowice, la menace qui pèse sur les Allemands en Silésie polonaise se fait plus pressante. Koniev, sur ordre de la Stavka, leur a laissé une porte de sortie afin de s'emparer d'une Silésie polonaise indemne qui pourra être remise rapidement en état de produire par le nouveau gouvernement de Varsovie. Les Allemands vont profiter de l'aubaine et battre en retraite vers le sud-ouest. Au soir du 25, la ligne de Poznan est percée par Joukov et 60 000 Allemands sont encerclés dans la ville. Et plusieurs têtes de ponts sur l'Oder ont été établies par l'aile droite et le centre de Koniev. Le 28, par suite d'une orientation plus au nord des forces soviétiques combattant en Prusse orientale, Joukov, qui a dû étendre sur 160 kilomètres son aile droite pour garder le contact, se trouve menacé par une contre-offensive allemande depuis la Poméranie. Il puise dans ses réserves, son deuxième échelon et ses éléments d'assaut pour renforcer son flanc droit mais ne ralentit pas sa marche en avant sur l'Oder. Le même jour, les troupes de Koniev entrent à Katowice. Le lendemain, la totalité de la Silésie polonaise est contrôlée l'Armée rouge. Le 30 janvier, l'aile gauche de Koniev est sur les bords de l'Oder et même de l'autre côté, au sud-ouest de la Silésie polonaise. Le 4ème front d'Ukraine (Petrov), de son côté, a progressé jusqu'aux abords de la Tchécoslovaquie et tient la ligne Biala-Zakopane. Sa marche a permis à l'aile droite du 2ème front d'Ukraine une avancée de 40 à 45 kilomètres vers le nord-ouest. Le 31 janvier, l'Oder est atteinte à Kostrzy (Küstrin), malgré les efforts acharnés qu'opposent les dernières forces allemandes à la frontière de leur patrie. C'est la pointe la plus avancée du dispositif soviétique, à moins de 100 kilomètres de Berlin, un pistolet braqué sur la capitale du 3ème Reich. Le 14 février, les Russes s'emparent au nord de Schneidemühl (Pila). Au sud, ils avancent de l'autre côté de l'Oder, en direction de la Tchécoslovaquie. Mais la tâche n'est pas terminée. Les Allemands ont en effet fortifié des noeuds ferroviaires et routiers importants. Dépassés par l'avance rapide des groupes mobiles, il va falloir les assiéger. Les plus importants sont : Poznan, Glogau, Breslau, Oppeln (Opole) et Grudziadz (Graudenz); durant l'hiver et le printemps 1945, ils retardent la logistique soviétique, obligeant à la mise en place d'itinéraires ferroviaires compliqués. Le 23 février, la poche de Poznan est liquidée. Les autres poches subissent le même sort peu de temps après, sauf celle de Breslau qui ne tombera que le 6 mai. Les Soviétiques marquent alors une pause. La guerre ne se terminera pas à la mi-mars! Janvier - 11 mai 1945 : Bataille de Tchécoslovaquie A la fin de l'année 1944, le 4ème front d'Ukraine (Petrov) a libéré une partie importante du sud-est de la Slovaquie. Le 2ème front d'Ukraine (Malinovski) a traversé la frontière hungaro-tchécoslovaque et libéré une portion de la Slovaquie du Sud. Le 1er front d'Ukraine (Koniev), qui compte dans ses rangs le 1er corps d'armée tchécoslovaque, formé en URSS, a pris le col de Dukla ainsi que d'autres points de passage vers la Tchécoslovaquie. Les forces allemandes de Slovaquie sont attaquées de trois côtés. En janvier 1945, les 2ème et 4ème fronts d'Ukraine ont atteint une ligne qui part de Jaslo, en Pologne, passe à l'est de Kosice, en Tchécoslovaquie et se termine à Eztergon, en Hongrie. Le commandement allemand s'efforce de protéger les précieuses zones industrielles de Pilsen (Skoda), de Brno (armements), d'Olomouc (poudrières) et de Most (carburant synthétique). Petrov avance dans la région boisée des Carpates par un temps affreux, en direction de Moravska Ostrava, avec l'appui de l'aile gauche de Koniev, tandis que Malinovski menace Bratislava et Brno. Mais, le 2 janvier, une contre-offensive allemande est déclenché dans la région de Komarno. La Wehrmacht, encore très active au nord du Danube, refoule Malinovski au-delà du Hron, tandis que les violents combats qui font rage autour de Budapest ralentissent la poussée vers Bratislava. Au début de février, les troupes de Petrov combattent à proximité de Moravska Ostrava. A la mi-février la 18ème armée (général Gastilovitch) et le 1er corps d'armées tchécoslovaque (Petrov) atteignent Ruzomberok, après une progression de 150 à 170 kilomètres. Le flanc droit du 2ème front d'Ukraine a avancé d'une centaine de kilomètres, jusquà Banska Bistrica et Zvolen; la 53ème armée (généralManagarov) et les 1ère et 4ème armées roumaines ont chassé les Allemands des monts Métallifères. Le 4 avril, Malinovski prend Bratislava, capitale de la Slovaquie. Les 20 000 guérilleros tchécoslovaques
participent au combat aux côtés des Soviétiques. En
janvier et février, ils détruisent 17 divisions allemandes
et hongroises. Mais les pertes de l'Armée rouge s'élèvent
à 66 000 tués et blessés. En mars, le front national
tchèque et slovaque, présidé par le communiste Klement
Gottwald, forme un gouvernement dirigé par Z. Fierlinger, un diplomate
de tendance sociale-démocrate, qui siège à Kosice,
avec l'accord du président Bénès qui rentre en Tchécoslovaquie
le 5 avril.
La Stavka souhaite faire tomber rapidement les zones industrielles tchécoslovaques pour deux raisons. D'abord parce qu'elles constituent désormais la seule ressource des Allemands en la matière, ensuite parce qu'elles sont bien défendues et bloquent la route de Prague. Mais, pour éviter des lenteurs, protéger les populations et le potentiel productif, elle écarte les attaques frontales et préconise leur contournement afin que les Allemands, menacés d'encerclement, les quittent d'eux-mêmes. Le 15 avril, Petrov met en oeuvre les directives de la Stavka à Moravska Ostrava. Le 18 avril, Patton entre en Tchécoslovaquie par l'ouest. En raison des accords Eisenhower-Antonov, il arrête sa progression sur une ligne Karlovy-Vary - Pilsen - Pizek - Ceske Budejovice. Le 22 avril, Opava tombe aux mains de la 60ème armée du général Kourotchkine. Le 30 avril, c'est au tour de Moravska Ostrava, le jour même où le drapeau soviétiques est hissé sur le Reichstag. La guerre va se terminer ailleurs, mais elle se poursuit en Tchécoslovaquie où le général Schörner refuse de cesser le combat. Mais sa situation est désormais désespérée. Il est attaqué de tous les côtés : au nord et au nord-ouest par le 1er front d'Ukraine (Koniev) qui encercle Dresde, à l'est par les 2ème (Malinovski) et 4ème fronts d'Ukraine (Petrov), au sud et au sud-ouest par le 3ème front d'Ukraine (Tolboukhine) Et, à l'ouest, il y a Patton, qui ne demanderait pas mieux que de participer à la curée. Il est enfermé dans une poche qui ne peut que se rétrécir. Le 5 mai, Prague se soulève. Les insurgés s'emparent des centres vitaux et contraignent le Reichsprotektor à négocier avec eux. Schörner donne des ordres pour écraser l'insurrection. Mais la Stavka enjoint aux armées soviétiques de libérer Prague. Le 6 mai, alors que les Allemands attaquent les insurgés à Prague, Koniev profite d'une faille dans le dispositif allemand, au sud de Dresde, pour y percer une large brèche. Démoralisés par cette mauvaise surprise, les Allemands de la poche de Breslau capitulent. Les forces soviétiques progressent rapidement afin d'empêcher les Allemands de se retrancher sur des positions défensives. A l'est, vers Olomouc, cependant, ils ripostent par de nombreuses contre-attaques aux tentatives de Petrov qui ne progresse que lentement. Au sud, dans la région de Brno, Malinovski, avance, à partir du 7 mai, de 12 kilomètres en direction de Prague. Dans la capitale tchécoslovaque, la partie n'est pas égale entre les insurgés et les Allemands beaucoup mieux armés et aguerris. Le risque est grand que, comme à Varsovie, ils ne succombent avant l'arrivée des Russes, que la ville soit rasée et que ses destructeurs ne trouvent le moyen de s'échapper vers l'ouest. Il faut faire vite. Le 8 mai, les trois fronts du nord du Danube (1er, 2ème et 4ème) réunissent toutes leurs forces pour foncer sur Prague. Tolboukhine, qui se trouve au sud du Danube, avance vers l'ouest pour fermer la porte aux Allemands. L'aviation soviétique, qui domine le ciel, aide puissamment les troupes au sol. Vers 18 heures, les forces qui viennent de Dresde s'emparent de Teplice et de Most, privant l'ennemi de ses dernières ressources de carburant. A 60 kilomètres de Prague, les blindés soviétiques du 5ème corps de la Garde détruisent sans le savoir la colonne de véhicules du QG et de l'état-major de Schörner. Dresde se rend. Olomouc tombe aux mains de Petrov. Au soir du 8 mai, les Soviétiques enveloppent les Allemands et sont à moins de 100 kilomètres de la capitale tchécoslovaque. Le 9 mai au matin, après une progression de 75 kilomètres, les blindés de Koniev pénètrent dans Prague et se mêlent aux combats de rue. Les Allemands sont si surpris que 4 000 d'entre eux sont faits prisonniers. Vers 10 heures, Soviétiques et insurgés ont chassé les Allemands de la ville. Les restes des troupes de Schörner sont encerclés à l'est de Prague. Seules quelques forces du groupe d'armées d'Autriche ont réussi à filer. Le 10 mai, la Stavka ordonne d'opérer
la jonction avec les Américains de Patton. C'est chose faite dans
la journée, sur la ligne Chemnitz-Rokycany pour Koniev, sur celle
de Pisek-Ceské Budejovice pour Petrov. Prague est en liesse. Schörner
tente, déguisé en civil, de se réfugier en Autriche
auprès des Américains, mais ceux-ci le remettent au Soviétiques.
Le 11, les Allemands de la poche se rendent; les Soviétiques capturent
858 000 hommes et 60 généraux. Le 12, un dernier combat a
lieu à Slivice; les Allemands sont défaits et leur chef,
Carl Friedrich von Pückler-Burghauss se suicide d'une balle dans la
tête.
Une fois les contre-offensives allemandes stoppées
dans les Ardennes et en Alsace-Lorraine, les Alliés occidentaux
s'alignent sur le Rhin pour l'assaut final sur l'Allemagne. Dans le secteur
français, cela suppose la réduction de la poche de Colmar.
Les armées qui vont s'affronter sont à peu près équilibrées.
Les effectifs allemands en infanterie sont un peu plus nombreux, mais l'ennemi
ne dispose plus de réserve. Pour ce qui est des blindés,
la supériorité alliée est indiscutable, mais le matériel
allemand est meilleur et mieux adapté au terrain.
Le 20 janvier, après une forte préparation
d'artillerie, le 1er corps (Béthouart) attaque par un temps exécrable,
sur un large front de Mulhouse aux Vosges. Il avance de 5 kilomètres.
Mais, le 21, les conditions atmosphériques deviennent telles que
l'artillerie ne peut plus suivre, que les chars sont arrêtés
et que le ravitaillement n'arrive pas. Le 22, de Lattre réclame
des renforts au général américain Devers qui lui accorde
une division pour défendre Strasbourg. Les Allemands en profitent
pour contre-attaquer. Jusqu'au 3 février, la progression se poursuit
lentement, au milieu de champs de mines, contre un ennemi bien décidé
à défendre pied à pied le terrain qu'il occupe dans
la région des mines de potasse (entre Cernay et Mulhouse). Le 24
janvier, il lance la brigade blindée Feldherrnhalle pour
refouler les troupes du 1er corps des positions conquises les jours précédents;
il essuie un échec. Le 25, l'avance française repart et un
troisième assaut est livré le 27 contre la cité Kuhlmann
qui est enfin prise après deux tentatives infructueuses. Le 29,
les cités Langenzug et Amélie I tombent à leur tour.
Dans la nuit du 22 au 23 janvier, le 2ème corps (Monsabert) s'empare de la forêt de Colmar. L'attaque se développe selon deux axes, à gauche un axe, confié à la 1ère DFL, Illhaeusern-Marckolsheim, à droite un axe Ostheim-Jebsheim, confié à la 3ème division US, avec, entre les deux la 5ème DB. L'attaque vise, après le franchissement de l'Ill, à se saisir du canal de Colmar et du canal du Rhône au Rhin, avant de foncer sur Neuf-Brisach. Mais tout ne se passe pas comme prévu. La 1ère DFL est bloquée pendant trois jours devant le village d'Illhaeusern, à l'arrière gauche des Américains. Le flanc nord de la 3ème division US est menacé par le retard des Français, ce qui oblige le commandement à réaménager son dispositif. Il décide de faire sauter les verrous menaçants de Grussenheim et de Jebsheim en recourant aux chars des 2ème et 5ème DB. Deux batailles se livrent simultanément sur ces deux points. Le 28, elles sont gagnées avec de lourdes pertes. Le 29, les Allemands essaient en vain de prendre leur revanche. Mais le 2ème corps, épuisé, n'a plus les moyens de poursuivre en direction de Neuf-Brisach. Cette tâche est dévolue aux renforts que le général Devers vient enfin d'envoyer entre le 2ème corps et la 10ème division d'infanterie qui couvre les Vosges. Le 2ème corps va être dirigée vers Strasbourg pour protéger cette ville et participer à la réduction des têtes de pont résiduelles de l'offensive allemande de début janvier. Le 29 janvier, le canal de Colmar est franchi, mais les tentatives pour passer l'Ill et envelopper Colmar échouent. Le 31 janvier, les Allemands rejettent même les Alliés de Durrenentzen, au sud du canal de Colmar, qu'ils viennent de traverser. Mais le 1er février, le 2ème corps s'empare de Marckolsheim et d'Artzenheim, sur le canal Rhône-Rhin, tandis que les Allemands perdent à nouveau Durrenentzen, ce qui écarte toute menace sur le flanc gauche des forces alliées à l'est de Colmar. C'est le dégel et le terrain rigide et glissant se transforme en bourbier; la 2ème DB prend le relais des unités de la 5ème DB qui ont beaucoup souffert. Colmar, désormais coupée de Neuf-Brisach, ne peut plus espérer aucun secours. De Lattre qui redoute la destruction de la ville par ses derniers occupants décide de hâter sa prise. Dans la nuit du 1er au 2 février, l'assaut est lancé par le nord. En accord avec les Américains, ce sont les Français qui auront l'honneur de rentrer les premiers dans la cité. Vers 7 heures du matin, la tentative de pénétration commence. Vers 10h30, le sous-groupe du colonel du Breuil découvre une chicane praticable du côté de la caserne Lacarre et fonce vers la ville. A 11 heures, il est place Rapp. Le combat est difficile. Mais, à 18h30, Colmar est libre, libre et intacte, sauf un îlot de résistance qui tombe le lendemain. Le 3 février, le commandement allemand ordonne l'évacuation de ce qui subsiste de la poche de Colmar. Le même jour, le 1er corps arrive à Ensisheim. Dans une semaine, il sera au bord du Rhin. Le 5 février, les deux corps d'armée font leur jonction à Rouffach, au sud de Colmar; les Allemands attardés dans les Vosges sont pris au piège. Le 8 février, le 1er corps d'armées fait sa jonction avec la 2ème DB, à l'est du canal Rhône-Rhin. Dans la matinée du 9, le Rhin est atteint à Chalampé à l'est de Mulhouse. Le fleuve est bordé par l'armée française et de Lattre célèbre l'événement en rappelant cette illustre phrase de Turenne "Il ne doit pas y avoir d'homme de guerre au repos tant qu'il reste un Allemand en deça du Rhin." 4 - 11 février 1945 :
Conférence de Yalta
7 février - 1er avril 1945 : Bataille pour le passage du Rhin Une fois la bataille des Ardennes terminée en faveur des Alliés, ces derniers reprennent les objectifs qui étaient les leurs avant son déclenchement : atteindre le Rhin et pénétrer au coeur de l'Allemagne. Mais, dans un premier temps, il leur faut franchir l'obstacle de la ligne Siegfried, pendant allemand plus complet de la ligne Maginot, et s'emparer de la rive gauche du Rhin. On l'a vu, cette phase va se dérouler selon deux axes, d'une part au nord, c'est-à-dire dans le secteur de Montgomery, en direction du Reichswald et de la Ruhr, d'autre part au sud, dans les secteurs de Bradley et de Devers, en direction de la Sarre. Eisenhower choisit de donner la priorité à l'axe nord. C'est pourquoi, en plus de la 1ère Armée canadienne (Crerar) et de la 2ème armée britannique (Dempsey), il a laissé sous les ordres du maréchal anglais la 9ème armée américaine (Simpson). Bradley, avec la 1ère armée US (Hodges) et la 3ème armée US (Patton), est chargé de la conquête de la Sarre en l'attaquant par l'ouest, et surtout de la protection du flanc droit de Montgomery, seconde mission que le général américain et ses subordonnés apprécient très peu! Enfin Devers, avec la 7ème armée américaine (Patch) et la 1ère armée française (de Lattre), participera à la conquête de la Sarre en l'attaquant par le sud. Face à Montgomery, du côté allemand, se trouve le groupe d'armées H (Student), face à Bradley, le groupe d'armées B (Model) et face à Devers, le groupe d'armées G (Blaskowitz). Ces trois groupes d'armées, sous les ordres de von Rundstedt, sont affaiblis physiquement et moralement par les revers que viennent de subir les armées allemandes, mais ils possèdent des ressources décuplées par le fait qu'ils combattent désormais pour le sol de leur patrie. Le 25 janvier 1945, le 12ème corps d'armée britannique achève le nettoyage du triangle de Roermond, au sud de la 2ème armée anglaise de Dempsey, préalable à l'assaut de la ligne Siegfried dans ce secteur. Le 1er février, la 3ème armée américaine (Patton) atteint la ligne Siegfried au sud du dispositif de Bradley. Dans la nuit du 7 au 8 février, au nord du dispositif de Montgomery, les Canadiens de Crerar commencent l'opération Véritable qui vise à franchir la ligne Siegfried et à envahir le massif du Reichswald, massif boisé, traversé de mauvaises routes, truffé de blockhaus, ceci en plein dégel. La tâche est d'autant moins facile qu'une partie de la plaine aux pieds du massif, entre Meuse et Rhin, est inondée. Il va s'en suivre des encombrements monstres et le réveil de von Rundstedt surpris par cette attaque. Des combats parmi les plus violents de la guerre se déroulent pour déboucher sur Goch et Udem. Le 9 février, en Alsace, la poche de Colmar est liquidée; Devers est sur le Rhin. Le 10 février, la 1ème armée US (Hodges) s'empare des barrages de la Roer, mais trop tardivement; les Allemands ont eu le temps, non pas de les faire sauter, mais de saboter intelligemment les vannes afin que l'eau coule suffisamment pour freiner l'avance alliée pendant un temps plus long que si tout avait été lâché d'un coup. L'offensive Grenade de la 9ème armée US (Simpson) est retardée jusqu'au 23 février, date à laquelle, la ligne Siegfried dépassée, elle s'empare d'une tête de pont violemment contestée sur la Roer. Simpson, après avoir scindée son armée en deux branches, oriente son action de la manière suivante : la branche nord s'écarte sur la gauche, pour rejoindre les Britanniques et encercler une partie des troupes allemandes; le 1er mars, elle prend Mönchen-Gladbach, tandis que la branche sud se dirige sur Düsseldorf; Simpson est couvert sur sa droite, par la 3ème DB de la 1ère armée (Hodges) qui fait un bond de 15 kilomètres depuis Düren, en direction de Cologne. Pendant ce temps, Montgomery déclenche l'opération Blockbuster afin de détruire la 1ère armée allemande de parachutistes (Schimmel) qui retarde l'avancée de ses troupes dans le Hochwald. Le 2 mars, le nettoyage du Hochwald est terminé et le front s'est effondré sous les coups de boutoir des blindés de Simpson. Von Rundstedt s'est résigné à demander à Hitler l'autorisation de se réfugier derrière le Rhin, autorisation qui est accordée. Les débris de 15 divisions allemandes se replient pour éviter d'être la proie des Britanniques de Dempsey et des Américains de Simpson qui se rapprochent les uns des autres. Les Américains utilisent la méthode contestable de Skorzeny pour s'emparer d'un pont à Obercassel, près de Düsseldorf. Ils déguisent en soldats allemands des troupiers américains parlant allemand qui se glissent dans la foule de l'armée allemande en retraite et parviennent jusqu'au pont mêlés aux traînards. Malheureusement, la ruse est éventée par un cycliste. Après une brève escarmouche, le pont saute et le commandant du détachement affecté à sa garde échappe à la fusillade qui attend tout gardien de pont qui laisse passer l'ennemi, en application des directives du Führer. Le 4 mars, Simpson propose à Montgomery de franchir le Rhin immédiatement. Le maréchal britannique britannique refuse, en raison des problèmes logistiques que cela poserait, mais aussi parce qu'il ne conçoit le passage du Rhin que dans le cadre d'une offensive de grande ampleur devant se terminer à Berlin ou sur la Baltique. Il est vrai que le franchissement d'un fleuve aussi large et aussi rapide sans le recours d'un pont n'est pas une opération simple ni facile. Elle exige d'énormes moyens et suppose une préparation sérieuse. On reproche à Montgomery, qui a sans doute encore en tête l'échec d'Arnhem, de laisser le conflit s'enliser dans une guerre de positions, comme en 1914-1918. Mais qu'aurait-on dit si une tentative trop précipitée avait à nouveau échoué? Le 5 mars, les Américains de Hodges s'emparent de Cologne. Le 7 mars, ils prennent le pont de Remagen, non pas intact mais encore utilisable et en profitent pour créer une tête de pont de l'autre côté du fleuve. Malheureusement, le terrain, barré par une falaise, ne se prête pas à un déploiement. La saisie de ce pont est quasi miraculeuse. L'Allemand chargé de le faire sauter a d'abord été commotionné par l'éclatement d'un projectile; il a perdu du temps pour reprendre ses esprits avant de demander à son supérieur l'autorisation de faire exploser la charge déjà installée; cette autorisation obtenue, il a tenté de déclencher l'explosion à distance mais, les fils ayant probablement été coupés par les tirs s'échangeant d'un côté à l'autre du pont, rien ne s'est passé; alors, il a demandé à un soldat de se dévouer pour aller allumer le cordon manuellement, ce qui fut fait; une explosion a bien eu lieu, mais de trop faible ampleur pour démolir le pont et le précipiter dans le fleuve. Le responsable a été fusillé! Von Rundstedt a été limogé et remplacé par Kesselring. La saisie d'un pont presque indemne par ses troupes met un peu de baume au coeur de Bradley, dont les subordonnées s'impatientent devant ce qui leur paraît un manque d'ardeur de Montgomery. Elle réjouit Eisenhower. Mais cette euphorie sera de courte durée. Le 17 mars, le pont, ébranlé par les chocs qu'il a subi, exagérément surchargés par les lourds engins américains amenés pour le réparer, se met soudain à vibrer, à se vriller, puis à s'effondrer dans le fleuve, entraînant dans la mort une partie de ceux qui essayaient de le consolider. Tandis qu'au nord Montgomery peaufine un plan de franchissement du Rhin imparable et qu'il accumule un matériel digne d'un nouveau débarquement, Bradley, Hodges et Patton complotent pour agir au plus vite et lui couper l'herbe sous les pieds. Le 19 mars, après avoir rencontré Eisenhower, Bradley autorise Hodges à fortifier sa tête de pont de Remagen. Ses deux subordonnés proposent une action concertée visant à ouvrir le corridor Francfort-Kassel après la traversée du Rhin par Patton aux environs de Mayence. Bradley approuve leur plan. Selon son habitude, Patton ne perd pas de temps. Comme Montgomery a prévu de passer le Rhin dans la nuit du 23 au 24 mars, le général américain décide d'agir pendant la nuit du 22 mars. La 5ème division de Patton franchit le Rhin à proximité de Nierstein et d'Oppenheim, au sud de Mayence, et établit des têtes de pont sur la rive droite. Les 23 et 24 mars, tandis que le secteur de Montgomery vient tout juste de finir d'être nettoyé, la 51ème division britannique (Highlands) et la 3ème division canadienne passent le Rhin près de Rees et d'Emmerich, tandis que la 9ème armée américaine de Simpson le traverse près de Rheinberg. Le 24 mars, des parachutistes anglais et américains sont largués au nord-est de Wesel pour faciliter le franchissement de ces unités et se joindre à elles. Les 24 et 25 mars, la 87ème division d'infanterie (Patton) traverse à Boppard et la 89ème division d'infanterie (Patton) à Sankt Goarshausen, au sud de Coblence. La 4ème DB US (Patton) s'approche de Darmstadt. Le 26 mars, la 7ème division (Patch), sous Devers, passe près de Worms, au sud d'Oppenheim, et tend la main aux troupes de Patton. Le 27 mars, la 80ème division de la 3ème armée (Patton) traverse près de Mayence et prend Wiesbaden. Le 26 mars, Monsabert prévient ses généraux que de Lattre envisage le franchissement du Rhin de vive force. Le 27 au soir, après une entrevue avec son supérieur américain, Devers, il convoque ses principaux subordonnés pour les tenir au courant. Le général américain a donné son accord pour que la 1ère armée française s'étende au nord jusqu'à Spire et qu'elle participe à la conquête de l'Allemagne du sud. Le 29 mars, le général de Gaulle envoie un télégramme au général de Lattre : "Mon cher général, il faut que vous passiez le Rhin, même si les Américains ne s'y prêtent pas et dussiez-vous le passer sur des barques. C'est là une question du plus haut intérêt national." De Gaulle tient à ce que la France figure parmi les vainqueurs et qu'elle ait droit à une zone d'occupation en Allemagne. De Lattre, prévoyant, a précédé la pensée du chef du Gouvernement français. Les 31 mars et 1er avril, la 1ère armée française franchit le Rhin près de Germersheim (général Carpentier : 2ème division d'infanterie marocaine), à Spire (général Guillaume : 3ème division d'infanterie algérienne) et près de Leimershem (général Valluy : 9ème division d'infanterie coloniale). Insérée dans le dispositif allié, elle ne débouche pas depuis l'Alsace, ce qui serait risqué et sans efficacité, et elle évite Karlsrhue, jugée trop solidement défendue. Finalement, la ligne Siegfried ne s'est pas montrée plus utile que la ligne Maginot et le franchissement du Rhin a été plus facile qu'on ne le pensait. L'armée allemande était irrémédiablement devenue trop faible pour faire face aux Alliés, sur les fronts Est comme Ouest, même en employant les armes miracles, comme les avions à réaction, ainsi que ce fut le cas, en ce début d'année 1945. Si Hitler n'avait pas joué son va-tout en décembre 1944 dans les Ardennes, le passage du fleuve aurait sans doute été plus difficile, mais cela n'aurait probablement pas changé grand chose au résultat final de la guerre, sauf peut-être un partage différent des zones d'occupation sans doute au profit des Soviétiques. 10 février - 31 mars 1945 : Consolidation du front en Poméranie orientale et Silésie Au début de l'année 1945, les soviétiques espèrent une victoire au cours du printemps. Ils commencent à préparer le transfert de certaines de leurs unités vers l'Extrême-Orient. Mais ils savent aussi que la conquête de Berlin sera rude et que leurs forces sont fatiguées après tant de combats. Leurs lignes se sont étirées et il leur est difficile de ravitailler le front par des voies de communications que l'ennemi en retraite a endommagées et que la marche rapide de leurs troupes n'a pas permis de remettre en état. Par ailleurs, ces troupes s'avancent comme un coin dans le dispositif allemand et elles sont devenues vulnérables à des attaques de flanc. La Stavka décide donc de consolider le front avant de se ruer sur la capitale allemande en élargissant les conquêtes soviétiques en direction du nord comme du sud. Le 2ème front de Biélorussie
(Rokossovski) passe le 10 février à l'attaque de la Poméranie
orientale, dans le secteur de Grudziadz-Sepolno, en direction du nord.
Il se heurte à une vive résistance et, le 20 février,
il doit s'arrêter sur une ligne Gniew-Linde, après une avancée
de 40 à 70 kilomètres. Weiss, qui commande les Allemands,
pense qu'il devrait évacuer Grudziadz pour mieux défendre
Dantzig; mais Himmler s'y oppose en rappelant les traditions militaires
prussiennes! Pendant ce temps, le 1er front de Biélorussie (Joukov)
écrase les garnisons allemandes de Deutsch Krone et d'Amswalde.
La poche de Schneidemühl, encerclée depuis janvier, tombe le
14 février, et le siège de Poznan s'achève le 23 février,
avec la participation de la 1ère armée polonaise tout juste
formée.
Sur le front de la Baltique, Tcherniakhovski trouve la mort pendant le bataille pour l'encerclement de Heiligenbeil. Il est remplacé par le maréchal Vassilievski à la tête du 3ème front de Biélorussie. La Stavka ordonne de délaisser pour un temps Koenigsberg et de concentrer les efforts sur la péninsule de Samlande. Mais l'attaque inopinée du détachement de Samlande, qui réussit à percer en direction de Koenigsberg, amène la Stavka à revoir sa position. Le 1er front de la Baltique (Bagramian) et le 3ème front de Biélorussie sont réunis sous les ordres de Vassilievski avec pour mission de nettoyer définitivement la Prusse orientale. Le 15 février, les commandants de fronts envoient leurs plans d'opérations pour la Poméranie orientale. Rokossovski propose une attaque concentrée en direction de Köslin, vers la côte balte, qui couperait en deux la Poméranie et isolerait les forces allemandes à l'est de la percée, dont la zone de Dantzig. En même temps Joukov suggère une action vers le nord, en direction de la Baltique, qui compléterait sur la gauche celle de Rokossovski. Ces deux actions éliminerait la menace sur le flanc droit soviétique. Elles sont agréées par la Stavka. Le groupe d'armées allemand de Silésie, dirigé par Himmler, doit être tronçonné et les morceaux achevés séparément. Pendant ce temps, Vassilievski, avec l'aide de la flotte de la Baltique et l'aviation, empêchera l'évacuation du Frische Nehrung. En Poméranie, les Allemands disposent encore de ressources importantes, même si elles sont inférieures à celles des Russes. Le 24 février, Rokossovski perce le front allemand sur sa gauche et avance en direction de Neustettin. Le 5 mars, Köslin est atteinte. Rokossovski pousse jusqu'à la Baltique, consolide son flanc gauche et rabat sa droite en direction de l'est, vers Dantzig, pour détruire les forces allemandes encerclées. Le 1er mars, l'attaque de Joukov est précédée par un bombardement aérien. Sur la droite, le 3 mars, profitant des succès de Rokossovski, la 1ère armée polonaise se lance à l'assaut de Polzin et de Kolberg; au centre, la 1ère armée de la Garde est dans les environs de Gross Radow; mais sur la gauche, où les Allemands ont lancé une contre-offensive entre le 16 et le 20 février, les résultats sont moins brillants. Des poches se forment et de nombreux prisonniers sont capturés par l'Armée rouge qui croisent en chemin les prisonniers et déportés alliés libérés. La poche de Polzin est éliminée le 7 mars. Le 13 mars, Kolberg tombe aux mains des Polonais et, le 20 mars, c'est au tour de Altdamm au bord du Stettiner Haff. Une fois la Baltique atteinte, Joukov oriente son action vers l'ouest, le long de la côte, vers le Stettiner Haff. Rokossovski, après le prise de Köslin, se heurte à une vive résistanstance en s'approchant du complexe défensif de Dantzig-Gdynia. C'est pourquoi, dès le 5 mars, la Stavka, a étudié le déplacement de la 1ère armée blindée du front de Joukov à celui de Rokossovski. Hitler a renvoyé Rendulic en Courlande et ordonné à Weiss, rappelé, de défendre à tout prix la région de Gdynia-Dantzig, la péninsule de Hel, Pillau et le Frische Nehrung. Le 22 mars, les Soviétiques brisent les lignes allemandes dans les environs de Sopot. La base navale de Gdynia tombe le 28; le 30 mars, c'est au tour de Dantzig; 9 000 prisonniers à Gdynia et 10 000 à Dantzig, vont grossir le flot qui se dirige vers l'est; 45 sous-marins sont saisis, ce qui sonne le glas de la Kriegsmarine. Le 29 mars, Hitler autorise enfin les troupes encore bloquées vers Heiligenbeil à traverser le Frisches Haff en direction du Frische Nehrung! Le delta de la Vistule conquis, Rokossovski transfert la partie de ses forces disponibles vers l'ouest, sur l'Oder, où les troupes de Joukov rencontrent de sérieuses difficultés devant Küstrin. Les Allemands lancent plusieurs offensives pour repousser les Russes de l'autre côté de l'Oder, toutes en vain, ce qui provoque le limogeage de Guderian, remplacé par le général Krebs, ancien attaché militaire à Moscou considéré comme un expert de l'Armée rouge. Vassilievski entre alors à nouveau en scène. Le 6 avril, il s'empare de Königsberg; le général Lasch, qui lui remet les clefs de la ville, est pendu par contumace sur ordre d'Hitler! Le 15 avril, le front allemand de Salmande s'effondre; la population fuit jusqu'à Pillau par le Frische Nehrung. Sur ce point, le front ne bougera plus jusqu'à la fin maintenant proche de la guerre. L'offensive soviétique en Poméranie
orientale a fait subir aux Allemands de Himmler de lourdes pertes (91 400
prisonniers et encore plus de morts). Elle a privé Hitler de toute
possibilité de raviver la guerre sous-marine. Elle a sécurisé
le flanc droit de la pointe braquée sur Berlin. Himmler, limogé,
est remplacé par le général Henrici. Le fidèle
Himmler va tenter de tirer son épingle du jeu et d'éviter
la potence. La même idée vient à l'esprit de Goering,
désigné par le Führer comme son héritier le 29
juin 1941; maintenant en disgrâce, il s'inquiète en craignant
que Himmler, ou Bormann, lequel est resté près d'Hitler,
n'intriguent pour prendre sa place.
Pendant que se déroulent les opérations en Poméranie orientale, le 1er front d'Ukraine (Koniev) entreprend deux séries d'actions, l'une en Basse-Silésie, au mois de février, et l'autre en Haute-Silésie, courant mars, afin de casser les défenses allemandes sur l'Oder méridional. Koniev propose à la Stavka de se projeter en avant, entre Grünberg et Breslau (Wroclaw) pour venir se positionner sur la Neisse, à hauteur de l'avance ultime de Joukov dont il protégera ainsi le flanc gauche, et en direction de la Tchécoslovaquie. Ce projet est adopté. Le 8 février, après une brève préparation d'artillerie, les troupes du 1er front d'Ukraine débouchent de leurs têtes de pont sur l'Oder en direction de Guben, Cottbus et Penzig. Après trois jours de combat, une large brèche est ouverte et la place forte de Glogau est encerclée. Le 14 février, la 5ème armée de la Garde quitte ses positions entre Ohlau et Brieg pour encercler Breslau, en contournant cette ville depuis le sud-est, tandis que d'autres unités soviétiques ferment la tenaille depuis le nord-ouest. Le 15, les 40 000 Allemands de Breslau sont isolés. A la fin février, plusieurs contre-attaque allemandes sont lancées pour regagner le terrain perdu et refouler les Russes de l'autre côté de l'Oder. La plus important a lieu au sud-est de Penzig, dans les environs de Lauban, en direction de Glogau. Toutes ces tentatives échouent. Koniev peut alors transférer une partie de ses forces vers la Haute-Silésie. Dès le 24 février, des unités du 1er front d'Ukraine venues des régions de Leignitz, Breslau et Brieg, avancent vers le sud-est pour y encercler les troupes allemandes concentrées au sud d'Oppeln, avec le concours de troupes venues du sud-est, la jonction étant prévue à Neustadt. L'assaut débute le 15 mars. Le front allemand est rapidement percé. Le 17 mars, la 4ème armée blindée (Lelyouchenko) gagne par son comportement de droit de faire partie de la Garde. Le 19 mars, les troupes allemandes d'Opppeln nexistent plus. Neisse, Neustadt et Ratibor tombent et, le 31 mars, les Soviétiques approchent des Sudètes avant de pénétrer en Tchécoslovaquie. Plus aucune menace ne pèse désormais sur les flancs de l'Armée rouge et la bataille de Berlin va pouvoir commencer. 16 février - 26 mars 1945 : Bataille d'Iwo Jima Les Américains avaient plusieurs bonnes raisons pour s'emparer d'Iwo Jima, une petite île du Pacifique, dans l'archipel des Bonin. Depuis qu'ils étaient aux Mariannes, ils pouvaient bombarder le Japon, mais ils essuyaient de lourdes pertes car la distance ne permettait pas alors aux chasseurs d'accompagner les bombardiers. Iwo Jima, plus proche de l'archipel résoudrait ce problème. De plus, cette île faisait partie du territoire métropolitain japonais et sa chute aurait donc un important retentissement qui saperait le moral de l'empire du Soleil levant. Dès septembre 1943, l'amiral Nimitz avisa le général Smith, le Hurleur, chef des Marines du Pacifique, qu'il serait chargé des opérations sur cette île dont le commandement direct serait confié au général Schmidt, commandant du 5ème corps amphibie, un vétéran de la Guerre du Pacifique. Les Japonais étaient conscients des menaces qui pesaient sur cette petite partie de leur territoire isolée au sud, surtout après les défaites successives qu'ils venaient de subir. Iwo Jima n'était pas préparée pour résister à une attaque américaine. Le général de cavalerie Kuribayashi, un poète, dont les télégrammes faisaient pleurer ceux qui les lisaient, fut désigné pour ce poste. De nombreux renforts furent envoyés de sorte que la garnison fut portée à 23 000 hommes. L'examen de la situation montra rapidement que la conservation de ce minuscule territoire à l'empire serait très difficile et que le mieux, pour empêcher aux Américains de s'en servir, serait de l'engloutir dans les eaux. Mais le dynamitage de l'île s'avéra techniquement impossible. Les Japonais décidèrent alors de creuser dans les collines un réseau de galeries de près de 30 kilomètres, doté de points de résistance qui leur permettraient d'être abrités des bombardements et de se déplacer rapidement d'un point à un autre, hors de la vue et des tirs de leurs ennemis. Les galeries étaient munies de fosses à tigre bien dissimulées, connues des soldats nippons, dans lesquelles devaient venir s'empaler sur des tiges de bambous effilées les assaillants qui auraient osé s'y aventurer. Ce dispositif permettait d'éparpiller la défense et d'attaquer par surprise les envahisseurs, n'importe où, n'importe quand, au moment où ils s'y attendraient le moins. Mais il isolait les combattants dans des points de défense individuels qui finiraient par être leur tombeau. En cohérence avec cette stratégie, la consigne fut donnée aux soldats de tuer chacun dix ennemis avant de périr à leur tour. Les 11-12 novembre 1944, la marine des États-Unis bombarda Iwo Jima pour la première fois. Le 24 novembre, eut lieu le premier raid des bombardiers B-29 sur Tokyo à partir des Mariannes, sans escorte de chasseurs, pour les raisons évoquées plus haut, et avec des pertes sévères. Le 8 décembre commença la préparation de la conquête d'Iwo Jima par un bombardement aérien le plus long et le plus violent de la Guerre du Pacifique. Il dura soixante-douze jours pour ramollir les défenses japonaises tandis que les Marines subissaient un entraînement accéléré sur des sites rappelant les lieux qu'ils allaient devoir conquérir. Le 16 février 1945, commence l'assaut proprement dit par un bombardement de précision de trois jours contre l'île. Le 17, des hommes grenouilles sont envoyés pour tester les défenses nippones. En milieu de journée, les Japonais croient qu'il s'agit du débarquement et dévoilent leurs batteries aux coups de la marine US en tirant sur les intrus. Les Américains perdent 170 hommes, mais les rescapés ramènent des renseignement nombreux et intéressants sur les plages et la mer. Le 19 février, le débarquement a lieu à partir des 450 navires de la 5ème flotte américaine, une concentration de bateaux rarement rassemblée dans le Pacifique. Il se déroule sur la cote sud-est de l'île, au sud du premier des trois aéroports qu'elle comporte. Il utilise de nouveaux engins blindés obtenus par la transformation de transports de troupes de débarquement (LVT) en obusiers et canons autotractés afin d'appuyer les vagues d'assaut. Tout se passe d'abord bien et les Américains en viennent à se demander s'ils n'ont pas surestimé les défenses de l'île, ou si les bombardements ne les ont pas toutes annihilés. Ils ne tardent pas à avoir la réponse. En fait, les Japonais les laissent approcher afin de les détruire plus facilement. Le moment venu, un feu terrible se déchaîne. Cette manoeuvre japonaise s'avère cependant contre-productive car elle a donné le temps aux assaillants de débarquer leur équipement lourd et, à la fin de la journée, ils atteignent le rivage sud-ouest; l'île est coupée en deux et le mont Suribashi, son point culminant, est isolé à la pointe sud d'Iwo Jima. Ce promontoire est conquis et le drapeau américain hissé à son sommet, le 23 février à 10h20. La prise du mont Suribashi en moins de cinq jours est vécu comme une catastrophe pour les officiers japonais qui s'attendaient à une défense beaucoup plus longue. Mais le moral des soldats nippons n'est pas affecté et l'île est encore très loin d'être soumise. Les Américains vont devoir maintenant traiter le réseau de galeries, véritable taupinière, dont ils ignorent encore l'existence. Le combat va se dérouler dans une atmosphère de violence rarement atteinte; il faudra enlever les points de défense un à un, souvent au lance-flammes, après les avoir découverts, avec le risque d'être mitraillé dans le dos. A l'issue de la bataille, la plus terrible de cette guerre, les pertes seront sévères. Des 23 000 soldats japonais ne resteront que 1 083 prisonniers (d'après Historia Magazine et 216 seulement selon Robert S. Burrell dans son ouvrage The Ghosts of Iwo Jima - 2006 - Texas - A&M University Press!). Il faut rappeler que le fait de se rendre est traditionnellement considéré au Japon comme une ignominie et que beaucoup de soldats préfèrent donc se suicider; d'ailleurs de nombreux prisonniers sont blessés et inconscients. Les milliers de morts n'ont jamais été tous retrouvés. Les pertes américaines sont moins élevées, mais ils laissent tout de même 6 821 morts sur le terrains plus 15 000 à 19 000 blessés plus ou moins graves; certains jours, fait remarquable dans cette guerre, les pertes américaines dépassèrent même celles des Japonais. Les pertes des Marines représenteront le quart de l'ensemble de leurs pertes dans le Pacifique. La progression américaine est émaillée d'attaques benzai suicidaires. Le 24 février, les Américains atteignent le second aéroport; une zone située à l'est de cet aéroport est baptisée the meatgrinder (le hachoir à viande) par les Marines; elle tombe le 3 mars, mais a coûté à elle seule 6 600 Marines blessés ou tués. Le 1er mars, le troisième aéroport est pris à son tour. Le 4 mars, un premier B-29 atterrit sur l'île. Le 16 mars, Iwo Jima est déclarée sûre, mais des poches de résistance subsistent. Le 15 mars, le général Kuribayashi, à bout de ressources, prévient Tokyo que, le 17 à minuit, il lancera une attaque benzai. Le jour du raid, il est promu général de division. On le croit mort, mais on apprend, le 21, qu'il a survécu et s'est réfugié dans un abri souterrain. Le 23 mars, il fait ses adieux par radio à ses collègues de Chichi Jima. Le 26 mars, à l'aube, une ultime charge benzai, peut-être dirigée par Kuribayashi, est lancée par les derniers défenseurs de l'île contre une zone de bivouacs américaine. Le 1er avril, Iwo Jima, située à moins de 1300 kilomètres de l'archipel nippon, est considérée comme conquise, même si les derniers soldats nippons de l'île, Yamakage Kufuku et Matsudo Linsoki, ne se rendront que le 6 janvier 1949, après avoir vécu près de quatre ans cachés dans des grottes, survivant grâce à des rations alimentaires volées dans les stocks américains. Quatre jours plus tard, le gouvernement qui a succédé à Togo, en juillet 1944, s'effondre. Le gare du Sceau privé, Kido, animateur du camp des pacifistes selon la procédure traditionnelle, convoque les anciens chefs de gouvernement à une réunion au palais. Après de longue discussions, Suzuki est nommé Premier ministre. Le 5 avril, le Kremlin fait savoir qu'il ne renouvellera pas le pacte de non-agression qui prend fin en avril 1946, second avertissement. Une des premières tâches du nouveau gouvernement va être d'essayer de retenir l'URSS sur le chemin de la guerre. Le 7 avril, des chasseurs décollant d'Iwo Jima escortent les B-29 pour aller bombarder l'archipel japonais. Jusqu'à Hiroshima, ces raids ne suffiront cependant pas à faire plier le Japon. Le 28 février 1945, la France accède enfin au Prêt-Bail complet pour l'ensemble de ses territoires. Ce retard est la conséquence des réticences des États-Unis à l'encontre de la volonté du général de Gaulle d'imposer la France comme une puissance qui compte dans le camp des vainqueurs. Février - juillet 1945 : Fin de la reconquête des Philippines Une fois Luçon aux mains des Alliés, restaient à reprendre les îles du centre et du sud encore occupées par les Japonais. On retrouve alors les opération typiques de la guerre dans le Pacifique caractérisée par des attaques d'île en île dont le plan d'ensemble n'est pas toujours facile à suivre. De février à avril, les troupes du général Eichelberger effectuent trente-huit débarquements. Le 15 décembre 1944, Mindoro a déjà été conquise. Le 19 février, c'est au tour de Samar. Le 28 février, un régiment de la 41ème division US, appartenant à la 8ème armée d'Eichelberger, s'empare de Palauan. Le 10 mars commencent les débarquements sur la grande île du sud, Mindanao. Le 16 mars, Basilan, proche de Mindanao, est prise. Le 18 mars, plus au nord, dans la partie centrale des îles, Panay est reconquise, puis c'est le tour de sa voisine Guimaras, le 20 mars. Du 26 mars au 8 avril se déroule la bataille de Cebu, encore au centre. Le 29 mars, la 40ème division effectue un débarquement sur l'île de Negros, toujours au centre, et s'y heurte à une résistance qui durera jusqu'en juin. Le 2 avril Tawitawi, à la pointe sud-ouest des Philippines, est enlevée. Le 9 avril, se déroule le débarquement sur l'île de Jolo. Le 11 avril, Bohol, proche de Cebu, tombe elle aussi. Les batailles pour Panay, Guimaras, Cebu et Bohol sont souvent présentées ensemble sous le nom générique de Bataille des Visayas. Le 17 avril, un nouveau débarquement est effectué à Mindanao, baie d'Illana. Le général Suzuki (ou Susuki) a concentré une importante partie de ses forces dans l'intention d'organiser un réduit dans la partie centrale de la grande île. Susuki est tué, le 19 avril, par un raid américain, alors qu'il tentait de se rendre à Mindanao depuis Cebu par bateau. Le 2 mai, la ville de Davao, à l'est de Mindanao, est occupée par les Américains. Le réduit japonais du centre de l'île est en cours d'encerclement, d'autres débarquements ayant eu lieu au nord. Un dernier débarquement sur Mindanao, dans la baie de Sarangani, au sud de l'île, sera pourtant nécessaire pour venir à bout de la résistance japonaise, fin juillet. La guérilla philippine a vigoureusement secondé l'armée américaine pour délivrer son pays du joug nippon. 9 mars 1945 : Fin de l'Indochine française Le 9 mars 1945, à la faveur de repas organisés à cet effet, les Japonais font prisonniers les officiels français d'Indochine. La souveraineté française sur l'Indochine cède la place à une indépendance sous contrôle japonais. Tokyo pense ainsi se mettre à l'abri de l'éventualité d'une entrée en guerre contre lui des territoires sous souveraineté française compte tenu de la situation militaire en Europe. Les faibles troupes françaises savent qu'elles ne peuvent se livrer qu'à un baroud d'honneur. Chaque fois qu'elles le peuvent, elles résistent, autant que possible, avant de tenter de s'échapper, pour passer à une guerre de guérilla ou tenter de gagner le Chine, pour celles qui sont au Tonkin. Elles sont aidées par l'aviation américaine avec parcimonie, cette aide étant la plupart du temps le fruit d'initiatives militaires individuelles, Roosevelt, on le sait, étant hostile à la présence française en Indochine. Plusieurs prisonniers français sont décapités par les Japonais. A Dong Dang, après une belle défense, le capitaine Annosse est félicité par son adversaire japonais. Puis ce dernier ordonne au capitaine et à une cinquantaine de ses hommes de se déshabiller; ils les amène auprès d'une tranchée et les oblige à s'agenouille sur son bord; là, on leur coupe la tête d'un coup de sabre. Les blessés sont achevés à la baïonnette. 10 mars 1945 : Bombardement de Tokyo Les bombardements américains sur le Japon commencent avec celui de Doolittle, le 18 avril 1942. Des bases américaines sont ensuite installées en Chine et aux Indes pour y stocker des avions et du carburant. Les bombardements sur l'archipel ne recommencent qu'en 1944, après l'apparition des super-forteresses volantes B-29, à l'habitacle pressurisé, à long rayon d'action. Les premiers résultats sont décevants. Les pertes sont énormes pour des résultats médiocres. Les raids effectués fin novembre 1944 en haute altitude (10 000 mètres), révèlent que les conditions atmosphériques régnant sur l'archipel, vents très rapides soufflant en altitude, brouillard givrant ou très épais... gênent beaucoup les équipages et expliquent en partie leur manque d'efficacité. Le général Koiso, qui a remplacé
Tojo en juillet 1944, comme Premier ministre, pense qu'il faut que le Japon
s'apprête à combattre des débarquements sur son sol
et, compte tenu de la belle défense des îles du Pacifique,
les milieux bellicistes espèrent toujours qu'une invasion des nombreuses
îles de l'archipel est impossible. Un plan a été élaboré
qui fait la part belle aux opérations suicides pour repousser l'envahisseur.
Les Américains redoutent un débarquement sur l'archipel où
des ressources militaires importantes ont été mises en réserve.
Ils estiment que cette éventualité coûterait la vie
à un nombre très élevés d'Américains
(de 200 000 à 1 million)! Il faut donc trouver une solution pour
obtenir la reddition du Japon sans débarquement. La nécessité
de ruiner au préalable l'économie nipponne et de saper le
moral de sa population par des raids aériens ne fait donc aucun
doute.
Pendant la nuit du 10 mars, plus de 300 B-29, chargés de 1632 tonnes de bombes incendiaires décollent des Mariannes et prennent l'altitude de 2 000 mètres et font route vers Tokyo pour y arriver avant l'aube, déverser leur chargement avant le jour, puis revenir après le lever du soleil. Le résultat dépasse toutes les espérances. Les multiples incendies qui se déclarent dans la ville se rejoignent et la capitale japonaise n'est bientôt plus qu'une mer de feu. Les multiples petits ateliers qui participent à l'effort de guerre, presque impossible à détruire lors de bombardements conventionnels faute de pouvoir les localiser, sont la proie des flammes. Il en va de même des usines importantes. La chaleur est si intense qu'elle déclenche une tempête de feu, comme à Hambourg, ce qui va contribuer à répandre l'incendie. La population civile va payer le prix lourd; on comptera plus de 100 000 morts et à peu près autant de blessés; ce score rivalise avec ceux d'Hiroshima et de Nagasaki; on en parle pourtant beaucoup moins et il ne choque personne! Ici, comme en Europe, à cette époque, après les atrocités commises par les Japonais, on ne se préoccupe pas des problèmes moraux que posent de telles hécatombes; pour la majorité des populations alliées, ce qui arrive aux vaincus, ils l'ont amplement mérité! Le succès remonte le moral des aviateurs américains qui s'en tirent bien. Et, dans les jours qui suivent, d'autres cités japonaises, Nagoya, Osaka, Kobé, reçoivent à leur tour la visite nocturne des B-29. Ce ne sera pas la dernière et Tokyo aura aussi l'occasion de les revoir. Les dommages causés par ces autres raids sont très élevés mais n'atteignent pourtant pas ceux du 10 mars à Tokyo. Après la prise d'Iwo Jima, les bombardiers américains sont escortés par des chasseurs ce qui accroît leur sécurité et leur efficacité. Ces raids aériens désorganisent profondément la vie du Japon. Des pénuries apparaissent, le marché noir s'installe, les ouvriers de l'industrie de guerre commencent à murmurer, les classes les plus pauvres manquent de nourriture, de nombreuses personnes dont les maisons sont détruites par les bombardements, ou par les opérations de coupe-feu organisées par les autorités japonaises elles-mêmes, sont sans abri; plus de la moitié des habitants des grandes villes ont ainsi perdu leur logement (13 millions de personnes environ). Les moyens de communications sont systématiquement détruits, les usines d'armement et les entrepôts militaires doivent être enterrés pour continuer l'effort de guerre. L'économie est exsangue. Certes, les forces japonaises qui subsistent, 2 350 000 soldats et, sur le papier, 28 millions de volontaires supplétifs sont impressionnantes, mais les ressources économiques manquent, en particulier le précieux carburant. Refouler l'ennemi en 1945 est peut-être encore possible mais la défaite est assurée l'année suivante. Aussi la situation politique devient-elle compliquée. De plus en plus de gens se montrent favorables à une solution négociée. Le prince Konoe (ou Konoye), ancien Premier ministre, initiateur de la conquête de la Chine, mais hostile à la guerre du Pacifique, qui a entraîné sa démission, intervient auprès d'Hirohito pour qu'il mette fin au conflit. Il se heurte à un refus absolu. L'empereur veut à tout prix obtenir une victoire avant! La question se pose de son abdication, mais un dieu abdique-t-il? D'ailleurs, il existe encore des personnes qui croient en un miracle, celui de la victoire finale, et d'autres qui, faute de victoire, se contenteraient de l'apothéose dans les flammes d'un Japon qui disparaîtrait totalement en laissant dans la mémoire de l'humanité la trace exemplaire d'un peuple qui a choisi le néant plutôt que la renonciation à ses valeurs. La parenté de certains traits de l'esprit japonais traditionnel avec le sens particulier de l'honneur nazi est ici frappante. Konoe se suicidera le 15 décembre 1945, après avoir tenté en vain d'obtenir de MacArthur que la familke impériale soit exonérée de poursuite devant le Tribunal de Tokyo, sans doute pour éviter lui-même d'y être traduit. 16 mars - 21 juin 1945 : Bataille d'Okinawa Le 16 mars 1945, commencent les opérations préliminaires pour l'attaque d'Okinawa, au nord de Formose (Taïwan), dans l'archipel des Ryu Kyu. Après s'être ravitaillé au large, l'amiral Spruance commandant de la task force du Pacifique Centre, sous les ordres de l'amiral Nimitz, se dirige avec ses porte-avions sur Kyu Shu, l'île japonaise la plus méridionale des quatre îles principales de l'archipel, avec la mission d'y neutraliser l'aviation japonaise. Le 18 mars, dans la matinée, deux porte-avions sont endommagés par les avions-suicides de l'île. Le 19 mars, un bombardier nippon lance deux bombes sur le pont du Franklin encombré d'appareils équipés de nouvelles fusées de 304,8 mm Tiny Tim. Le désastre est immense. Pendant près de quatre heures, le bâtiment immobilisé, secoué par les explosions et ravagé par les incendies, donne de la bande. Le navire est finalement sauvé, mais la marine américaine déplore la perte de 772 hommes d'équipage. Le même jour, un autre porte-avions, le nouveau Wasp, touché par une bombe, perd 302 hommes. Quant à la flotte qui doit jeter 13 000 obus sur Okinawa, un cuirassé, un croiseur, quatre destroyers et six autres bâtiments sont atteints par des kamikazes avant même le début du débarquement. La conquête d'Okinawa promet donc d'être difficile. Le 25 mars, les Américains débarquent aux îles Kerama, à l'ouest d'Okinawa. Pourtant, le général Ushijima qui y commande dans cette île a décidé de ne pas défendre les plages et de concentrer ses forces derrière une ligne fortifiée, la ligne Shuri, à une vingtaine de kilomètres de la pointe sud de l'île. Le 1er avril 1945, les débarquements de la 10ème armée US (Buckner), chargée de la conquête de l'île, s'effectuent sans combat ni perte. La 6ème division de marines s'empare du nord de l'île sans grandes difficultés sauf dans la presqu'île de Motobu dont elle extermine méthodiquement les 2 500 défenseurs qui luttent opiniâtrement. Le 6 avril, sous les ordres du vice-amiral Ito, le cuirassé Yamato, le plus gros cuirassé jamais construit, le croiseur léger Yahagi et huit destroyers appareillent à Tokuyama pour Okinawa; Le Yamato et le Yahagi ne sont pas pourvus de combustible pour leur retour à cause des pénuries; ils partent pour une mission-suicide et doivent se transformer en pontons d'artillerie, une fois échoués à proximité de l'île. Les Japonais attendent beaucoup de la bataille d'Okinawa qu'ils espèrent gagner. Les équipages sont appelés à se battre jusqu'au bout et à rejoindre la garnison d'Okinawa lorsque leurs munitions seront épuisées. Le 7 avril, en fin de matinée, l'escadre japonaise reçoit des messages laissant supposer que des avions américains se dirigent vers elle. Vers midi et demi, l'attaque commence. Les nuages bas ne permettent pas d'utiliser les San-shiki, projectiles aériens à fragmentation conçus pour protéger les navires japonais contre les avions alliés. Les appareils américains, seuls dans les airs, s'en donnent à coeur joie. Un peu avant 13 heures, coup sur coup, deux bombes tombent sur le Yamato; ce navire d'exception bientôt touché également par une torpille, commence à couler. Le Yahagi, atteint par une torpille, est stoppé. le destroyer Hamakaze, victime d'une bombe et d'une torpille, est coulé. A 13 heures, une bombe cause de gros dommages au destroyer Suzutsuki. Le Yamato est accablé par une avalanche de bombes et de torpilles. Le destroyer Kasumi reçoit un coup fatal. A 13h30, les aviateurs américains paraissent vouloir donner le coup de grâce aux grosses unités. Trois coups frappent le Yamato par le travers ce qui le déséquilibre encore davantage; son gouvernail secondaire est bloqué. Pour rétablir l'équilibre, il faut noyer les machines et les chaudières à tribord. Le navire ralentit et son gouvernail bloqué compromet sa manoeuvre. Le Yahagi sombre. Vers 14 heures, incapable d'esquiver les coups, le Yamato, frappé par le milieu avant d'être troué par de nouvelles torpilles, se couche sur le flanc et ne se déplace plus que lentement. Il n'est même plus en capacité d'utiliser ses mitrailleuses. Vers 14h20, une dixième torpille le perce. Son capitaine, Ariga, prévient Ito que tout est fini. Ariga se fait attacher au piédestal du compas et convoque son équipage sur le pont. Cependant le navire continue de s'incliner et les munitions des soutes se mettent à rouler et à s'entrechoquer. Soudain, c'est l'explosion; une immense colonne de fumée et de flammes s'élève vers le ciel et le plus grand cuirassé du monde s'enfonce en quelques secondes dans les flots; il n'est pas encore tout à fait 14h30. L'escadre n'atteindra jamais Okinawa. Décidemment, les porte-avions ont définitivement triomphé des navires classiques d'autrefois! Le 9 avril 1945, le 24ème corps US (Hodges) arrive devant la ligne Shuri et l'attaque. Il est repoussé et les pertes sont si élevées que Buckner suspend l'assaut pour préparer une attaque massive qui doit faire sauter en une seule fois toutes les positions défensives de la ligne Shuri. Le moment venu, en quarante minutes, un déluge de fer et de feu provenant de l'artillerie de terre, de la marine et de l'aviation s'abat sur les Japonais. Mais les trois divisions américaines qui attaquent ensuite n'en sont pas moins refoulées. La 1ère division de marines, puis la 6ème, arrivent en renfort à un front qui semble bloqué. Au nord, le 16 avril, la 77ème division d'infanterie s'empare de l'île de Shima, à proximité de la péninsule de Motobu. Dans la nuit du 6 mai 1945, à trente mètres sous terre, l'état-major japonais tient conseil. Les opinions s'affrontent, entre ceux qui veulent rester sur la défensive (colonel Yahara) et les partisans d'une offensive générale (général Cho). Le saké aidant, Ushijama, qui sait que, de toutes façons, il finira par perdre, mais qui tient à causer le plus de pertes possibles à l'ennemi, se range du côté de Cho. La contre-offensive japonaise et minutieusement préparée. Il est prévu d'employer des chars et des vedettes-suicides sur les deux côtes de l'île. Les aviateurs kamikazes de Kyu Shu doivent aussi participer au combat. Une importante préparation d'artillerie précède l'assaut. Mais celui-ci se brise contre les forces américaines qui tuent 5 000 Japonais. Les kamikazes ont tout de même coulé quatre navires au large et en ont endommagé quatorze autres. Les résultats auraient pu être encore pires sans les interventions de l'aviation américaine stationnée sur les deux aéroports de l'île, Yontan et Kadena, laquelle a abattu plus de 60 avions-suicides. Le 11 mai, le général Buckner relance l'offensive au-delà de la première ligne de défense de Shuri, de l'estuaire de l'Asa jusqu'à Yonaburu. Le même jour une nuée d'avions-suicides se jette sur la flotte au large d'Okinawa. Le porte-avions Bunker Hill est impacté par deux kamikazes ce qui cause la morts de 389 marins et en blesse 264 autres. L'amiral Mitscher transporte son pavillon sur l'Enterprise qui sera lui aussi atteint par un kamikaze trois jours plus tard. L'attaque du 11 mai n'a toujours pas permis aux Américains de briser la défense japonaise et leurs pertes augmentent dans des proportions inquiétantes. Du 8 avril au 12 mai, ils ont à peine avancé de 120 mètres par jour en perdant 20 000 combattants. Le siège se poursuit. Le 27 mai, la 10ème armée US occupe Naha, capitale d'Okinawa. Le 29 mai, les hommes de la 1ère division de marines se rendent maîtres du fort de Shuri. Des pluies torrentielles arrêtent alors les opérations et il faut ravitailler les troupes par avion. Ushijima, qui a perdu l'essentiel de ses forces, décide d'évacuer Shuri et de se replier plus au sud sur une nouvelle ligne de défense, avec les 11 000 fantassins et les 22 000 hommes d'autres armes qui lui restent. Le 4 juin, les 29ème et 4ème régiments d'infanterie US débarquent au sud de Shuri. Les Américains attaquent vigoureusement le 17 juin et l'armée japonaise commence à se désintégrer. Le 18, Ushijima diffuse son dernier ordre du jour et désigne un officier pour prendre la tête de l'organisation de jeunesse Sang et fer chargée de passer à la guérilla dès que les combats réguliers auront cessé. Mais plusieurs jeunes Japonais commencent à se rendre, même si les suicides demeurent nombreux. Le même 18 juin, le général Buckener est tué par un éclat de corail détaché par l'explosion d'un obus japonais qui le frappe en plein coeur. Ushijima s'est réfugié avec son état-major dans des grottes du sud de l'île aux environs de Mabuni. Au soir du 21 juin, avec Sho, ils se préparent à la cérémonie traditionnelle de leur hara-kiri. Après avoir consommé un savoureux repas, ils se portent mutuellement plusieurs toasts d'adieu, puis ils s'installent sur un drap blanc à quelques pas de l'entrée de leur caverne. A l'aube du 22, vers 4h10, ils se dénudent le ventre et y enfoncent le poignard rituel, tandis que retentit aux alentours l'éclatement des grenades américaines. L'aide de camp tire alors son sabre du fourreau et tranche leurs deux têtes. La bataille pourtant n'est pas finie. Pendant autres huit jours, près de 9 000 soldats japonais se feront encore tuer tandis qu'à près de 3 000 préfèreront se rendre. La bataille des Ryu Kyu a duré 82 jours et coûté aux Japonais quelques 110 000 hommes. Les forces américaines se sont rapprochées de l'archipel et disposent sur Okinawa de plusieurs aéroports qui vont leur permettre d'atteindre plus facilement les villes et les sites industriels japonais, en utilisant moins de carburant, grâce à quoi les avions pourront emporter un plus lourd tonnage de bombes. Jamais les actions suicides ne furent plus nombreuses et plus meurtrières que pendant la bataille d'Okinawa. Les kamikazes furent créés par l'amiral Onishi, mais leur esprit s'inspirait de la tradition bushido et le sacrifice total de l'individu à sa patrie et au mikado s'imposait comme une idée naturelle à beaucoup de jeunes Japonais élevés dans cet esprit; les attaques spéciales, comme les appelaient les Japonais, étaient rendues nécessaires par l'écrasante supériorité américaine; la plupart du temps, les kamikazes étaient volontaires. Après la prise d'Okinawa et des Ryu Kyu, les Américains sont aux portes du Japon. Ils s'apprêtent donc à l'envahir. Le plan de Nimitz, élaboré dès 1944, consiste à débarquer en Chine, dans les Kouriles pour tendre la main aux Soviétiques et leur apporter une aide en logistique, puis d'attaquer d'abord l'île de Kyu Shu, la plus méridionale de l'archipel nippon (opération Olympic), avant de s'en prendre, dans un second temps, à la grande île de Honshu, où est située la capitale, Tokyo (opération Coronet). La supériorité en hommes du Japon est écrasante (plus de 30 millions contre 650 000). Mais les troupes japonaises régulières ne représentent que 2,3 millions; les autres sont des milices mal armées, parfois de bambous effilés, qui n'ont qu'une valeur combative limitée. Les Japonais dominent aussi les Alliés en nombre d'avions (plus de 10 500 contre 9 000) dont la moitié sont pilotés par des kamikazes. Mais les Japonais n'ont plus de porte-avions, ni de gros navires de guerre (cuirassés et croiseurs) et il ne leur reste que 19 destroyers auxquels il convient d'ajouter 3 300 bâtiments d'attaque spéciale, les dangereux bateaux-suicides. Théoriquement, le Japon a la capacité de repousser un débarquement. La question se pose donc de savoir si un blocus sévère ne suffirait pas à l'amener à résipiscence. Peut-être, mais ce blocus exigerait de toute façon la prise de Kyu Shu. Le plan est donc validé, au moins pour ce qui concerne sa première partie. Mais sa mise en oeuvre exigera un énorme déploiement de forces et de matériels, essentiellement américains, la participation du Commonwealth étant limitée. A partir d'avril 1945, après le décès de Roosevelt, Truman, remet en cause le plan initial. D'abord, il n'est plus question d'aider les Russes dont on estime ne plus avoir besoin : le projet sur les Kouriles est abandonné; ensuite parce que les travaux sur la bombe atomique sont suffisamment avancés pour que l'hypothèse de son emploi devienne de plus en plus crédible. Finalement, le plan d'invasion demeure à l'état de projet anecdotique. 25 mars - 7 mai : Avancée des Alliés occidentaux du Rhin à l'Elbe Fin mars début avril, le Rhin franchi, les forces alliés sont distribuées comme elles l'étaient précédemment, c'est-à-dire depuis la fin de la bataille des Ardennes : au nord Montgomery, renforcé de la 9ème armée américaine (Simpson), au centre Bradley, au sud Devers, avec la 1ère armée française (de Lattre). En face se trouvent au nord le groupe d'armées H (Blaskowitz), dans la Ruhr le groupe d'armées B (Model) et au sud le groupe d'armées G (Hausser). Eisenhower se trouve devant plusieurs problèmes à résoudre. Il lui faut d'abord s'emparer de la Ruhr afin de priver l'Allemagne de sa plus importante zone industrielle. Ce ne sera pas facile. Ensuite, il pourrait filer vers Berlin, mais il en est encore très loin (450 kilomètres) alors que les Soviétiques n'en sont plus qu'à une cinquantaine de kilomètres. Il pourrait aussi se diriger vers la région de Halle-Leipzig-Chemnitz pour enlever aux Allemands une zone économique importante. Il lui faut aussi empêcher Hitler de rassembler les débris de ses armées dans le réduit alpin, dont on parle beaucoup, d'où le Führer pourrait prolonger la guerre encore quelques temps, ce qui retarderait l'envoi des renforts sur le front du Pacifique. Enfin, il lui faut ménager les Soviétiques en n'empiétant pas trop sur leur future zone d'occupation. Compte tenu de tous ces paramètres, il privilégie une attaque centrale qui lui permettra, le cas échéant, de prémunir le sud contre l'installation d'un éventuel réduit fortifié. Pour cela, il va enlever la 9ème armée de Simpson à Montgomery et la restituer à Bradley. Dans un premier temps, cette armée et celle de Hodges (1ère Armée) se chargeront d'enlever la Ruhr par une opération d'encerclement. Patton foncera en direction de l'est, vers Leipzig et Dresde. Devers s'occupera du sud. Montgomery achèvera la conquête des Pays-Bas, progressera en direction du Danemark, pour le soustraire à d'éventuels appétits russes, mais aussi pour préparer la libération de la Norvège où se trouvent encore 400 000 Allemads, et il flanquera à gauche les forces américaines, mission secondaire quelque peu humiliante, qui s'explique en partie par la mauvaise réputation acquise auprès des généraux américains par le maréchal britannique depuis qu'il s'est attribué la victoire des Ardennes. Berlin est laissée aux Soviétiques. Ce dispositif n'est pas du goût de Churchill qui espérait une offensive directe sur Berlin pour ravir la gloire d'avoir conquis la capitale allemande aux Soviétiques. Le 1er avril 1945, il en réfère à Roosevelt. On lui répond qu'il ne s'agit pas de déprécier la contribution britannique à la victoire, mais qu'il faut d'abord atteindre l'Elbe et qu'après, on verra. Eisenhower n'exclut pas une offensive sur Berlin, mais il n'y est pas favorable compte tenu des difficultés qu'elle pourrait soulever du côté de Moscou. Blaskowitz demande à Hitler de reculer son dispositif jusqu'aux collines du Teutoburger Wald où la défense serait plus facile. Il se heurte à un refus impérieux du Führer. Il doit tenir jusqu'à ce que Student le dégage avec une armée de secours imaginaire. Hitler humilie Blaskowitz en lui imposant comme adjoint Student, qu'il vient tout juste de remplacer! Model reçoit aussi l'ordre de tenir fermement la Rhur. Au nord de la Ruhr, Simpson avance sur Bochum, Hamm et Munster, en direction de Lippstadt. Au sud, Hodges prend Marburg puis progresse à la fois vers Lippstadt, Kassel et Paderborn où Collins, subordonné de Hodges, qui rencontre des difficultés, joint Simpson par téléphone, le 31 mars, afin qu'ils coordonnent leurs efforts. La jonction des 1ère et 2ème armées s'effectue ainsi à Lippstadt, le 1er avril. Model est complètement isolé. Le 2 avril, Hodges et Simpson se concertent sur la meilleure façon de réduire la poche de la Ruhr. Une partie de leurs forces va y être consacrée tandis que le reste continuera d'avancer vers l'est en direction de la Weser, franchie de vive force, le 4 avril, puis vers Hanovre et Tangermünde, sur l'Elbe, Brunswick et Magdebourg (11 avril), sur l'Elbe, Kassel (4 avril), Göttingen, Nordhausen, proche du camp de concentration de Dora, au sud du massif du Harz où se fabriquaient les V2 dans des usines souterraines employant des déportés, Halle (21 avril), et Dessau (24 avril). Le 25 avril, les Américains opèrent leur jonction avec les Soviétiques de Koniev à Torgau. L'Allemagne nazie est coupée en deux. A Kassel, où les Allemands ont résisté vigoureusement, la branche nord de l'avancée de Patton, qui s'était emparée sans difficulté de Fulda le 2 avril, a fait sa jonction avec la 1ère armée de Hodges. A Bad Orb, les Américains du bouillant général américain de blindés ont libéré 6 500 prisonniers et pris une usine d'armes légères; à Meinigen, ils ont mis la main sur un fichier des prisonniers de guerre; et, vers Merkers, ils ont découvert, dans une mine de sel, la réserve nationale d'or allemande. La marche des Alliés du Rhin à l'Elbe se heurte à une résistance faible et sporadique, sauf en quelques points tenus par des officiers résolus disposant de troupes aguerries et disciplinées. L'armée allemande est complètement désorganisées et les liaisons entre les armées sont de plus en plus ténues. Les soldats se rendent massivement. Les villes accueillent les Alliés en agitant des drapeaux blancs. Des Allemands antinazis les aident même contre leurs compatriotes qui luttent encore. Dans la poche de la Ruhr, Model ne peut plus être secouru. Ses forces sont tronçonnées. Refusant de capituler, il dissout le groupe d'armées B, retire leurs armes aux soldats et engage ces derniers, désormais civils, à regagner leurs foyers comme ils le pourront. Le 18 avril, toute résistance a cessé et 370 000 prisonniers sont capturés. Pour ce qui le concerne, estimant qu'un maréchal ne se rend pas, Model s'éloigne dans une forêt et s'y donne la mort, le 21 avril 1945. Cependant, après Fulda, une autre partie des troupes de Patton a foncé vers l'est, sur Gotha, Ohrdruf, Erfurt, Weimar, au sud du camp de concentration de Buchenwald, Weissenfels. Au fur et à mesure que les Américains se rapprochent de Leipzig, la résistance allemande se durcit grâce à l'abondance de l'artillerie aérienne particulièrement efficace contre les blindés. Mais Patton n'en parvient pas moins à Coldiz, atteignant ainsi l'importante zone économique de Halle-Liepzig-Chemnitz, bien défendue contre les raids aériens, et ses troupes bordent la Mulde (17 avril). Il s'en tient là car, le 12 avril, Eisenhower et Bradley lui ont demandé de ne pas se porter tout de suite sur l'Elbe avant que des dispositions de détail ne soient réglées avec les Russes pour réaliser la jonction avec eux sans accroc. Dès le début d'avril, Eisenhower a fait part au Comité des chefs d'état-major interallié des difficultés que présentait pour des armées en marche l'arrêt sur une ligne de démarcation fixée à l'avance et il avait ajouté que, pour pour ce qui le concernait, il n'irait pas plus loin que l'Elbe et la Mulde. Il avise maintenant les Russes de son intention de nettoyer les poches restées derrière ses troupes, au sud et au nord, et de se diriger sur le Danube pour aller au-devant d'eux jusqu'à Vienne. Mais, il précise aux Russes que, s'ils le désirent, il peut également pousser jusqu'à Dresde. Les Russes répondent favorablement et font part de leur intention de prendre Berlin et d'avancer jusqu'à l'Elbe, ainsi que de pénétrer en Tchécoslovaquie jusqu'à la Moldau, c'est-à-dire Prague. Les Britanniques reviennent alors à la charge en soulignant l'intérêt qu'il y aurait à saisir toutes les occasions de progresser en Tchécoslovaquie. Mais les autorités américaines, Marshall en particulier, se montrent peu enclines à verser le sang des soldats de leur pays pour satisfaire des ambitions politiques alors qu'il y a encore tant à faire dans le Pacifique. Aussi, Eisenhower, pour adoucir le dépit des Britanniques, met l'accent sur les opérations en direction de Lübeck et de Kiel pour éviter l'entrée des troupes soviétiques au Danemark. Le 16 avril, lors d'une rencontre avec ses subordonnés pour mettre au point l'offensive finale, Bradley note les difficultés que la réorientation sur le Danube présente en terme d'approvisionnements et il prépare Hodges à l'idée de transférer son armée aux États-Unis, avant qu'elle ne rejoigne le Pacifique. Le 17 avril, les Soviétiques lancent leur ultime grande offensive sur le front de l'Oder et, après avoir pris Vienne, foncent vers Linz pour s'emparer d'autant de territoire que possible en Autriche. A Ohrdruf, les Américains découvrent l'univers concentrationnaires nazis. Eisenhower en sera profondément choqué et en gardera un souvenir inoubliable; Patton en est malade et Walker, qui commande les libérateurs, oblige le maire de la ville et son épouse à visiter le camp. Il convient ici de dire quelques mots des déportés dans cette phase de la guerre. Devant l'avance des alliés, ils sont sans cesse déplacés d'un camp à un autre, dans les conditions effroyables de l'hiver, sans nourriture, harcelés par des gardiens, qui achèvent les plus faibles et procèdent parfois à des exécutions massives. Un millier de déportés sont ainsi brûlés vifs dans une grange à Gardelegen, à l'instigation d'une aristocrate allemande, le 13 avril 1945. Les rescapés de ces marches de la mort, dont l'organisme est déjà miné par les privations et les mauvais traitements, périssent souvent lorsqu'ils arrivent à leur dernière halte, ou après leur libération, comme le poète surréaliste français Robert Desnos, mort le 8 juin 1945, à Theresienstadt, en Tchécoslovaquie. Un de mes amis, déporté à Buchenwald, puis affecté aux camps de Dora et d'Elrich, transféré ainsi de camp en camp, finit par se retrouver à Bergen Belsen, où il est libéré par les Anglais de Montgomery, après être passé par six camps; il pèse 37 kilos pour une taille supérieure à 1,80 mètres! A partir d'Erfurt et de la Mulde, le 11 avril, une partie des troupes de Patton se dirige vers le sud, la Bavière, la Tchécoslovaquie et l'Autriche, c'est-à-dire vers l'éventuel réduit hitlérien, vers les Soviétiques à l'est, et à la rencontre des troupes de Devers à l'ouest. A cette date, d'ailleurs, le Führer pense toujours se réfugier dans ce réduit mythique où il compte se rendre le 20 avril, pour son anniversaire. Le mouvement de Patton a séparé les 1ère et 7ème armées allemandes désorganisant un peu plus leur résistance. Kesselring essaie de colmater la brèche et n'y parvient pas, faute de troupes et de carburant. Il ne restera plus bientôt qu'une seule issue aux troupes allemandes : se rendre! Entre la 9ème armée (Simpson) et la 3ème armée (Patton), une poche allemande s'est formée, dans le massif du Harz. 70 000 Allemands démoralisés y sont enfermés sous les ordres de Lucht, un général qui ne veut pas être le dernier mort de la guerre. On lui promet que la 12ème armée de Wenck, le plus jeune général allemand de la guerre, va venir le dégager. Mais cette armée est largement chimérique. Lucht, n'y croit pas et se défend en conséquence. Un grand nombre de ses soldats se rendent. Le 18 avril, il ne tient guère plus qu'un sommet d'où il communique encore par radio avec Kesselring. Soumises à des assauts et un bombardement aérien, ses unités hissent le drapeau blanc, les unes après les autres. Le 23 avril, Lucht est capturé avec son état-major à Blankenburg. Le nettoyage du Harz est achevé. Devers, de son côté, est passé à l'attaque au sud. Depuis Worms, Patch s'est emparé de Mannheim, puis de Hammelbürg, sur le Main, de Kitzingen (5 avril), de Bamberg, d'Ansbach, de Nuremberg (20 avril), haut lieu du nazisme, le jour de l'anniversaire d'Hitler! Il infléchit alors sa direction vers le sud pour suivre le mouvement de Patton. Il entre à Ratisbonne (26 avril) où il rencontre, sur le Danube, la droite de la 3ème armée de Patton. Le 22 avril, Hitler décide de rester jusqu'au bout à Berlin et d'y mourir. Le 27 avril, lorsque Eisenhower donne ses dernières instructions à Patton et à Devers, la préoccupation du réduit alpin n'a pas encore complètement quitté son esprit et il les engage à contrôler tous les cols alpins. Le 3 avril, plusieurs têtes de pont françaises existent de l'autre côté du Rhin. Le 4 avril, l'ancienne capitale du grand-duché de Bade, Carlsruhe, une ville industrielle, est conquise. Le groupe d'armées de Devers, au lieu de marcher droit vers l'est, comme celui de Bradley, infléchit son mouvement vers le sud, ce qui risque de coincer la 1ère armée française le long du Rhin et de réduire le territoire promis à sa progression. De Gaulle, qui tient à ce que la zone d'occupation future de la France en Allemagne soit aussi importante que possible, invite de Lattre à s'emparer le plus vite possible de Stuttgard. Le 4 avril, le général français lance une attaque sur le nord de cette ville par la trouée de Pforzheim et une autre, par la plaine de Bade, depuis Karlsruhe, destinée à attaquer la ville par le sud. La première attaque atteint le Neckar le 6. Pforzheim tombe le 8. La seconde attaque se heurte aux défenses de la ligne Siegfried, et avance plus difficilement. De Lattre, qui craint une contre-offensive des troupes allemandes de la Forêt-Noire, sur sa droite, dans la trouée de Pforzheim, lance des troupes vers le sud venant du nord dans ce secteur, tandis que d'autres troupes affluent depuis Strasbourg, les deux branches devant se rejoindre à Freudenstadt, clé du débouché de la Forêt-Noire vers l'est. La manoeuvre est périlleuse, mais elle réussit. Le 21 avril, la cité de Stuttgard, assaillie depuis le nord et de sud, est prise avant que des troupes de Patch, venues de Mannheim n'atteignent cette ville par le nord; les Allemands perdent 28 000 prisonniers. les Français sont accueillis en libérateurs, non par les Allemands, mais par des milliers de personnes venant de toute l'Europe occupée, Polonais, Belges, Grecs, Hollandais, Yougoslaves, Français... déportés du travail ou prisonniers de guerre qui sortent des caves pour les acclamer. Tandis qu'une branche de la 1ère armée française se dirige vers Fribourg, au sud, le long du Rhin, en Forêt Noire, qu'elle est chargée de nettoyer, le général français ne peut échapper à la tentation de s'emparer de la ville d'Ulm où Napoléon commença brillamment la Campagne d'Austerlitz, et aussi de Siegmaringen où ont été emmenés contre leur gré par les Allemands Pétain, Laval et son gouvernement, et où les deux hommes font la grève d'un pouvoir qu'ils ne possèdent plus. Mais en prenant Stuttgard et en guignant sur Ulm, de Lattre sort de la zone qui lui a été attribuée pour empiéter sur celle de Patch, ce qui ne plaît pas du tout à Devers. Il somme les Français d'abandonner Stuttgard et se heurte à un refus. De Lattre avise Eisenhower qu'il ne peut pas obéir à Devers quand celui-ci lui donne un ordre contraire aux consignes de son gouvernement. Eisenhower s'adresse à de Gaulle sur le ton accommodant qui sied à son caractère. Mais l'affaire monte au sommet et Truman observe à de Gaulle que, si un subordonné peut désobéir à son supérieur, en suivant les desiderata de son gouvernement, alors, il faut revoir l'articulation du commandement. De Gaulle répond que l'on n'a qu'à le consulter avant toute action sur les sujets qui intéressent la France et que cela écartera tout incident de ce genre. Les choses en restent là, mais elles témoignent de la mésentente qui persiste entre de Gaulle et le nouveau président américain. La ville d'Ulm est prise le 23 avril. Par cette manoeuvre, de Lattre s'est emparé de tous les passages sur le Danube afin de couper la retraite aux forces allemandes du Jura souabe. L'expression Rhin et Danube accompagnera désormais la nom de la 1ère armée français. A Siegmarigen, qui tombe le 24 aux mains des Français, où s'opère la jonction de la 1ère DB avec des éléments de la 5ème DB, le nid des Vichystes est vide. Le 26 avril, de Lattre est à Constance, sur les bords du lac, et le 29, il entre en Autriche. Il aurait pu être le premier sur les cols alpins, mais il est privé de cet exploit par un éboulement de terrain provoqué par les Allemands. Ce sont les Américains qui gagneront cette course! Pendant ce temps, le 18ème corps blindé SS, encerclé dans la Forêt-Noire, tente de se dégager par surprise le 26 avril, mais il n'y parvient pas et finit par être complètement détruit par les divisions lancées sur Fribourg, opportunément étoffées par des renforts, et appuyée par l'aviation française; 15 000 prisonniers sont capturés. Cependant, plus à l'est, les troupes de Patch et de Patton continuent de progresser. Elles franchissent le Danube et sont à Memmingen d'où sont dépêchés vers les villes encore à prendre les bourgmestres des villes déjà conquises, afin de prévenir leurs habitants que, s'ils veulent éviter la destruction de leurs maisons, ils doivent multiplier les drapeaux blancs, une ruse naïve qui réussit parfaitement; nombre de lieux tombent ainsi sans combat. A Augsbourg, cependant, le commandant de la place s'apprête à résister, mais il en est empêché par des "Combattants de la liberté" qui amènent à lui un détachement américain, lequel lui donne cinq minutes pour se rendre; entouré de drapeaux blancs, il cède. Après avoir passé devant Dachau, autre camp de concentration, les Américains prennent Munich, et Landshut sur l'Isar, le 30 avril. Ce jour même Eisenhower informe les Soviétiques de ses intentions de pénétrer en Tchécoslovaquie. Le 2 mai, des partisans autrichiens se rendent maîtres d'Innsbruck; au col de Fern, les Allemands cherchent à négocier la reddition du groupe d'armées G. Le 4 mai, Salzbourg se rend aux Américains; les derniers cols des Alpes sont fermés. Le même jour, au début de l'après-midi, les éléments avancés de la 2ème DB de Leclerc s'emparent de l'Obersalzberg et font flotter le drapeau tricolore sur le nid d'aigle du Führer; il y avait parmi eux un combattant que j'ai eu plus tard l'occasion de rencontrer pendant ma vie professionnelle; il en avait rapporté, comme souvenir, un plat d'argent frappé d'un monogramme hitlérien. Le 5 mai, Linz, sur l'Enns, tombe à son tour. Les Alliés occidentaux sont en Autriche et vont pouvoir faire leur jonction avec les troupes d'Italie par le col du Brenner. Du côté de la Tchécoslovaquie, Patton a franchi la frontière, le 18 avril, mais Eisenhower freine son ardeur afin qu'il n'empiète pas sur la zone soviétique. Froidement accueillis par la population allemande, les Américains soulèvent l'enthousiasme des Tchèques. Du 30 avril au 4 mai, à la demande du général américain, Eisenhower et le général russe Antonov négocient un accord sur un déplacement vers l'est de la ligne de démarcation en Tchécoslovaquie. Eisenhower assure son interlocuteur que la libération de Prague et de la majeure partie de la Tchécoslovaquie seront laissées aux Soviétiques, ce qui satisfait Antonov. Patton peut repartir en avant. Il entre à Karlovy Vary (Carlsbad). Dans la nuit du 5 au 6 mai, les divisions américaines progressent jusqu'à Pilsen, où, la veille, une insurrection a éclaté, initiée par les ouvriers des usines Skoda. Ceske Budejovice (Budweis), sur la Moldau, est ensuite libérée. Patton, à regret, est tenu d'en rester là, sauf quelques brèves incursions temporaires (Prague pour rencontrer les dirigeants de l'insurrection de la capitale, et Velichovky pour négocier la reddition du général Schörner, un nazi fanatique). Prague, comme Vienne et Berlin, resteront aux Russes. En Autriche, les Américains s'arrêteront à Linz et sur l'Enns pour y attendre leurs Alliés de l'est. Au nord, Montgomery nettoie les Pays-Bas avec la 1ère armée canadienne (Crerar), où le 1er corps a reçu le renfort du 2ème corps, venant d'Italie. Le Rhin est franchi dans la nuit du 2 au 3 avril, sans grande difficulté, après quelques affrontements à Emmerich. Par endroits, les Allemands résistent, comme à Zutphen, mais ailleurs ils se rendent par milliers. Le 11 avril, la ville d'Arnhem est complètement nettoyée. Les Canadiens sont à Groningue le 13, où ils relèvent des parachutistes français largués dans la nuit du 7 au 8 avril, lesquels ont subi de lourdes pertes. Les troupes de Crerar atteignent Zwolle le 14 avril. Le 18 avril, l'ouest de la Hollande est complètement libéré mais les populations risquent d'y subir de sérieuses pénuries. Pour assurer leur subsistance, le commissaire du Reich, Seyss-Inquart, qui a reçu l'ordre de résister à outrance et d'opérer les destructions nécessaires, n'en propose pas moins aux Alliés de leur fournir des vivres et du charbon sous condition que leurs forces se maintiennent à l'est de la Greebe. Après consultation des Soviétiques, pour éviter toute mauvaise interprétation, Eisenhower accepte. Le 2ème corps canadien peut alors se diriger vers l'Allemagne. Mais de durs combats l'attendent au passage de l'Ems. Le 8 avril, cette rivière est cependant franchie par la 4ème division blindée canadienne. Cependant, à droite, la 1ère division blindée polonaise, après être arrivée vers Almelo, fonce vers la frontière germano-hollandaise qu'elle atteint le 9 avril à Emmen; le lendemain elle poursuit son avance en Allemagne. La 1ère division canadienne est chargée de nettoyer la région entre l'Ems et la Weser. Canadiens et Polonais sont amenés à livrer de nombreuses petites actions qui retardent leur progression. Ils se trouvent dans une région relativement épargnée par la guerre où les fermes sont prospères et bien entretenues, où les gens, abattus, maussades, hargneux, arrogants ou agressifs, sont moins éprouvés que les Alliés ne s'y attendaient. Le 4 mai, les Canadiens sont à Oldenburg et les Polonais près de Wilhelmshaven. La ville de Brême, conquise le 26 avril, le 12ème corps de la 2ème armée britannique (Dempsey) libère le camp de concentration de Belsen, et du coup l'un de mes amis, mais lorsque une partie de la progression anglaise se tourne vers le nord, en direction de Hambourg, à Dannenberg, une brèche de 100 kilomètres s'ouvre entre l'aile droite britannique (Dempsey) et l'aile gauche américaine (Simpson). Wenck en profite pour appeler les soldats allemands restés en arrière à commettre des sabotages et à se livrer à des actions de guérilla, initiative embarrassante pour les Alliés, mais qui reste sans lendemain. A gauche, Montgomery pousse au nord vers Bremerhaven. A droite, le passage de l'Elbe semble devoir s'avérer assez périlleux, sous les bombes des avions à réaction de la Luftwaffe. Il est réalisé plus facilement qu'attendu, le 29 avril. Le 30 avril, Hitler n'est plus, mais la guerre continue. Lübeck tombe le 2 mai, Hambourg le 3 mai, et la 6ème aéroportée devance les Soviétiques à Wismar, fermant la porte du Schleswig-Holstein et de Copenhague au 2ème front de Biélorussie (Rokossovski). La progression britannique se poursuit sur Kiel, Flensburg et la frontière danoise ainsi que Schwerin, au sud de Wismar. 1er - 29 avril 1945 : Bataille du Pô (Italie) Au début de l'année 1945, avant que ne s'engage la bataille du Pô, un remaniement du commandement des deux forces antagonistes a eu lieu. Du côté allemand, Kesselring a cédé la place à Vietinghoff, le 8 mars 1945, pour aller remplacer von Rundstedt destitué après la prise du pont de Remagen. Du côté allié, Clark a succédé à Alexander, avec sous ses ordres Truscott à la tête des troupes américaines et McCreery à celle des Britanniques. Les Anglais sont à Ravenne au nord et sur la route N° 9, la via Emiliana, au sud, sur la rive droite du Senio. Les Américains sont à une quinzaine de kilomètres au sud de Bologne. Pour que la branche nord des Britanniques, celle de Ravenne, puisse progresser en direction de l'ouest, et fermer la nasse qu'elle pourrait former en rejoignant les Américains au nord de Bologne, il faut impérativement faire sauter le verrou que représente l'étroit goulet de Bastia-Argenta situé entre le lac Comacchio au nord et une plaine marécageuse assez large au sud. Une fois cet obstacle enlevé, les nombreux blindés alliés trouveront un espace favorable pour se déployer et l'indiscutable supériorité aérienne alliée fera le reste pour appuyer les troupes terrestres, d'autant que les troupes britanniques sont couvertes notamment par la Desert air force, la meilleure et la plus expérimentée des forces aériennes tactiques du monde entier. Au début de mars, les armées alliées ayant reçu connaissance des accords de Yalta, le général polonais Anders en est profondément contrarié. Il a désormais compris que son pays a été livré à l'URSS. Mais il n'en demeure pas moins dans l'alliance jusqu'à la chute du pouvoir nazi. Une opération préalable est engagée avant l'assaut final sur le verrou d'Argenta pour nettoyer la bande de terrain qui sépare l'Adriatique du lac Comacchio. C'est un succès. Huit cents prisonniers de la division turkmène sont capturés. Vietinghoff, qui s'attend à une attaque, médite une manoeuvre qui consiste à retirer ses troupes des bords du Senio pour les reporter plus à l'ouest sur le Santerno. De la sorte, le premier assaut allié tomberait dans le vide. Naturellement, il se heurte à un refus du Führer. Le ravitaillement de l'armée allemande est de plus en plus difficile et un officier allemand, qui adore la matelote d'anguilles, autorise des pêcheurs à se rendre sur le lac pour améliorer son ordinaire. Ce qu'il ne sait pas, c'est que les pêcheurs en profitent pour fournir aux Alliés de précieux renseignements sur les défenses allemandes. Une attaque de diversion est lancée, quatre jours avant l'attaque principale, à l'extrémité ouest du front, sur la Méditerranée. Le même jour, McCreery rassemble tous ses officiers jusqu'au grade de lieutenant-colonel pour les informer de la situation. Le 1er avril, des commandos et la 24ème brigade de la Garde débarquent à hauteur du lac Comacchio pour s'emparer de ses îles. On fait usage d'un nouvel engin blindé amphibie inspiré d'un appareil conçu pour se déplacer dans les marais de Floride, le Fantail. Malheureusement, le lac ne convient à ce genre d'engin; il est trop peu profond pour que le Fantail flotte et son fond est trop boueux pour que ses chenilles accrochent et qu'il puisse avancer! Le 6 avril, la 56ème division (Keightley) traverse le Reno, qui borde au sud le couloir d'Argenta. Des bombardements préparatoires ont lieu en employant des bombes à fragmentation pour éviter de bouleverser le sol. L'un d'entre eux, du Strategic air command, trop court, tue 160 Polonais. Le 9 avril, deux tirs d'artillerie de fausse
alerte, d'une durée de 45 minutes, séparés par une
pause de 10 minutes, sont exécutés par 1 500 bouches à
feu sur la rive ouest du Senio. Dans la nuit, la 8ème division indienne
et la 2ème division néo-zélandaise traversent la rivière,
derrière un rideau de flammes, et avancent au devant de Lugo. Le
régiment antichars mahratte fait passer ses canons suspendus à
des câbles au-dessus du courant. Au matin du 10 avril, la 21ème
brigade blindée franchit à son tour la rivière en
employant notamment des chars-ponts Ark. Les deux divisions de pointe
ont mission de ne pas s'en tenir là et de franchir dans la foulée
le Santerno. Le 11, après des bombardements de la rive ouest du
Santerno, cette seconde rivière est également traversée,
derrière un nouveau rideau de flammes. Sur ce point, les forces
alliées se divisent alors en deux branches; la branche nord se dirige
sur Bastia pour aider à conquérir le couloir d'Argenta, celle
du sud fonce sur Massa Lombarda qui tombe le 13 avril.
Le 10 avril commencent également deux opérations Impact Plain et Impact Royal qui visent à attaquer le couloir d'Argenta par le nord à travers le lac Comacchio. L'ensemble ne donne lieu qu'à une seule bataille qui se termine par la victoire alliée le 13 avril, après 72 heures de combat. Comme prévu, l'opération Impact Royal fut la plus difficile. Ces deux débarquements derrière les lignes ennemies, au-delà du Reno, entraînent l'effondrement des défenses allemandes sur ce fleuve et dégagent une partie importante du couloir d'Argenta. Au sud du Reno, la branche nord du Sanderno (78ème division (Arbuthnot) et 8ème division indienne) avance sur Bastia par le sud du Reno, tandis que la 56ème division suit sa rive nord en direction de Bastia, ainsi menacée sur les deux berges du fleuve. Le matin du 14 avril, la 78ème, dont un bataillon d'infanterie est porté sur les Kangaroo (Kangourous), un nouveau transport de troupes blindé très protecteur, aborde les ruines de Bastia. La ville est située derrière le Reno et un canal; son pont est détruit. Les London Irish s'élancent sur les ruines du pont où ils sont sévèrement accrochés par les Allemands qui tiennent l'autre côté. Finalement, le village tombe et la jonction est établie avec le groupe italien Cremona et la 56ème division. Les Allemands se sont repliés sur Argenta, derrière un canal de 4 mètres de large, la Fossa Marina, qui barre le passage entre le Reno et le lac Comacchio. Le 16 avril, une attaque est lancée par les 78ème et 56ème divisions; la 78ème réussit à créer une tête de pont; la 56ème essaie de déborder les Allemands sur la droite. Le 17, Arbuthnot (78ème) jette dans la bataille ses Irlandais et leurs Kangaroo avec les chars de la 2ème brigade blindée qui parviennent à se déployer. Dès lors, l'affaire est réglée. Le 18 Argenta est aux mains des Anglais qui doivent cependant enlever les décombres entassés dans ses rues pour dégager la circulation. Le 19 avril, vers 17h30, les deux régiments de tête de la 26ème Brigade blindée, qui ont pris de l'avance, entrent en contact avec l'ennemi sur le canal Po Morto di Primaro qui coule entre le Reno et Ferrare. Le 20, l'obstacle est franchi. Il ne reste plus qu'une seule possibilité des défense aux Allemands : la Fossa Cembalina qui va de Bologne à Ferrare. Les Alliés parviennent à 1 500 mètres d'elle et décident de s'arrêter là, pour passer la nuit, avant l'assaut du lendemain. Sur les instances de McCreery qui s'impatiente, la progression repart, dans les jours qui suivent, et Poggio Renatico, à l'ouest de la Fossa, tombe bientôt. Plus au sud, cependant, le 2ème corps Polonais d'Anders, après avoir franchi le Senio, marche sur Imola le long de la route N° 9. Il retrouve en face de lui la 1ère Division de parachutistes contre laquelle il a combattu à Cassino. Le général va triompher et même s'emparer du fanion de la division. Le rôle des Polonais est essentiel, car s'ils arrivent à Bologne, les défenses allemandes contre la 5ème armée américaine tomberont d'elles-mêmes. L'attaque de cette armée, prévue pour le 12 avril est retardée de deux jours. Précédée d'un bombardement, elle débute le 14 avril, à la fois par la route 64, qui suit la vallée du Reno, au sud-ouest de Bologne et par la route 65 au sud-est de cette ville. Le 15, un nouveau bombardement permet aux Polonais d'Anders d'engager un combat nocturne. Des affrontements acharnés se déroulent pour la conquête des sommets. Les 20 et 21 avril, les forces alliées, qui progressent depuis le sud en direction de Bologne, parvenues, sur la route N° 9 (via Emiliana), de part et d'autre de la ville, y retrouvent les Polonais. Le 20 avril, Vietinghoff qui sait que toute résistance est devenue vaine, ordonne une retraite générale derrière le Pô, qualifiée pudiquement d'abandon de la défense statique pour une stratégie plus souple, afin de donner le change à Hitler. Avec la prise de Poggio Renatico au nord et la marche des Américains depuis Bologne, la nasse du Reno est en train de se fermer. Les Allemands, pour éviter d'être piégés, fuient dans une grande confusion. Le 22 avril, Anglais et Américains opèrent leur jonction à Finale. Le 22 avril, la 10ème division de montagne atteint le Pô et, le 23, la 8ème division indienne le borde à Ferrare. Les Allemands abandonnent tout leur matériel au sud du fleuve. Généraux et soldats en sont réduits à gagner en nageant la rive nord. Le 24 avril, la 6ème DB anglaise envoie des unités au-delà du Pô avant de se ruer vers l'Autriche. Le même jour, la 2ème néo-zélandaise et la 56ème britannique traversent elles aussi le fleuve et se dirigent vers l'Adige. La 10ème de montagne s'empare de Vérone, le 25, et fonce vers le lac de Garde. Le Comité italien de libération nationale ordonne l'insurrection générale en Italie du Nord. A Milan et Venise, les partisans prennent le pouvoir. De nombreux prisonniers tombent aux mains des Alliés. Automne 1944-avril 1945 : L'opération Sunrise La veille de la mort d'Hitler, moins d'un mois après le début de l'offensive alliée sur le front italien, à 14 heures, deux officiers allemands qui représentent le général von Vietinghoff et le général Wolff signent un acte de capitulation, en présence du général soviétique Kislenko. La reddition prendra effet le 2 mai. Cet effondrement subit, ne doit toutefois pas faire illusion. Il était préparé depuis longtemps en coulisses, à l'insu, espéraient les Occidentaux, des Soviétiques. Les pourparlers ont commencé pendant l'automne 1944. Des dignitaires nazis, dont le "fidèle" Himmler, tentent de négocier avec les Occidentaux, dans le dos de Hitler, pour obtenir de ces derniers au moins un cessez-le-feu à l'Ouest, pour jeter à l'Est, contre l'Armée rouge, toutes les forces allemandes encore en état de combattre, sauver ce qui peut encore l'être du régime nazi et tirer du jeu leur propre épingle. Le général Wolff, le plus haut gradé de la SS et chef de la police en Italie, un nazi convaincu, proche de Himmler, est persuadé, comme ce dernier, que la guerre est perdue; comme esthète, il voudrait éviter la destruction des oeuvres d'art de l'Italie, et, en tant que patriote allemand, il aimerait tirer son pays du mauvais pas dans lequel il est engagé. Les autorités suisses favorisent cette intrigue compliquée, et quelque peu rocambolesque, car elles redoutent l'installation à leur porte d'un réduit alpin dans lequel les Allemands résisteraient jusqu'au bout. Elles craignent aussi que la politique de la terre brûlée menée par la Wehrmacht n'entraîne la disparition du capital industriel italien dans lequel elles possèdent d'importantes participations. Ce sont donc les services suisses de renseignements qui nouent les liens occultes entre l'émissaire américain et les officiers allemands. Les 18 et 19 mars 1945, alors que la fête du printemps se déroule à Ascona, en l'honneur de Saint-Joseph, se réunissent dans cette ville suisse le général SS Wolff, le major général américain Lemnitzer et le major général anglais Airey, habillés en civils. Cette réunion (opération Sunrise) a été organisée par Allen Dulles, directeur de l'Office of Strategic Services (OSS) à Berne, frère de John Foster Dulles, Secrétaire d'État des USA. Le baron italien Parilli et l'officier de renseignement suisse Waibel ainsi que le directeur de l'Institut Montana Zugerberg sont présents. Wolff accepte une capitulation inconditionnelle dans le Péninsule. Himmler, sans doute informé des tractations par Kaltenbrunner, ramène en Allemagne le famille de Wolff afin d'avoir sur lui un moyen de pression. Les Allemands, à titre de preuve de bonne volonté, acceptent de délivrer deux résistants italiens importants qui sont rendus à Dulles. En contrepartie, Wolff demande la libération de l'un des aides de camp SS préféré d'Hitler pour l'offrir comme cadeau à ce dernier lors de son anniversaire, le 20 avril, afin de justifier ses contacts avec l'ennemi; mais cela est impossible car ce dernier est déjà parti pour le Canada. Les Soviétiques n'ont pas été prévenus et encore moins invités. Mais leurs services secrets les ont alertés et ils ont demandé à y participer, ce qui est impossible car ils n'ont pas de représentation diplomatique en Suisse; on leur propose d'envoyer quelqu'un à Caserte, au QG des forces alliées d'Italie. Staline sait que, parmi ses alliés occidentaux, certains veulent empêcher ses troupes de s'emparer les premières de Berlin. Molotov, inquiet de ce qui se trame, s'irrite et, le 22 mars, il accuse les Américains de se conduire d'une manière inattendue et incompréhensible. Staline prend lui aussi la mouche et, le 3 avril, il fait savoir à Roosevelt d'un ton particulièrement agressif que, selon des informations en sa possession, les Allemands seraient disposés à ouvrir leur front pour permettre aux forces alliées occidentales d'avancer vers l'Est tandis, qu'à titre de réciprocité, Américains et Britanniques adouciraient leur traité d'armistice. Le 5 avril, Roosevelt exprime dans sa réponse la peine profonde qu'il éprouve et dément l'interprétation malveillante de contacts qui n'ont débouché sur rien de concret. Staline, de meilleure humeur, répond en des termes diplomatique frisant l'excuse. Roosevelt, le 12 avril, juste avant sa mort, accepte les explications du dirigeant soviétique. Et Dulles reçoit des instructions, datées du 20 avril, lui ordonnant d'abandonner les contacts avec Wolff. On le voit, les négociations entre les
Anglo-Américains et les Allemands sont contrariées. Un autre
élément complique encore un peu plus la situation, Kesselring,
lequel était d'accord, selon Wolff, avec les comploteurs, a en effet
été déplacé du front italien sur ordre de Hitler
pour prendre la tête du front Ouest, on l'a dit. Or, la capitulation
exige la signature conjointe des SS et de la Wehrmacht et il faut
donc d'abord convaincre son successeur, le général von Vietinghoff.
Enfin, le 29 avril, l'opération Sunrise s'achève, à Ascona, par la signature de la capitulation, en présence d'un officier soviétique, Truman étant président des États-Unis. Elle n'entre en application que le 2 mai, c'est-à-dire trop tardivement pour modifier sensiblement le cours de la guerre. Pendant ce temps, Staline a lancé dans la bataille de Berlin assez de forces pour remporter, quelque en soit le prix, une victoire hautement symbolique. La capitulation de l'Allemagne en Italie, a laissé craindre au leader soviétique une accélération de l'avance alliée occidentale à travers l'Allemagne jusqu'à Berlin. Sa volonté d'entrer le premier dans la capitale d'Hitler va coûter cher à l'Armée rouge. 12 avril : Mort de Roosevelt Le 12 avril, Roosevelt décède d'une hémorragie cérébrale et Truman le remplace. Ce dernier, comme la plupart des vice-présidents, est resté relativement éloigné des affaires de l'État et doit d'abord se mettre au courant. Il ignore par exemple à peu près tout de l'état d'avancement des travaux en cours sur la fabrication de la bombe atomique. Sa relative méconnaissance de la situation est aggravée par le fait qu'il n'est vice-président que depuis la réélection de Roosevelt voici quatre mois. Une des premières décisions prises par le nouveau président est l'abandon d'un projet visant à bombarder l'Allemagne avec de vieux avions sans pilotes téléguidés bourrés d'explosifs à la demande de Churchill qui redoute des représailles sur Londres. Il porte un oeil critique sur le travail de l'Office of Strategic Services (OSS) en Europe, notamment en Suisse. 16 avril - 2 mai 1945 : Bataille de Berlin Le 1er avril 1945, au cours d'une réunion de la Stavka, Staline pose la question : "Qui va prendre Berlin? Nous ou les Alliés?". Koniev répond le premier : "Ce sera nous!". Staline sourit et réplique : "J'aime les hommes comme vous, mais comment vous y prendrez-vous?". Le front de Koniev, il est vrai, est encore loin de la capitale allemande, au sud, vers la Tchécoslovaquie. Mais Koniev rassure Staline, il saura faire ce qu'il faut, en temps voulu. Joukov prend ensuite la parole. Ses troupes sont plus proches de Berlin que celles de Koniev et elles aussi sont prêtes. Un plan est alors élaboré et soumis à la Stavka le 3 avril. Le 2ème front de Biélorussie (Rokossovski) avancera au nord en direction de l'ouest et du nord, au devant des Alliés et vers la Baltique; il affrontera la 3ème armée blindée allemande et le groupe d'armées de la Vistule (Heinrici qui a remplacé Himmler en disgrâce). Le 1er front de Biélorussie (Joukov), dirigera son gros sur Berlin en infléchissant sa gauche vers le sud pour prendre en tenaille, avec la gauche de Koniev, les forces allemandes du sud-est de la capitale (9ème armée et 4ème armée blindée allemandes). Le 1er front d'Ukraine (Koniev) poussera une partie de sa gauche vers la Tchécoslovaquie et l'autre vers l'ouest en direction de Dresde et de Dessau; la droite s'orientera au nord-ouest pour tourner les forces allemandes du sud-est de Berlin et les encercler en rejoignant la gauche de Joukov. Koniev demande des renforts à Staline qui les lui accorde en prélevant deux divisions du front de la Baltique dont les lignes se sont raccourcies. Staline trace au crayon les limites assignées
aux différents fronts. Mais, sans dire un mot, il arrête son
crayon sur la ville de Lüben, pour ce qui concerne la séparation
entre le front de Koniev et celui de Joukov. Koniev en conclut que Staline
lui offre la possibilité de se ruer sur Berlin, à partir
de cette ville, si l'occasion s'en présente, et met ainsi en quelque
sorte ses deux maréchaux en compétition pour la conquête
de Berlin. La guerre réserve beaucoup de surprises, Staline le sait
et, en laissant plusieurs portes ouvertes, il pense que ses maréchaux
sauront tirer le meilleur parti possible des événements.
Le début de l'attaque est fixé au 16 avril. La supériorité des soviétiques est écrasante. Mais les Allemands disposent d'avions à réaction et, surtout, ils ont installé plusieurs ceintures fortifiées comprenant chacune 2 ou 3 lignes de défense très bien organisées qu'il faudra percer les unes après les autres avant d'atteindre Berlin. La situation est surtout difficile sur le front de Joukov où le 1er front de Biélorussie, dans les environs de Küstrin, devra franchir l'Oder avant de se heurter, de l'autre côté du fleuve à des falaises, inabordables aux blindées, qu'il faudra enlever avec l'infanterie. La progression soviétique en direction de Berlin comporte trois phases : la percée sur l'Oder et la Neisse (16-19 avril); le dépeçage des armées allemandes en trois tronçons et leur encerclement (19-25 avril); la destruction des forces encerclées, la prise de Berlin, puis la marche sur l'Elbe (26 avril-8 mai). Le 16 avril, comme prévu, Joukov et Koniev passent à l'attaque. Joukov, pour profiter de l'effet de surprise, entre en action avant l'aube, à la lueur des projecteurs. A 5 heures, un violent bombardement secoue les positions allemandes. La première ligne est percée et la seconde atteinte à midi. Mais les assaillants sont contenus sur les hauteurs de Seelow par leurs adversaires. Le lendemain matin, les Allemands sont noyés sous le déluge d'un bombardement aérien de 800 avions suivi d'une préparation d'artillerie d'une demi-heure. Mais ils ont reçu quatre divisions en renfort pendant la nuit et ils tiennent jusqu'au soir. Alors la progression russe reprend, mais lentement. Joukov se heurte à une résistance acharnée des nombreux renforts qui continuent d'arriver depuis Berlin. Sur le front de Koniev, l'avance est plus rapide.
La première ligne est percée dès le 16. Le 17, la
seconde ligne l'est à son tour. Les Allemands essaient de se concentrer
sur la troisième ligne à l'est de la Spree, en y envoyant
des renforts prélevés un peu partout, pour défendre
Cottbus; une contre-attaque est même envisagée. Plus au sud,
sur l'axe de Dresde, les deux premières lignes ont été
enfoncées. Devant les difficultés rencontrées par
Joukov, la Stavka, soucieuse d'assurer l'encerclement de Berlin, demande
à Rokossovski, qui doit attaquer le 20 avril, d'aménager
son dispositif de manière à contourner le nord de Berlin
dès le 22 avril, tandis que Koniev est invité à faire
marcher au nord, comme il l'espérait, ses 3ème et 4ème
armées blindées pour s'approcher de la capitale allemande
par le sud.
Dans la matinée du 18, Joukov reprend l'offensive, après une courte préparation d'artillerie. Les Allemands sont délogés des hauteurs de Seelow, village par village, colline par colline, après de furieux combats. Les 18 et 19, d'importants renforts parviennent aux Allemands, dont la réserve de la 3ème armée blindée opposée à Rokossovski. Les affrontements sont de plus en plus durs. Pourtant, dans la soirée du 19, la ligne de l'Oder est enfoncée sur une soixantaine de kilomètres. Le 1er front de Biélorussie remporte un grand succès sur sa droite qui est désormais en mesure soit d'investir Berlin par le nord-est, soit de l'envelopper par le nord et l'ouest. Sur la droite, la tête de pont allemande de Francfort tombe et l'Armée rouge s'empare de la partie orientale de la ville. En quatre jours, Joukov a progressé d'une trentaine de kilomètres et coupé en trois la 9ème armée allemande qui essaie en vain de combler les brèches avec ses réserves. Le 20 avril, toute résistance allemande a cessé sur l'Oder. Le maréchal russe a emporté trois ceintures défensives dotées chacune de deux ou trois lignes. Mais l'artillerie a dû être amenée jusqu'aux positions d'infanterie. Koniev a décidé d'attaquer les Allemands à leur endroit le plus faible, entre les fortes concentrations de troupes de Cottbus et de Spremberg. Il atteint la Spree dans la matinée du 18, la traverse et établit plusieurs têtes de pont au nord et au sud de Spremberg. Sur l'axe de Dresde, le point fortifié de Nieski tombe et les Russes arrivent à proximité de Bautzen, malgré une contre-attaque des forces allemandes de Görlitz. Koniev a lui aussi coupé son adversaire, la 4ème armée blindée, en trois tronçons et percé les lignes de la Spree et de la Neisse. L'encerclement des forces allemandes au sud-est de Berlin se dessine, ainsi que celui de la capitale. Le 18 avril, commence la manoeuvre de débordement pour aboutir à ces deux encerclements. Koniev lance ses forces mobiles à l'avant et elles progressent de 40 à 50 kilomètres dans la journée, à une vingtaine de kilomètres devant l'infanterie. Le 20, Baruth tombe. La poussée sur Zossen est si rapide que le bureau des opérations de l'Okw et l'état-major général de l'Okh doivent s'enfuir en toute hâte à Wannsee, tandis que d'autres unités se replient par avion vers l'Allemagne du Sud. Cependant, les troupes allemandes restées à Cottbus et Spremberg empêchent la coordination des troupes du 1er front d'Ukraine et retardent leur approvisionnement. Il faut donc en finir avec elles. Spremberg tombe le 21 avril et Cottbus le lendemain. Le 22 avril au soir, les forces allemandes de Francfort-Guben sont complètement encerclées tandis que les forces de Koniev, lancées sur Berlin, atteignent les banlieues sud de la ville. Au nord, Rokossovski doit affronter la 3ème armée blindée dans des conditions particulièrement difficiles, l'Oder se divisant en deux bras et la plaine ayant été inondée par les Allemands. Les 18 et 19 avril, les Soviétiques s'installent entre les deux larges bras du fleuve après en avoir chassé les maigres forces allemandes qui s'y trouvaient. Le 20, ils parviennent à créer trois têtes de pont sur la rive gauche. Les trois jours suivants ils consolident leurs positions et tentent de réunir leurs têtes de pont. Au sud de l'attaque, cependant, la 49ème armée piétine. Le 23 avril, la Stavka annule l'ordre donné à Rokossovski de tourner Berlin par le nord et le 2ème front de Biélorussie revient à son plan initial. On remarquera que le retrait des réserves de la 3ème armée blindée portées contre Joukov favorise le franchissement de l'Oder par Rokossovski mais que l'avance de Joukov en direction du nord-ouest de Berlin est facilitée par Rokossovski qui retient la 3ème armée blindée au nord. La Stavka ordonne alors à Joukov et à Koniev l'élimination des troupes de la poche au sud-est de la ville et l'achèvement de l'encerclement de Berlin pour le 24 avril au plus tard. Deux tenailles concentriques se mettent alors en place. La tenaille intérieure va isoler les forces allemandes du sud-est de la capitale, objectif atteint le 24 avril; 200 000 soldats, plus de 2 000 canons et mortiers et plus de 200 chars sont dans la nasse et ne pourront plus concourir à la défense de Berlin. L'autre, plus ample, va envelopper toute la région de la capitale, objectif atteint le 25 avril, le jour même où les troupes de Koniev rencontrent à Torgau celles de la 1ère armée américaine (Hodges), coupant ainsi les forces allemandes en deux. Le grand amiral Doenitz (ou Dönitz) dirigera désormais les forces du nord et le général Winter celle du sud. Les forces enfermées dans la poche du sud-est de Berlin, vont tenter de s'en échapper vers l'ouest avec l'aide de la 12ème armée de Wenck qui s'efforce de leur ouvrir un passage depuis l'ouest, mais la tentative échoue. En cas de réussite, les dirigeants allemands avaient prévu que les forces réunies des 9ème et 12ème armées marcheraient sur Berlin, tandis que le groupe opérationnel Steiner y viendrait depuis le nord, avec les marins demandés à Doenitz que celui-ci devait envoyer par avion dans la capitale assiégée. La tentative allemande incite les Soviétiques à détruire le plus vite possible les forces encerclées dans les forêts du sud-est. Mais celles-ci sont importantes et vont à plusieurs reprises rééditer leur tentative de sortir de l'étau qui les enserre, les 26, 27 et 28 avril. La dernière, lancée le 29 avril, sonne le glas de la résistance allemande dans ce secteur. Le total des pertes s'élève à 60 000 tués et 120 000 prisonniers. Une fois les poches sur leurs arrières liquidées, les forces soviétiques peuvent se lancer à l'assaut de Berlin soumis à d'intenses bombardements alliés, par l'aviation et l'artillerie. La défense de la capitale est confiée au général Weidling à qui Hitler a donné l'ordre de tenir à tout prix. La ville a été quadrillée en secteurs fortifiés; les rues sont sous le feu des mitrailleuses ou de chars enterrés transformés en blockhaus, des casemates bétonnées ont été construites aux carrefours; les ruines sont transformées en forteresses; des tranchées ont été creusées... Dès le 22 avril, un rationnement sévère affecte la population. Le 23 avril, Joukov et Koniev proposent aux Allemands de se rendre. Ces derniers refusent. Le 26, l'assaut est lancé depuis le nord (Moabit) et le sud (Tempelhof) sous la forme de deux mâchoires avançant l'une vers l'autre inexorablement en broyant tout ce qu'elles rencontrent, mais en éprouvant des pertes terribles. Pour se soustraire aux tirs des mitrailleuses, les fantassins soviétiques évitent les rues et se faufilent à travers les cours, et les maisons en s'y ouvrant des passages à coups d'explosifs. Chaque immeuble debout doit être systématiquement nettoyé de la cave au grenier; chaque ruine, chaque block subit le même sort. Les combats sont acharnés et très meurtriers. Pendant la journée du 27, des quartiers entiers sont pris et, lorsque le soir tombe, les Allemands ne tiennent plus qu'une zone qui s'étire d'est en ouest sur une quinzaine de kilomètres mais qui n'a plus que 2 à 5 kilomètres de large. Le 28, Hitler compte encore sur un dégagement par la 9ème et la 12ème armées qui ne sont point parvenues à se joindre et dont la première est en voie d'être détruite, la seconde en retraite vers les lignes américaines; Krebs, au nom du Führer, demande à Keitel d'accélérer d'urgence les opérations de déblocage devenues impossibles! Petit à petit, les envahisseurs se rapprochent de la Porte de Brandebourg autour de laquelle gravitent les ministères, la Chancellerie où se terre Hitler, et le Reichstag, monument symbolique qui attire les combattants russes. Pour y parvenir, en venant du nord, il faut franchir le pont Moltke puissamment défendu. Il tombe dans la nuit du 28 au 29. Mais le franchissement de la Spree n'en reste pas moins difficile car les Allemands, encore en nombre autour des Soviétiques, lancent de nombreuses contre-attaques et le pont est toujours la cible des nids de mitrailleuses installées sur les bâtiments publics. Le 28 avril, le général Weidling, qui sait que l'armée va manquer de munitions, propose un plan de sortie de la ville pour mettre fin aux souffrances de la population; il essuie un refus. Le lendemain, il présente à nouveau ce plan et Hitler l'accepte; il confirme son acceptation à 14h30, pour la retirer entre 17 heures et 18 heures, et décider de défendre la ville jusqu'au dernier homme. L'assaut du Reichstag commence le 30 avril à l'aube et se poursuit sans interruption jusqu'au matin du 2 mai. Le 30 avril, vers 13 heures, un violent bombardement d'artillerie et d'orgues de Staline, ainsi que des tirs de bazookas de l'infanterie russe, s'abat sur l'édifice d'où s'élève un nuage de fumée et de poussières. A 13h30, les fantassins s'avancent mais sont cloués sur place par la puissance des tirs allemands. L'attaque reprend vers 18 heures et cette fois, elle réussit. Le drapeau du 756ème régiment est fixé sur l'une des colonnes de l'entrée principale. Entrer à l'intérieur n'est toujours pas facile. Plusieurs soldats s'y faufilent tout de même et prennent pied dans le vestibule circulaire. Les Allemands résistent énergiquement avec tout ce dont ils disposent : grenades, bazookas, armes automatiques... Il faut conquérir l'édifice étage par étage dans une atmosphère enfumée qui suffoque les combattants. La prise du premier étage prend une journée! Mais, dans la nuit du 30 avril au 1er mai, jour symbolique, les sergents Yegorov et Kontary, sur ordre du colonel Zintchenko, commandant le 756ème régiment, hissent sur le Dôme du Reichstag le drapeau rouge offert au régiment par le conseil militaire de la 3ème armée de choc (Joukov). Cependant la lutte continue à l'intérieur et dans les sous-sols. Elle ne cessera que pendant la matinée du 2 mai. Des soldats de la garnison du Reichstag, 2 500 seront alors morts et 2 600 prisonniers. Le 30 avril, après le suicide d'Hitler, Weidling qui commande les troupes de Berlin, se rend à la Chancellerie où il rencontre Goebbels, Bormann et Krebs. On l'informe qu'Hitler est mort et que Krebs est chargé d'ouvrir des pourparlers avec les Soviétiques pour négocier une capitulation. Le lieutenant-colonel Seifert a reçut l'ordre de prendre contact avec le commandant russe local afin d'obtenir un sauf-conduit pour que Krebs puisse se rendre au QG russe. Pour le moment, les gens de la Chancellerie veulent garder secrète la mort du Führer pour pouvoir tenter de tirer leur épingle du jeu en négociant avec les Soviétiques; seul Staline a été informé. Le 1er mai, entre 2 et 3 heures, Krebs réussit à franchir la ligne de front. Le même jour, les Russes interceptent un message radio qui leur propose une rencontre de parlementaires sur le pont de Potsdam. Ils acceptent. Lors de la rencontre, le colonel von Dufving déclare, au nom du général Weidling, que celui-ci est disposé à cesser le feu et à capituler. Au retour de von Dufving, un incident se produit : le garde russe qui l'accompagne est blessé par une rafale d'arme automatique intempestive; il n'y a plus de troupes organisées à Berlin, mais seulement des groupes armés. Vers minuit, von Dufving est envoyé à nouveau comme parlementaire. Des négociations officielles se déroulent avec Krebs pour fixer les termes de la reddition; les Russes s'opposent à un cessez-le-feu temporaire proposé par la délégation allemande et précisent que la fin des hostilités suppose que l'Allemagne se rende sans condition à tous les Alliés. Goebbels, dans la mort, et Bormann, on ne sait trop comment, disparaissent de la scène politique. Le 2 mai, un peu après 5 heures, Weidling s'adresse pour la dernière fois à ses troupes. Il leur commande de cesser immédiatement les hostilités, la continuation de la lutte n'ayant plus de sens et ne pouvant qu'accroître les souffrances de la population civile. Fritsche, premier adjoint de Goebbels, lance un peu plus tard un ordre identique. La bataille de Berlin a pris fin. Le régime nazi a vécu. Mais la guerre continue. Koniev va conquérir la Tchécoslovaquie où Patton a déjà pénétré du côté de l'ouest, le 18 avril. Face aux deux fronts de Biélorussie, les Allemands se retirent en direction des Alliés occidentaux, préférant se rendre entre leurs mains qu'entre celles de Russes. La bataille de Berlin a été l'une des plus importantes de la guerre; 3 500 000 hommes y ont participé, avec 52 000 pièces d'artillerie et mortiers, 7 500 chars et canons d'assaut, près de 11 000 avions et environs 280 grandes unités. Les Soviétiques ont anéanti 90 divisions, capturé 480 000 prisonniers, pris 1 500 chars, 4 500 avions et 11 000 canons et mortiers. Ils ont perdu 300 000 hommes, plus de 2 000 blindés et canons d'assaut et au moins 500 avions. 28 avril 1945 : Fin tragique du Duce La défection allemande met fin ipso facto à l'éphémère république de Salo. Le 16 avril, Mussolini réunit pour le dernière fois son gouvernement. Le 19, il part pour Milan, sous escorte allemande. Il s'installe à la préfecture de la capitale de la Lombardie où il reçoit de nombreux visiteurs qui l'incitent à partir à l'étranger. Mais il pense encore pouvoir se réfugier dans un réduit en Valteline, entouré de ses derniers fidèles, pour négocier un compromis avec le Comité de libération nationale. Le 25, il apprend que les Allemands s'apprêtent à signer une capitulation. Il en ressent une amertume d'autant plus vive que ses adversaires italiens exigent une reddition sans condition. Il quitte Milan pour Côme avec sa maîtresse, Clara (Claretta) Petacci, pour y retrouver Alessandro Pavolini, secrétaire du parti fasciste républicain, qui doit lui amener de nombreuses chemises noires. Il ne trouve personne au rendez-vous, puis arrive Pavolini avec une douzaine de recrues. Tout le temps du trajet, il se montre obsédé, non par la perte du fameux trésor de Dongo, les fonds du gouvernement républicain, qui seront bientôt entre les mains de la résistance, mais par celle d'un camion de documents qui contient sans doute les éléments de sa future défense. Le temps presse; les routes encore ouvertes tombent aux mains des partisans; les Allemands s'en vont. Finalement, ces derniers acceptent de prendre le Duce avec eux. La colonne est arrêtée par un premier barrage de partisans en un lieu marqué par une grosse pierre, le Rocher de Musso. Les partisans sont disposés à laisser passer les Allemands, mais veulent retenir les fascistes italiens. Le chef du convoi allemand, Birzer, invite Mussolini à se revêtir d'une capote allemande. Le Duce refuse d'abord, soucieux de partager le sort de ses compatriotes et celui de Clara, puis il finit par accepter. Ainsi dissimulé, il franchit ce premier obstacle, mais sans Clara qui court derrière le convoi et essaie en vain de monter dans un camion. A Dongo, lors d'un autre contrôle, un partisan, Urbano Lazzaro, adjoint au commissaire politique de la 52ème brigade garibaldienne, trouve suspect un homme paraissant ivre et endormi près de bidons d'essence. Il lui demande s'il est italien; l'homme répond positivement et se montre; c'est Mussolini! Lazzaro est tellement surpris qu'il le salue en l'appelant :"Excellence!". Mais il n'oublie pas pour autant de l'arrêter. Le Duce, pâle et défait, avec une barbe de plusieurs jours, est un homme fini. On le conduit au fond de la montagne, dans une caserne sûre, hors de tout secours, en attendant que le Comité de libération nationale statue sur son sort. Puis on le transfert, avec Clara, autorisée à le rejoindre, dans une petite ferme, près de Bonzanigo. Là, le 28 avril, arrive Walter Audisio, membre des Volontaires de la liberté, mandaté par des membres du Comité pour l'exécuter. Les membres du Comité veulent ainsi éviter un procès en crime de guerre qui pourrait soulever des difficultés si le Duce y apparaissait, peut-être avec les documents du camion. Audisio se présente à Mussolini et à Clara comme quelqu'un qui vient les sauver. Il les emmène en voiture jusqu'à proximité de la villa Belmonte. Là, il les fait descendre de voiture; ils font quelques pas en direction de la villa et Audisio, ayant sans doute averti Mussolini de ce qui allait lui arriver, Clara entoure le Duce de ses bras en hurlant : "Non, non, ne faites pas ça!" Audisio essaie de les séparer, mais, n'y parvenant pas, il les tue ensemble. Les corps sont placés à l'arrière de la voiture et amenés à un camion où ils sont jetés sur un tas de cadavres dans lequel figurent ceux qui ont été arrêtés au Rocher de Musso, dont un frère de Clara. Le 29 avril, les dépouilles de Mussolini et de Clara Petacci sont transportées à Milan, sur la place Loreto, avec celles d'autres dirigeants du régime. Le Duce et sa maîtresse sont livrés à une foule nombreuse qui se déchaîne contre leurs cadavres, les conspuant et les frappant. Pour mettre fin à cette scène d'horreur, ils sont pendus par les pieds et exposés ainsi à l'endroit où quelques mois plus tôt quinze partisans ont été fusillés, d'où le nom de place des Quinze martyrs aussi attribué à cet endroit pendant quelques temps après la Seconde Guerre mondiale. Ces événements ont été décrits à plusieurs reprises avec des variantes. La version ci-dessus n'est que l'une d'entre elles. Selon certaines sources, Mussolini aurait été arrêté par un certain capitaine Néri qui aurait disparu peu de temps après; les services secrets britanniques auraient été impliqués dans l'exécution du Duce, celui-ci détenant une correspondance avec Churchill compromettante pour ce dernier laquelle était peut-être dans le camion qui inquiétait tant le dictateur italien en fuite; et le trésor de Dongo aurait servi à financer le parti communiste italien. 30 avril 1945 : Suicide d'Hitler et fin du nazisme Le 15 janvier 1945, on l'a vu, alors que la bataille des Ardennes est perdue et que Staline vient de déclencher une attaque sur la Prusse orientale et la Silésie, le Führer est rentré à Berlin où il s'est enfermé dans le bunker aménagé sous le jardin de la Chancellerie dont il n'est pratiquement plus sorti. Isolé de l'extérieur, il s'est livré complètement à ses pensées, à ses sentiments, à son imagination et a perdu le sens des réalités. Le 12 avril 1945, Roosevelt décède. Pour Hitler, c'est un signe du destin. Il pense que, maintenant que l'un de ses principaux ennemis n'est plus, la coalition qui l'encercle va se désagréger et qu'il peut encore se tirer d'affaire. Le Fürher cède une fois de plus à ses illusions, mais il n'a pas pourtant tout à fait tort. Entre Churchill et Staline, la méfiance est déjà installée, et que restera-t-il avec Truman de la relation particulière qui existait entre Roosevelt et le maître du Kremlin? Seulement, les espoirs du Führer sont prématurés; les États-Unis pensent encore qu'ils auront besoin des Soviétiques pour triompher rapidement du Japon; Hitler les a entraînés dans le conflit européen contre leur gré, en leur déclarant la guerre, pensant ainsi amener l'empire du Soleil levant à attaquer l'URSS en Sibérie; il s'est trompé et l'heure est venu de payer. Quant à Staline, avec lequel Ribbentrop songe à rééditer le pacte de non agression de 1939, le contentieux est désormais trop important pour espérer une issue de ce côté. L'euphorie ne dure d'ailleurs pas longtemps; le lendemain de la mort de Roosevelt, les Russes s'emparent de Vienne, capitale de la patrie du Führer! Le 21 avril, Hitler ordonne une attaque générale pour dégager Berlin. L'opération est confiée au général SS Steiner. Tout soldat ou officier qui faiblira devant l'ennemi sera fusillé! Mais Steiner ne parvient pas à rassembler les forces nécessaires pour cette opération qui n'aura jamais lieu. Les mouvements de troupes qu'elle entraîne ne servent qu'à désorganiser la défense de la capitale et à faciliter l'avance des Soviétiques. Le 22 avril, au matin, Hitler s'efforce en vain d'entrer en contact avec Steiner pour savoir où en est l'offensive. Ce jour là, à 15 heures, il tient sa dernière conférence quotidienne d'état-major à la Chancellerie. Il n'a toujours pas de nouvelle de Steiner et comprend que tout est perdu. Indigné, il libère sa colère en invectivant les participants à la conférence dont il stigmatise la lâcheté, la duplicité et l'incompétence. Puis il ordonne à Keitel de retirer ses forces du front occidental pour venir s'opposer à l'encerclement de Berlin. En fin de journée, il pense à l'armée Wenck. Mais il est trop tard car, le lendemain, Joukov et Koniev se rejoignent à la périphérie sud-est de Berlin. Sous l'influence de Goebbels, qui l'encourage à finir en héros wagnérien, il décide de rester jusqu'au bout à Berlin. D'ailleurs, à quoi bon se réfugier, comme certains dignitaires nazis le font, du 20 au 24 avril, dans un réduit bavarois qui ne relève plus que du mythe? La décision du Führer de rester dans la capitale est diffusée par la radio auprès de la population. Le 23 avril, Speer arrive de Hambourg pour faire ses adieux à Hitler; ce dernier a retrouvé son calme et semble résigné; Speer confesse qu'il a contrecarré sa politique de la terre brûlée; au lieu de le mettre en fureur, cette franchise émeut Hitler. Goering, depuis la Bavière, envoie à Hitler un télégramme dans lequel il manifeste sa crainte sur l'issue de la guerre et sur ce qu'il devra faire si le Führer disparaît. Il ajoute que sans réponse à 22 heures, il commencera à assumer ses nouvelles responsabilités. Cette manoeuvre maladroite suffit à tirer Hitler d'une sorte de prostration dans laquelle il était plongé. Il se met à vitupérer contre cet opiomane sybarite, qui a détruit l'aviation allemande. Ce mouvement d'humeur, sans doute attisé par l'indignation intéressée de Bormann, amène le Führer aux abois à abolir son décret du 29 juin 1941, qui faisait de Goering son héritier, et à penser au grand amiral Doenitz comme son successeur. Les 23 et 24 avril, Himmler, qui a été très impressionné par la dernière conférence d'état-major d'Hitler du 22 avril, demande la paix aux Alliés occidentaux par le truchement d'un diplomate suédois, le comte Bernadotte. Mais le rusé éleveurs de volailles n'en avertit pas son Führer. Le 24 avril, après avoir destitué Goering de sa fonction de chef de la Luftwaffe, Hitler fait venir d'urgence de Munich à Berlin Greim dans un avion piloté par la pilote d'essai Hanna Reitsch. Le voyage est périlleux et l'atterrissage délicat. Greim, appelé pour remplacer Goering, s'en tire avec une blessure grave à un pied. Après avoir vitupéré contre le traître Goering, et évoqué une possible délivrance par l'armée de Wenck, le Führer donne à Hanna Reitsch une pilule de poison pour qu'elle se suicide en même temps que lui. Elle ne s'en servira pas! Le même jour, à Washington, le nouveau président, Truman, est mis au courant d'un secret bien gardé, celui du projet Manhattan, la bombe atomique. Rapidement, Truman prend conscience qu'il n'a plus besoin des Soviétiques pour vaincre le Japon, et prend une position de plus en plus hostile à l'encontre de l'URSS. Le 26, les Russes commencent à bombarder la Chancellerie dont ils ne sont plus très loin. Le 28 avril, Churchill rejette l'offre de reddition d'Himmler, sous le prétexte qu'elle n'est adressée qu'aux Alliés occidentaux, à l'exclusion des Russes. Hitler l'apprend le même jour par Heinz Lorenz, officier du ministère de la propagande, la nouvelle ayant été diffusée sur les radios alliées. Cette trahison de celui qu'il appelait le fidèle Himmler affecte beaucoup plus le Führer que celle de Goering. Ce même 28 avril, le général Weidling, qui sait que l'armée va manquer de munitions, propose un plan de sortie de la ville pour mettre fin aux souffrances de la population; il essuie un refus. Hitler se venge d'Himmler en faisant fusiller Fegelein, représentant du chef des SS à la Chancellerie, pourtant beau-frère d'Eva Braun. Le lendemain, Weidling présente à nouveau son plan et Hitler l'accepte; il confirme son acceptation à 14h30, pour la retirer entre 17 heures et 18 heures, et décider de défendre la ville jusqu'au dernier homme. La veille, Mussolini est mort; le Führer a été rapidement informé de cet événement et du traitement infligé à la dépouille mortelle du dictateur italien. Il craint pour lui le même sort, voire pire, et imagine même que, si les Alliés le prennent vivant, ils l'exhiberont à travers l'Europe dans une cage de fer, comme un animal de cirque! Ce 29 avril, il rédige donc son testament, dans lequel il n'oublie pas de glisser une diatribe contre les Juifs accusés d'être les responsables de la guerre qu'il est en train de perdre. Il exclut Goering et Himmler du parti, les démet de toutes leurs fonctions, et nomme officiellement Doenitz président du Reich, Goebbels chancelier, Bormann ministre du parti, Seyss-Inquart, ministre des Affaires étrangères. Bref, il dispose des places comme s'il avait encore la capacité d'influencer l'avenir. Le maréchal Schörner devient commandant en chef de l'armée, le général Jodl, chef d'état-major de l'Okw, et le général Krebs, chef de l'état-major de l'Okh. Keitel limoge le général Henrici, chef du groupe des armées de la Vistule, pour avoir désobéi au Führer en préférant aller se rendre aux Américains plutôt que de voler au secours de Berlin; plusieurs généraux pressentis pour remplacer Henrici, refusent, et le poste échoit finalement au général Tippelskirch, sous la vive pression de Keitel. Greim, chargé d'arrêter Himmler, quitte Berlin. Hitler épouse Eva Braun, sans doute pour récompenser sa fidélité. Le 30 avril, les nouveaux époux se suicident, Eva Braun en absorbant une capsule d'acide cyanhydrique et Hitler en se tirant une balle de revolver dans la bouche; leurs corps, aspergés d'essence, sont brûlés incomplètement dans un trou d'obus du jardin de la Chancellerie, sous les tirs russes, au-dessus du bunker où le Führer a vécu ses derniers jours. Il est probable que leurs restes sont endommagés par les bombardements subséquents. Les soldats soviétiques qui les découvrent pensent qu'il peut s'agir des corps d'Hitler et de sa compagne, mais leur état ne permet pas une identification certaine. Il sont donc pris en charge par les convois de l'Armée rouge et suivent leurs tribulations en attendant les directives de Moscou. Cette situation laisse planer un doute sur le sort du dictateur allemand : est-il mort ou a-t-il réussi à s'échapper et réapparaîtra-t-il un jour? Cette incertitude dure jusqu'aux années 1950 et beaucoup de gens pensent en Occident que ce n'est pas pour déplaire au maître du Kremlin. Aujourd'hui, une mâchoire conservée à Moscou ne laisse plus planer aucun doute, le corps brûlé et défiguré retrouvé dans le jardin de la Chancellerie était bien celui Führer; la mâchoire a été authentifiée par le dentiste du dictateur. Hitler a laissé un testament politique. Après avoir sacrifié la jeunesse allemande sur les champs de bataille, il y rend son peuple responsable de la défaite par manque d'esprit combatif! Visiblement, dans l'esprit du Führer vaincu et sur le point de se suicider, l'Allemagne ne méritait pas un dirigeant aussi génial que lui! Dans la soirée du 30 avril, un envoyé de Goebbels et de Bormann, joint les Soviétiques pour leur demander une rencontre. Les gens de la Chancellerie gardent la mort du Führer secrète sauf pour Staline qui en est informé par radio. Doenitz ne sera avisé que le lendemain. Pendant ce temps, Goebbels et Bormann espèrent parvenir à un arrangement avec les Russes. Dès qu'il est prévenu, Doenitz, depuis Flensburg, ne tarde pas à s'adresser indirectement aux Alliés occidentaux en affirmant sur les ondes que l'Allemagne continue la lutte contre le bolchevisme. Ces dernières tentatives décousues pour sauver ce qui reste de l'armée allemande et du régime nazi, en essayant de jouer sur les divergences alliées, vont tourner court. Le 1er mai, une délégation allemande, dont fait partie le général Krebs, rencontre celle de Joukov et de Koniev. Elle confirme la mort de Hitler, la constitution d'un nouveau gouvernement, et précise que Krebs est autorisé à négocier avec le commandement soviétique. La délégation allemande propose un cessez-le-feu temporaire à Berlin. La délégation soviétique répond qu'un cessez-le-feu ne peut intervenir que si l'Allemagne se rend sans condition à tous les Alliés. Au bout d'une discussion de cinq heures, Krebs et les autres membres de la délégation retournent auprès de Goebbels et de Bormann. Il est 14 heures. A 18 heures, Goebbels et Bormann rejettent les propositions soviétiques. Après avoir tué leurs enfants, Goebbels et sa femme se suicident. Bormann disparaît sans que l'on sache ce qu'il est devenu! On pense qu'il est mort, le 2 mai, à Berlin, en tentant de fuir. Un cadavre, découvert lors de travaux de voirie à Berlin, en 1972, est en effet officiellement identifié comme étant celui de Bormann. Mais des rumeurs de fuite en Amérique latine ont longtemps persisté. Le 1er mai, le drapeau soviétique est hissé sur le toit du Reichstag, à Berlin, au milieu d'une ville ruinée par les bombardements. Dans la nuit du 1er au 2 mai, les hommes et les femmes massés dans les abris qui entourent la Chancellerie tentent une évasion en masse. La plupart réussissent à fuir la capitale en ruines. Doenitz entreprend des négociations avec les Alliés occidentaux en cherchant à obtenir avec eux une paix séparée. Le 4 mai, l'amiral von Friedburg signe un armistice qui entraîne la capitulation des forces allemandes du nord-ouest de l'Europe, prélude à une reddition générale sans condition. Mais le grand amiral tergiverse pour gagner du temps afin que le plus grand nombre de personnes, militaires et civiles, qui fuient les Russes, puissent se retrouver à l'ouest de l'Elbe. Par ailleurs, Schörner, le nouveau chef de l'armée allemande désigné par Hitler, qui combat en Tchécoslovaquie, refuse de cesser la lutte contre les Soviétiques. Eisenhower, qui n'est pas dupe et que le comportement de l'Allemand irrite, finit par se fâcher et lui oppose un ultimatum. Finalement, à Reims, le 7 mai à l'aube, Jodl et Friedburg, sur ordre de Doenitz et de Keitel, qui n'ont pas d'autre alternative, apposent leurs signatures sur l'acte de reddition sans condition de toutes les forces allemandes que leur soumettent les quatre puissances alliées (États-Unis, URSS, Grande-Bretagne, France). La cérémonie se répète à Berlin, le lendemain 8 mai 1945 à 23 heures, heure de Berlin, soit le 9 mai 1945 à 1 heure, heure de Moscou, en présence de Keitel que la présence de la France mécontente. Ni les manoeuvres de Doenitz, ni celles de Goebbels-Bormann, ne sont parvenues à séparer les Alliés. Le 3ème Reich, qui devait durer mille ans, disparaît une semaine après son fondateur! Le dernier gouvernement nazi n'a évidemment aucune vocation à rester au pouvoir et il va s'effacer. Une partie de ses membres va être arrêtée par les Alliés, Friedburg, se suicidera, Jodl et Keitel seront pendus à Nuremberg. Doenitz vivra jusqu'en 1980. Comme il n'existe pas de solution de rechange gouvernementale allemande et que le pays va être découpé en zones d'occupation, il appartient aux Alliés de prendre en charge le sort de la population dans des conditions exceptionnellement difficiles. Mais les combats ne sont pas terminés puisque Schörner refuse la capitulation. A la fin, l'URSS aura payé un lourd tribut humain à la guerre : 8,8 à 10,7 millions de morts militaires et 13,6 millions de morts civils, en majorité russes. Dès que la guerre en Europe est terminée, Truman met fin aux livraisons à la Russie dans le cadre du Prêt-Bail, sans ternir compte des promesses de Roosevelt. 3 mai - 13 mai : Libération du Danemark et de la Hollande Le 3 mai, Doenitz, qu'Hitler a désigné comme son successeur, envoie un émissaire au QG de Montgomery pour y signer la reddition des forces allemandes de Hollande, du Nord-Ouest de l'Allemagne, des îles allemandes, du Schleswig-Holstein et du Danemark. Cette capitulation intervient le 4 mai avec effet le 5 mai à 8 heures. Mais la garnison de l'île danoise de Bornhol, qui refuse la capitulation, ne s'y résoudra que le 9 mai. Les Alliés trouvent au Danemark une armée secrète de plus de 20 000 hommes aidés par les Soviétiques. Ils se sont livrés, pendant l'hiver 1944-1945 à de nombreux sabotages des voies ferrés qui ont considérablement gêné les transferts de troupes envoyés en renforts aux fronts actifs depuis la Norvège. La situation politique au Danemark ne soulève aucun problème. Le roi et son gouvernement en exil à Londres ne se sont pas compromis et vont retrouver leur pays. Mais il n'en va pas de même en Norvège qui n'est pas couverte par la capitulation du 5 mai. Un plan d'opération de libération de la Norvège a été mis au point par les Alliés. L'opération Doomsdday (Jugement dernier) s'appuie essentiellement sur les forces norvégiennes, 57 000 hommes, 52 navires et 80 avions, appuyées par les forces alliées du secteur de Norvège, environ 2 000 hommes et 40 000 résistants norvégiens. Ce n'est pas suffisant pour affronter les 400 000 soldats allemands si ceux-ci décident de continuer le combat, comme on peut le craindre. En attendant, les résistants norvégiens s'efforcent de soustraire à la destruction les pièces qui serviront l'accusation des collaborateurs lors de leur procès. Le 7 mai, à Reims, Jodl signe la reddition de l'Allemagne nazie et de toutes les forces du 3ème Reich. Le même jour, le général Böhme, qui commande l'armée allemande en Norvège annonce sa capitulation à la radio. L'opération Doomsday peut commencer. Le 8 mai, le général Hilton, chef d'état-major du général Thorne, commandant des forces terrestres alliées en Norvège, s'envole pour Oslo pour recevoir officiellement la reddition de Böhme. Le 9, des unités de la 1ère division aéroportée, les Diables rouges, du général Urquhart, décollent d'Angleterre à bord de 35 avions. En raison du mauvais temps, 27 avions rebroussent chemin et seuls 8 avions parviennent à destination, les autres sont portés disparus. Les soldats britanniques en nombre réduit qui arrivent à Oslo y sont accueillis dans la liesse populaire et tout se passe bien, sauf pour deux dignitaires allemands (un responsable politique et un général SS) qui se suicident, et les collaborateurs qui sont arrêtés. Quisling se rend le 9 mai, à Oslo; jugé du 20 août au 6 septembre, il est fusillé le 24 octobre 1945. A la fin de l'année, il ne reste plus dans les prisons norvégiennes que 8 000 collaborateurs. Le 13 mai 1945, le prince Olaf, chef des armées norvégiennes, et les membres du gouvernement rentrent d'exil. Le 7 juin, cinq ans, jour pour jour, après son départ, le roi Haakon remonte sur son trône. 1944-1946 : L'épuration Après la victoire, les troupes yougoslaves occupent Fiume, l'lstrie et Trieste, dont les Alliés ont accepté l'annexion. Le triomphe des Partisans sera terrible, tant sur les prisonniers allemands que sur leurs ennemis intérieurs qui périront par milliers. Longtemps après, Tito écrira : "C'est à l'histoire de juger!" En mai 1945, 50 000 soldats et militants oustachis avec leurs familles se rendent aux Anglais au village de Bleiburg. Ils sont livrés aux partisans communistes et un grand nombre d'entre eux sont exécutés. Les troupes du maréchal Tito organisent l'épuration parmi les collaborateurs croates, mais les principaux dirigeants oustachis parviennent à s'exiler, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, ou encore dans l'Espagne franquiste, avec la complicité des autorités catholiques. Après un séjour en Amérique du Sud, Ante Pavelic se réfugie à Madrid où il se sent plus en sécurité. Il y meurt en 1959, des suites d'un attentat de 1957. Mihaïlovitch, condamné à mort, est exécuté le 17 juillet 1946. La Yougoslavie de Tito occultera cette période de l'histoire dans l'espoir de réconcilier les peuples de la fédération. Mais, après la mort de Tito, les nationalismes referont surface avec une vigueur toujours aussi meurtrière. En Pologne, les collaborateurs sont pourchassés vigoureusement. Un ancien partisan juif dirige un camp de concentration où les nouveaux prisonniers sont maltraités et meurent de faim. Le déplacement des frontières vers l'ouest entraîne une migration chaotique de la population germanique qui peut être considérée comme un véritable nettoyage ethnique, mais cette notion ne se répandra que plus tard. Pour le moment, on trouve normal ce déménagement contraint qui cause pourtant de nombreuses morts. C'est le prix à payer pour créer des États ethniquement homogènes et éviter, pense-t-on, dans le futur, les revendications frontalières qui ont servi de prétexte au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, à Dantzig et dans les Sudètes. En Tchécoslovaquie, les personnes d'origine allemande, dont la plupart, mais pas toutes, ont accueilli Hitler avec faveur, doivent maintenant rendre des compte sans discrimination. Le souvenir de Lidice et autres exactions nazies est trop présent dans les mémoires. La volonté de vengeance domine les esprits de certains membres de la Résistance. Des massacres ternissent la joie de la Libération. On n'en parle pas, car, à cette époque, la majeure partie des peuples alliés, surtout ceux qui furent occupés, considèrent que les Allemands ont largement mérité ce qui leur arrive. Il faut souligner le fait qu'aucun pays occupé n'a échappé à ce que l'on a appelé l'épuration, c'est-à-dire la chasse aux collaborateurs des Allemands, même si l'ampleur de ce phénomène fut variable d'un pays à l'autre. En France, l'épuration connaît deux phases. La première intervient dès 1944, dans un pays où les anciennes autorités disparaissent alors que les nouvelles ne sont pas encore en place. Elle est spontanée et correspond à une sorte d'exorcisme après une défaite inattendue et une occupation mal supportée; elle s'explique par la tension accumulée, le désir de vengeance, voire, pour les couards, à celui de se montrer sous un jour énergique après être restés si longtemps dans l'ombre, et hélas aussi par l'opportunité de régler des comptes personnels; elles se manifeste par l'humiliante tonte publique de femmes ayant fréquenté des Allemands et par des exécutions sommaires, avec ou sans jugement, devant des tribunaux populaires improvisés. La seconde phase est institutionnelle. Elle a lieu après l'établissement du nouveau pouvoir et des institutions, en 1945. Elle se caractérise par le retour à l'état de droit. Les suspects sont traduits devant des tribunaux régulièrement installés et les condamnés subissent une peine jugée à la hauteur du crime commis. Après la Libération, les autorités ont tendance à majorer fortement le nombre des personnes mises à mort. Georges Bidault, un démocrate-chrétien, comparant la Libération à la Révolution, ira jusqu'à dire que l'épuration fut plus meurtrière que la Terreur; Andrien Tixier, ministre socialiste de l'Intérieur du général de Gaule, parlera de plus de 100 000 victimes d'exécutions plus ou moins sommaires entre 1944 et mars 1945; ce nombre restera longtemps à l'affiche. L'épuration légale s'effiloche au cours du temps. En 1947, les communistes ayant quitté le gouvernement et la guerre froide commençant, l'ennemi change de bord et les anciens collaborateurs retrouvent peu à peu droit de cité. Sans réhabiliter totalement la collaboration, il est donc de moins en moins question de condamner les collaborateurs qui peuvent à nouveau servir la cause du jour! Les historiens revoient périodiquement les évaluations. Aujourd'hui, on chiffre entre 10 000 et 11 000 victimes les morts des deux épurations françaises. Il est d'autant plus difficile de se faire une idée de la réalité que l'on est en droit de penser que, comme c'est bien souvent le cas en matière d'histoire, les estimations peuvent être biaisées, chez nous comme ailleurs, par l'idéologie du moment et les impératifs de la propagande. Le 23 mai 1945, par l'accord de Leipzig, les alliés occidentaux s'engagent à rapatrier en Union soviétique tous les ressortissants de ce pays. Le Russes vont s'efforcer de faire rentrer chez eux tous ceux qui, pour des raisons diverses, se trouvent en Occident, même ceux qui ne veulent pas retourner dans leur pays. Des enlèvements de ressortissants soviétiques récalcitrants ont lieu en France, y compris des femmes russes mariées à des prisonniers de guerre français rencontrés en Allemagne. 17 juillet - 2 août : Conférence de Potsdam Le 17 juillet s'ouvre à Potsdam une dernière conférence interalliée. Roosevelt, décédé, y est remplacé par Truman; Churchill, participe aux débuts de la conférence, mais après avoir perdu les élections, il cède la place au travailliste Atlee; seul Staline est présent jusqu'au bout. La veille de l'ouverture a eu lieu avec succès l'essai d'une bombe atomique au plutonium américaine dans le désert du Nouveau-Mexique. Cette conférence aurait dû avoir lieu plus tôt, mais elle a été différée dans l'espoir que Truman y participerait avec le poids de l'arme nucléaire. Pour faire patienter Staline, et atténuer la tension qui commence à apparaître entre l'URSS et les États-Unis, le président américain lui a envoyé Haro Hopkins, un ami personnel de Roosevelt. La conférence se tient dans le contexte de difficultés apparues au sujet de la Pologne. Le gouvernement en exil à Londres se refuse à accepter les conséquences des accords de Téhéran et de Yalta et exige le retour à la frontière de 1939, ce qui irrite Churchill et ne peut évidemment pas être accepté par Staline. En avril 1945, le gouvernement provisoire de Lublin a signé un pacte d'assistance mutuelle avec l'Union soviétique. Le Premier ministre Stanislaw Mikolajczyk du gouvernement en exil, a démissionné et s'est rendu à Lublin avec d'autres dirigeants politiques. Un nouveau gouvernement d'unité nationale a été constitué, le 28 juin, avec le socialiste Edward Osobka-Morawski comme Premier ministre et deux vice-premiers ministres, Mikolajczyk, et le communiste Wladyslaw Gomulka. Les principaux rivaux des communistes sont le Parti paysan polonais (PSL) et des anciens des deux mouvements de résistance, l'AK et l'armée polonaise qui a combattu aux côtés des alliés occidentaux. Du côté communiste, les représentants sont Gomulka et surtout Boleslaw Bierut, qui contrôle l'armée polonaise formée en Russie et la police. Une dirigeante du Comité polonais de libération nationale, Wanda Wasilewska, propose le rattachement de la Pologne à l'URSS; mais Staline, toujours prudent, rejette cette solution. Truman, plus proche des idées de Churchill que de celles de Roosevelt, et qui sait qu'il n'a plus besoin des Russes pour vaincre le Japon, se montre ferme avec Staline sur l'Europe. La politique d'entente américano-soviétique de Roosevelt cède la place à la volonté des États-Unis de s'ériger en gendarme du monde en utilisant l'arme atomique non seulement comme moyen militaire mais aussi comme instrument de pression diplomatique. Ce virage à 180 degrés de la politique extérieure américaine, de l'isolationnisme traditionnel à l'interventionnisme généralisé, ne peut conduire qu'à un affrontement avec l'URSS. La guerre froide n'est pas loin. D'ailleurs, dès la fin des hostilités avec l'Allemagne, les livraisons Prêt-Bail n'ont-elles pas cessé avec la Russie? Les promesses d'aide à la reconstruction de l'Union soviétique faites à Staline par Roosevelt sont-elle oubliées? Le nouveau président américain trouve que la part de l'URSS en Europe de l'Est est trop belle et il s'inquiète de la place éminente prise par les communistes dans les gouvernements des pays sous orbite soviétique. Rappelons que le partage des zones d'influence fut décidé par Churchill et Staline et que Roosevelt ne fit que l'entériner. Truman prévient néanmoins Staline à demi mot de la réussite de l'essai effectué au Nouveau-Mexique, toutefois sans lui préciser la nature de la bombe, ni les intentions américaines quant à son utilisation. Cette information ne semble pas affecter le leader soviétique. Comment interpréter cette quasi indifférence de Staline? Peut-être la feint-il, peut-être n'a-t-il pas bien compris le message sibyllin que Truman lui a transmis, peut-être a-t-il parfaitement compris mais sait-il déjà qu'il aura lui aussi bientôt sa bombe atomique! D'après le général Chtemenko (Historia Magazine), faute de détails précis, Staline aurait pensé que cette arme, présentée de manière allusive, n'avait rien de réellement nouveau. Des pourparlers ont lieu à Moscou entre Russes et Japonais pour trouver une issue au conflit. On l'a vu, en avril, Suzuki est devenu chef du gouvernement nippon et sa première préoccupation a été de préserver le pacte de non-agression russo-japonais qui ne tient plus qu'à un fil. En juin 1945, une première approche a été tentée à Tokyo en direction de l'ambassadeur d'Union soviétique qui s'est dérobé en tombant opportunément malade. Le 12 juillet, Togo, ministre des Affaires étrangères japonais, a alors transmis officiellement à Moscou par son ambassadeur une demande d'envoi à Moscou du prince Konoe, avec les pleins pouvoirs de l'empereur, pour négocier un arrangement afin de mettre fin au conflit. Le dirigeant soviétique tient le président américain au courant des discussions. Mais celui-ci était déjà au courant de ces tractations, les décrypteurs américains ayant percé à jour les codes japonais. Roosevelt voulait tenir les Britanniques à l'écart de la Guerre du Pacifique; maintenant, Truman souhaite qu'elle cesse avant que les Soviétiques n'aient le temps d'y participer et de conquérir une partie de l'Asie! Les militaires américains sont généralement opposés à l'idée d'une invasion du Japon coûteuse en vies humaines. Cependant, Marshall espère que l'entrée en guerre de l'URSS suffira pour amener le Japon à capituler. Eisenhower, qui pense qu'une paix est possible sans recours à l'arme nucléaire, est hostile à l'utilisation de ce terrifiant projectile; mais il souhaite, comme Truman, que l'Armée rouge n'intervienne pas. Quoi qu'il en soit, à Potsdam, le 26 juillet, un ultimatum est adressé au Japon par la Chine, les USA et la Grande-Bretagne, l'URSS n'étant pas encore en guerre contre lui se contente de l'approuver; cet ultimatum exige une capitulation sans condition mais ne mentionne pas le sort réservé au mikado. Cet ultimatum enlève leurs dernières illusions aux Japonais. En Europe, le destin des puissances vaincues est définitivement arrêté : l'Autriche sera séparée de l'Allemagne et celle-ci sera divisée en zones d'occupation contrôlées par les pays vainqueurs, États-Unis, Grande-Bretagne, France, URSS. Un problème se pose, celui de la restitution des biens culturels volés dans les pays occupés, au moins pour ceux qui n'ont pas été détruits par la guerre. Il sera relativement facile dans les zones occidentales. Mais il n'en ira pas de même dans la zone soviétique où il donnera lieu à d'âpres négociations. Les Russes en profitent en effet pour tenter d'obtenir, en échange, des compensations pour les importants dégâts que leur pays a subi. 6 août 1945 : Entrée dans l'ère nucléaire - Bombardement d'Hiroshima L'explosion de la première bombe atomique a été précédée d'importants travaux de recherche auxquels participèrent les savants de nombreux pays à travers le monde. En 1934, deux savants français, Frédéric Joliot et sa femme, Irène Curie, découvrent la radioactivité artificielle. En décembre 1938, l'Allemand Otto Hahn, en bombardant avec des neutrons un métal lourd, l'uranium, trouve que le noyau se divise en deux autres éléments : le baryum et le Krypton, l'énergie dégagée lors de cette fission représente plus du double de celle conservée dans les deux nouveaux éléments. Plusieurs savants à travers le monde, notamment aux États-Unis et en URSS, valident sa découverte. Au printemps 1939, Joliot et son équipe du Collège de France s'aperçoivent qu'au moment de la fission, trois ou quatre neutrons sont libérés et deviennent disponibles pour faire éclater d'autres noyaux en entraînant ainsi une réaction en chaîne. La maîtrise de la réaction en chaîne peut déboucher sur des applications civiles (production d'énergie) et militaires (bombe atomique). Mais cette maîtrise suppose la possession d'un élément qui ralentit le processus. L'équipe de Joliot opte pour l'eau lourde. Dans l'atmosphère de préparation à la guerre, Joliot et son équipe déposent secrètement trois brevets. Au cours de l'été 1939, plusieurs pays travaillent sur la question de l'énergie nucléaire, dont les États-Unis, la France, la Grande Bretagne, l'Allemagne et l'Union soviétique. Le 2 août 1939, Albert Einstein, convaincu par plusieurs savants, dont Enrico Fermi, Leo Szilard et Paul Wigner, que la possession en premier par le régime nazi d'une bombe atomique serait une catastrophe, envoie une lettre au président Roosevelt pour le persuader que la fission nucléaire de l'atome d'uranium peut déboucher sur la production de bombes extrêmement puissantes. Szilard et Wigner sont des Hongrois d'origine juive qui ont fui les persécutions pour se réfugier aux USA. La France entre en contact avec M. Sengier qui contrôle les dépôts d'uranium du Congo et envisage la création d'un site d'essai de bombes nucléaires dans le Sahara. Sengier est également en contact avec les Britanniques. En février 1940, pendant la drôle de guerre, Edouard Daladier, président du Conseil des ministres, ministre de la Défense, confie au financier Jacques Allier la mission d'acheter à Norsk Hydro, une société norvégienne à capitaux essentiellement français, seule à fabriquer de l'eau lourde, la totalité de ses stocks (185 kg) que convoite aussi l'Allemagne. A cette époque, un physicien nucléaire japonais, Yoshio Nishina, est chargé par l'armée japonaise, de diriger l'équipe chargée d'étudier la fabrication d'une bombe atomique au sein de l'institut Riken. Mais les autorités japonaises ne semblent pas accorder à ce projet l'importance qu'il mériterait. Dans les lettres laissées par Nishina, il en est une qui montre que le physicien E. Teller, qui participera au projet Manhattan, envisage en 1933, de s'expatrier au Japon, ce qui aurait pu avoir les conséquences que l'on peut imaginer. Avec la débâcle, le stock d'eau lourde est transporté de Paris à Bordeaux. Puis, avant l'arrivée au pouvoir du maréchal Pétain, Halban et Kowarski, deux éminents chercheurs du groupe de Joliot, sont mandatés, pour l'accompagner de Bordeaux en Angleterre, et rester chez nos alliés pour y poursuivre leurs recherches. Après quelques tribulations, le stock d'eau lourde se retrouve dans les caves du château de Windsor. Joliot reste en France où il participe à la Résistance et adhère au Parti communiste. En Angleterre, Halban et Kowarski travaillent sur la réalisation d'un réacteur nucléaire et découvrent que la fission de l'uranium lourd transforme celui-ci en un élément qui n'existe pas dans la nature, le plutonium. Ce dernier réagit à la fission comme l'uranium et peut donc servir à la fabrication d'un autre type de bombe atomique. Chercheurs français et chercheurs britanniques unissent leurs efforts pour devancer les Allemands, malgré le scepticisme de Churchill. Au fil du temps, les hommes politiques, d'abord dubitatifs, commencent à s'intéresser à ce projet. Malheureusement, l'Angleterre, seule dans la guerre après la défaite de la France, n'a plus la capacité de résoudre les nombreux problèmes que pose la mise en place d'une industrie nucléaire, en particulier pour la fabrication du combustible, car celui-ci n'est pas n’importe quel uranium mais seulement l'un de ses isotopes, l'uranium 235, qui ne représente que 0,7 % de l'uranium pur dont il faut l'extraire, opération délicate et longue, qui exige la conception et la construction d'importantes usines. Le relai est donc pris par les États-Unis
où Roosevelt a entendu l'appel d'Einstein. Là, les moyens
ne manquent pas. L'eau lourde traverse l'Atlantique mais elle est bientôt
remplacée par le graphite comme retardateur. Le projet Manhattan,
auquel participe le Danois Niels Bohr, spécialiste de la mécanique
quantique, est mis en route ; Niels Bohr, d’origine juive, s’est enfui
de son pays pour échapper aux persécutions nazies. La ville-laboratoire
de Los Alamos est construite au Nouveau-Mexique. D'immenses usines sont
édifiées, comme celle d'Oak Ridge (Tennessee) qui travaillent
à l’abri des raids aériens et loin des regards indiscrets.
En 1944, alors que l'Allemagne, accablée par les bombardements,
est sur le point d'être envahie, les problèmes posés
par la fabrication des bombes atomiques sont résolus Outre-Atlantique
sous la direction de Robert Oppenheimer.
Le 15 juillet 1945, Un bombe au plutonium, type implosion, est prête sur le site d'essai d'Alamargo, dans le désert du Nouveau Mexique. Ce jour-là, Little Boy, la bombe à uranium, type canon, qui ne sera jamais testée, part pour le Pacifique. Le 16 juillet, l'essai Trinity de la bombe à plutonium a lieu. C'est un succès. Le 24 juillet, à Potsdam, Truman fait allusion à la bombe atomique dans une conversation avec Staline. Ce dernier reste apparemment indifférent, ce qui amène le président américain à penser que seule l'emploi de l'arme nucléaire convaincra le leader soviétique de la puissance militaire désormais aux mains des États-Unis. Le 25 juillet, la décision d'utiliser la bombe atomique est définitivement confirmée. Un ultimatum est adressé au Japon par Truman, Churchill et Tchang Kaï Chek sans mentionner la bombe atomique dont la possession demeure secrète. Le 6 août, à 8h15, le B-29 Enola Gay, piloté par le colonel Paul Tibbets, largue Little Boy, sur Hiroshima. Des dizaines de milliers de personnes sont tuées sur le coup et beaucoup d'autres périssent ensuite du fait des radiations; les estimations vont de 70 000 (Département de l'Énergie des États-Unis - DOE), à 140 000 (Mémorial pour la paix d'Hiroshima), voir 240 000 à 270 000 morts. On voit combien il est difficile de se fier aux chiffres! Près de 10 kilomètres carrés sont rasés. Les États-Unis proposent au Japon de se rendre sous peine d'autres bombardements atomiques. Le Japon refuse. Le 9 août, le B-29 Bockscar, piloté par le major Sweeney, largue une réplique de la bombe testée à Alamargo, Fat Man, sur Nagasaki, une ville de 250 000 habitants. Cette expédition ne se passe pas aussi bien que la précédente; d'abord, Nagasaki n'est qu'une cible de substitution, au cas où le cible principale, Kokura, ne remplirait pas les conditions de visibilité requises; ensuite parce qu'un problème se pose, celui de l'amorçage en vol de la bombe, lequel est résolu non sans difficultés. Là aussi des dizaines de milliers de personnes sont tuées en l'espace de quelques secondes et bien d'autres par la suite; on parlera de 40 000 morts (DOE), 87 000 morts, et même beaucoup plus. Près de 5 kilomètres carrés sont détruits, notamment une zone industrielle. Dans les deux cas, les résultats diffèrent peu. Le souffle, un peu moins puissant à Nagasaki, emporte tout à la ronde comme des fétus de paille et transforme un vaste espace en océan de flammes. Les victimes meurent dans d'atroces souffrances. La plupart sont horriblement brûlés. Leur peau boursouflée s'en va en lanières et lambeaux sanguinolents. Les plus proches de l'épicentre de l'explosion ne laissent que la trace de leur ombre sur les murs. Certains sont tués par la chute ou la transformation en projectiles des débris, pierre, bois, verre... qui les écrasent, leur entaillent la chair, leur coupent les membres où pénètrent leurs corps. D'autres perdent la vue comme si leur yeux avaient fondu et coulé. Les blessés sont soignés comme on le peut dans des hôpitaux de fortune. De faux bruits circulent selon lesquels l'aviation japonaise a rendu coup pour coup aux Américains. Alors les moribonds couverts de sang et la peau en guenille, saisis d'enthousiasme et de joie vengeresse, se mettent à rire, à chanter, et à danser quand ils le peuvent, comme des damnés, avant de périr. Ces scènes dantesques passées, les survivants, traumatisés, survivent dans la crainte de l'avenir. Beaucoup décèdent dans les années qui suivent sous l'effet des radiations qu'ils ont subies. Le lendemain du bombardement de Nagasaki, le Japon accepte de capituler. L'empereur Hirohito l'annonce lui-même à la radio le 15 en émission différée. La guerre du Pacifique est terminée. Malgré cela quelques militaires jusqu'au-boutistes tentent vainement de poursuivre la lutte et d'autres se suicident. Les Américains n'avaient pas d'autres bombes mais ils pouvaient en fabriquer assez rapidement. Beaucoup de savants qui contribuèrent à l'entrée du monde dans l'ère nucléaire, Einstein en tête, déplorent l'utilisation de la bombe et militent ensuite pour la paix et contre l'emploi de cette arme autrement que comme un moyen de dissuasion. Mais, sur le moment, l'opinion publique mondiale n'est pas autrement troublée par ces massacres de civils; comme l'Allemagne, pense-t-on, le Japon n'a que ce qu'il mérite! Il faudra que le temps passe pour qu'une vraie polémique surgisse entre ceux qui considèrent les bombardements sur Hiroshima et Nagasaki comme des crimes de guerre et ceux qui plaident leur cause en soutenant que, sans eux, le conflit aurait duré plus longtemps et aurait coûté plus de victimes militaires et civiles. Ce débat ne sera probablement jamais clos car il est bien difficile de mettre d'accord des gens qui s'appuient sur les principes moraux avec ceux qui privilégient les arguments militaires. 9 - 23 août 1945 : Bataille de Mandchourie Dès 1938, la Stavka érigea la région militaire d'Extrême-Orient, puis, en 1941, celle de Transbaïkalie en fronts portant le même nom. Les dirigeants soviétiques savaient que la paix avec que le Japon n'était qu'une trêve qui serait brisée un jour. Les masses nippones massées aux frontières, et les fréquentes violations du territoire soviétique par l'aviation et la marine nipponnes, ne laissaient planer aucun doute à ce sujet. L'empire du Soleil levant n'attendait qu'une défaillance de l'URSS pour essayer de conquérir la Sibérie comme il l'avait tenté précédemment. En 1942, on l'a vu, il envisagea un moment d'envahir l'Union soviétique à partir de la Mandchourie, mais la tournure des affaires à Stalingrad l'en dissuadèrent. Pour faire face à cette menace, au cours de la guerre, les dirigeants soviétiques modifièrent progressivement le commandement sibérien en y envoyant des officiers aguerris ayant servi sur les fronts européens. Le général Pourkayev, qui avait commandé le front de Kalinine, fut placé à la tête du front d'Extrême-Orient, tandis que le général Ajanagenko, un officier local, fut envoyé en stage sur le front de Voronej. En 1943, la perspective d'une victoire en Europe, amena les Alliés à envisager une participation soviétique à la guerre du Pacifique. Mais celle-ci n'était pas envisageable avant la défaite complète de l'Allemagne nazie. En 1944, l'offensive des Ardennes vint doucher les espoirs d'un effondrement rapide du Reich et ce n'est guère qu'à Yalta, en février 1945, qu'il fut possible d'arrêter une date d'intervention de l'Armée rouge contre le Japon. Il fut alors décidé que cette intervention aurait lieu deux ou trois mois après la fin de la guerre en Europe, temps jugé nécessaire au renforcement des forces russes déjà sur place, sous trois conditions, déjà énoncées plus haut dans le chapitre consacré à Yalta, conditions qui furent acceptées par les Anglo-Américains. Mais Staline hésite encore pour des raisons diplomatiques. Certes, en avril, il a prévenu le Japon qu'il ne renouvellerait pas le Pacte de non-agression, mais celui-ci n'est pas encore arrivé à son terme et, soucieux de ne pas passer pour quelqu'un qui ne tient pas ses engagements auprès de l'opinion publique internationale, il demeure prudent. Bien sûr, il ignore que Truman se passerait volontiers de son intervention. Ce dernier est mis sous pression par une partie de son entourage et probablement aussi par l'opinion américaine soucieuse d'épargner la vie de ses soldats. Malgré sa propre inclination et l'opinion d'Eisenhower, poussé par son secrétaire d'État, Byrnes, le président américain finit par envoyer à Staline une lettre qui lève tous les obstacles, en espérant peut-être qu'elle parviendra trop tard à son destinataire. Cette lettre se réfère à la Charte des Nations Unies, qui n'est pas encore ratifiée, mais à laquelle adhère l'URSS. Or, cette charte, d'après Truman, exonère le signataire d'un pacte de non-agression du respect de celui-ci au bénéfice d'un agresseur. D'après les Mémoires de Byrnes, Staline remercia vivement Truman. En cas de polémique, les historiens soviétiques pourraient démontrer que l'Union soviétiques avait scrupuleusement respecté ses obligations internationales! Un plan d'attaque de la Mandchourie est élaboré.
La population de ce pays tolère mal la présence japonaise
ce qui, de ce fait, fragilise potentiellement l'armée japonaise
sur ses arrières. Mais le haut-commandement soviétique sait
que, malgré sa supériorité numérique, en hommes
comme en matériel, la conquête de la Mandchourie ne sera pas
une partie de plaisir. L'armée japonaise du Kouan-Tong (Mandchourie)
est composée de soldats jeunes et bien équipés.
Vassilievski décide que l'attaque aura lieu le 9 ou le 10 août. Le 6, une première bombe a rasé Hiroshima. Le matin du 9 août, à 0 h 10, le gouvernement soviétique déclare la guerre au Japon. Le 9 août, une deuxième bombe détruit Nagasaki. Le 10 août, sur le front de Transbaïkalie (Malinovski), la 6ème armée blindée de la Garde escalade les cols du Kinghan à la stupéfaction des Japonais; des combats isolés se déroulent, les 11 et 12 août, sur les sommets, après quoi les Soviétiques dévalent vers la plaine de Mandchourie, en contournant la ville fortifiée d'Hailar, où le général Loutchinski essuie un échec. La rapidité de l'avance russe déconcerte l'état-major japonais devenu incapable d'appliquer le plan de Tokyo qui visait à protéger la Corée et le territoire impérial en se retranchant dans les montagnes derrière la ligne Chen-Yang - Tchang-Tchouen; cette situation imprévue sème la zizanie dans le camp japonais. Le même jour, sur le 1er front d'Extrême-Orient (Meretskov), les choses se passent moins bien. L'attaque de nuit préparée ne peut avoir lieu à cause d'une pluie torrentielle qui ne permet pas l'usage des projecteurs. Meretskov décide de renoncer aux tirs d'artillerie et lance son infanterie sans appui-feu. Les troupes russes doivent s'emparer d'une série de fortifications bien défendues. Les deux premières lignes tombent mais les Japonais se défendent avec opiniâtreté; des kamikazes chargés d'explosifs se jettent sous les blindés pour les faire sauter. Des combats corps à corps sont livrés et des prisonniers sont capturés de part et d'autres; des soldats russes, affreusement torturés, sont retrouvés morts par leurs camarades auxquels ces traitements inhumains ne sont pas de nature à inspirer la miséricorde. On se bat avec férocité. Le 11 août, les Russes sont contraints de se regrouper devant la ville de Meou-Tan-Kiang et de lancer une offensive vers le sud-ouest. Cependant, le 12 au soir, Meou-Tan-Kiang tombe. Meretskov, avec de nouveaux renforts, sort de la zone fortifiée et progresse en direction de Kharbin et de Ki-Lin, vers Malinovski, pour couper la Mandchourie en deux. Au sud, le long de la côte, sur la route de Vladivostok, il progresse en direction de la Corée où débarquent des fusiliers marins de la flotte russe du Pacifique. Les 10 et 11 août, sur le 2ème
front d'Extrême-Orient (Pourkayev), deux offensives sont lancées,
depuis le fleuve Amour, entre Blagoveshchensk et Kabarovsk, en direction
de Tsitsihar, vers Malinovski, et en direction de Kharbin, vers Meretskov,
par des unités recrutées sur place, sans expérience,
commandées par des officiers supérieurs qui n'ont pas vu
le feu depuis 1939. L'avance et lente et prudente, mais les novices et
leurs officiers s'avèrent être de bons soldats. Aidés
par la flottille de l'Amour qui s'engage dans la Soungari, ils encerclent
les villes de la rive sud et progressent vers Kharbin.
Dans l'île de Sakhaline, une division soviétique envahit la partie méridionale. Tandis que des débarquements se préparent à Sovietskaia Gavan pour Sakhaline et au Kamtchatka pour l'île de Shum Shu, la plus au nord des Kouriles. Le 14 août, au matin, se tient une conférence impériale au cours de laquelle le mikado, comme il l'avait déjà fait cinq jours plus tôt, prend le parti de la paix. Le cabinet l'approuve. Un rescrit impérial en ce sens est rédigé. La Suisse et la Suède, pays neutres, sont immédiatement avisés. Dans la soirée, le mikado enregistre le rescrit de capitulation. L'armée de Kouan-Tong, cependant, est encore en mesure de tenir dans son réduit montagneux face à Meretskov et envisage même un moment de passer à l'offensive contre Malinovski sur la ligne Chen-Yang - Tchang-Tchouen. L'ordre de cesser le feu est transmis à l'armée du Kouan-Tong, mais son haut commandement l'annule. Le 15, le général Yamada, commandant en chef de cette armée, entend à la radio la proclamation de l'empereur diffusée en différé, mais refuse d'obtempérer tant qu'il n'aura pas un ordre écrit. Le même jour, après 35 ans d'occupation coloniale, la Corée échappe au joug japonais, moins d'une semaine après le début de l'offensive générale de l'Armée révolutionnaire populaire coréenne dirigée par Kim Il-sung (communiste). Le 16, l'état-major japonais local décide de poursuivre les hostilités. Le 17, un ordre écrit de procéder à des négociations avec le commandement russe lui étant parvenu, le général Yamada obéit. Pour accélérer la reddition, Vassilievski procède à des lâchers de parachutistes sur Kharbin, Ki-Lin, Chen-Yang, Tchang-Tchouen. Le 18 août, en divers lieux, quelques poignées de parachutistes russes se retrouvent au milieu de milliers de soldats et officiers nippons qui se rendent. Le même jour, après avoir franchi le désert de Gobi, le groupement mobile soviéto-mongole du général Pliev s'approche de Pékin et réalise sa jonction avec la 8ème armée populaire chinoise (communiste) à Kalgan et Tcheng-To. Des troupes d'infanterie de marine soviétiques, rattachées à la flotte du Pacifique, traversent le 18 août au petit matin le détroit séparant le Kamtchatka de l'île de Shum Shu sur des chalands LCI fournis par les Américains. Le haut-commandement japonais donne l'ordre aux garnisons de l'archipel des Kouriles de capituler, avec effet du lendemain. Les Soviétiques profitent du désordre qui règne au sein du commandement japonais pour conquérir le plus de territoire possible. Le 19 août, le front de Transbaïkalie (Malinovski) et le 2ème front d'Extrême-Orient (Pourkayev) se rejoignent à Tsitsihar. Le même jour, à Chen-Yang, les Soviétiques découvrent, dans un bâtiment de l'aéroport, l'empereur du Mandchoukouo, ex-empereur de Chine, Pou Yi, en pleurs, qui leur déclare :"Avec mon profond respect pour le généralissime de l'Union soviétique Staline, je lui exprime mes sentiments sincères de reconnaissance et souhaite à son Excellence une bonne santé." Le souverain, qui a abdiqué deux jours plus tôt, supplie les soldats russes de ne pas le livrer aux Japonais. Il demandera même l'asile en Union soviétique, mais, après avoir habilement témoigné au tribunal de Tokyo sur les crimes de guerre, il sera remis par Staline à Mao, jugé et condamné, puis gracié, après amende honorable, par le Grand Timonier lequel, après rééducation, en fera un honnête jardinier. On dit que Tchang Kaï Check l'aurait fait exécuter! Chou en Lai et Mao lui conseilleront d'écrire l'histoire de sa vie, qui deviendra un best-seller. Le 20 août, les blindés de Malinovski, ravitaillés en carburant par avions, atteignent Chen-Yang. Le 22 août, ils prennent Port-Arthur. Les troupes de Meretskov pénètrent en Corée jusqu'au 38ème parallèle où elles se joignent aux forces coréennes de Kim Il-sung. Le 23 août, la garnison de Shum Shu, qui avait d'abord refusé d'exécuter l'ordre de capitulation du haut-commandement, au nom du Bushido, se rend à son tour. Le 28 août, un autre débarquement a lieu dans la baie Hubetsu sur l'île Itouroup, la plus grande des Kouriles. Jusqu'au 1er septembre, les Soviétiques prennent le contrôle du reste des Kouriles sans combat. Les habitants seront ultérieurement déportés en Union soviétique où leurs descendants se trouvent toujours comme Coréens de Russie. Le 23 août, Staline publie un ordre du jour célébrant la victoire des forces soviétiques en Extrême-Orient. Cette date marque la fin de la campagne. L'affront subi par la Russie de Nicolas II en 1904 est lavé! L'entrée en guerre de l'Union soviétique contre le Japon et ses conséquences ont certainement contrarié Truman. Mais le président américain a accéléré la fin du conflit, en employant la bombe atomique, pour épargner du sang humain et aussi pour intimider un allié soviétique devenu trop encombrant, un message parfaitement entendu par les Soviétiques qui vont mettre les bouchées doubles pour combler leur handicap atomique. La capitulation officielle du Japon est signée le 2 septembre sur le Missouri. Le 24 octobre 1945, est créée l'Organisation des Nations Unies (ONU), qui remplace la Société des Nations, et dont la Charte est signée par les cinquante-et-un États fondateurs, dont l'URSS. La restauration à l'identique de Peterhof, détruit par les Allemands est commencée. La galerie Tretiakov est rouverte. Molotov paraît de plus en plus puissant. Staline, lui aurait même dit: "Je ne serai plus là bientôt. Heureusement, tu seras encore là pour continuer", ce qui en faisait, si l'anecdote est vraie, le véritable dauphin du maître du Kremlin. En attendant, Staline confie à Molotov de nombreuses et importantes missions diplomatiques auxquelles il ne peut pas participer lui-même. 1946: Staline châtie les populations qui se sont alliées aux envahisseurs allemands pendant la guerre (Tchétchènes et Tatars de Crimée) en les déportant en Sibérie et au Kazakhstan selon le principe de la responsabilité collective. Vlassov est pendu. De nombreux soldats russes, de retour de captivité, suspectés d'avoir pactisé avec l'ennemi (on a vu que ce n'était pas toujours faux, on parle même de plus d'un million de soviétiques ayant servi, de gré ou de force, d'auxiliaires de l'armée allemande), sont envoyés dans des camps de travail. Le délit de sabotage permet de condamner les opposants comme ennemis du peuple. La Crimée perd son statut d'autonomie et devient une région de la Russie. En fait, la déportation des Tatars de
Crimée s'étala de 1944 à 1947; les soldats tatars
combattants dans l'Armée rouge furent d'abord désarmés,
puis envoyés dans des camps, après que les chefs tatars aient
décidé de collaborer avec l'armée allemande (on parle
d'un renfort de 20 000 combattants ainsi apportés à
l'occupant nazi). Le principe de la punition collective fut appliqué
et les populations civiles ne furent pas épargnées. 238 500
Tatars auraient été déportés, en Ouzbékistan
et au Kazakhstan. Dans les conditions de l'époque et aussi en raison
de l'impréparation de cet important déplacement de population,
beaucoup moururent. Selon les États de l'ex-URSS qui qualifient
cette déportation de génocide (Ukraine et Lettonie, où
les collaborateurs avec les nazis furent nombreux), 128 544 rescapés
revinrent. Plusieurs personnes furent également fusillées.
Le prestige acquis par Leningrad, la ville martyre, qui a résisté pendant trois ans à l'encerclement nazi sans se rendre, porte ombrage à Moscou. Les autorités de la ville sont soupçonnées de complot. Elles sont arrêtés est subissent les foudres de la justice soviétique. Certaines personnalités sont fusillées et d'autres déportées. Le musée de la ville consacré à la Seconde Guerre mondiale est fermé. Le monastère de la Trinité-Saint-Serge, haut lieu de l'Église orthodoxe russe, est rouvert. Le musée Pouchkine, bombardé pendant la guerre, a été restauré et rouvre au public. En 1946, pour marquer la transition définitive de l'Armée rouge, d'une milice révolutionnaire en armée d'un État souverain, elle devient l'Armée soviétique. La révolution s'éloigne et son esprit s'affaiblit pour céder la place à des normes plus conventionnelles. L'internationalisme prolétarien s'estompe au profit du patriotisme soviétique qui va marquer l'avenir. Après la Seconde Guerre mondiale, L'Union soviétique, en favorisant l'accession au pouvoir des communistes dans les pays placés à Yalta dans sa zone d'influence, se dote d'un glacis protecteur à l'Ouest. Cette expansion ne doit pas être interprétée comme un retour vers la politique de propagation de la révolution mondiale; il s'agit plutôt de protéger la patrie du socialisme d'éventuelles tentatives d'invasion visant à renverser son régime. Elle récupère les Pays baltes et la Prusse orientale ainsi qu'une partie de la Pologne qui est déplacée en direction de l'Ouest. En procédant à cette rectification de territoire, l'Union soviétique ne fait que reprendre la politique tsariste de rassemblement de la terre russe contre les envahisseurs qui, à ses yeux, continuaient d'occuper injustement une partie de l'ancienne Rus' médiévale. Russes, Biélorusses et Ukrainiens sont considérés comme trois peuples frères héritiers, chacun au même titre, de la principauté de Kiev. La Finlande reste indépendante mais mènera une politique prudente de neutralité. Parallèlement, les États-Unis, devenus la puissance dominante de l'Occident, reprennent à leur compte la politique traditionnelle d'endiguement britannique de l'expansion russe. Les déplacements des frontières s'accompagnent de la volonté des alliés vainqueurs de la guerre de créer des entités ethniquement homogènes afin d'éviter le prétexte de futures guerres, comme ce fut le cas en 1938 (Sudètes) et 1939 (couloir de Dantzig). Cette volonté se traduit par le déplacement des populations allemandes, polonaises, ukrainiennes... chassées de leur lieu de naissance pour une nouvelle patrie où elles n'ont aucune attache. Un immense chassé-croisé lance sur les routes ces nouveaux exilés qui y rencontrent les prisonniers et déportés survivants qui rentrent chez eux. Les Juifs soulèvent un problème particulier parce qu'il n'existe pas encore d'État juif; on ne peut évidemment pas renvoyer les rescapés de l'Holocauste dans des pays antisémites, comme la Pologne, où certains certains d'entre eux résidaient avant guerre; il y a bien Israël, mais c'est une colonie anglaise, et Londres verrait d'un très mauvais oeil l'afflux de ces Juifs d'Europe centrale qui risquerait de déstabiliser un territoire sous leur contrôle et d'y développer un mouvement indépendantiste; de nouveaux camps vont être ouverts pour les accueillir provisoirement; ils parviendront clandestinement peu à peu en Terre Promise avec la bienveillance de quelques pays européens continentaux, dont la France, au détriment de l'allié anglais. Les monarchies continentales qui avaient tiré leur épingle du jeu en 1919 disparaissent à leur tour remplacées par des républiques, sauf en péninsule ibérique où les régimes autoritaires de Franco et Salazar sont laissés en place. La Grande Guerre Patriotique de 1941-1945 prolonge celle de 1812 : l'Union soviétique devient la seconde puissance du monde. Elle va rapidement se doter de l'arme nucléaire, ce qui rétablira l'équilibre militaire un instant rompu entre les deux premières puissances du globe. Staline décline l'offre de bénéficier du plan Marshall qui lui est proposée par les États-Unis. L'URSS, qui a énormément souffert de la guerre, connaît une nouvelle période de difficultés alimentaires. Mais, pour le maître du Kremlin, l'acceptation d'une aide américaine, maintenant que la guerre est gagnée, placerait l'URSS en état de dépendance et sonnerait le glas du communisme. La méfiance est d'ailleurs réciproque et la Guerre froide séparera bientôt les vainqueurs de la Seconde guerre mondiale en deux camps rivaux. Après une période aussi éprouvante, beaucoup de soviétiques espéraient sans doute une évolution du régime; ils seront déçus; à peu de chose près, il n'y aura pas de gros changements sociaux, politiques et économiques, par rapport à l'avant guerre, avec les destructions en plus. Derrière le glacis protecteur des pays d'Europe centrale placés sous influence soviétique, Staline, toujours aussi prudent, souhaite préserver la situation issue de la guerre. Il ne rêve nullement de conquêtes, comme on l'en a soupçonné. Il a conscience que la puissance militaire américaine est supérieure à celle de son pays et il lance le mouvement communiste international dans une intense propagande en faveur de la paix. A y regarder de près, les seuls grands vainqueurs de la guerre sont les États-Unis d'Amérique : leurs pertes en vies humaines ont été limitées (418 000 morts), leur pays est indemne, leur économie est plus forte qu'elle n'était avant la guerre. L'URSS est bien devenue la seconde puissance du monde, mais elle a essuyé de terribles pertes en vies humaines (22 à 25 millions de morts), le pays à l'Ouest est un champ de ruines, l'économie doit être reconstruite et reconvertie. Quant aux deux pays qui sont entrés les premiers dans la guerre, la France et l'Angleterre, ils en sont désormais réduits à jouer les seconds rôle, mais nul ne le sait encore! Ils vont perdre bientôt leur empire colonial et la livre anglaise va céder son statut de monnaie dominante au profit du dollar américain. La guerre qui vient de finir fut une guerre particulière par rapport aux conflits passés. Elle fut, pour une grande part, une guerre révolutionnaire entre les idéologies issues de l'époque des Lumières, au 18ème siècle, dont les deux branches, la branche libérale, représentée par les Occidentaux, la branche égalitaire, représentée par l'URSS, finirent par s'allier, pour anéantir des idéologies imprégnées du culte de la force, ultranationalistes et allant puiser leur pensée dans des mythes anciens ou des grandeurs passées. Les deux camps luttaient pour un ordre mondial nouveau diamétralement opposé. Comme le disait Roosevelt, beaucoup de gens pensaient alors que rien ne pourrait plus être comme avant. Le prestige dont jouit l'Union soviétique dans le monde favorise l'essor des partis communistes qui ont joué un rôle important dans la Résistance en Occident. En France, à son étiage le plus haut, le PCF atteint le quart des électeurs. Un important train de mesures sociales sont prises à la Libération. Le keynésianisme et le marxisme sont les idéologies dominantes dans plusieurs pays d'Europe. Dans les années 1950, on lit encore dans le journal français l'Aurore, une phrase comme celle-ci: "Un trou dans la caisse est préférable à une balle dans la nuque". L'existence de l'URSS, décriée par les uns mais louée par les autres, divise le monde en deux camps idéologiques à peu près équilibrés, et offre des perspectives aux défavorisés de l'Occident en faisant pression sur ses classes dirigeantes. Mais on est loin de l'hypothèse de Trotzki selon laquelle la guerre déboucherait sur une crise favorable à une révolution prolétarienne mondiale. Ce sont, au contraire, de nouvelles formules de front populaire qui voient le jour en associant les forces politiques nées des diverses résistances dans le but d'améliorer le sort des masses populaires mais aussi et surtout d'assurer la reconstruction. Cependant, à l'est de l'Europe, l'URSS
satellise les pays tombés sous son influence du fait des accords
de Téhéran et de Yalta. Et, le 5 mars 1946, devant un parterre
d'étudiants, à Fulton, dans le Missouri (USA), Churchill
prononce cette phrase qui restera célèbre: "De Stettin
sur la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un rideau de fer s'est
abattu à travers le continent." Il y dénonce la
coupure en deux de l'Europe, conséquence des partages qu'il a lui-même
proposés et signés, et qu'il met en oeuvre en Grèce
comme on le verra plus loin.
1946-1947: un nouveau projet de constitution est à l'étude. Il n'aboutira pas, Staline concentrant tous les pouvoirs. En octobre 1946, débute la guerre civile en Grèce. Ce pays a connu une fin de guerre mouvementée qui peut difficilement être qualifiée de libération. Dès 1943, les partisans grecs dominés par les communistes commencent à chasser l'envahisseur d'une partie importante du pays. Craignant la mainmise du PC sur la Grèce, la Grande-Bretagne y envoie une force militaire pour contenir la résistance. Sur place, elle s'appuie sur les politiciens d'antan et même les collaborateurs. Une manifestation est réprimée dans le sang; la répression s'abat sur le pays sous le prétexte de protéger la liberté. C'est dans ce contexte que les anciens partisans se rebellent. L'URSS se désintéresse de ce conflit; la Grèce ne fait pas partie de la zone d'influence soviétique fixée entre les alliés et Staline privilégie le respect de ces accords par rapport à l'expansion des régimes communistes. 1947: un programme architectural ambitieux est lancé à Moscou. Il s'agit de construire huit ensembles symbolisant les huit siècles d'existence de la capitale. Les bâtiments imposants qui en résulteront témoigneront de la puissance de l'URRS. Ils ne sont pas destinés à séduire, mais à en imposer. Ils restent les meilleurs représentants de l'architecture stalinienne (Université Lomonossov, Ministère des Affaires étrangères...) De la fin de la guerre à 1947, plusieurs articles sont publiés dans la presse soviétique sur les atrocités nazies à l'égard de la population juive, notamment par Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman, célèbres correspondants de guerre et écrivains. Mais à partir de 1947, ce sujet devient tabou. Staline interdit notamment la publication du Livre noir des crimes nazis, basé sur les témoignages rassemblés par Grossman et Ehrenbourg. La période de la guerre froide s'approche et les Juifs, dans ce nouveau contexte, sont suspectés, en raison de leur cosmopolitisme supposé, de manquer de ferveur patriotique soviétique Le 5 octobre est créé le Kominform qui remplace le Komintern dissoud pendant la guerre pour favoriser l'unité de la résistance dans les pays occupés. Le Kominform est considéré comme une réplique au plan Marshall. Lors de la première réunion, la participation du PC français au gouvernement y est vertement critiquée. Les gouvernements de type front populaire basés sur l'unité de la résistance vont se désagréger et les communistes vont passer dans l'opposition. 1947-1948: la disette qui sévit à
nouveau en URSS aurait tué près d'un million de personnes.
De nouvelles purges se profilent.
Polina, l'épouse juive de Molotov, est à nouveau accusée d'espionnage, cette fois pour le compte d'Israël. Elle est condamnée à cinq ans de relégation dans un monastère du Kazakhstan. Son mari doit approuver cette décision en tant que membre de l'équipe dirigeante. Il approuve officiellement, mais, le lendemain, il écrit à Staline pour lui dire exactement le contraire. Molotov est éloigné du pouvoir et, raffinement suprême, il n'en sera pas moins chargé de prononcer le discours d'ouverture du Congrès du Parti où il va devoir faire l'éloge de Staline. Le 28 juin, aucune délégation yougoslave n'assiste au congrès du Kominform qui exclut de ses rangs la Yougoslavie de Tito. On l'a vu, le torchon brûlait déjà en 1942 entre Staline et Tito. La Yougoslavie s'est pratiquement libérée toute seule du joug nazi sans grand secours de L'URSS. Certes, cette dernière a aidé la Yougoslavie à se reconstruire après la guerre. Mais Tito ne voit là aucune raison de se soumettre à Staline qui essaie de lui imposer son autorité. Dès le début de 1948, le ton monte entre Moscou et Belgrade. Les deux capitales ne sont d'accord ni sur la crise grecque, ni sur l'organisation interne des PC et Moscou s'oppose au projet titiste de fédération communiste des Balkans. La rupture est inévitable. Les titistes remplaceront désormais les trotzkistes lors des purges qui affecteront les PC du bloc soviétique. Mis hors du camp socialiste, Tito s'orientera vers le camp neutraliste. Le port de Sébastopol (Crimée) est détaché de l'Oblast (région) de Crimée pour être directement placé sous le contrôle de la République socialiste fédérative soviétique de Russie. L'Union soviétique isole Berlin-Ouest,
situé au sein de la zone d'occupation soviétique, du reste
de l'Allemagne. La ville est ravitaillée par un pont aérien
américain. La Guerre froide commence.
1949: le traité de l'Atlantique nord (OTAN) est perçu comme une menace par les Soviétiques. Ils répliquent en créant le Comecon, entre les pays socialistes, à l'exception de la Yougoslavie. Le 5 mai 1949, est créé le Conseil de l'Europe par le traité de Londres, signé dans la capitale britannique par les dix pays suivants : Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Suède et Royaume-Uni. Le 29 août, un premier essai nucléaire soviétique a lieu (bombe A). Les Américains estimaient que leur prédominance dans ce domaine durerait au moins 10 ans, c'est une grande déception dans leur camp. Les États-Unis se lancent alors dans la recherche et la production d'une bombe encore plus puissante, la bombe à hydrogène, ou bombe H, dont le premier essai aura lieu le 1er novembre 1952. La Guerre froide va devenir l'Équilibre de la terreur. Une première centrale nucléaire est construite en URSS. Staline a longtemps hésité entre Tchang Kaï Chek et Mao Tsé Toung, la révolution paysanne de ce dernier ne correspondant pas aux schémas marxistes; la création de la République populaire de Chine, qui consacre la victoire de Mao, change la donne et Staline, pragmatique, reconnaît le fait accompli; il incite les dirigeants de la République du Turkestan (Sinkiang) à se rapprocher de Pékin. Plusieurs responsables politiques sont condamnés à de lourdes peines de prison. Molotov est destitué de son poste de ministre des Affaires étrangères. En 1949, la guerre civile grecque prend fin par l'écrasement des anciens partisans. Le pouvoir mis en place par les Britanniques a été sauvé grâce à l'aide américaine et à la passivité soviétique. La Grande-Bretagne, orpheline de son empire, passe le relais aux États-Unis. 1950: le 18 mars, à l'instigation du Mouvement mondial des partisans de la paix (MMPP), une pétition demandant l'interdiction de l'arme nucléaire, connue sous le nom d'Appel de Stockholm, recueille des millions de signatures. Cette initiative est patronnée par le PC français et Joliot-Curie. Le mouvement communiste international prend vigoureusement la défense de la paix et le maintien du statu-quo en Europe. En URSS, la production industrielle a dépassé les objectifs du plan de 73%, mais la production agricole ne suit pas : on produit encore moins de blé qu'en 1940. Staline commence à se méfier de Béria qu'il souhaite remplacer par Viktor Abakoumov. Le remplacement n'aura pas lieu et Abakoumov deviendra à son tour suspect. 1950-1953: l'URSS apporte son soutien matériel à la Corée du Nord en lutte contre les forces de l'ONU après une tentative de conquête du Sud. Mais Staline s'est montré réticent lorsque cette aventure lui a été proposée par Kim il Sung, le dirigeant communiste nord-coréen, et il a prévenu son interlocuteur qu'il ne le suivrait pas au cas où cette affaire déraperait vers une guerre nucléaire. On notera que l'URSS apportera aussi son soutien matériel et diplomatique aux peuples luttant contre le colonialisme (notamment en Indochine), mais sans envoyer de troupes. 1950-1954: sous l'influence du sénateur McCarthy, une vague de répression anticommuniste s'abat sur les États-Unis. Elle n'épargnera aucun milieu et frappera de nombreux Américains. Elle témoigne de la peur qui règne outre-atlantique depuis que l'URSS s'est dotée de l'arme nucléaire et aussi de la suspicion partagée par une fraction importante de la population américaine qui pense que les Soviétiques n'auraient pas pu se procurer cette arme sans l'aide de communistes qui ont trahi leur pays. A vrai dire, la chasse aux présumés auteurs d'activités anti américaines, était ouverte depuis 1938 aux États-Unis, mais elle atteint son apogée, et son orientation anticommuniste, pendant cette période, avec l'exécution sur la chaise électrique des époux Rosenberg, condamnés pour espionnage au profit de l'URSS, exécution qui, habilement exploitée par la propagande soviétique, soulève une grande émotion à travers le monde. L'URSS aurait-elle été capable de fabriquer des bombres atomiques sans l'aide de l'espionnage? Raisonnablement, on peut penser que la réponse est positive, même si les données recueillies par espionnage ont pu accélérer le procesus. Comme on l'a vu, les Soviétiques ont commencé à travailler sur le nucléaire dès les années 1930 et ont relancé leurs recherches en 1942-1943. Ils disposaient déjà à l'époque de savants réputés. En outre, leurs bombes possèdent des caractéristiques particulières et ne sont pas de simples reproductions des bombes américaines. Pendant cette même période, le Goulag connaît de nombreux troubles. Ceux-ci sont dus à un gonflement des effectifs, qui dépassent 2 millions de personnes, et par l'hétérogénéité des détenus (droits communs, politiques, anciens prisonniers de guerre suspects...), lesquels se divisent en fractions qui se livrent entre elles à une guerre intestine meurtrière mal contrôlée par un appareil répressif débordé. Le système concentrationnaire traverse une crise grave et sa gestion n'est pas à la hauteur des objectifs attendus dans un pays laissé exsangue par la guerre, comme le prouve une étude réalisée sur le site de Norilsk (Nicolas Werth : L'ensemble concentrationnaire de Norilsk en 1951 - Persée - Voir ici). 1950-1960: la crise du logement ayant été aggravée par la guerre, l'accent est mis sur la reconstruction. De nombreux logements sont édifiés, mais ils sont de piètre qualité et n'offrent à leurs bénéficiaires qu'une superficie réduite d'une seule pièce par famille. 1951: plusieurs personnes (Cheinine, Raikhman, Schwarzmann) sont arrêtées sur la base d'un complot nationaliste juif. Une autre personne, Charia, est également arrêtée pour participation à un complot nationaliste visant à rattacher la Mingrélie à la Turquie; la Mingrélie est une région de Géorgie dont Charia et Béria sont originaires; c'est évidemment le second qui est visé et Staline, qui n'ose pas l'attaquer de front, monte une machination pour s'en débarrasser. La Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) est créée par le traité de Paris (1951). Elle entrera en vigueur le 23 juillet 1952 pour une durée de 50 ans. C'est un premier pas vers l'Union européenne qui s'inspire de l'Entente Internationale de l'acier de 1926 et s'inscrit dans le cadre de la Guerre froide. 1951-1955: cinquième plan quinquennal : ses objectifs visent à dépasser les pays capitalistes au plan économique; trop ambitieux, ils ne seront pas atteints. 1952: à la fin de l'année, on
commence à évoquer l'existence d'un complot de médecins
juifs.
Les partis communistes occidentaux saluent
unanimement la mémoire du dictateur défunt. Même nombre
de ses opposants lui reconnaissent des mérites. En France, la publication
dans les lettres Française d'un dessin de Picasso soulève
une polémique au sein du PCF.
Les problèmes posés par le stalinisme ne sauraient se résumer à une seule personne. Certes, le caractère de Staline a joué un rôle. Mais son personnage ne constitue pas une exception dans l'histoire russe. Il s'intègre au contraire parfaitement dans la tradition autoritaire du pouvoir en Russie et on peut facilement lui trouver des précurseurs chez des tsars non moins retors et brutaux que lui. Il faut aussi tenir compte des circonstances particulières dans lesquelles il arrive au pouvoir, après une révolution sanglante prolongée par une guerre civile accompagnée d'une intervention étrangère. Le parallèle avec la Révolution française est frappant et on peut légitimement se demander si les révolutions ne sont pas fatalement destinées à dévorer leurs propres enfants. Enfin, le parti bolchevik, habitué à la lutte clandestine, dans les conditions très difficiles de l'autocratie tsariste, était certainement peu propre à établir en Russie la démocratie sans une profonde transformation de son mode de fonctionnement. Staline, qui n'avait jamais voyagé à l'étranger et qui, par conséquent, n'avait aucune expérience démocratique, mais qui restait, au contraire, marqué par sa déportation en Sibérie, n'était certainement pas le plus qualifié pour mener à bien une telle transformation. Une autre question vient également à l'esprit : la Russie était-elle mûre pour supporter les changements que la révolution allait lui imposer? Marx, dont se réclamaient pourtant Lénine et Staline, pensait que la réponse était négative et que rien de bon ne sortirait de ce pays en proie au despotisme et où la révolution industrielle venait à peine de commencer. Staline, auréolé de sa victoire
sur Hitler, laissa l'Union soviétique plus puissante que la Russie
tsariste ne l'avait jamais été. Certes, l'industrialisation
de cette dernière avait déjà commencé sous
Alexandre III et Nicolas II. Mais Staline, avec les plans quinquennaux,
accéléra le mouvement. L'oeuvre accomplie était impressionnante,
même si les buts poursuivis relevaient parfois plus de la propagande
que d'une véritable efficacité économique (barrages,
canaux, métro de Moscou, gratte-ciels...) Ce gigantesque effort
de constitution d'un capital productif fit entrer un pays, peu de temps
avant encore très en retard, dans l'ère atomique. Bien sûr,
le coût social et humain d'un tel bouleversement fut élevé.
Mais il serait exagéré d'affirmer qu'il fut nul dans les
pays Occidentaux, qui l'accomplirent plus tôt et à un rythme
moins soutenu. Cependant, en URSS, les progrès politiques ne suivirent
pas les progrès économiques et, même si peu de gens
en eurent conscience, l'héritage que Staline transmettait à
ses successeurs était loin d'être aussi solide qu'il y paraissait.
Compte tenu des purges sanglantes qui jalonnèrent son passage au pouvoir, on est en droit de penser que l'atmosphère qui régnait au Kremlin autour du maître des lieux devait être plus que lourde. Pourtant, tel n'est pas l'avis exprimé par la femme de chambre du dictateur qui, après la chute de l'Union soviétique, affirma à un journaliste que Staline ne l'avait jamais intimidée. C'était, d'après elle, un homme plutôt petit, porté à pleurer facilement, et qui s'intéressait beaucoup au sort des petites gens comme elle. Elle ne comprenait pas qu'il ait pu être craint par qui que ce soit! Molotov rapporte la manière dont se comportaient les invités dans les datchas de Staline; tout le monde connaissait les manies du maître et s'efforçait de lui faire plaisir en se livrant à des espiègleries comme de trop poivrer les plats de certains convives ou de remplacer leur eau minérale par de la vodka; ces enfantillages amusait beaucoup Staline et souvent la soirée s'achevait par l'interprétation de son chant géorgien préféré, une bluette sentimentale. A contrario, ou plutôt de manière complémentaire, Krouchtchev, qui décrit l'atmosphère des repas pris en compagnie de Staline, affirme qu'il se méfiait de tout le monde et qu'il prenait plaisir à humilier ses invités en les enivrant. Dans un film documentaire occidental sur Pasternak et le docteur Jivago, visionné en 2018, il est rapporté que Staline protégeait le poète et qu'il aurait ordonné de le laisser tranquille à des agents du KGB sur le point de l'arrêter. Staline s'est montré brutal avec ses adversaires, mais il faut reconnaître qu'il aurait très certainement été exécuté si ceux-ci avaient triomphé à sa place! L'image d'un Staline pleurant, alors qu'il a laissé périr son propre fils en captivité sous les balles allemandes, est quelque peu brouillée. Mais cela ne doit pas étonner : la Révolution française a déjà montré que ceux qui versaient des torrents de larmes n'hésitaient pas à verser aussi des flots de sang. Pour quelques spécialistes de la psychanalyse, le petit père des peuples était un pervers qui, selon un schéma érotico-sanguinaire, aimait séduire et atteignait ensuite le sommet du plaisir en immolant ses proies; rationnel et pragmatique, il ne se laissait pas leurrer par son propre discours; fourbe pour arriver à ses fins, il savait parfaitement qu'il mentait; cependant, vers la fin de sa vie, à la suite des nombreuses congestions cérébrales légères qui l'avaient affecté, il était très probablement sur le chemin de la démence. Ces analyses ne doivent pourtant pas occulter un point qui me paraît essentiel. Contrairement à ce que beaucoup pensent, Staline n'était certainement pas uniquement obsédé par la passion du pouvoir; il était également le serviteur d'une idéologie qu'il pensait favorable à l'émancipation du prolétariat; on ne peut pas le comprendre complètement en ignorant l'aspect messianique, quasi religieux, de la mission dont il se croyait probablement investi; ancien séminariste, il avait choisi comme nom de révolutionnaire clandestin, Koba, celui d'un Robin des bois géorgien : ce symbole romantique est significatif. Quoi qu'il en soit, Staline fut sans doute le chef d'État le plus encensé de son vivant et le plus vilipendé après sa mort, parfois par ceux mêmes qui l'avaient le plus adulé. .
En avril 1953, Vassili Djougachvili, fils de Staline, est condamné à huit ans de prison pour propos calomnieux à l'adresse des dirigeants du parti, haute trahison, détournement de fonds publics, abus de pouvoir... au cours d'un procès qui se déroule en secret. Le 12 août 1953, l'URSS procède à l'essai d'une bombe nucléaire qui est considérée comme sa première bombe H, compte tenu de sa puissance, bien qu'il s'agisse seulement, à proprement parler, d'une bombe nucléaire A dopée, moins d'un an après l'explosion de la première bombe H américaine! Dans la course à la puissance nucléaire, l'URSS est en train de rattapper les USA. 1953-1958: l'intermède Malenkov-Boulganine (la lutte pour le pouvoir au sein du Bureau politique) La mort de Staline propulse Malenkov à la tête de l'appareil soviétique. Il est brièvement secrétaire général du Parti à la mort de Staline, Krouchtchev le remplace 9 jours plus tard, ce qui confère à ce dernier de grands pouvoirs. Mais c'est Béria qui prononce l'éloge funèbre de Staline sur la Place rouge; il pense être l'héritier naturel du tsar rouge défunt. Paradoxalement, ce chef de la police politique affecte des allures de libéral (il est vrai que Staline le soupçonnait déjà de n'être plus communiste); il souhaite un rapprochement avec l'Occident et se dit favorable à la réunification de l'Allemagne. Béria fait relâcher les accusés du complot des blouses blanches et déclare que leurs aveux ont été obtenus par la torture; c'est la première fois qu'un dirigeant de l'URSS reconnaît l'usage de la violence au cours des interrogatoires. Polina, l'épouse de Molotov, revient de relégation et son mari retrouve sa fonction de ministre des Affaires étrangères. Malenkov et Krouchtchev s'associent pour rejeter les projets de réformes de Béria. Les membres du Bureau politique pensent que celui-ci feint le libéralisme pour asseoir son pouvoir personnel et dénigre Staline afin de s'exonérer de ses propres responsabilités; ils le soupçonnent de préparer un coup d'État contre eux. En juin, un soulèvement populaire en Allemagne de l'Est est réprimé par l'Armée rouge. Cet événement finit de discréditer Béria, qui sera ultérieurement accusé de tous les crimes, ou presque, commis sous Staline. Au cours d'une réunion du Bureau politique, il est arrêté et immédiatement exécuté d'une balle dans la tête (Krouchtchev prétendra l'avoir étranglé!). Plusieurs de ses collaborateurs subissent le même sort. Malenkov, que la mort de Béria paraît avoir consolidé, est bientôt l'objet de critiques pour son amateurisme. Il cherche à renforcer le pouvoir du gouvernement face au parti et s'efforce de gagner en popularité en baissant le prix des produits de première nécessité. Il s'oppose au programme de développement d'armes atomiques car il considère qu'un conflit nucléaire conduirait à un désastre universel. Krouchtchev, à la tête du parti, marque de son côté des points auprès de la population de Moscou en ouvrant le Kremlin au public. Il constitue un dossier compromettant sur Malenkov, tiré des papiers de Béria, et place ses hommes au sein du NKVD. Les deux hommes sont partisans d'une réforme de l'agriculture, mais Krouchtchev envisage en outre le défrichage des terres vierges de Sibérie occidentale et du Kazakhstan. Après la mort de Béria, le KGB est créé; il assurera les fonctions de sécurité intérieure et extérieure. Le 27 juillet, un armistice met fin à la guerre de Corée, à l'endroit où elle a commencé, après l'entrée en scène des troupes communistes chinoises. Quelques aviateurs soviétiques y auraient aussi participé; cette guerre aurait ainsi servi de banc d'essai en grandeur nature pour tester les capacités des nouveaux avions à réaction russes et, du même coup, elle aurait amené à un début d'affrontement direct entre militaires américains et soviétiques. Cette guerre aurait pu déboucher sur un conflit nucléaire si les troupes chinoises ne s'étaient pas arrêtées avant de chasser les troupes de l'ONU (principalement des Américains) de la péninsule; Truman, le président des USA, hésita avant d'utiliser à nouveau l'arme atomique et y renonça finalement. L'URSS servit de médiatrice entre les belligérants qui comptaient : Chinois et Américains! 1954: le 1er janvier, le KGB remplace le NKVD. Le 19 février, lors de la commémoration du tricentenaire de l'unification de l'Ukraine annexée par la Russie, qui scellait l'union indéfectible entre les deux peuples, Nikita Khrouchtchev rattache la Crimée à l'Ukraine, dans le cadre de l'URSS, avec l'objectif de renforcer les liens entre les deux nations et peut-être aussi de repeupler la péninsule avec des paysans ukrainiens. A cette époque, les partisans du nationaliste Bandera continuent leur lutte pour l'indépendance de l'Ukraine, dans le prolongement de leur alliance avec les occupants allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Le 19 décembre, Viktor Abakoumov que Staline envisageait de nommer à la tête du NKVD à la place de Béria est exécuté. Le Congrès des écrivains assouplit la notion de réalisme socialiste. L'écrivain Ilya Ehrenbourg publie Le Dégel, un titre qui donnera son nom à la période qui va suivre. 1955: Malenkov est contraint de démissionner de son poste de Président du Conseil des ministre. Boulganine le remplace. Le 14 mai, une alliance militaire, le Pacte de Varsovie, est signée entre les pays européens du bloc socialiste (sauf la RDA, qui rejoindra un an plus tard, et la Yougoslavie neutraliste), en réaction à la remilitarisation de l'Allemagne de l'Ouest. 1956: en février, au cours d'une session secrète du 20ème congrès du PC, Nikita Krouchtchev dénonce le culte de la personnalité de Staline et rend ce dernier responsable des purges et de la Grande Terreur. Cette dénonciation est destinée à évincer du pouvoir ses adversaires qui furent mêlés à ces tristes affaires et aussi à satisfaire ce que l'on appellera plus tard la Nomenklatura, c'est-à-dire la classe dirigeante, qui ne supporte plus la terreur mais souhaite le maintien du régime d'où ses privilèges procèdent. En dissociant le régime soviétique d'un Staline dénoncé comme le seul responsable des excès, ce qui est historiquement contestable, le nouveau maître du Kremlin pense pouvoir réhabiliter le pouvoir en place. Cependant, parmi les questions écrites qui lui furent transmises à l'occasion de cette mémorable session secrète, l'une d'elle lui demandait tout simplement: "Que faisiez-vous pendant ce temps-là?" Krouchtchev invita son auteur à s'identifier. Aucune main ne se leva. Alors, l'habile secrétaire général du Parti répondit : "Je faisais ce que vous faites maintenant!" La dénonciation du culte de la personnalité suscite un énorme espoir en Russie où des victimes de la répression sont réhabilitées; c'est le dégel qui voit revenir de déportation les anciens prisonniers de guerre et les minorités déplacées. Mais elle est contestée au sein du Parti, notamment par Kaganovitch, et par Molotov, qui assumera toujours sa part de responsabilité dans les purges qu'il estimait justifiées. Les 9 et 10 mars 1956, des Géorgiens se soulèvent à Tbilissi pour protester contre la déstalinisation qui met à mal le souvenir d'un enfant du pays. Le 17 avril, le Kominform est dissoud. Il était en sommeil depuis la mort de Staline. Ce n'est pas encore la fin de la guerre froide, mais on entre dans l'ère de la coexistence pacifique. La dénonciation de Staline entraîne une série de mouvements dans les pays européens satellites. A Poznan, en Pologne, des émeutes sont réprimées par l'armée et la police. Les événements les plus dramatiques ont lieu en Hongrie où une révolte populaire armée renverse le régime. Le Kremlin semble, dans un premier temps, accepter l'arrivée au pouvoir d'un dirigeant communiste populaire, Imre Nagy, qui a pris ses distances avec l'URSS. Mais un lynchage de militants, de militaires et de policiers communistes par des émeutiers lui fournit un prétexte pour intervenir. Les chars soviétiques restaurent un pouvoir communiste soumis à Moscou, dans le contexte international tendu d'une intervention militaire en Égypte d'Israël, de la Grande Bretagne et de la France, malgré l'opposition des États-Unis, pour renverser Nasser, coupable aux yeux de l'Occident d'avoir nationalisé le canal de Suez. Cette nationalisation a été motivée par le refus américain de financer la construction d'un barrage à Assouan. Sous la pression d'une Amérique en période électorale présidentielle, qui menace de priver la Grande-Bretagne de pétrole, l'équipée franco-anglo-israélienne vire au fiasco. Nasser est consolidé au lieu d'être éliminé. Adenauer profite de la situation pour suggérer à ses partenaires européens la création d'une Union européenne susceptible de les affranchir de la tutelle américaine, ce qui devrait tirer l'Allemagne du néant politique où l'a plongée la défaite du Troisième Reich. Krouchtchev va mettre la main à la poche pour fournir les fonds nécessaire à la construction du barrage égyptien ce qui dotera l'URSS d'un allié de poids dans un Moyen Orient stratégiquement important qui hésite encore entre les deux camps. En Union soviétique, de nombreux mouvements sociaux et religieux éclatent également. Ils culminent à Novotcherkassk où les ouvriers de l'usine de locomotives se mettent en grève et manifestent avec des drapeaux rouges et le portrait de Lénine, comme on le verra plus loin. Vladimir Doudintsev publie L'Homme ne
vit pas seulement de pain, un titre emblématique de la déstalinisation.
On assiste à un renouveau des arts et de la littérature soviétiques
avec les revues Novy Mir (Nouveau monde) de Tvardovsky et Iounost
(Jeunesse) de Kataïev, deux revues qui existaient avant la Seconde
guerre mondiale . Le poète Evgueni Evtouchenko (1932-2017) en est
la figure dominante. Il est accompagné par d'autres écrivains
soviétiques; citons, entre autres, Andreï Voznessenski et Bella
Akhmadoulina. Le poète tatar Moussa Djalil, considéré
comme traître en 1945, est réhabilité.
1956-1960: sixième plan quinquennal: il s'inscrit dans le prolongement du précédent. 1957: fondation d'Akademgorod à 30 km de Novossibirsk. Des intrigues menées par Boulganine, Molotov et Kaganovitch pour éliminer Krouchtchev, qui est soutenu par Joukov, entraînent l'exclusion de Malenkov du PC et son exil comme directeur d'une centrale hydro-électrique du Kazakhstan. Molotov, exclu du Bureau politique du PC, et est nommé ambassadeur en Mongolie. Méfiant à son tour, à l'encontre de Joukov, Khrouchtchev le fait démettre de toutes ses fonctions et le met définitivement à la retraite. Le premier spoutnik (satellite artificiel soviétique) est lancé. Il est suivi peu après par le premier vol habité (la chienne Laïka). 1958: Boulganine, accusé d'activité anti-parti, est évincé de son poste par Krouchtchev. Il devient président de la banque d'État puis du Conseil économique national de Stravopol avant d'être mis à la retraite en 1960. 1958-1964: l'ère Krouchtchev
Krouchtchev, déjà à la tête du Parti, devient également Premier ministre. Il est originaire d'Ukraine. L'Union soviétique, composée de la Russie et de ses colonies, montre sa différence avec les autres pays coloniaux en plaçant à la tête de l'État des dirigeants qui ne sont pas issus de la puissance dominante : Staline était Géorgien, Krouchtchev est Ukrainien. Imaginerait-on, à la même époque, un président de la République française algérien ou sénégalais? Le nouveau maître de la Russie reprend, en les édulcorant, certaines idées de Béria. Il poursuit la politique de déstalinisation en réhabilitant les victimes de la dictature. Il donne un peu d'air à la culture. Il privilégie la production de biens de consommation et met en oeuvre une politique d'exploitation intensive des terres vierges pour accroître la production agricole. Il se fait l'apôtre de la coexistence pacifique et voyage beaucoup à l'étranger. En octobre 1958, il propose à l'ONU un projet d'accord pour la cessation immédiate des essais nucléaires. Le général de Gaulle l'invite en France; c'est la première fois, depuis Nicolas II, qu'un chef d'État russe viendra dans notre pays. Des expositions parallèles ont lieu, une russe aux USA, l'autre américaine à Moscou; l'atmosphère se réchauffe mais la lutte idéologique reste présente comme quelques incidents sans gravité, discrètement étouffés, en témoignent. A l'issue de l'exposition américaine de Moscou, Krouchtchev est invité à visiter les États-Unis, où Kerenski travaille dans l'industrie automobile; il s'y rend. Il lance victorieusement l'Union soviétique dans la conquête spatiale. Il affirme que son pays rattrapera bientôt les pays occidentaux et les dépassera ce qui démontrera la supériorité du communisme sur le capitalisme. Sous sa direction, les personnes écartées du pouvoir cessent d'être exécutées; on se contente de les éloigner en les plaçant à la tête d'organismes subalternes. Mais ses réformes entraînent une scission dans le mouvement communiste international. Avant la mort de Staline, ce dernier était le chef quasi incontesté de ce mouvement. Mais depuis sa disparition, Mao Tsé Toung se pose lui aussi en héritier légitime. Le leader chinois ne croît pas en la coexistence pacifique; il pense, au contraire, qu'un conflit avec le monde capitaliste est inévitable; il est d'ailleurs conforté dans cette opinion par l'ostracisme dont est victime son pays, lequel est tenu à l'écart de l'ONU par les puissances occidentales. D'autre part, il considère que les projets de Krouchtchev constituent des concessions au capitalisme et il qualifie son programme de révisionnisme de droite. Le ton monte entre les deux pays; l'URSS interrompt brutalement son aide à la Chine et accentue ainsi les difficultés rencontrées au cours du grand bond en avant; elle va même jusqu'à fournir une aide limitée aux rebelles tibétains; des incidents frontaliers ont lieu et les pays communistes se divisent; la plupart restent fidèles à l'URSS, mais quelques-uns rejoignent le camp chinois (Albanie, Cambodge des Khmers rouges...) alors que d'autres prennent leurs distances avec les deux (Roumanie de Ceaucescu). 1958: Boris Pasternak, auteur du Docteur Jivago, lauréat du prix Nobel de littérature, n'est pas autorisé à aller recevoir ce prix en Suède. 1959-1965: septième plan quinquennal: il favorise les régions de l'est et met l'accent sur le développement de l'industrie chimique, de l'énergie, de la production agricole et des biens de consommation ainsi que sur l'électrification des moyens de transport. Il y aura encore cinq plans quinquennaux jusqu'à la disparition de l'URSS. 1959: en janvier, Fidel Castro, un révolutionnaire cubain, chasse du pouvoir le dictateur Batista, qui a perdu le soutien des États-Unis. Fidel Castro, avocat issu d'une famille aisée, n'est pas communiste. Dans son proche entourage, son frère Raul éprouve de la sympathie pour le communisme, mais n'est pas membre du parti cubain; Ernesto Che Guerava est certainement marxiste, mais il professe une idéologie internationaliste et romantique plus proche du trotskisme que du stalinisme; quant à Camillo Cienfuegos, fils d'émigrés espagnols anarchistes, on connaît mal son idéologie véritable. Bref, il n'est pas vraisemblable que l'Union soviétique ait été derrière cette révolution. Cependant, les réformes que Fidel Castro réalise, dressent contre lui les États-Unis qui en pâtissent, et, pour se défendre, le dirigeant cubain n'a bientôt plus d'autre choix que de rejoindre le camp socialiste. La sonde soviétique Luna 1 effectue le premier survol de la lune. Luna 2 s'écrase quelques mois plus tard sur la surface lunaire. Puis Luna 3 envoie à la terre des images de la face cachée de la lune. La course à l'espace est lancée. Elle sera l'un des principaux affrontements de la Guerre froide. Les Soviétiques sont en tête mais les Américains vont réagir. S'il faut en croire des Américains bien placés à cette époque (un des patron de la CIA, entre autres), cette course à l'espace, que les opinions publiques leurrées voyaient d'un bon oeil, masquait en fait les premiers pas de la guerre des étoiles qui viserait à dominer militairement l'espace. Du côté américain, rien ne fut omis pour satisfaire l'imagination des foules et leur goût du dépassement; Hollywood fut même sollicité avec le succès que l'on sait (L'Odyssée de l'Espace - 1968). 1960: Nikita Krouchtchev, invité par le général de Gaulle, visite la France. L'avion de l'espion américain Francis Gary Powers est abattu dans les environs de Sverdlovsk (Ekaterinbourg); les Américains, qui pensent que leur espion est mort, nient d'abord effrontément, puis devant les preuves apportées par les Soviétiques, ils sont contraints de reconnaître les faits dont ces derniers les accusent. La tension remonte entre les USA et l'URSS. Molotov est nommé délégué permanent auprès de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à Vienne jusqu'en 1961; à la suite de la défaite du Japon, Staline l'avait chargé de la création de la bombe atomique soviétique, après lui avoir confié la production de chars à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Krouchtchev, jovial, mais hâbleur et fantasque, se livre parfois à des extravagances. C'est ainsi que, lors d'une réunion de l'Assemblée générale de l'ONU, il manifeste sa désapprobation en frappant son pupitre avec l'une de ses chaussures. 1961: construction d'un Palais
des Congrès dans l'enceinte du Kremlin.
Le 12 avril, Youri Gagarine accomplit le premier vol humain dans l'espace. Le 17 avril 1961, une tentative d'invasion, préparée avant l'élection de Kennedy et qu'il se sent obligée d'exécuter, lance sur Cuba une armée d'émigrés cubains anticastristes, lourdement armés par les États-Unis et bénéficiant de leur appui aérien. Ils prennent pied dans la baie des Cochons et tentent de réaliser leur jonction avec des guérilleros qui les attendent dans la sierra voisine. Mais l'armée rebelle de Fidel Castro, relativement bien armée par les Soviétiques, est sur ses gardes et l'invasion est repoussée en laissant derrière elle de nombreux morts, blessés et prisonniers. Quant aux guérilleros, ils sont impitoyablement réduits, sans que l'on connaisse réellement leurs pertes. La République sibérienne de Touva devient autonome. Le 30 octobre 1961, explose pour la première fois la Tsar bomb soviétique (H) d'une puissance encore jamais atteinte (57 mégatonnes), et encore était-elle bridée! Libéré de prison en 1960, Vassili Djougachvili, fils de Staline, meurt officiellement d'alcoolisme un an plus tard, mais dans des circonstances suspectes. A-t-on cherché à le faire taire définitivement? 1962: en juin, à l'usine de locomotives de Novotcherkassk (Ukraine), les ouvriers se mettent en grève et défilent dans les rues, drapeaux rouges et portrait de Lénine en tête Ils ne contestent pas le régime mais dénoncent au contraire les libertés prises avec l'orthodoxie de la doctrine communiste par leurs dirigeants en leur témoignant leur mécontentement, un peu comme le firent en 1905 leurs parents face à Nicolas II. Un baisse des salaires, alors que le coût de la vie augmente, sert de détonateur. La manifestation est violemment réprimée. Vingt trois personnes sont tuées et 87 sont blessées sur les lieux. Trois autres personnes mourront plus tard de leurs blessures. Cette démonstration de force du pouvoir n'empêche pas une seconde manifestation, le lendemain de la journée sanglante. Cent dix sept personnes sont arrêtées. Quatorze, condamnées à mort, sont exécutées. D'autres sont condamnées à des peines de prison ou à un exil en Sibérie. Ces événements seront tenus secrets jusqu'aux années 1990. En octobre 1962, la crise des missiles éclate à Cuba. L'URSS, pour protéger l'île contre une nouvelle tentative d'invasion américaine, la première ayant lamentablement échouée à la baie des Cochons, commence, au cours de l'été à installer dans l'île des fusées qui pourraient frapper le territoire des États-Unis. Les Américains, qui possèdent pourtant des batteries tout autour de l'URSS, n'acceptent pas cette menace et semblent disposés à l'éliminer par tous les moyens. Ils sont d'autant plus enclins à la fermeté qu'un colonel du renseignement soviétique, qui espionne son pays à leur profit, Oleg Penkovsky, les tient informés des faiblesses du parc de fusées stratégiques nucléaires de l'URSS, selon lui peu nombreuses et manquant de fiabilité. Le père de Penkovsky est mort en combattant dans les rangs contre-révolutionnaires, pendant la guere civile, un détail que le colonel a omis de déclarer lors de son incorporation dans les services de renseignement; seulement, ce détail a été découvert par ses supérieurs; il sait qu'il n'a désormais plus d'avenir en URSS et joue son va-tout en espérant ainsi gagner le droit d'être accueilli aux USA. Washington impose un blocus naval à Cuba. Malgré la politique de coexistence pacifique, le monde se trouve au bord d'une troisième guerre mondiale. Les militaires américains, le général Curtis Lemay en tête, poussent le président Kennedy à envahir l'île rebelle dont les dirigeants et la population sont décidés à lutter jusqu'au bout; les militaires sovétiques sur place partagent leur détermination. Cependant Kennedy n'a qu'une confiance limitée en ses militaires, d'autant qu'ils reconnaissent qu'ils ne sont pas capables de garantir qu'aucune fusée nucléaire russe ne parviendra jusqu'au territoire américain si les forces américaines bombardent les sites de lancement cubains. Le président américain, qui mesure l'ampleur de la catastrophe humaine qui s'annonce, s'il commet un faux pas, garde son sang froid et tergiverse avec ses militaires. De son côté, Krouchtchev, qui a vécu la Seconde guerre mondiale et qui est profondémment pacifiste, accepte, dans un premier message, de retirer les fusées soviétiques en échange d'un engagement américain de ne pas envahir Cuba. Il permet ainsi à Kennedy de convaincre les partisans d'une intervention armée que celle-ci n'est désormais plus nécessaire. Le 22 octobre, Penkovsky, déjà sous surveillance, est arrêté et emprisonné par le KGB. Mais la tension remonte le 27 octobre, des signes montrent que les deux dirigeants poltitiques ne maîtrisent pas complètement leurs militaires sur le terain: un avion américain U2 est abattu au-dessus de Cuba par un missile soviétique sans l'ordre de Moscou et un sous-marin soviétique est grenadé dans les eaux internationales par la fotte américaine qui bloque Cuba; le sous-marin s'apprête à riposter mais il tente, avant l'irréparable, d'entrer en contact avec la flotte américaine, et y parvient in extremis. Alors, Krouchtchev, dans un second message, demande aussi le retrait des missiles américains installés en Turquie, probablement sous l'insistance du politburo. C'est une exigence que les faucons américains n'accepterons pas. Kennedy le sait, alors il monte un stratagème qui va lui permettre tout de même de parvenir à un compromis avec l'URSS. Officiellement, il répond favorablement au premier message du dirigeant soviétique et feint d'ignorer le second message. En même temps, il fait savoir, par le truchement de son frère Robert Kennedy, à l'ambassadeur soviétique à Washington qu'il est également d'accord pour ce qui concerne le second message mais que la discrétion est préférable pour le moment. La face est ainsi sauvée et une guerre nucléaire évitée. Mais le retrait des fusées russes de Cuba, interprété comme une reculade du chef de l'Union soviétique, est ressenti dans le monde communiste comme un aveu de faiblesse qui fragilise sa position. Le leader cubain, Fidel Castro, laissé en dehors des négociations est évidemment furieux. La paix a été sauvée grâce à la volonté et à la sagesse des deux dirigeants, sagesse certes inspirée par la peur. Que se serait-il passé, s'ils avaient suivi les conseils de certains de leurs conseillers? On peut l'imaginer! Une guerre nucléaire aurait couvert le monde de dévastations et tué des centaines de millions de victimes. Mais il y a pire: un épais nuage de poussières aurait enveloppé notre planète occultant les rayons du soleil et causant une nouvelle glaciation qui aurait entraîné la disparition de nombreuses espèces vivantes, y compris peut-être l'espèce humaine! La mise en valeur des terres vierges ne donne pas les résultats escomptés. Ses conséquences écologiques sont par ailleurs désastreuses, le labourage en profondeur de la steppe favorisant son érosion. Cet autre échec, et son comportement choquant à l'ONU, contribuent à affaiblir un peu plus Krouchtchev. Une journée d'Ivan Denissovitch de Soljenityne est publiée en URSS dans le cadre de la déstalinisation. L'Enfance d'Ivan d'Andreï Tarkovski annonce une nouvelle étape du cinéma soviétique qui s'émancipe du réalisme socialiste. Molotov, qui milite en faveur d'une réhabilitation de Staline, est exclu du PC; il refuse cette exclusion, enferme sa carte dans un coffre-fort et dépose dans celui-ci, chaque année, un rouble correspondant au montant de sa cotisation. 1963: un complot entre Brejnev, Kossyguine, Chélépine et Podgorny, visant à remplacer Krouchtchev, porte Brejnev au poste de Premier Secrétaire du Comité central, ce qui en fait le successeur de Krouchtchev. Le 16 mai 1963, Oleg Penkovsky, qui a espionné l'URSS au profit des États-Unis, est exécuté. L'URSS est contrainte d'importer massivement du blé après une récolte catastrophique. 1964: profitant des vacances de Krouchtchev, les conspirateurs réunissent le Comité central qui démet Krouchtchev et lui annonce sa propre démission. Deux projets de réforme semblent avoir précipité sa chute: la rotation au sein des postes de direction qui menaçait les situations acquises, l'obligation pour tous les enfants, y compris ceux de la Nomenklatura, d'effectuer un temps d'apprentissage en usine; cette réaction des élites est symptomatique des libertés qu'elles prennent avec l'idéologie communiste. En URSS, les changements politiques s'effectuent
soit par la mort, soit par des révolutions de palais, selon la tradition
tsariste!
Leonid Brejnev, d'origine russe mais natif d'Ukraine, succède à Krouchtchev. Sous sa direction, une remise en ordre de l'Union soviétique va avoir lieu. On ne reviendra pas à la terreur stalinienne, mais les opposants seront réduits au silence, le cas échéant en étant envoyés dans des hôpitaux psychiatriques. La vie culturelle est à nouveau étroitement surveillée. L'URRS se fige et perd la course à l'espace tandis que les régimes communistes des pays satellites du Comecon et du Pacte de Varsovie sont contestés par une opposition de mieux en mieux organisée. De sa nomination au début des années 1970, Brejnev gouverne collégialement avec les personnes qui ont participé au complot qui a renversé Krouchtchev. Pendant la décennie 1970, il consolide sa position dominante en plaçant des fidèles aux postes clés tandis que ses anciens amis s'effacent ou sont écartés. Pendant la décennie suivante, sa santé étant de plus en plus précaire, il n'est guère capable d'exercer la plénitude du pouvoir, ce qui n'empêchera pas l'URSS de se lancer dans la désastreuse guerre d'Afghanistan. Sous l'autorité de Brejnev, l'Union soviétique continue de marquer des points en Asie et en Amérique latine, face aux États-Unis déstabilisés par leur défaite au Vietnam. La marine soviétique, sous l'impulsion de l'amiral Gorchkov, acquiert la capacité d'intervenir partout. La puissance militaire soviétique impressionne l'Occident, mais elle s'avérera largement surestimée. Les insuffisances de l'URSS en matière économique deviennent de plus en plus évidentes. L'économie soviétique, minée par la course à l'espace et aux armements atomiques, n'est pas en mesure d'améliorer le niveau de vie de la population. L'industrie automobile se développe mais l'agriculture est toujours défaillante: l'URSS absorbe à elle seule le quart des exportations mondiales de céréales entre 1970 et 1980. Une économie parallèle génératrice de corruption voit le jour (tsekhoviki et teneviki). Malgré cela, la situation s'améliore sur le plan du logement. 1964: les ouvrages de Soljenitsyne sont interdits en URSS ce qui fait de leur auteur le chef de file des dissidents. Des publications clandestines voient le jour et se multiplient (Samizdat). 1965: une réforme économique accorde une plus grande autonomie aux entreprises et motive les salariés par des primes et des avantages sociaux. Le temps de l'émulation socialiste est passé; les avantages matériels remplacent les récompenses morales; on ne croit plus en l'avènement d'un homme nouveau. Cette réforme ne donnera pas les résultats escomptés. 1966: le 21 juin, le général de Gaulle se rend en visite officielle en URSS, pour une dizaine de jours, au cours desquels il ira non seulement à Moscou mais aussi à Leningrad, Kiev, Volgograd et Novossibirsk. Les États-Unis redoutent un changement d'alliance. Il n'en est pas question, mais le président de la République française a peut-être déjà perçu que la menace soviétique est largement surestimée par le camp occidental et qu'il est temps pour la France de manifester clairement son indépendance. L'exploration spatiale soviétique continue avec Luna 10, premier satellite artificiel de la lune et Luna 12 qui envoie des images TV. Un accord franco-soviétique pour la coopération en matière de conquête spatiale montre que l'URSS chercher à résoudre ses problèmes en s'ouvrant sur le monde. Mais le procès des écrivains Iouli Daniel et Andreï Siniavski marque la volonté du pouvoir de reprendre le contrôle de la culture. 1967: en mai, Nasser, qui dirige l'Égypte, ferme le détroit de Tiran (entre le golfe d'Aqaba et la mer Rouge), bloquant ainsi l'accès au port israélien d'Eilat. Il a déjà ordonne à ses hommes de réoccuper le Sinaï, zone démilitarisée depuis dix ans, en exigeant le départ de la force internationale qui y est déployée. La Jordanie, jusqu'alors brouillée avec l'Égypte, rejoint la coalition arabe. Israël, encerclé et se sentant menacé, attaque par surprise l'Égypte, sans déclaration de guerre, et détruit toute son aviation, réduisant ainsi son armée à l'impuissance. Les troupes israéliennes envahissent le Sinaï, Jérusalem Est et la Cisjordanie, puis s'en prennent au Golan syrien. Moscou prévient alors Washington que l'URSS ne permettra pas l'invasion de la Syrie. L'Armée rouge est mise en état d'alerte; la flotte russe de la Méditerranée s'apprête à débarquer des troupes en Syrie. La 7ème flotte américaine, qui se livre à des manoeuvres vers Gibraltar est dépêchée vers le Moyen Orient. La troisième guerre mondiale est-elle sur le point d'éclater? Non! Les pourparlers russo-américains ont laissé le temps aux Israéliens de s'emparer du plateau du Golan et l'État juif, qui a atteint ses objectifs, est disposé à accorder un cessez-le-feu. Le 9 octobre 1967, Ernesto Che Guevara est exécuté à La Higuera en Bolivie, après avoir été blessé et fait prisonnier par l'armée du pays. Le révolutionnaire argentin, qui participa au renversement de Batista en 1959 et fut membre du gouvernement révolutionnaire cubain, a disparu de la scène politique depuis 1965 pour se livrer à des activités de guérilla à travers le monde avec l'ambition de multiplier les Vietnam, ce qui, dans un contexte de coexistence pacifique, ne peut qu'irriter les dirigeants soviétiques. Fidel Castro, en revanche, plus pragmatique, a opté pour un socialisme cubain qui ne peut survivre qu'avec le soutien de l'Union soviétique. C'est une nouvelle version du débat qui agite le monde communiste depuis la révolution d'octobre 1917 : propagation de la révolution au niveau mondial ou consolidation du socialisme dans les pays où il est déjà au pouvoir? En Bolivie, le PC n'a pas apporté son soutien à Guevara, comme il l'espérait sans doute. La mort de ce guérillero romantique va en faire une icône révolutionnaire. En 1967, les autorités soviétiques retirent l'accusation qui entraîna la déportation des Tatars de Crimée. Mais la plupart des survivants ne reviendront qu'à l'époque de Gorbatchev, dans la seconde moitié des années 1980. 1968: les chars soviétiques écrasent le printemps de Prague. Brejnev élabore la théorie de la souveraineté limitée pour justifier cette intervention. La Roumanie refuse de participer à l'opération contre la Tchécoslovaquie et l'Albanie, qui a choisi le camp chinois sous Krouchtchev, quitte le Pacte de Varsovie et le Comecon. L'opposition du dirigeant roumain Ceaucescu à Brejnev lui vaut une grande popularité dans son pays. Des intellectuels soviétiques critiquent l'intervention. Les partis communistes occidentaux prennent leurs distances avec l'URSS qui cesse pour eux d'être un modèle. 1969: l'Américain Neil Armstrong marche sur la lune consacrant la défaite soviétique dans la course à l'espace. Des affrontements frontaliers opposent les forces soviétiques aux forces chinoises. Andreï Roublev, un nouveau film de Tarkovski, est mal accueilli par la censure. Dans les années 1960, on assiste à une modification du regard que l'Union soviétique portait jusqu'à présent sur les activités de renseignement. Cette image, très négative, mettait l'accent sur les tentatives occidentales en vue d'espionner l'URSS. Désormais, on va s'efforcer de forger des espions positifs au service de ce pays. Il s'agit de réhabiliter le KGB auprès de la population soviétique. L'accès au pouvoir suprême de plusieurs dirigeants issus de cet organisme révélera plus tard le bien fondé de cette entreprise. Ses archives secrètes sont libéralement ouvertes à un romancier. Une série télévisée est très habilement tournée. Elle obtient un immense et durable succès. Elle inspirera sa vocation au futur président Poutine et marquera profondément de nombreux soviétiques. Le héros du récit est souvent présenté comme un James Bond soviétique. Ce n'est que partiellement exact. James bond, une sorte de Superman, sort tout droit de la culture américaine, et du culte de la réussite. Stierlitz, l'espion soviétique, non moins fictif que son pendant occidental, est beaucoup plus nuancé. C'est un patriote plus qu'un idéologue, un homme courageux et intelligent, toujours disposé à se sacrifier pour défendre la veuve et l'orphelin. Il n'hésite pas à s'introduire dans les milieux nazis proches du pouvoir et à mettre sa vie en danger pour sauver son pays. C'est un héros très positif, selon les critères soviétiques, mais la série, et c'est sa force, ne donne jamais dans la propagande sommaire qui sévissait pendant la guerre. Au contraire, les nazis y sont présentés, non plus comme des monstres, mais comme des êtres humains, ce qui renforce la crédibilité de l'ensemble. La sortie de la série télévisée ne s'obtient pas sans réticences. Elle s'écarte de l'idéologie communiste, selon laquelle ce sont les masses populaires, et non des personnalités, qui font l'histoire. De plus, elle scandalise l'armée qui est totalement laissée de côté dans le scénario initial. Pour donner satisfaction aux militaires, on introduit habilement des séquences d'actualités de la Seconde guerre mondiale dans le film. Et c'est ainsi que finit par être diffusé le plus grand succès de la télévision soviétique. 1970: une énorme tête de Lénine (12 tonnes) est érigée à Oulan Oude, place Sovetov. L'attribution du prix Nobel à Soljenitsyne est considérée comme une provocation. Les travaux de reconstitution de la chambre d'ambre de Tsarskoïe Selo débutent. Dans les années cinquante, une entreprise allemande a offert à l'URSS trois millions de dollars pour contribuer à la restauration de cette chambre dont les panneaux d'ambre, enlevés en 1941 par les troupes allemandes, n'ont pas été retrouvés. 1971: le rétablissement des relations
sino-américaines oblige l'URSS à revoir ses relations avec
l'Occident.
En décembre, Salvador Allende, président socialiste du Chili en crise, après avoir prononcé un discours à l'ONU, se rend à Moscou pour solliciter une aide de l'Union soviétique, de 500 millions de dollars, en produits alimentaires et matières premières. Mais l'URSS n'a plus les moyens de se montrer aussi généreuse. D'autre part, Brejnev ne souhaite peut-être pas raviver la Guerre froide en intervenant dans la zone d'influence américaine alors que les relations avec les États-Unis viennent de s'améliorer. Allende retourne au Chili sans avoir obtenu l'aide massive escomptée. 1973: du 18 au 25 juin, Brejnev visite à son tour les États-Unis. Un accord est signé pour prévenir une guerre nucléaire. Le 11 septembre, à Santiago du Chili, un coup d'État militaire, perpétré avec la complicité des États-Unis, met fin à l'expérience socialiste d'Allende, qui y perd la vie. 1974: l'URSS préfère renoncer à un accord économique avec les États-Unis plutôt que d'accorder la liberté d'immigration en Israël des Juifs soviétiques. L'écrivain Alexandre Soljenitsyne, auteur de L'Archipel du Goulag, publié en Occident, est expulsé d'URSS. 1975: l'économie soviétique donne des signes d'essoufflement voire de déclin. Le gendre de Brejnev, le général Iouri Tchourbanov, est impliqué dans une affaire de corruption en compagnie du dirigeant ouzbek Charaf Rachidov (affaire du coton ouzbek). Andropov, chef du KGB, met fin au scandale des exportations clandestines de caviar qui enrichissent des cadres du Parti. Il vérifie secrètement la véracité des statistiques économiques et découvre que, selon les critères occidentaux (évaluation en valeur plutôt qu'en volume), le produit intérieur brut soviétique est en déclin. Le 30 avril 1975, après vingt ans de conflit, l'intervention américaine au Vietnam se solde par une solution humiliante pour les États-Unis au bénéfice du camp communiste. Le 1er août 1975, débute la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. L'Acte final d'Helsinki reconnaîtra les frontières issues de la Seconde Guerre mondiale et l'Union soviétique s'engagera à respecter les Droits de l'Homme et les libertés fondamentales. Ces engagements ne seront pas tenus mais ils donneront des armes aux dissidents comme Sakharov, le père de la bombe atomique, effrayé maintenant par la puissance qu'il a mise entre les mains des dirigeants de son pays; ces dissidents formeront le Groupe Helsinki de Moscou. Vers la fin de l'année 1975, le gouvernement MPLA de l'Angola, une ancienne colonie portugaise désormais indépendante, est menacé par un mouvement adverse (UNITA), soutenu par les États-Unis et surtout par l'Afrique du Sud voisine. L'Union soviétique fournit une aide au MPLA mais ne souhaite pas engager des forces sur le terrain. C'est Cuba qui s'en charge avec le financement de l'URSS. Le général cubain Arnaldo Ochoa Sánchez, ancien compagnon de Fidel Castro, s'y illustre. Cette intervention de Cuba en Afrique n'est pas seulement militaire; des civils accompagnent les soldats pour apporter une aide économique et sociale aux population, notamment dans les domaines médical et de l'éducation. Cuba ne limite pas son champ d'action à l'Angola, il participe également à des actions dans d'autres pays africains. On dit qu'un demi million de Cubains ont été impliqués en Afrique d'une manière ou d'une autre avant l'effondrement du bloc soviétique. 1976: Brejnev se nomme maréchal de l'Union
soviétique. Cette tentative de restauration du culte de la personnalité
fait long feu.
Une nouvelle constitution soviétique est promulguée. 1978: le 17 avril, un membre important du parti démocratique du peuple afghan (PDPA), Mir Akbar Khyber, est assassiné, probablement par ordre du Premier ministre Daoud. Les partisans du PDPA manifestent tandis qu'une partie de l'armée, proche des communistes, s'inquiète d'une éventuelle purge sanglante dans ses rangs. Le 27 avril, le PDPA et la partie de l'armée qui lui est favorable renversent le régime de Daoud qui est exécuté avec sa famille le lendemain. L'URSS, qui entretenait de bonnes relations avec l'Afghanistan depuis sa reconnaissance par ce pays voisin en 1921, n'a pas été tenue au courant de la préparation de ce coup d'État dont elle redoute les conséquences. Le nouveau régime, dirigé par le président Taraki, distribue des terres aux paysans pauvres et il est d'abord bien accueilli par la population. Mais tout change lorsque sont mises en oeuvre des réformes radicales qui remettent en cause les traditions religieuses, en matière d'éducation notamment, comme la scolarisation des jeunes filles. Les communistes afghans professent par ailleurs un athéisme militant qui s'attire l'hostilité des religieux musulmans et suscite des mouvements de résistance. Taraki demande l'aide des Soviétiques pour mater la rébellion. Moscou n'est pas disposé pour l'heure à impliquer directement son armée dans une aventure extérieure craignant la réaction de l'opinion publique internationale. Une solution de compromis est trouvée : un corps de soldats des républiques soviétiques d'Asie centrale sera constitué par le KGB; il sera vêtu d'uniformes afghans pour donner le change et viendra appuyer l'armée afghane en espérant que le subterfuge passera inaperçu. Le violoncelliste Rostropovitch et la chanteuse Vichnievskaïa sont privés de leur nationalité soviétique. Beaucoup d'artistes et d'écrivains s'exilent (mais ce n'est pas une nouveauté). Le 16 octobre, un prêtre polonais, Monseigneur Wojtyla, archevêque de Cracovie, est élu pape sous le nom de Jean-Paul II. La population polonaise est profondémment catholique, mais le gouvernemet polonais est communiste. L'arrivée à la tête de l'Église catholique d'un pape polonais va contribuer à destabiliser le régime de la Pologne qui va devenir le maillon faible du bloc soviétique. 1979: les accords SALT 2 consacrent la parité nucléaire entre l'Union soviétique et les États-Unis. Le 14 septembre, le président afghan Taraki, relativement modéré, est renversé et assassiné par le premier ministre Amin, plus radical. Ce changement brutal n'est pas apprécié par les Soviétiques qui redoutent une aggravation de la situation en Afghanistan. Amin entreprend effectivement une purge sanglante dans les rangs du PDPA; mais ces règlements de comptes entre factions plus ou moins radicales recouvrent aussi des rivalités inter ethniques entre Pachtounes et Persans. Le 27 décembre, des commandos du KGB lancent une attaque sur le palais présidentiel au cours de laquelle Amin est tué. Les Soviétiques se débarrassent ainsi d'un personnage encombrant qu'ils soupçonnaient de vouloir rejoindre le camp américain. Amin est remplacé par Karmal, un modéré à qui les Soviétiques confient la difficile mission de réconcilier les Afghans par une politique religieuse plus tolérante et en s'efforçant de gagner la confiance des milieux les moins radicaux de la rébellion. Karmal sollicite expressément l'aide soviétique pour mener à bien cette mission. L'Armée soviétique entre en Afghanistan où elle pense être bien accueillie. C'est une erreur! La population afghane voit dans cette intrusion de soldats non musulmans, qui viennent soi-disant à son secours, une invasion déguisée. Plus grave, cette invasion soulève un tollé à travers le monde. Elle met à mal la politique de détente et favorise l'émergence de mouvements extrémistes musulmans (Talibans); on appelle au djihad et des groupes de combattants internationaux se forment. Une guerre d'embuscades et de sanglantes représailles commence au cours de laquelle les insurgés s'en prennent symboliquement aux écoles qu'ils détruisent. Les États-Unis voient là une occasion de se venger de leur défaite au Vietnam; l'Afghanistan, espèrent-ils sera le Vietnam de l'URSS! Ils commencent par appeler au boycott des jeux olympiques d'été qui doivent se dérouler à Moscou et cette initiative rencontre de nombreux échos dans les pays musulmans. Reprenant à leur compte la vieille stratégie d'endiguement britannique de la Russie en Asie (le Grand Jeu), ils financent généreusement et arment les mouvements les plus radicaux de la résistance qui se retourneront ultérieurement contre eux. Sans que l'on en ait conscience, cette guerre pose les bases de l'affrontement qui succèdera à la Guerre froide : celui du radicalisme musulman contre le reste du monde! En attendant, elle relance la guerre froide. Cette dangereuse équipée n'a pas été décidée par Brejnev qui, vieux et malade, n'est plus capable d'exercer le pouvoir, mais par quelques représentants de la vieille garde du Bureau politique, dont son successeur Andropov, malgré l'opposition de Kossyguine, le président du conseil des ministres. L'importance de l'opération restera soigneusement cachée à l'opinion publique soviétique : on ne parlera jamais de guerre! On notera qu'elle se situe dans un contexte géopolitique qui pouvait paraître favorable aux Soviétiques après l'éviction des États-Unis de l'Iran suite à la révolution khoméniste. 1980: Andreï Sakharov est assigné à résidence à Gorki pour avoir dénoncé l'invasion de l'Afghanistan et préconisé le boycott des Jeux olympiques de Moscou. Les Jeux olympiques d'été se déroulent à Moscou en l'absence de plusieurs délégations dont celle des États-Unis. 1981: le 20 janvier, Ronald Reagan devient le 40ème président des États-Unis. Très anticommuniste, malgré la détente et la signature de plusieurs accords, il relancera la Guerre froide et sa politique étrangère sera guidée par la volonté de détruire l'empire du mal, c'est-à-dire l'Union soviétique. Pour arriver à ses fins, il aidera les mouvements anticommunistes à travers le monde (Afghanistan, Pologne), il manipulera les cours du pétrole à la baisse, avec la complicité de l'Arabie saoudite, afin de priver l'URSS d'une grande partie de ses ressources financières, enfin il lancera les États-Unis dans une course aux armements (Guerre des Étoiles), largement mythique, mais dont le but est moins de sanctuariser l'Occident que de ruiner l'URSS, qui consacre déjà plus du quart de son PNB à la Défense, en l'incitant à relever le défi, si nécessaire en divulguant de fausses nouvelles. Cette stratégie s'avèrera d'autant plus efficace que les États-Unis, grâce au statut international du dollar, sont en mesure de financer leurs déficits à peu près sans limite sur le reste du monde. Le régime communiste est menacé en Pologne par la montée en puissance du syndicat Solidarnosc. Le général Jaruzelski, un ancien officier des troupes polonaises qui ont combattu pendant la Seconde Guerre mondiale aux côtés des soviétiques, prend le pouvoir à la faveur d'un coup d'État. Il épargne ainsi à son pays une probable intervention de l'Armée rouge. Les États-Unis de Reagan vont financer Solidarnosc avec l'aide du Vatican de Jean-Paul II. On soupçonne Brejnev d'être derrière l'attentat du militant turc d'extrême droite Ali Agca contre le pape Jean-Paul II. 1982: 80% des ménages soviétiques urbains disposent d'un logement individuel. 1982-1984: les quinze mois d'Andropov Andropov, qui succède à Brejnev, est un Russe issu du KGB qu'il a réformé en profondeur. Il lutte contre la corruption au sein du Parti et se montre favorable à l'autogestion des entreprises afin d'améliorer leur efficacité économique. Il s'attaque au marché noir et à l'absentéisme. Il tente en vain de limiter la course aux armements qui ruine l'URSS et prend ses distances avec l'aventure afghane. Réformateur, cela ne l'empêche pas de recourir à la censure ni de pourchasser les opposants et de les enfermer dans des hôpitaux psychiatriques. La crise des fusées 1982: Andropov propose une réduction
du nombre des SS-20 d'Europe en transférant le surplus en Asie.
Reagan rejette cette proposition qui aurait reporté la menace sur
le Japon.
1984-1985: l'année de Tchernenko Tchernenko, d'origine russe, est l'ancien secrétaire personnel de Brejnev. Ce dernier l'avait désigné comme successeur. Mais il a dû attendre la disparition d'Andropov pour accéder au pouvoir. Comme son prédécesseur, il est malade et passera son temps entre son bureau et l'hôpital. C'est d'ailleurs à peu près la seule chose qu'il ait en commun avec Andropov. Celui-ci, avant de mourir, avait montré sa préférence pour Gorbatchev. Mais c'est Tchernenko qui est désigné, c'est-à-dire un fidèle de Brejnev, susceptible de restaurer l'orthodoxie communiste au sommet de l'État, après les tentatives libérales d'Andropov, comme si le Bureau politique découvrait les vertus de l'alternance. Tchernenko n'aura pas le temps de laisser une trace profonde de son passage au pouvoir. Son action restera limitée. 1984: des religieuses reviennent au monastère de Novodievitchi. L'Union soviétique boycotte les Jeux olympiques d'été de Los Angeles rendant ainsi aux Américains la monnaie de leur pièce (1980). La nomination d'un malade âgé à la tête de l'Union soviétique laisse supposer que les dirigeants cherchent à gagner du temps sans s'engager, comme s'ils étaient hésitants sur le chemin à suivre. Cela fait penser à l'élection d'un pape de transition. 1985-1991: la perestroïka de Gorbatchev Gorbatchev s'inscrit d'emblée dans la lignée de Krouchtchev et d'Andropov. Par rapport aux deux derniers dirigeants, Gorbatchev, âgé de 54 ans, est un homme jeune, un réformateur conscient de la nécessité de faire évoluer profondément son pays et de mettre un terme à la Guerre froide, pour sauver le socialisme. Les maîtres mots de son action sont glasnost (transparence) et perestroïka (restructuration). Mais il se montre incapable de maîtriser l'évolution qu'il a lui-même initiée. Les réformes économiques qu'il entreprend sont génératrices de désorganisation, de recul de la production et d'inflation, ce qui incite les travailleurs mécontents à faire usage d'un droit de grève qu'il leur a de nouveau reconnu, tandis que le libéralisme favorise l'émergence des mafias et les velléités d'indépendance des minorités. La population soviétique, encouragée par les réformes libérales, se montre de plus en plus hostile à la guerre d'Afghanistan, ce qui amène Gorbatchev à envisager d'y mettre fin. Le nouveau maître du kremlin n'est cependant guère aidé par les puissances occidentales, États-Unis en tête, trop contentes de voir s'effondrer l'empire soviétique. Au contraire, l'Occident fait tout ce qui est en son pouvoir afin de priver l'Union soviétique des ressources qui lui permettraient de financer le changement sans trop de secousses. Gorbatchev renonce à la doctrine de souveraineté limitée de Brejnev. Désormais, les dirigeants des pays communistes d'Europe centrale ne devront plus compter sur une intervention soviétique pour se maintenir au pouvoir. Ils devront se débrouiller tout seuls! L'évolution amorcée en URSS va entraîner dans un premier temps la disparition des démocraties populaires et la perte du glacis protecteur que Staline avait dressé à l'Ouest. Puis l'Union soviétique elle-même se désagrègera et la Russie, privée d'une partie de son empire, se retrouvera plus réduite qu'elle ne l'était du temps des derniers tsars. 1985 : le 23 janvier est exécuté,
dans une prison de Moscou, un lieutenant-colonel du KGB, Vladimir Ippolitovitch
Vetrov, condamné à mort pour trahison. Sous le nom de code
de "Farewell", il a fourni à la France des renseignements qui ont
permis à l'Occident de décapiter les réseaux du KGB
se livrant à l'espionnage industriel. L'URSS, initialement à
la tête de la conquête de l'espace, a pris ensuite du retard
sur la technologie occidentale et a cherché par tous les moyens
à le combler. Elle s'est livrée pour ce faire à des
activités d'espionnage industriel sur une large échelle.
Grâce aux informations transmises par Vetrov, les Américains,
alertés par la France, ont assez rapidement connu les activité
d'espionnage russes. Mais, au lieu de démanteler d'emblée
le réseau, ils ont réagi en acceptant de vendre aux Soviétiques
des outils technologiques très avancés, mais délibérément
rendus défectueux, pour les piéger à leur tour,
jusqu'à ce qu'ils soient sûrs d'avoir identifié tous
les membres du réseau afin de l'éradiquer complètement.
Incarcéré en Russie pour une tentative de meurtre, Vetrov,
vit ses activités d'espionnage au profit de la France dévoilées
en 1983 par les services secrets français qui remirent à
l'ambassade de Russie à Paris un dossier le compromettant, pour
justifier l'expulsion de 47 agents soviétiques. Les services secrets
français livrèrent ainsi leur agent parce qu'ils pensaient
que de toute manière il finirait par avouer sa trahison aux autorités
soviétiques.
Édouard Chevarnadze remplace Gromyko à la tête des Affaires étrangères. Gorbatchev se déclare disposé à ouvrir un dialogue avec Ronald Reagan sur les armes nucléaires et avance plusieurs propositions appuyées de gestes de bonne volonté. Mais il essuie un refus. Ronald Reagan a qualifié l'Union soviétique d'empire du Mal et il n'a qu'une idée en tête: sa disparition. Il va tout faire pour terrasser cet adversaire détesté, quitte à le faire passer pour plus redoutable qu'il n'est, afin d'obtenir les financements nécessaires pour la Guerre des Étoiles qui doit rendre les USA invulnérables. L'affaire "Farewell" ne peut qu'inciter le président des États-Unis à se montrer intraitable et cette affaire va donc jouer un rôle important dans la chute de l'URSS. Gorbatchev s'efforce aussi de normaliser les relations avec la Chine, et là, il réussit mieux. Le docteur Jivago de Pasternak est publié pour la première fois en URSS. 1986: en avril, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) met en évidence les dangers que fait courir la vétusté de certaines centrales atomiques soviétiques. Gorbatchev propose un plan d'élimination des armes nucléaires à l'horizon 2000, en vain. Une rencontre avec Reagan à Reykjavik n'aura pas plus de succès. Le président américain, d'abord séduit par la personnalité du dirigeant soviétique, est ramené à ses vieux démons par son entourage qui lui démontre que, en cas des disparition des armes nucléaires, l'URSS dominerait le monde avec ses armes conventionnelles. Un dirigeant soviétique, fût-il un libéral entreprenant, reste un ennemi pour le président des USA qui n'est pas disposé à l'aider à démocratiser son pays. Ce que souhaite Reagan, c'est mettre l'URSS à genoux, en lui imposant une course aux armements ruineuse et en la privant de ressources financières en incitant les pays pétroliers à maintenir le cours des hydrocarbures au niveau le plus bas possible, du moins c'est l'analyse qui sera faite a posteriori par des dirigeants soviétiques, dont Gorbatchev. Cette politique finira effectivement par ruiner l'URSS, de plus en plus dépendante financièrement de l'Occident. Andréi Sakharov est autorisé à revenir à Moscou. Des meetings à Alma Ata dénoncent la russification du Kazakhstan. Le 8 novembre 1986, à 96 ans, Molotov, un des derniers survivants de la révolution d'octobre meurt sans avoir jamais cessé d'être fidèle à Staline, malgré les mauvais traitements que ce dernier lui a infligés. Il est inhumé avec les honneurs nationaux auprès de sa femme, Polina, au cimetière de Novodiévitchi, à Moscou. Ce vétéran du bolchevisme a vécu assez longtemps pour assister au début de l'effondrement de l'URSS, probablement sans en avoir totalement conscience car, pour lui, le communisme avait déjà été détruit par Krouchtchev. En 1986, la réalité du pouvoir
en Afghanistan échoit à Najibullah, qui tente de mettre en
oeuvre une politique de réconciliation nationale, dans la perspective
d'un retrait des troupes soviétiques. Mais cette tentative échoue,
comme on pouvait s'y attendre, devant les réticences des résistants
afghans. Ces derniers reçoivent des missiles américains sol-air
portatifs FIM-92 Stinger, ce qui fait perdre aux Soviétiques le
contrôle du ciel et bouleverse l'équilibre des forces. Les
États-Unis consacrent des budgets plus en plus conséquents
à l'aide de la résistance afghane dans l'espoir que l'URSS
subira une humiliante défaite.
Les deux grands s'accordent enfin pour réduire de moitié leurs arsenaux nucléaires, mais les Américains se refusent à renoncer à l'IDS (Initiative de Défense Stratégique ou Guerre des étoiles). Eltsine, qui dirige le Parti à Moscou et qui s'est montré jusqu'alors partisan de la perestroïka, commence à susciter des difficultés à Gorbatchev en accusant le pouvoir central de ruiner les efforts d'assainissement qu'il poursuit dans la capitale. Le 11 novembre, il est écarté de la direction du PC de Moscou. Le Time (USA) décerne à Gorbatchev le titre d'Homme de l'année. 1988: En janvier, des troubles commencent à opposer Azéris et Arméniens dans le Caucase. Le 9 avril, des émeutes réprimées par l'armée agitent Tbilisi (Géorgie) Le 14 avril, les accords de Genève sont signés entre l'Afghanistan et le Pakistan, tandis que les États-Unis et l'URSS se portent garants de leur application. Gorbatchev avait au préalable naïvement prévenu Reagan de sa volonté de désengagement de l'Afghanistan, sans se douter probablement que le président américain aurait préféré une défaite sévère des troupes soviétiques. Le 15 mai, les troupes soviétiques commencent à se retirer d'Afghanistan. Ce retrait a été négocié avec le commandant Massoud, l'un des chefs de la résistance afghane qui a promis aux Soviétiques de ne pas les attaquer pendant leur retrait. Il tiendra parole ce qui ne l'empêchera pas d'être l'objet d'une violente offensive des forces gouvernementales. L'Estonie et l'Azerbaïdjan se proclament autonomes. Le 7 décembre, un tremblement de terre en Arménie révèle les insuffisances du régime. A la fin de l'année, à l'occasion du millénaire du baptême de la Rus', la liberté religieuse est reconnue et les rapports entre l'Église et l'État sont clarifiés. 1989: le 15 février, le retrait des forces soviétiques d'Afghanistan s'achève. Cette guerre qui n'a jamais dit son nom est la plus longue menée par l'Union soviétique. Près de 15 000 soldats soviétiques y ont laissé leur vie. Les pertes afghanes sont infiniment plus lourdes, surtout parmi les populations civiles. Les soldats soviétiques laissent derrière eux un pays détruit où tout est possible et surtout le pire. Gorbatchev crée une nouvelle Assemblée législative : le Congrès des députés du peuple, dont les 2/3 sont élus au suffrage universel, à bulletin secret et sur candidatures multiples. Ces premières élections pluralistes, qui ont lieu les 26 mars et 9 avril 1989, donnent aux candidats issus du Parti communiste une majorité écrasante (88% des sièges contre 12% aux opposants). Mais ces résultats sont ambigus et décevants pour les partisans de Gorbatchev, élu chef de l'État; son gouvernement est jugé trop réformateur par les nostalgiques de l'orthodoxie communiste et trop modéré par les adeptes du libéralisme économique. Par ailleurs, nombre des nouveaux élus membres du Parti communiste n'étaient pas des candidats de la Nomenklatura, laquelle manifeste son mécontentement. Bref, les électeurs semblent vouloir conserver le communisme mais souhaitent qu'il s'applique autrement. Les partisans de Boris Eltsine, très
populaire, remportent les élections à Moscou.
A partir de juin, les troubles interethniques
s'étendent, en particulier en Ouzbékistan, au Kazakhstan
et en Géorgie.
Le 13 juillet 1989, à Cuba, le général Arnaldo Ochoa, ainsi que trois autres officiers sont fusillés. Ochoa, qui s'est illustré en Angola, accusé de corruption et de trafic de drogue, s'est reconnu coupable au cours d'une instance judiciaire qui rappelle les procès staliniens. Était-il innocent? Compte tenu des difficultés qu'il a rencontrées en Angola, il n'est pas impossible qu'il ait été amené à se livrer à des activités illicites. Mais on dit aussi que, partisan des réformes de Gorbatchev, il est en désaccord avec Fidel Castro qui pense que ces réformes sont en train de détruire le camp socialiste et que Cuba en fera les frais. L'appartenance à l'URSS de la République de Touva est reconnue par la Chine populaire, mais pas par Taïwan qui continue à revendiquer ce territoire. Pendant l'été, l'agitation sociale paralyse en partie l'activité économique. Les réformes n'améliorent pas les conditions de vie de la population, au contraire. En novembre, des troubles graves éclatent en Moldavie soviétique. Toujours en novembre, le mur de Berlin tombe. La réunification allemande devient possible. Mais on pense généralement qu'elle prendra du temps. Nul n'avait envisagé une évolution aussi rapide de la situation, mais l'Occident est mieux préparé à l'avènement d'une Allemagne réunifiée que ne le sont les dirigeants soviétiques. On envisage l'idée d'une Allemagne militairement neutre afin de respecter les équilibres européens, mais cette idée sera vite écartée. Quoi qu'il en soit, la Seconde Guerre mondiale est vraiment terminée et la Guerre froide s'achève sur la défaite de l'URSS. Compte tenu de l'état dans lequel États-Unis et URSS étaient sortis de la Seconde guerre mondiale, on aurait presque pu prédire un tel résultat : les deux pays rivaux n'avaient pas les mêmes chances au départ! Mais qui s'en était alors aperçu? La réunification rapide de l'Allemagne est l'objet de négociations entre l'Occident et l'Union soviétique. Cette dernière l'accepte et l'Occident s'engage, en contrepartie, à ce que les États d'Europe de l'Est dans l'orbite soviétique n'adhèrent jamais à l'OTAN, engagement aujourd'hui désavoué! Gorbatchev et Bush père proclament à Malte la fin de la Guerre froide (2 et 3 décembre). Le 4 décembre, le Pacte de Varsovie
dénonce l'invasion de la Tchéchoslovaquie en 1968.
Le 22 décembre, Ceaucescu est renversé en Roumanie. Avant d'être sommairement jugé et exécuté, il accuse une puissance étrangères d'être à l'origine des troubles de son pays (il pense très certainement à l'Union soviétique de Gorbatchev, même s'il ne la nomme pas, mais il est peu vraisemblable que Gorbatchev ait participé à l'éviction du pouvoir du dictateur roumain qui avait perdu sa popularité d'antan, d'une part parce que ce n'était pas dans la ligne de conduite du dirigeant soviétique, d'autre part parce qu'il savait que Ceaucescu, diabétique en phase terminale, n'avait plus que quelques mois à vivre). Des mouvements anticommunistes agitent les autres pays de l'est européen (Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie, Bulgarie) qui, les uns après les autres, changent de régime de façon plus ou moins pacifique. Le Time décerne à Gorbatchev le titre d'Homme de la décennie. Le leader soviétique est plus populaire à l'étranger que dans son pays! 1990: Gorbatchev procède à une nouvelle réforme politique: il crée le poste de Président de l'URSS et affaiblit le rôle du chef du PC. Le Congrès l'élit Président de l'URSS pour cinq ans; la prochaine élection est prévue au suffrage universel; elle n'aura jamais lieu car l'URSS aura alors disparu. Le 1er mai, le nouveau président de l'URSS est hué par des manifestants qui estiment qu'il est en train de détruire le régime soviétique. Le 10 mai, la Commission européenne pour la démocratie par le droit, aussi appelée Commission de Venise, est créée dans le but d'aider les pays de l'ex-Union soviétique à mettre en place les lois et institutions nécessaires à leur démocratisation. Boris Eltsine est élu président de la RSFSR par le Congrès russe, malgré les manoeuvres de Gorbatchev pour l'écarter. Il s'affirme dès lors comme un rival du président de l'URSS. Le 12 juin, le 1er Congrès des députés du peuple de la République socialiste fédérative soviétique de Russie proclame la souveraineté de la Russie. Cette manifestation de nationalisme est un signe fort de la désagrégation de l'URSS, la RSFSR couvrant les 3/4 du territoire de l'Union et représentant les 2/3 de son industrie. Les Russes ne sont d'ailleurs pas les seuls à être agités par des velléités nationalistes; les peuples des autres républiques le sont aussi, comme on l'a vu. Le 17 juin, la cathédrale Saint-Isaac de Léningrad est rendue au culte. En juillet le Parlement russe décide de s'approprier les banques et les caisses d'épargne, mesure que Gorbatchev déclare illégale. Une commission mixte soviéto-russe travaille sur l'élaboration d'un programme économique commun qui prévoit des privatisations. Ce programme est adopté par la Russie et rejeté par l'URSS. En octobre, une révolution de palais écarte les conseillers de Gorbatchev favorables à une entente avec Eltsine. Vers la fin de l'année, l'Union soviétique est sérieusement menacée d'éclatement. La Russie traite directement avec les autres républiques. Gorbatchev réagit en présentant un projet de nature à lui assurer une majorité contre la Russie. Les députés soviétiques adoptent un nouveau traité d'union, sans consultation des républiques, qui réserve au niveau central la souveraineté de l'État. Un référendum sur l'Union est annoncé. Gorbatchev résiste à ceux qui souhaitent le voir abandonner Fidel Castro. Il envoie même des avions supersoniques survoler l'île en réponse aux provocations de plus en plus nombreuses des États-Unis. Gorbatchev reçoit le prix Nobel de la paix pour sa contribution à la fin de la Guerre froide. La République de Touva proclame sa souveraineté étatique dans le cadre fédérale de la Russie. 1991: des incidents entre l'armée et des manifestants causent la mort de 15 personnes à Vilnius (Lituanie). Eltsine en profite pour critiquer le pouvoir central et reconnaître la souveraineté des États baltes. Au moment de la publication du projet de référendum sur l'Union, il appelle ses partisans à s'opposer au pouvoir central. C'est évidemment une manoeuvre pour évincer Gorbatchev; si le référendum échoue, l'URSS n'existera plus et son président passera bien sûr à la trappe. La conservation de l'Union est néanmoins approuvée par près de 70% des votants et plus de la moitié des électeurs inscrits, ce qui n'empêchera pas sa disparition avant la fin de l'année. Il est vrai que le poids des électeurs russes a été prépondérant. En signant l'accord START 1, les États-Unis et l'URSS s'engagent à réduire leur arsenal nucléaire stratégique de 30%. Eltsine est à nouveau élu président de la Fédération de Russie, mais cette fois avec l'onction du suffrage populaire, ce qui contraint Gorbatchev à transiger avec lui. Désormais, Eltsine a presque atteint son but : il n'a plus au-dessus de lui que le président de l'URSS. Si cette dernière disparaît, ce président disparaîtra avec elle! Gorbatchev, avant de partir en vacances, prépare une nouvelle réforme qui vise à remplacer l'URSS par une Union des républiques souveraines soviétiques, pour satisfaire les revendications nationalistes; la réduction du rôle du KGB et de l'État centralisé y est à l'ordre du jour. C'est tout l'appareil d'État qui est en train d'être détruit à un moment où les réformes économiques ont échoué et où les ressources financières manquent pour relancer la machine. Pendant l'été, cette situation alarmante amène des éléments conservateurs du Parti communiste, inquiets pour l'avenir, à profiter de l'absence de Moscou de Gorbatchev, en vacances en Crimée, pour tenter un coup de force, inspiré probablement de celui qui évinça Krouchtchev. Gorbatchev est un temps écarté du pouvoir, mais les auteurs du coup de force, trouvent devant eux Eltsine, le président de la RSFSR, qui a l'appui du président américain et du Premier ministre britannique. Ils n'ont pas d'autre alternative que le suicide ou la prison. Gorbatchev était-il au courant de ce projet de coup d'Etat? On le dit; c'est un fait que Chevarnadze avait dénoncé l'imminence de l'instauration d'une dictature avant de démissionner; Gorbatchev l'avait désavoué et avait fait nommer vice-président un adversaire des réformes qui prendra la tête du coup d'Etat! De plus, d'après un général du KGB, les auteurs de ce coup d'État s'en seraient ouverts au président de l'URSS qui n'aurait rien fait pour les dissuader. Eltsine a su profiter de cette crise pour miner ce qui restait de prestige à Gorbatchev. Ce dernier n'a désormais plus la réalité du pouvoir qui est entre les mains de son rival. Il abandonne la direction du Parti communiste de l'Union soviétique. Boris Eltsine suspend les activité du Parti, puis le dissout quelques temps plus tard. Le KGB est supprimé; il sera remplacé par le FSB (Service fédéral de sécurité). Dans le courant de l'année, la Géorgie, puis l'Azerbaïdjan, l'Ouzbékistan, la Biélorussie, le Kirghizistan, l'Arménie, le Tadjikistan, le Turkménistan, le Kazakhstan proclament leur indépendance. Dans les républiques d'Asie centrale, les régimes qui voient le jour restent autoritaires, dans la continuité de ceux qui existaient avant la disparition de l'URSS. Des conflits territoriaux sont latents entre ces différentes entités politiques nouvellement indépendantes; les tensions inter-ethniques vont dégénérer parfois en affrontements armés (Géorgie, Haut-Karabagh). La Biélorussie mettra en œuvre des réformes très prudentes qui minimiseront les inconvénients d'une libéralisation non maîtrisée. Vers la fin de l'année, l'Ukraine se déclare à son tour indépendante; la Crimée, qui pose problème, puisqu'elle est majoritairement peuplée de Russes, bénéficiera d'un statut d'autonomie, mais celui-ci ne sera jamais appliqué! Les déclarations d'indépendance de la Biélorussie et de l'Ukraine remettent en cause le mythe de l'unité des trois peuples frères issus de la Rus' médiévale. Il convient de souligner que la dissolution de l'URSS fut décidée par la Fédération des Russie, la Biélorussie et l'Ukraine, sans consulter les autres républiques et sans tenir compte du choix des populations qui s'étaient exprimées majoritairement pour son maintien. Les accords d'Alma-Ata et de Minsk créent, à l'initiative d'Eltsine, la Communauté des États Indépendants (CEI) dont les Pays baltes refusent de faire partie. Gorbatchev tente de s'y opposer, mais le gouvernement russe s'empare de la Banque centrale soviétique. Le Président de l'URSS est désormais à la tête d'une Union sans consistance; il démissionne le 25 décembre et, le lendemain, le Soviet suprême se sépare après avoir dissout l'URSS. La RSFSR devient la Fédération de Russie. Bien sûr, le Pacte de Varsovie et le Comecon ont cessé d'exister. C'est également en 1991 que les ossements de la famille impériale sont découverts et authentifiés dans les environs d'Ekaterinbourg. Mais l'Eglise orthodoxe ne reconnaît pas l'authenticité de ces restes. Animé des meilleures intentions, le premier et dernier président de l'URSS, toujours admiré à l'étranger, n'en a pas moins attiré sur son pays une des plus grandes catastrophes de son histoire. Quelles sont les causes de son échec? Sans doute faut-il les rechercher dans la destruction prématurée de l'appareil politique sur lequel il aurait pu s'appuyer. Il s'est ainsi privé des moyens de réaliser la difficile réforme économique qu'ils projetait. Ce n'est qu'après la réussite de cette réforme que les changements politiques seraient devenus possibles et souhaitables. L'idée selon laquelle réformes économiques et réformes politiques doivent aller de pair n'est pas sanctionnée par l'expérience. Plusieurs exemples prouvent que le libéralisme économique s'accommode parfaitement d'un régime autoritaire et que celui-ci est peut-être même nécessaire pour réaliser des réformes en profondeur. Le caractère de Gorbatchev doit aussi être mis en cause; il manquait de volonté et n'avait pas l'étoffe d'un dirigeant politique capable de faire face aux difficultés que rencontrait alors son pays; pour ne prendre qu'un exemple, il n'a pas osé défendre, face à l'Occident, l'idée d'une neutralisation militaire de l'Allemagne alors que l'Armée soviétique occupait encore la RDA; il laissait parfois ses subordonnés sans ordres face à des situations dangereuses, comme pour éviter de se compromettre. La disparition de l'URSS n'a pas été causée par une révolution populaire; le régime s'est décomposé de l'intérieur et ce sont les membres de la Nomenklatura qui lui ont porté le coup de grâce; il est vrai que bien des signes montraient depuis longtemps que l'idéologie communiste leur pesait. Cet effondrement amena certains idéologues à penser que l'histoire etait finie. La crise yougoslave et l'attentat du 11 septembre prouvèrent rapidement qu'elle continue et que le monde n'est pas plus sûr, au contraire, que lorsque deux blocs de force à peu près comparable s'affrontaient, se neutralisaient et tenaient en mains leur satellites. 1992-1999: Eltsine au pouvoir. Le nouvel homme fort de la Russie est né dans les environs de Sverdlovsk (Ekaterinbourg). Porté sur l'alcool, il lui arrive de se rendre à des réunion en état d'ivresse, ce qui le rend peu propre à remplir correctement sa fonction. Il commence par libérer les prix, ce qui entraîne une forte inflation. La privatisation des entreprises, conçue pourtant comme la distribution au peuple de la propriété collective, revient en réalité à faire passer cette propriété aux mains de quelques-uns, pour la plupart issus de l'ancienne Nomenklatura communiste, c'est-à-dire des carriéristes du parti dissout. La corruption se généralise et monte jusqu'à un niveau jamais atteint au temps du régime communiste. La famille et les proches d'Eltsine en bénéficient. Les mafias florissent, c'est leur âge d'or, des fortunes colossales s'édifient et, ce qui est plus grave, une partie de cet argent est exporté à l'étranger, les nouveaux riches n'ayant qu'une confiance limitée en la pérennité du régime. Les logements bâtis, pendant la période 1950-1960, malgré leurs défauts, sont la proie des promoteurs immobiliers, au détriment des personnes âgées dépourvues de moyens financiers. Eltsine se montre accommodant avec les Occidentaux; il ouvre les portes de la Russie aux capitaux étrangers; des entreprises s'y installent, attirées par le mirage de gains miraculeux; il leur faut rapidement déchanter car rien n'est possible, dans la nouvelle Russie, sans cotiser aux mafias; celles-ci rançonnent et, au besoin, tuent les récalcitrants. Parallèlement, beaucoup d'entreprises russes, fleurons du régime communiste, sont condamnées à fermer leurs portes par manque de compétitivité. La brutalité de la transition économique entraîne une hausse du chômage inconnu en URSS et une baisse du pouvoir d'achat qui accroît la misère, réduit l'espérance de vie et cause de nombreux suicides. La population russe s'effondre à telle enseigne que l'on parle de génocide culturel. La revue The Lancet constate une corrélation entre les privatisations et ce recul de la population russe. Une forte immigration des républiques de l'ex-Union soviétique vers la Russie ne suffit pas à comble le déficit. La présence de l'arsenal atomique soviétique, dans la situation de la Russie, inquiète justement le reste du monde : dans le meilleur des cas, il risque de pourrir sur place, libérant des éléments dangereusement radioactifs et, dans le pire des cas, les mafias vont s'en emparer et le disséminer dans on ne sait trop quelles mains, pour retirer des profits de sa vente. La CEI, qui devait remplacer l'URSS, ne tient pas ses promesses. L'Ukraine est divisée, sa partie est et la Crimée restant profondément russophiles. Les Pays baltes, qui n'ont pas voulu faire partie de la CEI, adhérent à l'Union européenne. Dans certains de ces pays, les Russes sont traités en citoyens de seconde zone; les anciens combattants de l'Armée rouge sont persécutés et on élève des monuments à la gloire des anciens SS. Une guerre éclate entre les russophones de Transnistrie, soutenue par la Russie, et la Moldavie; pendant l'ère soviétique, les ressortissants deTransnitrie ont été favorisés par le régime au détriment des autres Moldaves, notamment les roumanophones de Bessarabie entrés seulement en 1940 dans le giron de l'URSS. Eltsine cesse de commémorer l'anniversaire
de la Révolution d'octobre; il remplace le drapeau rouge par le
drapeau tricolore de l'ancienne Russie, l'étoile par l'aigle à
deux têtes et l'hymne soviétique par un hymne russe inspiré
de la Chanson patriotique de Glinka. Il amplifie la restauration,
déjà en cours depuis longtemps, de l'Église orthodoxe
russe et réhabilite le dernier tsar, qui devient un saint de cette
église.
Cependant le communisme ne sera jamais jugé. D'ailleurs le pourrait-on? Dans la pensée russe, le passé n'appartient pas à ceux qui vivent aujourd'hui : il se situe dans le temps de Dieu qui n'est pas celui des hommes Ces mesures, et le désordre qui en découle, suscitent un résistance politique et la création de mouvements nostalgiques de l'URSS. Un nouveau parti communiste russe est créé tandis qu'un parti ultra-nationaliste voit le jour et qu'un regain de racisme menace les minorités. En résumé, la disparition de l'URSS et la privatisation de l'économie entraînent un chaos économique, la faillite de certaines entreprises et du chômage. Des fortunes colossales s'édifient tandis que la majeure partie de la population est plongée dans la misère et la précarité. L'espérance de vie diminue et le nombre d'habitants de la Russie commence à décliner, à tel point que des experts estiment qu'elle sera moins peuplée que la France au milieu du 21ème siècle, si rien n'arrête ce déclin. L'accession à l'indépendance de l'Ukraine et des républiques caucasiennes, soutenue par les puissances occidentales, remet en cause la progression traditionnelle de la Russie en direction des mers chaudes et menace même la sécurité de ses approvisionnements en hydrocarbures. Cette nouvelle source de conflits peut être considérée comme le prolongement logique des efforts passés de l'Occident pour enfermer la Russie dans un espace purement continental peu propice au développement de la démocratie que l'Ouest prétend pourtant souhaiter. L'effondrement soudain de ce que l'on pensait être un colosse discrédite les idées de gauche et déstabilise leurs partisans. Il frappe d'étonnement les chancelleries occidentales qui ne l'avaient pas prévu aussi rapide. En même temps, si certains s'en réjouissent, beaucoup s'en inquiètent aussi, ne serait-ce qu'à cause de la menace que ferait peser sur la planète l'arsenal nucléaire soviétique s'il venait à tomber entre des mains irresponsables. Au plan international, la disparition de l'URSS
consacre la fin d'un certain équilibre, celui de la terreur, par
le triomphe du libéralisme économique. Une ère nouvelle
s'ouvre qui, pour certains, débouche sur la fin de l'histoire et
des conflits, tandis que d'autres, peu nombreux, il est vrai, craignent
que l'idéologie libérale devenue dominante ne verse dans
les excès. Le monde est-il plus sûr qu'avant, et plus juste?
Les années qui suivent répondent à cette question.
Le 7 mai 1992, la Russie demande à faire partie du Conseil de l'Europe. Il en résulte une tension au sein de cet organisme entre la volonté d'y admettre un État au poids politique important et le fait du non respect par ce même État de certaines valeurs démocratiques fondamentales. George Bush et Eltsine s'entendent sur une réduction des 2/3 de leur arsenal nucléaire. Eltsine renonce à la course aux armements et privilégie l'armée conventionnelle. Le vice-président de la Russie, Alexandre Rouskoï, et le président du Parlement, Rouslan Khasboulatov, prennent leurs distances avec Eltsine. Ce dernier souhaite doter la CEI d'une défense conventionnelle unifiée, mais la Moldavie et l'Azerbaïdjan s'y opposent. Eltsine passe outre aux oppositions, d'où une crise qui menace temporairement l'unité de la Fédération de Russie. La construction d'un quartier des affaires à Moscou est décidée. 1993: La crise avec le parlement Le Parlement envisage la destitution d'Eltsine. Mais une consultation populaire, qui montre que l'opinion lui est toujours favorable, fait reculer les députés. Eltsine élabore un projet de nouvelle constitution au moment où il doit faire face à une nouvelle crise lorsque la Banque centrale de Russie retire les roubles émis avant 1993. Il dissout le Parlement qui réplique à son tour en le destituant. Les parlementaires s'enferment dans l'édifice du Parlement entouré par leurs partisans. Eltsine fait donner l'assaut à l'édifice. Officiellement, il y a eu 123 morts, mais on pense qu'il y en eut beaucoup plus; certains parlent de 1500 victimes. Routskoï et Khasboulatov sont emprisonnés; une vague d'arrestations, qui frappe particulièrement les Caucasiens, s'abat sur leurs partisans. L'Occident se réjouit de ce coût d'État. La nouvelle constitution, qui renforce les pouvoirs du président, est approuvée par 58,4 % des votants, mais à peine plus de la moitié des électeurs inscrits se sont déplacés pour voter. Aux élections du nouveau Parlement, c'est le mouvement ultra-nationaliste dirigé par Jirinovski qui arrive en tête. L'accord START II prévoit la réduction des armes stratégiques. La première guerre de Tchétchénie 1994: Devant la montée du mécontentement, Gaïdar est évincé du pouvoir, au profit de Tchernomyrdine, plus conservateur. La première guerre de Tchétchénie, entraîne la suspension des négociations relatives à l'entrée de la Russie au Conseil de l'Europe. Cette gerre est motivée par la déclaration d'indépendance de la petite République musulmane de Tchétchénie-Ingouchie dont le président, Doudaïev, proclame la séparation d'avec la Fédération de Russie, sécession qui menace les approvisionnements russes en pétrole provenant de la Caspienne. En tournant au fiasco, elle met en évidence les carences de l'armée russe; Par ailleurs, l'indépendance de la Tchétchénie serait grosse de conséquences catastrophiques pour la Russie, une fédération qui comporte plus de cent ethnies! Il est probable que les États-Unis, intéressés aussi par ce pétrole, ne sont pas totalement étrangers à l'imprudente décision de Doudaïev. La situation économique et sociale de
la Russie continue de se dégrader. Les salariés de plusieurs
entreprises ne sont même plus payés! La mortalité augmente
de 18%; les gens ne peuvent plus se soigner, faute d'argent, et beaucoup
de personnes, réduites au désespoir, sombrent dans l'alcool
et dans la drogue.
1995: aux élections législatives, le Parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR) devient le premier parti et remporte 157 sièges. La piscine à l'emplacement de la cathédrale du Saint-Sauveur de Moscou est démontée pour laisser la place à un nouvel édifice religieux qui sera consacré en l'an 2000. Le 20 décembre 1995, le principe de l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe est admis sans condition, malgré les reproches qui continuent à lui être adessés, afin d'oeuvrer pour le maintien de la stabilité démocratique et de la sécurité en Europe. 1996: au second tour des élections présidentielles, Ziouganov, leader du PCFR remporte 40,3 % des suffrages. Eltsine est réélu, mais des observateurs estiment qu'il ne doit sa victoire qu'à la fraude et que Ziouganov le devançait. Berezovski, un mathématicien de formation devenu un riche homme d'affaires, grâce à la corruption qui lui a permis de mettre la main sur une partie des dépouilles des entreprises publiques de l'ex-URSS, et les autres nouveaux riches, se sont mobilisés pour assurer la réélection de leur homme lige. Un accord de paix intervient en Tchétchénie. Moyennant le report de l'indépendance, l'autonomie de facto de la petite république est reconnue. La charia y devient la source du droit. Le groupe de Shanghai, auquel adhèrent la Chine, la Russie et les républiques d'Asie centrale ex-soviétiques est créé pour lutter contre le terrorisme islamique. En cours d'année, Eltsine doit subir un quintuple pontage coronarien. Malade, le président sera de moins en moins apte à diriger son pays. Des membres de sa famille et de l'oligarchie vont exercer la réalité du pouvoir. 1997: par un accord franco-russe, signé le 27 mai, les gouvernements français et russe renoncent mutuellement à leurs réclamations respectives concernant la dette. Toutefois cet accord, qui s'est traduit par une indemnisation des porteurs d'emprunts russes, n'éteint pas complètement les droits des créanciers. 1998: une grave crise financière secoue la Russie : le rouble est dévalué (de moitié!) et le pays s'avère être dans l'impossibilité de faire face aux échéances de ses emprunts dont les intérêts sont très élevés. Cinq Premiers ministres vont se succéder en moins de deux ans. Le dernier sera Poutine. La Russie est menacée de désagrégation, après l'URSS. Les Russes sont fatigués d'une réalité post-soviétique décevante, génératrice de privations pour le plus grand nombre, qui semble entraîner inéluctablement leur pays parmi ceux du Tiers monde. Le regard qu'ils portent sur les changements intervenus s'éloigne de plus en plus de celui de l'Occident ce qui conduira inévitablement à une incompréhension réciproque. Le rêve d'une réintégration de la Russie dans le concert des nations européennes que partageaient de nombreux Russes est sérieusement écorné. Le 17 juillet, les restes de la famille impériale russe sont solennellement inhumés à Saint-Pétersbourg en présence du président de la Fédération de Russie (une remarque: dans l'énumération des personnes retrouvées, il manque un nom: Anastasia) . Eltsine avait pourtant fait raser la maison Ipatiev, où ils avaient été massacrés, pour éviter qu'elle ne devienne un lieu de pèlerinage, lorsqu'il était encore un responsable communiste de Sverdlovsk (Ekaterinbourg). Beaucoup de personnes, même dans l'Église orthodoxe, doutent de l'authenticité des restes qui reposent aujourd'hui dans la cathédrale Pierre et Paul, d'abord en raison des conditions suspectes de leur découverte, ensuite parce que deux corps sont manquant, ceux du tsarévitch et d'Anastasia, aussi parce que les analyses génétiques sont contradictoires et peu probantes, enfin parce que les dentitions de certaines victimes ne correspondent pas à ce que l'on sait des traitements qu'elles ont subis. Bref, on peut soupçonner le pouvoir de l'époque d'avoir manipulé l'opinion afin de couvrir du voile définitif de l'oubli le mystère de la fin des Romanov. 1999: au printemps, un scandale de corruption menace l'entourage d'Eltsine; le procureur général de la Russie, Skouratov, enquête sur les malversations commises par certains de ses membres; pour discréditer ce magistrat, une vidéo à caractère sexuel, où il apparaît entouré de jeunes femmes lui prodiguant leurs faveurs, est jetée en pâture à l'opinion publique. En mars, l'OTAN attaque la Yougoslavie. L'opinion russe est choquée; même les pro-Occidentaux se mettent à douter des principes libéraux de ceux qui se permettent, en temps de paix, de bombarder la capitale d'un pays européen; bien peu de gens en Russie pensent que le vrai motif soit d'éviter une catastrophe humanitaire au Kosovo. Le 12 mars 1999, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne intègrent l'OTAN, malgré les protestations de Moscou. La situation politique se dégrade en Russie pour la famille Eltsine et le clan des oligarques qui la soutiennent. L'opposition monte dans les sondages et la prochaine présidentielle apparaît de moins en moins gagnable par leurs partisans. Ceux-ci savent, qu'en cas d'échec, leur situation deviendra périlleuse. Il faut trouver d'urgence un candidat capable de donner le change auprès de l'opinion et de la retourner mais qui soit assez effacé pour accepter le contrôle des maîtres du pouvoir qui veulent à tout prix le conserver. L'accord se fait sur le dirigeant du FSB, qui a succédé au KGB, un certain Vladimir Poutine, fonctionnaire consciencieux et efficace qui semble dépourvu de toute ambition. Berezovski vient à toute hâte en France, où Poutine et sa famille sont en vacances, pour lui proposer le marché. Après mûres réflexions, Poutine accepte. En août, il est nommé président du gouvernement (Premier ministre). La première étape est franchie. Seconde guerre de Tchétchénie Trois mille terroristes tchétchènes et jordaniens entrent sur le territoire du Daghestan, voisin de la Tchétchénie, pour y instaurer une république islamique. S'ils y parvenaient, ils pourraient couper les approvisionnement en hydrocarbures de la Russie en provenance d'Azerbaïdjan. Une nouvelle guerre commence. Des attentats sont commis à Moscou et dans d'autres villes de Russie. L'opinion russe, qui n'a pas appuyé la première guerre de Tchétchénie, se montre favorable à une nouvelle intervention pour anéantir la menace tchétchène. Cette seconde guerre sera plus longue et plus meurtrière que la première mais l'armée russe finira par la gagner. Le 31 décembre, Eltsine démissionne, sous la pression de sa fille, et désigne Poutine comme successeur. Ce dernier annonce son programme: rendre à la Russie sa place légitime dans le monde, parmi les premiers. C'est exactement ce qu'attendait l'opinion publique russe. La seconde étape est en train de réussir. Eltsine était-il partisan de l'abaissement de la Russie? Probablement pas. Mais il espérait sans doute que les autres grands l'admettraient à leur table en égal. Pour son successeur, il y a été admis en vaincu sur un strapontin, et il n'est pas question pour lui de continuer à jouer ce rôle humiliant. En premier lieu, des changements importants ont lieu en Tchétchénie; jusqu'alors, Eltsine donnait des ordres verbalement, ce qui lui permettait ensuite d'éluder ses responsabilités au détriment des généraux; Poutine assume sa vision de la guerre en l'exposant directement auprès de l'opinion publique; l'armée, se sentant soutenue, va retrouver une vigueur accrue. En second lieu, Poutine réussit le tour de force de faire gagner les élections législatives à un parti de circonstance, sans programme politique autre que de le faire élire président, et qui vient tout juste d'être créé. L'opposition reflue et la présidentielle paraît à nouveau gagnable pour la famille Eltsine et ses soutiens. L'époque d'Eltsine fut particulièrement calamiteuse pour la Russie et la majorité des Russes jugent sévèrement sa gestion. En 2012, sa statue à Ekaterinbourg a été vandalisée par des inconnus. Une fois de plus, l'expérience de la Russie montre que l'économie de marché et le système capitaliste supposent, pour fonctionner normalement, une morale et des structures étatiques solides. Autrement, la dérive vers la criminalité devient la conséquence fatale d'un esprit de lucre exacerbé. Sous Eltsine le rôle international de la Russie s'est considérablement réduit. Elle n'est pas intervenue dans la crise yougoslave qui ensanglanta les Balkans pourtant situés dans sa sphère d'influence traditionnelle, pas plus qu'elle n'a eu son mot à dire, un peu plus tôt, lors de la première guerre d'Irak. Slavophile, Soljenitsyne, qui est rentré dans sa patrie à la faveur de la disparition de l'URSS, ne cache pas sa réprobation de l'orientation prise par le nouveau régime, trop enclin selon lui à négliger les valeurs russes traditionnelles au profit du matérialisme occidental. Pourtant, cette période ne fut pas complètement négative; la liberté d'expression a permis à une presse nouvelle de s'épanouir tandis que les milieux artistiques se renouvelaient et redécouvraient des oeuvres d'artistes et d'auteurs russes longtemps tenues sous le boisseau (celles par exemple de Mandelstam, Nabokov, Bounine, Kandinsky...). Une nouvelle bourgeoisie, issue en grande partie de la Nomenklatura communiste, a vu le jour et elle aspire à exercer le pouvoir politique, maintenant qu'elle détient le pouvoir économique. Un nouveau type de conflit est donc en germe dans la société russe entre le monde des affaires et celui de la politique. 2000-2008: le redressement sous les deux premiers mandats de Poutine Vladimir Poutine, natif de Leningrad (Saint-Pétersbourg) est un ancien du KGB et du FSB. Il aurait été mêlé à l'affaire de la vidéo à caractère sexuel diffusée pour discréditer Skouratov. Eltsine le place à la tête du gouvernement, puis en fait son successeur, sur les instances de sa famille qui souhaite protéger ses intérêts plus ou moins honnêtement acquis. Le futur nouveau président s'engage à leur assurer l'impunité, engagement qui sera tenu. Les nouveaux milliardaires, on l'a vu, ont joué également un rôle dans l'ascension de cet ancien fonctionnaire qu'ils espèrent favorable à leur fortune. Le nouveau président de la Russie, aidé par une hausse des cours du pétrole, du gaz et des matières premières, restaure l'économie russe. Il accroît ses pouvoirs, gouverne de manière autoritaire, dans la tradition russe, et met au pas les oligarques, soutenus par les pays occidentaux, qui se sont enrichis sous Eltsine, surtout ceux qui lui font politiquement de l'ombre. Ses maîtres mots sont: établir la dictature du droit, reconstruire la verticale du pouvoir, rendre à la Russie sa place parmi les nations. On l'accuse d'être à l'origine de certains attentats, pour accroître sa popularité, et de se débarrasser des opposants, journalistes ou autres, en les faisant assassiner. Il s'efforce de contenir les tendances nationalistes des ethnies minoritaires (plus de cent) qui menacent l'unité de la Fédération et réduit la rébellion tchétchène. Il renforce le poids de l'armée et des services de sécurité dont il est issu. Il réhabilite symboliquement l'Union soviétique en reprenant son hymne avec de nouvelles paroles. Ce nouveau cours politique est bien accueilli par la majorité de la population russe. Dès le début de son mandat, le nouveau président prend une série d'importantes mesures financières et économiques parfois inspirées du conservatisme américain (réforme fiscale visant à limiter la fraude et la corruption grâce à un impôt sur le revenu à taux unique de 13% (flat tax), réforme foncière autorisant la vente des terres, réduction du contrôle bureaucratique des entreprises, ouverture du fret ferroviaire à la concurrence, réforme des retraites en introduisant la capitalisation). On assiste à un redressement de la courbe démographie obtenu grâce à une politique familiale incitative. 2000: Poutine est élu président de Russie avec 52,52% des suffrages, contre 29,2% à Ziouganov. Désormais élu du peuple, Poutine estime n'avoir plus à tenir compte des souhaits de la famille Eltsine et des oligarques. La famille ne sera pas inquiétée mais à condition de disparaître dans l'anonymat. Les oligarques pourront continuer de jouir des biens qu'ils ont plus ou moins honnêtement acquis à condition de le laisser gouverne comme il l'entend et, pour remettre ceux qui seraient tentés de l'entraver, il dispose de nombreux dossiers constitués alors qu'il était à la tête du FSB: assez pour faire condamner les récalcitrants à de lourdes peines de camp de travail. Le K-141 "Koursk", un sous-marin nucléaire lanceur de missiles de croisière fait naufrage dans des circonstances non élucidées; la marine d'autres pays pourrait être impliquée dans ce tragique accident. Le 14 août 2000, l'Église orthodoxe
canonise les membres de la famille impériale assassinés en
1918. Nicolas II s'inscrit ainsi dans la tradition russe des Souffre-passion,
qui acceptent leur destin tragique pour leur salut et le bien de tous,
comme les princes Boris et Gleb. Sur le lieu de la maison Ipatiev, où
la famille impériale fut massacrée, on commence l'édification
d'une "Cathédrale sur le sang versé" qui rappelle celle qui
fut construite sur le lieu de l'attentat qui tua l'empereur Alexandre II.
2001: l'attentat du 11 septembre ramène la Russie sur la scène internationale. Elle devient un acteur majeur de la lutte contre le terrorisme et retrouve sa place pour la solution des dossiers complexes (Palestine, Corée du Nord, Iran). Les États-Unis se retirent unilatéralement du traité ABM sur les missiles antibalistiques. C'est un premier coup de canif dans l'ensemble du dispositif qui régit l'équilibre mondial. 2002: un commando tchétchène prend des otages dans un théâtre de Moscou; une tentative de libération mal gérée s'achève en massacre. Les terres sont privatisées. 2003: Mikhaïl Khodorkovski, qui était en négociation avec des Américains pour leur vendre l'entreprise de pétrole russe Ioukos, une des premières du monde, acquise lors de la privatisation dans des conditions douteuses, est arrêté à Novossibirsk. Le gouvernement russe gèle 44% des actions de Ioukos pour empêcher sa vente. Berezovski, un autre oligarque, soupçonné de trafics avec les rebelles pendant la première guerre de Tchétchénie, devenu un opposant politique de Poutine après l'avoir soutenu, est poursuivi pour fraude et évasion fiscale; il se réfugie en Angleterre. Goussinski, autre oligarque enrichi sous Eltsine, magnat des médias russes, poursuivi pour fraude, ne doit son salut qu'à de fortes pressions des États-Unis et à son départ en Israël; son éviction contribue à renforcer le contrôle de l'État sur les médias. D'autres oligarques échappent aux poursuites en mettant leur fortune au service de la Russie et en rejoignant le camp de Poutine. Poutine et le chancelier allemand Schroeder inaugurent en grande pompe la chambre d'ambre rénovée de Tsarskoïe Selo dans le cadre de la célébration du tricentenaire de Saint-Pétersbourg. Cette année là est aussi celle de l'invasion de l'Irak par les États-Unis de George W. Bush. La France et l'Allemagne s'y sont opposées et la Russie pourrait espérer une ouverture du côté de l'Union européenne. Mais cet espoir, s'il a eu lieu, ne pouvait qu'être déçu compte tenu du mode de fonctionnement de l'UE et de sa soumission à des dogmes inadaptés aux exigences de la diplomatie. La méfiance de Poutine en est renforcée: la Russie n'a des chances d'obtenir son dû qu'à partir d'une position de force! Enfin, toujours en 2003, la révolution des roses, amène au pouvoir en Géorgie un adversaire de Moscou, sur fond d'ingérence américaine: le mouvement aurait été financé par le milliardaire américain Georges Soros, et les opposants se seraient inspirés de l'ouvrage largement distribué, "Comment renverser un dictateur" de l'auteur américain Gene Sharp. (Voir ici) 2004: Khodorkovski est condamné pour vol par escroquerie et évasion fiscale. Le 29 mars, les Pays baltes sont intégrés à l'OTAN. Cette fois, ce sont d'anciens territoires de l'URSS qui adhèrent à un pacte orienté contre la Russie! La Bulgarie, La Roumanie, la Slovaquie prennent le même chemin. C'est est fini du glacis de protection érigé par Staline à l'Ouest! La Russie se sent à nouveau menacée. Poutine est réélu président de Russie avec 71,2% des voix devant le candidat du Parti communiste. Les gouverneurs de région cessent d'être élus et sont dorénavant nommés par le Kremlin. Une prise d'otages par les séparatistes tchétchènes, à Beslan, en Ossétie du Nord, se termine en massacre; cette tragédie donne à Poutine l'occasion d'exprimer sa pensée dans un discours qui mérite d'être rappelé car il s'adresse à l'Occident aussi bien qu'aux terroristes: "Nous avons fait preuve de faiblesse, or les faibles sont toujours battus!". Il ne s'agit pas d'ailleurs de revendications territoriales, mais plutôt de la place qui doit être celle de la Russie dans l'arêne internationale et, pour cela, il faut renforcer les instances intérieures du pays. Poutine accélère donc les réformes politiques et administratives en cours depuis plusieurs années pour rendre le pouvoir plus concentré, plus efficace et bien entre les mains du président (verticale du pouvoir). Cette crainte de se montrer trop faible face à un ennemi qui menace de partout n'est pas nouvelle en Russie. C'est au contraire une des tendances lourdes de son histoire. C'est elle qui poussa les tsars à repousser les frontières et Staline à protéger l'Union soviétique de l'encerclement capitaliste en la dotant d'un glacis d'Etats satellites après la Seconde Guerre mondiale. D'anciennes cartes ne montraient-elles pas l'empire russe devenu socialiste comme une citadelle assiégée entourée d'ennemis? La révolution Orange en Ukraine, qui porte à la tête de ce pays un adversaire de la Russie qui réhabilite Bandera, après celle des roses en Géorgie, et l'adhésion des Pays baltes à l'OTAN, ne peut que renforcer l'idée que l'Occident poursuit une politique expansionniste au détriment des intérêts russes. 2005: un projet de monétisation des avantages en nature hérités de l'ère soviétique soulève un tollé populaire. Poutine met l'accent sur l'importance du gaz, dont la Russie est le premier producteur mondial, comme levier d'influence économique et politique sur le reste de la planète. La Russie a les moyens de peser sur l'Ukraine et la Biélorussie, mais également sur les pays de l'Union européenne. La cathédrale de Kazan est rendue au culte. Poutine émet l'idée d'un monopole d'État sur la vente de l'alcool pour lutter contre l'alcoolisme qui est toujours un fléau de la Russie. 2006: Alexandre Litvinenko, un proche de Berezovski, également réfugié en Angleterre, décède à Londres par suite d'un empoisonnement au polonium. Entre 2001 et 2006, la croissance a atteint le rythme annuel de 7%; le rouble est rendu convertible; l'excédent de la balance commercial russe s'élève à 68 milliards de dollars; les réserves de change de la Russie sont les troisièmes du monde. La Russie exporte enfin des céréales. 2007: Poutine hausse le ton face aux projets américains d'installation d'armes balistiques en Pologne et en République tchèque, qu'il juge contraires aux promesses faites à Gorbatchev. Il menace de pointer de nouveaux missiles Iskander vers l'Europe de l'Est et d'installer des armes nucléaires dans l'enclave de Kaliningrad. L'application du traité sur les forces conventionnelles en Europe est suspendue par la Russie (les membres de l'OTAN ne l'ont jamais respecté). La châsse contenant les reliques d'Alexande Nevsky est transportée à la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou. 2007: la liste du parti Russie unie, soutenue par Poutine, remporte les élections législatives, réalisées pour la première fois au scrutin proportionnel, avec 64% des voix. Des irrégularités ont pu être commises mais la popularité du président laissait présager cette victoire. Gerhard Shröder met en garde les Occidentaux contre les erreurs commises par ceux qui dénoncent les dérives autoritaires de Poutine et le passage à une démocratie administrée. D'après lui, Poutine a le grand mérite d'avoir substantiellement amélioré le niveau de vie des Russes et rétabli l'État ainsi que celui d'avoir engagé la Russie dans la voie de la stabilité et de la fiabilité en tant que partenaire. Il est vrai que l'ancien chancelier allemand est président du Conseil du consortium gazier germano-russe. Time Magazine décerne à Poutine le titre de Personnalité de l'année. 2008: Au sommet de l'OTAN, à Bucarest, Poutine s'oppose à l'élargissement de cet organisme à l'Ukraine et à la Géorgie. Il prend la tête du parti Russie unie à la fin de son second mandat. Vladimir Poutine a restauré l'économie russe et renforcé les pouvoirs de l'État en mettant au pas les oligarques qui contestaient son autorité. Il a redonné à la Russie les moyens de jouer à nouveau un rôle important dans l'arène internationale. Toutefois, ces progrès resteront fragiles tant que la Russie dépendra essentiellement de ses ressources en hydrocarbures. 2008-2012: le mandat de Medvedev Poutine ne pouvant pas briguer un troisième mandat, désigne Dmitri Medvedev pour lui succéder. Celui-ci poursuit la politique de Poutine dans son style personnel en mettant l'accent sur la technologie. Il est considéré comme l'un des chefs de file de l'aile libérale du Kremlin, par opposition aux siloviki (armée, police, sécurité) sur lesqels s'appuyait Poutine. Le style différent des deux hommes amènera parfois certains commentateurs occidentaux à déceler une mésentente entre les deux têtes de l'exécutif russe. Mais c'est Poutine qui a toujours le dernier mot. 2008: Dmitri Medvedev, vainqueur de l'élection présidentielle, avec 70,28 % des voix, nomme Poutine chef du gouvernement. Cette nomination est entérinée par la Douma d'État. La crise mondiale se répercute en Russie qui doit absorber coup sur coup trois chocs: la baisse du commerce extérieur, le reflux des capitaux et le gel des emprunts, l'effondrement de la bourse. Le taux de croissance de l'économie devient négatif. Mais le pays se ressaisit rapidement. Le conflit russo-géorgien Dans le courant de l'été, la Géorgie lance une attaque contre l'Ossétie du sud dont une importante partie de la population souhaite accéder à l'indépendance et se rapprocher de la Russie. L'Ossétie du sud à été rattachée à la Géorgie par Staline, à la condition que son particularisme serait respecté (les Ossètes descendent des anciens Alains), exigence que le nouveau pouvoir de Tbilissi refuse d'appliquer. Des casques bleus de la CEI, essentiellement russes, séparent les factions antagonistes. L'attaque de la Géorgie menace la sécurité de ces casques bleus. L'armée russe accourt à la riposte, refoule brutalement les Géorgiens et menace directement leur pays. L'aide américaine, que la Géorgie espérait, ne vient pas et le gouvernement de Tbilissi doit reconnaître sa défaite. L'Ossétie et l'Abkhazie, une autre région de Géorgie travaillée par le séparatisme, proclament leur indépendance, aussitôt reconnue par la Russie. Les Occidentaux, qui ont favorisé quelques temps plus tôt la séparation du Kossovo d'avec la Serbie, sont mal placés pour se présenter comme les défenseurs de l'intangibilité des frontières. En Crimée, rattachée à l'Ukraine par Staline, les Russes, qui sont majoritaires, laissent éclater leur joie en espérant que la Russie ne les laissera pas tomber, le moment venu de se séparer de l'Ukraine. Il apparaît que l'intervention militaire russe en Ossétie n'avait rien de spontané et qu'elle était planifiée depuis au moins deux ans. Le conflit russo-géorgien a entraîné une fuite de capitaux de Russie. Des mesures sont prises pour renforcer le système financier russe: recapitalisation des banques, en particulier. D'autres mesures visent à protéger la production agricole et industrielle intérieure (augmentation des droits frappant les importations), à soutenir l'aide sociale, l'industrie, l'innovation et le secteur financier. Le budget triennal fédéral 2008-2010 donne la priorité au relèvement du niveau de vie des Russes: les salaires devraient augmenter de 1,5 fois et les retraites doubler. La durée du mandat présidentiel est portée de 4 à 6 ans dans la perspective d'un nouveau mandat de Poutine. Alexandre Nevsky est désigné comme le Russe le plus populaire de l'histoire de Russie devant Piotr Stolypine et Joseph Staline. La justice russe réhabilite officiellement Nicolas II. 2009: un décret signé par Medvedev réforme la fonction publique dans le cadre de la lutte contre la corruption. Le président modifie le mode de désignation du président de la Cour constitutionnelle qui, au lieu d'être élu par les juges, sera dorénavant proposé au Parlement par le président. Il crée une Commission pour contrer les tentatives de falsification de l'histoire au détriment de la Russie. Il déclare l'innovation technologique une de ses priorités et crée une Commission ad hoc. Il se déclare partisan d'une privatisation des grandes entreprises d'État. Le chef du gouvernement russe visite la France et signe des accords commerciaux dans les domaines de l'énergie, de la défense et de l'automobile. Les élections locales sont remportées par Russie unie avec 66% des voix. Staline est à nouveau à l'honneur dans le métro de Moscou. A la station Kourskaïa, rénovée comme elle était à l'origine, une plaque à la gloire de Staline a été réinstallée. Il ne manque que sa statue qui n'a pas été retrouvée. 2010: la Banque mondiale estime que les pertes russes résultant de la crise sont moindres qu'elle ne les avait prévues. La croissance russe reste l'une des plus élevées des pays industriels. Des milliers de manifestants défilent dans plusieurs villes de Russie pour réclamer le départ de Poutine du gouvernement pour cause de hausse du coût de la vie. Un nouveau traité de désarmement nucléaire START est signé avec les États-Unis. Mais la Russie continue d'être réticente sur le dossier des sanctions contre l'Iran (énergie nucléaire). Des soldats américains, britanniques, français et polonais, défilent sur la Place Rouge, aux côtés des troupes de l'ex-URSS, à l'occasion de l'anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie. Le sommet de Deauville réunit Medvedev, Angela Merkel et Nicolas Sakozy sur l'épineux dossier du bouclier anti-missiles américain en Europe de l'Est. 2011: Medvedev propose la candidature de Poutine aux prochaines élections présidentielles. Poutine annonce, qu'en cas de victoire, Medvedev deviendra le chef du gouvernement. Les élections législatives voient Russie unie triompher, mais avec seulement 49,32% des voix, soit 15 points de moins qu'en 2007. De plus des manifestations ont lieu pour dénoncer la fraude. En n'exerçant pas son droit de veto au Conseil de Sécurité de l'ONU, la Russie (avec la Chine) autorise les pays occidentaux à secourir les rebelles libyens menacés par Kadhafi. Les pays occidentaux interprètent de manière extensive cette autorisation et Kadhafi, chassé du pouvoir, est sommairement exécuté. 2012 Le nouveau mandat de Poutine 2012: Le 4 mars, Poutine est élu président pour six ans avec 63,6 % des voix dès le premier tour, devant le candidat du Parti communiste. Medvedev devient chef du gouvernement et président de Russie unie. La courbe démographique se dégrade à nouveau, malgré la politique familiale, en raison notamment du faible nombre de femmes en âge de procréer après l'effondrement démographique de l'époque Eltsine. La Russie, qui dispose d'une base navale en Syrie, refuse de condamner le régime de Bachar el-Assad menacé par à une révolte armée soutenue par les monarchies pétrolières arabes et les pays occidentaux. Poutine propose à l'Europe la négociation d'un traité de libre échange. Il se heurte à une fin de non recevoir et va s'efforcer de créer autour de la Russie un ensemble eurasiatique susceptible de faire contre poids à une Europe qui rejette à nouveau la Russie. Dans ces conditions, le projet européen de partenariat oriental, qui va tenter de rapprocher de l'Occident non seulement des pays géographiquement à l'ouest de l'ex-Union soviétique, comme la Biélorussie, l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, mais également des pays beaucoup plus éloignés, comme l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qui sont au surplus en situation conflictuelle, ne peut être considéré par Moscou que comme une nouvelle machine de guerre contre la Russie. Ce projet ne rencontrera d'ailleurs qu'un succès mitigé. Le 17 août, à la suite d'une exhibition jugée profanatoire (prière punk) dans la cathédrale du Saint Sauveur à Moscou, trois membres du groupe"Pussy riot", Ekaterina Samoutsevitch, Nadejda Tolokonnikova et Maria Alekhina, sont condamnées à deux ans d'emprisonnement en camp de travail pour vandalisme et incitation à la haine religieuse. La première sera libérée en septembre 2012, les deux autres en décembre 2013. Leur manifestation visait à dénoncer la connivence des autorités religieuses avec le pouvoir. En novembre, une loi est adoptée pour
obliger les ONG qui reçoivent de l'argent de l'extérieur
à se déclarer au ministère de la Justice en tant qu'agents
étrangers, une mention qui doit figurer sur leurs documents. Il
faut sans doute y voir une réaction du gouvernement russe à
la part prise par certaines ONG dans les révolutions oranges et
roses qui ont agité quelques ex-républiques soviétiques.
2013 - Poutine accorde un passeport russe à l'acteur française Depardieu, exilé fiscal. Berezovski est retrouvé mort dans sa maison; la cause suspecte de ce décès déclenche l'ouverture d'une enquête; le richissime homme d'affaires russe venait de perdre un procès portant sur 4,6 milliards d'euros contre son compatriote également exilé, Roman Abramovitch; il aurait écrit à Poutine pour lui demander l'autorisation de rentrer en Russie. Des manifestations contre Poutine se déroulent assez souvent dans les villes russes. Mais il convient de ne pas se laisser abuser par elles. Qu'est-ce qu'une foule de quelques milliers de manifestants dans un pays comme la Russie? Sans doute le président n'est-il plus aussi populaire qu'il l'a été, mais cela ne signifie pas que la majorité de la population l'a rejeté. Surtout ce ne sont pas les libéraux qui recueilleraient l'héritage s'il venait à disparaître. Les Russes se rappellent ce que leur coûta leur passage au pouvoir et les centaines de morts qu'entraîna l'assaut d'un parlement aussi démocratiquement élu que l'était Eltsine. L'opposition libérale ne rassemble certainement pas grand monde, en dehors d'une étroite sphère intellectuelle urbaine. Sur le plan international, même s'il serait exagéré de parler d'un retour de la Guerre froide, il n'en demeure pas moins que la Russie défend à nouveau des positions différentes de celles des Occidentaux dans beaucoup de domaines qui divisent le monde et qu'elle se montre, sur bien des points, plus proche de la Chine. Paradoxalement, l'échec de l'expérience soviétique a donné raison à Karl Marx contre Lénine et Staline : la Russie n'était pas mûre pour le socialisme et l'on ne pouvait en attendre... que ce qui s'est produit. La popularité de Poutine étonne souvent en Occident. Pour tenter de la comprendre, il faut se pencher sur l'image que le peuple russe s'est forgée au cours des siècles. Dans la tradition russe, le tsar assume le rôle de père nourricier, dès lors comment ne pas comprendre qu'un dirigeant, qui a permis aux moins bien lotis de manger à leur faim après des années de misère, jouisse d'une grande popularité. D'après Tamara Kondratieva (Alain Délétroz : Les cendres de l'empire), en Russie, le verbe pravit' signifie aussi bien gouverner que manger et le pouvoir est souvent qualifiée assez péjorativement de mangeoire. Ce qui restait de peine à purger par l'ancien homme d'affaires Khodorkovski vient de lui être remis pour raison humanitaire, sa mère étant malade. Il est libre sous réserve qu'il ne se mêle pas de politique. Fils d'ouvriers, le futur magnat du pétrole commença par se faire une place au sein de la jeunesse communiste. Il profita de la Perestroïka pour ouvrir un café, puis se lança dans l'importation et le commerce des ordinateurs personnels. La société soviétique étant alors loin d'être pauvre, grâce au marché noir et à diverses combines (ateliers clandestins, passe-droits, exportations illégales...), il profita de l'existence de deux monnaies, le rouble liquide, avec lequel étaient payés les salaires, et le rouble administratif, distribué par le Gosplan aux entreprises. Grâce à ses relations, pour faciliter la conversion des roubles administratifs en roubles liquides, il créa une banque, la Menatep, en utilisant les dispositions d'une loi imprudente, ce qui lui permis de brasser beaucoup d'argent de manière plus ou moins licite. En 1995, la Menatep fut choisie par le pouvoir pour privatiser la compagnie Ioukos qui exploitait des gisements pétroliers en Sibérie. Au lieu de procéder à une adjudication, la Menatep garda cette affaire pour elle et se l'appropria pour 350 millions de dollars. Deux ans plus tard, elle en valait 9 milliards! Khodorkovski en profita pour transférer une importante partie du magot à l'étranger. Il évinça ses partenaires de la privatisation, notamment la société américaine Amoco, qui fit ultérieurement faillite. Lié au crime organisé, on soupçonne Khodorkovski d'avoir fait assassiner certains de ses rivaux. La Menatep aurait participé au détournement des fonds prêtés par le FMI (4,8 milliards de dollars) pour renflouer la Russie qui s'enfonçaient dans la crise et la misère. Khodorkovski, devenu un grand du pétrole, se lança alors dans une opération de séduction en direction de l'Occident en appelant des Américains à siéger à son Conseil d'Administration et en créant des fondations dans lesquelles siégeaient des noms prestigieux comme Kissinger et Rotschild, au début du 21ème siècle. Poutine au pouvoir laissa entendre aux oligarques, enrichis sur le dos du peuple russe, qu'il fermerait les yeux sur les origines de leurs fortunes à condition qu'ils le laissent appliquer tranquillement sa politique. Mais tel n'était pas le souhait de Khodorkovski qui, au contraire, ne cachait pas ses ambitions présidentielles. C'est ce qui le perdit. Il y avait dans son dossier assez d'éléments à charge pour le faire tomber sous les coups de la justice. C'est sur la base de la fraude fiscale, comme Al Capone, qu'il fut condamné, en 2005, à 9 ans de camp de travail. D'autres chefs d'inculpation l'attendent s'il ne sait pas faire preuve de sagesse! En Occident, son arrestation fut considérée comme un acte arbitraire surtout guidé par des considérations politiques. Ce n'est pas inexact, mais notre homme, dont le cas est typique de ce qui se passait sous Eltsine, méritait probablement son sort compte tenu des dommages qu'il avait causés à son pays. Avec l'argent qu'il a détourné et placé à l'étranger, il pourra désormais vivre une retraite heureuse, s'il sait se faire oublier (Le Monde - 23 décembre). 2014 - Le président ukrainien Ianoukovitch ayant préféré le partenariat russe au partenariat européen, un mouvement populaire de l'ouest de l'Ukraine contre ce choix se transforme, après des jours d'affrontements et d'occupations de locaux administratifs, en émeutes sanglantes, encouragées par le soutien de l'Occident. Quatre-vingt personnes sont tuées dont quinze policiers. Le parlement destitue le président Ianoukovitch qui se réfugie en Russie. Cette destitution n'a pas respecté la constitution ukrainienne, celle-ci ne conférant pas un tel pouvoir au parlement. Le nouveau gouvernement qui s'installe à Kiev est reconnu par les États-Unis et l'Union européenne. Un des premiers actes des nouvelles autorités ukrainiennes consiste à priver les Russes du droit de parler leur langue maternelle; cette initiative est si extravagante que le président par intérim ne la ratifie pas. La Crimée, majoritairement peuplée de Russes, se sépare de l'Ukraine avec le soutien de Moscou qui estime que les nouvelles autorités de Kiev sont illégitimes. Cette séparation est validée par un référendum qui remporte un grand succès : 20% d'abstentions et 97% de suffrages favorables au rattachement de la presqu'île à la Russie (environ 77% de l'ensemble de la population de la Crimée); l'annonce des résultats est suivie par une liesse populaire de la majorité qui vit l'événement comme une libération et par la morosité des minorités ukrainiennes et tatars qui ont d'ailleurs boudé le scrutin. Des manifestations séparatistes agitent également les villes de l'est de l'Ukraine où les Russes sont majoritaires. Poutine s'empresse de rattacher la Crimée à la Russie avant même le vote du parlement russe. La situation ainsi créée entraîne la crise la plus grave que l'on ait connu depuis la disparition de l'URSS entre la Russie et un Occident qui prétend défendre des principes qu'il a lui-même violés à plusieurs reprises! Était-elle imprévisible? Non, les capitales occidentales ne pouvaient pas supposer que la Russie abandonnerait sans réagir des Russes à leur sort et laisserait le port de Sébastopol, berceau de la flotte russe de la Mer Noire, à la merci de gens qui lui sont ouvertement hostiles, et dont certains s'affichent franchement comme des admirateurs de Bandera, lequel se comporta en nazi entre 1941 et 1944. Était-elle inévitable? Non, pour cela, il eût suffi que les Occidentaux freinent les ardeurs des émeutiers ukrainiens et, dans l'hypothèse d'un rapprochement de l'Ukraine avec l'Union européenne, négocient avec Moscou des garanties assurant le respect des intérêts légitimes de la Russie; c'était possible puisque le pouvoir ukrainien contesté s'était mis d'accord avec l'opposition pour la réalisation d'élections anticipées; au lieu de cela, l'Union européenne et les États-Unis ont préféré choisir la voie de la confrontation en appuyant les contestataires extrémistes. En fait l'Occident, avec en flèche la Pologne et la Suède, adversaires traditionnels de la Russie, au lieu de poursuivre la politique d'endiguement, comme pendant la Guerre froide, a mis en oeuvre, depuis 1991, une politique d'expansion vers l'Est, ainsi qu'en témoignent l'intégration des Pays baltes à l'OTAN et les tentatives pour amener d'autres États de l'ex-Union soviétiques à suivre le même chemin, ceci au mépris des engagements pris avec Gorbatchev selon lesquels ces pays resteraient à l'écart de l'Organisation atlantique. Une telle politique, qui empiète sur la zone d'influence traditionnelle de la Russie, et touche à ses intérêts vitaux, notamment en Crimée, avec le port de Sébastopol, ne pouvait pas laisser celle-ci sans réaction. Pour ce qui concerne l'Ukraine, compte tenu de la situation des régions de l'est et du sud-est qui, depuis 1991, ont toujours massivement voté en faveur des partisans de la Russie, alors que l'ouest se prononçait invariablement pour un rapprochement avec l'Union européenne, la sagesse eût voulu que l'Occident soutienne une solution à la Suisse : la neutralité et une constitution fédérale permettant à chaque partie de préserver ses liens ancestraux ou de s'orienter vers de nouvelles alliances. Ainsi l'unité du pays eût-elle pu être préservée en faisant l'économie d'affrontements sanglants qui, quel qu'en soit le résultat, laisseront des fractures qui ne guériront pas de sitôt, ni facilement. Ce n'est malheureusement pas la solution de la sagesse qui a prévalu, mais celle de l'affrontement! Le 1er août est inauguré à Moscou un grand monument "Aux héros de la Première Guerre mondiale". Cette guerre, presque oubliée aux temps de l'URSS, retrouve sa place dans l'histoire russe, entre les deux guerres patriotiques, celle de 1812 et celle de 1941-1945. La Russie d'aujourd'hui réincorpore toute son histoire! 2015 - La Russie s'apprête à ériger
une statue, de 25 mètres de haut, de Vladimir le Grand, dit
le Soleil rouge, prince de Novgorod, puis grand-prince de Kiev, qui introduisit
l'orthodoxie en Russie. Cette initiative n'est politiquement pas innocente.
Elle rappelle que la principauté de Kiev fut le berceau de la Russie
qu'elle domina jusqu'à la deuxième moitié du 12ème
siècle, peu de temps avant l'invasion mongole (Le Monde - 24 juin).
(Pour Vladimir 1e Grand, voir
ici).
2016 - La participation de l'armée russe à la lutte contre l'État islamique (Daesh) en Syrie, et son engagement auprès des troupes régulières syriennes, a permis à ces dernières de reprendre l'offensive et de chasser les islamistes radicaux de Palmyre où ils ont commis d'importants dégâts (destruction du temple de Baal, de l'arc-de-triomphe, et de tombeaux). Moins de deux mois après la reprise de la ville par l'armée de Bachar el-Assad, le 5 mai 2016, l'orchestre de Saint-Pétersbourg célèbre cette victoire en jouant dans le Théâtre antique de l'ancienne cité meurtrie (20 minutes - 5 mai). Les autorités russes ont annoncé jeudi 12 mai la saisie des biens à l'étranger de Sergueï Pougatchev, un oligarque critique de Vladimir Poutine, accusé de faillite frauduleuse. Plusieurs des biens en France de cet oligarque sont désormais susceptibles d'être vendus, notamment un yacht et des propriétés dans le sud (Le Monde - 14 mai). D'après l'ex-responsable du laboratoire antidopage russe, aujourd'hui aux États-Unis, un système de dopage avec la participation du FSB aurait été mis en place pour améliorer les performances des athlètes russes lors des jeux de Sotchi (Le Monde - 14 mai). Des bruits de bottes inquiétants se font entendre à la frontière russe. Des manoeuvres navales de l'OTAN ont lieu dans la Baltique et en Pologne, avec survol d'avions russes au-dessus des eaux internationales, des missiles balistiques américains sont installés en Roumanie. Enfin, des personnalités occidentales font état d'un possible conflit armé contre la Russie. La Chine et la Russie ont commencé, le 12 septembre, et pour huit jours, un important exercice militaire en mer de Chine du Sud sur fond de tensions croissantes dans cette région convoitée par plusieurs puissances. L'objectif et d'améliorer la coordination entre les deux marines. Cet exercice annuel est le 5ème depuis 2012 (Le Monde 13 septembre). Une conférence musulmane vient de se tenir à Grozny, en Tchétchénie. Le communiqué final sous entend que le Wahabisme, religion d'État en Arabie saoudite, ne fait pas partie du sunnisme. Les Saoudiens voient dans cette initiative la marque de l'intervention grandissante de la Russie au Proche-Orient (Le Monde - 18-19 septembre). La République de Touva serait devenue une Colombie russe. La culture et le trafic de drogue y seraient florissants, ce qui n'irait pas sans causer des problèmes parmi la population, notamment au plan sanitaire. 2017 - Au cours d'une visite à Saint-Pétersbourg puis à Moscou, en juin et juillet, j'ai constaté qu'une certaine nostalgie de l'Union soviétique était perceptible à travers les propos de la plupart de nos guides. Même la personne de Staline semblait plus favorablement accueillie que l'on ne pourrait s'y attendre et le mythe de sa conversion à l'orthodoxie en 1943, comme le survol de Stalingrad par la Vierge de Kazan, ou celle de Smolensk, pendant la bataille m'ont été confirmés; il existerait, m'a affirmé notre guide moscovite, des témoignages irréfutables. En revanche, Gorbatchev paraît détesté. De retour en France, j'ai d'ailleurs lu dans la presse que, non seulement on ne déboulonne plus les statues de Staline, mais qu'on en érige de nouvelles à travers la Russie, y compris à Moscou. D'ailleurs un sondage d'opinion place Staline en tête, devant Poutine et Pouchkine deuxièmes ex-aequo, parmi les personnalités les plus remarquables. Jusqu'à la chute de l'Union soviétique, c'était Lénine qui était mis en avant. Aujourd'hui, on pourrait le croire oublié. Les Russes ne semblent plus se souvenir que de Staline.Voici ce que l'on pouvait lire aussi dans un article de l'Observateur daté du 24 décembre 2017: "Des académiciens russes se sont alarmés samedi 23 décembre de propos récents tenus par le chef des services de sécurité russes (FSB), Alexandre Bortnikov, sur les purges massives de Staline dans les années trente, y voyant une tentative de justification, la première depuis des décennies... Dans une interview accordée cette semaine au quotidien "Rossiiskaya Gazeta", Alexandre Bortnikov avait déclaré que les archives mettaient en évidence qu'une part significative des dossiers criminels de cette époque avaient objectivement un aspect criminel." La réhabilitation de Staline est-elle sur le point de prendre un caractère officiel? L'avenir nous le dira. On perçoit à travers les propos des Russes un certain mécontentement qui tient essentiellement à la répartition très inégalitaire des richesses; mais Poutine ne paraît pas être tenu pour responsable de cette situation mise au débit de Gorbatchev et d'Eltsine. (Le voyage de juin-juillet 2017 est ici). J'ai eu l'occasion de voir aussi la statue
de Vladimir le Grand, le Soleil rouge, qui introduisit l'orthodoxie en
Rus' de Kiev, à proximité
du Kremlin.
2018 - Le 18 mars, Vladimir Poutine est réélu président de la Fédération de Russie, dès le premier tour avec 76,7 % des voix. Il a reçu l'appui affirmé du patriarche orthodoxe Cyrille de Moscou. Une réforme contestée des retraites est adoptée par les députés russes. L'âge de départ à la retraite est porté de 55 à 60 ans pour les femmes et de 60 à 65 ans pour les hommes. L'espérance de vie étant de 66 ans en Russie, un grand nombre de ces derniers ne jouiront pas longtemps de leur retraite! Cette réforme, très contestée, fait chuter la popularité du pouvoir dans les sondages, et aussi dans les urnes où le parti présidentiel Russie unie subit un revers aux élections régionales, tout en restant majoritaire. Initiée par Medvedev, cette réforme a été amendée et adoucie par Poutine qui a notamment ramené l'âge de départ à la retraite des femmes, initialement prévu à 63 ans dans le projet, à 60 ans dans le texte voté (BMFTV - 26 septembre). Les États-Unis se retirent unilatéralement d'un important traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire signé en 1987 par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, sous le prétexte que la Russie ne le respecte pas. Cette dernière proteste (France info - 20 octobre). Le 15 décembre 2018, un concile orthodoxe de réunification entérine à Kiev la création d'une Église orthodoxe ukrainienne indépendante de l'Église russe. Cet événement, à portée pratique encore réduite, l'Eglise ukrainienne restée fidèle au Patriarcat de Moscou comptant le plus grand nombre de paroisses, n'en est pas moins très important en raison d'une possible érosion future de l'influence de l'orthodoxie russe. C'est une conséquence directe du conflit ukrainien; mais les racines en remontent loin dans le temps, probablement jusqu'à l'époque où la Principauté de Kiev fut contrainte de céder la suprématie à Vladimir puis à Moscou. Le pouvoir pro-occidental de Kiev affirme qu'il s'agit d'une question de sécurité nationale marquant ainsi nettement le caratère politique de cette initiative. Le Patriarcat de Moscou dénonce évidemment un schisme qui met fin à 332 ans de prédominance moscovite. 2019 - D'après un sondage d'opinion réalisé par l'institut Levada, 70% des Russes ont une opinion positive de Staline; 46% pensent que, "compte-tenu des résultats obtenus", ses actions les plus contestées (répression, exécutions...) étaient justifiées (ils n'étaient que 36% à le penser en 2017) ; seuls 19% des sondés estiment qu'il a eu un impact négatif. Ce sondage, effectué auprès de 1 600 personnes, comporte une marge d'erreur de 3,4%. D'après les analystes, Staline est vu comme un leader qui garantissait la justice sociale; beaucoup de personnes âgées, mais aussi de nombreux jeunes, ont tendance à idéaliser le passé soviétique. Staline, devenu en quelque sorte un personnage mythique, est perçu comme un symbole de justice et une alternative au régime actuel regardé comme injuste, cruel et sans égards pour la population, selon le sociologue Leonty Byzov (avril 2019). Le 9 mai, 500 000 personnes, conduites par Vladimir Poutine, défilent à Moscou pour commémorer le victoire sur le nazisme et rendre hommage aux soldats de la Seconde guerre mondiale. Cette marche dite du régiment immortel, manifestation de regain du patriotisme russe, est née d'une initiative privée en 2012. Depuis, elle n'a cessé de prendre de l'ampleur. Elle a même essaimé dans des pays hors de la Russie. A Moscou, les participants arborent des pancartes sur lesquelles figurent les portraits de membres de leurs familles morts au combat. Les 23 et 24 octobre, une quarantaine de chefs d'État africains sont reçus à Sotchi pour renforcer la coopération économique et militaire. Cet événement marque le retour de la Russie en Afrique (Le Monde - 23 octobre). En fin décembre, la Russie annonce la mise en service du missile supersonique Avangard présenté comme invincible. Il serait capable de voler à plus de 30 000 km/h (L'Express - 27 décembre). 2020 - Poutine annonce une réforme de la constitution russe destinée à renforcer les pouvoirs du parlement qui élira le premier ministre; d'autres mesures visant à rééquilibrer la séparation des pouvoirs sans remettre en cause le caractère présidentiel du régime sont prévues; le projet sera soumis à un référendum. Le gouvernement Medvedev démissionne pour laisser les coudées franches au président (20 minutes et A.F.P. - 15 janvier). Moscou et Ankara profitent de la faillite des Occidentaux en Libye pour se poser en parrains d'une future solution politique dans ce pays. Après la Syrie, une nouvelle alliance opportuniste est en train de se nouer. Les Turcs seraient du côté du gouvernement de Tripoli et les Russes soutiendraient le général rebelle Haftar de Benghazi. Chacun des deux pays possède des moyens d'échange pour négocier un compromis avantageux afin de ramener la paix en Libye à l'écart d'un Occident qui, après avoir semé le chaos, paraît incapable d'y ramener la stabilité (Le Monde - 26 et 27 janvier). Le 11 mars, les députés russes ont définitivement approuvé un amendement qui permet à Vladimir Poutine, s'il le souhaite, et si le Conseil constitutionnel est d'accord, de briguer un nouveau mandat présidentiel en 2024 (Ouest France - 11 mars). Le 17 mars 2020 est mort à Moscou l'écrivain et homme politique russe Édouard Limonov (1943-2020), à l'âge de 77 ans, des complications consécutives à deux opérations oncologiques. Cet auteur et politicien atypique, provocateur et très imbu de sa personne, avait créé, en 1994, avec l'idéologue d'extrême-droite Alexandre Douguine, le parti national-bolchevique, révolutionnaire et ultra-nationaliste, rapidement interdit. Il soutint le retour de la Crimée à la Russie et aurait souhaité qu'il en fut de même du Donbass et d'une partie du Kazakhstan peuplée de Russes, où il avait d'ailleurs tenté un soulèvement, ce qui le conduisit temporairement en prison. Polyglotte, il vécut aux États-Unis et en France, dont il acquit la nationalité, avant de retourner en Russie (Marianne - 18 mars). Du 25 juin au 1er juillet 2020, étalement exigé par la pandémie du covid-19, les électeurs russes ont approuvé à plus de 77% (et environ 35% d'abstentions) un projet de réforme constitutionnelle qui autorise notamment Vladimir Poutine à se représenter encore deux fois à l'élection présidentielle. L'opposition russe proteste et l'Occident conteste, comme d'ordinaire (Le Point - 2 juillet). Le 10 novembre 2020, sous l'égide de la Russie, un accord de cessez-le-feu est signé entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Après six semaines de combat, le gouvernement arménien reconnaît sa défaite dans le conflit du Haut-Karabagh (ou Haut-Karabakh). Ce conflit est une des conséquences de la disparition de l'URSS. Dans l'Union soviétique, ce territoire était rattaché à l'Azerbaïdjan, bien que peuplé essentiellement d'Arméniens. Lors de l'accession à l'indépendance des républiques d'Asie centrale, le Haut-Karabagh se proclama unilatéralement république arménienne indépendante, ce qui fut refusé par l'Azerbaïdjan. Il en résulta une suite de conflits meurtriers et c'est à l'une de ces guerres que vient de mettre fin le dernier accord sous médiation russe. Cet accord soulève l'indignation en Arménie. Des troupes russes sont déployées pour ouvrir un couloir en territoire azerbaïdjanais afin que la partie du Haut-Karabagh non encore conquise par les troupes de la république musulmane continuent d'être reliée à l'Arménie. Du 17 au 19 septembre 2021, les élections législatives en Russie donnent une fois de plus la majorité à Poutine. Mais l'abstention est importante et le parti du président, en fort recul, n'obtient pas 50% des suffrages, malgré l'interdiction à certains partis de l'opposition de se présenter et des fraudes dénoncées par la presse occidentale. Le parti communiste, éternel second, avec près de 20 %, progresse grâce au report sur lui d'une partie des voix des partis écartés de la compétition qui ont appelé à voter pour lui par souci d'efficacité. Cette érosion de la popularité de Poutine reflète un certain mécontentement dans la population dû en partie aux difficultés économiques causées par l'embargo qui frappe la Russie depuis l'annexion de la Crimée et à la réforme des retraites qui a retardé l'âge de départ. Théoriquement, le président russe peut encore briguer deux mandats en raison de la réforme constitutionnelle de 2020. Mais les électeurs le reconduiront-ils? Tout dépendra de la capacité des oppositions à présenter une alternative crédible, ce qui n'est pour le moment pas encore le cas. Début janvier 2022, de violentes émeutes ont éclaté au Kazakhstan. Ce pays est dirigé par un régime autoritaire depuis son indépendance. Il a été placé sous état d'urgence et le gouvernement a démissionné. On compte de nombreuses victimes. Dans la capitale, Alma Ata, des bâtiments publics ont été occupés par les émeutiers et certains ont été incendiés. La foule en colère dénonce la hausse du coût de la vie et les difficultés économiques. Le président, Kassym-Jomart Tokaïev, appelle à l'aide ses alliés, dont la Russie au premier rang. Cette dernière ne tarde pas à envoyer des troupes pour rétablir l'ordre dans le plus vaste pays asiatique de l'ancienne URSS où se trouve le site de lancement des fusées de Baïkonour. Après les interventions en Géorgie et dans le Haut-Karabagh, le pouvoir moscovite montre qu'il ne saurait se désintéresser des événements qui affectent les États indépendants de l'ancien empire russe, surtout lorsqu'il y possède des intérêts stratégiques. Mais la France agit-elle d'une autre manière en Afrique? Pour terminer, quelques mots sur le caractère russe qui désoriente parfois les Occidentaux. Ce caractère nous apparaît comme un mélange d'exaltation et de résignation. L'exaltation pousse les Russes dans des élans romantiques ou des emportements désordonnés, qui confinent parfois au mysticisme, des engagements absolus, qui paraissent échapper au gouvernement de la raison. Et, d'un aute côté, leur résignation, proche d'une sorte de fatalisme, les dote d'une capacité de résistance étonnante qui s'explique probablement par l'accoutumance à un climat parmi les plus rudes de notre planète. Les Russes versent souvent dans la démesure : une illustration en est donnée au Kremlin par la tsarine des cloches et le tsar des canons. Une autre explication du tempérament russe réside dans le caractère continental de leur pays dont la façade maritime libre, et partant utile, est réduite. Une telle situation ne prédispose pas à l'ouverture sur le monde, ni à l'essor de la démocratie. Il faut accepter les Russes comme ils sont, un peuple à cheval sur l'Asie et l'Europe sans lequel la cohésion de l'ensemble eurasiatique ne saurait exister. Pour bien des Occidentaux d'ailleurs, certains traits du caractère russe sont loin d'être sans charme. La musique russe, composée de nostalgie langoureuse et d'élans de joie endiablés, qui se succèdent sans transition, synthétise assez bien l'âme russe et explique aussi pourquoi des manifestations de cette âme exercent un attrait indéniable sur bien des Occidentaux. Pour ma part, je pense que le caractère russe peut s'expliquer à la fois par le climat et par l'image particulière que le reste du monde a depuis longtemps de la Russie. En Russie, l'hiver est long, comme dans les autres pays du nord, ce qui prédispose à la mélancolie; le printemps et l'été sont courts : il convient d'en profiter et on le fait avec une exubérance dont la nature donne l'exemple; j'ai observé le même comportement au Québec. La Russie est un grand pays que les autres puissances ont toujours eu tendance à regarder avec une certaine condescendance, pour ne pas dire plus; ce pays n'est entré que tardivement dans le concert des nations européennes, au début du 19ème siècle; il n'y a pas si longtemps, en Occident, beaucoup de gens considéraient encore les Russes comme des gens à demi sauvages; nous restons encore marqués par ces préjugés et les Russes sentent que, pour imposer le rang qu'ils estiment mériter parmi les nations, ils sont tenus d'en faire plus que les autres, ce qui les conduit parfois à verser dans la démesure. |