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La correspondance du lieutenant
Lucien Simonin
Plusieurs lettres de ce lieutenant, datées d'octobre 1900 à novembre 1903, sont parvenues jusqu'à nous. Elles sont illustrées de croquis et écrites à l'encre noire, rouge ou violette. Elles ont été mises en vente en décembre 2005. Il appartenait à l'état-major du corps d'occupation de Madagascar, en poste dans le sud de l'île pendant trois années de la période dite de "pacification" sous le commandement d'Hubert Lyautey. L'île ayant été annexée en 1890 par la France, le général Galliéni est nommé au commandement civil et militaire de la colonie, avec mission de mater l'insurrection après avoir aboli la monarchie et exilé la reine Ranavalona III, en février 1897. De 1900 à 1902, le colonel Lyautey, arrivé à Madagascar en 1897, est chargé de pacifier la région sud et d'en favoriser le développement économique. C'est précisément dans cette région que le lieutenant Simonin (1875-1915), originaire de Charleville, est envoyé, après quelques mois passés à Antananarivo. A travers les descriptions que Simonin envoie à sa famille, on suit en détail les fondements de l'action coloniale de Galliéni: désarmement des populations, "politique des races", mise en place d'une administration française, oeuvres économiques et sociales... Parti de Marseille le 12 octobre 1900, à bord de "L'Oscus", Simonin atteint Majunga sur la côte nord-ouest le 31 octobre. Il arrive dans la capitale le 17 novembre. Le 2 décembre 1900, le général Galliéni écrit au député Charles Bos, parent de Simonin, pour lui annoncer que le lieutenant est placé à Tananarive en attendant de savoir "s'il a les aptitudes et qualités que j'exige des officiers que je mets en contact avec les populations indigènes, encore imparfaitement insoumises"; C. Bos transmets cette lettre apostillée de sa main au père de Lucien Simonin. Le lieutenant décrit Tananarive, "les
milles villages", comme une ville très originale, étagée
et bâtie sur trois collines. Employé au bureau du personnel,
chargé du budget et des affaires de justice, il trouve sa vie relativement
monotone. "Ceux qui sont venus avant moi
sont des veinards. Il n ‘y a plus grand- chose à fricoter maintenant,
plus d'expéditions. D'ailleurs le mot d'ordre est pas d'histoire".
Il décrit paysages, villes et villages, parlant des habitudes de
vie des colons européens et des indigènes. Il insiste à
propos de ces dernier sur "la manière
dont ils s'emparent de toute notre civilisation".
En mars 1901, Simonin est envoyé dans le sud, "Il paraît que les peuplades de ces régions sont difficilement civilisées. Il n'y a rien à en faire. Ce sont des brutes, qui ne comprennent pas ce qu'on leur veut; paresseux, vivant de peu, ils n'ont point de besoin et par suite aucune concurrence, ni amour-propre". Il doit passer et séjourner à Ambositra puis à Fianarantsoa où se trouve l'état-major du colonel Lyautey. "Ce coin de pays ne va pas tarder à passer à l'administration civile. Il existe cependant plus au sud quelques bandes qui tiennent la campagne, cachées dans les forêts […]. Ce sont de vrais sauvages qui semblent assez rebelles aux beautés de la civilisation […] quand il n'y en aura plus, on sera tranquille, ou du moins plus tranquille, car on l'est déjà. Au fond toutes ces colonies, c'est de la blague. Cela ne sert qu'à faire mousser les gens. Le Colonel Lyautey est un metteur en scène de la plus belle eau [...] C'est l'indigène qui souvent n'en peut mais qui paye les pots cassés. Tout à l'air de se mijoter de cette façon dans le sud". Le 6 avril, il rencontre Lyautey: "Un
homme charmant, épatant. Grand, sec. Figure sympathique intelligente
[…] nous avons causé d'un tas de choses, et cela d'autant plus qu'il
est nancéien". Puis il part prendre
son poste à Ihosy, noeud de circulation entre Tuléar et Fort-Dauphin,
où il se voit chargé de la Caisse de Fonds d'avance. Là,
son travail lui fait alterner heures de bureau et tournées dans
la région afin de régler diverses affaires de justice (rixes,
vols de boeufs); ses loisirs se partagent entre la lecture, la chasse et
le jardinage. Il fournit de nombreuses observations sur le climat et la
flore, l'habitat, les coutumes, l'habillement malgache, notant le faible
taux de natalité dans l'île qui sera peut-être relevé
par les nombreuses naissances d'enfants franco-malgaches. Il évoque
plusieurs fois le goût des Malgaches pour la musique, s'amusant de
la façon dont ils interprètent la Marseillaise. Au début
de 1902, il est envoyé à Benenitra, à une centaine
de kilomètres de Tuléar, poste plus petit qu'Ihosy et manquant
de bien des choses "tout est à créer".
Là, au milieu de l'ethnie des Bares, "pauvres
diables à qui l'on a déjà pris leurs boeufs et qui
s'entêtent dans leur insoumission",
il est chargé notamment de percevoir les impôts dus par chaque
habitant ainsi que les patentes des commerces. Selon lui, "l'impôt
les dégourdit et peu à peu, ils connaîtront la valeur
des choses". Il effectue des tournées
et des voyages de reconnaissance dans le pays mahafaly,
"une des races les plus barbares, ou plutôt
les plus inintelligentes de l'île [...] et avec cela jaloux de leur
indépendance". Il a appris que
Lyautey serait pressé de rentrer en France et voudrait bien laisser
son gouvernement sans un rebelle (9 mars 1902). En mai 1902, il change
à nouveau de résidence et s'installe à Ranohira, "un
sacré trou", chez les Betsileos.
Il est chargé du recensement de la population. Il décrit
une vie très agréable, "que
c'est donc rigolo la vie coloniale, dans un petit poste",
la province va bientôt passer sous administration civile, la pacification
est quasiment assurée "même
si quelques indigènes se sont vus caresser la figure avec le joug
et le derrière avec mon pied, dans des circonstances nécessaires.
Il faut forcer l'obéissance, comme dit le règlement",
et que quelques dissidents, cachés dans la montagne, se rappellent
parfois aux autorités. Avec un détachement de tirailleurs,
il pourchasse des chefs insoumis dans le massif de l'Isalo, ce qui
lui vaut la médaille coloniale. Il donne beaucoup de détails
sur le quotidien de ses journées, notant au passage que les déboisements
pour cultiver le riz sont une véritable calamité. Amateur
de photographie, il parle fréquemment des clichés qu'il envoie
et de ceux qu'il reçoit de sa famille. Dans ses dernières
lettres, il est souvent question de sa carrière, de son avancement
éventuel, de son affectation future et de son retour en France,
prévu pour le mois de novembre 1903. Il date sa dernière
lettre de Ranohira, le 1er octobre, et son ultime missive est écrite
à bord du "Melbourne", le 19 novembre 1903, à l'entrée
du canal de Suez, précisant qu'il sera certainement affecté
au port de Rochefort.
Le lieutenant a profité de son séjour dans la grande île pour s'adonner à sa passion: la photographie. Il ramène plusieurs clichés ainsi que des croquis, dont le dessin d'une maison de Port-Saïd, des plans de Madagascar et du sud de l'île, une carte entre Fianarantsoa et Ihosy, les coupes verticale et horizontale de la maison qu'il a fait construire à Ihosy. D'après
le catalogue de la librairie
Chamonal (décembre 2005)
Les clichés figurant sur cette page ont été empruntés à la Bibliothèque Nationale (Gallica) Quelques autres clichés de Madagascar vers 1900 sont ici |