|
4 ème
jour (19 novembre - suite): Pétra, la cité de pierre nabatéenne
(les photos sont ici
)
Nous nous levons aux aurores pour nous rendre
à l'ancienne cité nabatéenne de Pétra, peu
éloignée de la ville nouvelle. Il est conseillé d'y
être assez tôt afin d'éviter les heures d'affluence
des touristes. Devant le bâtiment où l'on vend les billets,
des monolithes, de la taille et de la forme de gros boulets de canons,
sont posés au sol; il s'agit d'exemplaires des fossiles déjà
aperçus dans le désert, lors de la visite des châteaux.
Billets en main et accompagnés d'un guide local, nous nous dirigeons vers la vallée où se blottissait l'antique cité, derrière la protection des méandres, encaissés entre de hautes collines, d'un oued asséché. Une pancarte nous apprend que, en 1965, Pétra fut inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Cette inscription confirme l'importance exceptionnelle de ce site universellement connu. Sa richesse naturelle et culturelle méritait la protection de tous, pour le bénéfice de l'humanité. Pétra, capitale du royaume des Nabatéens, servit de point de rencontre entre l'Arabie, l'Égypte, la Palestine, la Syrie-Phénicie, l'Inde, la Chine et le bassin méditerranéen. Nichée à l'intérieur d'un inextricable réseau de formations géologiques, comprenant des montagnes escarpées, entrecoupées de gorges étroites et profondes, elle impressionna tous ses visiteurs, surtout en raison des nombreuses tombes creusées, à même le roc, par ses habitants. Les Nabatéens, une peuplade venue d'Arabie, les Romains et les Byzantins édifièrent, du 2ème siècle avant l'ère chrétienne jusqu'au 5ème siècle, une importante agglomération, dont les vestiges nous étonnent encore. Les façades des tombeaux révèlent une harmonieuse combinaison d'influences assyriennes, égyptiennes, grecques et romaines. Les fouilles ont montré que la cité était encore florissante à l'époque byzantine. Elle déclina ensuite, lorsqu'elle cessa de se trouver sur le chemin des caravanes, par suite sutout du déplacement des voies commerciales et de l'émergence de nouvelles citées intermédiaires sur leur chemin. Cet endroit unique au monde aurait, selon certains,
été plusieurs fois mentionné dans la Bible, sous le
nom de Sela (rocher en hébreu), capitale des Édomites,
que la plupart des spécialistes situent cependant ailleurs; en sémitique,
Pétra aurait aussi porté le nom de Reqem ou Raqmu
("la bariolée"), sans doute en raison de la couleur de ses pierres;
les Grecs l'appelèrent Pétra, traduction du nom biblique
(Sela) et les Arabes lui donnèrent le nom de wadi
Moussa (oued de Moïse), afin de rappeler le passage des Hébreux,
en route pour la terre promise, dans les environs; la source de l'oued
serait l'endroit où Moïse aurait frappé un caillou de
son bâton, pour en faire jaillir de l'eau. Le premier établissement
humain sur le site remonterait à l'âge du fer. Les Édomites
l'occupèrent dès le 8ème siècle avant notre
ère. Les Nabatéens y arrivèrent au 6ème siècle
avant Jésus-Christ; nomades, il s'y sédentarisèrent.
Au 3ème siècle avant notre ère, la ville s'étendit
dans la vallée et s'enrichit grâce au commerce de l'encens,
des épices, de la soie, des perles, de l'ivoire et d'autres produits
de luxe; elle devint la capitale des Nabatéens. La proximité
de la Mer Rouge et de l'Arabie favorisait les échanges entre l'Afrique,
la Mésopotamie et, plus loin, l'Asie, tandis que la piste qui traversait
le Neguev assurait l'accès à la Méditerranée,
aux ports syriens, et la communication avec le monde hellénique;
les caravanes s'arrêtaient à Pétra pour s'y abriter
et s'y approvisionner en eau. Plus tard, après l'annexion à
la Péninsule arabique, selon le voeu de Trajan, au début
du second siècle, d'autres cités caravanières, comme
Jerash (Gerasa) ou Palmyre, commencèrent à concurrencer
Pétra. Après la conversion des Nabatéens au christianisme,
la ville prit le rang de siège épiscopal; d'après
notre accompagnateur principal, les chrétiens jordaniens d'aujourd'hui
seraient les descendants des Nabatéens. Vers le 8ème siècle,
la modification des routes commerciales et les séismes entraînèrent
le déclin de la cité. Un temps citadelle des Croisés,
elle fut abandonnée vers la fin du 13ème siècle; le
château franc de Woaira se trouve à proximité. L'orientaliste
suisse Johann Ludwig Burckhardt la redécouvrit en 1812. En 1839,
le peintre écossais David Roberts y séjourna, au cours d'un
voyage d'Égypte en Terre Sainte. La zone autour du site est devenue,
depuis 1993, un parc national archéologique.
Pétra est située à mi-chemin entre le golfe d'Aqaba et la mer Morte, à une altitude de 800 à 1396 mètres au-dessus du niveau de la mer, dans un fond de vallée de la région montagneuse d'Édom, à l'est de la vallée de l'Arabah. Elle se trouve à environ 200 km au sud d'Amman. La cité antique était blottie derrière un long et étroit canyon, le Sîq, qui en rendait l'approche difficile. La roche de Pétra est composée de grès issu de l’agrégation de grains de sable; elle est cohérente et dure, organisée en strates qui offrent des déclinaisons de couleurs chatoyantes sous le soleil rasant de fin de journée. Le site se trouve à un endroit où la plaque d'Arabie s'écarte de la plaque d'Afrique, à proximité de la vallée du grand rift; les tremblements de terre y sont fréquents. La base des monuments est détériorée par la remontée des eaux salées de la nappe phréatique. Aux alentours, se trouvent des roches à silice, que les Nabatéens utilisèrent pour fabriquer un béton imperméable. . Sur la gauche du wadi
Moussa, que nous descendons, plusieurs chevaux attendent leurs cavaliers,
qu'ils transporteront à travers le site. Une calèche rudimentaire
file sur une voie secondaire. Nous parvenons à un premier tombeau:
la colline a été tranchée pour aménager une
façade plate; une porte rectangulaire donne dans une pièce,
creusée à même le roc.
Le long du Bab as-Sîq, sur la droite, apparaissent d'autres cubes, percés ou non d'une porte basse, les Djinns, qui sont peut-être des divinités chargées de protéger la cité. Toujours sur la droite, un tombeau plus important est sommé d'un trapèze, aux côtés en escalier, la grande base vers le haut, symbole plusieurs fois repris de l'envolée du défunt vers le ciel. A gauche, un escalier conduit à une sépulture perchée; une inscription bilingue, nabatéenne et grecque, mentionne la présence du tombeau de Abdmanku, fils de Akayus, fils de Shullay, pour lui, ses enfants et leurs héritiers, à l'époque de Maliku II (40-70). Du même côté, se trouve le Triclinium (salle à manger des Romains) de style classique; une inscription grecque précise qu'une famille nabatéenne fit construire ce monument au 1er siècle de notre ère. Au-dessus, la tombe de Nefesh, ou de l'obélisque, fut creusée au même siècle, un peu plus tôt que le Triclinium; à son sommet s'élèvent les quatre pyramides de Nefesh, au milieu desquelles se trouve une niche avec une statue en bas-relief, symbolisant les cinq personnes inhumées là. Plus loin, sur la droite, le
wadi al-Mudhlim est une gorge tectonique naturelle formée
par l'érosion des eaux de ruissellement. Il mène au Sad al-Ma'jin,
une rotonde creusée comportant plusieurs niches votives, et se termine
à la tombe du légat romain Sextius Florentinus, datée
de 129-130.
Un barrage fut construit pour détourner les eaux du wadi Musa vers le wadi al-Mataha à travers un tunnel, de 88 mètres de long sur 6 mètres de haut, afin de transformer sa gorge en un chemin d'accès vers la cité de Pétra. Ce chemin étroit et long, bordé de hautes falaises à pic, emprunte un ravin, profond de 180 m et dont la largeur ne dépasse parfois pas 3 m, qui serpente à travers le djebel al Khubta; il constituait un dispositif défensif naturel qui protégea longtemps la cité des invasions; les Grecs d'Alexandre ne purent pas la prendre, et il fallu attendre la fin du 1er siècle de notre ère pour qu'elle tombe au pouvoir des Romains. L'entrée dans le
Sîq (oued converti en chemin) était autrefois surmontée
par un arc-de-triomphe; il s'est effondré à la fin du 19ème
siècle, mais les départs de l'arche qui enjambait le ravin
sont encore visibles. Tout le long en bas de la paroi de gauche, court
un canal creusé dans la roche qui servait d'aqueduc; il recueillait
les eaux de pluie et alimentait la ville en eau potable; un réseau
complexe de canalisations et de citernes souterraines répartissait
le précieux liquide à travers la cité; les habitants
de Pétra maîtrisaient parfaitement les techniques d'adduction
d'eau, de sorte que cette agglomération fut qualifiée de
cité de l'eau, dans un environnement quasi désertique. Au-dessus
du canal, les stries apparentes dans la falaise permettent de comprendre
comment s'y prenaient les Nabatéens pour tailler la roche; ils tenaient
vraisemblablement leur burin de la main gauche et dirigeaient leurs coups
de manière oblique vers la gauche; ils travaillaient jusqu'à
une trentaine de mètres de hauteur, en partant généralement
du haut vers le bas; les ouvriers se tenaient sur une plate-forme creusée
dans le rocher; une fois la tâche finie, la plate-forme était
effacée; ils utilisaient les fissures et, à défaut,
creusaient un trou, dans lequel était introduit un morceau de bois
mouillé lequel, en gonflant, faisait éclater la pierre. Des
niches voûtées, encadrées de colonnettes rectangulaires,
fortement usées par l'érosion, subsistent en hauteur de chaque
côté du ravin.
Une rare végétation, quelques arbustes, s'accrochent ça et là au rocher. Un Bédouin nettoie la chaussée qui, en dépit des nombreux visiteurs, est d'une propreté remarquable. Les ravines, qui donnent sur le chemin, sont barrées par des murs destinés à éviter les inondations, qui sont soudaines et redoutables, sur un sol rocheux imperméable; les barrages nabatéens ruinés ont été reconstitués. Les deux parois du canyon se rapprochent soudain tellement que l'on a l'impression qu'elles se chevauchent et vont cacher la vue du ciel. L'aqueduc s'approfondit en une sorte de bac qui devait servir d'abreuvoir. Dans une niche rectangulaire se dresse une sorte de torse sans tête ni bras; il s'agit d'une statue locale, probablement celle d'une divinité; les Nabatéens n'étaient pas des artistes et, comme on le verra plus loin, les oeuvres qui virent le jour dans leur capitale furent souvent l'ouvrage d'étrangers; ils se contentaient de représentations sommaires, fortement symboliques. Initialement nomades, ils vivaient dans de simples tentes en peau de chèvres. Une fois sédentarisés, ils aménagèrent des logis très simples, taillés dans le roc et dotés d'une façade lisse, avec, si besoin, un escalier pour monter jusqu'à la porte, selon le modèle des tombeaux syriens. Le chemin nabatéen, au fond du canyon, était à l'origine la pierre nue de l'ancien lit du torrent; ultérieurement, après l'annexion de Pétra, en 106, les Romains le pavèrent; quelques dalles, protégées par une barrière de bois, sont encore visibles. Un élargissement du ravin forme une sorte de carrefour où plusieurs monuments ont trouvé place. En hauteur sur la falaise, une sépulture (ou une habitation?) est creusée à côté d'une cavité ronde; on y accède par un escalier. Au bord du chemin, sur la gauche, la face d'un cube comporte deux statues sommaires, sur le modèle de celle décrite plus haut; l'une est plus petite que l'autre, peut-être un homme et une femme. En face, de l'autre côté du chemin, l'érosion a doté un énorme rocher d'une forme singulière: on y devine d'abord un visage humain, mais, en avançant davantage, avec un peu d'imaginationon, on découvre l'avant de deux éléphants. Une faille dans la falaise, squattée par la verdure, rappelle celles que nous avons vues sur les bords de la Mer Morte. Un tunnel gothique, perçant la falaise, donne une image suggestive, bien qu'étriquée, d'un verdoyant éden insoupçonné au milieu des rochers. Le ravin se resserre à nouveau. D'autres sculptures apparaissent sur la muraille; Sabinos Alexandros, un maître en cérémonies religieuses, vint à Pétra de Dar'a, aujourd'hui en Syrie, pour célébrer le culte de Dhu-Sharah; il sculpta le baetyl (pierre vénérée) en forme de dôme (à droite) et représenta son image debout sur deux boeufs (à gauche); assez souvent les monuments, quand ils ne sont pas funéraires, célèbrent ou commémorent le passage d'un étranger plus ou moins illustre. Plus loin, un groupe plus élaboré se dressait devant l'aqueduc; il s'agissait d'un caravanier et de son dromadaire; de l'homme ne subsiste que le bas du corps, en dessous de la ceinture et, de l'animal, restent les pieds, le ventre et les cuisses; les jambes, devant le canal, ont été brisées. Notre cheminement se poursuit et nous découvrons encore une niche, avec trois statues sommaires, peut-être s'agit-il de la trinité féminine du dieu Dhu-Sharah: Uzza, Allat et Manat. D'autres barrages ferment les ravines affluentes. Un nouveau rétrécissement du canyon nous laisse entrevoir, au bout du chemin, comme une promesse sur le point de s'accomplir, le monument le plus célèbre de Pétra: la Khazneh (Al-Khaznah) ou le Trésor du pharaon. Ce monument est situé
vers la fin du Sîq, sur une sorte de place avec, à gauche,
un cul-de-sac terminé par une pente raide, dégringolant du
haut de la montagne. Sa façade
est la mieux conservée du site; elle mesure 39,5 mètres de
haut. Le niveau inférieur est décoré de six chapiteaux
corinthiens, enjambés par une frise de griffons, de vases et de
rouleaux. Une déesse de la végétation est sculptée
dans le tympan du milieu. Le niveau supérieur comprend un kiosque
central orné d'une statue d'Isis, flanquée d'Amazones en
train de danser et de Victoires. Un chapiteau, supportant une urne funéraire,
supposée contenir le trésor du pharaon, selon la tradition
locale, couronne le kiosque; la fonction de cette urne est encore un mystère,
mais la plupart des archéologues pensent qu'il s'agit du mausolée
du roi Arethas IV (9 avant J.-C. - 40 après J.-C.). Récemment,
trois tombes nabatéennes
ont été découvertes sous la Khazneh; elles sont datées
du 1er siècle; on aperçoit les salles souterraines en s'approchant
du monument. En plus d'être une oeuvre d'art, la façade est
aussi un calendrier; douze colonnes l'ornent, comme les mois de l'année
et, avec un peu de patience, il paraît que l'on dénombre trois
cent soixante cinq motifs dans la frise qui court en haut des chapiteaux.
Le mélange des styles est flagrant; l'influence grecque est indéniable;
mais l'influence égyptienne n'est pas absente, comme en témoignent
les vestiges d'aigles de part et d'autre de l'urne, sans parler d'Isis
et de l'allusion au pharaon. Il est probable que des artisans étrangers
ont collaboré à la construction de ce magnifique tombeau.
Les colonnes du bas délimitent un vestibule sur lequel débouchent
deux pièces latérales. Entre les colonnes centrales, s'ouvre
une porte à laquelle mène un escalier. Cette porte donne
dans la pièce principale
comportant des niches rectangulaires; la couleur des murs de cette pièce
lui confère une décoration naturelle: Pétra porte
bien son surnom de bariolée, on aura l'occasion d'y revenir. Au
dehors, l'érosion a tracé sur le roc, tranché lors
de la construction, des gravures d'un assez bel effet. A notre arrivée,
deux dromadaires étaient
nonchalamment couchés sur la place devant le monument; à
notre départ, deux guerriers nabatéens, lance en main, montent
la garde de chaque coté de l'entrée de la Khazneh.
Nous poursuivons notre chemin en passant sous une grotte artificielle cubique qui servait, nous dit-on, pour les cérémonies funéraires. Quelques petits ânes attendent les touristes paresseux, au pied d'un mur de moellons. Nous arrivons auprès de la tombe 67; cette tombe est remarquable par sa cavité supérieure, dans laquelle étaient probablement entreposés les outils des travailleurs; les Bédouins locaux racontent une légende selon laquelle un voleur s'y serait réfugié; le sol initial était plus bas qu'aujourd'hui, des remblais l'ont exhaussé, comme c'est le cas dans bien des endroits; un canal d'époque romano-byzantine fermait l'entrée du caveau; celui-ci fut partiellement dégagé par les travaux du Département des Antiquités de Jordanie, en 1999; on y découvrit vingt stèles funéraires pyramidales; sur l'une d'elle était gravé le nom nabatéen: Amliou. Nous débouchons sur un vaste espace libre, autour duquel pullulent les monuments funéraires, tous plus imposants les uns que les autres; ils sont si nombreux qu'il serait difficile de les compter; plusieurs sont de facture assyrienne; la porte de l'un d'entre eux semble n'avoir jamais été percée. La tombe 813, ou tombe de 'Unayshu, porte le nom d'un ministre de la reine Shaqilat II, épouse du roi Maliku II et mère du roi Rabel II, qui assuma la régence pendant la minorité de son fils, de l'an 70 à l'an 76; une inscription au nom du ministre fut découverte dans cette tombe, au 19ème siècle; la façade de ce monument est décorée de demi-corbeaux et de piliers d'angle; onze niches funéraires occupent l'intérieur; une cour avec portiques s'étendait devant l'édifice et un triclinium se trouvait à l'angle nord-ouest; la tombe fut déblayée par le Département des Antiquités de Jordanie; il y découvrit plusieurs inscriptions au nom de Maliku II (40-70) et de sa femme Shaqilat. Plus loin, dans la falaises, sont creusées les tombes royales (le Tombeau de l'Urne, qui est peut-être la sépulture d'Aréthas IV, si ce n'est pas la Khazneh, la Tombe polychrome ou Tombe de Soie, la Tombe Palace avec ses 49 m de large et ses 45 m de haut... Notre guide local prend
ici congé de nous; un accompagnateur libanais demeure en notre compagnie.
Un moment de pause nous est accordé; des boutiques sont présentes
et il est possible de se désaltérer ou de faire quelques
emplettes. Pour ce qui est du petit coin, c'est plus délicat; les
toilettes pour hommes sont verrouillées et il y a une file d'attente
à celles des femmes. Nous prenons ensuite le chemin de la montagne,
en gravissant de multiples escaliers, entrecoupés de sentiers caillouteux,
pour rejoindre le Haut
lieu du Sacrifice. La pente est sévère et l'ascension
fatigante; on comprend que les paresseux préfèrent l'accomplir
à dos de bourricot! En se retournant, on jouit d'une belle vue sur
la place que l'on vient de quitter, et les tombeaux qui l'entourent. Une
image insolite nous fait oublier un moment la fatigue: celle d'un baudet
couché sur une corniche; comment a-t-il pu monter jusque là?
Mystère! Des crevasses plus ou moins profondes partagent la montagne;
la végétation profite de l'humidité qui s'y accumule
pour se développer. Plus haut, sur les pentes, notre accompagnateur
nous fait remarquer la présence de plantes
vertes que quelques membres du groupe identifient: ils en ont chez
eux comme ornement et les ont vu fleurir.
Nous descendons en direction de la ville basse. En dessous de nous, s'étagent des plateaux, où s'expriment toutes les nuances de la terre, du blanc à l'ocre rouge. Ici et là, apparaissent d'autres sépultures, cachées dans un renfoncement. La fantaisie des formes rocheuses et les coloris du paysage sont de plus en plus étonnants. Nous passons devant la Fontaine au Lion; elle est située dans le wadi al-Farassa; un lion puissant, mais grossièrement taillé, est sculpté à même la falaise; un canal creusé dans la roche, au-dessus de la tête du lion, recevait l'eau du 'Ayn Braq, qui coulait le long de la pente mènant au Tayyiba, qui surplombe Pétra; le liquide était collecté dans un bassin et descendait ensuite, pour remplir une grande citerne, au pied de la montagne. Nous abordons un escalier étroit, relativement périlleux, qui passe sous un rocher en saillie, de la forme d'un crochet, surplombant une terrasse carrée. Les roches sont diaprées de nuances: blanches, rouges, bleues, jaunes, violettes... un arc-en-ciel de pierre. .
Le Pavillon du Jardin est situé dans le wadi al-Farassa. C'est un petit monument décoré de deux colonnes entre des pilastres; une citerne voûtée, de 4x4 m, y était alimentée par un important réservoir supérieur; on pense que l'espace, devant le monument, était un jardin arrosé par l'eau de la citerne; l'édifice aurait alors été la maison du gardien de la citerne, sur le chemin de la Place Supérieure, où conduit le sentier que nous venons de descendre. Devant ce monument, une petite Bédouine, aux pieds nus, propose aux touristes quelques colliers de fabrication artisanale, passés à son bras. Au cours de la visite, nous rencontrerons d'autres marchands de pacotille; aucun ne nous importunera; ils ne sont pas agressifs, comme ceux de bien d'autres pays pauvres. Le Triclinium
Coloré, aux pierres intérieures de teintes vives et variées,
est situé en face de la Tombe du Soldat; il remplissait le rôle
de salle du festin funéraire; il est décoré de colonnes
engagées et de niches, couvertes à l'origine de stuc peint;
des corniches ont été insérées dans les cannelures,
au-dessus des niches. La Tombe du Soldat
est accessible via une vaste cour à portiques, avec des constructions
à deux étages de chaque côté, et un triclinium
face à l'entrée; la façade, aux proportions admirables,
est ornée de pilastres et de colonnes engagées, qui encadrent
trois niches, avec la statue d'un officier au milieu, accompagnée
de deux assistants; les fouilles du Projet du wadi Farassa ont révélé
que la cour remonte à la période nabatéenne, vers
le 1er siècle, mais que l'ensemble fut remodelé à
la période romaine.
Le wadi al-Farassa constituait un chemin de pèlerinage vers le Haut Lieu du Sacrifice. De nombreuses inscriptions commémoratives sont gravées au début de ce cette route. On découvre des tombeaux remarquables dans la vallée. Le plus beau est celui que l'on a nommé la Tombe Renaissance, en raison de son magnifique style classique; ce tombeau possède une élégante façade, couronnée d'un pignon, encadré de pilastres nabatéens, lequel pignon supporte trois urnes funéraires; l'intérieur est une grotte artificielle, comportant un loculi (niche funéraire) qui ne fut jamais utilisé; ce monument est daté du 2ème siècle. En cheminant vers la ville basse, nous passons devant des débris de colonnes, des falaises aux strates multicolores, des cavités aux vives teintes naturelles, une symphonie de nuances, au milieu d'un chaos peint déchiqueté: la palette de ce géant, la nature. Le 'Amud Fir'awn est une colonne dressée sur la route de l'Égypte, via Naqb al-Ruba'i; cette colonne faisait partie d'un sanctuaire ruiné. Le Qasr a'-Bint (Qasr al-Bint Firaun, le nom donné par les Bédouins, c'est-à-dire le palais de la fille du pharaon) est un édifice presque carré (27,9x27,62 m), dressé sur une sorte de podium; il fut le principal temple de Pétra et s'élève encore à une hauteur de 23 m; on l'atteignait par une volée de 26 marches de marbre; quatre colonnes corinthiennes, entre des pilastres, décoraient la façade nord, elles étaient recouvertes de stuc; l'arrière du sanctuaire était occupé par trois salles: celle du milieu abritait l'autel, avec son tabernacle contenant les baetyls des dieux et des déesses, les deux autres possédaient des terrasses en balcons; on pense que 'Uzza-Aphrodite et Ba'al Shamin étaient les principales divinités adorées dans ce temple, daté de la première moitié du 1er siècle de notre ère. A droite, le Temple des Lions Ailés semble être en cours de réfection; ce monument date de la première moitié du 1er siècle avant notre ère. Le Qasr a'-Bint et le Temple des Lions Ailés sont à peu près les deux seules constructions consacrées aux vivants rencontrées pendant la matinée! Une nouvelle aire de repos
s'offre à nous avec ses boutiques, ses débits de rafraîchissements
et aussi ses âniers, pour ceux qui voudraient poursuivre la visite
à dos d'animal. Les membres du groupe rebutés par la marche
attendrons les autres là; ces derniers se lancent dans une nouvelle
escalade, encore plus rude que la précédente, la fatigue
aidant, ce qui est une façon de parler. Nous franchissons sur un
pont un wadi à sec. Dans la vallée, des tombeaux somptueux
bordent le chemin. Certains offrent un abri à des marchands dont
je me demande s'ils dorment là. Dans l'un d'eux, une gracieuse fillette,
en compagnie de sa mère, me salue amicalement; je n'ose pas la prendre
en photo. J'attaque ensuite le premier escalier de la montée vers
le djebel al-Deir (ou al-Dayr).
Le Biclinium (salle à manger comportant deux lits face à face) aux Lions est situé sur le sentier qui mène à ce djebel; il doit son nom aux deux lions sculptés de chaque côté de son entrée; la façade est décorée de triglyphes et de métopes, avec une tête de Méduse à chaque bout; l'intérieur comporte deux banquettes et un baetyl sculpté, dans une niche à gauche de la porte. Cette ascension me semble plus difficile que la première, d'autant que l'affluence est maintenant plus grande et que beaucoup de touristes chevauchent des ânes; il faut se garer contre la paroi pour les laisser passer; notre accompagnateur principal nous a invités à faire preuve de prudence et à nous tenir toujours du côté du rocher; du côté de l'abîme, parfois profond, ce serait dangereux. A mi parcours, notre accompagnateur nous propose de nous reposer, et de manger un peu; nous nous asseyons sur une plate-forme, au bord du vide; je bois un peu d'eau, avale un yaourt et grignote quelques gâteaux. Un couple qui passe m'aide à remettre mon harnachement; je me trouvais emprunté, avec mon pot de yaourt vide d'une main (il n'y avait évidemment pas de barils à déchets à ma portée) et mon sac à provisions de l'autre; ils sont Québécois; cela me donne l'occasion d'évoquer avec eux mes souvenirs, du temps où j'étudiais à l'Université de Sherbrooke. J'avance, mon pot de yaourt en main, jusqu'à ce qu'une âme charitable, en l'occurrence une marchande bédouine, offre aimablement de m'en débarrasser. Au fur et à mesure que nous montons, nous découvrons des montagnes déchiquetées, tranchées par des vallées étroites, profondément encaissées, toujours très colorées. Le chemin redescend un peu avant d'atteindre le plateau, but de l'excursion. Al-Deir est l'un des plus imposants et des mieux conservés monuments de Pétra. La récompense est à la hauteur de l'effort. Ce tombeau mesure 47 m de large et 48,3 m de haut. Il fut construit sur le modèle de la Khazneh, mais les bas-reliefs furent remplacés par des niches, destinées à recevoir des statues. Une colonnade orne la façade. L'intérieur est occupé par deux banquettes et un autel, sur le mur arrière; la couleur des murs varie du rouge foncé au bleu tendre. Cette pièce fut utilisée comme biclinium, lors de réunions profanes et religieuses. Le monument date du début du 2ème siècle, sous le règne du roi Rabel II. A la période byzantine, on le transforma en chapelle chrétienne; des croix furent gravées sur le mur du fond, d'où son nom de "Monastère" (Dayr, en arabe). En face du monument, un lieu de repos s'offre à nous. On peut s'y procurer de l'eau, ce qui m'est indispensable: j'ai épuisé, en montant, ma petite bouteille. Je finis mon repas et, ensuite, je marche jusqu'à une échoppe, où l'on vent des bijoux en argent, pour financer les oeuvres charitables de la reine de Jordanie, une ravissante jeune femme à l'âme, dit-on, plus belle encore que le visage. De cette extrémité du plateau, qui descend en pente douce jusqu'au lieu de repos, on domine la contrée environnante: un enchevêtrement de pics et de vallées tourmentés. Des chèvres noires , présentes là depuis le néolithique, herborisent on ne sait trop quoi, le roc étant à peu près dépourvu de végétation; leur gardien m'offre les euros qu'il détient, en échange de quelques dinars; je ne peux malheureusement pas satisfaire sa demande, par crainte de manquer de monnaie locale. Nous redescendons. Attention aux chevilles, encore plus sollicitées qu'à la montée, et attention aussi aux cavaliers improvisés, encore plus nombreux qu'à l'aller. Comme nous avons eu raison de partir de bonne heure! Je photographie un âne grimpé sur un mur, au bord du vide: ces animaux ne semblent pas craindre le vertige. Un peu plus loin, je me hasarde à tirer le portrait d'une petite Bédouine, assise derrière un étal de pierres colorées, de plantes et je ne sais trop quoi; la jeune personne apprécie visiblement d'être prise pour cible, son sourire en témoigne; mais sa mère ne l'entend pas de la même oreille, elle commence à maugréer et je n'insiste pas. Au lieu de repos, nous retrouvons ceux que nous avons laissé. Je remarque que des loges, hautement perchées dans la falaise, sont pourvues de vitres et paraissent habitées, comme en Cappadoce. Est-ce par l'administration du site? Nous traversons l'endroit où s'étendait autrefois la ville. Des remparts barrant la vallée la protégeaient, aux endroits où elle était mal défendue par les montagnes; de toutes ces constructions, il ne reste pas grand chose. La Pétra d'aujourd'hui est essentiellement une cité des morts, une ville de tombeaux. Bien sûr, il y eut sans doute aussi des maisons d'habitation; mais nous n'en avons pas vues*. Des caveaux, et encore sont-ils vides, voilà tout ce qui subsiste d'une cité autrefois populeuse et florissante. Les civilisations sont mortelles: Pétra est certainement l'un des témoignages les plus grandioses et les plus émouvants de cette vérité. A droite du chemin, se dressent les ruines de ce qui fut certainement un quartier romain. On y distingue une longue voie bordée de colonnes, qui doit être la Rue aux Colonnes, principale artère de l'agglomération, et une porte monumentale, peut-être la Porte de l'Esplanade. Puis c'est un grotte artificielle, décorée de coulures: les draperies du ruissellement. Les Québécois me rejoignent et me saluent d'un vigoureux "Hello Sherbrooke"; ils passent deux jours sur le site, ce qui leur permettra de voir bien des curiosités qui nous ont échappé. J'ai conscience, non sans regret, d'être loin d'avoir vu tout ce qui méritait de l'être, notamment les musées, et la ville romaine, que nous ne faisons que côtoyer. * Si j'en crois mes lectures, les demeures nabatéennes, de style arabe, dépourvues de fenêtres, à toit plat, étaient dallées et ouvertes sur de petites cours intérieures; à part les bancs de pierre, le mobilier était en bois et n'a pas résisté au temps. Les cuisines étaient séparées de l'habitation principale pour éviter le risque d'incendie. Nous contournons la montagne gravie pendant
la matinée. La falaise à gauche ressemble à un morceau
de gruyère, tant les cavités y abondent. Sur la droite,
les gradins du théâtre
romain s'étagent, creusés à même le roc;
plus de 6000 spectateurs pouvaient y prendre place; la scène a été
détruite par un séisme. Nous voilà revenus à
notre point de départ du matin, au pied des tombes royales.
Il nous faut maintenant remonter le Sîq, jusqu'à l'entrée, au-delà de laquelle stationnent nos véhicules. Ce n'est pas à côté, mais la route n'est pas difficile et le cheminement est d'autant plus agréable que je l'accomplis en compagnie d'un compagnon à la conversation intéressante; nous parlons littérature, nouveau roman, et évoquons même le premier prix Nobel de littérature, le poète français... Sully Prudhomme (1839-1907)! J'en profite cependant pour mémoriser au passage quelques endroits oubliés, par exemple un morceau de falaise comme débité en feuilles, par les eaux de ruissellement. Le soir, j'achète un livre sur la Jordanie,
et la collection des lithographies de Pétra par David Roberts, datée
de 1839, à la boutique de l'hôtel. Puis, avant d'aller savourer
un repos bien gagné, je lis mon courrier sur Internet, sans la moindre
difficulté, sous ADSL. Nous avons passé une journée
entière à crapahuter dans les montagnes; c'est faisable puisque
je l'ai fait, mais à déconseiller aux personnes allergiques
à la marche.
|