Itinéraire:
Punta Arenas est un port sur le détroit de Magellan. Cette ville me rappelle les cités d'Amérique du Nord. Une marque de vêtements y fait fureur. Elle s'appelle Soviet et ses boutiques sont frappées de l'étoile rouge. Cet engouement pourrait paraître curieux après l'effondrement de l'Union soviétique. Pourtant, il ne date pas d'hier. Le régime militaire était, certes, anticommuniste à l'intérieur. Mais cela ne l'empêchait nullement d'entretenir d'excellentes relations avec la Chine et la Russie. A preuve les nombreux taxis brinquebalants de marque Lada qui existent encore au Chili. Il est vrai qu'ils sont en passe d'être remplacés par des voitures plus récentes, de meilleure qualité et provenant d'autres horizons. Pinochet était, en matière de politique commerciale, visiblement plus sensible aux arguments économiques qu'à l'idéologie. Visite des alentours de Punta Arenas. Puerto
Hambre: des colons espagnols y furent installés. Lorsque le bateau
revint, un an après, ils étaient tous morts de faim! Paysage
de steppe. Élevage du mouton. A Santiago, j'ai entendu dire que,
en raison de la disparition de la couche d'ozone, les moutons devenaient
aveugles. Mon guide dément cette légende. Ce qui paraît
établi, c'est que les cancers de la peau sont plus fréquents.
Donc, attention. Il faut se munir de crème solaire. Mais nous sommes
à la fin de l'été et le soleil est moins vif. Visite
des installations de Fuerte
Bulnes.
Traversée en bateau du détroit de Magellan, sur un traversier. Le voyage dure trois heures. Nous ne sommes pas en haute mer et pourtant l'eau est passablement agitée. Le traversier est constamment ballotté. Il s'enfonce dans des creux de plusieurs mètres pour remonter ensuite en haut d'une vague. Parfois, les vagues passent par dessus le pont. Heureusement, je ne souffre pas du mal de mer. Les autres passagers sont restés au chaud dans leurs voitures. Moi, qui suis piéton, je me tiens à l'extérieur. Convenablement vêtu, je n'ai pas froid, mais c'est tout juste. La Terre de Feu apparaît à l'avant du bateau. C'est une étendue de terre plate recouverte d'une maigre végétation. Je m'attendais à quelque chose de plus sauvage. Sans doute faudrait-il pour cela descendre jusqu'au Cap Horn. Nous débarquons à Porvenir,
un petit port qui est le pendant chilien d'Ushuaia. Je déjeune dans
une auberge tenu par un Allemand: Los Flamencos. L'aubergiste en est resté
aux deux guerres mondiales. Apprenant que je suis Français, il me
dit qu'Allemands et Français ne font pas bon ménage et qu'ils
sont toujours en train de se chicaner. J'essaie de le détromper
en lui répondant que désormais ces deux peuples sont amis.
Mais il ne paraît pas convaincu.
Visite de Porvenir. Son musée est très intéressant. J'y remarque des échantillons de l'architecture locale, des oiseaux de mer d'une taille gigantesque ainsi que d'anciens vêtements indigènes en peaux d'oiseaux tannées, comme on le fait avec les fourrures, mais avec les plumes à l'intérieur. Les autochtones se protégeaient ainsi efficacement des rigueurs du climat. Au début du vingtième siècle, les indigènes de la Terre de Feu furent systématiquement exterminés par des chasseurs d'êtres humains. Parmi eux, un Croate, un Français et un Anglais ont acquis une triste célébrité. Nous n'avons pas lieu d'en être fiers. Maintenant, la population d'origine a pratiquement disparu. Elle a été remplacée par des colons venus d'Europe. Beaucoup sont Croates. Les Indiens de la Terre de Feu se divisaient
entre les Ona et les Haush, qui chassaient à pieds; les Alakaluf
et les Yaghan (ou Yamana), qui chassaient en pirogues. Nomades infatigables,
ils ne possédaient que ce qu'ils pouvaient emporter: leurs ossements
et leurs objets quotidiens (arcs, carquois, harpons, paniers, manteaux
de guanacos ou de plumes). Ils s'abritaient, quand ils le pouvaient, en
construisant des cabanes d'os de baleines. Ils croyaient en l'esprit des
forces naturelles. Lors de la colonisation et de l'introduction des élevages
de moutons, ils prirent goût à la viande de cet animal inconnu
et ne tinrent aucun compte des barrières de barbelés qui
prétendaient les en tenir éloignés. Une interprétation
intéressée de la Théorie de l'Évolution, qui
justifiait le droit du plus fort d'éliminer le plus faible, fournit
un fondement moral aux chasseurs d'hommes qui se chargèrent de purger
le territoire de l'encombrante présence de ses premiers habitants.
L'Anglais, un ivrogne particulièrement féroce, reçut
le nom de cochon rouge. Sa fin fut terrible: il devint fou! Dans ses rêves,
il se voyait poursuivi par des hordes de fantômes rouges. Un jour,
n'y tenant plus, il s'enfuit de sa maison de Punta Arenas. On le retrouva
nu, broutant l'herbe d'une prairie. Pour fuir la vengeance de ses victimes,
il s'était déguisé en taureau. Mais il existe aussi
des matadors et son subterfuge ne servit à rien: il mourut. Les
âmes pieuses y verront sans doute l'indice de l'existence d'une justice
immanente!
Visite des environs de la ville. Paysage de steppe couvert d'une herbe jaunâtre parsemée par endroits de cailloux. Au loin, on aperçoit les sommets plus élevés de la Cordillère. Cela rappelle l'Altiplano, bien qu'on soit au niveau de la mer. Nombreux lacs. Élevage de moutons et de cygnes. Bref, la Terre de Feu n'est pas un désert. Retour à Punta Arenas en avion. Je patiente à l'aéroport en attendant le bus qui doit m'emmener à Puerto Natales. Je ne sais pas à quelle heure il doit passer et j'erre à travers l'aéroport comme une âme en peine. Le temps s'écoule, rien ne vient et le monde se fait rare. Intrigué par ma présence, le pilote de l'avion que j'ai pris tout à l'heure vient me demander si j'ai un problème. Je lui dis que j'attends un bus. Il me répond qu'aucun bus n'est supposé passer par l'aéroport. Pourtant, l'agence de voyage m'a bien dit d'attendre ici! Nous essayons de nous renseigner par téléphone. En vain! L'inquiétude me gagne. Que vais-je faire sans moyen de transport alors que la nuit tombe? Je décide d'attendre encore un peu. Finalement, alors qu'il est nuit noire, un bus s'arrête enfin devant l'aéroport. Renseignement pris, il se rend bien à Puerto Natales. Nous roulons à vive allure sur une route à deux voies dont une seule est asphaltée, comme c'est souvent le cas au Chili. Les voitures, quel que soit leur sens, empruntent évidemment la voie asphaltée. Celles qui sont à gauche se remettent à droite au dernier moment. C'est extrêmement dangereux. Heureusement, le trafic est peu dense. Mais tout de même. Excursion
en bateau jusqu'aux glaciers Balmaceda et Serrano. Le temps est maussade
mais la croisière est intéressante. Je découvre la
Patagonie chilienne. Au cours du repas (saumon régional), je noue
conversation avec un couple. Lui est suisse, son épouse est chilienne.
Il m'interroge sur la construction européenne. Il pense que la Suisse
sera sans doute un jour contrainte de rejoindre l'Union et cette éventualité
l'inquiète en raison du déficit démocratique de notre
Europe. Nous passons au large d'un volcan couvert de neige, puis à
distance du glacier Balmaceda,
suspendu à flanc de montagne. Nous le verrons mieux au retour. Nous
quittons ensuite le bateau pour regagner à pied les bords du rio
dans lequel vient se désagréger le glacier Serrano.
Malheureusement, le soleil n'est pas au rendez-vous et nous ne profitons
pas au maximum de la féerie de couleurs des icebergs. Au surplus,
le chemin d'accès au bord du glacier s'est effondré et on
ne peut le voir que de loin. Nous repassons devant le glacier Balmaceda,
cette fois plus près. C'est le moment de la photo souvenir!
Retour à Puerto Natales. Je me suis levé de bonne heure et, en attendant le départ pour les Torres del Paine, je flâne au bord de l'eau, devant l'hôtel. J'aperçois des cormorans juchés sur un écueil et des cygnes qui nagent tranquillement avec leur dignité coutumière. Mon chauffeur guide s'appelle Fidel, comme Castro, dit-il. Nous partons sur la piste d'une centaine de kilomètres qui doit nous amener à proximité des tours. Celles-ci sont de hautes cheminées de pierre qui se dressent vers le ciel au milieu des pics montagneux. Le site est l'un des plus beaux du Chili, au moins d'après moi. Visite d'une pisciculture de saumons. Ce poisson était autrefois inconnu au Chili. Aujourd'hui ce pays l'exporte. Il faut se laver les chaussures dans des bassines de désinfectant avant de se promener entre les bassins. Hygiène oblige. L'eau paraît calme, mais il suffit de jeter quelque nourriture pour qu'elle s'agite soudain. Chaque bassin contient des poissons du même âge. L'élevage du saumon, à la fois poisson d'eau douce et poisson d'eau de mer, nécessite de prendre un certain nombre de précautions. Les alevins naissent en eau douce. Mais les adultes vivent en eau de mer. A partir d'un certain âge, les poissons sont donc changés de bassin. Ils passent, comme dans l'état naturel, de l'eau douce à l'eau de mer. Mais le transfert s'effectue en camions. Une fois la visite terminée, dans la barque du retour, la personne qui m'a guidée me fait part de son admiration pour la littérature française. Il y a en France beaucoup de bons auteurs, dit-il, comme Alejandro Doumas, Los Tres Mosqueteros, El Conde de Monte Cristo etc... Je ne m'attendais certes pas à une discussion littéraire en visitant une ferme d'élevage de poissons! Nous reprenons la piste à travers la pampa chilienne. Prochaine halte: la caverne du Milodon. Le Milodon est un animal aujourd'hui disparu qui vivait à l'époque des premiers hommes. On a retrouvé les os d'un exemplaire de cette espèce dans la grotte qu'il occupait. C'était une sorte d'ours au museau allongé pourvu d'une longue queue, au moins d'après la reconstitution. On parle d'un paresseux géant, mais je n'affirme rien. Un peu avant l'entrée de la caverne, une touriste est allongée sur l'herbe. Elle s'est cassée une jambe en visitant l'antre du monstre et attend des secours. Donc, cuidado! La grotte est très vaste et bien balisée. Je ne comprends pas comment l'accident a pu survenir. Mais il faut si peu de chose. Nouveau départ sur la piste. On aperçoit,
de l'autre côté de la plaine, une montagne au long sommet
aplati qui évoque la forme d'une table. De temps à autre,
nous passons à côté de nandous,
les autruches sud-américaines, qui grattent le sol à la recherche
de nourriture. Plus loin, des troupeaux de guanacos, le camélidé
du sud, paissent tranquillement sous la surveillance vigilante de deux
ou trois des leurs.
Le parc de Torres del Paine était autrefois un fondo, c'est-à-dire une propriété agricole. C'est maintenant une réserve naturelle. Mais la trace de l'activité humaine antérieure se découvre ça et là. On trouve par exemple des pommiers redevenus quasiment sauvages. Il n'y a pratiquement pas d'habitations dans le parc, les rares hôtels mis à part. Nous nous approchons peu à peu des tours. La nature est de plus en plus grandiose. Les montagnes, couvertes d'herbe jaune ou de neige, suivant leur hauteur, se reflètent dans des lacs et des rivières vertes. Les teintes sont réellement magnifiques. A l'hôtel, la réceptionniste parle Français. Elle a vécu au Québec, à Montréal. C'est l'occasion de jaser un peu. Une fois installé, je repars avec mon guide visiter les alentours. J'aimerais me rendre dans une île, mais c'est trop dangereux. Lors d'une crue récente, le pont a été sérieusement malmené. Il n'a pas été emporté mais il est en si mauvais état que l'on me déconseille de l'emprunter. On va nous prêter un canot pneumatique. Nous y prenons place, mon guide et moi, avec un couple de retraités américains fort sympathiques. Nous allons jusqu'à une île d'où l'on voit bien le glacier voisin et les icebergs détachés de sa masse qui flottent sur un lac. Le plus gros de ces icebergs, aux formes étranges, est percé de part en part. L'ouverture ressemble à une arche. C'est une très belle curiosité naturelle. Le vent souffle. Le temps est couvert et il fait plutôt frais. Heureusement, nous sommes tous bien couverts. Le lendemain, sur le chemin du retour, brève
halte à une cascade.
Je regrette presque d'avoir consacré si peu de temps à mon
séjour dans cette région. Elle est certainement un paradis
pour les amoureux des randonnées et de la nature. Le temps se dégageant,
j'ai la chance de bien voir les
tours, grises et bleues, dans leur écrin de neige et de rochers,
par delà un lac d'eau verte.
Nous devons ralentir pour permettre à un troupeau de vaches, conduit par des gardiens à cheval, de traverser la route. De retour à Puerto Natales, je reprends le bus en direction de Punta Arenas. Dîner de Centolla, le crabe des neiges d'ici, délicieux. Mais mon plat chilien préféré reste les machas (une sorte de clams) gratinées au parmesan. Flânerie dans Punta Arenas, avant de me rendre à l'aéroport. En raison des conditions atmosphériques, l'avion n'est pas en mesure de décoller. Le vent le secoue fortement, de droite et de gauche, sur la piste. Je suis assis à côté d'une jeune Américaine qui vient d'Ushuaia. Elle me dit que le voyage a été difficile. Enfin, après une longue attente, nous voilà dans les airs. Je montre à ma voisine les paysages du Chili que je connais déjà. Au dessus de la région des lacs et des volcans, le temps est dégagé. Nous voyons parfaitement le volcan Osorno, frère jumeau du Fuji Yama, dans sa cape de neige blanche. Ma voisine est très amusée par la manie que j'ai de garder une petite cuillère du service de l'avion comme souvenir. Seulement, bien sûr, si elle est en métal. Le plastic ne m'intéresse pas! Atterrissage à Santiago. Le voyage est fini. |