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Napoléon ne souhaitait pas entrer en
guerre contre la Prusse. Il fit ce qu'il put pour éviter le conflit.
Mais il se mit également en mesure pour y faire face. L'invasion
de la Saxe, enrôlée de force sous les bannières prussiennes,
puis l'insolente réclamation par Berlin du retrait immédiat
des troupes françaises stationnant encore en Allemagne, à
la suite de la guerre de 1805, rendirent le conflit inévitable.
Dès le début, Napoléon s'inquiéta du ravitaillement de ses troupes. La mollesse de ses subordonnés l'indigna et il les engagea vivement à forcer la construction des fours, pour cuire les rations de pain nécessaires aux marches qui allaient suivre. Sans un ravitaillement suffisant, il est évidemment impossible de maintenir la discipline et la cohésion des troupes contraintes de chaparder pour se nourrir. Les Prussiens n'étaient pas aimés en Saxe et on ne s'en cachait pas. Le faux bruit de leur retour, à la suite d'une défaite française, causa même un instant de panique dans la population. Les troupes saxonnes ne se battaient pas avec entrain et ne demandaient qu'à rejoindre leurs foyers. Des émeutes paysannes eurent même lieu et des soldats prussiens furent tués à coups de fourche. Mais il était toutefois difficile pour les Français de recruter des espions, même à prix d'or, dans une population qui craignait évidemment un retour de bâton. Le 14 octobre, Bernadotte, qui aurait dû se trouver à Iéna ou, en appui de Davout, à Auerstadt, selon les ordres de l'empereur, ne fut nulle part. Un peu plus tard, en ne marchant pas assez rapidement pour s'emparer du pont de Calbe, sur l'Elbe, il permit au corps de Hohenlohe de filer. L'Empereur laissa passer la première faute sans réagir, s'il n'en pensa pas moins; il se fâcha pour la seconde et chargea Berthier de manifester son mécontentement au prince de Pontecorvo en lui précisant qu'il n'entendait pas que ses conceptions stratégiques échouent par suite de l'amour propre de ses maréchaux. Pendant la campagne de Prusse, puis celle de Pologne, les rivalités entre les lieutenants de l'Empereur, si funestes en Espagne, éclatèrent déjà, mais le maître était là pour en tempérer les effets. 21ème bulletin - 28 octobre
1er novembre 1806 - Mortier à l'Empereur
En Prusse, les troupes françaises pensent être accueillie amicalement parce que les villages sont illuminés lors de leur passage. C'est un malentendu. En fait, les villageois mettent des bougies à leurs fenêtres comme ils le font toujours lors du passage des troupes, sur ordre du roi de Prusse. A Stettin, après la reddition de la place, les soldats prussiens, qui refusent de se rendre, se révoltent contre leurs officiers. Arrivé de l'autre côté de l'Oder, en territoire polonais, le roi de Prusse s'en prend violemment aux courtisans qui l'on entraîné dans la guerre, les traitant de coquins qui lui ont fait perdre son trône. Beaucoup de chevaux tombent aux mains des troupes françaises. Mais les animaux valides qui arrivent à destination sont peu nombreux. En cours de route, nombre de soldats s'en emparent et les troquent contre leurs bidets hors de service. Napoléon qui, sur la foi des rapports de ses lieutenants, espérait monter de nombreux cavaliers en est pour ses frais. Savary fait couper les jarrets des chevaux trop nombreux qui tombent entre ses mains. Napoléon demande à ses lieutenants de se montrer bienveillants avec le peuple de Hesse-Cassel et de chercher s'il n'existe pas quelque impôt vexatoire que l'on pourrait supprimer. En même temps, il ordonne de réprimer toute tentative de soulèvement, en faveur du prince qu'il vient de déposer, en pillant et en brûlant les villages qui s'y risqueraient. Les soldats risquent de manquer de souliers pendant la campagne d'hiver qui s'annonce. Une paire dure trois mois au maximum et moins si, comme c'est parfois le cas, les semelles sont en carton! Ordre est donné de changer les bottes des cavaliers faits prisonniers contre des souliers afin de pourvoir de bottes la cavalerie; mais les prisonniers, dès qu'ils sont démontés, coupent les tiges de leurs bottes, pour marcher plus facilement. Corbineau cherche en vain un bateau soi-disant chargé de bottes dans les environs de Spandau. Pour les faire échapper à ses poursuivants, Blücher envoie ses équipages et son trésor en Poméranie suédoise. Mais les troupes françaises réclament ces trophées et la province suédoise est menacée d'invasion en cas de refus. Finalement, la province sera envahie et les Suédois s'enfuiront par mer ou seront faits prisonniers, certains lors de la prise d'assaut de Lübeck par Bernadotte, secondé par Soult et par Murat, venus par d'autres routes; les troupes françaises feront leur jonction dans la ville où les Prussiens se battront avec l'énergie du désespoir. Blücher se rendra le lendemain avec les débris de son corps d'armée. Beaucoup de prisonniers demandent à prendre du service dans les troupes du roi de Naples (Joseph). Nombre d'autres aussi, mal gardés par manque de troupes, prennent la poudre d'escampette. Il est vrai que leurs gardiens font partie des troupes de la Confédération du Rhin et sont donc aussi des Allemands. Les prisonniers de Magdebourg, confiés au général Roguet, arrivent presque tous à Mayence. Les évasions sont d'autant plus déplorables que de nombreux soldats prussiens débandés errent dans le pays et s'y livrent au pillage pour survivre. A Posen, Davout est reçu par une foule polonaise en liesse qui réclame des armes pour se battre aux côtés des troupes françaises. Les Saxons ont déjà accueillis les Français sans animosité. Mais, ici, la population est prête à se soulever contre ses maîtres prussiens. Il ne manque que des armes et, justement, les fusils trouvés dans les arsenaux prussiens par les Français font l'affaire. Napoléon exige la plus grande correction de la part des soldats français dans un pays qu'il espère gagner à sa cause. Partout, les Polonais accueilleront les Français en libérateurs et l'Empereur reviendra à plusieurs reprises sur la nécessité de maintenir l'ordre et d'éviter de vexer la population. Les Russes, au contraire, qui se savent détestés, détruisent et pillent tout sur leur passage. Mais, si Napoléon compte gagner le soutien des Polonais, il refuse de s'engager sur la restauration de la Pologne, tant que ses habitants ne se seront pas montrés capables de la défendre; qu'ils équipent d'abord 30 à 40000 soldats, ensuite, on verra! Le 8 novembre, Napoléon donne l'ordre de prendre tout ce qui se trouve à Stettin comme vins et alcools pour la troupe. L'hiver approche et ces provisions seront très utiles à l'armée qu'elles sauveront, selon ses propres termes. Bernadotte crée des commissions militaires pour condamner à mort les pillards après la prise de Lübeck. C'est le seul moyen de rétablir la discipline dans l'armée que les marches forcées ont désorganisée. Napoléon souhaite ménager la Saxe, même s'il vide ses arsenaux et démonte sa cavalerie. Thiard, envoyé à Dresde, a toute les peines du monde à calmer l'appétit des troupes bavaroises, dont les officiers espèrent s'enrichir par le pillage de la capitale saxonne. L'Empereur tient à ce que les troupes alliées soient traitées comme les troupes françaises et que leur susceptibilité ne soit pas froissée, même si on ne les a guère vues sur le théâtre des opérations. Mais il convient également de ménager les Saxons et le pillage est évidemment exclu. Il est pourtant impossible de l'empêcher, faute de moyens, en dehors des villes. Si les alliés sont entrés en campagne tardivement, ils n'en sont pas mieux équipés pour cela. Ils manquent d'approvisionnements et de chaussures et il faudra en prélever sur le contingent des troupes françaises; ces déficiences expliquent les exactions auxquelles ils se livrent sans les excuser. Napoléon revient à plusieurs reprises sur sa volonté d'associer à sa gloire ses alliés bavarois et wurtembergeois; il pense ainsi se les attacher durablement et il invite Thiard à leur distribuer des souliers et à s'assurer qu'ils ne manquent de rien. Les difficultés d'approvisionnement des troupes en Pologne, en 1806, anticipent celles de 1812. Les Russes pratiquent déjà la politique de la terre brûlée. Ils incendient les villages où les troupes françaises pourraient cantonner. L'état-major ayant mal organisé l'établissement des troupes, à Posen comme à Varsovie, les unités se bousculent dans les mêmes villages, où elles manquent de nourriture, et ceci en hiver. Un peu plus tard, à Biezun, sur les bords de la Wkra, les soldats de Bernadotte n'ont plus ni pain ni eau-de-vie. On est en pays ami; pourtant, il est bien difficile d'obtenir des provisions, même des nobles; il faut se gendarmer pour un peu de pain et de vin dans les châteaux! Les relations entre les Français et les Autrichiens sur la frontière de Galicie sont cordiales. Mais les seconds s'opposent à ce que les premiers s'y pourvoient en objets de nécessité dont ils manquent. Napoléon demande à ses envoyés de rappeler avec vigueur, qu'entre deux États en paix, le commerce doit être libre, sans toutefois risquer de froisser l'Empereur d'Autriche. Les difficultés de la Grande Armée sont parfaitement connues de Napoléon: on est dans un pays ravagé par l'ennemi, où les moyens de transports sont inexistants, et l'intendance est aux mains de concussionnaires. Mais la stratégie exige de poursuivre les Russes sans relâche; il faut les éloigner, afin que l'armée puisse prendre en sécurité ses quartiers d'hiver. Action psychologique: Napoléon incite Murat à propager le bruit qu'il a sous ses ordres 100000 hommes de cavalerie et 500000 fantassins. Il ne dispose qu'à peine du tiers de cavaliers! Quant aux fantassins... Vers la fin du mois de décembre, l'armée russe est surprise en flagrant délit et son centre est percé. Pourtant, la manoeuvre de Pultusk-Golymin va échouer par suite de l'inertie de Bessières et de Bernadotte. L'Empereur ne leur en fera aucun reproche car, par suite des défaillances de la cavalerie légère, ils n'ont pas été avisés à temps des mouvements de l'armée. Les chemins sont de tels bourbiers que les communications sont très difficiles; par ailleurs, les généraux se plaignent de ne pas obtenir de renseignements faute de comprendre la population; les conversations s'effectuent en allemand ou en latin, langues que tout le monde ne parle pas; des interprètes polonais sont demandés à plusieurs reprises. Les soldats pataugent dans la fange qui monte jusqu'au poitrail des chevaux et à mi cuisse des hommes. La poursuite de l'armée ennemie en est considérablement ralentie, mais celle-ci perd une partie importante de son artillerie et de ses bagages. Au reste, les combats de Pultusk (25 décembre) et de Golymin (26 décembre) sont des actions décousues où les corps arrivés sur les lieux se battent sans plan d'ensemble, dans la boue et sous la grêle. A Golymin, des unités de Lasalle s'étant débandées devant une batterie d'artillerie, ce général, après les avoir raillées, les oblige à se maintenir immobiles sous le feu de l'ennemi une partie de la journée pour les punir. Deux chevaux sont tués sous lui. Les Polonais détestent les Russes; ceux qui sont enrôlés désertent; les paysans assomment les soldats isolés qu'ils rencontrent. Le général Milhaud au général Belliard (chef d'état-major de Murat) - Grabowka le 1er janvier 2007 - "La forêt d'Ostrolenka ne peut, en aucune manière, fournir des cantonnements à la cavalerie, pas même à l'infanterie, à moins d'avoir des fours et de la farine pour faire du pain: voilà trois jours que je bats l'estrade de cette forêt marécageuse. Les maisons sont des tanières d'ours habitées par des sauvages; on ne trouve pas un grain d'avoine; nos chevaux et nos soldats sont épuisés de faim et de fatigues; le peu de foin qui existe est à moitié pourri et n'est pas abondant." Après avoir chassé les Russes de leur cantonnements, l'Empereur décide de faire prendre à son armée ses quartiers d'hiver, à la fin du mois de décembre 1806. Soult couvrira les cantonnements; il sera éclairé par la cavalerie. Les plaintes de l'avant-garde de la Grande Armée révèlent les difficultés d'approvisionnement qu'elle rencontre; ces difficultés préfigurent, on l'a dit, celles qui entraîneront la perte de l'armée pendant la campagne de Russie, en 1812. Les plaintes les plus vigoureuses sont exprimées par le général Watier qui n'accepte pas que ses dragons soient utilisés en éclaireurs, alors que la cavalerie légère est à l'arrière. Le manque de nourriture pour les hommes et les chevaux est flagrant; la correspondance du général Milhaud dépeint la situation avec beaucoup de réalisme. Quelques jours plus tard, le général Belliard confirme auprès de Berthier les problèmes rencontrés par l'armée: les villages sont déserts et vides, faute d'avoine et de foin, on arrache le chaume des toits pour en nourrir les chevaux; il n'y a rien pour ferrer ces derniers; les soldats ne sont pas mieux lotis, ils manquent de pain et il n'y a presque plus de pommes de terre pour le remplacer; ils manquent aussi de vin et d'eau de vie et ne trouvent que peu de mauvaise bière; nombre d'entre souffrent de diarrhées qui font redouter un début de dysenterie; la solde, toujours différée, est attendue avec impatience. Les 18 et 19 janvier 1807, de Varsovie, l'empereur reproche vivement au prince Jérôme d'être entré en relation avec le prince de Pless. Il lui rappelle qu'il ne lui appartient pas de traiter avec l'ennemi sans ordre de l'Empereur; qu'il se le tienne pour dit. Malgré les ordres reçus de l'Empereur et de Bernadotte, Ney, qui cède à son tempérament fougueux, s'aventure à la poursuite des Prussiens en retraite sur Koenigsberg. Il pense que cette place est mal défendue et pourrait être enlevée facilement; il envisage même une expédition contre elle, en faisant porter les fantassins sur des traîneaux pour qu'ils soient à même de suivre la cavalerie; cette initiative n'aura pas de suite, l'ennemi se faisant menaçant. Les troupes du maréchal Ney, qui se trouvent dans une région épargnée par les Russes, à gauche du dispositif français, paraissent beaucoup mieux pourvues que celles des autres corps; le maréchal ne se plaint d'ailleurs pas à ce sujet. Ses initiatives ayant désorganisé le dispositif français, il invite Soult à caler sur lui les mouvements de son corps. Ce comportement frise la désobéissance et compromet la sécurité de la Grande Armée. Napoléon, qui a décidé d'accorder du repos à ses soldats, réprimande vigoureusement le duc d'Elchingen: il n'a de conseil à recevoir de personne en matière de stratégie! Comme à Jérôme, il lui rappelle qu'entrer en pourparlers avec l'ennemi ne fait pas partie de ses attributions. Contraint et forcé, Ney finit par rétrograder, pour se remettre dans l'alignement, et alors ses plaintes commencent: il n'est pas mieux pourvu en nourriture que ses collègues. Ce recul de son corps encourage l'ennemi à venir l'inquiéter*. Les Polonais ont accueilli favorablement les troupes françaises à leur entrée dans leur pays. Cependant, au fur et à mesure qu'elles avancent, même si l'accueil est toujours aussi cordial, on hésite à s'engager davantage. La crainte d'un retour des Russes et des Prussiens explique le comportement attentiste des Polonais. Les Russes retraitent sur Koenigsberg, c'est-à-dire vers les débris de l'armée prussienne, ce qui laisse supposer qu'ils sont décidés à reprendre l'offensive, une fois qu'ils se seront réorganisés. Dès lors, l'essentiel des opérations se porte sur la gauche de la Grande Armée (Bernadotte et Ney). Les Russes et leurs alliés prussiens paraissent vouloir débloquer Dantzig, dont la population polonaise est prête à se révolter. On dit que 10000 Britanniques vont renforcer la garnison et qu'une offensive des alliés va rejeter les troupes françaises de l'autre côté de la Vistule. * La lecture des mémoires du général Roguet apporte des précisions quelque peu différentes. On y apprend que l'approvisionnement des troupes du 6ème corps de Ney n'était guère plus facile que celui des autres corps de la Grande Armée. Beaucoup de soldats se livraient à la maraude, malgré l'interdiction de lever des contibutions sans un ordre signé de la hiérarchie. Les paysans polonais, excédés, cachaient leurs maigres ressources et renseignaient l'armée ennemie. Il fallait leur interdire, à coups de fusils de franchir les lignes! Si la noblesse et la bourgeoisie polonaise se montraient généralement favorables aux Français, il n'en allait pas de même de la population des campagnes encore soumise au servage et probablement sans grande conscience nationale. |
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